pharmacocinétique-pharmacodynamie Vincent Jullien, Claire Gozalo
Points-clés l’adaptation individualisée des posologies via le
j L’efficacité des anti-infectieux dépend en grande STP. partie du rapport entre leur concentration et la Ce chapitre résume donc les points essentiels sensibilité du micro-organisme à la molécule utilisée. concernant la PK/PD des anti-infectieux. j Les anti-infectieux sont caractérisés par des relations concentration/effet qu’il est important de connaître pour optimiser le choix des molécules, leurs posologies, ainsi que Différentes relations PK/ pour l’interprétation des résultats de suivi PD : de l’in vitro à l’in vivo thérapeutique pharmacologique (STP). L’efficacité des anti-infectieux résulte en général du rapport entre la concentration de la molécule Introduction active obtenue au niveau du site d’action et la sensibilité du micro-organisme à cette molécule. De nombreuses études expérimentales ont Cette sensibilité est évaluée in vitro par la démontré l’existence d’une corrélation entre la mesure de la concentration minimale inhibitrice concentration des anti-infectieux et leur effet sur (CMI), de la concentration minimale efficace l’inoculum microbien. Les modèles in vitro et (CME), ou de la concentration inhibant 50 % in vivo chez l’animal ont permis d’identifier les de la réplication (IC50) : relations pharmacocinétique/pharmacodynamie • la CMI est la plus petite concentration per- (PK/PD) régissant cet effet. La pertinence de mettant d’inhiber la multiplication du micro- ces relations a ensuite été vérifiée chez les patients organisme ; dans des études ayant montré une amélioration de • la CME s’applique à certains antifongiques l’efficacité microbiologique et/ou clinique du trai- vis-à-vis des champignons filamenteux, et tement chez les sujets pour lesquels la probabilité est la plus petite concentration permettant d’atteindre les critères d’efficacité PK/PD était d’obtenir une altération morphologique du optimisée. champignon ; La connaissance de la pharmacologie des anti- • l’IC50, qui s’applique essentiellement aux anti- infectieux et de leurs relations PK/PD est donc viraux, est la plus petite concentration permet- un prérequis nécessaire pour l’optimisation des tant d’inhiber 50 % de la réplication virale. traitements, aussi bien au niveau du choix des Dans la suite de ce chapitre, mis à part dans molécules prescrites, de leurs posologies et de certains cas spécifiques, le terme CMI sera utilisé leurs modalités d’administration, qu’à celui de par défaut dans un souci de simplification.
Mesures de la CMI postantifongique » ou effet « postantibiotique »
(EPA). Selon les recommandations internationales, la Les antifongiques/antibiotiques se séparent en méthode par dilutions successives en milieu deux catégories selon le type de relations PK/PD solide est la méthode de référence pour déter- qui les caractérise (figure 0.1) : miner la sensibilité bactérienne aux antibio- • les molécules dont l’efficacité est dite « concen- tiques. Or d’autres méthodes sont disponibles, tration-dépendante », c’est-à-dire qui augmente notamment à partir d’automate (milieu liquide) avec la dose administrée. L’efficacité est donc ou de bandelettes E-test déposées sur gélose corrélée à la concentration maximale (Cmax) ou à ensemencée. Ces trois méthodes n’étant pas l’aire sous la courbe (AUC) des concentrations. formellement équivalentes, il est donc possible Les critères PK/PD prédictifs de l’efficacité sont que les cibles de concentrations totales ou libres les rapports Cmax/CMI et AUC/CMI ; (free [f] : libre), calculées par rapport à la CMI • les molécules dont l’efficacité est dite « temps- puissent varier de manière potentiellement non dépendante », c’est-à-dire qui augmente avec négligeable. le temps pendant lequel la concentration est maintenue au-dessus d’un seuil d’effica- cité. Ce seuil d’efficacité est théoriquement Antibiotiques, antifongiques égal à la CMI vis-à-vis du micro-organisme considéré, mais une efficacité maximale Dans le cas des antifongiques et des antibio- nécessite parfois l’obtention d’une concen- tiques, ces essais in