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Alain Braconnier
p. 40-49.
DOI 10.3917/lcp.122.0040
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bibliographie assez courte mais où il y avait sentation qui est réduite à son squelette ; le
un très bon article de Christian David, une sujet à ce moment-là, pour contrôler l’exci-
introduction à l’étude de la période de tation et ne pas être complètement envahi,
latence qui m’a beaucoup apporté. J’ai utilisé est obligé de surinvestir des actes ou des élé-
toute l’expérience clinique que j’accumulais ments du système d’emprise, soit du système
avec les enfants. La forme des jeux et aussi d’emprise actif sur le monde extérieur soit
l’extrême difficulté des psychothérapies à du système de réception d’emprise, c’est-à-
cet âge-là m’ont beaucoup interrogé. Autant dire du système sensoriel. C’est ce que l’on
avec les tout-petits, il y a tout de suite voit par exemple dans une phobie, l’évite-
quelque chose qui accroche, une relation ment moteur qui consiste à partir, à quitter
qui se dessine, autant à la période de latence, une pièce si la présence d’une souris s’y
il y a des mouvements de refoulement, de manifeste ou est simplement suspectée : il
mise à distance qui sont considérables. La s’agit d’un mécanisme de répression moteur,
notion de refoulement, donnée comme on investit l’acte de la fuite pour éviter les
essentielle pour la compréhension de la images trop excitantes.
période de latence, et elle l’est, ne suffit pas
à comprendre tous les aspects de la clinique. Alain Braconnier : Comment reliez-vous cela
J’ai développé l’opposition entre les avec tout ce que vous avez fait après sur
latences à refoulement et les latences à l’emprise et la satisfaction ?
répression. En fait, toute période de latence
comporte des éléments de refoulement et Paul Denis : Très tôt mon attention a été atti-
des mouvements de répression. C’est le rée sur le fait que l’on faisait assez peu de
rapport entre les deux procédés qui doit place à la motricité dans la théorie psycha-
être exploré. Le refoulement est un procédé nalytique. Je me suis beaucoup interrogé sur
qui fait jouer les représentations les unes par l’idée d’une sorte de pulsionnalité motrice
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sans trouver au début de solution qui me assez légitime puisque dans le fonctionne-
convainque. Pierre Marty et Michel Fain ment de l’analyse de l’adulte et aussi de l’en-
avaient fait un rapport très intéressant sur le fant, c’est ce que l’on doit développer. On a
rôle de la motricité dans la relation d’objet, raison de le privilégier, simplement il est
travail pour lequel ils s’étaient fait critiquer important de voir que la motricité est aussi
par toute la psychanalyse française réunie, au service de la construction des satisfac-
Marie Bonaparte en tête, et peut-être cela tions, et joue aussi son rôle dans la création
les avait-il fait finalement reculer. J’ai alors et dans l’évocation des représentations.
repris un certain nombre de leurs idées. A Certaines personnes griffonnent en parlant
force de réfléchir sur ce sujet, j’ai eu l’idée et cela les aide à parler, c’est-à-dire qu’il y a
que finalement la pulsion était “bi-face”; la un minimum d’activité d’emprise motrice
pulsion comportait à la fois : qui soutient la pensée. La projection de
- un registre érotique à proprement parler slides si courante aujourd’hui dans les
organisé autour des zones érogènes, conférences vise à soutenir l’attention de
- et un registre que j’ai appelé “en emprise” l’auditeur en lui offrant une activité d’em-
organisé autour de la motricité, de la senso- prise visuelle. Le succès de la bande dessinée
rialité, de ce que Freud avait désigné comme est lié au même mécanisme. De même, dans
l’appareil d’emprise. le face à face, pour certains patients, le fait
J’ai eu donc cette idée de décomposer la d’avoir une sorte d’emprise sur le visage et
pulsion, toute pulsion, - comme on décom- sur les attitudes de leur analyste est quelque
pose une force dans le parallélogramme des chose qui leur favorise l’évocation de tout
forces en physique - en un vecteur “emprise” un registre de représentations. Il n’y a pas
et un vecteur “satisfaction”, en somme en forcément concurrence ou contradiction, il
deux courants d’investissement qui se com- peut y avoir soutien réciproque ; de même
binent, créant le mouvement pulsionnel et que dans l’activité qui consiste à regarder
organisant l’excitation. La motricité trou- une peinture, il y a des mouvements de la
vait très naturellement sa place dans ce tête et des yeux, des mouvements du corps
schéma. J’ai été très heureux de voir que entier : on recule, on avance, on entre dans
(maîtrise) et a ainsi confondu les deux. La t’ai parlé, etc”. L’idée : “je vais faire son
maîtrise, c’est le résultat d’une emprise dont livre” s’est aussitôt imposée à moi. J’ai ainsi
le lien à la satisfaction est bien assuré ; si passé mes vacances suivantes à tenter de
l’on a la maîtrise de soi c’est que l’on a réussi réaliser un livre posthume, avec les notes
à tisser d’une manière harmonieuse un cer- d’Agnès Oppenheimer, son travail, ses
tain nombre de pulsions dirigées vers un articles et la correspondance de Kohut.
