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JOSÈPHE ET 1 MACCABÉES
Étienne NODET, o. p.
École Biblique POB 19053 Jérusalem-IL
<nodet@ebaf.edu>
RÉSUMÉ
Une comparaison détaillée de 1 Maccabées et de la paraphrase de Josèphe dans les Antiqui-
tés juives révèle (1) que son exemplaire était différent du texte reçu, et (2) que selon sa cou-
tume il travaillait sur de l’hébreu, mais avec l’assistance de secrétaires hellénophones. Il a
introduit des digressions issues de sources juives et d’historiens hellénistiques, mais sur le
récit lui-même il ajoute peu (il ne connaissait pas 2 Maccabées). Cependant, il procède à des
remaniements qui souvent permettent de mieux comprendre la version grecque usuelle de
1 Maccabées, parfois trop littérale pour être claire.
ABSTRACT
A painstaking comparison of 1 Maccabees and Josephus’ paraphrase in his Jewish Antiqui-
ties shows (1) that his copy significantly differed from the usual book, and (2) that he worked
on a Hebrew text, as he did elsewhere – with the help of Greek-speaking assistants. He
brought in several digressions taken from Jewish sources and Hellenistic historians, but his
improvement of the narrative itself is minimal (he never heard of 2 Maccabees). However,
his reworking provides us in a number of places with a better understanding of the traditional
Greek text of 1 Maccabees, which is a very literal translation, sometimes misleading.
Introduction
La crise maccabéenne est relatée de manière entièrement différente dans les
deux livres canoniques. 1 Maccabées est l’écrit fondateur de la dynastie asmo-
néenne : ignorant l’histoire antérieure de la Judée, le livret raconte d’abord une
crise due au refus absolu d’une partie des Juifs de voir s’installer une culture
grecque à Jérusalem, promue par des « vauriens » locaux. Un début de résis-
tance déclenche une riposte majeure : le roi séleucide Antiochos IV Épiphane
(175-164), qui domine la Judée, décrète l’interdiction du judaïsme et profane le
Temple (-167). Une insurrection s’organise, menée par le prêtre Mattathias de
Modîn puis par son fils Judas Maccabée ; elle aboutit à une restauration du
sanctuaire, le 25 Kislev -164, d’où l’institution de la Dédicace, commémoration
majeure du haut fait de Judas. Les populations voisines refusent, d’où de nou-
veaux combats. Après la mort de Judas, ses frères Jonathan puis Simon, deve-
nus grands prêtres, lui succèdent, et, tirant parti de l’affaiblissement des lagides
en Égypte et des querelles dynastiques des séleucides en Syrie, ils parviennent à
mettre en place un État juif gouverné par une dynastie de grands prêtres. Jérusa-
lem est réunifiée vers -142, dans un climat d’unanimité supposée de l’ensemble
des Juifs. Simon est reconnu par Rome, et le récit s’arrête à sa mort : son fils
Jean Hyrcan (135-104) va lui succéder, et la dynastie est établie.
En 2 Maccabées au contraire, la persécution fait suite à des rivalités liées aux
2 ÉTIENNE NODET
difficultés fiscales d’Onias, pourtant le meilleur des grands prêtres. À l’arrivée
d’Antiochos IV, son frère Jason achète la charge de grand prêtre et introduit
l’hellénisme à Jérusalem, puis il est supplanté par un intrigant, Ménélas, ce qui
engendre révoltes et persécutions ; le Temple est profané en -166. Judas Macca-
bée, qui n’a pas d’attache sacerdotale, prend le maquis et les combats se succè-
dent jusqu’à une victoire de Judas contre Nikanor, le général ennemi, et Jérusa-
lem est ainsi « rendue aux Hébreux », en -160. Le livre s’arrête sur cette réuni-
fication, avec la commémoration d’un « jour de Nikanor » et l’on n’y trouve
aucune allusion à de nouveaux grands prêtres, encore moins à une dynastie ré-
gnante. De plus, sont cités des documents qui montrent que l’interdiction du
judaïsme a été levée au printemps -164, soit quelque neuf mois avant le haut fait
de Judas1, qui est rapporté de manière très artificielle. En un mot, les deux récits
ne sont pas compatibles, bien qu’on y reconnaisse des éléments semblables. De
plus, le régime asmonéen n’a pas fait l’unanimité : il est cité en prologue une
lettre qui montre qu’en -124 les Juifs d’Égypte refusaient encore la Dédicace,
symbole de l’ère asmonéenne (2 M 1,1-9), et un bon siècle plus tard Philon
d’Alexandrie n’en dit rien ; de même, le récit de Dn 11, inspiré de l’historien
Polybe, s’arrête à la profanation d’Antiochus IV et renvoie la suite à une espé-
rance eschatologique, alors qu’il a été publié bien après les faits2 ; selon Dn 9,27
la profanation a duré trois ans et demi.
Flavius Josèphe raconte par deux fois cette tranche d’histoire. Il commence
son récit de la Guerre (vers 79) par une relation assez brève de l’affaire macca-
béenne et de ses conséquences. Pour les grands prêtres Jonathan et Simon, on
reconnaît les grandes lignes de 1 Maccabées, mais pour la crise elle-même, il
part d’une rivalité entre deux grandes familles, les Oniades et les Tobiades.
Ceux-ci, chassés par le grand prêtre Onias, se réfugièrent à Antioche et obtin-
rent d’Antiochos IV qu’il reconquière la Judée. Il interrompit le culte pendant
trois ans et demi (comme en Dn 7,25 et 9,27), cependant qu’Onias se réfugiait
en Égypte, où il bâtit une petite Jérusalem, avec un temple ; il n’y a pas de
commémoration de la reprise du culte (G 1:31-40). À ce stade, Josèphe ne con-
naissait rien de 1 Maccabées ni de la Dédicace, ce qui est remarquable pour un
natif de Jérusalem. Plus tard, dans les Antiquités juives (vers 93), il paraphrase
la Bible, puis poursuit à partir d’Alexandre avec la période hellénistique, pour
laquelle il dispose de documents variés. Ceux-ci incluent la Lettre d’Aristée,
puis des éléments historiques sur les grands prêtres de Jérusalem et les rivalités
entre séleucides et lagides. En AJ 12:265, avec l’entrée en scène de Mattathias,
Josèphe rejoint nettement 1 M 2,1 ; auparavant, il n’a que des contacts spora-
diques avec 1 M 1, mais il est mieux documenté. Ensuite, il suit cette source,
parfois d’un peu loin, puis en AJ 13:215 il dit qu’après l’expulsion finale des
Syriens le grand prêtre Simon rasa la citadelle de Jérusalem, alors que 1 M
13,52b affirme au contraire que Simon s’y installa. À partir de ce point, donc,
Josèphe ne connaît plus directement ce livre, malgré un certain parallélisme ; il
poursuit cependant son récit sans discontinuité, mais à partir d’une autre docu-
1 Cf. Christian HABICHT, 2. Makkabäerbuch, Gütersloh, Gerd Mohn Vlg, 1976, p. 179-184.
2 Cf. Étienne NODET, « Les Kittim, les Romains et Daniel », RB 118 (2011), p. 260-268.
JOSÈPHE ET 1 MACCABÉES 3
mentation.
Les livres 1-2 Maccabées sont notoirement difficiles : sur le fond, les récits
sont décousus et la restitution des faits est malaisée3. Pour la forme, ils sont mal
transmis, avec variantes et erreurs. La présente étude se limite à ce second point,
et uniquement pour 1 Maccabées, qui avec de nombreux hébraïsmes et un
« style LXX » passe en général pour être une traduction d’un original hébreu.
Les grands onciaux ( אSinaïticus du IVe s. ; A Alexandrinus du Ve s. ; V Venetus
du VIIIe s.) résultent déjà de révisions4. Une première approche pour améliorer le
texte a été de restituer l’ancienne traduction latine (ci-après Lat.), faite d’après
le grec, car elle aussi s’est mal conservée5. Une seconde approche va être tentée
ici, de montrer que Josèphe n’est pas simplement un mauvais témoin du texte
grec, mais que comme ailleurs6 il a utilisé une forme hébraïque de
1 Maccabées7.
Pour ce faire, il convient de procéder en plusieurs étapes : d’abord, isoler les
autres sources que Josèphe a insérées dans son récit ; ensuite, faire la part de ses
propres effets stylistiques et de ses remaniements ; enfin, le résidu peut être
comparé aux détails de 1 Maccabées, en distinguant la narration et le cas parti-
culier des noms propres8.
