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SONGE
Abdala KONÉ

SONGE

LES ÉDITIONS DU NET

22, rue Édouard Nieuport 92150


Suresnes
Du même auteur

- Poèmes sous hypnose, Poésie, Edition du net,


2015

- L’autel du sacrifice, Roman, Edition


Equinoxe, 2017

© Abdal’Art, 2017

ISBN : 000-0-000-00000-0
9
A Evans-Dorsay et Amina-Zeynab
A Amina-Noura et Zeynab-Yasmine

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Pour servir de préambule

La narration de ce récit m’est venue sans


m’aviser. Elle m’a obligé à l’écrire d’un trait
en ce jour du 05 Septembre 2017. Je n’avais
pas de café, j’ai dû siroter du miel et du thé
de temps à autre pour soupirer. Je m’étais
promis de l’effacer si je ne l’achevais pas,
quel que soit le nombre de pages, avant le
coucher du soleil. Un défi que j’ai relevé
grâce à Dieu et à ma volonté de rendre un
insigne hommage à des personnes spéciales
qui ont marqué positivement ma vie. J’ai écrit
inconsciemment cette fiction qui garde bien
les pieds et la tête dans la réalité…

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I
Le souvenir de cette époque heureuse
fusait encore en mon esprit. Anita était
timide, mais pleine de vie. Adolescente à la
poitrine menue, la taille fine et le corps élancé
vers les cieux. C’était ma lolita, je la préférais
à ses quinze ans. Si jeune, si innocente et
pourtant si naïve. De sa naïveté la beauté
traçait ses sillons. Ses dents laiteuses
rehaussaient le rose de ses lèvres nectarifères.
Qu’elle était belle ! C’était une poésie, ma
poésie. L’assonance dans son rire métallique
rimait avec les césures entre deux sourires. Sa
voix était audible, détachée, décalée,
empreinte d’agréabilité. Sa parole sonnait
l’écho d’un alexandrin mallarméen et la
vivacité d’un vers senghorien. Anita, c’était
ma lolita, je la préférais ainsi. Je vous le jure !

Il ya quelque temps, nous avons dîné


ensemble au Lustre Club. On avait rendez-
vous à dix neuf heures. Déjà à dix-sept heures
et trente minutes, j’étais sur les lieux. J’ai fait
la réservation de la table, puis me suis assis
au bar pour mieux observer, surtout pour
siroter du café avant l’arrivée de ma lolita.
L’ambiance était amusante. Il y avait de la
couleur. L’endroit était agréable à la vue.
Tout cela m’aidait à plonger en moi. L’odeur

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du café, la beauté du décor, toutes ces belles
serveuses en décolleté…

J’avais mis une chemise blanche en soie,


un pantalon de la même couleur et une paire
de tennis blanche également. J’ai toujours
aimé mettre la couleur blanche. À mon
poignet, une tisstot 1883 en argent pour
connaître la couleur du temps. Pour
l’occasion j’avais changé la manchette de
mes lunettes. J’ai choisi la couleur de mon
habillement du jour. Je ne sais pas trop ce qui
a motivé tout ce blanc sur moi. Il est vrai que
j’aime cette couleur, mais généralement je la
panache avec du noir. Cette blancheur cachait
peut-être le stress qui s’était emparé de moi
depuis que j’avais appris que ma lolita avait
posé ses valises sur les bords de la lagune
ébriée.

J’étais impatient. Cela faisait dix ans que


je n’avais pas vu Anita. Dix ans, ce n’est pas
dix soleils ni dix lunes ! Dix ans. Je me
demandais comment était-elle devenue. Je
l’avais certes vu lors de nos conversations via
skype mais, cela ne me disait rien. C’était
comme regarder la télévision. Je sais que la
télévision nous rapporte une certaine
anamorphose de la réalité. Je voulais la voir,
la toucher, lui parler de vive voix. Je
redoutais ce moment, la façon dont j’allais
me tenir face à elle, le langage, comme si je

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devais rencontrer un ange. Je me sentais un
peu stressé.

J’ai toujours été un homme impatient.


J’aimais être ponctuel. J’avais horreur des
retards. Je repartais toujours cinq minutes
après l’heure d’un rendez-vous. On m’a
reproché souvent de faire la tête. En réalité,
c’est ma nature. Je n’aime pas attendre.
L’impatience est l’un de mes défauts. Mais ce
jour là, comme on dit, j’ai mangé mon totem.

Dix neuf heures a sonné à montre, Anita


n’a pas fait autant. J’épiais l’entrée toutes les
minutes pour la voir venir. Je ne voulais pas
manquer cela. Il me fallait la dévorer des
yeux de loin, voir si sa prestance avait subi
les affres du temps et de la distance. J’ai fait
le pied de grue trente minutes durant avant de
la voir venir. Elle m’a vu de loin au bar. Elle
a marqué un arrêt, surprise certainement de
me voir au bar. Elle m’a reconnu sans
protocole. Elle était la même seulement plus
grande et plus en chair. Sa taille avait doublée
presque, sa poitrine avait pris de l’ampleur
ainsi que tout son corps. Je me sui levé en la
voyant. L’émotion était vive. Nous avons
marché l’un vers l’autre et une étreinte
éternelle nous a offert en spectacle à tous les
regards présents.

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Elle était plus charmante, plus
séduisante. Maquillée parfaitement, le body et
la jupe mini qu’elle avait mis faisait d’elle
une actrice de cinéma. Tous les regards nous
avaient en spectacle.

Nous nous sommes installés pour dîner.


Elle était heureuse de me revoir.

- Tu es toujours le même. Tu m’as


tellement manqué. Il est difficile
pour moi de vivre loin de toi, mais…

- Mais… ? lui demandai-je

- Je suis fiancée, répondit-elle.

- Je vois…

- Et toi, ne me dis pas que tu n’as


personne ?

- Pour moi, c’est un peu compliqué…


mais, ce n’est pas trop important…

- Ah bon ? Eh ben, moi aussi… j’ai du


mal à vivre clairement ma relation
parce que tu hantes mes nuits

- Je serais un fantôme, dis-je en


riant…

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Nous avons éclaté de rire. Le bonheur
des retrouvailles était présent. Si j’avais
voulu, j’aurais pu reconquérir facilement
Anita. Mais, en plus de son charme, de
fortune, elle n’était plus la même, elle avait
perdu tout ce que j’avais aimé en elle. Elle
avait perdu sa naïveté. Elle n’était plus aussi
belle qu’à quinze ans.

Depuis qu’elle a traversé l’orée de


l’adolescence, le temps n’a cessé d’évanouir
dans son flot ravageur tout ce que j’avais
aimé chez cette adolescente. Tout paraissait
nouveau et étranger à mes yeux. Elle avait
quitté le pays. Et après plus de dix ans y était
revenue. J’avais perdu ma lolita. Anita, je ne
voulais plus d’elle. Elle était plus adulte, plus
mature. Je la préférais immature, naïve, avec
des réactions naturelles et spontanées.

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À cette époque, nous aimions,
ensemble, regarder le temps se dérober, Anita
et moi. Il y’avait, pour moi, quelque chose de
fascinant dans la compagnie de cette
adolescente, quelque chose d’immaculé, de
pur, quelque chose de majestueux, de
seigneurial dans la proximité avec elle, une
étrange sensation de bien-être que l’on
ressent profondément dans l’âme et qu’il est
difficile d’extérioriser, d’exprimer clairement,
un sentiment étranger qu’aucune autre femme
ne m’avait inspiré avant elle. Cet amour
précoce a fait de moi, en plus d’être un
rêveur, un écriveur.

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Je tenais un journal secret. J’y couchais
mes peines et plantais mes joies comme des
piqués. Anita eut l’honneur d’être la première
femme pour qui j’ai écrit ; moi, fier d’être le
peintre pour qui elle a posé son cœur nu la
première fois. J’étais en classe de Quatrième
et elle en Sixième. Je devais avoir treize ou
quatorze ans et elle deux de moins. Nous
nous aimions d’un amour contesté par sa
famille. Ses grands frères ne voulaient pas
nous voir ensemble. Et nous, encore
adolescents et naïfs, qui croyions qu’ils
étaient jaloux parce qu’ils n’avaient pas la
chance d’être heureux comme nous ! Bien
plus tard, j’ai compris qu’ils avaient peut-être
raison, nous étions trop jeunes pour connaître
l’amour.

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J’écrivais tous ce que je vivais avec
Anita dans mon cahier secret. Lorsque je
partais en vacance à la capitale – nous étions
à Issia, une petite ville du centre-ouest de la
Côte d’Ivoire – je lui adressais toujours une
lettre comportant au minimum cinq pages A4.
J’ai toujours aimé tenir la plume, comprenez
donc ! Je me disais qu’il fallait lui laisser des
mots sur un papier, portant mon odeur et ma
présence, qui lui permettent de supporter la
distance vue que nous n’avions pas de
téléphones. Et elle en retour prenait les
vacances comme une écritoire pour rédiger
une réponse en attendant mon retour. J’en ris
encore aujourd’hui, de cette folie ! Cette
douce folie, sorte de veulerie, mêlée au suc de
la rêverie n’a jamais quitté mes veines. J’ai
encore en mémoire cette lettre que j’ai écrit
des années après notre séparation et qui gît
encore dans mon tiroir.

Anita,

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Je ne me lasse de lire et relire nos petites
conversations. Celles qui couraient sur nos
lèvres avec des flux nectarifères. Des mots
doux comme le premier baiser. Des
expressions d’une tendresse indicible tel un
soleil au couché. Je ne me lasse de nous
relire. Et sur mon visage, un sourire
tranquille vient prononcer la quiétude de ma
rêverie. Je ne me lasserai, Anita, de repasser
sur l’écran de ma mémoire cette phrase que
tu m’as dite un soir : « J'ai envie de t'enlacer,
de t'embrasser, te caresser... Revivre le passé
dans un présent agréable ». Et moi, j’avais
rétorqué : « tu es poétesse, Anita ! Mieux que
moi-même. Je ne suis qu’un amateur devant
la beauté enivrante de ton encre. ». J’ai coulé
des larmes lorsque ta réponse m’est
parvenue, brisée quelque peu par la distance
et surtout par l’excès de sensibilité dans ta
voix : « Sans toi, jamais je n’aurais pu
ébaucher le moindre mot dans ce sens. Tu as
l’art de la tendresse et tu m’as inoculé le
virus de la poésie. Je t’aime à en mourir…
Dis-moi, Abdy, Qu'est ce qui n'a pas marché
entre nous ? ». « C’est la vie qui a placé une
césure entre nous afin que notre alexandrin
ne sonne pas faux…», ai-je répondu.
Cependant, j’ai été incapable, comme
Orphée, de contenir mes émotions lorsque tu
m’as posé cette question : « Tu penses qu’on
pourra récupérer tout ce temps-là ? ».

