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Paléoclimatologie
Le climat du dernier
millénaire
Myriam Khodri1, Didier Swingedouw2, Juliette Mignot1,
Marie-Alexandrine Sicre1, Emmanuel Garnier3,
Valérie Masson-Delmotte4, Aurélien Ribes5, Laurent Terray6
Résumé 1 Laboratoire d'océanographie et du climat: expérimentations
et approches numériques, Institut Pierre-Simon Laplace /
Déterminer les causes à l’origine de Sorbonne Universités, UMR 7159 CNRS/UPMC/IRD/MNHN, Paris, France
l’optimum médiéval chaud au début 2 EPOC, UMR 5805 CNRS, OASU, Université Bordeaux 1, France
du dernier millénaire et de la période 3 Littoral, environnement et sociétés, UMR CNRS, Université de La Rochelle,
froide qui lui a succédé est un vérita- Institut universitaire de France
ble défi. La comparaison des tempé- 4 Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement,
ratures reconstruites aux résultats Institut Pierre-Simon Laplace / CEA-CNRS-UVSQ UMR 8212,
des nouvelles simulations numériques L'Orme des Merisiers, Gif-sur-Yvette, France
5 Météo-France/CNRS, CNRM-GAME, UMR 3589, Toulouse, France
à la base du 5e rapport du Giec révèle
6 Sciences de l’Univers au Cerfacs, Cerfacs/CNRS, URA 1875, Toulouse, France
le rôle prépondérant du volcanisme
avant le XXe siècle. Des incertitudes myriam.khodri@locean-ipsl.upmc.fr
entourent néanmoins ces résultats.
Les estimations des variations du for-
çage solaire et les processus par les-
quels l’activité du Soleil peut agir sur e dernier millénaire est une
le climat restent insuffisamment
contraints. La signature spatiale des
anomalies climatiques reconstruites
suggère également l’influence des
L période pour laquelle on dispose
d’enregistrements paléoclima-
tiques ou d’informations historiques
Soleil (forçage dit « astronomique ») ;
(ii) les variations de l’activité du Soleil
et donc l’intensité et les caractéristiques
du flux radiatif solaire incident ; (iii)
relativement précises. Ces informations l’injection de particules sulfatées dans
variations internes du climat via les témoignent d’une variabilité importante l’atmosphère du fait de l’activité volca-
variations lentes de la circulation du climat, aux échelles de temps inter- nique. Au cours du dernier millénaire,
océanique de grande échelle. annuelle, décennale et séculaire, et per- les activités humaines ont aussi com-
mettent de caractériser le temps de mencé à agir sur le climat via les chan-
retour d’événements météorologiques gements d’usage des sols
rares, comme les fortes tempêtes, (déforestation, cultures, urbanisation),
Abstract vagues de chaleur ou vagues de froid. et le rejet de particules polluantes (aéro-
Enf in, elles posent la question des sols anthropiques) et de gaz à effet de
The climate of the last millennium conséquences de cette variabilité du cli- serre. Ces forçages dit anthropiques
mat sur les sociétés humaines et leur sont néanmoins faibles et restent régio-
Determining what caused the warm adaptation. nalement limités avant le début de l’ère
medieval climate anomaly during the industrielle au XXe siècle.