3 Le commentaire minutieux de Félix-Marie ABEL, Les livres des Maccabées (EB), Paris,
Gabalda, 1949, reste indispensable, du fait de sa précision topographique ; Jonathan A.
GOLDSTEIN, I Maccabees. A New Translation with Introduction and Commentary (Anchor
Bible, 41), Doubleday & Co., Garden City, 1976, offre des conjectures intéressantes.
4 Cf. Werner KAPPLER, Maccabaeorum liber I (Septuaginta vel Vetus Testamentum Grae-
Machabées (Anecdota Maredsolana, 4), Abbaye de Maredsous, 1932. Sauf indication con-
traire, on suit le texte reconstitué qu’il jugeait le meilleur (L, fondé sur trois onciaux et les
gloses marginales d’un quatrième). Ce texte paraît dériver d’une traduction très servile, car
on y trouve des erreurs typiques ; par ex., les trois nômes de 1 M 10,30 et 11,34 deviennent
des « lois » (confusion entre νόµων et νοµῶν).
6 Comme c’est le cas pour sa paraphrase biblique – il le dit lui-même en AJ 1:12 –, cf.
Étienne NODET, « Josephus and the Pentateuch », JSJ 28 (1997), p. 154-194 ; ID., « Josephus
and the Books of Samuel », dans : Studies in Josephus and the Varieties of Ancient Judaism
(Festschrift L. H. Feldman), Leiden, Brill, 2007, p. 141-167 ; ID., « The Text of 1-2 Kings
Used by Josephus », dans : André LEMAIRE and Baruch HALPERN (eds.), The Books of
Kings : Sources, Composition, Historiography and Reception, Leiden-Boston, Brill, 2010, p.
41-66.
7 JEROME, Prologus galeatus in libro Regum, PL 28.593, affirme avoir connu un exem-
Greek Sources for the Hasmonean Period : 1-2 Maccabees and Josephus, War 1 and Anti-
quities 12-14 (Subsidia Biblica, 20), Roma, Editrice P. I. B., 2001. Pour 1-2 M, l’auteur uti-
lise directement le texte établi par Rahlfs, lequel introduit parfois des conjectures ou des cor-
rections d’après Josèphe ; pour les Antiquités, il utilise l’editio maior de Niese, lequel corrige
parfois d’après 1 M. Il est donc nécessaire de vérifier.
4 ÉTIENNE NODET
Justus von DESTINON, Die Quellen des Flavius Josephus in der jüdischen Archäologie,
9
Bücher XII-XVII = Jüdischer Krieg, Buch I, Kiel, Lipsius & Tischer, 1881, fut le premier à
conclure que les formules « nous avons montré ailleurs » et « il est montré ailleurs », fré-
quentes en AJ 12-14 (où il est question d’histoire gréco-romaine), sont équivalentes. Ce
« nous » est simplement le renvoi à un bien commun littéraire – ce qui n’est pas le cas de
1 M. Lorsqu’il veut renvoyer à ce qu’il a déjà dit, il le précise ; par exemple, en AJ 13:80, il
renvoie à ce qu’il a dit « plus haut » (et non « ailleurs »).
JOSÈPHE ET 1 MACCABÉES 5
l’avons montré ailleurs » (§ 244), puis il continue : « J’exposerai en détail ce qui
concerne ce roi […] car ayant évoqué cela sommairement dans mon premier
ouvrage, je crois nécessaire d’en reprendre maintenant l’exposé avec exacti-
tude ». Ces indications montrent comment Josèphe travaillait : le passage du
« nous » au « je » est une transition entre une formule équivalent à « comme
nous le savons par ailleurs », qui renvoie non pas à d’autres œuvres de Josèphe
lui-même, mais à des ouvrages grecs connus, et « je vais exposer des faits que le
lecteur est censé ignorer » (parce qu’ils relèvent de sources non grecques). Cela
suggère aussi que Josèphe semble tout ignorer d’une traduction grecque de
1 Maccabées, qu’un lecteur aurait pu connaître. En AJ 10:210, il a rendu partiel-
lement l’interprétation par Daniel de la vision de Nabuchodonosor, et renvoie à
l’original (« tâche ardue ») quiconque veut en savoir plus sur les prophéties non
réalisées (cf. Dn 2,41-45).
Selon 1 M 1,21-24, Antiochos pilla le sanctuaire de Jérusalem et ses trésors
cachés en versant beaucoup de sang. Josèphe dit qu’Antiochos entra dans Jéru-
salem sans combat, les portes ayant été ouvertes par ses partisans, puis qu’il mit
à mort beaucoup du parti adverse et pilla la ville ; deux ans après, le 25 Kislev
145 sél. (-167) le roi revint à Jérusalem, l’investit par ruse, pilla le Temple, in-
terdit les sacrifices, massacra les partisans de Ptolémée et fit dix mille prison-
niers, incendia une partie de la ville, abattit les remparts, édifia la Citadelle,
immola des porcs sur un nouvel autel des sacrifices, obligea les Juifs à changer
de culte, persécuta les réfractaires (AJ 12:246-256). Il y a un certain effet de
doublet, et dans cette seconde version on observe une extrême concentration
d’événements sous une date unique, avec l’intervention du roi en personne. Il y
a donc un aspect légendaire analogue à ce qu’on trouve dans les scolies de Me-
gilat Ta‘anit10. Tous ces éléments figurent en 1 M 1,25-64, mais ils sont insérés
dans un récit d’une certaine durée qui aboutit à l’installation de l’Abomination
de la Désolation le 15 Kislev -167, puis à des sacrifices païens le 25 de chaque
mois. Enfin, Josèphe insère ensuite une supplique au roi par laquelle les Samari-
tains (« Sidoniens de Sichem ») veulent se désolidariser des Juifs ; elle est datée
de -166, et l’approbation d’Antiochos est citée11 (AJ 12:257-264). Ce passage
n’a pas de parallèle dans 1-2 Maccabées, malgré de brèves allusions à une per-
sécution symétrique des fidèles de Jérusalem et du Garizim, indiquée en 2 M
5,22 et 6,1.
Dans tout cet ensemble, les relations entre le texte de 1 M 1 et Josèphe sont
très vagues : quelques contacts, déformés par l’apport de documents externes.
Cela forme un contraste remarquable avec la suite, où à partir de 1 M 2,1 Jo-
sèphe suit pas à pas cette source. On pourrait en inférer qu’il a simplement né-
gligé 1 M 1, mais c’est peu probable, car à partir de 1 M 1,21 le déroulement
des faits est beaucoup plus clair. En tout cas, il n’y aura pas lieu en général de
comparer les détails de traduction.
latif à la persécution d’Antiochus IV Épiphane », RHR 115 (1937), p. 188-223 (réédité dans :
Studies in Jewish and Christian History II, Leiden, Brill, 1980, p. 105-135).
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Voici les cas les plus clairs où Josèphe a introduit d’autres sources dans sa
paraphrase de 1 Maccabées.
Il rapporte le haut fait de Judas Maccabée le 25 Kislev -164, et explique sa
commémoration : « Jusqu’à maintenant, nous célébrons cette fête (de 8 jours),
que nous appelons “les Lumières” nom que nous lui donnons, je pense, parce
que cette liberté brilla au milieu de notre désespoir » (AJ 12:325, cf. 1 M 4,59).
Josèphe n’a pas parlé de commémoration dans son premier récit de la crise, et
ici il ignore manifestement l’origine de l’expression. Il s’agit en fait d’un rite de
lumière croissante, d’origine romaine : accompagner le renouveau du soleil du
solstice (25 décembre julien, assimilé à Kislev) au 1er janvier, début de l’année
consulaire12 : on met une lampe le 1er jour, deux le 2e, etc. Le rite s’est conservé
dans la tradition rabbinique, retransposé dans le calendrier lunaire, et donc déta-
ché du solstice (b.Shabbat 21b). (Au IIe siècle, c’est la naissance de Jésus qui fut
mise à cette date, selon Hippolyte de Rome et Théophile de Césarée.)