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Je me souviens, ce soir où sur ma
poitrine tu déversas toutes les larmes de ton
corps. C’était le dernier soir ! Et ces larmes
de joies que tu n’arrivais pas à contenir
avaient immergé mes rétines, le temps de vie
d’un éphémère. J’ai pleuré aussi, Bijou. Mais
pas comme toi ! Mes larmes ont coulé à
l’intérieur si bien qu’elles me sortaient par
les pores. Ce n’était pas la sueur que tu
voyais. Nous étions dehors bercés par la
suave brise de la nuit. Tout était beau. Le ciel
encore plus ! Une constellation comme une
poussière d’or habillait l’azur de sa belle
robe vermeille. Ce soir-là, les dieux de
l’amour aussi avaient pleuré devant leur
écran. Ils semblaient regarder le dernier acte
d’un amour sincère comme dans un feuilleton
brésilien.

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Anita, c’est avec toi que j’ai connu
l’écriture. Tu as été celle qui a scellé mon
sort d’écrivain, celle pour qui ma plume
s’illustrait dans de longues tirades pour
traduire de longues minutes allègres et des
heures interminables de bonheurs. Si je ne
t’avais connu, je serais peut-être atteint de
dyslexie, confiné dans la geôle de la timidité
loin d’une plume pour transcrire toutes ces
paroles que ma bouche ne peut accoucher.
Anita, moi c’est toi ! Je me dois de le
reconnaître et de te gratifier d’avoir fait de
moi un poète.

J’espère te revoir un jour et surtout,


comme tu l’as dit, Revivre le passé dans un
présent agréable afin que l’avenir soit
serein…

Ton Poète-Nostalgique

II
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Lorsque la technologie nous est
parvenue et que j’ai appris que je pouvais
faire de mes textes des livres, l’on m’a appris
qu’il me fallait une machine à écrire. J’étais
déjà venu à Abidjan. Anita et moi après
quatre années passés ensemble, avons connu
le déchirement de la séparation. En venant à
la capitale pour reprendre la Classe de
Terminale, je n’ai pas eu le courage
d’emporter avec moi le fameux carnet
d’Anita dans lequel j’avais arrêté d’écrire, il
y’avait beau temps. J’avais d’autres textes
d’autres amours. Alors, je me suis lié d’amitié
avec un cybercafé ou je passais le clair de
mon temps à dactylographier mes notes
manuscrites.

J’avais créé un dossier dans un des


ordinateurs du cybercafé ou je conservais mes
textes. Et un matin, le gérant m’a appris qu’il
avait dû changer le disque dur de cette
machine puisqu’il avait été infecté par des
virus, irrécupérable par conséquent. Je n’ai
pas besoin de vous dire le degré de déception
qui ondoyait en mon cœur.

L’écriture a toujours été ma vie. J’avais


toujours rêvé d’exercer en tant qu’écrivain.

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Quelle folie ! Et tout ce que j’avais comme
écrit, près de deux cent différents fichiers
contenant des pages Word où logeaient mes
textes, s’était volatilisé avec le disque. Le
navire de mon rêve venait de prendre l’eau
pour la première fois.

Je n’avais pas les moyens de m’acheter


une clé USB. Je ne pouvais pas non plus
demander de l’argent à mes parents qui déjà
payaient ma scolarité et surtout parce qu’ils
en avaient après moi. La raison ? Aimée !
C’est elle la raison. Elle était enceinte. De
qui ? De moi, bien sûr ! Je n’avais donc pas
droit à la parole. Il n’y avait aucun recours
pour m’octroyer la moindre part de parole car
non seulement je reprenais ma classe de
Terminale et en plus je revenais avec une
grossesse sur le dos…

En vérité, pour tout vous dire, j’ai fait


trois fois la classe de Terminal étant toujours
parmi les trois Premiers sinon le Premier,
parce que parfois l’on calculait les moyennes
avec un prof en classe, j’avais les plus fortes
notes et dans mon bulletin, je pouvais
constater que deux ou trois personnes
passaient avant moi. La magie de la
corruption !

A Abidjan, je venais m’assoir en classe


de Terminale pour la troisième fois, donc. Ma

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mère m’avait supplié de reprendre. Moi, je ne
voulais pas. Je n’arrivais pas à comprendre
que j’échouais aux examens si faciles. J’avais
décidé de faire plaisir à maman en souffrant
le martyr une fois de plus. Mais avant,
Aimée, ma petite amie - l’amie de Christelle
qui elle avait été aussi ma petite amie - était
enceinte de moi. Vous ne comprenez pas trop
ce charabia ? Avançons, ce n’est pas tout
qu’on comprend aux premiers abords...

Aimée était donc enceinte. Nous


résidions dans un quartier que les communes
de Yopougon et d’Attécoubé se disputent :
Abobo Doumé. Je fréquentais le groupe
scolaire St Cyr. Aimée était enceinte et
jalouse d’un sentiment maladif. Imaginez,
moi un être réservé qui aime à passer
inaperçu, Aimée avait fait de moi la star du
quartier. A six mois de grossesse, ma
compagne s’était battue avec l’une de ses
amies du quartier qui lui avait fait simplement
une remarque : « tu as de la chance d’avoir un
homme calme ». Juste ça, je vous le jure ! Je
suis rentré de l’école et devant la cours
grouillait un monde fou, je me disais que les
voisins se battaient encore, c’était leurs passe-
temps. A ma grande surprise, c’est Aimée que
je voyais se débattre de toutes ses forces. Cela
m’a rendu fou. Je n’étais pas en paix. Je
souffrais d’être encore en Terminale à dix-

26
neuf ans et surtout je souffrais de la jalousie
exagérée de mon amie.

Aimée s’était donnée en spectacle


martial avec presque toutes les filles du
quartier. Alors que je n’en connaissais
aucune ! Vous savez le comble ? La seule
fille qu’Aimée considérait comme une amie -
et qui venait déjeuner quand ma compagne
cuisinait parce qu’elle avait quelque difficulté
et que je lui avais permis de venir chez nous
souvent -, ma voisine de classe, était
amoureuse de moi. L’ennemi n’est jamais
loin ! Ma fameuse compagne ne l’a jamais
sue. Mais, je n’ai pas couché avec elle, j’avais
trop de problèmes pour en rajouter…

J’étais le meilleur des élèves de


Terminale des deux communes, j’avais
quinze de moyenne en classe. Figurez-vous
que j’ai été le seul admis de ma classe et que
j’ai été repêché de justesse. J’ai eu les larmes
aux yeux en voyant mes notes. Je me
demandais bien ce qui se passait pour que
l’échec soit tant à mes trousses. J’étais
malheureux, aucun de mes amis n’avait été
admis. Djessy avec qui j’étais tout le temps
avait échoué aussi, bien sûr puisque nous
étions dans la même classe. Je ne pouvais
qu’être malheureux.

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J’étais tellement brillant que le fondateur
avait promis de prendre mon cursus supérieur
en charge puisque j’avais permis à son
établissement d’être un peu connu grâce aux
devoirs d’unité pédagogique que je
remportais avec brio. Après le Bac, le
fondateur a disparu, c’étaient des paroles en
l’air !

Maman me soutenait beaucoup, elle


payait la maison où je logeais avec Aimée.
Mais, il me fallait faire quelque chose pour
avoir de l’argent. Un ami m’avait proposé
d’être Disc Jockey puisque je m’y connaissais
un peu. J’ai accepté. Je partais loin, à
Markory, c’est là-bas que se trouvait le
maquis où je devais animer. J’empruntais le
bateau bus à Abobo Doumé pour Treichville,
ensuite je marchais longuement dans cette
commune qui m’a vu naître pour arriver à
Markory remblai. Le Chocolaté s’y trouvait,
le maquis où je travaillais. J’étais payé à mille
cinq cent francs la nuit et plus si ma sélection
musicale ou mes atalakus1 plaisaient à un
client. Il me fallait être à l’arrêt de Bus à 5
heures du matin pour attendre le bus numéro
11 qui m’enverrait à la Gare du Nord où je
pourrais emprunter un autre bus pour aller au

1
Atalaku  : argot ivoirien signifiant Chant laudatif

28
cours. J’ai pratiqué cette vie durant plusieurs
mois.

Aimée a accouché le Premier Mai dans


une clinique située dans la commune
d’Abobo ou maman travaillait. Ce jour là
maman m’avait demandé d’accompagner
mon amie puisqu’elle n’était pas de garde.
Maman nous y a rejoints plus tard. Alors, je
suis retourné à la maison puisque j’avais
cours le lendemain. Elles y ont passé la nuit,
c’est au petit matin que les contractions se
sont prononcées. Il y avait deux jeunes sages-
femmes de permanence. Maman est donc
partie tôt à la banque pour retirer un peu
d’argent.

Aimée a souffert. Les sages-femmes


l’avaient abandonnée à son sort parce que
selon elles la jeune fille était paresseuse, elle
ne ménageait aucun effort pour accoucher.
Aimée n’avait que seize ans ! Comment
pouvait-on demander à une fille de son âge
d’avoir l’expérience d’une mère de quarante
ans ? Comment pouvait-on demander à la
substance la plus faible d’avoir la durabilité
du cuivre ?

Les gens n’ont pas tort quand ils disaient


que les sages-femmes de notre époque
pèchent par manque de conscience
professionnelle. De nombreuses personnes

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montrent du doigt le ministère de tutelle. On
estime que les formations sont mal faites.
C’est ridicule ! Comment peut-on innocenter
des jeunes filles qui, au lieu de se concentrer
lors de leurs stages, passent le temps avec
leurs Smartphones entrain de s’exhiber sur
Facebook ? On ne craint même de prendre en
photo des malades ou même des personnes
ayant perdu la vie juste pour une expo sur les
réseaux sociaux. Sincèrement, je pense que
les dirigeants nord-coréen ont un peu raison
de limiter l’accès à internet, peut-être s’y
prennent-il de la mauvaise des manières et
qu’il faut des séminaires chez nous pour
réfléchir à cela. Pardonnez-moi si vous
pensez que j’y vais un peu trop fort mais le
manque de professionnalisme des deux sages-
femmes m’a coûté beaucoup.