first part of the millennium and the Cette période permet donc de caractéri-
relatively colder period that followed ser la variabilité « naturelle » du climat, Est-il possible de distinguer, dans l’évo-
remains a real challenge. Compa- c’est-à-dire indépendante de l’action de lution récente du climat, le rôle des
risons of temperature reconstructions l’homme sur le bilan radiatif de la Terre. modes de variabilité interne de la
to the most up-to-date climate simu- Deux types de processus sont à l’ori- réponse du climat aux forçages naturels
lations at the base of the Fifth IPCC gine de cette variabilité naturelle. et anthropiques ? Cette question est
assessment report reveal the major Premièrement, le système climatique, abordée sur les derniers 150 ans,
influence of volcanic forcing before par les interactions entre ses différentes période pour laquelle de nombreuses
the 20th century. Estimated solar acti- composantes (et tout particulièrement observations instrumentales (météoro-
vity is however poorly constrained les interactions entre l’atmosphère et logiques, océanographiques…) sont
with many uncertainties in the pro- l’océan), génère une variabilité sponta- disponibles, en utilisant des méthodes
cesses by which it can affect climate. née (dite « interne »), mais organisée statistiques de détection et d’attribution
The spatial signature of reconstruc- sous la forme de grands modes de et en exploitant un ensemble de simula-
ted climate anomalies suggests also variabilité (encadré 1). Deuxièmement, tions climatiques avec différents força-
an important role of internal climate le système climatique réagit également ges (encadré 2 ; voir aussi Planton et al.,
variations through low frequency aux facteurs extérieurs qui modifient ce numéro). Un contexte plus long, tel
variations of the global ocean circula- les flux radiatifs à l’échelle globale. qu’offert par le dernier millénaire, élar-
tion. Trois types de facteurs extérieurs git cependant la caractérisation de la
(appelé aussi « forçages externes ») variabilité naturelle du climat, la détec-
d’origine naturelle ont agi et vont conti- tion et l’attribution de ces variations aux
nuer d’agir sur le climat à venir : (i) les forçages connus. C’est pour cette raison
variations lentes de la répartition de l’é- que l’ensemble standard de simulations
nergie solaire incidente du fait des défini pour l’exercice de comparaison
modifications graduelles des caractéris- de modèles de climat CMIP5 (formant
tiques de l’orbite de la Terre autour du la base des projections du 5e rapport du
2 La Météorologie - n° 88 - février 2015
Groupe d’experts intergouvernemental variées, les sources phénologiques1 per- voto, figure 1) et les rituels religieux.
sur l’évolution du climat, Giec) intègre mettent, parfois dès le XIIIe siècle, de C’est ce croisement permanent de sour-
également la modélisation du climat du reconstruire les fluctuations clima- ces aussi variées que volumineuses qui
dernier millénaire. tiques. On y trouve pêle-mêle les bans rend possible la reconstitution de la
de vendanges, les dates de moissons ou variabilité du climat à partir d’archives
Dans cet article, nous allons brièvement encore les récoltes des fruits (Garnier et historiques, mais plus encore, une
introduire les méthodes utilisées pour al., 2010). Les fonds urbains contien- meilleure compréhension des stratégies
reconstituer l’évolution du climat au nent les délibérations municipales et les d’adaptation développées par les socié-
cours du dernier millénaire, en mettant comptes des villes au sein desquelles le tés anciennes confrontées à l’adversité
l’accent sur les changements de tempé- volet météorologique est également climatique.
rature. Nous ferons ensuite le point sur omniprésent. En effet, tout événement
les estimations des forçages externes. extrême a un impact sur les infrastruc-
Enfin, nous décrirons la modélisation tures (ponts, moulins, canaux) et le fra-
du climat du dernier millénaire et les gile équilibre socio-économique de la Archives naturelles
principales conclusions obtenues cité. Enfin, c’est à partir des années continentales
concernant les variations du climat sur 1650 que nous disposons des premières Outre ces archives historiques, il existe
cette période de temps. observations météorologiques moder- également de nombreuses traces des
nes, avec la fondation de l’Observatoire variations climatiques passées dans la
de Paris (1669) et son corollaire, nature elle-même. De nombreux outils
l’Académie royale des sciences, puis, et méthodes ont été développés pour
un siècle plus tard, la Société royale de
Les informations médecine de Paris (1778) et la Societas
extraire un signal climatique le plus pré-
cis possible à partir d’analyses biolo-
Meteorologica Palatina de Mannheim
issues des archives (1781). Sources complémentaires, les
giques ou physico-chimiques d’archives
naturelles, et l’étude mécaniste ou sta-
historiques et archives religieuses offrent une plus
grande diversité documentaire entre les
tistique de leurs relations avec des
naturelles du climat processions « pour la pluie » ou « pour
variables climatiques. On parle alors de
proxies climatiques, terme venant de
la sérénité du temps », les registres l’anglais et signifiant « par procura-
Entre le 4e rapport du Giec de 2007 et le paroissiaux et les témoignages pictu-
5e publié en 2013, le nombre et la cou- tion », du fait que ces estimations du
raux. Ces deux derniers types de docu- climat sont assez indirectes. Par exem-
verture spatiale des reconstructions cli- ments permettent d’appréhender le
matiques a considérablement augmenté. ple, certaines caractéristiques de sédi-
tribut démographique induit par une ments sont utilisées pour caractériser
Ces efforts ont permis des progrès crise climatique ou encore sa perception
significatifs dans la description des les crues. L’étude des pollens, des insec-
à travers les tableaux religieux (les ex- tes et des micro-organismes des sédi-
variations du climat observées au cours
des derniers 1 000 à 2 000 ans.
