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L’ouvrage se compose de trois parties que j’ai nommées livres, et qui sont telles en substance :
une genèse, un processus, un agencement. Je définis chacun de ces thèmes plus bas, à mesure que je
les introduis.
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Livre I : Une lecture du monde
Cette première partie fait office de prolégomènes. Il s’agit de donner des éléments d’ordre
historique avant tout, afin d’expliciter une genèse. J’appelle logique chaque mise en perspective d’une
période de l’histoire caractérisée par des constantes politiques, économiques, religieuses et culturelles,
et délimitée en outre, en amont comme en aval, par un bouleversement civilisationnel. Ainsi se
dessineront trois logiques successives, trois grands schémas de société.
Notions préliminaires sur la nature des Anciens – Éléments politiques d’histoire antique –
Permanence du phénomène religieux – Trame politique des temps reculés
Un premier chapitre est consacré à présenter ce que les Grecs concevaient comme une dyade,
complémentarité de deux principes. Deux dyades majeures jalonnent mon étude ; la première est
d’ordre anthropologique, il s’agit de la complémentarité entre l’inné et l’acquis. Je définis la nature
comme la partie du réel qui rend l’homme contingent. S’ensuivent, de manière ordonnée, de grands
rappels sur l’organisation politique caractéristique de l’Antiquité, dans l’Athènes classique
notamment.
Je mets ensuite en scène la modernité, la rupture qu’elle introduit avec l’ordre ancien et
l’individualisme naissant. Le contractualisme de Hobbes est exposé, puis celui de Locke et celui de
Rousseau. Les premières conséquences sont avancées, amenant au dernier chapitre de ces
prolégomènes.
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Chapitre 4 : Une rupture à assumer
La difficile assomption de soi – Aporie des droits de l’homme – Démocratie et bien commun –
La suprématie des bons sentiments ?
Je mets enfin au jour les contradictions que s’est elle-même ménagée la modernité. Au plan
religieux, j’insiste sur le passage du polythéisme au monothéisme, puis de ce dernier à ce qui a tout
d’un autothéisme, en expliquant pourquoi. Un premier sentiment de désunion sociale se fait sentir.
J’énonce ici la seconde des deux dyades constituant la trame de ma réflexion politique. C’est
précisément une dyade politique, autrement dit celle en laquelle je perçois le problème politique par
excellence : la conciliation entre l’un et le multiple, l’individu et sa communauté d’appartenance. Sans
l’hypostasier outre mesure, j’introduis la puissance du nombre qui peu à peu, dans une société déliée,
et contre toute axiologie, ne légitime plus que ce qui agglutine des individualités éparses, dégagé du
moindre jugement de valeur.
Équivocité d’un mot promis à un bel avenir – Des droits contre les droits – Le commun
congédié
En partant d’une définition de l’équité s’interposant entre les deux, j’expose en quoi libertés
négatives et recherche effrénée de l’égalité s’affrontent. La liberté d’expression est prise ici comme
exemple-type d’une liberté légitime bridée au nom d’une égalité outrancière. En postulant l’égale
capacité de chaque individu à prendre le recul nécessaire à la compréhension d’un message, la
démocratie d’opinions, rétive au jugement de valeur, se trouve prise au dépourvu lorsque des idées
dangereuses parviennent à fédérer des majorités.
Dans ce quatrième chapitre, je convoque à nouveau l’histoire afin de déceler la manière dont
l’homo mercator a progressivement détrôné le zoon politikon. Je m’attache en particulier à plonger le
lecteur dans le contexte du XIVe, si particulier, en ce sens que de grandes figures bourgeoises ont
émergé et ont commencé de s’affirmer face au pouvoir politique. L’exemple privilégié est celui
d’Étienne Marcel, prévôt des marchands de Paris sous Jean Le Bon. Sans dater pour autant le triomphe
du capitalisme de cette époque, je vois en une bourgeoisie conquérante la tête de pont d’un combat qui
mobilisera bientôt le nombre, pour le meilleur (libertés individuelles, droits acquis), mais peut-être
aussi pour le pire (emprise du marché, relativisme généralisé).