Maman, de retour et ayant constaté la


souffrance d’Aimée, a été obligé de vêtir sa
tenue pour aider la future mère à accoucher.
Ce qui s’est fait sans soucis. Mais, l’enfant
est né étouffé parce qu’il était venu bien après
l’heure prescrite. Maman avait dû le réanimer
et l’évacuer d’urgence au Centre Hospitalier
Universitaire de Treichville. C’est là-bas que
je les ai retrouvés. Après cinq jours, l’enfant à
qui j’avais prévu de donner mon prénom est
reparti d’où il était venu. La vie avait été trop
sévère avec lui dès les premières heures !

30
J’étais triste, Aimée encore plus. Cette
période nous a plus rapprochés. La mère de
l’enfant ne dormait pas. Elle passait le clair
du temps à pleurer. Je ne pouvais pas trouver
le sommeil dans cette atmosphère. Il fallait
soutenir mon amie. Elle n’avait que seize ans,
elle était mineure et je l’avais plongé dans
tous ces problèmes. Peut-être que ses parents
devaient me faire condamner pour ce délit,
délit d’avoir aimé Aimée un peu trop tôt !

Je me souviens encore d’une nuit qui


reste gravé en moi. Il pleuvait, après près de
sept jours sans sommeil, je n’avais pu
m’arracher des bras de Morphée, mon amie
commençait à retrouver ses esprits aussi. Je
dormais et à un certain moment, j’ai senti un
vide autour de moi. Lorsque je me suis
réveillé, Aimée n’était pas là. J’ai allumé
précipitamment la lumière et j’ai vu ma
compagne recroquevillé dans un coin de la
maison le visage inondé de larmes.

Il pleuvait fort, elle pleurait aussi fort.


J’ai été trempé par les vagues de la douleur.
Tout était si froid, si glaçant, si glacial.
Aimée geignait, elle gémissant, elle
larmoyait, elle se lamentait. Il me fallait, dans
cette atmosphère hivernale, dénicher la clé de
l’été afin de créer un climat plus doux et plus
réconfortant pour celle que j’aimais. Je l’ai
prise dans mes bras jusqu’au matin. Je

31
n’oublierai jamais ce qu’elle m’a dit : « J’ai
perdu mon enfant, si je perds son père, je
serai perdue à jamais. ». Elle m’aimait tant !
La seule chose que j’ai trouvé à lui dire,
c’est : « Les enfants qui vont tôt deviennent
des anges pour veiller sur leur parents. Notre
Bébé ne permettra donc pas que ses parents
se séparent. »

Aimée, je l’avais aimée. Et même si elle


était maladivement jalouse, elle était adorable
et me démontrait son amour chaque jour.
Mais comme cet esprit qui lui avait révélé
que je serais admis au Bac, Aimée avait
prédit cette nuit-là la suite des événements.

Le temps est passé et notre amour est


parti sans que nous l’ayons décidé. J’ai perdu
Aimée et elle aussi m’a perdu. Le regret n’a
jamais quitté ma conscience jusqu’à ce jour.
Je l’avais mise enceinte, ce qui lui avait valu
le courroux de ses parents et l’interruption de
son cursus scolaire. Je devais l’épouser mais
la Vie en a décidé autrement.

32
III

J’étais malade, mordu par le virus de


l’écriture. Le temps passé avec Aimée était
lourd d’émotions. Il fallait écrire. Mais dans
le feu de l’action, je ne pouvais pas tenir la
plume, je souffrais peut être de la maladie de
parkinson. Je n’ai écrit que le jour de la
naissance de mon fils et le jour de son départ.
Le mois de Mai est particulier pour moi
surtout la première semaine. C’est une
période triste qu’il faut cocher sur la courbe
du temps. Je devais écrire sans craindre de
perdre les pseudo-privilèges du monde, je
devais écrire même si en cette période là le
temps me faisait défaut !

Mes nuits était partagées entre Aimée et


l’animation au maquis. Mes jours pris à
l’école, les week-ends je donnais des cours à
domicile. Je n’avais vraiment pas le temps
d’écrire. Mais, après mon admission au
Baccalauréat, les mots sont venus
spontanément, en rangs serrés, peupler mon

33
encre surtout lorsque j’ai rencontré
Natacha…

Ma première machine, c’est elle qui me


l’a offerte. Je la lui ai arrachée presque.
C’était la sienne. Elle me l’avait passée afin
que je puisse écrire même en pleine nuit. Car,
je dormais toujours avec un carnet et un stylo
à mon chevet. Cela me permettait d’écrire
lorsqu’une idée me traversait l’esprit la nuit
ou qu’un rêve timide s’invitait dans mon
antre.

J’ai toujours rêvé de devenir écrivain.


J’avais fait de ce rêve une profession de foi
jusqu’à ce que l’aube arrive et que je
découvre la lueur de la réalité. Contrairement
à certaines personnes, je n’ai jamais vraiment
eu d’idole. Aucun écrivain ne m’avait séduit
au point d’occuper une place importante dans
mon cœur, du moins de ceux que j’avais lus.

Amadou Koné m’a fait bonne


impression avec Les Frasques d’Ebinto.
J’avais en tête même les trois premières pages
de la fameuse lettre émouvante de Monique à
Ebinto : « Ebinto chéri, quand cette lettre te
parviendra, j’aurai mis à exécution la décision

34
la plus grave de ma vie…  ». J’aime ce texte
parce qu’il est écrit simplement et porte une
bonne dose de sensibilité. J’ai rangé Amadou
Koné lorsque j’ai rencontré John Steinbeck,
Gustave Flaubert, Émile Zola, Charles
Baudelaire… Les deux derniers m’ont
profondément marqué avec Cheick Hamidou
et Senghor plus tard.

Cependant, l’écrivain que je voulais,


celui à qui je rêvais, je ne l’ai pas connu,
alors j’ai décidé de l’inventer et de l’incarner.
Il est né dans mes rêveries, il devait avoir le
souffle de Zola, la sensibilité de Baudelaire et
la philosophie de Kane. Peut être était-il
caché quelque part mais, je ne le connaissais
pas et s’il existe je lui en voudrais de n’avoir
pas été présent au moment opportun pour
faire de moi un enfant comme les autres.
Tous avaient des modèles qui nourrissaient
leurs rêves mais moi j’avais des rêves
orphelins qu’il fallait noter dans un carnet à
chaque réveil pour ne pas perdre le fil de la
narration de ma vie.

Natacha est une femme avec un grand


cœur. Ma première machine, c’est elle qui me
l’a offerte, Jamais je n’aurais de cesse de le

35
dire. Depuis qu’elle m’avait prêté cette
machine, elle ne l’avait revu que parfois chez
moi. Je ne pouvais pas m’acheter une
machine avec les petits boulots que je faisais
ça et là. Cet argent me permettait de survivre.
Oui, je suis un survivant !

Mon oncle Soualou m’avait adopté,


comme son propre fils, au cœur de la guerre
qui faisait ravage. Je ne savais où partir, je
dormais dans le cyber que je gérais à cette
époque. On avait dû se séparer ma mère et
moi. Nous avions quitté notre maison parce
que la servante avait surpris les voisins
faisant une réunion où il était question de
s’attaquer à nous, de nous dépouiller et de
nous tuer dès que la guerre lancerait ses
premières flèches. J’avais dit à maman de ne
pas trop prendre en considération ce qu’avait
raconté la maitresse des commérages. Mais,
l’un des neveux du voisin – qui était le
propriétaire de la maison, le voisin – m’a
donné discrètement la nouvelle, bien des mois
après.

Il était étudiant comme moi. C’est à


l’université que je l’ai connu. Je lui avais
donné de l’argent un soir parce qu’il avait

36
perdu toutes ses affaires et ne savait pas
comment rentrer. Notre amitié avait ainsi
commencé. Il avait beaucoup de respect pour
moi et moi aussi. C’est lui qui m’a soufflé un
mot de la fameuse réunion. Je vivais avec ma
mère, mon frère et la servante. La servante
était partie après nous avoir donné l’info six
mois auparavant. C’est moi qui faisais le
marché et la cuisine, ma mère au travail et
mon frère lycéen. J’avais remplacé la
servante, et je faisais bien mon job.

Le neveu du propriétaire m’a parlé


quelques jours après les élections d’octobre.
Les esprits avaient commencé à s’échauffer.
Tous les jours l’on entendait des nouvelles
mauvaises. Nos radios, les matins, ne nous
réveillaient qu’avec les informations
déconcertantes des zones du pays où les
ivoiriens avaient commencé à s’entretuer.
Comme c’était triste ! C’était triste, je puis
vous l’assurer, très triste, triste de voir des
enfants d’un même pays s’entredéchirer,
triste de voir des êtres humains s’entretuer
comme des bêtes sauvages.

La vie avait perdu toute sa sacralité. La


vie n’avait plus de sens. C’était triste, et moi,

37
j’étais plus triste. Nos rêves se brisaient sur la
roche de l’animalité pour assouvir des soifs
de pouvoirs de quelque individu. J’ai toujours
pensé qu’au lieu que le peuple se batte pour
deux dirigeants qui aspirent à un fauteuil, il
est plus facile et beaucoup moins couteux de
mettre les deux protagonistes sur un ring et
permettre au vainqueur de prendre le fauteuil.
Cela peut paraitre un peu stupide, mais moins
que la mort de milliers d’innocents.

Entre-temps, j’avais trouvé auprès de


Cockson – gérant du cyber - un espace de
gestion du cyber où j’allais gribouiller mes
textes. Quand il devait s’absenter, il me
demandait de le remplacer. C’est ainsi que
lorsqu’il a été appelé à un autre boulot, je suis
devenu le gérant du cyber. Mon salaire fixé à
vingt mille francs le mois par Delphin, le
propriétaire, ne m’a jamais été remis après
plus de quatre mois de travail. Siaka, mon
ami, se plaignait sans cesse. Il trouvait que je
travaillais gratuitement. Mais, je ne voyais
pas l’importance de ne pas percevoir un
salaire puisque j’arrivais à déjeuner et surtout
que j’avais le temps d’écrire. Pour l’écriture,
j’étais prêt à tout et même à travailler comme

38
esclave. Je passais le clair de mon temps à
écrire des poèmes et quelques fois les récits
de mes aventures d’amour. Puéril !