Archives historiques
Les observations directes de certains
paramètres météorologiques issus de
documents historiques, même si elles
n’ont pas été effectuées avec la préci-
sion et les standards actuels, apportent
des informations d’une grande valeur.
Du haut de ces siècles d’archives, les
historiens ne peuvent que constater les
fluctuations longues ou courtes ayant
affecté les sociétés du passé. Les échel-
les de temps sont en effet multiples en
fonction des gisements archivistiques
exploités. Certaines chronologies lon-
gues, notamment dans les archives
européennes, permettent de reconstruire
des fluctuations thermométriques
moyennes et dans le même temps repor-
ter des événements climatiques sur des
temps très courts, tels que les événe-
ments extrêmes historiques. À titre
d’exemple, l’ouragan qui ravagea une Figure 1. L’ex-voto de la Susanne Marguerite, conservé à la cathédrale de La Rochelle, est une huile sur
bonne partie de l’Europe au cours du toile de 80 x 63 cm. Le tableau relate la tempête que le brick « La Susanne Marguerite » a dû affronter
mois de janvier 1739 peut être observé en 1768 et qui a concerné toute cette partie du littoral charentais. L’ex-voto désigne généralement un
d’heure en heure pour un territoire tableau religieux de dimension réduite que l’on accrochait (et que l’on accroche toujours d’ailleurs dans
compris entre l’Écosse et l’Europe cen- certaines régions) dans les églises catholiques. Littéralement, ce mot latin signifie « en conséquence
d’un vœu », autrement dit un tableau offert à Dieu, la Vierge et aux Saints en conséquence d’une grâce
trale grâce à la précision des sources obtenue. Très fréquents dans les pays catholiques (Europe et Amérique du Sud), ils représentent régu-
d’archives disponibles. Pléthoriques et lièrement des extrêmes climatiques et, parmi eux, beaucoup traitent des tempêtes.
