Vous êtes sur la page 1sur 4

La philosophie antique est composée de quatre grandes périodes parmi lesquelles la période

classique. La période classique est centrée sur trois icones de la philosophie : Socrate, Platon et Aristote
qui ont pour prédécesseurs les philosophes présocratiques. Le mot “vérité” est un concept bien connu
chez les classiques et pointe vers l’être au sens vrai. 1 Pour Aristote, les « vécus de l’âme, les
(représentations) sont des as-similations aux choses.»2 Plus tard, dans la philosophie médiévale,
Thomas d’Aquin s’inspire de cette affirmation d’Aristote pour définir la vérité comme : « adaequation
intellectus et rei »3 (adéquation entre l’intellect et la chose). De même, le mot vérité est un concept
fondamental dans la philosophie de Martin Heidegger. Heidegger définit la vérité (de l’allemand
Wahrheit4) comme l’Etre- découvert5 (c’est- à- dire l’Etre- dévoilé). Heidegger définit donc la vérité
comme le dévoilement de l’Etre 6. Cette définition Heideggérienne de la vérité est tirée de l’étymologie
grecque alètheia (hors de la léthé “oubli”). Chez Heidegger, on comprend alors que les termes “vérité
et Etre” constituent un monisme; en ceci, qu’ils sont désormais réductibles à un seul principe : “le
non-voilement” (dévoilement). Donc, lorsque Heidegger critique la vérité chez les classiques, il pose le
problème du sens de la vérité. Quelle est la conception traditionnelle de la vérité et ses fondements
ontologiques, en tant qu’être au sens vrai, chez les classiques ? Quelle est la critique Heideggérienne de
la vérité chez les classiques ? Et quelle est la conception heideggérienne de la vérité ?

L’opinion première de la définition traditionnelle de la vérité chez les classiques est


bidimensionnelle. En premier lieu, la vérité est ce qui se trouve dans l’énoncé du jugement et en second
lieu, la vérité est l’accord du jugement avec son objet. 7 Platon en premier pense l’âme comme le siège
de la vérité.8 En effet, avec la tripartition de l’âme chez Platon (L’epithumia, le logistikon et le thumos),
il est possible de préciser à quel niveau se trouve exactement la vérité dans l’âme. C’est dans le
logistikon que siège la vérité. Le logistikon est un mot grec signifiant « raison » qui est la part
rationnelle de l’âme9, siège de l’intellect, capable d’accéder aux idées : c’est le logistikon qui régule
l’âme, qui lui donne l’ordre et la sagesse du jugement. Donc, selon Platon la vérité est ce qui se trouve
dans le jugement (l’intelligible) et non dans la chose. Par la suite, Aristote pense la vérité comme
l’adéquation entre le jugement et la réalité. Ici, Le jugement pointe vers la chose phénoménale. La
vérité serait alors, chez Aristote, l’adéquation entre l’intellect et la chose. La vérité consiste donc à ce
que notre jugement correspond à la chose. Telle est le sens de cette affirmation d’Aristote : « le vrai,

1
ARISTOTLE, Métaphysique, 4, 1027b, ( trad). Tricot, 1953.
2
Martin Heidegger, Etre et Temps, Paris, Gallimard, (trad). F. Vezin, 1985, p. 178.
3
Thomas d’Aquin, Summa I.16.1.
4
Jean-Marie Vaysse, Dictionnaire Heidegger, Paris, Ellipses, 2007, p.182.
5
Martin Heidegger, Etre et Temps, Paris, Gallimard, (trad). F. Vezin, 1985, p. 178.
6
L’Etre de l’allemand (Sein) qui répond au sens de « il y a » qui pointe à une existence. Donc le (sein) est l’Etre de l’Etant.
(Jean-Marie Vaysse, Dictionnaire Heidegger, Paris, Ellipses, 2007, p.56)
7
Martin Heidegger, Etre et Temps, Paris, Gallimard, (trad). F. Vezin, 1985, p. 174.
8
Platon., Phédon, 114d-115a.
9
Platon., la republique livre IV, 440c.
1
c'est l'affirmation de la composition réelle du sujet et de l'attribut, et la négation de leur séparation
réelle. »10
Chez les classiques, il est distingué trois fondements ontologiques de l’être au sens vrai (la
vérité) : Universelle, évidente et indéfinissable. L’universalité de la vérité implique son unité. Lorsque
Platon considère la vérité comme une et universelle ; il présente la vérité comme absolue. Platon se
prononce donc contre la thèse de la relativité de la vérité des sophistes pour qui : « Chacun de nous est
la mesure de ce qui est et de ce qui n’est pas.»11 Aristote considère la vérité comme évidente, en ceci
qu’elle est déterminée. Aristote souligne la prépondérance de la vérité: « D'abord, il y a du moins cette
vérité évidente que les mots (être) ou (n'être pas) signifient , quelque chose de déterminé, de sorte
que rien ne saurait être ainsi et non ainsi.»12 Au sens ontologique, la vérité est l’être au sens vrai.
Or, en tant qu’être, la vérité est trans-objectif (au-delà des objets) et infinie ; par conséquent elle se dit
indéfinissable. «L'individu (l’être au sens vrai ou la vérité) est indéfinissable en raison de sa
compréhension infinie. »13
Après avoir présenté la conception de la vérité chez les classiques, quelle est donc la critique de
Heidegger chez ces derniers ?

