SONGE
Abdala KONÉ
SONGE
© Abdal’Art, 2017
ISBN : 000-0-000-00000-0
9
A Evans-Dorsay et Amina-Zeynab
A Amina-Noura et Zeynab-Yasmine
10
11
Pour servir de préambule
12
I
Le souvenir de cette époque heureuse
fusait encore en mon esprit. Anita était
timide, mais pleine de vie. Adolescente à la
poitrine menue, la taille fine et le corps élancé
vers les cieux. C’était ma lolita, je la préférais
à ses quinze ans. Si jeune, si innocente et
pourtant si naïve. De sa naïveté la beauté
traçait ses sillons. Ses dents laiteuses
rehaussaient le rose de ses lèvres nectarifères.
Qu’elle était belle ! C’était une poésie, ma
poésie. L’assonance dans son rire métallique
rimait avec les césures entre deux sourires. Sa
voix était audible, détachée, décalée,
empreinte d’agréabilité. Sa parole sonnait
l’écho d’un alexandrin mallarméen et la
vivacité d’un vers senghorien. Anita, c’était
ma lolita, je la préférais ainsi. Je vous le jure !
13
du café, la beauté du décor, toutes ces belles
serveuses en décolleté…
14
devais rencontrer un ange. Je me sentais un
peu stressé.
15
Elle était plus charmante, plus
séduisante. Maquillée parfaitement, le body et
la jupe mini qu’elle avait mis faisait d’elle
une actrice de cinéma. Tous les regards nous
avaient en spectacle.
- Je vois…
16
Nous avons éclaté de rire. Le bonheur
des retrouvailles était présent. Si j’avais
voulu, j’aurais pu reconquérir facilement
Anita. Mais, en plus de son charme, de
fortune, elle n’était plus la même, elle avait
perdu tout ce que j’avais aimé en elle. Elle
avait perdu sa naïveté. Elle n’était plus aussi
belle qu’à quinze ans.
17
À cette époque, nous aimions,
ensemble, regarder le temps se dérober, Anita
et moi. Il y’avait, pour moi, quelque chose de
fascinant dans la compagnie de cette
adolescente, quelque chose d’immaculé, de
pur, quelque chose de majestueux, de
seigneurial dans la proximité avec elle, une
étrange sensation de bien-être que l’on
ressent profondément dans l’âme et qu’il est
difficile d’extérioriser, d’exprimer clairement,
un sentiment étranger qu’aucune autre femme
ne m’avait inspiré avant elle. Cet amour
précoce a fait de moi, en plus d’être un
rêveur, un écriveur.
18
Je tenais un journal secret. J’y couchais
mes peines et plantais mes joies comme des
piqués. Anita eut l’honneur d’être la première
femme pour qui j’ai écrit ; moi, fier d’être le
peintre pour qui elle a posé son cœur nu la
première fois. J’étais en classe de Quatrième
et elle en Sixième. Je devais avoir treize ou
quatorze ans et elle deux de moins. Nous
nous aimions d’un amour contesté par sa
famille. Ses grands frères ne voulaient pas
nous voir ensemble. Et nous, encore
adolescents et naïfs, qui croyions qu’ils
étaient jaloux parce qu’ils n’avaient pas la
chance d’être heureux comme nous ! Bien
plus tard, j’ai compris qu’ils avaient peut-être
raison, nous étions trop jeunes pour connaître
l’amour.
19
J’écrivais tous ce que je vivais avec
Anita dans mon cahier secret. Lorsque je
partais en vacance à la capitale – nous étions
à Issia, une petite ville du centre-ouest de la
Côte d’Ivoire – je lui adressais toujours une
lettre comportant au minimum cinq pages A4.
J’ai toujours aimé tenir la plume, comprenez
donc ! Je me disais qu’il fallait lui laisser des
mots sur un papier, portant mon odeur et ma
présence, qui lui permettent de supporter la
distance vue que nous n’avions pas de
téléphones. Et elle en retour prenait les
vacances comme une écritoire pour rédiger
une réponse en attendant mon retour. J’en ris
encore aujourd’hui, de cette folie ! Cette
douce folie, sorte de veulerie, mêlée au suc de
la rêverie n’a jamais quitté mes veines. J’ai
encore en mémoire cette lettre que j’ai écrit
des années après notre séparation et qui gît
encore dans mon tiroir.
