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INTRODUCTION

ARNAUD RIVIÈRE
ELISE BONNEVEUX
PATRICIA COUTELLE-BRILLET
Vallorem, IAE, université François Rabelais, Tours
AUDE DEVILLE
GRM, Université Côte d’Azur ;
Inseec Business School

Les stratégies low-cost


Synthèse et perspectives

L
e low-cost représente un phénomène de consommation
durable (Bourcieu, 2013), caractérisé par une croissance
sans précédent qui devrait se maintenir dans les années
futures. Dans le transport aérien, le succès de ce type d’offre
constitue une menace sérieuse pour les acteurs traditionnels. Dans
les nombreux autres secteurs où le low-cost s’est développé
(automobile, hôtellerie, coiffure, etc.), il correspond davantage à
un segment de marché plus restreint, bien que ses perspectives
d’évolution laissent présager une intensification du contexte
concurrentiel.
Malgré l’attrait et l’impact du low-cost sur les marchés, et
contrairement à l’attention qui lui a été portée en économie
(Combe, 2011) et en géographie/aménagement1 (Delaplace et
Dobruszkes, 2015), les chercheurs en sciences de gestion ont
délaissé, pendant longtemps, ce champ d’investigation (Aurier et
Zollinger, 2009). Cette distorsion entre les préoccupations des
praticiens et celles des chercheurs est d’autant plus prégnante au

DOI: 10.3166/rfg.2017.00162 © 2017 Lavoisier

1. Les chercheurs en géographie / aménagement se sont intéressés aux conséquences spatiales du développement du
low-cost aérien.
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sein de la communauté francophone alors chercheurs sur la thématique du low-cost,


même que le succès du low-cost est tout en proposant plusieurs pistes de
particulièrement important en Europe, et recherche prioritaires. Ainsi, dans la pre-
notamment en France (Santi et Nguyen, mière partie de cet article, trois approches,
2012). Si quelques travaux ont récemment structurant les recherches dans le champ
été menés, mais essentiellement en stratégie investi, sont mises en évidence. Dans une
et en marketing (Zilberberg, 2012) et seconde partie, et avant de présenter les
principalement dans les deux secteurs de articles sélectionnés, un agenda de recher-
développement historique du low-cost che est proposé au travers de trois axes
(l’aérien et la distribution alimentaire) d’investigation.
(Dobruszkes, 2006), les chercheurs en
gestion doivent s’emparer plus largement
I – ÉTAT DES RÉFLEXIONS DES
de ce sujet. Leurs contributions permettront
CHERCHEURS EN SCIENCES DE
de mieux appréhender une réalité plus
GESTION SUR LE LOW-COST
complexe qu’il n’y paraît, ne pouvant se
réduire à l’explication du succès du low-cost Parmi les quelques recherches récentes
par le seul contexte économique (Meier et menées en sciences de gestion sur le low-
Pacitto, 2013). Par ailleurs, ce segment de cost, certaines d’entre elles ont contribué
marché est confronté à de nouvelles pro- à une meilleure caractérisation de ces
blématiques liées à l’accroissement de la stratégies au travers d’une analyse détaillée
concurrence, à la diversité des déclinaisons des composantes de leur business model.
du business model du low-cost, à une D’autres investigations ont pu apporter un
diffusion toujours plus large de ce type nouvel éclairage sur le low-cost via la
d’offre (BtoB, luxe, etc.), à une variété des mobilisation du cadre d’analyse de l’inno-
motivations des acheteurs et à une évolution vation. Enfin, plusieurs travaux ont été
généralisée de leur attitude à l’égard de ces entrepris en vue d’œuvrer à une compré-
produits et services (Coutelle-Brillet et hension plus fine des conséquences du
Rivière, 2014 ; Bonneveux et Rivière, développement de ce type d’offre sur les
2016). marchés.
Ce dossier spécial a pour objectif, au travers
des quatre articles proposés, de contribuer à
1. L’approche du low-cost par l’analyse
une meilleure compréhension des stratégies
de son business model
low-cost en sciences de gestion, et ainsi de
souligner l’intérêt d’un enrichissement des Le low-cost, dont l’ambiguïté sémantique
connaissances dans ce domaine. Sur le plan transparaît dans le discours des chercheurs
pratique, les travaux retenus pourront offrir tout comme dans celui des praticiens
aux managers des pistes de réflexion et des (Zilberberg, 2012), ne désigne pas seule-
leviers d’action utiles pour renforcer l’at- ment une stratégie commerciale ou de
tractivité et le développement des offres production, mais bien une stratégie d’en-
low-cost. Dans cette perspective, cet article treprise (Lendrevie et al., 2009). Celle-ci
introductif a pour vocation de dresser à la nécessite de repenser l’approche des mar-
fois un état des réflexions menées par les chés, le business model et la chaîne de
Les stratégies low-cost 73

