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Rapport provisoire sur les dommages de l'incendie intérieur

Enquête sur le rêve et la marchandise


Les marchandises meurent, les marchandises ressuscitent... et l'objet, la pierre, l'arbre, la femme
et l'homme n'arrêtent pas de se réveiller pour entamer son chant, ou ils le font si lentement et
insuffisamment que personne ne pourrait prévenir le palpitement de la vraie vie. On dirait que
l'économie a recréer le monde à son image, ou qu'il a substituer l'original par sa copie obsolète,
ou qu'il s'est collé à lui comme une seconde peau (zapa de plasma=chaussure de plasma?) et
s’oxyde en se consumant jusqu'à sa propre désintégration. Et comme tout ce qui est en haut est
comme ce qu'il y a en bas, ce n'est pas seulement le monde extérieur de la réalité matérielle plus
au moins objective qui souffre de l'embargo et de l'appropriation capitaliste, ni le monde
symbolique des conventions et des rituelles sociaux qui se replient et se déploient dans le cours
du temps, mais aussi notre monde intérieur, la subjectivité, les imaginaires, les désirs, les
pulsions, l'inconscient même. Le résultat est prévisible et a été expliqué mainte fois : l'économie
ne domine non seulement le monde dans sa totalité, mais aussi son passé et son futur, et il n'y a
pas de sortie possible, ni d'alternative ni de futur, ni d'espace extérieur ni intérieur qui ne passe
sous son contrôle. Donc, celui qui décide de la signification des mots, même les prononcés en
rêve, jusqu'au bégaiement qui se trouve dans le volcan du délire, est encore plus loin de la
phonétique et du sens, il a déjà écrit tout les livres et connait à l'avance n'importe quelle
prophétie. Incluant bien sûr, celle de sa fin.

Maintenant tout va bien, ce qui n'a pas de final n'a pas eu non plus de commencement, de telle
manière qu'un système économique historique s'élève à la catégorie des divinités omnipotentes et
éternelles : non la fin de l'Histoire, mais l'apothéose eschatologique qui se réalise dans une
Apocalypse sans Millénaire. Mais en passant allégrement et catégoriquement de la critique de
l'économie politique à l'exégèse de la théologie, ne sommes-nous pas en train de nous
conformés  ? Mais quand même, ne sommes-nous pas en train de tomber dans le piège que nous
tend cette économie pour mieux nous visser devant l'écran, prendre pour acquis sa victoire
irrévocable ? Non, jamais, nous devrions faire le Spectacle le plus spectaculaire de ce qu'il est
déjà.

C'est donc pratique de replanter les vérités révélées de la critique radicale, en autant de vérités, et
spécialement en tant que révélées, mise en lumière. Et remettre en cause, même comme
hypothèses de travail et germe de résistance, que le processus de marchandisation d'une
subjectivité tout du moins préfabriqué, sans doute réel et indiscutable, est arrivé à son point
culminant désolé et irréversible. C'est vrai que la blessure est ici, et la gangrène est entrée dans
ce qu'il y a de plus profond dans la chair la plus intime, c'est là que naît et se métamorphose la
répulsion et le désir, l'amour et la haine, la volonté et l'abandon. Mais est-ce que tout a pourri ?
Jusqu'au centre le plus secret, jusqu'aux armoires les plus obscures et perdues de l'esprit ? Et
celui-ci ne sait pas, ni ne peut répondre et encore moins contre-attaquer par instinct, comme
l'abeille qui s'immole dans son geste kamikaze, comme le scorpion qui naufrage avec son pire
ennemie ?

Pour concrétiser un peu plus il faut piquer dans le coffre de la subjectivité et arriver à la racine de
la mandragore, à la boîte noire de l'inconscient qui gouverne l'ingouvernable sans rendre des
compte à soi-même : Se serait donc l'inconscient qui serait colonisé par l'imaginaire de
l'économie avec ses publicités et ses chimères, ses marchandises irrésistibles et ses marchandises
magiques ? Il le serait totalement, d'une manière structurelle et irréversible, ou il existerait encore
des points morts et des lignes de fuites qui soient régies par une logique propre et irréductible à
n'importe quelle contamination/propagande idéologique ? Il se pourrait que l'inconscient soit une
réserve indomptable et sauvage, une Terre du Dedans à part des privatisations, des enclos et des
abattages et des mines à cœur ouvertes, des jungle et des écosystèmes de l'esprit libre ?

Comment le savoir ? Il y a sans doute divers points de vues et signaux de fumées qui pourraient
calibrer l'état actuel de l'incendie intérieur, mais il paraitrait que de tous, le rêve est l'un des
indices les plus sûr. Ne rêvons-nous pas avec des marchandises, c'est-à-dire, avec des objets ou
des expériences façonnées et produite pour l'achat et la vente et l'accumulation de la valeur, et
par eux-même si artificiels et allogènes et nocives comme un alien, et si fascinants, addictifs et
morbides comme cette entité extraterrestre ?