Anita,
20
Je ne me lasse de lire et relire nos petites
conversations. Celles qui couraient sur nos
lèvres avec des flux nectarifères. Des mots
doux comme le premier baiser. Des
expressions d’une tendresse indicible tel un
soleil au couché. Je ne me lasse de nous
relire. Et sur mon visage, un sourire
tranquille vient prononcer la quiétude de ma
rêverie. Je ne me lasserai, Anita, de repasser
sur l’écran de ma mémoire cette phrase que
tu m’as dite un soir : « J'ai envie de t'enlacer,
de t'embrasser, te caresser... Revivre le passé
dans un présent agréable ». Et moi, j’avais
rétorqué : « tu es poétesse, Anita ! Mieux que
moi-même. Je ne suis qu’un amateur devant
la beauté enivrante de ton encre. ». J’ai coulé
des larmes lorsque ta réponse m’est
parvenue, brisée quelque peu par la distance
et surtout par l’excès de sensibilité dans ta
voix : « Sans toi, jamais je n’aurais pu
ébaucher le moindre mot dans ce sens. Tu as
l’art de la tendresse et tu m’as inoculé le
virus de la poésie. Je t’aime à en mourir…
Dis-moi, Abdy, Qu'est ce qui n'a pas marché
entre nous ? ». « C’est la vie qui a placé une
césure entre nous afin que notre alexandrin
ne sonne pas faux…», ai-je répondu.
Cependant, j’ai été incapable, comme
Orphée, de contenir mes émotions lorsque tu
m’as posé cette question : « Tu penses qu’on
pourra récupérer tout ce temps-là ? ».
21
Je me souviens, ce soir où sur ma
poitrine tu déversas toutes les larmes de ton
corps. C’était le dernier soir ! Et ces larmes
de joies que tu n’arrivais pas à contenir
avaient immergé mes rétines, le temps de vie
d’un éphémère. J’ai pleuré aussi, Bijou. Mais
pas comme toi ! Mes larmes ont coulé à
l’intérieur si bien qu’elles me sortaient par
les pores. Ce n’était pas la sueur que tu
voyais. Nous étions dehors bercés par la
suave brise de la nuit. Tout était beau. Le ciel
encore plus ! Une constellation comme une
poussière d’or habillait l’azur de sa belle
robe vermeille. Ce soir-là, les dieux de
l’amour aussi avaient pleuré devant leur
écran. Ils semblaient regarder le dernier acte
d’un amour sincère comme dans un feuilleton
brésilien.
22
Anita, c’est avec toi que j’ai connu
l’écriture. Tu as été celle qui a scellé mon
sort d’écrivain, celle pour qui ma plume
s’illustrait dans de longues tirades pour
traduire de longues minutes allègres et des
heures interminables de bonheurs. Si je ne
t’avais connu, je serais peut-être atteint de
dyslexie, confiné dans la geôle de la timidité
loin d’une plume pour transcrire toutes ces
paroles que ma bouche ne peut accoucher.
Anita, moi c’est toi ! Je me dois de le
reconnaître et de te gratifier d’avoir fait de
moi un poète.
Ton Poète-Nostalgique
II
23
Lorsque la technologie nous est
parvenue et que j’ai appris que je pouvais
faire de mes textes des livres, l’on m’a appris
qu’il me fallait une machine à écrire. J’étais
déjà venu à Abidjan. Anita et moi après
quatre années passés ensemble, avons connu
le déchirement de la séparation. En venant à
la capitale pour reprendre la Classe de
Terminale, je n’ai pas eu le courage
d’emporter avec moi le fameux carnet
d’Anita dans lequel j’avais arrêté d’écrire, il
y’avait beau temps. J’avais d’autres textes
d’autres amours. Alors, je me suis lié d’amitié
avec un cybercafé ou je passais le clair de
mon temps à dactylographier mes notes
manuscrites.
24
Quelle folie ! Et tout ce que j’avais comme
écrit, près de deux cent différents fichiers
contenant des pages Word où logeaient mes
textes, s’était volatilisé avec le disque. Le
navire de mon rêve venait de prendre l’eau
pour la première fois.
25
mère m’avait supplié de reprendre. Moi, je ne
voulais pas. Je n’arrivais pas à comprendre
que j’échouais aux examens si faciles. J’avais
décidé de faire plaisir à maman en souffrant
le martyr une fois de plus. Mais avant,
Aimée, ma petite amie - l’amie de Christelle
qui elle avait été aussi ma petite amie - était
enceinte de moi. Vous ne comprenez pas trop
ce charabia ? Avançons, ce n’est pas tout
qu’on comprend aux premiers abords...