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ments permet de caractériser les chan- l’exception, pour le moment, de Cette approche a récemment été com-
gements passés de température ou de l’Afrique (Pages 2k consortium, 2013). plétée par des reconstitutions effectuées
précipitations. La densité, l’épaisseur et Ce type de synthèse sur le dernier millé- continent par continent. Toutes les esti-
la composition en isotopes stables du naire montre l’occurrence de sécheres- mations disponibles montrent que, à l’é-
carbone et de l’oxygène des anneaux de ses d’intensité et de durée plus grandes chelle de l’hémisphère Nord, la période
croissance des arbres fournissent des que celles qui ont été observées depuis 1983-2012 est la période de 30 ans la
enregistrements qui, selon les régions, le début du XXe siècle dans de nombreu- plus chaude des 800 dernières années
seront principalement contrôlés par la ses régions. Elles témoignent aussi de la (avec un degré de confiance élevé) et la
température de la saison de croissance récurrence d’inondations plus impor- plus chaude depuis 1400 ans (avec un
des arbres ou bien le stress hydrique. La tantes pendant les derniers 500 ans que degré de confiance moyen, du fait du
mesure la plus simple, celle de l’épais- celles observées depuis 1900, en nombre plus réduit de données sources,
seur des cernes annuels, exige d’analy- Europe centrale ou sur le pourtour ouest Masson-Delmotte et al., 2013). Les
ser un grand nombre d’individus et de de la mer Méditerranée. À l’inverse, il enregistrements paléoclimatiques conti-
corriger des effets de changements de semble que les inondations très intenses nentaux montrent également des pério-
croissance liés à l’âge des arbres. Les observées aujourd’hui au Proche- des de plusieurs décennies où les
glaciers et calottes polaires offrent éga- Orient, en Inde ou au milieu de températures, localement, étaient aussi
lement des enregistrements des varia- l’Amérique du Nord soient compara- chaudes pendant l’optimum médiéval
tions passées du climat via bles voire surpassent en intensité et en (950-1250) que le milieu ou la fin du
l’accumulation annuelle de neige (issue récurrence les inondations historiques XX e siècle. Cependant, ces épisodes
de l’épaisseur des couches annuelles, dans ces régions. chauds ne se sont pas produits de
corrigées des changements de densité et manière synchrone dans les différentes
de la déformation) ou la composition Les estimations des changements de régions de la planète, ce qui explique
isotopique de la neige. La composition température à l’échelle hémisphérique que le réchauffement « global » récent
isotopique de la vapeur d’eau dans l’at- sont généralement plus nombreuses s’en distingue (figure 2).
mosphère dépend en effet de l’histoire dans l’hémisphère Nord, pour lequel la
de la condensation, qui provoque une couverture offerte par les enregistre-
distillation. Ainsi, dans les régions tem- ments terrestres est plus représentative
pérées ou polaires, la composition iso- (figure 2). Un ensemble de méthodes Archives naturelles marines
topique est principalement gouvernée statistiques a été développé pour pro- Un travail de synthèse similaire à celui
par les changements de température de duire des estimations de la température cité plus haut pour les continents est en
condensation ; dans les régions tropica- moyenne à la surface de l’hémisphère cours pour les températures marines au
les ou en Méditerranée, elle est aussi Nord (parfois restreinte à une saison, cours des derniers millénaires. En effet,
fortement affectée par les phénomènes l’été, et aux latitudes extratropicales) à le prélèvement et l’analyse de sédi-
de convection atmosphérique qui partir des enregistrements paléoclima- ments marins dans des zones à fort taux
contrôlent également la quantité de pré- tiques disponibles, tirant parfois parti de de sédimentation (par exemple, de l’or-
cipitations. Au Groenland ou en la cohérence spatiale des variations de dre du mètre par 1000 ans dans
Antarctique, la composition isotopique températures dues aux modes de varia- l’Atlantique Nord, figure 3) et celle des
des précipitations n’est pas un indica- bilité de grande échelle (encadré 1). stries de croissance des coraux et bival-
teur simple de la température de surface
locale, en moyenne annuelle : elle est
biaisée vers la saison où se produisent
les chutes de neige et peut être affectée
par des changements d’origine ou de
trajectoire de la vapeur d’eau atmosphé-
rique. La relation entre composition iso-
topique et température dépend donc du
lieu et peut varier au cours du temps.