Nous ne nous référons pas, bien sûr, à ce que dans un rêve occasionnel apparaisse une
quelconque marchandise comme un objet ou personnage de plus d'accessoire rêvé, comme ils
apparaissent et disparaissent dans le tourbillon des images nocturnes d'une rue, d'un animal, d'un
fruit, ou de n'importe quelle chose ou sans la moindre signification apparente, ni d'une charge
spécialement affective ou émotionnelle. Non plus à ce que l'information proportionnée par ce
type de rêve soit en elle-même suffisante, bien évidemment la corrélation entre l'inconscient et le
fétichisme de la marchandise est bien plus complexe et insaisissable, et dans aucun cas elle ne
pourrait se réduire au simple rêve comprenant des marchandises, des marques, des logos ou
même des annonces publicitaires. En effet, depuis Benjamin, Lacan, Zizek ou Jappe, ce n'est pas
non plus une découverte de proposer qu'il existe une analogie entre la structure, le langage, le
fonctionnement et la dynamique du rêve et de la marchandise, avec le même art du déchiffrement
des processus oniriques qui cristallisent dans le rêve se cachant après son contenu latent, et des
relations sociales et du pouvoir que matérialisent le travail humain dans la marchandise se
cachant dans son fétichisme. Ainsi, par exemple, pour Benjamin les marchandises ont réussi à
incarner et se présenter comme les rêves ou les fantasmagories de l'inconscient collectif, ce qui
nous oblige à nous demander si les rêves individuels ne se seraient pas déjà convertit en les
marchandises des fantasmagories collectives. C'est ainsi que le dicte au moins la publicité, le
cinéma et toute l'industrie du divertissement, et c'est notre père et le leitmotiv de l'idéologie de la
vie prête à travailler et de l'auto-entreprenariat. Et avec des résultats tangibles : les rêves de
l'esprit d'entreprise produisent des relations marchandes réelles, constantes et sonores, et le rêve
même se transforme en cette nouvelle matière première et en l'avant dernière source d'énergie
d'une économie essoufflée à vendre la même chose aux même gens. Se ne serait pas le point
culminant du spectacle ?

Le champ d'étude est donc si infini, inaccessible et mutant comme l'inconscient lui-même. Mais
il faut bien commencer quelque part. Nous proposons donc de focaliser l'attention sur ces rêves
répétitifs, même obsessionnels, dominés par la présence irrévocable d'une ou de diverses
marchandises et par le désir ardent de posséder, profiter, amasser et peut-être de souffrir même
de telles marchandises. Rêves, ou cauchemars, qui nous permettent de juger encore de manière
provisoire si, effectivement ou non, nous rêvons avec des marchandises. Si oui, alors la
colonisation de l'inconscient et par conséquent de notre imaginaire serait sans appel, autant que
le besoin impérieux de le libérer, une mission herculéenne pour laquelle il est indispensable de
faire le premier pas de la reconnaissance décharnée et sans auto-justifacation du mal qui existe et
qui nous a contaminé en entier. Si non, il faudrait reconsidérer ou redimensionner tel endroit
commun de la pensée critique, et tenter d'extraire les possibles enseignements,opportuns et
conséquences de telle résistance de l'inconscient, encore partielle et relative, peuvent s'extraire
pour la guerre contre la domination. Et si tu ne sais pas ou ne réponds pas, il faut donc
réinitialiser le jeu.

Car c'est aussi un jeu que nous proposons, peut-être mortel, jamais inoffensif. Un jeu de
questions et de réponses qui s'entrecroisent afin d'essayer d’attraper ce poisson soluble de
l'inconscient comme le filet de pêche. Pour jouer à fond et sans se retenir et sans ambages, il est
nécessaire de s'armer de valeur, c'est-à-dire, de sincérité : si l'on rêve avec les tristes imbécilités
de la marchandise il faut le confesser sans justifications, sans pudeur et sans honte, bien qu'il soit
radicalement correcte, et depuis lors bien plus flatteur et complaisant, inventer qu'il se rêve de
révolution vengeresse, ou d'orgies déchaînées, ou le septième ciel d'un amour fou, ou de la
commune arcadienne du lait et du miel. Faire autre chose serait ouvrir d'autres trous dans un
réseau dont l'économie a déjà tout détruit avec plaisir et seul.

Celles-ci sont les questions. On peut y répondre par ordre chronologique, ou en même temps et
en désordre, ou bien au contraire, ne pas y répondre du tout.

1) As-tu rêvé déjà de marchandises ? Décris le contenu manifeste d'un ou de ces différents
rêves.
2) Quelle est l'intensité ou force avec laquelle apparaissent telles marchandises dans ton
rêve ? Elles se manifestent comme un besoin ou une envie ? Elles détiennent des
critères exaltants et agréables, ou déchirante et effrayante ?
3) Crois-tu que la marchandise apparaisse en tant que marchandise, ou comme
représentation ou symbole d'un autre contenu onirique ? Le contraire serait-il
possible, que certains éléments d'un rêve cachent, à travers les mécanismes de
translation, condensation, de représentativité et d'élaboration secondaire de
l'inconscient, à la marchandise ou le désir de désirer la marchandise ?
4) Que te rappelle-tu une fois réveillé d'un rêve avec de la marchandise, pourrait-tu nous
dire quelle réactions génère ce souvenirs? Rage, embarras, satisfaction,
curiosité, indifférence ? De quelle manière pourrait-on mettre en corrélation tel
rêve avec la submersion quotidienne dans le royaume de la marchandise dont
elle-même administre et contamine la publicité, et qui finalement détermine les
fondements de notre vie individuelle et sociale ?
5) Dans le cas où tu ne rêves pas avec de la marchandise, ou tu ne te rappelles pas de ces
rêves, pourrais-tu te questionner sur tel phénomène et développer une réflexion
sur les causes de celui-ci ? De quelle manière perturbatrice ou non pourrait-on
mettre en corrélation telle absence ou négation du rêve de la marchandise avec
l'omniprésence du fétichisme de la marchandise qui domine la vie vigile ?

C'est l'heure de jouer, de se réveiller, et de rêver avec les yeux ouverts.

Pour cela, rien de mieux que d'envoyer les réponses à ce mail :


institutoonirocriticacomparada@gmail.com

Jose Manuel Rojo, José Sagasti

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