La guerre s’était généralisée. Les


résultats des élections étaient contestés.
Laurent Gbagbo avait été proclamé vainqueur
par le conseil constitutionnel et Alassane
Ouattara par la CEI. C’était ridicule ! Il y
avait forcément quelque chose qui n’allait
pas. Deux résultats différents pour une seule
élection ! La communauté internationale a
reconnu le verdict de la CEI puisque c’est
l’organe chargé des résultats. Normal !
Toutefois, je sais que ce n’était pas seulement
pour cela. Cette fameuse communauté
internationale avait quelque chose à perdre
avec Gbagbo et il fallait certainement la
rattraper avec Alassane, qu’on appelait ADO,
des trois initiales de son nom, Alassane
Dramane Ouattara.

Pour la communauté internationale,


ADO signifie certainement Argent, Diamant
et Or. Il fallait compter avec lui pour
s’enrichir. Cet économiste de formation,
numéro 2 de la Banque mondiale connaît plus
le langage des comptes que LG, un pauvre

39
enseignant. Donald, un ami, m’avait dit que
les initiales de Laurent Gbagbo signifiaient
Life’s Good (La vie est belle) . J’en ai ri à
mourir ! Je perdais mon latin devant cette
ingéniosité des ivoiriens. En effet, la vie
semblait belle avec celui qu’on surnommait le
Woudy de Mama. Mais cette beauté là était
comparable à celle d’une fille de joie !
Analysez et déduisez-en ce qu’il y’a à
déduire ! Je ne fais pas de politique.
D’ailleurs, que gagne-t-on à donner nos
poitrines pour un tel ou un tel. Moi, je ne
pensais qu’à écrire. J’écoutais plutôt les
autres, ceux qui se passionnaient pour la
politique politicienne, qui défendaient corps
et âme leurs leaders, moi je ne songeais qu’à
écrire, rien que ça. Écrire !

Maman avait dû partir précipitamment


avec mon petit frère chez ma sœur cadette.
Celle-ci vivait avec son mari dans une maison
de deux pièces. J’avais dit à maman de partir
et que je débrouillerais. Je ne pouvais pas
aller rester là-bas. En plus, ce qui a motivé
mon refus de partir, c’était le cyber, ce
fameux cyber où on ne me payait pas.
Lorsque maman a libéré la maison, j’avais

40
pris juste mon petit sac à dos ou j’avais
enfoui ma brosse à dent, un pantalon, deux t-
shirt, des livres et mon carnet de notes. J’ai
passé plusieurs nuits dans le cyber avant que
Siaka ne s’en aperçoive. Alors, il m’a proposé
à son père Soualou qui m’a ouvert ses bras.

J’ai toujours été le premier fils de


Soualou. Il n’a jamais fait de différence entre
ses enfants et moi. Eux qui m’ont toujours
consulté avant de faire quoi que ce soit.
J’étais sans emploi, un étudiant sans argent
que la guerre avait obligé à abandonner la fac.
Après presque deux années chez mon oncle,
il m’a trouvé un boulot de commis dans
l’entreprise où il exerçait.

Avoir du travail m’a transformé. J’étais


devenu subitement plus beau. Les femmes
m’accouraient. Mais j’étais fidèle. J’avais
commis l’erreur de tomber amoureux de
Mélina. Elle m’en a montré de toutes les
couleurs. Je lui avais pourtant offert mon
cœur sans retenu. Elle avait jugé bon
d’accorder ses faveurs à tous ceux qui en
faisaient la demande. Et cela m’a détruit.
Pour l’oublier, je ne me faisais pas prier pour
répondre aux innombrables demandes des

41
femmes à qui je plaisais. Je n’étais pas
heureux en dépit de tout cela. Elle a fait de
moi un poète amer. Au moins j’écrivais,
c’était la seule chose que je ne rechignais
jamais à faire. Je trouvais surtout le temps de
décrire les nuages qui couvraient le
firmament de mon cœur…

42
IV

Avec l’âge qui graduait l’échelle du


temps, les errements sentimentaux de mon
âme, désignés comme des erreurs par mon
ami Siaka, dans mon commerce amoureux
avec les femmes commençait sincèrement à
me lasser, moi même. Mais que peut-on faire
lorsqu’Aimer devient amer ? Mélina m’avait
fait détester l’amour. Mon cœur s’était
cambré en une pente qui laissait glisser les
sentiments dans le gouffre de l’oubli. Quand
une femme repartait de chez moi, je refermais
la porte à double tour : l’un pour
accompagner ma conquête et l’autre pour lui
dire adieu. J’avais dû laisser une note sombre
à une femme qui aspirait à se marier avec
moi.

43
Chère amie

 Pardonnez-moi cette impuissance à ne


pouvoir affronter votre regard et surtout à ne
pouvoir consentir au commerce amoureux que
votre grand cœur me propose. Une telle
relation risquerait de mettre en péril la bonne
marche de notre collaboration. Et même en
m'attachant à vous, je ne saurai répondre de
cette équation de cœur puisque dans ma
poitrine, il ne vogue qu’ondes de vacuité. Vous
êtes trop bonne pour moi, je suis fait de
souffrance. J'aime à flirter avec la solitude.
Vous savez, Aimer est un bien fastidieux
substantif qui, pour moi, n’a plus de sens,
dépourvu de son essence, de sa substance, un
met insipide qui a perdu de sa flaveur à la
faveur du dégoût, un verbe insidieux aux
allures fallacieuses et perfides qui promet d’un
sophisme écœurant le bonheur. Aimer, chère
amie, a perdu une voyelle, probablement celle
qui fonde la phonétique agréable de sa
première syllabe, Aimer est devenu Amer.

J’ai aimé, du moins il m’a semblé ressentir


un sentiment semblable, une espèce de

44
dépendance, à un certain moment de mon
existence. Mais, de cet amour que je croyais
éternel, source de bonheur, j’ai vu surgir les
sigles affreux du chagrin. L’ange du malheur
est venu à moi avec son sabre et cette arme là,
je la porte dans mon carquois si bien que je
l’enfonce dans le coeur de toutes celles qui
osent franchir l’orée de mon intimité…

Vous méritez d’être heureuse. Je ne suis


pas à mesure de vous le garantir.

Il m’avait suffi d’ouvrir la bouche, un


simple bonjour, un regard m’offrait en
volupté à toutes les femmes. Le comble, c’est
que la Nature m’a doté d’une certaine facilité
à aborder, à discuter avec les gens, à me faire
des amis, à bénéficier de la confiance, à
m’intégrer. Cette prédisposition naturelle, que
mes amis appréciaient – ils disaient tous rêver
d’avoir mon aura et ma faciliter d’intégration
-, m’exaspérait parfois quand j’étais avec les
femmes. J’inventais une timidité pour glisser

45
entre leurs mains, ma foi, si sensuelles.
Toutes me voulaient.

Il m’arrivait parfois de fixer un rendez


et de l’oublier parce qu’étant emballer dans
un autre improvisé ou même pour la plupart
du temps dans un imbroglio. J’aimais aimer
pour parler comme un philosophe. Mais à
vrai dire, ce penchant n’était point de mon
fait, il m’était favoriser par mon amour pour
la poésie, ma trop forte sensibilité, aussi par
toutes ces femmes qui m’entouraient et aussi
celles qui m’accouraient même quand je ne
draguais pas.

Le nombre de femmes prudes de nos


jours est quasi-nul. Elles sont prêtes à s’offrir
au plus généreux financièrement, et même les
petites mises trouvent preneuses. Le corps des
belles femmes est devenu, malheureusement
– pour la morale – ou heureusement – pour
certains -, une denrée. La vertu n’a plus
aucun sens et lorsque l’on aspire à se ranger,
les meubles de rangement font défaut. Les
femmes de notre ère n’hésitent guère à
convenir d’un accord amoureux sans même
laisser le soin à leur esprit d’en passer le
moindre mot au crible de la raison critique. Il

46
m’est arrivé une infinité de fois de me
demander si un jour je me marierais. Toutes
les femmes que je rencontrais comportaient
dans leurs gènes une certaine légèreté de
mœurs. Je n’étais pas moins léger pour
autant.

Pour vous faire une confidence, je ne


croyais plus en l’amour. Mais, je puis vous
assurer que j’ai vite changé d’avis lorsqu’est
venue dans ma vie celle qui m’a offert ma
première machine à écrire. C’est la seule
femme qui ne m’a accordé aucun regard
quand on s’est rencontré et même quand je
l’ai interpelé, ou du moins qui m’a offert une
attention qu’elle accorde à tout le monde. J’ai
trouvé cela insultant. Je me suis juré de la
tomber d’un coup de machette comme un
régime de bananes plantains plein de fruits. Il
ne m’a fallu que très peu de temps pour
obtenir son numéro de téléphone et même les
faveurs de son sourire. Ce n’était pas un
prestige puisque c’était une femme célèbre.

Pour comprendre le mode de


fonctionnement de cette déesse entourée d’un
sourire mystérieux, figurez-vous que j’ai
acheté un livre, qui traite de la question des

47
femmes. Le titre ? Qu’est-ce qu’une femme ?
Trois auteurs, dont Denis Diderot, Antoine
Léonard Thomas et Louise d’Epinay, se sont
attelés à définir la Femme - non sans nous
laisser sur notre fin - dans un débat houleux
sous la direction d’Elisabeth Badinter. On a
apprend beaucoup mais en même temps on se
rend compte qu’il n’ya rien de nouveau.

Natacha était écrivaine, auteur d’une


bonne dizaine de livres. Plein de fans à son
actif ! C’était une star. Lorsque j’assistais à
ses séances de dédicaces et à ses conférences,
- elle était psychologue aussi – je me
surprenais toujours à la dévorer des yeux. La
vie littéraire est un autre monde plus
chatoyant que j’ai découvert avec cette
femme. En réalité, ce qui m’intéressait
lorsque j’allais à ses conférences, ce n’était
pas tellement ses livres. J’étais plus attiré par
celle qui faisait de ses livres, par son charme
et son intelligence, des objets de séduction. Il
me fallait séduire cette magicienne littéraire.

Lorsqu’elle j’ai su qu’elle était


psychologue, j’ai compris qu’il me serait
difficile d’avoir les faveurs de son cœur. Elle
saurait déjà mes intentions sans doute et les

48
devinerait peut être à chaque fois que je
voudrais lui parler. La tâche me paraissait
moins facile. En plus, je n’étais pas si bon
dragueur puisque la majorité des femmes que
j’avais connue s’est offerte à moi de son
propre chef. Les rares créatures à qui j’avais
conté fleurette étaient d’un niveau moins
élevé que celui de l’écrivaine même si
quelques unes résidaient dans des immeubles
résidentiels. Natacha avait un niveau de
langue au dessus de la moyenne. Pour être
écrivain, romancière de surcroit, il faut avoir
un sens d’imagination débordant et un
minimum de lexique chatoyant.