vitro permettent également tration égale à plusieurs fois la CMI. Le de différencier les molécules qui « tuent » le paramètre PK/PD prédicitif de l’efficacité micro-organisme considéré (action fongicide/ est donc le pourcentage de temps entre deux bactéricide) de celles qui se contentent d’en inhi- administrations ou sur 24 heures pendant ber la multiplication (action fongistatique/bac- lequel la concentration en antibiotique est tériostatique). Les molécules dont l’activité est supérieure à la CMI ou à un multiple de essentiellement bactério-/fongistatique néces- la CMI (T > CMI ou le fT > CMI si l’on siteront donc l’apport du système immunitaire considère la fraction libre). pour éradiquer le micro-organisme. À l’inverse, Ces molécules temps-dépendantes peuvent à les molécules fongicides/bactéricides ne néces- leur tour se subdiviser en deux catégories selon la sitent pas l’action du système immunitaire et durée de l’EPA. Ainsi : seront donc privilégiées dans toutes situations • les molécules dont l’EPA est long auront leur d’immunosuppression, qu’elles soient systé- efficacité corrélée préférentiellement au rapport miques (neutropénie, etc.) ou limitées au foyer AUC/CMI ; infectieux (endocardite, méningite, etc.). L’acti- • les molécules dont l’EPA est faible auront leur vité fongicide/bactéricide sera d’autant plus mar- efficacité corrélée préférentiellement au temps quée que les concentrations minimales fongicides pendant lequel la concentration est supérieure et bactéricides (CMF et CMB : concentrations à la CMI (T > CMI) (tableaux 0.1 et 0.2). qui réduisent un inoculum d’au moins 99,9 %) Parmi les antibiotiques et les antifongiques, cer- seront peu différentes des CMI. tains seront également sensibles à l’effet inocu- Une autre caractéristique pharmacodynamique lum. Cet effet se traduit par une augmentation de des antifongiques et antibiotiques pouvant être la CMI en présence d’un inoculum bactérien ou caractérisée in vitro est leur aptitude à inhiber la fongique important. Les molécules sensibles à cet multiplication du micro-organisme une fois que effet, comme les bêtalactamines et l’amphotéricine leur concentration est descendue à une valeur B, verront donc leur efficacité diminuer dans les inférieure à la CMI. Cet effet est appelé « effet infections sévères à fort inoculum. Généralités sur les relations pharmacocinétique-pharmacodynamie 5
encore plus complexe dans le cas des analogues
nucléosidiques/nucléotidiques. En effet, ces molécules sont des prodrogues qui nécessitent d’être phosphorylées au niveau intracellulaire pour être actives. En conséquence, leur relation PK/PD sera également fonction de la relation entre l’exposition plasmatique à la prodrogue et l’exposition intracellulaire au métabolite actif. Dans le cas des antipaludéens, l’efficacité est liée au maintien de la concentration au-dessus Figure 0.1. Principaux paramètres PK/PD des anti-infectieux en fonction de la CMI du seuil d’efficacité maximal, lequel correspond du micro-organisme causal. à la concentration minimale parasiticide (CMP). Lorsque ce seuil est atteint, l’efficacité est reflétée par le taux de réduction de la parasitémie, qui Antiviraux, antipaludéens est fonction du couple molécule/plasmodium. Par exemple, les dérivés de l’artémisinine rédui- Dans le cas des antiviraux, l’efficacité serait cor- sent en général la parasitémie d’un facteur 104 rélée au maintien de la concentration au-dessus à chaque cycle de reproduction asexuée, quand, d’un certain seuil d’efficacité, lequel pourrait pour d’autres antipaludéens, ce taux de réduction correspondre à l’IC50, sans que cela ait été for- est compris entre 10 et 100. Lors d’un traitement, mellement démontré. La détermination de la l’objectif sera donc de maintenir les concentrations relation PK/PD des antiviraux, déjà difficile en au-dessus de la CMP pendant un nombre suffisant raison du site d’action intracellulaire et de l’accu- de cycles de reproduction asexuée pour permettre mulation de certains antiviraux à ce niveau, est l’éradication du parasite.
Tableau 0.1. Profils d’activité et critères PK/PD pertinents des antifongiques.