26
neuf ans et surtout je souffrais de la jalousie
exagérée de mon amie.
27
J’étais tellement brillant que le fondateur
avait promis de prendre mon cursus supérieur
en charge puisque j’avais permis à son
établissement d’être un peu connu grâce aux
devoirs d’unité pédagogique que je
remportais avec brio. Après le Bac, le
fondateur a disparu, c’étaient des paroles en
l’air !
1
Atalaku : argot ivoirien signifiant Chant laudatif
28
cours. J’ai pratiqué cette vie durant plusieurs
mois.
29
montrent du doigt le ministère de tutelle. On
estime que les formations sont mal faites.
C’est ridicule ! Comment peut-on innocenter
des jeunes filles qui, au lieu de se concentrer
lors de leurs stages, passent le temps avec
leurs Smartphones entrain de s’exhiber sur
Facebook ? On ne craint même de prendre en
photo des malades ou même des personnes
ayant perdu la vie juste pour une expo sur les
réseaux sociaux. Sincèrement, je pense que
les dirigeants nord-coréen ont un peu raison
de limiter l’accès à internet, peut-être s’y
prennent-il de la mauvaise des manières et
qu’il faut des séminaires chez nous pour
réfléchir à cela. Pardonnez-moi si vous
pensez que j’y vais un peu trop fort mais le
manque de professionnalisme des deux sages-
femmes m’a coûté beaucoup.
30
J’étais triste, Aimée encore plus. Cette
période nous a plus rapprochés. La mère de
l’enfant ne dormait pas. Elle passait le clair
du temps à pleurer. Je ne pouvais pas trouver
le sommeil dans cette atmosphère. Il fallait
soutenir mon amie. Elle n’avait que seize ans,
elle était mineure et je l’avais plongé dans
tous ces problèmes. Peut-être que ses parents
devaient me faire condamner pour ce délit,
délit d’avoir aimé Aimée un peu trop tôt !
31
n’oublierai jamais ce qu’elle m’a dit : « J’ai
perdu mon enfant, si je perds son père, je
serai perdue à jamais. ». Elle m’aimait tant !
La seule chose que j’ai trouvé à lui dire,
c’est : « Les enfants qui vont tôt deviennent
des anges pour veiller sur leur parents. Notre
Bébé ne permettra donc pas que ses parents
se séparent. »
32
III
33
encre surtout lorsque j’ai rencontré
Natacha…
34
la plus grave de ma vie… ». J’aime ce texte
parce qu’il est écrit simplement et porte une
bonne dose de sensibilité. J’ai rangé Amadou
Koné lorsque j’ai rencontré John Steinbeck,
Gustave Flaubert, Émile Zola, Charles
Baudelaire… Les deux derniers m’ont
profondément marqué avec Cheick Hamidou
et Senghor plus tard.
35
dire. Depuis qu’elle m’avait prêté cette
machine, elle ne l’avait revu que parfois chez
moi. Je ne pouvais pas m’acheter une
machine avec les petits boulots que je faisais
ça et là. Cet argent me permettait de survivre.
Oui, je suis un survivant !
36
perdu toutes ses affaires et ne savait pas
comment rentrer. Notre amitié avait ainsi
commencé. Il avait beaucoup de respect pour
moi et moi aussi. C’est lui qui m’a soufflé un
mot de la fameuse réunion. Je vivais avec ma
mère, mon frère et la servante. La servante
était partie après nous avoir donné l’info six
mois auparavant. C’est moi qui faisais le
marché et la cuisine, ma mère au travail et
mon frère lycéen. J’avais remplacé la
servante, et je faisais bien mon job.
37
j’étais plus triste. Nos rêves se brisaient sur la
roche de l’animalité pour assouvir des soifs
de pouvoirs de quelque individu. J’ai toujours
pensé qu’au lieu que le peuple se batte pour
deux dirigeants qui aspirent à un fauteuil, il
est plus facile et beaucoup moins couteux de
mettre les deux protagonistes sur un ring et
permettre au vainqueur de prendre le fauteuil.
Cela peut paraitre un peu stupide, mais moins
que la mort de milliers d’innocents.
38
esclave. Je passais le clair de mon temps à
écrire des poèmes et quelques fois les récits
de mes aventures d’amour. Puéril !