49
V

Ce qu’il ya de merveilleux dans


l’écriture, c’est l’acte solitaire. La baie du
silence dans laquelle l’on plonge. Ce dialogue
en soi, entre soi et soi-même. Ces voix
intérieures qui aident à plonger le calame
dans l’encre…Le plus sublime, c’est cette
divinisation de l’écrivain.

L’écrivain est comparable à Dieu. Le


premier, à l’image du Second, s’approprie le
pouvoir de la création. Il se donne les moyens
de mettre en place un univers. En partant d’un
big-bang, l’écrivain arrive à trouver les
pierres et les matériaux nécessaires à la
formation de ses planètes. Il recrée le monde
selon ses aspirations. Et cet exercice est
passionnant. Car chaque lettre déposée porte

50
une histoire, une vie, une interprétation au-
delà même de l’imagination de celui qui écrit.
C’est là que la distinction entre Dieu et
l’écrivain se clarifie. Le dernier,
contrairement au Premier, n’est plus maître
de son œuvre lorsqu’elle sort de lui. Il est
incapable de prédire sa portée. Toutefois, il
éprouve toujours de la joie même quand la
foule pose un regard noir sur ses lignes. Car,
c’est bien la preuve qu’il est lu. Et cela doit
lui ouvrir les portes de la perfection. Mais si
les critiques sont acerbes et violentes et que
l’écrivain n’est pas assez fort, cette mission
solitaire, qu’est l’acte d’écrire, devient le
tremplin d’un autisme ou d’une pathologie
mortelle…

Natacha connaissait pour la


première fois cette phase noire. Son dernier
livre apprécié en général par la critique avait
été chargé par Rikou Fall, un critique
sénégalais résidant à Dakar. Lorsque la
journaliste ivoirienne lui a demandé ce qu’il
pensait de Natacha qui fait la fierté du
continent, Rikou a répondu ceci : « Je ne
saurais applaudir les livres de cette femmes
surtout le dernier dont le succès repose sur une
largesse exagérée de nos collègues ivoiriens. ».

51
Natacha était déprimée. Elle avait même
annulé la causerie-débat organisée pour
célébrer ce livre. Elle ne voulait pas de
désagrément surtout que le fameux critique
sénégalais était encore en Terre d’Ivoire.

J’avais pu me rapprocher de l’écrivaine


lors d’une de ses dédicaces, je m’étais
présenté comme un écrivain en herbe qui
avait besoin d’assistance, et pour l’écriture et
pour la vie sentimentale. Elle m’avait ouvert
le chemin de ses appartements.

J’ai profité de cette situation pour me


rapprocher plus de l’écrivaine. On était déjà
un peu proche puisqu’elle m’aidait parfois à
corriger mes textes. Ce jour-là, la
psychologue était dans une mélancolie sans
nom. Elle vivait seule. Nous sommes allés à
son domicile, nous avions une séance de
travail. Elle m’a signifié qu’elle entendait
parfois des gens murmuré mais que personne
n’avait jamais osé parler ainsi de son livre à
la Télévision nationale. Je lui ai rétorqué que
la vie ne pouvait pas être totalement rose et

52
qu’il fallait accepter les tâches noires et aller
de l’avant.

Nous avons passé de longues minutes à


discuter sans faire attention au temps qui
courait au galop. Il était déjà 2 heures du
matin, j’ai souhaité partir, elle m’a demandé
de rester et qu’il était risqué à cette heure de
quitter Assinie pour Yopougon. Mon cœur ne
pouvait que consentir. Elle m’a installé dans
la chambre des invités. Je lui avais dit que
j’avais besoin d’une machine pour écrire car
je n’étais pas sûr de pouvoir dormir. Elle me
l’a accordée. Lorsqu’elle s’est éveillée à six
heures, j’étais encore à écrire. Elle était
étonnée et m’a affirmé que je pouvais partir
avec l’ordinateur le temps de finir mon récit.
Ensuite, elle m’a raccompagné puisqu’elle
était véhiculée, après m’avoir comblé d’un
petit déjeuné copieux.

Natacha était une femme magnifique,


toujours souriante, gracieuse et bien faite à la
silhouette confectionnée avec amour. Elle

53
dégageait une attirance irrésistible. D’une
beauté majestueuse, sa vue était un remède
contre la mauvaise humeur. De toutes les
femmes que j’ai connues ou même que je ne
connais, cette femme djimini2 était de loin la
plus agréable à l’exercice du regard.
Intelligente et pleine de vie, cette brillante
femme de lettre montrait le caractère de sa
beauté tant dans sa physionomie que dans ses
traits. Devant elle, les autres étaient moins
des femmes ou si elles étaient femmes,
Natacha était déesse.

Natacha était une femme d’un certain


temps qui faisait penser à un autre âge.
J’aurais juré qu’elle et moi étions de la même
époque à seulement quelques soleils
d’intervalle. Lorsque j’ai lu sa biographie sur
la quatrième de couverture de l’un de ses
livres et que j’ai vu mentionné son âge, j’ai
été frappé par une stupeur inexplicable. Elle
avait un lustre de plus que moi mais cela ne
pourrait se voir qu’au microscope. C’était une
femme bien conservée. Mon Dieu ! Elle avait
sans doute un secret qui la maintenait dans

2
Djimini : peuple du nord de la Côte d’Ivoire

54
cette état de rayonnement et de ravissement
divin, peut être avait-elle un philtre – une eau
de jouvence. Elle portait la verdeur de ses
quarante ans comme la verdure de la flore au
sourire du printemps.

En plus, elle était généreuse. Ma


première machine à écrire, c’est elle qui me
l’a offerte, je l’ai déjà dit. Elle est
certainement d’une de ces familles altruistes,
ces bonnes gens capables de s’affamer pour
honorer l’hôte, de se dévêtir sans se
déculotter pour offrir des vêtements et un
logis décents. Natacha, sans l’ombre d’un
doute, est l’une de ces belles âmes faites de
belles amours aussi brillantes que
chaleureuses capables de sacrifices
inimaginables pour venir en aide. Cette
espèce de personnes-là, j’en avais lu les
grands traits dans le caractère de la
psychologue lorsque j’ai commencé à la
fréquenter.

55
VI

56
J’avais sollicité auprès d’elle un rendez-
vous pour lui exposer une question qui me
tracassait. Et puisqu’elle était psychologue,
c’est avec un sourire honorable qu’elle a
accédé à ma requête. Lorsqu’elle m’a reçu
dans son cabinet de la campagne à quelques
encablures d’Abidjan, j’ai été envahi de
ravissement. Elle m’a paru plus belle, plus
brillante dans ce costume tailleur. Quand elle
est femme de lettres, elle est plus
décontractée, au cabinet, une tenue plus
responsable. Dans tous les cas, cette femme
qui me faisait de l’effet, était toujours plus
magique quand je la voyais.

Avant de lui laisser le temps de parler, je


lui avais posé une question déplacée que je ne
pus m’empêcher de sortir, tant fasciné par sa
présence. « Je ne vois pas d’ornement à votre
annulaire, vous l’avez perdu ? Excusez mon
impertinence madame, je ne suis pas parvenu
à comprendre qu’une si belle femme ne soit
pas mariée surtout à cette âge. Ne le prenez
pas mal, madame, vous êtes d’une beauté qui
trouble ma sérénité ». Par son soupir et son
sourire affichant de la gêne, j’ai réalisé que je

57
m’étais comporté comme un gamin. Mais
cette dame savait gérer ce genre de problème.
Elle ne m’a point fait de reproche et a plutôt
répondu d’une façon professionnelle en
esquivant la balle que je lui avais envoyée.

- Merci pour le compliment. Tu feras


certainement un bon poète ! Quelle
amabilité ! En réalité, ici c’est moi qui pose
toujours les questions, pour comprendre le
fonctionnement des gens, et trouver avec eux,
de quelque façon, le moyen de solutionner
leurs soucis. Votre question n’est pas
mauvaise, elle me démontre qu’avec vous, le
futur écrivain, je devrais de temps à autres me
soumettre moi-même à mon propre exercice
et ce n’est pas tant mauvais quand on peut se
saisir par le miroir d’autrui.

Ces propos m’ont démontré à quel point


cette femme était mature et à quel point
j’aurais du pain sur la planche si je pousse
plus loin mon désir de la découvrir sous
d’autres cieux. J’avais à faire attention à mon
verbe pour ne pas briser mon rêve de devenir
écrivain. La première des choses qui m’a
rassuré, c’est que cette créature est faite du
taillis de l’agréabilité. Je pourrais la

58
soumettre à d’autres questions sans risquer de
me faire rabrouer.

Pour cette première chose connues et à


mon avantage, et puisque je n’avais point
vraiment besoin de psychologue et que j’étais
allé à elle pour elle et non pour moi, je
pouvais trouver dans cette porte entrouverte
le moyen de deviner ce que cachait cette belle
âme. J’ai repris la parole où elle l’avait posée.

- Waouh ! Quel professionnalisme ! Et


dire que j’ai pensé un instant que je me ferais
virer comme un malpropre pour cette
interrogation déplacée. Permettez-moi
aujourd’hui pour cette séance de poser
quelques questions qui puissent m’aider aussi
lorsque je serai avec mon calame face à mon
ardoise. Notre entretien pourrait m’inspirer
un texte que je vous soumettrai, bien sûr.
Votre avis est d’or !

- Je vous en prie, faites comme chez


vous. Voulez-vous du café ? A-t’elle rétorqué
en passant la main dans les cheveux.

Je me suis souvenu, du coup, que dans


l’un des nombreux cours de psychologie sur

59
le langage corporel que j’avais téléchargé
pour savoir me tenir devant elle, j’ai vu que
passer les mains dans les cheveux démontre
que l’interlocuteur est un peu embarrassé. Je
venais donc de marquer un point. Alors, plus
tranquillement, pour être plus à l’aise comme
dit le Docteur Maestro, dont j’ai téléchargé
tous les cours sur la psychologie
comportementale des femmes, j’ai accepté le
café et me suis proposé volontiers de l’aider à
cette tâche.

La psychologue a été fort surprise de


mon aisance. Aussi m’a-t’elle dit : « Tu as
une telle facilité d’intégration ! C’est la
preuve que tu es quelqu’un d’assez ouvert et
altruiste mais aussi qui peut se laisser
facilement avoir… ».

