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NOTE DE LECTURE

Marianne Amiel-Dal'Bo

ERES | « La revue lacanienne »

2014/1 N° 15 | pages 267 à 274


ISSN 1967-2055
ISBN 9782749241722
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Revue Lacanienne 15:- 17/04/14 18:26 Page267

La phobie, le vivant, le féminin


d’Isabelle Morin
Éditions Presses Universitaires du Mirail, 2009

Marianne Amiel-Dal’Bo
Architecte, psychanalyste

Phobie, vivant, féminin, à partir de ces Nous devons bien faire ce premier
trois termes, signifiants ou concepts, Isa- constat : la phobie questionne et distingue
belle Morin tente dans son livre de déve- à la fois ce qui fait peur, ce qui angoisse et
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lopper les enjeux de la clinique de la ce qui provoque l’effroi. L’auteur y insiste,
phobie et de répondre à la vaste interro- elle est à la préhistoire de tout sujet puis-
gation : en quoi consiste-t-elle  ? Son qu’elle est même au lieu de la première
ouvrage, très largement référencé, nous rencontre symptomatique avec le Réel de
invite à parcourir les multiples facettes de la jouissance pulsionnelle, soit la crainte
cette clinique dont elle propose une lec- de la survenue d’un élément hostile situé
ture qui remette son lecteur au travail, à l’emplacement d’un trou, la crainte d’un
d’abord à partir des avancées spécifiques possible au regard de l’impossible.
de Freud à propos du cas du petit Hans, L’épreuve du trou serait alors comme la
puis des prolongements amenés par matière, le point de focalisation du pho-
Jacques Lacan qui en fait «  une plaque bique, puisqu’il y aurait là risque d’intru-
tournante de la structure  », mais égale- sion menaçante d’un phallus réel. Il faut
ment pour ouvrir dans un troisième temps sans doute le dire puisqu’il en est en effet
à une interprétation qui conduit à distin- beaucoup question à travers l’ensemble
guer la dimension du féminin comme lieu de cette étude que propose Isabelle
éminent de gisement de la problématique Morin, ce trou, à la fois dans le savoir,
de la phobie. dans la représentation, dans le langage,
Isabelle Morin porte d’emblée son inter- dans le corps même par conséquent, dans
rogation sur ce plan structural que nous l’espace également, serait ce que désigne
savons lié au surgissement d’une angoisse en propre le phobique dans la mesure où
nouée à un danger réel. C’est bien en effet une jouissance en excès l’habite. Un sym-
elle, l’angoisse, qui fait foi de la traversée bolique ne pourrait parvenir à le rattraper
des linéaments (ou des contours) du dans cette tourmente, constate-t-elle.
champ de l’Autre, ceci depuis sa création, Impossible, pourrions-nous dire, de
plutôt sa présence première ou primor- désactiver la dimension de l’inceste au
diale en tout cas, jusqu’à la constitution, niveau de la mère, ce qui fonderait l’objec-
formation ou émergence d’un sujet, donc tion du phobique à une possible évolu-
d’un désir pas sans l’Autre et qui pourtant tion. Sans aucun doute ce constat ne
s’en différencie. concerne pas uniquement la clinique de la

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phobie. Sans le soutien de la jouissance impudemment un objet interdit. Ainsi