À propos de la mort d’Antiochos IV en Élymaïde, Josèphe cite d’abord 1 M
6,7-13, qui l’attribue au découragement qui saisit le roi à la nouvelle des vic-
toires de Judas Maccabée, puis il invoque Polybe, qui dit seulement qu’il fut
assassiné pour avoir voulu piller le temple d’Artémis (AJ 12:356-359). Il hésite
entre les deux récits13. (Jérôme, commentant Dn 11,36, hésitera plus tard dans
les mêmes termes.) D’une façon générale, Josèphe suit l’historien Polybe (env.
208-126) pour l’histoire hellénistique vue de Rome, et il faut supposer qu’il dis-
posait des livres maintenant perdus, mais il est notable qu’il ne lui emprunte
rien sur les événements de Judée, en dehors d’un passage du 16e livre de ses
Histoires (AJ 12:136) : il y rapporte la 5e guerre de Syrie, qui se conclut par la
conquête de la Judée par Antiochos III (vers -200), et il annonce qu’il parlera
plus tard du « sanctuaire de Jérusalem14 » et de sa renommée. C’est en réalité au
moment où il écrit, vers -140 ou plus tard, après la reconnaissance de Simon par
Rome.
Selon 1 M 6,55-63, Antiochos V et Lysias se replient précipitamment vers
Antioche au moment de la menace de Philippos, investi par Antiochos IV sur
son lit de mort. Josèphe ajoute qu’ils emmènent Ménélas (inconnu de 1 M) à
cause de tous les maux qu’il suscités, pour l’exécuter à Béroia-Alep (AJ 12:384-
385) ; l’épisode est rapporté aussi en 2 M 13,3-8, mais avant l’affaire Philippos
et en termes différents. Dans son résumé des dynasties pontificales, Josèphe
précise que le fils de Ménélas, inconnu autrement, a été écarté de la succession
Élymaïs, et FJ paraît avoir confondu, cf. Michael J. TAYLOR, Antiochus the Great, Barnsley,
Pen and Sword, 2013.
14 περὶ τὸ ἱερὸν τὸ προσαγορευόµενον Ἱεροσόλυµα ; Polybe fait ici implicitement allusion
15 STRABON 16.251 l’appelle Balas Alexandre ; selon JUSTIN 35.1, il ne s’appelait que Balas
(de ba‘al) et prit le nom d’Alexandre pour se faire un profil ; POLYBE 33.15-18 explique qu’il
arrivait en Syrie avec le consentement du Sénat.
16 Josèphe est pratiquement le seul témoin littéraire de ce temple (avec la Mishna,
m.Menahot 13:10), mais des fouilles déjà anciennes ont permis d’en retrouver le site, cf. Wil-
liam M. FLINDERS PETRIE, The Hyksos and Israelite Cities, London, British School of Ar-
chaeology, 1906, p. 27.
8 ÉTIENNE NODET
Alexandre Balas et reprendre l’héritage de ses pères (1 M 10,67). Josèphe ajoute
(AJ 13:86) qu’il fut aidé par le Crétois Lasthène (mentionné plus tard, en 1 M
11,32), qu’il débarqua en Cilicie, et que l’ayant appris Alexandre revint aussitôt
de Phénicie à Antioche. Plus loin, lorsque Démétrios congédie son armée (1 M
11,38), Josèphe précise (13:129) qu’il réduit les soldes, sauf pour les merce-
naires crétois ou issus d’autres îles (13:129). Aussitôt après, un certain Tryphon
entre en scène, profitant du mécontentement de l’armée, et Josèphe ajoute que
son nom était Diodote et qu’il était originaire d’Apamée. Puis Tryphon va cher-
cher chez l’Arabe Malchos (Iamliku) le jeune Antiochos VI, fils d’Alexandre
Balas, pour l’introniser (1 M 11,40), et Josèphe ajoute que Malchos se méfie
(13:131). Par la suite, Tryphon intronise cet Antiochos et met Démétrios en dé-
route. Josèphe amplifie avec des détails sur les combats, et affirme que Démé-
trios, battu, se réfugia en Cilicie. Ces menus ajouts sur les événements de Syrie
sont des réminiscences d’une autre source – probablement Polybe –, laquelle ne
dit rien des affaires de Judée.
Selon 1 M 11,8 le roi d’Égypte Ptolémée VI, voulant aider le prétendant
Démétrios II contre le roi Alexandre Balas, « se rendit maître des villes de la
côte jusqu’à Séleucie-sur-Mer ». Au contraire, Josèphe a commencé par affir-
mer que Ptolémée venait soutenir son gendre Balas contre l’intrusion de Démé-
trios, puis il donne un récit plus détaillé, avec une tentative d’assassinat de Pto-
lémée à Ptolémaïs « comme nous l’avons expliqué ailleurs », vraisemblable-
ment par Polybe (AJ 13:103-108) ; Josèphe conclut que Ptolémée regrette son
alliance avec Balas et se rapproche de Démétrios (§ 109). Il tente ainsi de ré-
duire la contradiction de ses sources.
Ptolémée fit alors la guerre à Alexandre le vainquit et mourut peu après lui.
Le bref récit de 1 M 11,15-18 est amplifié par Josèphe, avec des détails topo-
graphiques « comme il est montré ailleurs » (AJ 13:118-119).
Il y eut à Antioche une rébellion contre Démétrios II, et Jonathan vint le se-
courir avec une armée (1 M 11,47-50). Josèphe ajoute un récit de combat (AJ
13:138-142a, avec incendie et massacre de femmes et d’enfants auquel Démé-
trios participe personnellement. Diodore, 30.4, rapporte ce combat, avec incen-
die et massacre, mais il ne parle pas de Juifs ; c’est Josèphe qui les introduit.
Après un intermède diplomatique avec le courrier de Jonathan aux Spartiates
(1 M 12,1-23), Josèphe ajoute (AJ 13:171-173) une notice sur les trois écoles
juives, destinée à préparer le récit du banquet d’Hyrcan, avec un conflit entre
sadducéens et pharisiens17. Il met cette notice à la place de la lettre du roi des
Spartiates au grand prêtre Onias, celle à laquelle répond Jonathan, et reporte la
lettre plus haut, à l’époque supposée d’Onias18 (AJ 12:225-227).
Selon 1 M 11,39 Tryphon, ancien partisan d’Alexandre Balas, voyant que
Démétrius II avait congédié son armée, projeta d’installer sur le trône le jeune
Ce banquet, avec une rupture entre le grand prêtre et les pharisiens, est en fait à situer
17
sous Alexandre Jannée, qui était gravement soupçonné d’être bâtard (non sans vraisem-
blance), cf. Emmanuelle MAIN, « Les sadducéens vus par Flavius Josèphe », RB 97 (1990), p.
161-206.
18 Cf. Joseph SIEVERS, « Josephus, First Maccabees, Sparta, The Three Haireseis – and Ci-
En résumé, il faut conclure que Josèphe n’a pas connu 1 Maccabées sous sa
forme actuelle : il ignore 1 M 1 ainsi que la finale à partir de 1 M 13,52b ; en
19 DIODORE 33.4 ; STRABON 16.752.
10 ÉTIENNE NODET
outre certains détails sont différents. Il n’est guère utile de se demander ici si
son exemplaire était réduit à ce qu’il paraphrase, ou s’il disposait d’un texte
bien plus long, dont 1 M 2,1-13,51 n’aurait été qu’un extrait. L’opinion com-
mune, que 1 Maccabées hébreu aurait été achevé pendant le règne de Jean Hyr-
can ou peu après sa mort, est certainement inexacte20. Par contre, il est clair
qu’il a inséré des archives juives non publiées en grec, et qu’il a utilisé des ou-
vrages d’historiens hellénistiques, mais seulement pour ce qui concerne les
royaumes voisins ; il suppose que ses lecteurs sont censés les connaître.
II – Remaniements et effets stylistiques de Josèphe
La paraphrase de Josèphe est souvent très libre, d’autant plus qu’il était as-
sisté de secrétaires (cf. § IV ci-après). On donne ici un échantillon assez suc-
cinct de ses libertés stylistiques, limité à des cas où l’on pourrait soupçonner
une autre source, mais qui s’expliquent suffisamment par les idées de l’auteur,
voire par quelques informations latérales de première main. Deux catégories
peuvent être écartés d’emblée : d’une part, les pièces lyriques et les discours,
pour lesquels même Thucydide admet des reformulations ; d’autre part, les ef-
fectifs militaires, souvent fantaisistes, d’autant plus que la transmission textuelle
des chiffres est souvent incertaine, ce qu’on voit aussi dans Lat.