Pour l’étalonner, il est possible d’utili-
ser d’autres estimations des change-
ments passés de température, par
exemple via la mesure du profil de tem-
pérature dans les trous de forage, qui,
par la diffusion de la chaleur dans la
neige puis la glace, permet d’estimer les
variations lentes de la température au
cours du temps (à l’échelle de quelques
décennies, siècles, millénaires, mais pas
année par année). Figure 2. Reconstructions des températures annuelles : (a) dans l’hémisphère Nord, (b) l’hémisphère
Sud et (c) globales, au cours des 2 000 dernières années. Les reconstructions individuelles sont
La combinaison d’informations histo- représentées comme indiqué dans les légendes, par une couleur en fonction de leur représentation
riques et de ces archives naturelles spatiale (rouge, terrestres seulement à toutes les latitudes ; oranges, terrestres seulement aux latitu-
des extratropicales ; bleu clair, terrestres et océaniques aux latitudes extratropicales, bleu foncé, ter-
continentales permet d’estimer les restres et océaniques à toutes les latitudes). Les températures instrumentales sont indiquées en noir :
crues ou sécheresses passées dans cer- température de surface terrestre et océanique (HadCRUT4) ; température de l’air au-dessus de la
taines régions (Masson-Delmotte et al., surface terrestre et océanique (CRU) et terrestre seulement (CRUTEM4). Toutes les séries représen-
2013), ainsi que les variations de tem- tent des anomalies (en °C) par rapport à la moyenne 1881-1980 (ligne pointillée horizontale) et ont
pérature au cours des derniers 1 000 à été lissées avec un filtre qui réduit les variations sur les échelles de temps inférieures à 50 ans.
2 000 ans, continent par continent, à Adapté d’après Masson-Delmotte et al. (2013).
4 La Météorologie - n° 88 - février 2015
Pinatubo en juin 1991 dans les ou stratosphérique de l’éruption. De XVIe et le début du XVIIE siècle. La cause
Philippines a ainsi atteint une vingtaine nouveaux travaux sont en cours pour exacte de cette variation reste discutée ;
de kilomètres d’altitude. Une fois dans améliorer la datation des forages certains auteurs ont suggéré qu’elle
la stratosphère, les gaz volcaniques sont antarctiques et pour déterminer la résulte du refroidissement lié à des
transformés par réaction chimique en signature d’une injection dans la strato- éruptions volcaniques, alors que d’aut-
particules fines d’aérosols sulfatés qui sphère, par l’analyse isotopique des res ont suggéré qu’elle est due à la
vont être transportés vers les pôles en dépôts de soufre. croissance de forêts sur des terres aban-
quelques mois avant de retomber à la données en Amérique centrale après des
surface. Les dépôts d’acide sulfurique épidémies et des guerres. On observe
des éruptions tropicales anciennes aussi une diminution de la teneur
détectés dans les carottes de glaces de Les gaz à effet de serre et atmosphérique en méthane d’environ
l’Antarctique et du Groenland consti- l’utilisation des sols 40 ppb au XIVe siècle, probablement due
tuent ainsi des indicateurs fiables de D’autres forçages connus ont évolué au à une baisse des émissions des zones
l’activité volcanique pour la période cours des siècles passés, mais avec une humides. Certains auteurs ont égale-
pré-instrumentale. Ces dépôts témoi- amplitude trop faible pour influencer ment suggéré un effet des feux de bio-
gnent ainsi d’une activité volcanique significativement le climat. C’est le cas masse (figure 5).
particulièrement intense durant le de l’utilisation des sols (feux de forêt,
XIIIe siècle et, dans une moindre mesure,
déforestation, mise en culture ou pâtu-
le XIXe siècle. Ce sont ces particules
fines formées dans la stratosphère qui
rages). On estime qu’en 1750 les sur- Synthèse
faces de cultures et pâturages
vont perturber le rayonnement solaire représentaient globalement 5 % des ter- Les simulations du climat du dernier
incident. En effet, en raison de leur res immergées ; cette proportion atteint millénaire effectuées dans le cadre de
composition et de leur taille, ces aéro- aujourd’hui environ 38 %. Le remplace- CMIP5 prennent en compte ces varia-
sols réfléchissent le rayonnement ment de pans entiers de forêt par des tions mineures de la composition
solaire (principalement dans l’ultravio- cultures d’herbacées peut influencer la atmosphérique, ainsi que le forçage
let et le visible) mais absorbent une par- température de surface à l’échelle d’une orbital, solaire et volcanique (en utili-
tie du rayonnement infrarouge solaire et région en modifiant le taux d’humidité sant les différentes estimations disponi-
terrestre. Pour la seule éruption bien des sols, l’évaporation, la rugosité de bles pour explorer les incertitudes
observée lors de la période instrumen- surface et l’albédo1. Il existe des sour- associées). Les changements de couvert
tale (le Pinatubo en 1991), cet effet s’est ces historiques relativement précises végétal sont pris en compte, mais de
traduit par un réchauffement de la basse pour l’Eurasie à partir de 1700. Les façon non systématique et simplifiée ;
stratosphère et un refroidissement net changements d’usage des sols des certains modèles prennent alors en
des températures de quelques dixièmes autres régions ou avant cette période compte les flux de dioxyde de carbone
de degré à la surface de la Terre pendant sont estimés à partir de l’analyse des correspondants (Schmidt et al., 2011).