phallique, l’objet peut prendre la voie de peut intervenir l’objet phobogène qui vau-
se faire un surplus, un reliquat soudé à dra comme barrière, frontière ou limite
une pulsion exilée d’un but érotisé, qui lui pour signaler le pas à ne pas franchir – ou
pourrait représenter l’Autre sur sa face bien justement celui qu’il faudrait encore
d’amour en quelque sorte. Nous savons franchir ? Objets que l’auteur nous sug-
également que tout sujet peut traverser gère de repérer comme étant des signi-
cette mise en place de la mère comme fiants-objets en lieu et place d’un
objet, non sans une certaine somme irreprésentable. C’est pourtant bien l’opé-
d’épreuves, seulement en ce qui concerne ration de refoulement de ce savoir pul-
le phobique, il ne s’agit pas d’une traver- sionnel qui pourrait se proposer comme
sée mais d’un arrêt sur image, une sidéra- point de départ du vivant, alors que dans
tion devant un trop de signaux où se fait le livre le vivant concerne la poussée pul-
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entendre un vain appel à « un père », un sionnelle elle-même. Comment ce savoir
appel qui dirait «  pas sans le relais de sur le Réel pourrait-il faire émerger
l’Autre sur ce Réel ». Ce manque trop évi- l’Autre auquel est appendue la seule ques-
dent de signifiance phallique conduit à tion à la racine de mon vivant : « Que me
l’inquiétude sur le sexe, la sexuation et veut-il  ?  » Car l’Autre comme porteur
même à un défaut d’aiguillage dans la d’une énigme témoignerait déjà de la
sexualité que nous ne pouvons pas écarter. forme d’un refoulement dans la mesure
Fort généralement, la fonction paternelle où une question est toujours la marque
intervient à cet endroit pour dérégler ce d’une adresse antérieure au contenu
rapport qui se donne comme direct au d’une réponse. Le phobique serait lui en
désir oral démesuré de la mère dans sa face-à-face avec la réponse. Une réponse
relation pulsionnelle à l’enfant, alors qu’il qui ne dit rien ou ne peut rien dire puis-
s’agit plutôt essentiellement des effets qu’elle se joue préférentiellement dans le
réflexifs de retour de la voracité pulsion- champ scopique.
nelle de l’enfant en direction de l’Autre.
Quoi qu’il en soit, dans le cas du pho- Remarques
bique, un reliquat de ce dispositif sub-
siste, persiste même tout à fait vivant, Dans un large chapitre, l’auteur développe
localisant un point de mire devenant véri- les étapes de la cure de Hans en en rela-
tablement la cause d’une pathologie radi- tant de façon précise les séquences
cale de l’empêchement. menées à partir de l’observation attentive
Si dans cette clinique en question, le Réel et méticuleuse du père sur son enfant,
se présente définitivement vivant ou pur orientées par les remarques de Freud
contenu du déchaînement des jouis- auquel s’adresse le transfert du père. La
sances, en quoi demeure-t-il si indépas- mise à plat du matériel que délivre Hans,
sable ? Comment le Réel demeure-t-il à ce l’expertise ouverte sur la variété luxuriante
point étranger ? L’auteur développe dans de ces bricolages a soulevé pour moi l’in-
son livre les divers abords des jouissances, terrogation suivante  : ce dispositif d’ob-
et plus particulièrement celle qui libère servation ne serait-il pas lui-même le lit

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d’émergence d’une phobie dans la mesure mère. Elle le développe clairement dans


où il centralise une cause : le phallus, la son livre : pour elle, le défaut de représen-
mère, le phallus maternel ? Mais de quelle tation dans la clinique de la phobie est lié
mère s’agit-il au juste ? Serait-ce précisé- à son impossible accès à l’irreprésentable
ment celle qui en est privée ou celle qui dans la mère, qu’elle nomme  le «  fémi-
n’est manquante de rien  ? Dans ce cas, nin », et qui apparaît ainsi comme étant le
que regarde le père en observant son fils ? plus riche des discriminants. De sorte que
Et que retient le fils de ladite observation le mot-valise «  mère-féminin  » introduit
scrupuleuse de son père  ? La recherche par l’auteur ne saurait à mon sens témoi-
d’un fossile au cœur du problème pourrait gner d’un saut métaphorique, car il
parfois nous égarer dans la démarche (qui demeure une construction métonymique
voisine fautivement avec l’introspection), – au même titre que les divers autres évo-
même si ce fossile s’avérait porter un trait qués tels que « espace-féminin », « mère-
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symbolique qui serait la marque d’un enfant », « mère désirante » –, ce qui ne
« passé » sur un trou, donc déjà quelque manque pas de susciter la remarque sui-
chose au-delà d’une image. vante : puisqu’une mère en tant qu’objet
À ce sujet, pourquoi n’est-il pas abordé dans la structure inconsciente est pour
comme tournant décisif la place de l’ob- elle-même rangée du côté du tout dans la
jet regard dans l’analyse de l’auteur ? Car sexuation, elle exclut de fait le féminin.
réduire la phobie seulement à l’objet Pourquoi vouloir chercher un féminin
phobogène, ne serait-ce pas seulement dans la mère,  celui-là même qui serait
vouloir s’intéresser à la partie émergée causal de ce que le phobique ne pourrait
de l’iceberg ? La phobie structurellement admettre  ? Comment néanmoins l’en-
concerne avant tout les aléas de l’identifi- tendre ? Ce supposé féminin dans la mère
cation au phallus par quoi s’humanisent tenterait-il de nommer la part du Réel ?
les hommes et les femmes en tant qu’êtres Compterait-il aussi comme signifiant
sexués. Dans la phobie ce moment logique objet, pour reprendre ce terme cher à
est mis en suspens. Identification à ce qui l’auteur ? Endosserait-il encore la fonction
est trace d’un manque ou encoche afin de d’un objet défensif contra-phobique  ?
désigner un impossible fondamental. Est- Cependant, ce féminin/mère ne peut que
ce le défaut ou le phallus qui est cause redoubler les effets du phallus imaginaire,
d’une angoisse massive dans la clinique de tout en créant un mythe des origines de la
la phobie  ? Puisque l’élection de l’objet constitution phobique : nouvelle déesse ?
phobogène est déjà une tentative de Nouveau mirage  ? Sachant que le fémi-
réponse qui vient concentrer, centraliser, nin serait plutôt susceptible de maintenir
circonscrire ce qui sinon serait infini, dif- une forme de polythéisme, justement il
fus et indéterminé comme angoisse. La semblerait que le problème dans la pho-
menace salutaire suscitée par cet objet bie relève d’une forme d’intolérance au
vaut comme la barrière ultime dressée monothéisme de S1. Quoi qu’il en soit, si
contre la réalisation incestueuse pulsion- l’on admet ce passage par les arcanes du
nelle, mais où l’auteur entrevoit un face- féminin, détour éventuellement bienvenu
à-face insoutenable avec le féminin de la chez la fille, en revanche pour le garçon