certain nombre d’objets et de pulsions diri- C’est ainsi que je me suis plongé dans les
gées vers soi, c’est que l’on a organisé un conceptions du narcissisme de Kohut. Je
certain narcissisme. m’intéressais aussi au narcissisme parce
qu’un des articles les plus aboutis de Freud
Alain Braconnier : Donc vous faites bien de la c’est, de mon point de vue, Pour introduire
maîtrise un mouvement plus élaboré ? le narcissisme. On y voit déjà toute la méta-
psychologie presque achevée, puisque, au
Paul Denis : Oui, un mouvement plus élabo- terme près, le Surmoi y est décrit intégrale-
ré, aboutissant à des formes de “savoir ment, avant même la deuxième topique,
faire”. Mais cette conquête est aussi le résul- avant même l’article sur “la décomposition”
tat d’une forme d’auto-emprise. de la personnalité psychique.
Alain Braconnier : Dans un autre registre, Alain Braconnier : Vous avez rassemblé en
vous soulevez la question du narcissisme 1991 un recueil de textes sur psychothérapie
avec un intérêt pour Kohut. et psychanalyse. Quelle est aujourd ’ h u i
votre point de vue sur ce sujet ?
Paul Denis : Mon intérêt pour Kohut pro-
vient de l’histoire d’une amitié tragique- Paul Denis : Ce recueil provient d’un numéro
ment interrompue. Je ne m’étais pas telle- de la Revue française de psychanalyse com-
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posé avec Claude Janin. J’étais à cette les grandes psychoses que l’on soigne plus
époque-là secrétaire scientifique de la SPP et qu’on ne les guérit. Je crois néanmoins qu’il
j’avais organisé deux tables rondes sur “psy- est important de voir à quel point le modèle
chothérapie et psychanalyse” parce que médical est inadapté à la psychiatrie. Quand
c’était un sujet qu’il me paraissait nécessaire on trouve un vaccin, un anti-tuberculeux ou
d’aborder. Ensuite, à partir de ces débats un antibiotique de qualité, on peut faire dis-
nous avons lancé un numéro de la revue ; le paraître la maladie correspondante. En
succès de notre entreprise nous a obligé a matière de psychiatrie, les anti-dépresseurs
dédoubler le numéro prévu en deux n’ont en rien changé le nombre des suicides :
Psychothérapie et idéal psychanalytique la mortalité par suicide reste obstinément la
d’une part et Psychanalyse et idéal thérapeu- même malgré les anti-dépresseurs, et quant
tique d’autre part. Ces deux numéros vite à la morbidité dépressive elle est sans doute
épuisés ont été réédités en un volume dans à peu près la même que du temps où il y
la collection Quadrige aux PUF en 2004. avait les électrochocs et que du temps où il
n’y avait rien ; seule l’expression sympto-
La question essentielle est celle-ci : qu’est-ce matique est différente. Je dirais que, incon-
qui spécifie le caractère psychanalytique testablement, les anti-dépresseurs rendent
d’une psychothérapie. Nous voyons bien de grands services, mais ce n’est pas du tout
qu’il y a des psychothérapies très nom- le même genre de service que celui que peu-
breuses dont certaines ont un intérêt prag- vent rendre les vaccins, les antibiotiques, la
matique tout à fait incontestable, y compris trithérapie, etc... La maladie psychiatrique
quand elles sont sous-tendues par des théo- se situe dans un autre espace.