39
enseignant. Donald, un ami, m’avait dit que
les initiales de Laurent Gbagbo signifiaient
Life’s Good (La vie est belle) . J’en ai ri à
mourir ! Je perdais mon latin devant cette
ingéniosité des ivoiriens. En effet, la vie
semblait belle avec celui qu’on surnommait le
Woudy de Mama. Mais cette beauté là était
comparable à celle d’une fille de joie !
Analysez et déduisez-en ce qu’il y’a à
déduire ! Je ne fais pas de politique.
D’ailleurs, que gagne-t-on à donner nos
poitrines pour un tel ou un tel. Moi, je ne
pensais qu’à écrire. J’écoutais plutôt les
autres, ceux qui se passionnaient pour la
politique politicienne, qui défendaient corps
et âme leurs leaders, moi je ne songeais qu’à
écrire, rien que ça. Écrire !
40
pris juste mon petit sac à dos ou j’avais
enfoui ma brosse à dent, un pantalon, deux t-
shirt, des livres et mon carnet de notes. J’ai
passé plusieurs nuits dans le cyber avant que
Siaka ne s’en aperçoive. Alors, il m’a proposé
à son père Soualou qui m’a ouvert ses bras.
41
femmes à qui je plaisais. Je n’étais pas
heureux en dépit de tout cela. Elle a fait de
moi un poète amer. Au moins j’écrivais,
c’était la seule chose que je ne rechignais
jamais à faire. Je trouvais surtout le temps de
décrire les nuages qui couvraient le
firmament de mon cœur…
42
IV
43
Chère amie
44
dépendance, à un certain moment de mon
existence. Mais, de cet amour que je croyais
éternel, source de bonheur, j’ai vu surgir les
sigles affreux du chagrin. L’ange du malheur
est venu à moi avec son sabre et cette arme là,
je la porte dans mon carquois si bien que je
l’enfonce dans le coeur de toutes celles qui
osent franchir l’orée de mon intimité…
45
entre leurs mains, ma foi, si sensuelles.
Toutes me voulaient.
46
m’est arrivé une infinité de fois de me
demander si un jour je me marierais. Toutes
les femmes que je rencontrais comportaient
dans leurs gènes une certaine légèreté de
mœurs. Je n’étais pas moins léger pour
autant.
47
femmes. Le titre ? Qu’est-ce qu’une femme ?
Trois auteurs, dont Denis Diderot, Antoine
Léonard Thomas et Louise d’Epinay, se sont
attelés à définir la Femme - non sans nous
laisser sur notre fin - dans un débat houleux
sous la direction d’Elisabeth Badinter. On a
apprend beaucoup mais en même temps on se
rend compte qu’il n’ya rien de nouveau.
48
devinerait peut être à chaque fois que je
voudrais lui parler. La tâche me paraissait
moins facile. En plus, je n’étais pas si bon
dragueur puisque la majorité des femmes que
j’avais connue s’est offerte à moi de son
propre chef. Les rares créatures à qui j’avais
conté fleurette étaient d’un niveau moins
élevé que celui de l’écrivaine même si
quelques unes résidaient dans des immeubles
résidentiels. Natacha avait un niveau de
langue au dessus de la moyenne. Pour être
écrivain, romancière de surcroit, il faut avoir
un sens d’imagination débordant et un
minimum de lexique chatoyant.
49
V
50
une histoire, une vie, une interprétation au-
delà même de l’imagination de celui qui écrit.
C’est là que la distinction entre Dieu et
l’écrivain se clarifie. Le dernier,
contrairement au Premier, n’est plus maître
de son œuvre lorsqu’elle sort de lui. Il est
incapable de prédire sa portée. Toutefois, il
éprouve toujours de la joie même quand la
foule pose un regard noir sur ses lignes. Car,
c’est bien la preuve qu’il est lu. Et cela doit
lui ouvrir les portes de la perfection. Mais si
les critiques sont acerbes et violentes et que
l’écrivain n’est pas assez fort, cette mission
solitaire, qu’est l’acte d’écrire, devient le
tremplin d’un autisme ou d’une pathologie
mortelle…
51
Natacha était déprimée. Elle avait même
annulé la causerie-débat organisée pour
célébrer ce livre. Elle ne voulait pas de
désagrément surtout que le fameux critique
sénégalais était encore en Terre d’Ivoire.
52
qu’il fallait accepter les tâches noires et aller
de l’avant.