valeur de l’organisation (Zilberberg, 2012 ; soit associées à une hybridation de ces deux
Bourcieu, 2013) dans le sens d’une réduc- stratégies (Zilberberg, 20122), ou soit
tion durable et drastique des coûts, per- clairement isolées de ces dernières (Bour-
mettant une baisse significative et pérenne cieu, 2013). D’autres auteurs ont cherché à
des prix de vente (Dameron, 2008 ; positionner les stratégies low-cost au sein
Lendrevie et al., 2009). Dans cette per- des différentes pratiques de diminution des
spective, bon nombre d’auteurs ont cherché coûts (outsourcing, économies d’échelles,
à apprécier la nature du low-cost par une etc.) et/ou des prix (soldes, promotions, etc.)
meilleure appréhension des spécificités de pouvant être déployées par les entreprises
son business model déployé tout au long de (Combe, 2011 ; Coutelle-Brillet et Rivière,
la chaîne de valeur (tableau 1). 2014). Contrairement à ces dernières, le
Au-delà de ces caractéristiques liées à la low-cost se singularise par la présence
chaîne de valeur du low-cost, d’autres concomitante d’une diminution durable
facteurs clés de succès ont également été des coûts et des prix, ainsi que d’une
identifiés dans la littérature tels que l’im- redéfinition des contours de l’offre dans le
portance de la qualité perçue des offres sens d’une simplification de contenu.
auprès des clients, la réduction des frais Alors que la vision présentée jusqu’à
généraux (coûts du personnel, coûts de présent tend à assimiler le low-cost à un
fonctionnement du siège), l’enjeu d’une business model unique, et bien que recon-
culture organisationnelle (orientée vers naissant un certain nombre d’invariants
l’efficience, la flexibilité, la créativité, le dans sa définition (notamment simplifica-
contrôle des coûts), ou bien encore la tion de l’offre, baisse durable et drastique
présence de conditions de marché spécifi- des coûts), bon nombre d’auteurs soulignent
ques (forte élasticité des ventes au prix) une certaine diversité dans l’application des
(Hunter, 2006 ; Pate et Beaumont, 2006 ; modalités d’implémentation du business
Lendrevie et al., 2009 ; Zilberberg, 2012 ; model du low-cost (Barry et Nienhueser,
Berman, 2015). 2010). Sa déclinaison, au sein d’un marché,
L’identification de toutes ces conditions peut en effet varier en fonction de variables
favorisant l’implémentation des stratégies externes ou internes à l’entreprise. Sur le
low-cost permet de resituer ces dernières au plan externe, parmi les facteurs identifiés
sein d’un corpus théorique et d’un ensemble dans la littérature (telles les spécificités
de pratiques usuelles en gestion. Ainsi, et contraintes légales ou techniques du
considérant les stratégies génériques identi- secteur d’implantation de l’offre low-cost)
fiées par Porter (1985), les stratégies low- (Delaplace et Dobruszkes, 2015), la pres-
cost sont soit rapprochées, dans la littéra- sion concurrentielle représente une source
ture, des stratégies de différenciation (par importante de variation du business model
le bas) mais distinguées des stratégies de originel du low-cost (Coutelle-Brillet et
domination par les coûts (Dameron, 2008), Rivière, 2013, 2014 ; Meier et Pacitto,

2. Zilberberg (2012) parle de différenciation positive dans le sens où la tarification séparée des attributs permet des
arbitrages que le lot interdit. L’offre n’est pas épurée mais enrichie puisqu’elle implique des arbitrages parmi des
attributs optionnels. Le low-cost propose une valeur au moins égale au client (par rapport à l’offre référence du
marché), mais à un prix inférieur (grâce à une meilleure utilisation des actifs - domination par les coûts unitaires).
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Tableau 1 – Les principales spécificités de la chaîne de valeur du low-cost

Étapes de la chaîne
Spécificités
de valeur

– Nombre réduit de fournisseurs et


commandes en gros.
Approvisionnement
– Relations durables et stables avec
les fournisseurs.

Conception – Dépenses R&D limitées

– Rationalisation et standardisation – Simplification de l’offre :


des moyens de production (baisse le low-cost est un modèle qui
des coûts de formation, de réinterroge les besoins des
fonctionnement et de maintenance, individus pour les redéfinir dans
pouvoir de négociation le sens d’une simplification.
renforcé) + dotation d’actifs récents L’offre de base correspond au
(coûts d’utilisation réduits). besoin jugé essentiel par le
– Utilisation optimisée et rotation client (sans compromis sur la
intensive des ressources et actifs qualité, suppression des
(productivité accrue). fonctions et services jugés
– Automatisation et industrialisation onéreux et non essentiels).
Production de la production (diminution des Le corollaire fréquent de cette
frais de personnel). simplification est la dissociation
– Politique de sous-traitance du lot conventionnel et
(externalisation des activités en « l’optionnalisation » des
dehors du cœur du métier). attributs secondaires.
– Recours à l’internationalisation et à – Réduction de la gamme de
la délocalisation (accès à une produits (simplification de la
main-d’œuvre moins chère). gestion de l’offre). Ce
– Polyvalence (et flexibilité) du recentrage sur l’essentiel permet
personnel. de simplifier et standardiser les
– Prise en charge par le client d’une différentes phases de la chaîne
partie du processus de production. de valeur, permettant une baisse
durable du coût de revient et
– Faibles dépenses marketing : donc des prix.
le prix bas fait office de publicité.
– Désintermédiation et
Commercialisation/
dématérialisation de la distribution
vente
(Internet).
– Mise à contribution du client
(transfert de tâches).

Sources : à partir de Lendrevie et al. (2009), Combe (2011), Santi et Nguyen (2012), Zilberberg (2012).

2013). En effet, à l’image du secteur aérien retrouver confrontés à une double concur-
ou de la distribution alimentaire, deux rence : celle exercée par les acteurs tradi-
secteurs caractérisés par l’ancienneté du tionnels et celle liée à la présence d’autres
développement des offres à bas coûts acteurs low-cost. Afin de se différencier de
(Combe, 2011), les low-costers peuvent se ces derniers et, séduire une clientèle plus
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large, certains protagonistes ont adopté 2. L’approche du low-cost par le cadre