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Note de lecture

cette lecture demeure tout à fait problé- désorientations spatiales et temporelles


matique. Car pour lui, comment les exercées par les lignes de force dans la
choses peuvent-elles se dérouler ? composition d’un espace, qu’il soit large
Le sujet accomplit son désir à l’endroit ou réduit, tout comme la surabondance de
où il ne sait pas. D’où ce fait que le désir signalisation qui réalise réellement des
revêt toujours cette part énigmatique. vides, désignent l’un comme l’autre la pré-
Repérer la malposition des pères à l’en- sence ou le surgissement d’un regard réel
droit des mères, ou vice versa, peut où rien ne serait à lire ni à traduire. L’es-
prendre malheureusement forme d’un pace tel qu’il se donne, c’est-à-dire avant
constat sans suite. Comme dans la cure, la tout relevant du registre scopique, d’un
critique des parents s’érige vite en certain côté ne manque de rien et à son
impasse. Il ne s’agit pas tant d’en mesurer propos tout semble dit. Le phobique ne
les écarts, au regard d’on ne sait quel cesse de témoigner qu’il ne sait que trop
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idéal, que d’entériner plutôt ce qu’ils combien ce réel ne peut pas valoir dans
furent comme ils le furent. Aurait-il donc les champs des représentations. Aucun
plutôt à inventer ou à forer un lieu où le médiateur ne saurait estampiller ou vali-
savoir fait défaut, échappe, se révèle fon- der une séparation entre ce point réel et
cièrement non maîtrisable ? Seul le lan- lui-même, d’où son effroi. Comment
gage que rend vivant la parole peut en pourrait-il donc déposer son regard,
prendre le relais. La question que j’ajou- sachant qu’un regard s’avère déjà là, avant
terais enfin à la discussion serait celle-ci : lui, sous surveillance  ? Là où l’horizon
est-ce le féminin qui fait si peur aux devrait se confondre avec le regard du
hommes, comme le dit Isabelle Morin, ou spectateur, voiler le défaut dans l’image,
bien est-ce les hommes qui font peur au pour le phobique il est la ligne réelle du
féminin ? Car le trait discriminatif du mas- regard nu, corps étranger, intrus dans
culin/féminin, dans sa thèse, reste au stade l’horizon. Mais lui, qu’est-il ? Qui est-il ?
de la phobie, une question à trancher. Homme  ? Femme  ? Qu’est-ce qu’on lui
veut ? Que lui veut l’Autre ? Il n’est per-
Regard sonne, angoisse, réduction physique.
«  L’angoisse quand la représentation
Le regard en tant qu’il interpelle directe- échappe », nous dit l’auteur. Pour l’articu-
ment le désir de l’Autre aurait pu être ler autrement, je dirais que cela nous ren-
amené par l’auteur à travers les notions voie à un effet majeur de vacillement de
qu’elle considère comme fondamentales l’être. Nous comprenons par exemple que
dans la phobie, et qu’elle met au travail lorsque l’espace ne se présente plus
autour du représentable/irreprésentable. comme gardien de notre anthropomor-
Mais pourtant du regard, il n’en est rien phisme, survient alors la peur de son
dit. Dissimulé très sûrement sous la pres- effondrement comme de notre chute.
sion orale révélée par la présence anamor- Défaut de la fonction de la représenta-
phique de l’objet phobogène, il n’en tion, avance l’auteur ; certainement, mais
demeure pas moins radicalement présent. surtout défaut de l’Imaginaire ou maladie
Nous savons par exemple combien les de l’Imaginaire, pour reprendre les for-