Vient ensuite, dans les deux derniers chapitres de cette partie, une analyse du régime
représentatif réputé « démocratie ». Non que j’aille dans le sens de ceux – de plus en plus nombreux –
qui voient dans la représentation une perversion de la démocratie ; je tente plutôt de montrer en quoi la
société des individus, des ayants droits déliés et devenus homo mercator, ne peut prétendre à la
vigueur politique d’Athènes, modèle du genre pour beaucoup. La représentation a vocation à concilier
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le besoin minimal de politique avec la propension économique, individualiste, de la société des égaux.
La démocratie contemporaine, de masse, ou démocratie cardinale comme je la nomme désormais (est
cardinal ce qui ressortit au nombre en tant que tel), n’est alors qu’un consensus autour d’un moindre
mal, assurant à un personnel politique la mainmise sur les affaires publiques dont les sociétaires ne
veulent plus, tranquillisés qu’ils sont vis-à-vis de la tyrannie dans le confort du suffrage universel.
J’essaie enfin de figurer, sans tomber dans la caricature, un affranchissement suivi d’un
divorce, ou comment, au moment où tombe la monarchie, la raison et le nombre se retrouvent
émancipés sans jamais réellement parvenir à se prêter main forte. Les Lumières avaient en effet dans
l’idée de faire émerger le savoir objectif d’une part, de répandre ses trésors aux quatre coins du globe
d’autre part. Or des revendications plus matérielles, totalement légitimées par des années de disette,
allaient quelque peu reléguer la raison au second plan. Il n’est pas exclu que le marché ait ainsi été le
premier à bénéficier de ce qui allait devenir le paradigme du confort en société de consommation. En
définitive, une bourgeoisie d’affaires a-t-elle instrumentalisé le nombre afin de se substituer aux
anciennes noblesses de sang ? Dans le domaine politique en tout cas, relégué lui aussi par l’économie,
le capitalisme semble alors en passe d’ « enfiler et d’agir la démocratie comme un gant ».
Dans ce troisième et dernier livre, aussi dense que les deux précédents réunis, j’expose des
éléments de philosophie politique qui vont me permettre un certain type d’agencement. Se trouve
privilégiée la cohérence entre l’apport politique typiquement moderne et ce qui se présente à moi
comme des principes fondamentaux issus du corpus aristotélicien. Le défi est grand de montrer en
quoi déprendre la politique de l’emprise du marché, c’est remettre sur l’établi les questions du meilleur
régime et de la vie bonne. Tour à tour il faut que soient repensées les vertus, la justice, l’idée même
d’individu, mais également la manière d’articuler les dyades (nature/culture, individu/communauté) au
sein d’institutions idoines. L’agencement politique dont il est ici question est celui permettant
d’appréhender à nouveau, dans un monde délié, la teneur du commun.
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Chapitre 1 : Les sorcières, les licornes et les vertus
Introduction aux propos d’Aristote sur les vertus – Phénoménologie du sentiment de justice –
Distinction entre l’éthique et la morale – Une diversité répudiée – Uniformité et jugement de valeur
(Le titre est emprunté à Alasdair MacIntyre dans son livre Après la vertu). Je commence mon
projet par une sensibilisation à ce que pourrait être une justice universelle, débordant le cadre strict du
droit positif, droits de l’homme inclus. J’opère alors une distinction entre éthique et morale se
rapprochant un peu de celle de Paul Ricœur (Soi-même comme un autre). Ceci me permet de mettre en
évidence et la rigidité de la modernité lorsqu’elle considère l’humanité comme un tout homogène, et la
subtilité du droit naturel dans l’Éthique à Nicomaque. En récusant toute axiologie au nom des droits de
l’homme, les Modernes s’interdisent tout recours à la justice distributive – politique par excellence –
telle qu’établie par Aristote.