– 1 M 2,18 : les émissaires du roi Antiochos disent à Mattathias : « Avance donc le
premier et exécute l’ordre du roi, comme l’ont fait toutes les nations, les hommes de
Juda et ceux qui subsistent à Jérusalem et tu seras ainsi que tes fils parmi les Amis du
roi. » En AJ 12:269, Josèphe omet les apostasies en Judée et souligne que tous sui-
vront l’exemple de Mattathias, ce qui le pose d’emblée en chef de file.
– 1 M 2,28-29 : Mattathias et ses fils s’enfuient vers les montagnes21, puis vient
l’épisode du sabbat au désert, donc dans un autre lieu. En AJ 12:271-272, Josèphe
écrit que Mattathias et ses fils s’enfuirent dans le désert et que « beaucoup en firent
autant et s’enfuirent avec enfants et femmes au désert ». Les deux épisodes sont fu-
sionnés, et ainsi Mattathias devient le chef de ces fugitifs ; il les persuade de sa propre
initiative de prendre les armes le sabbat pour se défendre, alors qu’en 1 M Mattathias
n’est pas directement l’auteur de cette permission. Là et ailleurs, Josèphe insiste sur
cette permission de riposter le sabbat, encore en vigueur de son temps (cf. AJ 14:63).
– 1 M 2,38 : les fugitifs se sont réfugiés dans des endroits cachés, et sont attaqués le
sabbat ; Josèphe, qui connaît le terrain, précise de son cru qu’ils sont dans des grottes,
et que les soldats les ont asphyxiés en allumant des feux (AJ 12:274).
– 1 M 2,49.70 : indique que Mattathias mourut en 146 sél., soit un an après la pro-
fanation du 25 Kislev 145 sél. (-167). Son action avait sûrement commencé bien
avant, mais Josèphe, qui suit 1 M et apparemment s’étonne de la brièveté de son acti-
vité, ajoute que Mattathias tomba malade (AJ 12:279).
– 1 M 3,27 : après la défaite de son général Sérôn, Antiochos mobilise une grosse
armée pour mener la guerre en Judée ; Josèphe ajoute « des mercenaires venus des
20 RAPPAPORT, p. 60-61, offre une revue d’opinions récentes, avec les divers arguments in-
voqués ; seul GOLDSTEIN, p. 62-64, date le livre sous le roi Alexandre Jannée (après -103).
21 Joshua SCHWARTZ & Joseph SPANIER, « On Mattathias and the Desert of Samaria », RB
25 GOLDSTEIN, p. 418 (reappointed), suivi par RAPPAPORT, p. 265, n. 15 ()אישרר. Pour ré-
concilier 1 M avec Josèphe, on peut conjecturer ויפקדou וישארsous καὶ κατέστησεν.
26 Cf. Hermann BENGSTON, Die Strategie in der hellenistischen Zeit. Zweiter Band,
München, Beck, 1964, p. 151-153, qui résiste à l’autorité de 1 M et donne raison à Josèphe,
mais il est peu suivi.
JOSÈPHE ET 1 MACCABÉES 15
27 RAPPAPORT, p. 107, met ויעש, sans tenir compte de Josèphe. Dn 11,32 a יחניף בחלקות
« (Antiochos) les pervertira par des paroles doucereuses (Théod. ἐν ὀλισθρήµασιν) » ; le sens
est différent.
28 Même RAPPAPORT, p. 123, met « וישבet il s’installa ».
29 Cf. Donatien DE BRUYNE, « Le texte grec des deux premiers livres des Machabées », RB
31 (1922), p. 31-54.
30 De manière analogue, l’épée de Goliath (le Philistin, donc « l’étranger ») avait été consa-
16 ÉTIENNE NODET
servit ensuite toute sa vie31.
– 1 M 3,15 : au moment de partir en campagne contre Judas, Sérôn, chef de l’armée
séleucide, « ajouta et monta (avec lui une armée d’impies) » καὶ προσέθετο καὶ ἀνέβη
(µετ᾿ αὐτοῦ παρεµβολὴ ἀσεβῶν), de ויוסף ויעל, ce qu’on est obligé de comprendre
comme une seconde campagne, après l’échec d’Apollonios, alors qu’il n’y a aucun
lien littéraire entre les deux. Josèphe met « ayant rassemblé une force » συναγαγὼν
οὖν δύναµιν (AJ 12:289), de « ויאסףet il rassembla », ce qui donne un sens plus natu-
rel. Les deux se résolvent dans une confusion entre ויוסףet ויאסף, sans doute à cause
d’une écriture défective ויסף. Cette même confusion explique l’écart qu’on rencontre
parfois entre TM et LXX (cf. Gn 25,8.17 ; Nb 20,24.26 ; Jg 2,10 ; 13,21 ; Jb 27,19 ;
Qo 2,26).
– 1 M 3,17 : lors de l’attaque de Sérôn, les compagnons de Judas sont effrayés
d’être aussi peu nombreux, et ajoutent « nous sommes exténués, n’ayant pas mangé
aujourd’hui » ἀσιτοῦντες σήµερον, mais Josèphe souligne que le manque de nourri-
ture est dû à un jeûne (νηστεύουσιν, AJ 12:290) ; il faut donc rétablir l’héb. צמים היום
« ayant jeûné aujourd’hui ». Il est peu probable qu’il s’agisse du jour de l’Expiation
(Kippur), mais selon Jl 2,15 l’annonce avec trompette d’un événement (surtout une
guerre, Nb 10,9) doit être suivi d’un jeûne. Le grec de 1 M doit donc être considéré
comme insuffisant, mais Lat. a bien compris : faticati ieiunio.
– 1 M 3,41 : à l’armée de Lysias se joignent des forces de Syrie « et du pays des
étrangers » καὶ γῆς ἀλλοφύλων ; l’expression rend ordinairement « pays des Philis-
tins » dans la LXX (ארץ פלשתים, cf. aussi 1 M 5,68). Josèphe met « de Syrie et de la
région environnante » (AJ 12:299), ce qui laisse entendre qu’il lisait aussi « Philis-
tins » et non « étrangers » en général (comme en 1 M 4,35). En effet, 1 M 3,24 trans-
crit (exceptionnellement) εἰς γῆν Φυλιστιιµ, et Josèphe a bien compris, car il met εἰς
τὴν παραλίαν « vers la région côtière » (§ 292) ; pour lui, le pays des Philistins est
cette région côtière (cf. AJ 13:180), à laquelle il donne ailleurs le nom grec
Παλαιστίνη « Palestine », terme ignoré de la LXX (cf. AJ 1:136). Chez lui,
ἀλλόφυλος signifie simplement « étranger », avec en général une nuance d’hostilité.
Quant à l’origine syrienne de supplétifs, elle est peu logique, puisque l’armée de
Lysias est essentiellement syrienne ; on a conjecturé à juste titre32 qu’il y avait déjà
dans la source hébraïque une erreur de scribe « ארםSyrie » pour « אדםÉdom, Idu-
mée », c’est-à-dire pour les voisins géographiques des « Philistins ». La confusion
n’est pas rare entre le TM et la LXX.
– 1 M 4,7 : (εἶδον παρεµβολὴν ἐθνῶν […]) καὶ οὗτοι διδακτοὶ πολέµου « (ils virent
le camp des nations […]) et ils étaient instruits de la guerre » : il s’agit des Juifs (no-
minatif, de même Lat.) ce qui donne un sens anormal, puisqu’ils sont dépourvus
d’armes (v. 6), et l’on s’efforce de comprendre que ce sont les Grecs qui sont « ins-
truits de la guerre », ce que permet l’équivalent hébreu ( והם למודי מלחמהtournure attes-
tée en 1 Ch 5,18, LXX καὶ δεδιδαγµένοι πόλεµον). C’est bien ce qu’a compris Jo-
sèphe, qui explique qu’ils sont « peu armés à cause de la pénurie » (φαύλως
ὡπλισµένων διὰ πενίαν, AJ 12:297) ; sa paraphrase est approximative, mais il ne lisait
crée à Dieu, et plus tard David la reprit de Nob comme trophée (1 S 17,54 ; 21,10 ; cf. AJ
6:192). Ici aussi, Judas a vaincu une grande armée avec un petit nombre ; il s’agit de Sérôn, et
non d’Apollonios, mais les rescapés de l’armée en déroute s’enfuient « vers le pays des Phi-
listins » (ἔφυγον εἰς γῆν Φυλιστιιµ, v. 24).