les deux premières années suivant pollens dans les sédiments lacustres ou
l’éruption avec un retour progressif à la bien à partir d’informations histo-
normale au bout de trois ans. Cette riques et archéologiques concernant la
éruption sert de référence pour recons-
truire le forçage radiatif des éruptions
densité de population et les pratiques Modéliser le climat
agricoles (permettant d’évaluer la sur-
qui ont jalonné le dernier millénaire.
Les caractéristiques des éruptions pas-
face cultivée). du dernier millénaire
sées sont estimées via une relation Ces changements d’occupation et Depuis la publication du 4e rapport du
linéaire entre les paramètres optiques d’usage des sols ont pu également Giec en 2007, notre compréhension du
associés à l’éruption du Pinatubo et la affecter la production primaire et donc rôle de la variabilité interne (encadré 2)
concentration d’acide sulfurique mesu- le cycle global du carbone et la compo- et des forçages naturels dans les chan-
rée dans les carottes de glace. sition atmosphérique. Les enregistre- gements climatiques reconstruits à tra-
Différentes estimations ont été produi- ments les plus précis issus de carottes vers le monde a considérablement
tes, à partir de différents enregistre- de glace à haute résolution montrent progressé. Les modèles climatiques
ments chimiques disponibles dans les une baisse de la concentration en CO2 sont les principaux outils permettant
carottes. Elles couvrent en général les de l’ordre de 7 à 10 ppm entre la fin du l’estimation de la variabilité interne
1 500 dernières années (figure 4a). Les
mêmes éruptions sont identifiées pour
les 700 dernières années, mais avec des Figure 5. Variations de
la concentration atmo-
différences concernant leur intensité.
sphérique en dioxyde de
Des désaccords existent notamment carbone (CO2) en ppm,
dans la reconstruction des éruptions en méthane (CH 4 ) et
islandaises qui ont aussi eu un impact oxyde nitreux (NO2) en
non négligeable sur le climat, comme ppb, de l’an 900 à 1900,
celle du Laki en 1783, dont l’intensité telles que déduites de
reste débattue. Ces différences provien- l’analyse des carottes
nent de la variabilité du dépôt des aéro- de glace antarctique.
sols à la surface des calottes polaires, Adapté d’après Masson-
mais aussi d’incertitudes sur leur data- Delmotte et al. (2013).
tion et sur le caractère troposphérique
multidécennale et le rôle précis joué par Afin d’estimer au mieux la gamme de non perturbée par les forçages externes
les forçages naturels. Des avancées ont variabilité naturelle du climat à l’aide naturels ou anthropiques. De plus,
ainsi été facilitées grâce à la coordina- de modèles, une des méthodes les plus lorsque le climat ainsi simulé atteint un
tion des grands groupes de modélisa- classiques consiste à appliquer dans un certain équilibre avec les forçages
tion et la comparaison des résultats des premier temps des forçages constants imposés de manière constante, il peut
modèles aux observations et reconstruc- représentatifs de conditions moyennes être utilisé comme état de démarrage
tions. Nous mettrons ici l’accent sur les préindustrielles du milieu du XIXe siècle d’une simulation transitoire pour la
résultats obtenus pour une série de (encadré 2). Ces simulations dites de période historique des 150 ou des 1 000
variables climatiques tels que la tempé- contrôle doivent être les plus longues dernières années. Dans ces simulations,
rature de surface moyenne à l’échelle possibles (plusieurs siècles) pour obte- c’est l’évolution temporelle des for-
globale et régionale avec un focus sur nir un état climatique préindustriel et çages reconstruits qui sera imposée.