Heidegger critique la conception de la vérité chez les classiques de « bonne vieille tradition »14,
en ceci que, la définition de l’adéquation entre l’intellect et la chose qui pointe vers l’être au sens vrai
(la vérité), présente une mécompréhension de l’Etre-vrai pour Heidegger. D’abord, dire que l’Etre (au
sens vrai) est universelle, cela signifie que : « Une compréhension de l’Etre est toujours déjà comprise
dans tout ce que l’on saisit de l’Etant. »15 Mais l’universalité de l’Etre n’est pas celle du genre.16 En
clair, l’universalité de l’Etre ne traduit pas le fait qu’il soit le concept le plus clair, celui qui a le moins
besoin d’élucidation supplémentaire. Bien au contraire le concept d’ « Etre est resté obscur.»17 Ensuite,
dire que l’Etre est indéfinissable, c’est affirmer que : « L’Etre n’est ni dérivable définitionnellement de
concepts supérieurs, ni exploitable à l’aide de concepts inférieurs. »18 Or, la définition de la vérité
comme adéquation, ne présente aucune distinction entre Etre et Etant19. Mais, pour Heidegger : « l’Etre
n’est pas quelque chose comme de l’Etant. »20 Il existe une différence entre Etre et Etant. Par
conséquent, l’indéfinissabilité de l’Etre ne dispense point de la question de son sens, mais plutôt elle
l’exige.21 Et enfin, dire que l’Etre est évident, c’est affirmer que: « l’usage du concept (Etre) dans toute
10
ARISTOTLE, Métaphysique, 4, 20, 1027b, (trad). Tricot, 1953.
11
Platon, Théétète, 166d-167d.
12
ARISTOTLE, Métaphysique, 4, 30, 1006a, (trad). Tricot, 1953.
13
Ib, 16, 86, 1040b-1041a.
14
Martin Heidegger, Etre et Temps, Paris, Gallimard, (trad). F. Vezin, 1985, p. 177.
15
Ib, p. 25.
16
Id.
17
Ib, p.26.
18
Id.
19
L’Etant désigne les choses réelles qui existent. Selon François Fédier l’Etant est « la façon la plus économique, la plus
synthétique, sans rien perdre de dénommer ce qui est. » (Jean-Marie Vaysse, Dictionnaire Heidegger, Paris, Ellipses, 2007,
p.56)
20
Martin Heidegger, Etre et Temps, Paris, Gallimard, (trad). F. Vezin, 1985, p. 26.
21
Id.
2
connaissance, dans tout énoncé, dans tout comportement par rapport à l’Etant, dans tout
comportement par rapport à soi-même, est alors (sans plus) compréhensible.»22 Mais, selon Heidegger,
cette compréhension de l’Etre est a priori, elle reste une énigme. C’est alors que Heidegger souligne
dans la première phrase du premier chapitre d’Etre et Temps l’oubli de l’Etre (-vrai), qui signifie la
fausse évidence d’un dogmatisme latent de l’Etre et de ses concepts ontologiques conservés dans la
mémoire.23
Au vue de la critique de Heidegger, quelle est la conception Heideggérienne de la vérité ?