Molécule Micro-organisme Activité EPA Critère PK/PD Amphotéricine B Candida Fongicide, CD Long Cmax/CMI Aspergillus Fongicide, CD Long Flucytosine Candida Fongistatique, TD Court T > CMI Azolés Candida Fongistatique, TD Long AUC/CMI Aspergillus Fongicide, TD Long Echinocandines Candida Fongicide, TD Long AUC/CMI CD : concentration-dépendant ; TD : temps-dépendant.
Tableau 0.2. Profils d’activité et critères PK/PD pertinents des antibiotiques.
Molécule Activité EPA Critère PK/PD Bêtalactamines Bactéricide, TD Court T > CMI Linézolide Bactéricide, TD Court T > CMI, AUC/CMI Glycopeptides Bactéricide, TD Long AUC/CMI Macrolides, tétracyclines, Lincosamides Bactériostatique, TD Long AUC/CMI Polymixines Bactéricide, CD Court AUC/CMI Aminosides Fluoroquinolones Daptomycine Bactéricide, CD Long Cmax/CMI, AUC/CMI 6 Généralités
Relations PK/PD • une infection par une population microbienne
et optimisation du mode sensible, mais dont l’inoculum élevé, associé à la probabilité de mutations spontanées, a d’administration permis l’apparition de mutants résistants au traitement ; Ces relations PK/PD permettent de définir les • une infection par une population microbienne schémas d’administration optimaux. Ainsi : sensible, mais dont certains éléments ont acquis • les molécules dont l’efficacité est corrélée au des mutations de résistance par transfert géné- rapport Cmax/CMI seront préférentiellement tique à partir de micro-organismes déjà présents administrées en perfusion courte afin de maxi- dans l’organisme. miser le Cmax ; Dans ces deux derniers cas, la concentration • les molécules dont l’efficacité est corrélée au de l’anti-infectieux administré peut favoriser la rapport AUC/CMI seront administrées en sélection des mutants résistant par rapport au doses espacées ; reste de la population microbienne, amplifiant • les molécules dont l’efficacité est corrélée au ainsi le phénomène. Ces mutants sont caractérisés critère temps T supérieur à CMI seront admi- par une CMI plus élevée que celles des micro- nistrées en doses unitaires plus faibles mais aussi organismes sensibles. Leur éradication nécessite plus rapprochées, selon la demi-vie d’élimination donc un niveau de concentration plus élevé. de la molécule. Elles pourront également être L’objectif est en fait de dépasser un certain administrées en perfusions prolongées sur plu- seuil de concentration appelé « concentration sieurs heures, la finalité étant l’administration prévenant l’émergence de mutants » (CPM). en perfusion continue. Atteindre cette concentration limite l’émergence L’importance du mode d’administration vis-à-vis de mutants résistants. La zone de concentration de l’efficacité a été démontrée dans de nombreuses située entre la CMI des micro-organismes sen- études. Par exemple, l’efficacité des aminosides sibles et cette CPM est appelée « fenêtre de sélec- dans les infections à bacilles à Gram négatif, qui est tion de mutants ». Lorsque la concentration entre liée au rapport Cmax/CMI, est meilleure lorsqu’ils deux administrations se maintient trop longtemps sont administrés en dose unique journalière que au sein de cette fenêtre, les micro-organismes lorsque la dose journalière est divisée en deux ou sensibles sont préférentiellement éradiqués, ce qui trois prises. De même, il a été prouvé que l’efficacité favorise la sélection de mutants. des bêtalactamines, qui est corrélée au facteur T supérieur à CMI, est améliorée par une adminis- tration en perfusion continue ou en perfusion Relations PK/PD et STP prolongée par rapport à la perfusion courte. Le mode d’administration doit cependant être Le STP des anti-infectieux est de plus en plus adapté au profil de tolérance des molécules. Par recommandé, notamment pour les patients de exemple, l’amphotéricine B conventionnelle pré- réanimation dont les paramètres pharmacociné- sente un risque d’effets indésirables immédiats tiques sont très variables et qui présentent souvent d’autant plus élevé que la durée de perfusion est des infections à micro-organismes de moindre courte. sensibilité. Les concentrations d’intérêt vont dépendre du profil PK/PD de la molécule. Dans le cas Relations PK/PD d’administration discontinue, une concentration et émergence de résistances résiduelle (les notations sont équivalentes concen- tration résiduelle [Cres] ou C0 ou concentra- Plusieurs situations sont à distinguer : tion minimale [Cmin] ou encore vallée) sera plus • une infection par un micro-organisme d’emblée pertinente pour une molécule dont l’efficacité résistant issu de l’environnement ; est corrélée au paramètre T supérieur à CMI. Généralités sur les relations pharmacocinétique-pharmacodynamie 7