une stratégie d’enrichissement de l’offre. d’analyse de l’innovation
Cette évolution a conduit plusieurs auteurs
à établir, au sein de la distribution low-cost, Bon nombre d’auteurs ont rapproché les
une distinction entre le hard discount pur et stratégies low-cost des innovations straté-
le soft discount (ou smart discount) giques. Deux sources majeures permettent
(Combe, 2011). Une différenciation sem- de caractériser des innovations stratégi-
blable a été opérée, parmi les compagnies ques : la modification radicale de la valeur
aériennes à bas coûts, entre le low-cost pur pour le client et la modification radicale de
(« no frills ») et le middle-cost (« low/some la chaîne de valeur. Lorsque la modification
frills ») (Wallace et al., 2006 ; Harvey et porte de manière concomitante sur ces deux
Turnbull, 2010). À partir d’une observation axes, le terme de stratégie de rupture est
plus globale du segment du low-cost dans employé (Lehmann-Ortega et Schoettl,
différents secteurs d’activité, Coutelle- 2005). Considérant ces deux conditions,
Brillet et Rivière (2014) proposent une les stratégies low-cost peuvent être quali-
typologie des low-costers en identifiant les fiées de stratégies de rupture (Lehmann-
« hard low-costers » (modèle d’origine du Ortega et Roy, 2009 ; Gagne, 2013). Elles
low-cost caractérisé par une forte simpli- proposent, en effet, une modification de la
fication de l’offre), les « middle low- valeur pour le client en engendrant une
costers » (simplification plus modérée, rupture produit/marché articulée autour
avec quelques services dans l’offre de d’une optimisation du différentiel coût/
base et gamme plus large d’attributs valeur perçue : la proposition de valeur,
optionnels) et les « soft low-costers » centrée sur un prix de vente durablement bas
(simplification minime, n’affiche pas son et une offre réduite à l’essentiel mais de
appartenance aux « low-costers »). Même qualité, est renouvelée et originale. Par
si les fondements du modèle économique ailleurs, les stratégies low-cost engendrent
demeurent, ces acteurs se différencient une modification profonde de la chaîne de
principalement au vu du degré de sim- valeur de l’entreprise, représentant une
plification de leur offre. Au-delà de la rupture de process. Ce rapprochement établi
pression concurrentielle, et d’un point de entre les stratégies de rupture et les
vue interne, plusieurs autres facteurs liés à politiques à bas coûts permet de repérer
l’organisation peuvent également condi- plusieurs sources potentielles d’émergence
tionner les modalités d’application d’une d’offres low-cost, à partir des différents
stratégie low-cost, tels que la culture leviers de création de rupture stratégique,
d’entreprise ou le climat social (Delaplace identifiés notamment par Métais et al.
et Dobruszkes, 2015). (2009) dans le cadre du développement de
Si l’étude du business model et de la la Logan. Par ailleurs, l’appréhension des
diversité de ses déclinaisons a constitué un stratégies low-cost au travers du cadre
premier angle d’étude des stratégies low- d’analyse de l’innovation stratégique per-
cost, d’autres recherches ont appréhendé ces met d’éclairer la démarche d’implantation et
politiques à bas coûts au travers du cadre de repérer les conditions susceptibles de
d’analyse de l’innovation. favoriser l’adoption et la mise en œuvre des
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politiques à bas coûts. En particulier, en fonctions non essentielles pour diminuer les
s’appuyant sur l’analyse de l’adoption du coûts tout en maintenant la qualité. Ils
modèle low-cost par Air France entre 2004 séduisent ainsi non seulement les clients des
et 2012 par le biais de sa filiale Transavia, pays émergents jusqu’alors exclus du
Gagne (2013) souligne, lors de l’adoption marché, mais aussi les consommateurs les
d’une innovation de rupture, l’enjeu de plus sensibles aux prix des pays développés
l’identité organisationnelle3. (Hussler et Burger-Helmchen, 2016). À
Au-delà de l’innovation stratégique, le low- l’image de la Logan initialement pensée
cost a également été associé à deux autres pour les marchés d’Europe de l’Est (Croué,
types d’innovation : les innovations fruga- 2006), ce type d’innovation permet d’iden-
les et les innovations inversées (Agnihotri, tifier des opportunités de diffusion inter-
2015 ; Hussler et Burger-Helmchen, 2016). nationale et d’initier de nouveaux concepts
À l’instar de la Southwest Airlines ou d’offres pour les pays développés, mais
d’Ikea, l’innovation frugale fait référence à n’apporte aucun éclairage sur leur processus
des solutions innovantes et ingénieuses, de développement et de mise en œuvre
développées sous conditions de contraintes (Hussler et Burger-Helmchen, 2016).
et d’optimisation d’utilisation de ressources, En définitive, si les recherches mobilisées
permettant de réaliser des économies jusqu’à présent ont permis de mieux
importantes4. L’apport de ces recherches appréhender les stratégies low-cost à partir
réside dans l’identification de principes, du cadre d’analyse de l’innovation ou de
pratiques et méthodes satisfaisant à l’exi- l’examen du business model sous-jacent, il
gence d’économie des ressources et de est nécessaire d’élargir le périmètre étudié
gestion optimale de la structure de coûts en considérant les conséquences de ces
(Anderson et Lillis, 2011 ; Hussler et stratégies sur les marchés.
Burger-Helmchen, 2016). Ces travaux trou-
vent un écho particulier dans le contexte des
stratégies low-cost, soumises à la nécessaire 3. L’approche du low-cost par l’étude
maîtrise des coûts. L’innovation inversée de ses conséquences sur le marché
désigne des produits et services conçus L’adoption de nouveaux business models de
d’abord dans et pour les pays émergents, rupture, tels que celui du low-cost, peut
puis commercialisés dans un second temps engendrer deux conséquences sur les mar-
dans les pays développés (Hussler et chés : la domination ou le partage du
Burger-Helmchen, 2016). Ces nouveaux marché actuel (le low-cost est une stratégie
biens et services à destination des pays concurrentielle) et la création d’un nouveau
émergents sont souvent réduits à leurs marché (le low-cost est une stratégie
formes les plus basiques, en éliminant les d’augmentation de la demande primaire)