L’homme in situ est l’animal politique. Une vision des choses que récusent aussi bien
l’individualisme des partisans du marché que celui des contractualistes. En commençant par une
description du monde marchand actuel et une contextualisation historique de la première massification
de la consommation de luxe (apparue en Angleterre au début du XVIIIe siècle et véritable tremplin
pour le capitalisme), je retrace la généalogie des Modernes, distinguant entre le Moderne qui s’assume
jusqu’au cynique (libéral) et le Moderne scrupuleux et schizophrène (socialiste), l’un et l’autre
attachés au départ à ne légitimer que l’individu. Le libéral refuse tout holisme en bloc ; le socialiste
finit par en appeler au tout, à la société, à l’État, au nom d’inégalités devenues intenables. John Rawls
est, pour moi, symptomatique de cette volte-face, c’est la raison pour laquelle j’interroge longuement
la récupération et le mésusage qu’il fait de la justice distributive aristotélicienne, montrant en quoi
l’individualisme se condamne à certaines incohérences. Rawls vide l’analyse judiciaire d’Aristote de
sa substance afin de pallier les méfaits de l’individualisme et du relativisme, tout en les ménageant.
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Chapitre 3 : Éloge politique de l’esprit olympique
La question que je me pose dans cet intermède sportif est la suivante : se pourrait-il qu’un
champ d’activité fasse nombre tout en promouvant l’excellence ? En d’autres termes, se pourrait-il que
le nombre lui-même s’abandonne à une certaine objectivité autour de valeurs communes ? Je perçois
une occurrence de cela dans l’engouement pour le sport, jamais démenti. Une fois de plus j’introduis
des éléments d’histoire antique, me permettant ici de faire un parallèle entre la nature à accomplir des
Anciens, et la nature à dépasser des Modernes. En outre, je dégage de cette étude trois vertus sportives
transposables en politique, à savoir l’accomplissement de soi en tant qu’individu, la communion des
affects en tant que membre d’une communauté politique, la juste rétribution nécessaire au bon
agencement entre le tout et les parties, entre les individus et leur communauté d’appartenance.
Le principe de paideia à l’époque moderne – Les enjeux d’un conflit – Projet d’une humanité
homogène – La faillite programmée d’un système – Émile, Kévin, Alexandre et les autres – La
formation sur ses deux jambes – Du contenu et de l’organisation des savoirs – La préparation au
métier de citoyen
Je commence par rappeler le principe de paiedia, ainsi que les débats qui ont eu lieu en France
autour du choix entre une « instruction publique » et une « éducation nationale ». Je distingue ensuite
l’instruction de l’éducation ; la première répond au besoin de cultiver sa nature (première dyade), la
seconde à la nécessité, en tant qu’individu, d’apprendre à vivre en communauté (seconde dyade). Les
deux constituent conjointement ce que je nomme formation. Puis je confine l’éducation dans les foyers
et, en référant l’instruction non plus à un droit de l’individu, mais à un devoir de l’État, je légitime une
instruction nationale par la justice due à chaque membre de la nation, selon les principes de justice
distributive consistant à rendre à chacun son dû (suum cuique tribuere). En l’occurrence, relativement
à la justice, une instruction de qualité doit être dispensée à chacun, pour que chacun puisse actualiser
la plénitude de son potentiel, dans l’intérêt bien compris de la nation. C’est, non plus une vision
individualiste du devenir humain, mais une vision communautarienne (au sens qu’en donne
MacIntyre). Toutefois, la possibilité même de la justice est un principe difficile à admettre au moyen
d’une grille de lecture dominants/dominés et de la certitude que la justice est trop souvent l’outil des
puissants. Certains préfèrent donc parler de justice sociale, autre nom de l’égalité, et faire de la lutte
contre tout déterminisme le seul but de l’école. Ici prend place une analyse rapide du point de vue de
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Pierre Bourdieu. Le mouvement de pensée qui en est issu induit la priorité accordée à l’éducation
homogène sur l’instruction édifiante, c’est-à-dire à la restauration de liens naturels rompus par
l’individualisme moderne sur une réelle construction de soi. Le manque à gagner, certains le
combleront auprès de leurs parents, d’autres devront en faire leur deuil : ainsi l’égalitarisme à l’école
devient-il l’instrument de futures inégalités sociales. Je termine ce chapitre en expliquant ce que
j’entends par formation à la vie politique, insistant sur le besoin de réenchâsser l’individu dans sa
communauté d’appartenance, ce qui se traduit par une légitimation du temps politique que tout
véritable citoyen devrait être amené à intercaler entre temps professionnel et temps domestique.