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mulations de Charles Melman. Il manque y matérialisent un appui représentable, des


un appui fondamental à sa structure, limites spatiales pour une clinique où fait
comme il manque un appui dans cet cruellement défaut la représentation. Ainsi
espace. N’y manquerait-il pas justement ce le seuil, barrière sensitive d’un danger pos-
que je nommerais la surface, c’est-à-dire sible, sorte de limite ultime avant l’exter-
ce qui sert de liant à la sensualité et, si mination, se donnerait comme objectif un
nous allons plus loin, à la beauté, à savoir point de l’espace à expérimenter, à appri-
ce qui serait à même de transcender la voiser, à humaniser. Pourtant, la dimen-
pure vérité  ? N’est-ce pas pourquoi le sion de l’infranchissable est commune à
contact avec un semblable accompagna- tous les êtres et il est également commun
teur est « rassurant » pour le phobique ? à tous les êtres de vouloir le rendre fran-
Celui qui avec l’espace se confond, s’y chissable. Donc peut-être un peu trop de :
reflète tout aussi bien et qui vaudra dedans, dehors incertain, dehors trop pré-
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comme une attache devant ce vide. Celui sent, dedans insécurisant, etc.
qui, le temps d’un passage, le souffle d’un À quel type d’espaces nous exerçons-nous
instant viendrait voiler le «  hors castra- aujourd’hui ? Les agoraphobies ou claus-
tion » de l’espace, en quelque sorte. C’est trophobies sont à lire comme les ressauts
pour cela que l’on peut regretter ce can- de ce franchissement opéré ou mis en acte
tonnement aux termes de représentable/ dans bon nombre d’architectures ou d’es-
irreprésentable qui constitue une impasse, paces contemporains. Absence de seuil ;
celle-là même de ne pas reconnaître au- automatisme en lieu et place de nos gestes
delà que Réel et Symbolique dans cette et de notre toucher ; escaliers de secours
disposition ne peuvent constituer un lieu ou sécuritaires et non plus d’ornement ;
pour le sujet. La place de l’Imaginaire ne circulations qui nous individualisent, plus
conduit pas nécessairement à bâtir une personne à côté de nous ou en face de
scène, un décor de théâtre (cf. Hans), mais nous ; bref, introduction des consignes de
commence par l’amour de l’autre, pour la technoscience où tous les accrocs sont
ainsi dire l’expression ou l’impression déjà anticipés, où tout est déjà pris en
d’une forme, d’un relief, d’une coloration, charge pour éviter l’émergence de la
d’une trace. C’est également reconnaître plainte, «  on pense à vous  ». Il n’y aura
dans ces « impressions » qu’elles sont le donc normalement plus d’obstacle, plus
soutien essentiellement premier pour de problème possible, ce qui ne manque
anticiper un bord, face à un trou, c’est pas d’interroger sur l’érotomanie de
bien pourquoi le sujet se tient debout l’autre/Autre qui semble nous aimer tant
devant l’Autre et peut lui adresser son et s’occuper du moindre détail de notre
regard. circulation. Ce monde continu, sans cou-
Les notions de dedans/dehors prélevées pure, sans rupture, est à la fois éminem-
dans la clinique de la phobie par l’auteur ment phobogène tout en pouvant dans un
n’ont pas eu grand mal à constituer le certain sens donner réponse attendue au
point central sur lequel veut reposer l’ef- phobique, puisque le représentant du
ficace des psychothérapies comportemen- manque réel s’y trouve admirablement
tales quant à son traitement, puisqu’elles pris en charge. Nous devinons bien