31 Même RAPPAPORT, p. 142, a cru devoir rendre littéralement ויהי נלחם.
32 Cf. ABEL, p. 67, suivi avec hésitation par RAPPAPORT, p. 149, n. 15.
JOSÈPHE ET 1 MACCABÉES 17
pas que les Juifs étaient expérimentés.
– 1 M 4,19 : ἔτι πληροῦντος Ιουδου ταῦτα « Judas accomplissant encore cela »,
l’ennemi apparut ; c’est à la fin d’une harangue de Judas à ses soldats, avant la bataille
d’Emmaüs, mais la tournure est maladroite. Josèphe met ἔτι δὲ αὐτοῦ διαλεγοµένου
ταῦτα « tandis qu’il haranguait encore ses soldats » (AJ 12:310) ; la source commune
paraît être עוד תם נאמו, bien rendue par Josèphe33.
– 1 M 4,20 : les troupes de Gorgias reviennent et l’ennemi εἶδεν ὅτι τετρόπωνται,
καὶ ἐµπυρίζουσιν (+ οἱ περὶ Ἰούδαν Luc.) τὴν παρεµβολήν « vit qu’ils avaient fui, et
ils (“ceux de Judas” Luc.) incendient le camp » ; la construction de la finale est anor-
male, avec un présent et apparemment un changement de sujet, d’où diverses interpré-
tations (cf. Lat. uidit quod in fugam conuersi sunt et succederunt castra, comprenant
que les fuyards ont incendié leur propre camp). Josèphe met « (les hommes de Gor-
gias virent que l’armée… était en fuite) et le camp incendié » τὸ δὲ στρατόπεδον
ἐµπεπρησµένον (AJ 12:310), ce qui convient à la suite, puisqu’on ne voit plus que de
la fumée. Il faut supposer un héb. ושורפים המחנה, qu’on peut comprendre soit au passé
(les fuyards ont incendié), soit au présent (Luc. les rebelles ont incendié), ce qui est
moins bon.
–*1 M 5,8 : Judas conquit « Iazér et ses filles » Ιαζηρ καὶ τὰς θυγατέρας αὐτῆς ex-
pression biblique ( )יעזר ובנותיהdésignant les villages voisins (cf. Nb 21,25 ; Jos 15,45
etc.) ; Josèphe (12:329) a compris qu’il avait fait prisonniers femmes et enfants et brû-
lé la ville. C’est apparemment un contresens, développé au jugé34. Il est possible ce-
pendant qu’il ait confondu avec 1 M 5,13 où le message à Judas des assiégés de
Dathèma, que FJ ne reproduit pas (cf. § 330), rapporte la capture de femmes et
d’enfants juifs en Galaad.
– 1 M 5,15 : (λέγοντες ἐπισυνῆχθαι ἐπ᾿ αὐτοὺς ἐκ Πτολεµαίδος […]) καὶ πᾶσαν
Γαλιλαίαν ἀλλοφύλων τοῦ ἐξαναλῶσαι ἡµᾶς « (disant que s’est réunie contre eux)
toute la Galilée des nations, (de Ptolémaïs […] pour nous détruire) » ; la construction
est déformée, mais FJ a mieux respecté l’original, car ici il ne s’agit pas des Philistins
(cf. n. 3,41 ci-dessus), mais de la « Galilée des nations » (cf. Is 8,23 גליל הגוים,
Γαλιλαία τῶν ἐθνῶν), qui désigne d’abord le « cercle des ennemis ». Josèphe omet
l’extermination, puisqu’il y des prisonniers (§ 334).
– 1 M 5,28 : ayant pris Bosora, Juda tua « tout mâle à la bouche de l’épée » πᾶν
ἀρσενικὸν ἐν στόµατι ῥοµφαίας ; c’est un hébraïsme כל זכר לפי חרב. Josèphe met ici
(12:336) « tout mâle capable de combattre », alors qu’en 12:347 il rend la même ex-
pression normalement (de 1 M 5,51) ; il dépend donc ici d’une variante (probablement
meilleure) sur לפי, lu ou restitué «( נושאtout mâle portant épée »).
– 1 M 5,43 εἰς τὸ τέµενος ἐν Καρναιν « (ils s’enfuirent) vers le sanctuaire dans
Karnaïn », est fautif, car il faut suivre Josèphe « (ils) se regroupèrent dans le sanc-
tuaire nommé En-Karnaïn » (εἰς τὸ καλούµενον Ἐν Καρναὶν τέµενος, 12:344) ; on
restitue « קרניין עיןla source des deux Cornes » (Karniôn en 2 M 12,26), par allusion à
un culte d’Astarté, représentée avec deux cornes de vache ; Qarnaïm et Ashtarôt sont
associés en Gn 14,5 et Jub 29,10.
– 1 M 5,60 : (καὶ ἐτροπώθη Ιωσηπος καὶ Αζαριας,) καὶ ἐδιώχθησαν « (et furent bat-
tus Joseph et Azarias) et ils furent poursuivis (jusqu’aux frontières de Judée, et tombè-
par le décret honorifique en l’honneur de Simon, qui fut gravé sur bronze et placé au mont
Sion (1 M 14,26).
JOSÈPHE ET 1 MACCABÉES 19
Γαλγαλα) et assiégèrent Mésaloth (παρενέβαλον ἐπὶ Μαισαλωθ) qui est à Arbèles
(τὴν ἐν Αρβηλοις) » ; d’abord, « Galgala » résulte d’une confusion aisée en hébreu
גליל/ גלגלet doit être corrigé en « Galilée ». Ensuite, Mésaloth est une localité inconnue
par ailleurs. Josèphe parle de réfugiés dans les cavernes proches d’Arbèles en Galilée,
qui sont capturés par Bacchidès (AJ 12:421) ; il a donc bien compris « Mésaloth »
comme « galeries, réseaux souterrains », ce qui correspond à l’hébreu ; מסלותle terme
désigne effectivement les sentiers à degrés reliant les grottes étagées des falaises do-
minant Arbèles, un village à l’ouest de Magdala. Il faut donc restaurer d’après
l’original hébreu. Ces grottes seront plus tard un refuge de zélotes refusant Hérode
comme roi (G 1:310 ; AJ 14:415), ou fuyant Vespasien (Vie § 311).
– 1 M 9,15 : après une bataille aux environs de Jérusalem, Judas et les siens pour-
suivent l’ennemi « jusqu’à la montagne d’Azôtos (Ashdod) » ἕως Αζωτου ὄρους »,
dans la plaine littorale, ce qui ne convient pas. On a proposé une restitution de
l’hébreu « עד אשדות ההרjusqu’au pied de la montagne41 », le traducteur de 1 M ayant
lu אשדותau lieu de אשדוד. Cela s’accorde avec la topographie, mais non avec Josèphe,
qui met µέχρις Ἀζᾶ ὄρους οὕτω λεγοµένου « jusqu’au mont Aza, ainsi dénommé »
(AJ 12:429). Pour réduire la divergence, une autre possibilité est de voir ΑΖΑ ΟΡΟΥC
des mss de Josèphe comme une erreur d’haplographie pour ΑΖΩΡΟΥ ΟΡΟΥC « mont
Azôr » (Αζωτου étant alors une erreur de copiste sous l’influence d’un nom plus fré-
quent) ; il y a un site el-Açur à 10 km au nord-est de Berzéthô-el-Bireh (בעל חצור, cf.
2 S 13,23) ce qui peut convenir.
– 1 M 9,26 καὶ ἐξεδίκα αὐτοὺς καὶ ἐνέπαιζεν αὐτοῖς « et (Bacchidès) se vengeait
d’eux et les tournait en dérision », de sens difficile si la moquerie suit la mise à mort.
En AJ 13:4, Josèphe dit dans sa paraphrase que les Juifs hellénisés livrent les amis de
Judas à Bacchidès, qui « les fit périr après des tortures et des mauvais traitements qu’il
leur infligea par plaisir », ce qui est plus logique. La restitution de l’héb.
וינקם מהם והוא לועג להםpermet de comprendre comme Josèphe « se vengea d’eux tout
en les tournant en dérision ». La tournure est rendue trop littéralement par 1 M grec (et
Lat.), d’où l’hésitation des traducteurs.