Premiers principes – Deuils en série (a. La fable du contrat social ; b. Le concept de société ; c.
Le personnel politique ; d. Le recours au suffrage ; e. Les partis politiques ; f. La démocratie cardinale)
– Le quatrième pouvoir – La révolution Internet – Le raffinage des opinions – Phronimos ou l’être
perspicace – La vie politique en démocratie ordinale, I – La vie politique en démocratie ordinale, II –
Éléments pour un changement de régime
C’est de loin le chapitre le plus long de mon ouvrage. J’ambitionne ici de présenter au lecteur
un modèle de vie commune aussi cohérent que possible. Je commence par redéfinir la politique, puis
dire en quoi certains articles typiquement modernes se nuisent entre eux. Je remets en question l’idée
de contrat social originaire, j’en appelle à Ferdinand Tönnies pour privilégier l’idée de
« communauté » et écarter celle de « société », je pose les jalons du zoon politikon dans les faits en
remettant en cause le principe de représentation et en définissant le statut d’amateur en politique, je
montre en quoi le suffrage étendu à toute une société d’éléments déliés est purement marchand,
j’analyse, dans le prolongement de Simone Weil, la pertinence des partis politiques, j’expose enfin ce
que j’entends par démocratie ordinale : une démocratie non plus fondée en nombre (ou cardinale),
mais fondée autant que faire se peut en raison, assumant le raffinage des opinions brutes. Une large
place est consacrée au crépuscule des grands médias et aux eaux fécondes et parfois impures de
l’Internet. Ensuite seulement je m’attèle au défi lancé : faire coïncider le réel avec ce que pourrait être
la politie d’Aristote dans les faits. C’est une expérience de pensée que je mène le plus sérieusement
possible et à laquelle je tiens car elle permet de montrer en quoi la philosophie politique est bien autre
chose qu’un rayon de bibliothèque poussiéreux. L’idée-force est la suivante : je vois dans la « raison
pratique » (phronesis), formulée par Aristote dans son Éthique, la mise au jour des deux grandes
qualités que tout aspirant Périclès devrait posséder : le sens de la justice en tant que vertu morale, et la
compréhension des choses complexes en tant que vertu intellectuelle. Aristote, cependant, ne donne
pas d’indications quant à la manière de débusquer l’oiseau rare. En revanche, il est possible que le
bicamérisme puisse permettre, en vertu de certains aménagements que j’expose amplement, de dédier
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une chambre au scrupule éthique (profane), une autre à la science pure (et froide). De cette manière, le
phronimos, l’homme prudent selon Aristote, se trouverait être transposé dans l’acte délibératoire en
démocratie ordinale, régime plus attentif au bien commun que l’actuelle démocratie d’opinion.
Nation, république et démocratie ordinale – L’harmonie dyadique – Le koinon ergon, une vie
de l’esprit en commun – L’ordonnancement républicain dans l’optique du koinon ergon – Attributions
de l’État en démocratie ordinale – Politique extérieure et place dans le monde
Quatrième de couverture :
Le miroir est une œuvre littéraire conviant son destinataire – en général un souverain –
au questionnement moral. Le genre est malheureusement tombé en désuétude. Mais parce
qu’en démocratie le souverain est censément le peuple, ce livre espère combler un manque à
notre époque.
Chaque question en amenant une autre, c’est finalement beaucoup de nos certitudes
qui s’en trouvent ébranlées. Leur remise en cause laisse entrevoir que la crise actuelle est
politique avant d’être économique. Le présent ouvrage dresse un constat d’impuissance et
soumet au lecteur l’esquisse d’une nouvelle façon de faire de la politique et d’appréhender
son objet.
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