3. L’identité organisationnelle est définie par ce qui est central, distinctif et durable pour l’organisation. Loin d’être
figée et déterminée une fois pour toutes par le management, elle est d’abord une construction sociale (soumise à des
dynamiques instables) plus ou moins partagée, plus ou moins conflictuelle entre les membres de l’organisation (Gagne,
2013).
4. Compte tenu des contraintes de ressources, les produits sont souvent moins avancés technologiquement par
comparaison avec leurs équivalents sophistiqués, mais sont suffisants pour fournir la fonctionnalité de base du produit
(Agnihotri, 2015).
Les stratégies low-cost 77

(Lendrevie et al., 2009 ; Chung et Whang, par les entreprises traditionnelles, en


2011). Dans le premier cas, le nouveau réponse à cette nouvelle concurrence low-
business model rend ceux traditionnels cost particulièrement menaçante pour les
obsolètes et met en difficulté les concurrents marchés matures et les acteurs positionnés
qui n’arrivent pas à se reconvertir. Le moyen de gamme (Kapferer, 2004 ; Kumar,
nouveau business model domine alors 2006 ; Lendrevie et al., 2009 ; Berman,
progressivement le marché. Un autre cas 2015). Parmi les travaux menés, ceux de
de figure est celui dans lequel le nouveau Berman (2015) ont conduit à distinguer
business model ne conquiert qu’une partie quatre stratégies alternatives de réponse : 1)
de la clientèle aboutissant à un partage du attendre et voir (période d’observation du
marché. Dans une toute autre configuration, nouveau concurrent low-cost), 2) conserver
le business model innovant peut se juxta- sa stratégie actuelle de prix, 3) adapter sa
poser à ceux déjà en vigueur, conduisant stratégie de prix (réduire ou aligner ses tarifs)
cette fois-ci à la création d’un nouveau à celle du concurrent low-cost, 4) faire
marché (Lehmann-Ortega et Roy, 2009 ; coexister l’offre traditionnelle de l’entreprise
Lendrevie et al., 2009). Ces deux consé- avec une offre à bas prix développée en
quences peuvent être concomitantes sur un réponse à la concurrence low-cost.
même marché, à l’instar du low-cost aérien Du côté de la demande, l’attrait pour les
qui a su capter à la fois une partie de la offres low-cost s’inscrit en cohérence avec
clientèle de ses concurrents directs mais de nombreuses évolutions récentes des
également une nouvelle clientèle qui pré- consommateurs, marqués non seulement
férait jusque-là opter pour d’autres modes par de fortes préoccupations et une baisse
de transport. Une partie de cette nouvelle perçue de leur pouvoir d’achat (Aurier et
demande, venue au transport aérien via le Zollinger, 2009), mais aussi :
low-cost, peut même devenir par la suite une – par des changements psychosociologi-
clientèle ponctuelle ou habituelle des ques (le consommateur est plus averti,
compagnies classiques (Dameron, 2008 ; désireux de consommer au juste prix voire
Lendrevie et al., 2009). Quelles que soient au juste coût, se sent décomplexé, assume le
les conséquences engendrées, le dévelop- fait de consommer du discount) (Dameron,
pement du low-cost amène, le plus souvent, 2008 ; Coutelle et Rivière, 2013) ;
à une transformation des règles du jeu, une – par l’adoption de comportements d’achat
déstabilisation des concurrents, et une réfléchi (wise shopping) et d’achat malin
intensification du contexte compétitif, inci- (smart shopping)5 (Djelassi et al., 2009) ;
tant les acteurs traditionnels à considérer – par une aversion croissante à la surabon-
cette nouvelle menace concurrentielle et à dance fonctionnelle, au perfectionnement
réfléchir à différentes réactions possibles. continu des biens et au flot permanent
Au regard de ces préoccupations managé- d’innovations (Fournier et al., 1998) ;
riales, des chercheurs se sont intéressés aux – par la recherche accrue de simplicité
options stratégiques pouvant être adoptées (Raïes et Helme-Guizon, 2014) et de

5. Alors que le smart shopping conduit à assouvir son envie de consommer en dépensant le moins possible (recherche
active de bonnes affaires), le wise shopping amène à maîtriser durablement ses dépenses, en particulier en achetant des
produits moins chers et en évitant le superflu (Djelassi et al., 2009).
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solutions à la raréfaction des ressources (le 2004 ; Croué, 2006). C’est d’ailleurs pour
low-cost, en se concentrant sur la satisfac- cette raison que plusieurs auteurs ont
tion des besoins essentiels, limite au strict mobilisé l’approche de la valeur perçue
nécessaire la consommation de ressources) afin de mieux cerner la nature de cette
(Bourcieu, 2013) ; interaction et appréhender plus finement la
– par la volonté des acheteurs de retrouver complexité de la valorisation de ces offres à
du pouvoir et de la liberté dans leur choix de bas coûts par les acheteurs particuliers
consommation (le low-cost contribue à comme professionnels (Coutelle-Brillet et
diversifier les offres sur les marchés et Rivière, 2013, 2014 ; Bonneveux et
permet des arbitrages parmi des attributs Rivière, 2016). En démontrant une diversité
optionnels que le lot traditionnel interdit) des sources potentielles de création et de
(Zilberberg, 2012 ; Coutelle-Brillet et destruction de valeur, perçues par les
Rivière, 2014). acheteurs à l’égard du low-cost, ces résultats
Cette variété de motivations et d’attitudes, suggèrent aux praticiens des axes de
qui traduit une absence de lien systématique réflexion stratégique et constituent une aide
entre low-cost et phénomène de déconsom- dans l’élaboration de leur marketing opéra-
mation6 (Séré de Lanauze et Siadou-Martin, tionnel (Coutelle-Brillet et Rivière, 2013,
2013 ; Coutelle-Brillet et Rivière, 2014), 2014 ; Bonneveux et Rivière, 2016).
amène à l’identification de trois types En définitive, les travaux menés en sciences
principaux de demandes de low-cost de gestion autour du low-cost, et abordés
(Combe, 2011) : le low-cost de substitution dans cette première partie autour de trois
(report du choix d’un bien ou service approches, révèlent la diversité des pro-
traditionnel vers le produit low-cost), le blématiques traitées et des cadres théoriques
low-cost de complémentarité (achat du mobilisés, et ainsi la richesse du champ de
produit low-cost en complément du produit recherche investi.
traditionnel), et le low-cost d’accession ou
d’induction (accès, via le low-cost, à des
2 – PROPOSITION D’UN AGENDA
catégories d’offres non consommées jus-
DE RECHERCHE
qu’à présent). Ainsi, loin de se restreindre
aux ménages les plus démunis (Dameron, L’attrait accru du low-cost sur les marchés
2008), le low-cost est en capacité de et les interrogations théoriques qu’il soulève
satisfaire une variété de motivations et justifient de renforcer l’intérêt des cher-
d’attentes dépassant la seule recherche du cheurs en sciences de gestion pour cette
prix bas, témoignant ainsi d’un rapport des thématique. Dans cette perspective, trois
individus à l’égard de ces offres équivoque pistes de recherche prioritaires sont
et bien plus riche qu’il n’y paraît (Kapferer, identifiées.