–*1 M 9,61 : lors de la seconde campagne de Bacchidès en Judée, ses partisans lo-
caux (« vauriens ») ne purent pas capturer Jonathan et Simon « et ils prirent parmi les
[…] auteurs de ce méfait (quelque cinquante hommes et les tuèrent) » καὶ συνέλαβον
ἀπὸ […] τῶν ἀρχηγῶν τῆς κακίας (εἰς πεντήκοντα ἄνδρας καὶ ἀπέκτειναν αὐτούς). Le
« méfait » est dû aux « vauriens », et y a forcément un changement de sujet ; on com-
prend usuellement que c’est le parti de Jonathan qui s’en est pris aux vauriens. Mais
Josèphe dit : « Bacchidès, pris de colère contre les renégats, fit arrêter et tuer cin-
quante de leurs chefs » (AJ 13:25). L’hébreu sous-jacent ויתפשו ]…[ מראשי הרעהpeut
être lu soit au qal « et ils prirent » (ainsi 1 M), soit au nifal « et furent pris… jusqu’à
cinquante hommes » ; on retrouve ainsi Josèphe, qui a compris par analogie avec la
suite, v. 69, où figure une seconde vengeance de Bacchidès (cf. AJ 13:31), mais cela
crée un doublet peu satisfaisant.
– 1 M 9,65-67 : Jonathan laisse Simon se battre contre Bacchidès qui l’assiège à
Bethbassi et sort avec quelques compagnons, « et il battit (καὶ ἐπάταξεν) Odoméra et
ses frères ainsi que les fils de Phasirôn dans leur campement, et ils commencèrent à
frapper et ils montèrent vers les forces » ; puis Simon fait une sortie et bat Bacchidès.
41 Conjecture retenue par ABEL, p. 162, qui met une transcription ἕως ασηδωθ ὄρους (dans
la LXX, ασηδωθ transcrit régulièrement אשדות, qui n’est jamais traduit) ; RAPPAPORT, p. 234,
signale d’autres hypothèses, mais ne choisit pas.
20 ÉTIENNE NODET
Ce n’est pas clair, et l’on croit comprendre que Jonathan commence par battre des
tribus de bédouins hostiles, puis les recrute pour renforcer Simon. Josèphe dit briève-
ment (AJ 13:28) que Jonathan, ayant rassemblé « une troupe considérable parmi ses
amis », tomba de nuit sur Bacchidès, ce qui permit à Simon de faire sa sortie victo-
rieuse. Les bédouins sont donc des sympathisants, et non des adversaires à battre, et il
faut supposer que ἐπάταξεν est une erreur de copiste de 1 M (suivi par Lat.) pour
ἐπέταξεν42 « ordonna, recruta » (héb. ויצו, cf. Est 3,2), correctement lu par Josèphe, qui
cependant omet Odoméra et Phasirôn, apparemment des nomades.
– 1 M 10,31 : dans sa lettre à Jonathan, Démétrios Ier stipule en particulier καὶ
Ιερουσαληµ ἔστω ἁγία « et que Jérusalem soit sainte » ; en AJ 13:51 Josèphe met « je
veux que la cité des Hiérosolymitains soit sacrée » rendant mieux le terme usuel
קדושה.
– 1 M 10,31 : Démétrios poursuit, à propos de Jérusalem (ἀφειµένη καὶ τὰ ὅρια
αὐτῆς) αἱ δεκάται καὶ τὰ τέλη « (qu’elle soit exempte ainsi que son territoire) ses
dîmes et ses droits » ; la finale au nominatif (de même Lat.) est malhabile, mais reflète
une construction hébraïque lâche, qui procède par agrégation
)פטורה וגבולותיה( מעשרות ומסים. Josèphe (AJ 13:51) comprend simplement et clairement
« libre jusqu’à ses frontières de la dîme et des droits », lisant peut-être ממעשרות.
– 1 M 12,9 : Jonathan, citant la lettre que le roi des Spartiates avaient envoyée au
grand prêtre Onias pour établir leur fraternité avec les Juifs, leur écrit : « Nous n’en
avons pas besoin (ἀπροσδεεῖς τούτων ὄντες), ayant pour encouragement (παράκλησιν
ἔχοντες) les livres saints (τὰ βιβλία τὰ ἅγια) qui sont entre nos mains ». Josèphe met
que cette parenté « a été établie de manière convaincante par nos écrits sacrés » διὰ τὸ
ἐκ τῶν ἱερῶν ἡµῶν πεπιστεῦσθαι γραµµάτων (AJ 13:167). Le sens paraît entièrement
différent, mais c’est aussi ce que comprend Lat. (exhortationem) ; de même en 1 M
10,24, lorsque Démétrios cherche à convaincre Jonathan de traiter avec lui, emploie
λόγους παρακλήσεως au sens de « paroles de persuasion » (Lat. verba deprecatoria).
Sous « encouragement » et « conviction » on peut restituer משתדלים.
– 1 M 12,26 : Jonathan est venu au devant de l’armée de Démétrios II, et « il en-
voya des espions dans leur camp, et ils revinrent (καὶ ἐπέστρεψαν) et lui annoncè-
rent » ; Josèphe dit autrement : « les espions lui expliquèrent tout cela et firent de nuit
des prisonniers » (AJ 13:175). Le « retour » comme la « capture » supposent un hé-
breu וישבו, que 1 M a compris d’après שוב, verbe usuel, et Josèphe d’après « שבהcap-
turer », verbe plus rare, ce qui donne un sens meilleur.
– 1 M 12,33 : « Et Simon partit et marcha jusqu’à Ascalon et aux forteresses voi-
sines ». Josèphe précise qu’il parcourut « toute la Judée ainsi que la Palestine jusqu’à
Ascalon », renforça les forteresses et mit une grosse garnison à Jaffa (AJ 13:180). Si-
mon est stratège de tout le littoral (§ 146), et l’emploi du terme « Palestine » ici est
anormal, car pour Josèphe il s’agit strictement du pays des Philistins, et il ne connaît
que la Judée, au sens élargi du royaume d’Hérode ; il est donc lié ici par une source
désignant la région entre la Judée et la mer comme Philistie. Il lisait donc un verset
plus complet que 1 M 12,33 et incluant ארץ פלשתים.
– 1 M 13,11 : Simon envoya Jonathan fils d’Absalom à Jaffa « et il chassa ceux qui
étaient en elle (τοὺς ὄντας ἐν αὐτῇ), et il resta là en elle (καὶ ἔµεινεν ἐκεῖ ἐν αὐτῇ) » ;
dans la finale, ἐν αὐτῇ est superflu (dittographie). On comprend en général que Jona-
than resta à Jaffa, ce qui correspond à la politique de judaïsation menée par Simon.
Cependant, Josèphe explique que Simon envoya Jonathan à Jaffa « et resta lui-même
42 Donné par quelques mss et retenu par GOLDSTEIN, p. 395.
JOSÈPHE ET 1 MACCABÉES 21
pour garder Jérusalem » (AJ 13:202). Les deux sens se résolvent en restituant une cir-
constancielle nominale והוא נשאר שם. Le grec de 1 M, trop littéral, induit en erreur.
– 1 M 13,15 : Tryphon dit qu’il a capturé Jonathan en invoquant « l’argent que ton
frère Jonathan doit au trésor royal (εἰς τὸ βασιλικόν) pour les obligations qu’il avait
(δι᾿ ἃς εἶχεν χρείας) » ; on comprend qu’il s’agit d’arriérés dus par Jonathan au titre de
sa fonction, d’après le sens de χρεία plus haut (1 M 11,63). Josèphe parle simplement
d’emprunt à rembourser (12:204), ce qui correspond au sens ordinaire de χρεία
« dette, nécessité » (cf. צרך2 Ch 2,15). Il n’y a pas à opposer Josèphe (emprunt) à 1 M
(retard d’impôt) : tous deux dépendent du même terme « חובdette ».
– 1 M 13:16 Tryphon exige pour libérer Jonathan « (cent talents d’argent et) deux
de ses fils en otages (καὶ δύο τῶν υἱῶν αὐτοῦ ὅµηρα) » ; Josèphe dit de même καὶ δύο
τῶν παίδων τῶν Ἰωνάθου ὁµήρους « deux des enfants de Jonathan en otages ».
L’absence de ἐκ suggère un hébreu sous-jacent « שני ילדיוses deux fils », et il n’est
plus question ensuite de fils de Jonathan qui auraient pu lui succéder ; un original sans
ambiguïté « שנים מילדיוdeux de ses fils » aurait probablement donné en 1 M δύο ἐκ
τῶν υἱῶν. Par ailleurs, Josèphe affirme descendre d’une fille de Jonathan (Vie § 4).