l’Europe. estimer au mieux la variabilité interne On ne s’attend alors pas à ce que les
l’irradiance solaire totale et l’usage des associés entraînent des modifications ainsi favoriser une série d’hivers froids
sols ont joué un rôle diff icilement de la circulation océanique de retourne- au-dessus de l’Europe. Si ce mécanisme
détectable à l’échelle d’un hémisphère ment en Atlantique liée aux gradients de n’a pas été formellement confirmé dans
terrestre (Schurer et al., 2014). Ce densité à grande échelle dans l’océan. Il les reconstructions, il a été invoqué de
résultat a ainsi remis en question un peut s’ensuivre une modification du façon convaincante pour expliquer les
paradigme explicatif pour la différence contenu de chaleur de l’océan sur plu- anomalies de température et de salinité
entre l’optimum médiéval et le petit âge sieurs décennies, parfois plus. Les océaniques reconstruites aux latitudes
de glace, souvent attribué à l’irradiance modèles climatiques montrent néan- subpolaires de l’Atlantique Nord
solaire qui était plus intense au début du moins une certaine diversité de répon- (Moffa-Sánchez et al., 2014). Une autre
millénaire. ses, qui semble dépendre d’une part du simulation climatique a montré une
climat lui-même au moment de l’érup- réponse de la NAO aux variations de
Ces résultats de détection-attribution tion et de l’éventuel effet cumulatif l’irradiance solaire avec un décalage de
(Schurer et al., 2014) suggèrent égale- dans le cas d’éruptions successives, temps de 40 ans, faisant intervenir des
ment qu’une faible baisse des concen- comme durant la deuxième moitié du modulations de la convection atmo-
trations des gaz à effet de serre a pu XIII e siècle ou au XIX e siècle. Cette sphérique au-dessus du Pacifique tropi-
contribuer à la diminution des tempéra- période d’activité volcanique très cal (Swingedouw et al., 2011). Ces
tures aux XVIe et XVIIe siècles, mais dans intense a ainsi été proposée comme un deux études illustrent les mécanismes
de faibles proportions. Seul le forçage mécanisme amplificateur de la transi- d’amplification possibles de la réponse
volcanique est clairement détecté et tion entre l’optimum médiéval et le petit au forçage solaire à l’échelle régionale,
semble conditionner la variabilité des âge de glace dans la région nord-atlan- avec, dans les deux cas, des conséquen-
températures à l’échelle décennale, tique/Europe via des rétroactions sur la ces importantes pour la circulation et
aussi bien sur les continents que dans couverture de glace de mer, qui aurait les propriétés hydrographiques océa-
l’océan Atlantique Nord (Mignot et al., recouvert les zones de convection océa- niques. Elles montrent également le
2011 ; Sicre et al., 2008). niques limitant la production d’eaux manque de consensus à l’heure actuelle
profondes de manière pérenne. Ce dans les modèles concernant l’impact
En outre, l’analyse de la réponse du cli- mécanisme pourrait expliquer les chan- du forçage solaire sur la circulation
mat européen durant les quelques gements climatiques globaux via une atmosphérique.