- Oh ! Madame, ai-je fait d’un air


d’étonnement, je ne me suis certainement pas
trompé en vous choisissant comme modèle.
Je ne vous ai encore rien dit de ma vie mais
déjà vous en ressortez les traits saillants. 

Bien qu’elle ait décliné mon offre d’aide


pour le café, j’ai insisté. La machine à café
était posée dans la cuisine. Je l’y ai rejoint et

60
ai pris mon café moi-même après qu’elle ait
actionné la machine. Jamais je ne mettais
retrouvé dans une telle proximité avec elle.
Son parfum était si doux, ses lèvres si
appétissantes. Elle remplissait la réserve
d’eau de la machine tandis que je la dévorais
des yeux. Elle a fini et m’a surpris dans mon
indiscrétion sans que je ne puisse bouger. Elle
a compris bien vite que dans mon inconscient
un désir qui n’osait pas venir à la censure
savait déjà, quels que soient ses camouflages,
qu’il serait refoulé.

- Après vous, a-t-elle dit pour me tirer de


ma rêverie.

- Oh toutes mes excuses madame, vous


êtes si mystérieuse. Peut être est-ce un péché
bien grave que de regarder la femme d’autrui
et c’est certainement l’une des questions que
je vous avais posé en la reformulant d’une
façon peut être moins flagrante.

- Ah ! Vous me draguer ? Vous draguer


la personne qui doit être votre guide dans le
milieu littéraire ? Vous êtes courageux ou
dois-je dire trop audacieux ? Dit-elle en riant,
avant de poursuivre, la réponse à cette

61
question pourrait vous faire peur. Je vous la
dirai puisque vous y tenez et tant pis si elle
vous repousse car au moins la distance
nécessaire pour une bonne relation maître-
élève sera respectée…enfin, j’espère, précisa-
t-elle en souriant cette fois.

- Quelle que soit la réponse, madame,


dites-la moi. Pardonnez mon impertinence,
j’ai de l’admiration pour vous, Madame.

Elle s’est installée dans son fauteuil, a


respiré assez visiblement pour dégager du gaz
carbonique et à accouché de ceci :

- Je suis veuve. 

- Oh mon Dieu ! Je vous demande


pardon d’avoir éveillé cette douleur. Toutes
mes excuses madame.

- Souleymane qui est décédé, il ya trois


mois est mon troisième époux qui part pour le
voyage sans retour, m’a-t-elle fait remarqué.
J’ai dû déménager trois fois et couper certains
liens pour échapper à certains regards hostiles
qui me traitent de femme de malheur. Je
serais la malchance incarnée et que tous les

62
hommes qui m’épousent mourraient, c’est ce
qui expliquerait ma réussite sociale et surtout
littéraire. Même si vous ne m’aviez pas
demandez, je vous l’aurais dit un jour ou
l’autre afin que tout soit clair… vous savez
tout ou presque maintenant…

63
VII

Cela faisait déjà trois mois que


j’arpentais les sillons de la campagne menant
au cabinet de Natacha, trois mois que je me
rendais fréquemment dans la sublime
demeure de la sublime femme de lettre. Son
cabinet se situait dans l’arrière cours de son
appartement au cœur d’un merveilleux jardin
florissant. Elle vivait seule dans la nature, les
autres habitations étaient éloignées par des
broussailles hautes et des rochers. Le courage
qu’avait cette femme de s’esseuler titillait ma
volonté de me rapprocher plus d’elle. Je
n’hésitais pas à quitter le cœur d’Abidjan
pour rallier cette banlieue.

Natacha résidait, ou devrais-je dire, avait


trouvé refuge à Assinie. Elle habitait un
duplexe de type ancestral, dans cette
merveilleuse zone qui flirte avec l’océan.
C’est sur les lèvres de la mer qu’était bâtie

64
cette espèce de petit château que l’écrivaine
avait acheté pour ses résidences d’écriture et
où elle avait fini par aménager. Avec le fil du
temps et une certaine pression sociale elle
éprouva le besoin de s’éloigner du monde et
de créer son monde à elle-même en vue
d’exercer ses deux passions qui exigent la
tranquillité. Ce désir de solitude était
prévisible dans l’œil de la jeune franco-
ivoirienne mais surtout dans la situation
géographique de sa maison.

Nous nous voyions de plus en plus pour


des séances d’écriture et parfois d’hypnose
dans son cabinet. Il est arrivé plus d’une fois
que le séjour de sa résidence nous serve de
café littéraire. Cette maison respirait le
mystère, elle était sombre, les fenêtres mi-
ouvertes et couvertes de lourdes étoffes de
rideaux laissaient à peine quelques rayons de
soleils jouer les rôles de veilleuses. Ces murs
aux couleurs châtaigne assombrissaient
davantage la demeure. Les tableaux qui les
ornaient – je ne sais si ces fresques, qui dans
la majorité représentaient des affiches tristes
de soldats tués à la guerre, de femme
souffrant le martyr de l’accouchement ou

65
même de terrains engloutis par une
inondation – pour ne citer que ceux là-
pouvaient être appelés ornements.

Cette grande salle d’une hauteur


imposante avait un mobilier réduit en
nombre. Une moquette à fourrure tapissait
tout le sol de cette espèce d’amphithéâtre. Il y
avait un long canapé et un fauteuil, tous deux
faits de cuir brun foncé et dotés de fourrures
assez plaisantes. C’est dans ce petit salon où
une table basse sépare les deux bergères se
faisant face que nous discutions parfois du
rapport de la psychologie à l’écriture. Juste à
coté de la chaire de la psychologue était
posée sur une moquette de luxe un vieil
appareil à tour vinyle pour la musique
instrumentale qui accompagnait nos
échanges. Plus loin, dans le fond de la salle,
juste avant le couloir des marches pour les
autres pièces, se trouve un grand meuble dans
lequel sont rangées des tonnes de livres, la
partie gauche comportant des volumes
importants de psychologie et l’autre côté de
petits livres – des romans et recueils de
poèmes sûrement – représentant le monde
littéraire.

66
Elle savait mon amour prononcé,
exagéré même pour l’écriture. Elle corrigeait
mes manuscrits en me faisant des
observations assez sévères. Avec le
déroulement du fil du temps, j’avais délaissé
la poésie au profit d’histoires à l’eau de rose
puisque dans notre pays, il n’y avait que ça
qui marchait. Seuls les écrivains déjà connus
et brillants pouvaient s’hasarder à publier un
recueil de poèmes, en plus à leur propres
frais. Natacha m’avait demandé de continuer
à écrire des poèmes. Elle disait que j’étais un
être sensible et que je ne devais estomper le
déploiement de la poésie en moi. Elle était
prête à me présenter à son éditeur et même à
m’aider dans le financement de mon premier
livre. Elle avait lu un poème que je lui avais
dédié, un poème qui porte dans le creux de
son écrin les flammes de mes sentiments,
mais le titre que j’avais donné à ce texte était
une sorte de prolepse.

67
Poèmes sous hypnose

Les miellées de l’érable

Sont moins sucrées

Le nectar de tes lèvres

Est plus doux

Ta sensibilité à fleur de peau

Touche le cœur du poète

Il a conscience de sa mission

Sur les plages de la béatitude

Je t’emmènerai

Nous irons

Nus pieds

A l'heure ou le crépuscule

Porte sa robe dorée

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Cueillir le soleil

Qui calcinera en toi

La semence des lancinements

Et fera éblouir les germes de la vie

Je t'aimerai sur cette rive éternelle

Et couvrirai ton corps de ma salive

En y posant à tous les recoins

La sève voluptueuse

De mon plus précieux baiser

Le monde entier sera témoin

De la flamme incandescente

Flambant sur le bûcher de mon cœur !

Un rêve prenait forme : celui d’être


écrivain. Je donnerais tout pour le réaliser.
Natacha était prête à m’aider. Nous étions

69
devenus si proches. Je m’interrogeais à
propos de mes sentiments pour elle. Fallait-il
lui déclarer ma flamme ou attendre ? Parler
maintenant ne mettrait-il pas en mal notre
relation ? Si Natacha refusait de m’aider à
éditer mon premier livre, j’en mourrais. Que
faire ? Plus, le temps passait, plus nous étions
proches et plus je la sentais investir les palais
de mon cœur. Elle connaissait, certes mes
intentions, mais je ne lui avais pas fait
ouvertement la cours.

Natacha se disait peut être que le fait de


m’avoir parlé de sa marginalisation m’avait
effréné dans mon élan de lui conter fleurette.
Mais en réalité, rien ne pouvait m’arrêter,
j’étais plutôt de plus en plus attiré par je ne
sais quelle sorte de mystère. J’aimais chez
elle cette particularité, cette singularité qui
pouvait constituer une épouvante pour la
plupart des hommes, cette chose qui appelle
la vie et l’engloutit. J’ai toujours aimé ce qui
repousse les gens, ce que repoussent les gens
de toute leur énergie et qui à première vue
porte l’odorat de la peur, de la terreur, de
l’horreur et même de la mort. J’aimais les
défis et c’est justement un défi qui m’avait

70
conduit sur le chemin de cette femme
merveilleuse.

Ma foi chancelait et mon esprit,


marchant selon ce rythme, tanguait tantôt vers
le repentir tantôt vers le pire, incapable à ces
instants précieux de faire ni l’un ni l’autre et
pourtant ruant vertigineusement vers l’une et
l’autre des options dans une folie à donner le
tournis à l’âme. L’accès de faiblesse qui
m’avait jeté dans cette situation indescriptible
me faisait certainement halluciné, poursuivant
sa besogne de me déchirer – et plus s’il est un
mot plus fort pour traduire le doute dans la
douleur – plus profondément entre les deux
esprits qui habitaient mon corps. J’étais, pour
ainsi dire et puisque mon indigence lexicale
ne m’offre que ces vocables, persécuté par ce
dilemme et il m’arrivait parfois de pouffer
seule de mon impuissance à affronter cette
femme – on aurait dit que je portais les
vêtements d’une parodie, incarnant l’un des
personnages ubuesques de Molière.

71
VIII

Cinq ! La différence d’âge entre Natacha


et moi ! Cela ne me facilitait pas la tâche.
Contrairement à elle, moi j’avais fait mon
cursus scolaire en Afrique, notamment en
Côte d’Ivoire le pays d’origine de mes
parents. La question d’âge chez nous est
lâchement d’une importance capitale. Nous
sommes nettement en arrière par rapport à
l’Europe. La liberté est encore entachée et
entravée par des conceptions démodées. Un
homme n’a pas le droit d’épouser une femme
plus âgée que lui. Et même lorsque cela
arrive, les tourtereaux se cachent pour
savourer leur amour car l’homme est vite
traité de gigolo. Cette conception étriquée de
l’amour je l’avais ingurgitée depuis ma tendre
enfance et en grandissant, je n’ai pu m’en
détacher. Tout avait été fait pour m’implanter
ce complexe dans le sang.