43 Selon AJ 12 :266 Mattathias est υἱὸς Ἰωάννου τοῦ Συµεῶνος τοῦ Ἀσαµωναίου « fils de
Jean fils de Simon l’« asmonéen », terme qui a la forme d’un adjectif (comme l’hébreu
)חשמונאי, peut-être à rattacher à חשמון, localité de la tribu de Juda (Jos 15,27) ; la LXX l’omet,
peut-être intentionnellement.
JOSÈPHE ET 1 MACCABÉES 23
–*1 M 5,36 : Χασφω(θ) Μακεδ, AJ 12:340 Χασφοµάκη, en Galaad.
–*1 M 5,37 : Ραφων, AJ 12:341 Ῥοµφῶν, en Galaad.
–*1 M 5,46 : Εφρων (= 2 M 12,27), AJ 12:346 Ἐµφρών (les habitants sont nommés
Ἐµφραῖοι) « Éphrôn », ville biblique (Jg 15,9 )עפרון.
– 1 M 5,66 : Σαµαριαν (Lat. Marisan), AJ 12:353 (et 2 M 12,35) Μαρισα « Ma-
résha » en Idumée, mais anciennement ville biblique de la tribu de Juda (Jos 15,44
מרשה, LXX Μαρισα, cf. AJ 8:248) ; la forme de 1 M grec résulte d’une métathèse de
מרשהen שמרה.
–*1 M 7,19 : Βη(θ)ζαιθ (Lat. Bethzeth), AJ 12:397 Βηρζηθώ « Beth-Zaith » site
identifié au nord de Beth-Çur ; la forme de Josèphe résulte d’une erreur d’onciales, car
en hébreu בארet ביתsont très distincts.
–*1 M 7,39 et 9,50 : Βαιθωρων, AJ 12:408 Βηθωροῦ(ν), 13:15 Βαιθοροῦν, « Beth-
Horôn », au nord-ouest de Jérusalem, site biblique en Benjamin (Jos 16,3 בית חורון,
Βαιθωρων).
–*1 M 9,4 : Βερεαν (Lat. Bereth), AJ 12:422 (Βηρ)Ζηθώ « Beérot » (el-Bireh), en
Benjamin (Jos 9,17 בארות, Βηρωθ), cf. sous 7,19 ci-dessus.
– 1 M 9,5 Ελασα (Lat. Elasa, Edesa), AJ 12:422 omet, mais § 408 Ἀδασά et G 1:47
Ἀκέδασα « Adasa » ; c’est la « Ville neuve » de Jos 15,37 (חדשה, LXX Αδασα).
– 1 M 9,36 : υἱοὶ Ιαµβρι (Lat. filii Iambri, Ambri) AJ 13:11 οἱ Ἀµαραῖου παῖδες
« fils d’Amaraios » (tribu de Pérée), conservant mieux la forme sémitique ()בני אמרי.
– 1 M 9,37 : Ναδαβαθ, Γαβαδαν (Lat. Nadabat, Nadaba), AJ 13:18 Ναβαθά
(Γαβαθά), localité arabe inconnue autrement.
– 1 M 9,50 : Θαµναθα Φαραθων (Lat. Thamnata et Pharathon), AJ 13:15 Θαµναθὰ
καὶ Φαραθώ (acc.).
–*1 M 9,50 : Τεφων (Lat. Tepho), AJ 13:15 Τοχοαν, localité de Judée, peut-être
Tappuah de Jos 12,17 ( תַּ פּוּ ַחΤαφουγ), mais non Teqoa.
– 1 M 9,62.64 : Βαιθβασι (Lat. Bethbessei), AJ 13:26 Βηθαλαγαν (acc.) ; le con-
texte exige une localité dans le désert, et « Bethalaga » correspond à בית חגלהde Jos
15,6 ; le nom est interprété comme « lieu de la ronde » (Eusèbe, Onom. 8.17), c’est-à-
dire comme בית עגלה, non loin de Jéricho. 1 M est moins clair.
– 1 M 10,83 : Βηθδαγων, AJ 13:99 τὸν τοῦ Δαγῶνος ναόν « temple de Dagôn » à
Azôtos (Ashdod), de בית דגון.
– 1 M 11,34 : Ραθαµιν (Lat. Ramathe), AJ 13:127 Ῥαµαθάιν « Ramathaïm », dans
la montagne d’Éphraïm (cf. 1 S 1,1 רמתים, Αρµαθαιµ).
– 1 M 11,39 : Ιµαλχουε, AJ 13:131 Μάλχος (Diodore, 33.4a.1, met Ἰάµβλιχος)
« Malchos », chef arabe ; les diverses formes se résolvent en ימלכו, avec des variations
sur les lettres extrêmes.
– 1 M 12,7.20 : Δαρ(ε)ίου, Αρης (Lat. Dario, Onias), AJ 13:167 Ἀρεῖοf,
« Aréios », roi des Spartiates.
–*1 M 12,31 : Ζαβαδαίους, AJ 13:179 Ναβατηνούς ; Jonathan opère en Syrie, entre
Hamath et Damas, et les Zabadéens sont une tribu arabe à l’ouest de Damas. Josèphe
dit qu’après avoir battu les Nabatéens en Arabie il revint à Damas ; il paraît avoir
commis un anachronisme, car c’est en -80 qu’Arétas III, le nouveau roi nabatéen, fut
appelé au pouvoir par les Damascènes (AJ 13:392).
–*1 M 13,23 : (ἤγγισεν τῆς) Βασκαµα (Lat. Bascamae, Acoame), AJ 13:210
Βασκά ; c’est le lieu où Jonathan a été d’abord enterré, en Galaad ; Abel, p. 239, sug-
gère une origine araméenne ב‘ שקמא, abréviation de « בית שקמאenclos du sycomore »,
24 ÉTIENNE NODET
d’où la transcription de 1 M « Bascama ».
Les noms hébreux sont le plus souvent transcrits par Josèphe sous une forme
qui diffère de la LXX, les cas les plus remarquables étant les deux premiers
premier (Kislev et Yoarib) ; au contraire, les noms grecs, même rares, sont iden-
tiques à ce qu’on lit dans 1 Maccabées grec. Cependant, le Lat. offre quelques
contacts avec Josèphe (cf. 2,5 Αυαραν, Ιωναθαν ; 5,35 ; 5,66 ; 9,4 ; 9,50
Θαµναθα ; 11,34), qui attestent au moins que le grec des témoins actuels n’est
pas primitif.
En résumé, le recours à l’hébreu donne quelques éclairages, mais dans la
moitié des cas les leçons de 1 Maccabées sont certainement meilleures, et il n’y
a que six cas où elles sont nettement inférieures (cf. 1 M 3,40 ; 5,66 ; 9,36 ;
9,50 ; 11,34 ; 12,7), Josèphe ayant mieux compris l’hébreu – étant saufs les
aléas de transmission. Le reste est indécidable.
Le contraste entre les deux listes de noms est remarquable : la première, qui
ne contient aucun nom grec, suggère par son effet de masse que Josèphe ne li-
sait pas 1 Maccabées grec. La seconde suppose au contraire qu’il suivait des
sources grecques – ou qu’il se faisait aider de secrétaires, comme on va le voir.
On peut d’ailleurs se poser la même question pour le traducteur de
1 Maccabées, qui sait rétablir les noms grecs, alors que ses transcriptions de
l’hébreu sont le plus souvent approximatives44.
V – Le scriptorium de Josèphe
Il faut reprendre à ce point la question des assistants de Josèphe. En CAp
1:50, il reconnaît avoir employé des collaborateurs pour la mise en forme du
grec, mais il s’agit expressément de la Guerre des Juifs. Cet aveu arrive quelque
15 ans après la publication de l’ouvrage. Ailleurs, il donne quelques détails sur
la progression de son travail (Vie § 360-365). Il dit avoir présenté ses livres à
l’empereur Titus (79-81), qui a apposé sa signature et en a ordonné la publica-
44 On a cru pouvoir en déduire que 1 M avait été rédigé directement en grec, cf. Doron
MENDELS, Memory in Jewish, Pagan and Christian Societies of the Greco-Roman World
(Library of Second Temple Studies, 45), London-New York, T&T Clark International, 2004,
p. 81-88. C’est exclu, au moins par le témoignage de Jérôme.