années suivant chaque éruption montre diminution de la circulation océanique
qu’il est possible de caractériser et de retournement en Atlantique et du De nombreuses incertitudes accompa-
détecter une empreinte caractéristique transport de chaleur océanique associé, gnent néanmoins ces résultats. La plu-
du forçage volcanique dans les données. affectant le climat à l’échelle de l’hé- part des modèles exploités ne
Celle-ci est caractérisée par des étés misphère Nord (Miller et al., 2012). De représentent pas certains processus stra-
relativement froids, tandis que pour les nombreuses reconstructions océaniques tosphériques et troposphériques reliant
hivers la réponse se traduit le plus sou- semblent en effet indiquer que la circu- les variations du spectre de longueurs
vent par un réchauffement en Europe du lation océanique de retournement en d’onde de l’irradiance solaire et la
Nord et un refroidissement en Europe Atlantique aurait pu diminuer lors du variabilité climatique. La stratosphère
du Sud (Hegerl et al., 2011). Les don- petit âge de glace et ainsi participer à est en effet le théâtre de réactions phy-
nées suggèrent une réponse semblable son expression climatique à l’échelle du sico-chimiques qui peuvent être forte-
en Amérique du Nord pour les hivers et globe. De même, des simulations indi- ment influencées par l’irradiance
les étés des quelques années suivant les quent une forte modulation de la circu- solaire. La prise en compte de ces pro-
éruptions, avec le réchauffement dans le lation océanique de retournement en cessus dans un modèle de climat a mon-
nord du continent et le refroidissement Atlantique et de sa signature en tempé- tré une amplification de l’impact du
dans le sud. Ce type de signature est rature de surface en réponse aux força- forçage solaire notamment au cours
associé à une NAO en phase positive de ges externes (Ottera et al., 2010). Dans petit âge de glace via un changement de
manière assez persistante à la suite des l’océan Pacifique, si la variabilité basse la circulation atmosphérique dans la
principales éruptions volcaniques. fréquence semble relativement peu stratosphère se propageant dans la
affectée, les reconstructions montrent troposphère. Dans la continuité de ces
Aux échelles de temps décennales, de une légère augmentation de la probabi- études exploratoires, et en vue notam-
nombreuses études montrent le rôle lité pour l’occurrence d’événements El ment de contribuer au prochain rapport
majeur des fortes éruptions volcaniques Niño un à deux ans après les éruptions du Giec, plusieurs groupes de modélisa-
du dernier millénaire sur les variations volcaniques. Cette réponse n’est cepen- tion comme l’IPSL mettent ainsi en
climatiques et les modulations des dant pas reproduite de façon robuste par œuvre des modèles couplés chimie-
modes de variabilité naturels de climat à les modèles climatiques. climat. En revanche, l’amplitude des
ces échelles de temps. Comme illustré anomalies de température simulées en
précédemment, des réorganisations Bien que le forçage solaire ne semble réponse aux « méga » éruptions volca-
dynamiques dans l’atmosphère à travers pas influencer significativement les niques qui ont jalonné le dernier millé-
la NAO contribuent également à cette variations de température à l’échelle naire est surestimée de plusieurs degrés
réponse et peuvent induire de fortes globale, il a été montré dans une simu- dans les modèles en comparaison aux
disparités régionales. Étant donné son lation du dernier millénaire qu’une fai- reconstructions. La signature spatiale
inertie thermique et ses longues échel- ble irradiance solaire favorise le de ces anomalies ainsi que leur persis-
les de temps de réponse, l’océan joue développement et la persistance d’évè- tance à l’échelle régionale suggèrent
un rôle important dans l’intégration de nements de blocages atmosphériques également un rôle non négligeable de
la réponse au forçage volcanique, (Moffa-Sánchez et al., 2014), au cours certains modes de variabilité interne
intense mais limité dans le temps (1- desuqels un système quasi stationnaire opérant à l’échelle décennale. En effet,
3 ans). Le refroidissement radiatif de hautes pressions se développe sur les reconstructions montrent que les
induit par les éruptions et les change- l’Atlantique Nord-Est, affectant la cir- anomalies chaude du Moyen Âge et
ments de circulation atmosphérique culation des vents d’ouest et pouvant froide du petit âge de glace ne peuvent
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