72
Mon oncle, Fulbert, le petit frère de
maman a vécu une expérience qui m’a servi
de leçon. Il avait rencontré Flore par le plus
beau des hasards sur un site de rencontre. Une
belle amitié naquit, puis avec le temps cette
amitié s’est transformée en amour. Flore était
bien plus âgée que Fulbert de douze ans. Mais
cela n’a pas empêché l’amour en dépit de la
réticence de la belle dame de quarante six
ans. Ils vécurent durant deux années cet
amour en cachette, se voyant tantôt chez
Flore, tantôt chez l’homme, tantôt dans des
endroits discrets.

Fulbert était jeune, il n’avait que trente


quatre ans, mais il était mature, en avance sur
son temps. Il ne voyait aucun mal à
officialiser leur relation. Il avait réussi à
convaincre son amante à cette décision. C’est
une douche froide qu’ils ont reçu de part et
d’autre quand ils ont fait cas de leur volonté
de régularisation de leur situation
matrimoniale.

Ma mère, la sœur aînée de Fulbert, est


entrée dans une colère noire et lui a dit
clairement qu’elle ne lui adresserait plus la
parole s’il faisait une chose pareille. Les

73
parents de Flore étaient moins euphoriques
mais ils avaient manifesté leur désaccord.
J’avais à peine quinze ans, j’ai été témoin de
l’hostilité de la société africaine vis-à-vis de
l’amour. Et ce qui m’étonne c’est qu’en
Afrique on accepte sans problème qu’un
vieillard de cent ans, qui n’a même plus
d’érection, épouse une jeune fille de douze.
On applaudit et bénit le mariage. Mais, on
s’offusque que des adultes s’aiment parce que
la femme est plus âgée. Et même certains
musulmans se mêlent à la danse alors que j’ai
ouï dire que le Prophète de l’Islam avait
épousé sa première femme quand elle avait la
quarantaine et lui la vingtaine. Ce Dernier,
subtilement, résolvait cette question qu’il
savait à venir. Les Prophètes ne font rien au
hasard.

Un soir, alors que le soleil courait


résolument à son gîte, j’avais décidé de
franchir le rubicon. Il me fallait parler à
Natacha, lui crier que mon cœur ne battait
qu’au rythme de sa démarche princière. Le
préjugé de l’âge m’avait cloué le bec mais
aussi cette espèce d’ésotérisme dans lequel
était enfermée ma psychologue. Ce soir là,

74
j’avais jugé opportun le moment pour prendre
le taureau par les cornes.

- Natacha, je n’en peux plus de garder ce


secret. Quand je te vois, les cadences de mon
cœur s’accélèrent et je perds toute
sérénité. Bien que la réalisation de mon rêve
d’écrivain dépende de toi, je trouve mal de
garder longtemps ce secret. Tu es
psychologue, si le sentiment n’est pas
réciproque, ne me rejette pas, aide-moi s’il te
plait à remonter la pente. Car loin de toi, ma
vie n’aura plus de couleur… je t’aime.

J’avais parlé lorsque Natacha s’était


assise en face de moi. Elle a affiché un
sourire sans rien dire. Mais, avais-je
réellement parlé ? Avais-je réellement ouvert
la bouche ? J’ai pensé un instant que ces mots
étaient sortis de ma bouche. Je me suis rendu
compte que tout ce scénario était dans ma
tête. J’avais parlé dans mon cœur, je n’avais
pas osé ouvrir la bouche. Natacha me faisait
de l’effet. Cela était évident. C’était la
première fois que je n’arrivais pas à parler
devant une femme. J’avais décidé de ne pas
abandonner même s’il fallait mourir comme
ses précédents conjoints. Je voulais percer ce

75
mystère. Et après notre première nuit
d’amour, j’écrirai un livre pour exposer ce
que je verrais ou ressentirais de cette lumière
impénétrable qui entoure cette femme.

76
IX

Ma première machine, c’est elle qui me


l’a offerte. Je la lui ai arrachée presque.
C’était la sienne. Elle me l’avait passée afin
que je puisse écrire même en pleine nuit. Car,
je dormais toujours avec un carnet et un stylo
à mon chevet. Cela me permettait d’écrire
lorsqu’une idée me traversait l’esprit la nuit
ou qu’un rêve timide s’invitait dans mon
antre

La machine de Natacha était chez moi,


dans le petit studio que je louais au Quartier
Koweït dans la commune de Yopougon. Cela
faisait déjà plusieurs mois qu’elle me l’avait
prêtée. Elle ne me la réclamait pas. Elle me
disait au contraire de continuer à écrire tant
que je pouvais.

77
J’avais une machine enfin ! Siaka
s’étonnait de la joie qui m’animait en cette
période. Il me disait qu’une simple machine
ne peut pas rendre heureux alors qu’on n’a
même pas de femme dans sa vie. Pour lui, il
fallait plutôt que je sois assez courageux pour
déclarer ma flamme à Natacha. « Elle est
mieux dans ta vie qu’une machine », me
répétait-il. J’en riais !

Il ne pouvait pas savoir ce que cela


signifiait pour moi. Avoir perdu mes premiers
textes dans un cyber m’avait effondré. Avoir
une machine à portée de main signifiait que
désormais mes textes étaient en sécurité.

Je passais le clair de mon temps libre à


écrire. Je courais pour rentrer à la maison
lorsque sur le chantier il n’y avait pas de
boulot. Je passais parfois plusieurs jours
enfermés sans sortir au point où les voisins
croyaient que j’étais en voyage. Je faisais des
provisions. Natacha m’avait conseillé de
toujours avoir des biscuits ou autres à portée
de main. De toutes les façons, je n’avais
presque jamais faim, tout ce que je voulais,
c’était écrire.

78
Un soir, alors que je revenais du boulot
un peu déçu puisque n’ayant pu percevoir
mon salaire, un malheur est arrivé, un grand
malheur ! J’étais décontenancé. La disgrâce et
l’affliction avaient investi mon minuscule
studio. J’ai appelé urgemment mon ami
Siaka. Il a su trouvé les mots. Des mots qui,
en pareil circonstance, vous donnent de la
force et de la contenance pour contenir le flot
de douleur qui vous assaille. Mais, ces mots-
là étaient stériles pour moi.

J’avais les yeux rivés sur mon problème.


Siaka m’avait demandé : « Qu’ya-t-il mon
frère ? ». J’avais rassemblé toute l’énergie qui
me restait pour lui répondre. Ma réponse était
hachée. Siaka est un homme patient. Il a
attendu comme une femme enceinte que
j’aille au bout de mes idées, que j’accouche
enfin : « La machine ! », ai-je commencé par
dire. « La machine ? », a-t-il fait après moi.
« Oui, la machine ! », ai-je confirmé. « Ok, je
te comprends, avant toute chose, calme toi et
dis-moi ce qu’a la machine ».

Ce soir là déjà en route pour la maison,


des idées trottinaient dans mon esprit. Je
courais donc pour retrouver la machine à

79
écrire. Lorsque je suis arrivé à la maison, j’ai
mis le computer en marche. Et je me suis
confectionné un café, le temps du démarrage.
J’avais une machine à café que j’avais acheté
au marché d’Adjamé précisément à Bracodi
dans l’univers des pièces à jeter. J’étais bon
bricoleur et puisque j’aime le café et que
l’engin ne coutait rien, je m’étais dit que je ne
perdrais rien à l’acheter. Car même si je
n’avais pu la réparer, les pièces me
serviraient pour d’autres choses. Je venais de
saisir la chance de ma vie. Lorsque j’ai
démonté la cafetière une fois à la maison, il
n’y avait que le câble d’alimentation qui était
rongé de l’intérieur. Je l’ai simplement
remplacé par celui d’un vieux poste radio que
j’avais.

Après avoir bu mon café, je me suis mis


à l’écriture. Des idées pleuvaient dans ma tête
pour le premier roman que j’écrivais depuis
plusieurs mois. J’ai écrit durant deux heures.
Un peu épuisé, j’ai décidé de faire une pause.
J’avais la machine à écrire sur mes cuisses et
elle était connectée à une prise électrique
juste à côté. En voulant me lever, elle est

80
tombée et s’est éteinte sur le champ. J’ai
essayé de la rallumer en vain.

Toute sorte d’idée m’a traversé l’esprit


en ce moment là ! Que faire ? Que vais-je
dire à Natacha ? Comment vais-je écrire ? En
plus, j’avais tous mes textes dans la mémoire
de cette machine et justement ce jour-là, je
m’étais acheté une clé USB pour ’y mettre
mes fichiers. Une clé neuve qui gisait sur la
table où étaient rangés mes livres. Alors j’ai
appelé Siaka.

Il est venu urgemment et ensemble nous


avons ouvert la machine puisque nous étions
tous deux bricoleurs. A notre grande surprise,
l’un des connecteurs de l’écran était rompu. Il
fallait le souder. J’avais un fer à souder, mais
la matière pour la soudure me manquait.
Siaka a proposé qu’on aille voir un réparateur
professionnel. J’étais soulagé lorsque celui
que nous avons vu a dit qu’il règlerait le
problème.

Lorsque deux heures plus tard, nous


sommes retournés récupérer l’appareil, le
réparateur nous a informé que l’écran avait
été touché et qu’il n’y avait d’autres solutions

81
que de le remplacer. Il avait aussi déclaré que
le disque dur ne tournait plus, ce qui signifie
que j’avais perdu une fois de plus mes
fichiers. La batterie avait été détruite par un
court-circuit. Remettre l’ordinateur en marche
requérait une fortune que je n’avais pas. Que
faire ? Je n’avais encore rien dit à Natacha.

Siaka m’a donné une idée merveilleuse


qui me permettrait de continuer à écrire. Il
avait un disque dur qu’il me passerait
volontiers, ensuite nous irions acheter un
écran bon marché d’ordinateur de Bureau que
nous connecterons à la machine pour y
projeter les images. Et pour la batterie, je
n’aurais qu’à garder la machine toujours
connecter à l’électricité pour ne pas qu’elle
s’éteigne.