JOSÈPHE ET 1 MACCABÉES 25
tion. Cela concorde avec l’indication d’Eusèbe (HE 3.9.2), que les ouvrages de
Josèphe furent déposés dans les bibliothèques publiques et sa statue érigée sur
une place. Il s’agit de l’ouvrage final en grec, conforme à la perspective ro-
maine45. L’intervention d’assistants lettrés – dont on voit qu’ils ne savaient rien
de la Judée – s’explique alors parfaitement, car Titus était « habile en latin
comme en grec, que ce soit pour parler ou pour composer des poèmes » (Sué-
tone, Titus, § 3).
Avant cet aboutissement officiel, on peut isoler deux phases. D’abord, Jo-
sèphe dit en prologue qu’il avait d’abord écrit dans la « langue de ses pères » –
probablement en araméen – à l’usage des Barbares orientaux, incluant ses core-
ligionnaires46 (G 1:3). La seconde phase est un peu postérieure. Il dit qu’il a tra-
duit en grec son ouvrage, probablement en se faisant aider, mais il ne le dit pas à
ce stade, alors que telle était la coutume47 ; puis il précise qu’il a envoyé
l’ouvrage à de nombreuses personnes, pour avis. Cela suppose une première
édition, sans doute à diffusion restreinte et probablement à compte d’auteur.
Davantage, il affirme qu’il envoyait au roi Agrippa II chaque livre aussitôt écrit,
et qu’il en reçut soixante-deux lettres (Vie § 362-367). Il en cite deux : dans la
première, le roi le qualifie de « très cher ami » et le remercie pour le livre en-
voyé, en l’invitant à lui adresser les autres. Dans la seconde, il lui renouvelle
son approbation pour son information exhaustive, mais il ajoute : « Quand tu
viendras me voir, je t’informerai moi-même de beaucoup de choses ignorées. »
En clair, il s’agit non pas d’informations supplémentaires qui auraient pu être
écrites, mais de censure, d’origine juive ou romaine, ce que d’autres considéra-
tions vont confirmer plus loin. L’édition préliminaire en grec aurait donc dû
disparaître au terme de ce processus, mais il se trouve qu’un exemplaire non
censuré est arrivé à Byzance. Photius l’a connu, puis une copie a été envoyée en
pays slave avec d’autres ouvrages grecs, deux ou trois siècles après la mission
de Cyrille et Méthode. Finalement, cette version ne s’est conservée qu’en tra-
duction slavonne, où l’on voit même ainsi qu’elle a une couleur nettement plus
juive48.
Ces détails importent, car le processus de composition des Antiquités juives
fut différent, plus banal. Josèphe déclare dans sa conclusion que ses compa-
triotes reconnaissent sa compétence et aussi qu’il s’est efforcé de posséder les
lettres grecques, tout en admettant qu’il prononçait mal (AJ 20:262-263). Il a
certainement beaucoup lu, et il a su rassembler patiemment une documentation
considérable, mais on peut s’étonner de l’étendue de son vocabulaire et de son
d’un certain Mara Bar Sérapion, cf. Robert E. VAN VOORST, Jesus Outside the New Testa-
ment, Grand Rapids, Eerdmans, 2000, p. 53-58.
47 On connaît le nom d’un secrétaire de Paul (Tertius, Rm 16,22), et de même apparemment
« Pharisees, Sadducees, Essenes, Herodians » dans : Tom HOLMEN & Stanley E. PORTER
(eds), Handbook for the Study of the Historical Jesus, Leiden, Brill, 2011, p. 1495-1544.
26 ÉTIENNE NODET
aisance à tirer parti de l’extrême richesse du système verbal grec, toutes choses
contraires à la morphologie sémitique, sans même parler de la syntaxe. À Rome,
il y avait peu de particuliers qui n’aient un esclave ou un affranchi exercé en
tachygraphie ; Pline le Jeune en emmenait toujours un dans ses voyages ; Plu-
tarque attribue à Cicéron l’invention de cet art49. Autrement dit, le fait que Jo-
sèphe ait cru devoir signaler des assistants pour la Guerre est une singularité ; il
s’agissait aussi de censure. H. Thackeray, un helléniste distingué, avait le pre-
mier montré systématiquement que les traductions de la Bible grecque trahis-
saient plusieurs mains, parfois dans un même livre50 ; devenu spécialiste de Jo-
sèphe, il montra ensuite que certains de ses secrétaires avaient leur propre style,
l’un inspiré de Thucydide (non sans lourdeur), un autre des tragiques51.
Ces considérations permettent une conclusion nette : la précision des noms
grecs et latins est due aux secrétaires de Josèphe, mais ils n’avaient aucun re-
père pour contrôler les transcriptions de l’hébreu.
Conclusion
Sans reprendre le détail des conclusions de chaque section, on voit que deux
points principaux se dégagent ; ils offrent une certaine lucarne sur l’évolution et
la fixation des textes bibliques :
1. Dégagée des additions issues des historiens hellénistiques et des digres-
sions juives, la forme de 1 Maccabées qu’a connue Josèphe, vue globalement,
ne coïncide pas avec le texte canonique, ni au début (1 M 1), ni à la fin (à partir
de 1 M 13,52b), ni dans certains détails en cours de récit. Que ce livre n’ait pas
encore reçu de son temps une forme définitive ne doit pourtant pas étonner, car
le cas n’est pas isolé. Par exemple, Josèphe ne connaît de Néhémie que le bâtis-
seur, et non le réformateur (cf. AJ 11:159-183) ; ce n’est pas une omission for-
tuite, car il en est de même dans la notice de Si 49,13, qui clôt une galerie de
portraits bibliques.
2. Josèphe a travaillé sur un texte hébreu, et selon la coutume du temps, il
avait des secrétaires, qui l’ont assisté pour la restitution des noms propres grecs.
Dans un certain nombre de cas où le traducteur de 1 Maccabées a procédé de
façon trop mécanique, la paraphrase de Josèphe permet de mieux comprendre
l’original.
Sur le fond, l’intérêt du témoignage de Josèphe reste malgré tout modeste : il
permet quelques éclaircissements de détails, mais comme ailleurs sa paraphrase
49 Sur le rôle de l’amanuensis dans l’Antiquité, cf. E. Randolph RICHARDS, Paul and First-
Century Letter Writting : Secretaries, Composition and Collection, Downers Grove, IVP
Academic, 2004, p. 63-65 ; Jongyong MOON, Mark as Contributive Amanuensis of 1 Peter,
Berlin, LIT, 2009, p. 42-48.
50 Henry St. J. THACKERAY, The Septuagint and Jewish Worship. A Study in Origins.
(Schweich Lectures, 1920), London, Oxford University Press, 1920, chap. I. Ce jugement a
été accepté par la suite.
51 Henry St. J. THACKERAY, Josèphe, l’homme et l’historien, adapté de l’anglais (1929) par
É. NODET, Paris, Éd. du Cerf, 2000, chap. V ; Louis H. FELDMAN, Josephus and Modern
Scholarship (1937-1980), Berlin – New York, W. de Gruyter, 1984, p. 828, résume quelques
objections à la thèse.
JOSÈPHE ET 1 MACCABÉES 27
est trop éloignée pour permettre une comparaison complète. De plus, il tient à
ses propres idées.
Par contraste avec Josèphe, on voit cependant que la forme actuelle de
1 Maccabée représente, sous couvert de récit journalistique plutôt décousu, un
ensemble de thèses sur la dynastie asmonéenne : il n’y avait rien d’important
auparavant et les opposants juifs locaux sont intrinsèquement impies, ce qui est
contraire au témoignage d’autres sources ; les Samaritains et les Juifs d’Égypte
sont ignorés, alors qu’ils avaient un meilleur pedigree ; le livre s’arrête avec
l’apparition du grand prêtre Jean Hyrcan fils de Simon, ce qui signifie que la
dynastie est bien établie, mais aussi que la politique d’expansion territoriale de
Hyrcan et de ses successeurs est masquée, ce qui ne concorde guère avec la
perspective de Josèphe, qui était fier de la réalité d’une grande Judée, et qui
s’est efforcé de montrer une continuité avec les temps anciens.
Annexe – Index
Les cas discutés étant répartis en quatre sections (I à IV), on donne pour la
commodité les renvois classés selon 1 Maccabées, thème central de l’étude.