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entendu que le problème n’est néanmoins seul secours pour maintenir en un cer-
pas là. Car en lieu et place de la prise en tain point resserré l’excès même des jouis-
charge, il n’y aurait qu’un signifiant maître sances, et signaler aussi par le détour du
pur – personne – seulement un comman- déferlement de l’angoisse, la présence de
dement réel, anomique et innommable. l’Autre comme adresse ? Nous pourrions
Pourquoi donc ? même ajouter que vouloir trop rapide-
Il faut y insister, ce qui nous humanise ment supprimer l’angoisse, dans ce cas,
implique d’admettre une identification au conduit à collaborer à une entreprise de
phallus comme signifiant, relais nécessaire levée de barrière assimilable à une réalisa-
au désir de l’Autre. La fonction de la lettre tion incestueuse.
volée chez Edgar Poe en rend déjà compte
à sa manière, elle met en scène la circula- Le Symbolique et le Réel
tion d’une lettre pour laquelle l’auteur est
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supposé comme le destinataire. Mais à qui Comment entendre qu’une part du Sym-
appartient-elle, interroge Lacan ? Le pro- bolique ne parvienne pas à voiler le Réel ?
blème dans la phobie est également à situer Isabelle Morin nous invite à tenter de par-
en ce niveau de défection, puisqu’il est ler du nouage entre ces deux dimensions.
appelé à circuler sur la scène du monde Nous savons que le Symbolique ne peut
sans qu’aucune spécification sexuée ne le jamais parvenir à recouvrir le Réel, car il
détermine eu égard au regard de l’Autre, ne peut certes pas combler l’incomplétude
dès lors sans adresse. C’est en cela que la du sujet dans son rapport à l’Autre et à
fonction de l’objet regard est tout à fait l’objet. Dans la phobie, reste attachée dans
décisive dans la clinique. Le phobique est cet intervalle une menace, incarnée, nous
appelé à aller nu quant à la sexuation et ne l’avons dit, par le phallus maternel. De
saurait voir davantage la lettre d’amour en teinte cannibalique, dévorant, griffant ou
quelque sorte. mordant, ce phallus ne cesse d’occuper le
La scénographie fit témoignage d’un cer- livre et de nous en dévoiler les impasses,
tain degré de résolution (incomplète) chez tout comme les divers moyens mis en
Hans, aboutissement à une possible arti- œuvre afin de parer à ce défaut structural
culation – poinçon – d’un fantasme qui ne de symbolisation. « D’un côté le Réel, son
l’était probablement pas antérieurement, poids et d’un autre côté le pulsionnel non
mais qui demeure accroché à la valence passé par la symbolisation. » La fonction
imaginaire du phallus. La question que je symbolique mise en avant tout au long du
poserais, de façon peut-être abusive, serait livre pour aborder la phobie permet de
de dire que s’il n’y a pas chez le phobique faire émerger la distinction des trous
de signifiance phallique ou du moins constitutifs du langage  : celui issu du
ayant atteint à sa pleine fonction, comme manque réel, celui issu du manque symbo-
d’identification franche, quel serait son lique. À ce propos l’auteur précise que la
corps ? De quel corps relève-t-il ? Qu’est- rencontre du désir de l’Autre serait une
il d’autre que le lieu du tourment du tentative de recouvrement de ces deux
déferlement des jouissances sans bord ? trous. Tentative sur laquelle, dit-elle,
L’angoisse est-elle son seul recours ? Son échoue le phobique. Peut-il alors parvenir

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à aimer du lieu de l’angoisse où il se situe ? érigée en mythe du traitement psychana-