C’était une idée de génie. Mais j’étais


trop absorbé par le désespoir pour la mettre
en application le même jour. Et si Natacha me
demandait urgemment sa machine, que lui
dirais-je ? Elle avait été si bonne envers moi.
Fallait-il lui parler ou faires des mains et des
pieds pour remettre la machine en bon état.
En plus, elle avait des documents dans le
disque. Je ne pouvais pas me taire. La

82
question qui me taraudait était de savoir
comment lui dire.

J’étais aussi perturbé par la perte de mes


textes. Est-il si difficile de devenir écrivain ?
Je ne rêvais pas d’être président de la
république, même pas directeur de société,
juste écrivain. Juste ça ! Et tout s’acharnait
sur moi, comme si j’avais demandé la barbe
du Bon Dieu, tout concourrait à me faire
lâcher prise. Peut-être n’étais-je pas fait pour
devenir écrivain ? Peut-être que le fait de
n’avoir jamais vraiment eu de modèle comme
les autres était un péché ?

83
X

84
Miko Daniel avec qui j’avais fait le
secondaire à Issia avait le même rêve que
moi. Il vivait toujours dans cette petite ville
située à quarante cinq kilomètres de la
commune de Daloa. Je n’avais pas de
nouvelles de lui jusqu’à ce que je le voie à la
télévision. Il présentait son livre. Lorsque je
l’ai vu, une joie a traversé mon cœur. J’étais
heureux qu’il ait réussi son pari, ce rêve que
nous partagions.

Contrairement à moi, Daniel avait une


machine à écrire depuis le lycée. Son père le
lui avait offert juste parce qu’il avait une
moyenne égale à douze sur vingt en classe.
Moi, j’avais quatorze de moyenne, mais je ne
pouvais pas demander de machine à mon
père. Il n’avait pas d’argent et je le savais. Je
devais me battre pour avoir ma propre
machine. Après l’émission télévisée, la
présentatrice a communiqué le numéro de
l’écrivain et de son éditeur. J’ai appelé Daniel
sur le champ. Il eut du mal à se rappeler de
moi. « Salut Daniel, c’est Abdy ».

- Abdy ? Quel Abdy ? m’a-t-il interrogé


avec agacement dans le ton.

85
- Lycée Louis Pasteur Issia, le rêve
d’écrivain, as-tu oublié ?

- Ah oui ! Quelles sont les nouvelles ?

- Juste un bonjour et te féliciter pour ce


rêve que tu as pu réaliser. A présent tu
deviens un exemple à suivre pour nous autres.
Je suis très heureux et fier de toi, mon frère.

-Ok, merci, s’il n’y a rien d’autre, je vais


raccrocher… a-t-il vociféré presque.

- Euh…oui…non…en fait… je souhaite


que tu me montres la voie à suivre… ai-je
lâché en mâchant les mots dans un
bégaiement inhabituel.

- Je me suis débrouillé. Débrouille-toi


aussi… m’a-t-il fait entendre avant de me
raccrocher au nez.

La vie n’était pas rose pour moi. Cette


conversation me confirmait que la vie, déjà
violacée, s’assombrissait constamment. Elle
m’a démontré que la solidarité n’existe pas en
Afrique même si on la clame. Il faut se
débrouiller seul pour réussir sans compter sur

86
une tierce personne et bénir les bons
samaritains qui voudront un jour vous venir
en aide. Daniel n’avait pas tort. Il s’était
débrouillé, je devais en faire autant. Il n’avait
aucune dette envers moi, il n’était pas obligé
de m’aider. Je ne pouvais donc pas dire qu’il
était méchant. Ce serait injuste de le dire.
Peut-être avait-il traversé la mer alors que
moi, je me noyais seulement dans un gobet à
moitié plein.

Pour la panne de la machine, je me suis


rendu chez Natacha. J’avais décidé de jouer
carte sur table. Elle m’a accueilli comme à
son habitude à bras ouvert. Même quand tout
allait de charybde en scylla, cette Dame était
présente pour me dire qu’il ne fallait pas
baisser les bras. Lorsque j’ai vu son sourire et
sa bonne humeur, mon cœur s’est mis à battre
la chamade comme le jour où j’avais essayé
de lui déclarer ma flamme. Décidemment,
cette femme me faisait de l’effet. Je n’avais
pas eu le courage de lui dire que je l’aimais,
j’éprouvais en plus des difficultés à lui dire
que j’avais abîmé sa machine à écrire.

Elle m’a servi du café. Et m’a demandé


de venir avec elle dans sa chambre. Elle

87
faisait du rangement et souhaitais que l’on
discute en même temps. J’ai hésité un instant.
C’était la première fois que j’allais connaître
l’intimité de sa chambre. Plus les minutes
s’égrainaient, plus j’étais pétrifié par la
générosité de cette créature sublime. Son
attitude, fait dans l’optique de favoriser les
commodités de la conversation, me confinait
dans une sorte d’aphasie.

Une fois dans la chambre, elle m’installa


sur son vaste lit de trois places vue que la
bergère contenait des documents qu’elle
rangeait. Sa chambre était quatre fois plus
vaste que la cuisine dans laquelle je quêtais le
sommeil à Yopougon. Elle me demanda les
nouvelles. J’étais un peu troublé. Natacha
occupait mon esprit si bien que j’étais occupé
à la déguster de mon regard. Ce jour là, tout
l’amour qui gisait en mon cœur pour elle
s’était éveillé de sa léthargie. Je l’ai trouvée
plus belle, plus séduisante, plus désirable.
Cela m’a fait réaliser que la véritable beauté
des femmes s’affirme et s’affine à l’âge de
quarante ans. Ma psychologue n’avait peut
être pas la poitrine subulée d’une adolescente
ou l’éclat du visage d’une femme de trente

88
ans, mais elle avait ce quelque chose de
particulièrement attrayant fait des tissus de la
maturité, de l’expérience et de la sagesse qui
apparaissait en filigrane dans son air, qui
transparaissait à chaque sourire, à chaque clin
d’œil, à chaque geste et faisait naître chez
moi un sentiment ineffable.

Cette façon de me parler sans complexe,


de deviner ce que je pense ou de me mettre le
mot à la bouche quand elle sentait une
difficulté à articuler le verbe chez moi…tout
cela m’avait révélé que j’avais beaucoup à
apprendre de la vie et surtout de l’amour, tout
cela me mettait dans un état d’esprit clair-
obscur. Installé, ce jour là, confortablement
dans le canapé de la rêverie, comme lors de
certaines séances d’hypnose, Natacha, eu
égard à cela, m’a demandé de lui dire sans
trop réfléchir ce qui me passait à la tête
quand.

Comment lui dire que sa machine à


écrire avait été précipitée dans l’abîme par
mon manque d’attention ? Comment le lui
dire ? J’ai ouvert la bouche pour essayer de
parler mais elle était vide, aucun mot n’avait
osé venir. J’avais juste prononcé « je », ce jeu

89
narcissique qui ne voulait rien dire et qui me
confirmait à moi-même que je n’étais pas fait
pour être écrivain. Un écrivain ne manque pas
de mots et ne manque pas les mots quand il
les appelle. Il doit toujours avoir la parole à la
bouche, le mot étant son matériel de travail.
Mais moi, je n’étais qu’un rêveur. Peut être
fallait-il que je trouve un métier inhérent à la
rêverie.

Constatant l’embarras dans lequel j’étais


plongé Natacha, telle à son habitude, décida
de voler à mon secours. Et, je puis vous
assurer que cette initiative à régler
définitivement les trois soucis qui
m’absorbaient en ce moment là.

- Abdy ! M’a-telle apostrophé d’une


voix si mielleuse en venant s’asseoir à mes
côtés.

- Oui…oui…pardon ! Ai-je marmonné


confusément.

- Non, t’inquiète. Ne parle pas si tu n’as


pas envie. Je comprends bien qu’il n’est pas
commode pour toi de me parler d’une chose
si délicate. Il est des moments où la parole est

90
moins expressive que le silence. Être écrivain
c’est aussi ça, savoir écouter le silence et
pouvoir deviner le lexique qui y foisonne.
J’écoute depuis notre première rencontre tes
silences. Je t’écoute encore plus quand tu ne
dis rien. L’air que tu affiches, ta gestuelle
témoignent bien de la splendeur et de la
noblesse des sentiments qui t’animent.

J’étais un peu confus. Son élocution y


était pour quelque chose. Elle prenait le
temps de parler tranquillement. Je ne savais
pas où elle voulait en venir. Savait-elle déjà
que sa machine était en panne ? J’avoue que
Natacha m’a mis dans une situation
inconfortable ce jour là. Mais après un
silence, la suite de son propos à éclairé mes
lanternes.

- Abdy ! Je sais que tu m’aimes. Je suis


une femme mature, en plus je suis
psychologue. Ces choses là n’ont pas de
secrets pour moi. Je sais donc tes sentiments,
c’est la raison laquelle dès le premier jour je
t’ai dit que j’étais veuve. C’était juste pour te
décourager. En réalité, je ne suis pas veuve
mais j’ai été mariée en France, j’ai même eu
fille. J’ai dû divorcer parce que mon mari

91
fréquentait une secte assez bizarre. Il avait
besoin constamment de sang humain qu’il
achetait pour je ne sais quoi. Il me le cachait.
Lorsque je l’ai appris, j’ai décidé de
m’éloigner. J’ai divorcé et suis revenue ici
pour m’installer… Je te dis ces choses parce
que maintenant je pense que tu es prêt à
entendre certaines confessions. Tout ce temps
m’a laissé entrevoir une certaine sagesse chez
toi. Tu es certes plus jeune que moi, mais je
crois que cela n’a aucune espèce
d’importance…

Je ne savais pas si c’était l’écrivaine ou


la psychologue qui parlait mais une chose est
claire c’est qu’elle était entrain de m’enlever
une épine du pied. Son timbre presque
tremblant fêlait ma poitrine et faisait entrer
ses paroles dans mon cœur. J’avais la tête
baissée lorsque Natacha parlais. Quand elle a
observé le silence la seconde fois, je ne savais
quoi dire, j’ai levé la tête lentement avec une
espèce de gène pour la regarder. Inopinément,
nos regards se sont rencontrés et se sont
enlacés, spontanément nos lèvres se sont
attirées, nos corps et nos esprits ont dansé le

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même ballet sur la même mélodie, la mélodie
du bonheur…

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94
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Achevé d’imprimer en 2017 par LEN S.A.S. – 92150 Suresnes

Dépôt légal : 2017


Imprimé en France
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