6. La déconsommation fait référence aux comportements des individus visant à réduire volontairement leur
consommation, à moins consommer (Séré de Lanauze et Siadou-Martin, 2013). Grâce aux économies réalisées par
l’achat d’offres low-cost, les consommateurs peuvent être amenés à consommer plus (plus souvent la même offre ou
d’autres offres non low-cost), à acquérir des offres plus superflues, à monter en gamme sur d’autres produits (revoir leur
arbitrage entre les différents produits qui les intéressent) (Coutelle-Brillet et Rivière, 2014).
Les stratégies low-cost 79

1. Enrichir les cadres d’analyse et semble n’affecter, que de manière limitée,


les dispositifs de pilotage des acteurs les motivations des salariés en raison
low-cost notamment de leur fierté d’appartenir à
une organisation innovante, en forte crois-
En complément des quelques travaux sance, qui fait parler d’elle dans les médias,
récents, menés essentiellement en stratégie et qui affiche des valeurs de modernité
et en marketing, et considérant la diversité (Shuk-Ching Poon et Waring, 2010). Ces
des pratiques de gestion des ressources réflexions soulignent la nécessité de mieux
humaines (GRH) dans les entreprises low- considérer les perceptions et l’attitude des
cost ainsi que l’importance pour ces salariés vis-à-vis de leur employeur low-
dernières de maintenir leur leadership sur cost. Dans cette perspective, l’adoption
les coûts, des contributions en GRH et en d’une approche de marketing RH pourrait
comptabilité-contrôle sont particulièrement être mobilisée. Cette dernière consiste à
attendues. appliquer une démarche et des techniques
En comparant les modalités de gestion des marketing en vue de convaincre, fidéliser et
ressources humaines entre les entreprises séduire les salariés. Des travaux pourraient
traditionnelles et les acteurs low-cost dans le ainsi être menés afin de mieux cerner la
secteur aérien, certains auteurs, en s’ap- nature de la marque employeur et de
puyant sur le cas de Ryanair, parlent l’image-employeur dans le cas spécifique
d’approche minimaliste de la GRH, et des entreprises low-cost. En interrogeant
soulignent l’existence de conditions de des potentiels futurs salariés et des salariés
rémunération et de travail moins avanta- actuels, de telles contributions pourraient
geuses dans le cas des entreprises low-cost permettre d’optimiser la phase de recrute-
(Barry et Nienhueser, 2010 ; Shuk-Ching ment et la stratégie d’attractivité des acteurs
Poon et Waring, 2010). Si certains cher- low-cost, tout comme leur politique de
cheurs tempèrent ce constat (Hunter, 2006), fidélisation de leurs collaborateurs (Arnaud
quelques travaux évoquent, au contraire, et al., 2009 ; Charbonnier-Voirin et Vignol-
l’existence d’une politique de GRH avanta- les, 2015). Par ailleurs, en considérant les
geuse, comme l’illustre le cas de la difficultés de recrutement sur certains
Southwest Airlines (Harvey et Turnbull, métiers dues à des problèmes d’attractivité,
2006, 2010 ; Pate et Beaumont, 2006). la notion d’image métier pourrait être
Cette variabilité dans les pratiques de considérée. Cette dernière, définie comme
gestion des ressources humaines reflète une représentation globale du métier dans
une difficulté : en effet, si l’approche l’esprit des individus (Brillet et Gavoille,
minimaliste permet de s’inscrire en cohé- 2016), pourrait être appréciée de manière
rence avec la nécessaire maîtrise des coûts comparative pour un même métier, selon
imposée par le low-cost, la question de sa que ce dernier est exercé dans un contexte
pertinence et de son maintien sur le plus low-cost ou non. En d’autres termes,
long terme peut se poser ainsi que de ses il s’agirait d’apprécier, au travers du
conséquences sur l’engagement et la pro- concept d’image, l’influence potentielle du
ductivité des salariés. Dans le même temps, caractère low-cost sur la représentation du
la dégradation de ces conditions salariales métier chez les individus. Ces travaux
80 Revue française de gestion – N° 266/2017

permettraient de définir des pistes d’action d’un système de mesure de la performance,