ries bien courtes. Si l’on prend l’exemple
des thérapies cognitivo-comportementales, Alain Braconnier : Ce qui est intéressant,
elles présentent un intérêt pratique dans un c’est que la psychanalyse, dans cette période
certain nombre de cas. La question est plus où elle a eu cette illusion de guérir, a presque
du côté de la psychothérapie psychanaly- paradoxalement éclairé le modèle médical
tique et de ce qui la spécifie. Je pense que sur la différence entre soigner et guérir.
en séance ou dans sa vie. Il y a eu à une époque térieur est composé, on voit ce qui rentre, on
où il y avait une espèce d’idéal de l’analyse et voit ce qui sort et on réfléchit à son fonction-
où l’on considérait que rien d’analytique ne nement. L’intérêt du cadre analytique, c’est de
pouvait apparaître en dehors de la cure type. Je réduire au maximum les variables afin de mieux
pense que c’est pour cela que Marilia Aisenstein voir la part de chacun, la part de ce qu’apporte
a pris cette position de définir le caractère ana- l’analyste et la part de ce qu’apporte le patient,
lytique d’une psychothérapie par le fait que le ce qui vient du patient. Disons que c’est une
psychothérapeute soit analyste, et à considérer méthode à laquelle nous sommes en fait
qu’il y a des psychanalyse en face à face. condamnés. Vouloir tirer des conséquences psy-
Evelyne Kestemberg, qui fut notre maître com- chanalytiques pratiques de données venues des
mun, avait tendance à beaucoup opposer psy- neurosciences est impossible car ces données
chothérapie et psychanalyse. D’ailleurs on se sont extraordinairement parcellaires et l’analyse
faisait reprendre quand on était en supervision travaille sur des mouvements d’idées, des com-
chez elle si on s’écartait de la ligne analytique ; plexes de représentations et d’émotions asso-
elle disait à certains d’entre nous “ce que vous ciées, il y a des neurones définis comme “neu-
faites là n’est pas de la psychanalyse, c’est une rones miroirs”, mais il n’y a pas de neurones du
psychothérapie”. Le divan ne définit pas la psy- narcissisme.
chanalyse, mais, en général, la dimension analy-
tique est plus difficile à développer en dehors Alain Braconnier : Je pensais plus à la notion de
du cadre classique. traces mnésiques.
Alain Braconnier : Vous avez écrit un article sur Paul Denis : Oui, avec les différents registres de
“La mémoire en mouvement” dans un recueil la mémoire : la mémoire spontanée, la mémoire
dirigé par André Green, est-ce que cela rejoint une au long cours, le fait qu’il peut y avoir une dis-
question là aussi contemporaine sur les neuros- sociation entre les deux, etc... Évidemment
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c’est passionnant à entendre, mais dans quelle suivre le fonctionnement dans les groupes
mesure ne s’agit-il pas de recherches elles- humains. Beaucoup d’auteurs ont eu ainsi des
mêmes induites par les découvertes psychanaly- idées neuves ou des façons de comprendre
tiques ? Il y a un certain nombre de chercheurs l’analyse qui permettent d’aborder celle-ci
en neurosciences qui ont suivi pour eux-même autrement. L’ambition de la collection est d’en
une analyse. Il y a une influence de la psycha- rendre compte. Pour le moment, la collection
nalyse sur les neurosciences, mais il n’y a pas de s’est arrêtée avec le volume 40, Harold Searles,
neuro-psychanalyse possible. écrit par Victor Souffir.
Alain Braconnier : Vous êtes l’éditeur de la col- Alain Braconnier : Auriez-vous quelque chose à
lection “Psychanalystes d’aujourd’hui”. Est-ce que nous dire sur le biologisme ?
cette collection a beaucoup de sens pour vous ?