53
dégageait une attirance irrésistible. D’une
beauté majestueuse, sa vue était un remède
contre la mauvaise humeur. De toutes les
femmes que j’ai connues ou même que je ne
connais, cette femme djimini2 était de loin la
plus agréable à l’exercice du regard.
Intelligente et pleine de vie, cette brillante
femme de lettre montrait le caractère de sa
beauté tant dans sa physionomie que dans ses
traits. Devant elle, les autres étaient moins
des femmes ou si elles étaient femmes,
Natacha était déesse.
2
Djimini : peuple du nord de la Côte d’Ivoire
54
cette état de rayonnement et de ravissement
divin, peut être avait-elle un philtre – une eau
de jouvence. Elle portait la verdeur de ses
quarante ans comme la verdure de la flore au
sourire du printemps.
55
VI
56
J’avais sollicité auprès d’elle un rendez-
vous pour lui exposer une question qui me
tracassait. Et puisqu’elle était psychologue,
c’est avec un sourire honorable qu’elle a
accédé à ma requête. Lorsqu’elle m’a reçu
dans son cabinet de la campagne à quelques
encablures d’Abidjan, j’ai été envahi de
ravissement. Elle m’a paru plus belle, plus
brillante dans ce costume tailleur. Quand elle
est femme de lettres, elle est plus
décontractée, au cabinet, une tenue plus
responsable. Dans tous les cas, cette femme
qui me faisait de l’effet, était toujours plus
magique quand je la voyais.
57
m’étais comporté comme un gamin. Mais
cette dame savait gérer ce genre de problème.
Elle ne m’a point fait de reproche et a plutôt
répondu d’une façon professionnelle en
esquivant la balle que je lui avais envoyée.
58
soumettre à d’autres questions sans risquer de
me faire rabrouer.
59
le langage corporel que j’avais téléchargé
pour savoir me tenir devant elle, j’ai vu que
passer les mains dans les cheveux démontre
que l’interlocuteur est un peu embarrassé. Je
venais donc de marquer un point. Alors, plus
tranquillement, pour être plus à l’aise comme
dit le Docteur Maestro, dont j’ai téléchargé
tous les cours sur la psychologie
comportementale des femmes, j’ai accepté le
café et me suis proposé volontiers de l’aider à
cette tâche.
60
ai pris mon café moi-même après qu’elle ait
actionné la machine. Jamais je ne mettais
retrouvé dans une telle proximité avec elle.
Son parfum était si doux, ses lèvres si
appétissantes. Elle remplissait la réserve
d’eau de la machine tandis que je la dévorais
des yeux. Elle a fini et m’a surpris dans mon
indiscrétion sans que je ne puisse bouger. Elle
a compris bien vite que dans mon inconscient
un désir qui n’osait pas venir à la censure
savait déjà, quels que soient ses camouflages,
qu’il serait refoulé.
61
question pourrait vous faire peur. Je vous la
dirai puisque vous y tenez et tant pis si elle
vous repousse car au moins la distance
nécessaire pour une bonne relation maître-
élève sera respectée…enfin, j’espère, précisa-
t-elle en souriant cette fois.
62
hommes qui m’épousent mourraient, c’est ce
qui expliquerait ma réussite sociale et surtout
littéraire. Même si vous ne m’aviez pas
demandez, je vous l’aurais dit un jour ou
l’autre afin que tout soit clair… vous savez
tout ou presque maintenant…
63
VII
64
cette espèce de petit château que l’écrivaine
avait acheté pour ses résidences d’écriture et
où elle avait fini par aménager. Avec le fil du
temps et une certaine pression sociale elle
éprouva le besoin de s’éloigner du monde et
de créer son monde à elle-même en vue
d’exercer ses deux passions qui exigent la
tranquillité. Ce désir de solitude était
prévisible dans l’œil de la jeune franco-
ivoirienne mais surtout dans la situation
géographique de sa maison.
65
même de terrains engloutis par une
inondation – pour ne citer que ceux là-
pouvaient être appelés ornements.