adaptées pour des entreprises low-cost ou au niveau des pratiques de contrôle de
confrontées à des problématiques de gestion qui sont alors envisagées comme un
recrutement et de fidélisation sur certains package (Otley, 2016). En premier lieu,
métiers. compte tenu de l’importance de la prise en
En outre, jusqu’à présent, la thématique du compte du contexte et des facteurs de
low-cost semble n’avoir guère intéressée la contingence dans le développement de
comptabilité de gestion (Zilberberg, 2012). systèmes pertinents de mesure de la
Pourtant, afin d’appliquer la démarche de performance (Deville et al., 2014 ; Otley,
réduction durable et drastique des coûts 2016), il semble essentiel de s’interroger sur
intrinsèque au low-cost, la contribution des la nécessité de concevoir un modèle
chercheurs en comptabilité-contrôle est spécifique de mesure (financière et non
particulièrement attendue. Cette question financière) de la performance adapté aux
du contrôle des coûts est d’autant plus différents niveaux de prise de décision et
centrale pour les low-costers qui doivent aux problématiques des entreprises low-
assurer la pérennité de leur business model cost. En cohérence avec les travaux d’Hyun
en maintenant, dans le temps, leur leaders- et al. (2017), il serait également intéressant
hip sur les coûts alors même qu’ils sont d’analyser, à partir d’une approche quanti-
confrontés à un environnement évolutif et à tative, les relations causales entre les
une pression concurrentielle accrue sur les indicateurs de la performance au sein d’un
prix (concurrence aussi bien intra qu’inter- tableau de bord prospectif. En effet, selon la
segments) (Pate et Beaumont, 2006). Une stratégie d’entreprise, le chemin causal qui
première piste d’étude, particulièrement vise à expliquer la performance financière
pertinente dans le champ du low-cost, peut être différent. Une seconde voie de
pourrait consister à s’intéresser aux enjeux recherche peut être proposée en lien avec
et aux apports de la méthode du target l’idée de package de systèmes de contrôle
costing (méthode du coût cible), compara- de gestion. En effet, il peut coexister au sein
tivement à d’autres méthodes de contrôle d’une même organisation plusieurs systè-
des coûts (Zilberberg, 2012). Comme mes de mesure de la performance simulta-
l’illustre le lancement d’une petite citadine nément (par exemple des budgets et des
low-cost à moins de 5 000 euros en Inde par tableaux de bord). Bedford et al. (2016)
Renault en 2015, la méthode du target considèrent les packages de contrôle de
costing semble particulièrement bien adap- gestion comme un ensemble de pratiques
tée aux problématiques des acteurs low-cost combinées et les interdépendances entre ces
et permet de concilier les contraintes pratiques comme des éléments d’un système
internes en termes de coûts de l’organisation de contrôle de gestion. Dans le cas des
avec la contrainte externe du marché. Une stratégies low-cost, et au regard de travaux
seconde piste pourrait, quant à elle, s’inté- récents (Bedford et al., 2016 ; Otley, 2016),
resser à l’influence de la stratégie low-cost il semble essentiel, en complément de la
sur les dispositifs de contrôle selon deux mise en cohérence des systèmes de contrôle
niveaux d’étude : au niveau des relations de gestion avec les spécificités des stratégies
entre indicateurs de performance au sein à bas coûts, de mettre également en
Les stratégies low-cost 81

cohérence l’ensemble des systèmes de initial et leur positionnement exclusif. Elles


contrôle de gestion constitutifs du package. ont ainsi rompu avec leur positionnement
originel et ont brouillé leur image en
réduisant la distinction « enseigne hard
2. Mieux considérer l’émergence
discount/enseigne classique ». Le risque
de business models hybrides du low-cost
encouru par une telle stratégie est celui
et leurs problématiques sous-jacentes
d’une convergence voire d’une banalisation
Malgré le développement de modèles low- des positionnements conduisant vers le
cost hybrides (type « middle low-costers », « Big Middle » dans lequel il est difficile
« soft low-costers ») sur les marchés, la de se différencier. Ainsi, au lieu d’optimiser
question de leur efficacité, sur la profitabilité leur business model comme le préconise la
de l’entreprise, fait l’objet de débats au sein roue de la distribution d’Hollander (1960),
de la littérature. Pour certains auteurs, et à certains hard discounters ont préféré choisir
l’instar d’easyJet ou de Lidl, ces versions une stratégie médiane, vouée à l’échec dès
évoluées dans l’application des principes lors qu’elle s’avérait incapable de soutenir
originels du low-cost ont démontré leur la forte pression sur les prix (Hunter, 2006 ;
pertinence (Pate et Beaumont, 2006). En Djelassi et al., 2009 ; Meier et Pacitto,
particulier, dans le secteur aérien, ces 2013). Une étude récente a d’ailleurs
stratégies semblent particulièrement appro- comparé la perception du positionnement
priées pour séduire les marchés BtoB ou prix et de la proposition de valeur entre des
pour assurer les vols longs courriers enseignes « hard discount pur » et « soft
(Hunter, 2006 ; Wallace et al., 2006). Pour discount ». Les résultats soulignent l’ab-
d’autres, ce segment de marché sera sence de différence perçue entre ces deux
rapidement saturé, conduisant à des résultats types d’enseignes (Coutelle-Brillet et
progressivement décroissants. Le succès de Rivière, 2013). Ces conclusions amènent
compagnies aériennes telles que Ryanair, ainsi à s’interroger sur la pertinence d’un
fondées sur un modèle « hard low-cost », et positionnement différencié hard/soft dis-
l’absence d’évidence d’un accroissement count et plus globalement, sur l’efficacité
systématique de la performance liée à des modèles hybrides du low-cost.
l’adoption de modèles hybrides, démontrent De futurs travaux apparaissent donc néces-
également l’intérêt de privilégier une appli- saires afin de mieux cerner les conséquences
cation du modèle originel du low-cost qui liées au développement des différentes
semble plus profitable (Hunter, 2006 ; Pate déclinaisons du low-cost (hard, middle et
et Beaumont, 2006). Par ailleurs, dans le cas soft low-costers). En particulier, une pre-
de la distribution alimentaire, les hard mière piste pourrait amener à mieux
discounters, confrontés à une multiplication apprécier les impacts de chacune de ces
des enseignes discount et à une concurrence déclinaisons en termes de performance
prix accrue entre les enseignes traditionnel- financière (Pate et Beaumont, 2006). Par
les, ont cherché, pour certains d’entre eux, à ailleurs, dans le prolongement des travaux
se démarquer en enrichissant leur assorti- de Coutelle-Brillet et Rivière (2013), et au-
ment. Par cette stratégie, ces enseignes ont delà de la distribution alimentaire, deux
pris le risque d’altérer leur business model notions clés pourraient être mobilisées et
82 Revue française de gestion – N° 266/2017