Heidegger définit la vérité comme dévoilement de l’Etre. Le dévoilement de l’Etre pointe vers
le non-oubli et le non-voilement de l’Etre. Le dévoilement est le processus par lequel se donne à voir la
vérité.24 Ainsi, devient vrai la chose dont l’Etre se donne à voir sans voile, sans opacité : c’est l’Etre-
découvert.25 Heidegger pense donc la vérité en termes de phénomènes. C’est-à-dire, la vérité est ce qui
se phénoménalise à nous, se montre sans voile ou opacité. La vérité est alors la phénoménalisation de
l’Etre. L’Etre répond au sens de « ce qu’il y a », pointant ainsi vers l’existence. L’Etre est donc
l’existant au monde (l’Etre-au-monde). Il est à préciser que l’Etre-au-monde pointe vers : « le
déploiement du Dasein sur le mode de la préoccupation (Die Besorgen).»26 Dans son ouvrage Lettre
sur l’humanisme, lorsque Heidegger change la graphie de « sein » en « seyn » c’est pour penser l’Etre
comme « vérité ».27 Ainsi, le dévoilement de l’Etre pointe vers « l’éclaircissement de l’Etre ». Il est à
souligner que, « l’éclaircie » de l’allemand (lichtung ou waldlichtung - ce qui est ouvert) est le lieu où
se libère ou s’affranchit l’Etre. Plus précisément, l’éclairci est : «l’ouvert pour tout ce qui vient-en-
présence, pour tout ce qui s’absente. »28 Dans Etre et Temps, Heidegger perçoit l’Etre comme Ek-
sistence29 (comme vérité). La vérité est donc l’essence30 de l’Etre (Dasein), c’est-à-dire le mode de
déploiement de l’Etre. Ainsi, le Dasein est « dans la vérité »31 à l’aide des déterminations : ouverture,
projet, Etre-jeté.32 L’ouverture étant ici, « la façon qu’a le Dasein d’être son Etre.»33 Le projet défini la
structure existentiale du comprendre en tant qu’il projette l’être du Dasein 34 vers son en-vue-de-quoi et
vers la significativé propre à la mondéité.35 Et l’Etre-jeté caractérise en sa facticité comme projet au
monde, à qui sa provenance et sa destination sont refusées.36

22
Id.
23
Jean-Marie Vaysse, Dictionnaire Heidegger, Paris, Ellipses, 2007, p.118
24
Ib, p.11.
25
Martin Heidegger, Etre et Temps, Paris, Gallimard, (trad). F. Vezin, 1985, p. 177.
26
Jean-Marie Vaysse, Dictionnaire Heidegger, Paris, Ellipses, 2007, p.61.
27
Ib, p.56
28
Ib, p.49.
29
Ib, p.64.
30
Le mot «Essence » doit être compris non comme une essence Platonicienne, planant au-dessus des sens des formes  ;
l’essence de l’Allemand (Wesen) est le mode de déploiement de l’Etre. (Jean-Marie Vaysse, Dictionnaire Heidegger, p.55)
31
Martin Heidegger, Etre et Temps, Paris, Gallimard, (trad). F. Vezin, 1985, p. 178.
32
Ib, p. 182.
33
Jean-Marie Vaysse, Dictionnaire Heidegger, Paris, Ellipses, 2007, p.121.
34
Le Dasein est « la manière pour l’homme d’être ou d’exister. » (Jean-Marie Vaysse, Dictionnaire Heidegger, p.29.)
35
Ib, p. 140.
36
Ib, p. 60.
3
Au demeurant, nous pouvons affirmer le fondement de la critique de Heidegger sur la « vérité »
chez les classiques. Puisqu’il en ressort de notre étude que « l’Etre est nécessairement lié à la vérité et
la vérité est nécessairement lié à l’Etre. »37

BIBLIOGRAPHIE

1) ARISTOTLE, Métaphysique, 4, 1027b, ( trad). Tricot, 1953.


2) Jean-Marie Vaysse, Dictionnaire Heidegger, Paris, Ellipses, 2007.
3) Platon, Phédon.
4) Platon, la republique.
5) Platon, Théétète.
6) Martin Heidegger, Etre et Temps, Paris, Gallimard, (trad). F. Vezin, 1985.
7) Thomas d’Aquin, Summa.
.

37
Marlène Zarader, Heidegger et les paroles de l’origine, Paris, Vrin, 1986, p. 73.
4

Vous aimerez peut-être aussi