66
Elle savait mon amour prononcé,
exagéré même pour l’écriture. Elle corrigeait
mes manuscrits en me faisant des
observations assez sévères. Avec le
déroulement du fil du temps, j’avais délaissé
la poésie au profit d’histoires à l’eau de rose
puisque dans notre pays, il n’y avait que ça
qui marchait. Seuls les écrivains déjà connus
et brillants pouvaient s’hasarder à publier un
recueil de poèmes, en plus à leur propres
frais. Natacha m’avait demandé de continuer
à écrire des poèmes. Elle disait que j’étais un
être sensible et que je ne devais estomper le
déploiement de la poésie en moi. Elle était
prête à me présenter à son éditeur et même à
m’aider dans le financement de mon premier
livre. Elle avait lu un poème que je lui avais
dédié, un poème qui porte dans le creux de
son écrin les flammes de mes sentiments,
mais le titre que j’avais donné à ce texte était
une sorte de prolepse.
67
Poèmes sous hypnose
Il a conscience de sa mission
Je t’emmènerai
Nous irons
Nus pieds
A l'heure ou le crépuscule
68
Cueillir le soleil
La sève voluptueuse
De la flamme incandescente
69
devenus si proches. Je m’interrogeais à
propos de mes sentiments pour elle. Fallait-il
lui déclarer ma flamme ou attendre ? Parler
maintenant ne mettrait-il pas en mal notre
relation ? Si Natacha refusait de m’aider à
éditer mon premier livre, j’en mourrais. Que
faire ? Plus, le temps passait, plus nous étions
proches et plus je la sentais investir les palais
de mon cœur. Elle connaissait, certes mes
intentions, mais je ne lui avais pas fait
ouvertement la cours.
70
conduit sur le chemin de cette femme
merveilleuse.
71
VIII
72
Mon oncle, Fulbert, le petit frère de
maman a vécu une expérience qui m’a servi
de leçon. Il avait rencontré Flore par le plus
beau des hasards sur un site de rencontre. Une
belle amitié naquit, puis avec le temps cette
amitié s’est transformée en amour. Flore était
bien plus âgée que Fulbert de douze ans. Mais
cela n’a pas empêché l’amour en dépit de la
réticence de la belle dame de quarante six
ans. Ils vécurent durant deux années cet
amour en cachette, se voyant tantôt chez
Flore, tantôt chez l’homme, tantôt dans des
endroits discrets.
73
parents de Flore étaient moins euphoriques
mais ils avaient manifesté leur désaccord.
J’avais à peine quinze ans, j’ai été témoin de
l’hostilité de la société africaine vis-à-vis de
l’amour. Et ce qui m’étonne c’est qu’en
Afrique on accepte sans problème qu’un
vieillard de cent ans, qui n’a même plus
d’érection, épouse une jeune fille de douze.
On applaudit et bénit le mariage. Mais, on
s’offusque que des adultes s’aiment parce que
la femme est plus âgée. Et même certains
musulmans se mêlent à la danse alors que j’ai
ouï dire que le Prophète de l’Islam avait
épousé sa première femme quand elle avait la
quarantaine et lui la vingtaine. Ce Dernier,
subtilement, résolvait cette question qu’il
savait à venir. Les Prophètes ne font rien au
hasard.
74
j’avais jugé opportun le moment pour prendre
le taureau par les cornes.
75
mystère. Et après notre première nuit
d’amour, j’écrirai un livre pour exposer ce
que je verrais ou ressentirais de cette lumière
impénétrable qui entoure cette femme.
76
IX
77
J’avais une machine enfin ! Siaka
s’étonnait de la joie qui m’animait en cette
période. Il me disait qu’une simple machine
ne peut pas rendre heureux alors qu’on n’a
même pas de femme dans sa vie. Pour lui, il
fallait plutôt que je sois assez courageux pour
déclarer ma flamme à Natacha. « Elle est
mieux dans ta vie qu’une machine », me
répétait-il. J’en riais !
78
Un soir, alors que je revenais du boulot
un peu déçu puisque n’ayant pu percevoir
mon salaire, un malheur est arrivé, un grand
malheur ! J’étais décontenancé. La disgrâce et
l’affliction avaient investi mon minuscule
studio. J’ai appelé urgemment mon ami
Siaka. Il a su trouvé les mots. Des mots qui,
en pareil circonstance, vous donnent de la
force et de la contenance pour contenir le flot
de douleur qui vous assaille. Mais, ces mots-
là étaient stériles pour moi.
79
écrire. Lorsque je suis arrivé à la maison, j’ai
mis le computer en marche. Et je me suis
confectionné un café, le temps du démarrage.