articulées conjointement (par exemple dans développement de ces derniers, deux caté-
le secteur aérien) : l’image prix et la valeur gories de consommateurs continueront à
perçue. Si l’étude de la valeur perçue permet cohabiter : ceux recherchant des prix bas et
de déceler des axes potentiels d’enrichisse- ceux sensibles à la valeur ajoutée. Compte
ment du positionnement des entreprises, tenu de ces vues divergentes, il est donc
l’analyse de l’image prix permet de s’assu- essentiel de s’interroger sur le degré de
rer de la perception du positionnement prix généralisation future des stratégies low-cost
bas. La notion d’image prix, qui revêt une (Dameron, 2008). Ce questionnement pros-
importance centrale en matière de low-cost, pectif amène à appréhender la question des
peut être définie comme la représentation effets du développement du low-cost sur les
relative du niveau des prix (niveau de cherté marchés traditionnels, et de l’arbitrage des
perçu) d’une enseigne (Coutelle-Brillet et consommateurs confrontés à de nouvelles
Rivière, 2013). situations de choix.
Au niveau d’un marché, si les conséquences
liées à l’arrivée de nouveaux acteurs low-
3. Mieux appréhender la coexistence
cost ont principalement été étudiées en
d’offres low-cost avec les autres offres
termes de menaces potentielles pour les
du marché et de l’entreprise
entreprises traditionnelles (Kumar, 2006), il
Représentant un segment de marché encore est important, dans de prochains travaux, de
souvent restreint dans bon nombre de mieux considérer les potentiels avantages
secteurs d’activité, les produits et services que peuvent présenter ces nouveaux
low-cost sont fréquemment amenés à entrants, tant sur le plan externe (en matière
cohabiter, au sein d’un même marché ou de dynamisme, d’animation, de stimulation
d’une même entreprise, avec d’autres offres voire d’élargissement du marché) que sur le
de nature différente, dont certaines s’inscri- plan interne (réflexions des entreprises
vent dans une logique d’enrichissement de existantes sur leur proposition de valeur,
contenu. Les problématiques sous-jacentes leur positionnement, leur avantage concur-
liées à cette coexistence d’offres n’ont été rentiel) (Lendrevie et al., 2009 ; Chung et
considérées que partiellement dans la Whang, 2011). En particulier, certaines
littérature et méritent ainsi une plus grande entreprises peuvent s’inspirer des pratiques
attention. des acteurs low-cost pour améliorer leur
Tout d’abord, une réflexion préalable doit processus interne et leur rentabilité (exem-
être menée quant à la place qu’est sus- ple : développement des billets électro-
ceptible d’occuper le low-cost à l’avenir. En niques dans le secteur aérien) (Kumar,
effet, si certains auteurs considèrent que le 2006). Par ailleurs, parmi les stratégies
low-cost pourrait représenter, au cours des offensives permettant à une entreprise de
prochaines années, la stratégie dominante et lutter contre la concurrence low-cost,
de référence dans les entreprises (Bourcieu, Berman (2015) suggère de développer, en
2013), d’autres au contraire estiment que les parallèle de son offre traditionnelle déjà
marchés seront toujours répartis entre les commercialisée, une offre à bas prix (cette
entreprises traditionnelles et les acteurs low- stratégie peut, dans certains cas, amener une
cost (Kumar, 2006). En effet, malgré le entreprise à développer, en plus de sa
Les stratégies low-cost 83

structure existante, une filiale low-cost). Si non low-cost déjà commercialisées, et en


