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Fahne "Dolmetschen", 6.3.2010 / © Seismo Verlag, Zürich und Genf
Sandro Cattacin et Milena Chimienti
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Intégration et différence – une perspective historique et une focalisation sur l’urbain
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Intégration et différence – une perspective historique et une focalisation sur l’urbain
les nouveaux espaces, comme l’illustrent bien les banlieues françaises, n’étaient
pas attractifs pour une partie de la population qui cherchait à marquer sa
mobilité sociale par une habitation propre hors des concentrations urbaines.
Les classes moyennes quittaient ainsi, pour la campagne et pour des endroits
moins denses, ces lieux où restait une population homogène du point de vue
des caractéristiques socio-économiques et souvent raciales (Donzelot, 2001).
Ces lieux peu attrayant pour les riches, mais attractifs pour les pauvres ont
vite été touché par une spirale de la dégradation que les villes ont tenté depuis
les années 1970 à combattre, notamment par des plans de restructuration et
d’assainissement, mais surtout par une politique de la mixité visant à attirer
une population plus aisée.
Quelque fois ça marchait, mais d’une manière non vraiment voulue.
Des zones populaires se transformaient en effet en zones attractives pour
une jeune et riche élite urbaine qui appréciait ces quartiers, pour leur climat
urbain, où les différences se traduisaient aussi en des magasins ou restaurants
originaux pour les lieux de par leurs spécificités ethniques. Mais, parallèle-
ment, les personnes à la recherche d’un logement à prix abordable étaient
expulsées et disparaissaient à mesure que ces quartiers gagnaient en attrac-
tivité. Cette population ne partait par contre pas de la ville. Elle quittait, à
l’image de Zurich, les quartiers 4 et 5 pour se réinstaller d’abord à Oerlikon,
puis à Schwamendingen qui étaient à leur tour soumis à des politiques de
restructuration.
Ce parcours de l’expulsion et de la recréation de zones homogènes
signifie qu’une politique de la mixité est condamnée à l’échec. Une telle poli-
tique pourrait peut-être aboutir en l’absence d’inégalités économiques. Mais
cette idée est probablement, elle aussi, une erreur de raisonnement. En effet,
la ville est attrayante pour les riches à la recherche du climat urbain, tandis
qu’elle est attractive pour les pauvres à la recherche d’un job. Ces personnes
nécessitent par conséquent un logement bon marché pour entrer dans la
ville. C’est pourquoi combattre ces zones d’ « agrégation » risque d’entraîner
la conséquence inverse : la création de lieux encore plus problématiques, des
bidonvilles aux périphéries des villes ou encore des quartiers délaissés à leur
propre destin comme dans certaines villes du sud de l’Italie.
Ces zones d’entrée « à bas coût » dans la ville comportent encore
d’autres attraits pour la population en recherche d’une chance d’emploi.
Par leur composition relativement homogène, s’y développe une solidarité
spontanée, un soutien immédiat, notamment dans le cas où un migrant
entre dans la ville par un réseau d’amis ou par des membres de la famille.
Cette personne est accueillie, logée et surtout informée sur le fonctionne-
ment du nouvel endroit de vie. C’est dans ces zones que l’on peut qualifier
d’« archipels homogènes », qu’un véritable travail d’inclusion est effectué : les
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informations sur les postes de travail qui se libèrent y circulent, les adresses
pour des services de soins à bas seuil sont données et, surtout, on y retrouve
un peu de la « patrie » qu’on a quitté (Cattacin, 2006). Le rôle de médiation
est donc prise en main par les membres des communautés établies depuis
plus long temps. Ces personnes mettent à disposition leur connaissance aux
nouveaux arrivants. Elles sont crédibles et légitims en profitant de leur double
caractéristique d’appartenance et d’avoir fait leurs preuves dans ce contexte
qui apparrait aux nouveaux arrivants comme hostile et étrange.
Bien sûr, ces liens communautaires ne sont pas toujours aussi idylliques,
mais ils permettent le développement d’une dynamique d’autorégulation.
En effet, à Los Angeles, par les mécanismes de contrôle social à l’intérieur
d’une communauté, la criminalité est moindre dans ces zones homogènes en
comparaison de celles mixtes. Le même phénomène est d’ailleurs observable
dans les banlieues françaises : ce sont bien les zones sans identité qui ont
connu la plus grande explosion de violence et non celles communautaires
(Dear, 2001).
Faut-il donc abandonner la politique de la mixité ? Nous penseons
qu’il y a suffisamment d’éléments pour penser qu’elle est un insuccès. A sa
place, il faudrait plutôt tenter de rendre ces lieux de passage vivables par
des infrastructures d’accueil adéquates (écoles, crèches, parcs et espace de
rencontre communautaire) et surtout perméable, afin d’éviter que ces zones
ne deviennent une prison et qu’elles offrent la promesse urbaine d’ascension
sociale.
5 Un projet d’intégration
Quel projet d’intégration émarge de cette transformation ? Un individu ca-
pable de s’autocensurer dans ses comportements (à l’image du processus de
civilisation décrit par Elias, 1976), refermé sur une identité primaire pour
lui permettre de surfer sur les vagues de la société sans limites. Le migrant
est dans ce jeu doublement défié. En représentant la pointe de la mobilité
qui normalise le nomadisme, il doit développer une identité déterritorialisée
(Faist, 1995). Dans le même temps, à la recherche d’une intégration écono-
mique, il doit connaître les règles des territoires sur lesquels il se trouve : la
langue de travail, le fonctionnement des institutions, des systèmes de santé
ou d’éducation par exemple (ce que Brubaker appelle « assimilation », en
soulignant l’importance de l’aspect fonctionnel ; Brubaker, 2001 ; voir aussi
Cattacin, 2006).
L’intégrer socialement ne peut plus se faire par des adaptations iden-
titaires. Au contraire, affaiblir l’identité du migrant le mettrait dans un état
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