À l’inverse, un pic plasmatique, prélevé généra- mesurée à la CMI du micro-organisme ciblé, en
lement 30 minutes après la fin de l’injection (et tenant compte du pourcentage de fixation. autrement appelé [Cmax]), sera privilégié pour Ce principe n’est cependant pas applicable une molécule dont l’efficacité dépend du rapport lorsque la diffusion des molécules depuis l’espace Cmax/CMI. Pour les molécules dont l’effet est vasculaire vers le site d’action est réduite par une corrélé au rapport AUC/CMI, l’idéal serait de barrière physiologique (liquide cérébrospinal pouvoir estimer l’AUC des patients à partir d’un [LCS], humeur aqueuse, prostate, etc.), est modi- nombre limité de prélèvements via des méthodes fiée par des systèmes de transports actifs, ou lorsque bayesiennes. Néanmoins, une concentration le foyer infectieux se trouve au niveau intracellulaire mesurée à un temps donné peut parfois être et que les molécules s’accumulent à ce niveau. Il suffisamment corrélée à l’AUC pour être utilisée faut alors tenir compte du pourcentage de diffusion comme marqueur de l’exposition. au niveau du site d’action pour interpréter la • Dans le cas d’administration en continu, schéma concentration plasmatique. Si possible, un dosage privilégié pour les antibiotiques à activité temps- de l’anti-infectieux au niveau du milieu pertinent dépendante, le prélèvement devra être fait au (LCS, sécrétions bronchiques, etc.) sera réalisé. « plateau », lorsqu’on aura atteint l’équilibre phar- macocinétique ou l’état dit « stationnaire », soit après 5 à 7 demi-vies du médicament concerné. Conclusion On parle de concentration moyenne [Cmoy], ou de concentration circulante, ou (injustement) de Le STP des anti-infectieux est un outil en plein concentration à l’équilibre [Css]). essor, et reconnu comme indispensable par de Si l’interprétation des concentrations mesurées nombreux cliniciens à la suite d’études ayant mon- chez les patients dépend des relations PK/PD, il tré un impact de la concentration sur la réponse faut cependant prendre en considération qu’il n’y au traitement, y compris en termes de mortalité. a pas toujours de consensus sur les concentrations Des travaux ont ainsi permis de définir des à atteindre. concentrations cibles faisant, depuis, l’objet d’un L’interprétation d’un dosage se fonde alors sur consensus international, notamment pour certains des principes pharmacocinétiques généraux : antibiotiques (aminosides, glycopeptides, fluo- • la forme libre du médicament, c’est-à-dire non roquinolones) et certains antifongiques azolés. liée aux protéines plasmatiques, est la forme Cependant, de nombreuses molécules ne font active car pouvant diffuser au niveau du site pas l’objet d’un consensus concernant le niveau d’action ; de concentration à atteindre. Dans ce cas, l’inter- • la concentration de la forme libre est uniforme prétation des dosages de STP doit se fonder sur dans l’organisme lorsque l’état d’équilibre les principes PK/PD et intégrer les contextes cli- pharmacocinétique est atteint et si la diffusion nique, microbiologique et biologique du patient de cette forme libre n’est régie que par des (micro-organisme, localisation du foyer infectieux, phénomènes de diffusion passive. état immunitaire, cotraitements, fonctions rénale Lorsque les foyers infectieux sont situés dans et hépatique, etc.) afin d’optimiser au mieux le l’espace extravasculaire, la concentration de la forme traitement. Idéalement, la prise en charge des libre au niveau plasmatique reflète normalement patients devrait faire l’objet d’une réflexion multi- celle présente au niveau du site d’action. Cela per- disciplinaire associant cliniciens, microbiologistes met une comparaison directe de la concentration et pharmacologues.