J’avais une machine à café que j’avais acheté
au marché d’Adjamé précisément à Bracodi
dans l’univers des pièces à jeter. J’étais bon
bricoleur et puisque j’aime le café et que
l’engin ne coutait rien, je m’étais dit que je ne
perdrais rien à l’acheter. Car même si je
n’avais pu la réparer, les pièces me
serviraient pour d’autres choses. Je venais de
saisir la chance de ma vie. Lorsque j’ai
démonté la cafetière une fois à la maison, il
n’y avait que le câble d’alimentation qui était
rongé de l’intérieur. Je l’ai simplement
remplacé par celui d’un vieux poste radio que
j’avais.
80
tombée et s’est éteinte sur le champ. J’ai
essayé de la rallumer en vain.
81
que de le remplacer. Il avait aussi déclaré que
le disque dur ne tournait plus, ce qui signifie
que j’avais perdu une fois de plus mes
fichiers. La batterie avait été détruite par un
court-circuit. Remettre l’ordinateur en marche
requérait une fortune que je n’avais pas. Que
faire ? Je n’avais encore rien dit à Natacha.
82
question qui me taraudait était de savoir
comment lui dire.
83
X
84
Miko Daniel avec qui j’avais fait le
secondaire à Issia avait le même rêve que
moi. Il vivait toujours dans cette petite ville
située à quarante cinq kilomètres de la
commune de Daloa. Je n’avais pas de
nouvelles de lui jusqu’à ce que je le voie à la
télévision. Il présentait son livre. Lorsque je
l’ai vu, une joie a traversé mon cœur. J’étais
heureux qu’il ait réussi son pari, ce rêve que
nous partagions.
85
- Lycée Louis Pasteur Issia, le rêve
d’écrivain, as-tu oublié ?
86
une tierce personne et bénir les bons
samaritains qui voudront un jour vous venir
en aide. Daniel n’avait pas tort. Il s’était
débrouillé, je devais en faire autant. Il n’avait
aucune dette envers moi, il n’était pas obligé
de m’aider. Je ne pouvais donc pas dire qu’il
était méchant. Ce serait injuste de le dire.
Peut-être avait-il traversé la mer alors que
moi, je me noyais seulement dans un gobet à
moitié plein.
87
faisait du rangement et souhaitais que l’on
discute en même temps. J’ai hésité un instant.
C’était la première fois que j’allais connaître
l’intimité de sa chambre. Plus les minutes
s’égrainaient, plus j’étais pétrifié par la
générosité de cette créature sublime. Son
attitude, fait dans l’optique de favoriser les
commodités de la conversation, me confinait
dans une sorte d’aphasie.
88
ans, mais elle avait ce quelque chose de
particulièrement attrayant fait des tissus de la
maturité, de l’expérience et de la sagesse qui
apparaissait en filigrane dans son air, qui
transparaissait à chaque sourire, à chaque clin
d’œil, à chaque geste et faisait naître chez
moi un sentiment ineffable.
89
narcissique qui ne voulait rien dire et qui me
confirmait à moi-même que je n’étais pas fait
pour être écrivain. Un écrivain ne manque pas
de mots et ne manque pas les mots quand il
les appelle. Il doit toujours avoir la parole à la
bouche, le mot étant son matériel de travail.
Mais moi, je n’étais qu’un rêveur. Peut être
fallait-il que je trouve un métier inhérent à la
rêverie.
90
moins expressive que le silence. Être écrivain
c’est aussi ça, savoir écouter le silence et
pouvoir deviner le lexique qui y foisonne.
J’écoute depuis notre première rencontre tes
silences. Je t’écoute encore plus quand tu ne
dis rien. L’air que tu affiches, ta gestuelle
témoignent bien de la splendeur et de la
noblesse des sentiments qui t’animent.
91
fréquentait une secte assez bizarre. Il avait
besoin constamment de sang humain qu’il
achetait pour je ne sais quoi. Il me le cachait.
Lorsque je l’ai appris, j’ai décidé de
m’éloigner. J’ai divorcé et suis revenue ici
pour m’installer… Je te dis ces choses parce
que maintenant je pense que tu es prêt à
entendre certaines confessions. Tout ce temps
m’a laissé entrevoir une certaine sagesse chez
toi. Tu es certes plus jeune que moi, mais je
crois que cela n’a aucune espèce
d’importance…
92
même ballet sur la même mélodie, la mélodie
du bonheur…
93
94
95
96
Achevé d’imprimer en 2017 par LEN S.A.S. – 92150 Suresnes