Paul Denis : Je ne suis pas complètement hosti-
Paul Denis : Oui, l’histoire des idées a une grande le, comme Jean Laplanche, au biologisme freu-
importance pour la transmission de la psycha- dien, mais je suis fâché avec la métabiologie de
nalyse de même que l’histoire de la physique est Freud c’est-à-dire avec l’introduction de la pul-
très importante pour l’enseignement de la phy- sion de mort. Laplanche parle de pulsion
sique. C’est extrêmement important de suivre sexuelle de mort et je pense qu’il a raison. Il fait
le mouvement des idées. C’est à l’état naissant remarquer à juste titre qu’il n’y a pas de destrudo
que les idées sont les plus claires et les plus inté- chez Freud, qu’il n’y a qu’une seule énergie psy-
ressantes, c’est à son origine qu’elle est bonne à chique : la libido, et que la destructivité est un
prendre avant qu’elle ait été déformée ; rabâchée destin de la libido. Pour moi ce destin de la libi-
elle perd son efficacité et sa force. Alors la col- do est entraîné par la dissociation de l’emprise
lection “Psychanalystes d’aujourd’hui” a été par rapport à l’expérience de satisfaction.
imaginée pour mettre le plus facilement pos- L’emprise coupée de son but entraîne toute la
sible, le plus grand nombre de gens possible, au libido disponible dans sa course et détruit tout
contact d’auteurs dont certains sont en pleine sur son passage. La mort des protistes ou
activité et d’autres sont très actuels bien qu’un l’apoptose, mort programmée de cellules qui
assure la “sculpture le vivant” selon l’expres-
psychanalyse”.
Alain Braconnier : comment l’expliquez-vous ?
que la psychanalyse ne se serait pas déve- double lecture ce qui se déroule dans la tête de
loppée s’il n’y avait pas eu un respect de la votre patient”. Si l’on n’a pas vécu l’expérien-
méthode. ce de l’analyse, si l’on n’a pas l’expérience de
la cure comme analyste, même si l’on n’en fait
Alain Braconnier : Il pourrait apparaître une pas uniquement son métier, je crois qu’il n’est
contradiction dans ce que vous dites par rap- pas possible de s’imaginer le monde intérieur
port aux autres âges de la vie, ce que vous d’un patient et le jeu de forces qui s’y dérou-
dites là c’est quand même essentiellement le. En psychologie et en psychiatrie, on a trop
par rapport à l’adulte. Comment peut-on se tendance à voir les choses de l’extérieur, selon
sentir psychanalyste en face d’un bébé ? le modèle médical qui conduit à donner des
réponses médicales, des réponses agies qui ne
Paul Denis : On est là dans le registre qu’in- sont pas inspirées par une vraie compréhen-
diquait Marilia Aisenstein, c’est-à-dire que sion de ce que vit la personne qui a besoin
c’est la qualité de l’analyste et son écoute d’aide.
qui le situent en face d’un bébé. Le cadre est
naturellement fixé par le rythme des ren- C’est le vécu de la cure analytique, en effet,
contres mais surtout par la perception, par qui compte. Le complexe d’oedipe, intellec-
l’analyste du registre de son action : com- tuellement, cela s’explique en 5 minutes, l’in-
prendre et interpréter. Un analyste en face terlocuteur peut ou non l’admettre, mais de là
du trio père-mère-bébé, ou de l’ensemble à en mesurer l’importance dans la construc-
mère-bébé, s’il parle le langage de l’oedipe tion du psychisme, à le voir fonctionner dans
et du système représentationnel, soutiendra une séance d’analyse ou dans un entretien,
la vie psychique de la mère, et diminuera de c’est une autre affaire. La psychanalyse
ce fait les réponses agies vides de contenu implique un engagement avec les patients, pas
ou inspirées par un contenu parasite. Les une “prise en charge”, un engagement per-
mères passent leur temps à donner à leur sonnel sine die. C’est parce qu’il faut s’enga-
bébé des réponses agies, simplement celles- ger que beaucoup reculent devant l’analyse,
ci sont inspirées par un fantasme, par une que ce soit devant l’entreprise d’une psycha-