C’est une question qui pourrait également lytique de la phobie risque bien de
nous en apprendre sur le monde des prendre à son tour la forme d’un mono-
objets sans nom qui s’infiltrent dans les théisme. Je ne suis pas certaine que le
intervalles de nos échanges, de nos désirs, phobique ait besoin de la greffe (complé-
et qui prolifèrent comme s’ils relevaient mentaire) de ce type de lecture déjà satu-
du nécessaire. Peut-être sont-ils eux- rée, c’est-à-dire en excès chez lui.
mêmes des objets contra-phobiques doués Pour se rendre d’un lieu vers un autre, le
de la vertu de capter le petit autre, c’est-à- héros du mythe se présente toujours
dire le même, ultime appui contre le déro- poussé par le destin. Devant franchir de
bement. Mais ces objets ne restent ni façon répétitive des étapes, sans cesse
utiles, ni beaux, ni viables, c’est-à-dire sans menacé par les divines pulsions, il lui
suite dans l’économie humaine. arrive de commettre quelque erreur, de
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Nous comprenons au fil de notre lecture se tromper d’objet, de désirer trop ou de
que «  ce qui devrait être refoulé  », devenir triste. Heureusement, il lui arrive
concerne le Réel en tant qu’il n’est rien, aussi également d’être tenté, alors quitte
tout ou presque, seulement l’effet d’une ou double, il perd ou gagne. Lui, le pho-
suffocation jeté sur le corps du phobique. bique, ne se laisse pas tenter : pour quelle
Lui serait-il donc impossible d’apprivoiser raison ? Est-ce qu’il en est empêché parce
ce qui est, mais qui ne se voit pas, ce que qu’en dernier recours, il ne sait que trop
seul le langage est apte à faire circuler ? combien le Réel existe  ? Ou bien alors
Pourquoi lui demeure-t-il tellement étran- parce qu’il n’appréhende de ce Réel seu-
ger  ce langage, ce Réel  ? Ne pourrait-il lement que le trou de sa disparition, puis-
pas tourner autour de lui ? Avec lui ? Voilà qu’il se livre comme proie d’un
pourquoi l’auteur est obligé d’introduire phallus denté ? Passer d’un lieu à l’autre,
la topologie pour rendre compte des d’une position à l’autre, implique d’enté-
bords, des trous, des tours. Si l’angoisse, riner l’existence, disons plutôt l’instance,
à n’en pas douter, a partie prenante avec voire l’implication du Réel dans les
eux, les fragments scopiques que reçoit le échanges. Mais cela ne vient néanmoins
phobique restent définitivement détachés pas véritablement éclairer la clinique qui
du dit. La fonction de la mythologie est nous intéresse, puisque ce Réel qui cir-
peut-être bien le seul texte qui puisse cule le phobique ne le fuit pas, il en est
attribuer des dieux et des déesses à ces empêché. Le livre d’ailleurs nous le pré-
morceaux de jouissances débridées. Pou- cise tout du long et même nous éclaire en
vons-nous alors peut-être suivre la cli- mettant le cap sur le féminin comme
nique du phobique sur ce défaut si menace pour le phobique, et à la fois
significatif de théisme, avant même de considère cette clinique comme « moda-
s’attacher à vouloir le conduire vers le lité pour traiter le féminin, le hors phal-
monothéisme du Réel qui en passe par le lique  ». Mais ce féminin ainsi posé ne
relais d’une signifiance phallique, comme serait-il pas plutôt dans le livre présenté
pour le névrotiser/normaliser en réponse ? comme l’inarticulé du masculin  ? Sa
La redondance dans le livre de la mère symétrie ?

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Note de lecture

Pour une femme, la mère réelle est tou- sous le terme d’une séparation, ce qui
jours présente. En ce sens la phobie peut est bien différent du Barrage contre le
la concerner, du moins sur la question de Pacifique. Telle serait sur le féminin, il
l’angoisse qui survient à l’endroit où elle me semble, la distinction à apporter à
prend la mesure du fait que l’objet ne l’analyse de l’auteur.
peut être fondateur de sa structure. Si Enfin, puisque nous savons que la fonction
l’objet phobogène n’est pas nécessaire- signifiante prend en charge la relation du
ment toujours de mise pour elle, elle sujet à l’objet perdu, le repêche de sa
côtoie cette intrusion incestueuse de chute, et que pour une femme cette fonc-
l’Autre en tous lieux. Par ailleurs, l’au- tion opère difficilement, la décomptant
teur oriente-t-elle sa question sur le pas- même dans le registre du langage, alors on
sage de la lettre au signifiant qui, pour appréhende pourquoi elle demeure ainsi
une femme, nous le savons, est un temps captive du regard, suspendue à celui de
suspendu, non décisif, non définitive- l’autre/Autre, voie éminemment fragile s’il
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ment inscrit  ? Introduit-elle le féminin en est. Rien d’étonnant à ce que cette place
sur ce point de vacillement au regard de de la fonction du regard se retrouve aussi
l’Autre, ou bien uniquement sur ce bord dans la phobie sous une forme exacerbée,
de jouissance où s’efface la signifiance ? dramatisée, voire comme on le constate
Le féminin pour l’auteur  apparaît souvent, à chaque occasion, montée de
comme un complément dans la mère toutes pièces en épingle.

La Revue Lacanienne – n° 15

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