un risque de cannibalisation a fréquemment particulier à examiner l’existence potentielle
été soulevé en lien avec cette option d’effets d’interaction positive entre ces
stratégique, et au-delà de la question de la différents types d’offres.
pertinence et des effets d’un management Du côté de la demande, le low-cost est
différencié (notamment en matière de désormais devenu, dans la plupart des
ressources humaines) entre la maison mère secteurs d’activité, une option supplémen-
et sa filiale low-cost (Harvey et Turnbull, taire de choix pour les acheteurs amenés à
2006, 2010), peu de travaux se sont arbitrer ou non en sa faveur. Jusqu’à
intéressés aux éventuels effets vertueux de présent, quelques études ont examiné
la coexistence d’offres low-cost et non low- isolément la valorisation d’une offre low-
cost au sein d’une même organisation. Or, et cost (Coutelle-Brillet et Rivière, 2014) mais
à l’instar de la Logan du groupe Renault, il est nécessaire de s’interroger sur les
les offres simplifiées à bas coûts peu- mécanismes d’arbitrage à l’origine du choix
vent permettre de pénétrer de nouveaux des consommateurs entre une offre low-cost
marchés (notamment géographiques) pou- et une offre ne relevant pas du low-cost
vant constituer, dans un second temps, (voire enrichie ou entrant dans l’univers du
de nouveaux débouchés pour les offres luxe accessible). Ces mécanismes d’arbi-
plus classiques de l’entreprise. Par ailleurs, trage peuvent avoir lieu à la fois au sein
l’implémentation d’une stratégie low-cost d’une même catégorie de produits mais
peut permettre d’adapter progressivement le aussi entre différentes catégories de pro-
business model historique de l’entreprise au duits. En particulier, la consommation
contexte actuel, de faire évoluer l’image de d’offres low-cost n’exclut pas l’achat de
marque du groupe (ou celle de l’entreprise biens et services haut de gamme. Elle peut
traditionnelle en cas de coexistence de deux même la favoriser grâce aux économies
marques distinctes), ou bien encore d’amé- réalisées. Les individus deviennent donc
liorer son positionnement prix (Harvey et pleinement acteurs de leur consommation,
Turnbull, 2006 ; Delaplace et Dobruszkes, en définissant eux-mêmes la partition entre
2015). Une filiale low-cost peut aussi servir les produits relevant du low-cost et ceux
de benchmark interne en matière de structure méritant d’entrer dans l’univers de la
de coûts ou permettre de tester l’application marque et du luxe accessible (Coutelle-
de certaines pratiques de management Brillet et Rivière, 2014). L’étude des choix
(notamment en ressources humaines, en et des mécanismes d’arbitrage des acheteurs
relation client), offrant la possibilité à pourrait être considérée dans différents
une entreprise d’identifier des changements contextes ou secteurs d’activité, ainsi
possibles dans son business model tradition- qu’auprès de différents types de clientèles
nel (rationalisation des coûts) (Barry et (par exemple, la clientèle BtoB).
Nienhueser, 2010 ; Gagne, 2013 ; Delaplace
et Dobruszkes, 2015). Ces différentes réfle-
CONCLUSION
xions incitent à mieux cerner, au sein d’une
même entreprise, les effets liés à la coexi- Compte tenu d’une forte distorsion entre
stence d’une offre low-cost avec les offres l’attrait du low-cost sur les marchés et
84 Revue française de gestion – N° 266/2017

l’intérêt porté à cette thématique en sciences supérieurs, bonne ambiance de travail) et


de gestion, et considérant les évolutions et économique (rémunération attractive).
dynamiques engagées sur ce segment de Les deux autres articles se focalisent sur
marché, ce dossier de la Revue française de deux modèles hybrides du low-cost : le soft
gestion vise à rapprocher les préoccupations discount et les magasins de déstockage.
des chercheurs de celles des praticiens, avec La contribution de Mbaye Fall Diallo,
pour ambition d’encourager et de stimuler les Joseph Kaswengi et Christine Lambey-
travaux de recherche dans le champ du low- Checchin a pour finalité d’étudier, dans
cost. Cet article introductif, en dressant un différentes situations macro-économiques,
premier état des lieux, permet de structurer l’influence du prix et de ses variations sur le
les travaux existants autour de trois appro- choix des marques discount en comparaison
ches, constituant autant de domaines de aux marques nationales et aux marques de
contributions complémentaires dans la distributeur d’entrée de gamme proposées
compréhension de la nature et des effets de dans le circuit soft discount. Basés sur
ces stratégies. Dans un second temps, un l’analyse de données de panel d’une
agenda de recherche, articulé autour de trois enseigne soft discount, les résultats indi-
voies d’investigation prioritaires, permet de quent que les consommateurs achètent
définir un cadre de réflexion stimulant. davantage les marques nationales ou mar-
Les quatre contributions retenues dans ce ques de distributeurs entrée de gamme
dossier spécial illustrent l’importance et les lorsque le prix relatif des marques discount
enjeux de chacune des propositions évoquées est élevé. Cependant, ils choisissent les
dans cet agenda de recherche. marques discount si la variation des prix
Le premier article, proposé par Laïla des marques est élevée ou lorsque la situation
Benraiss-Noailles et Catherine Viot, vise à macro-économique se détériore. Concernant
enrichir les cadres d’analyse des acteurs l’article de Tiéfing Diawara, l’objectif pour-
low-cost en mobilisant une démarche de suivi consiste à mieux cerner les facteurs
marketing RH. Il s’agit, plus précisément, explicatifs et les processus de la fidélité à
d’étudier les effets du capital-marque l’égard d’une enseigne de déstockage phy-
employeur sur l’attractivité des entreprises sique. Sur la base d’une enquête menée
low-cost. En mobilisant le concept d’at- auprès de 224 étudiants, les principaux
tractivité organisationnelle, et en s’appuyant résultats montrent une influence positive et
sur une étude quantitative menée auprès de directe de la satisfaction et de l’engagement
367 étudiants, les résultats montrent que affectif sur les intentions de fidélité. En plus
pour les candidats potentiels qui sont prêts à d’une fidélité transactionnelle, ils traduisent
accepter un emploi dans une entreprise low- ainsi l’existence d’une fidélité hybride
cost, l’attractivité organisationnelle résulte (combinant processus transactionnel et rela-
de la valeur intérêt (employeur innovant, qui tionnel) dans un contexte d’échange et/ou
commercialise une offre innovante et de de consommation qui semble a priori
qualité, qui utilise et valorise la créativité de essentiellement transactionnel.
ses collaborateurs), alors que ceux qui Enfin, le dernier article s’interroge sur la
refusent un tel emploi privilégient la valeur pertinence de différents dispositifs coexi-
sociale (bonnes relations avec ses collègues/ stant sur les marchés et susceptibles de
Les stratégies low-cost 85

contribuer à la réduction de la pauvreté. si les offres low-cost ont un intérêt financier


Dans ce cadre, Christophe Sanchez montre indéniable pour les plus pauvres, elles ne
que les stratégies low-cost ne se révèlent pas leur sont pas facilement accessibles et
être un outil de lutte efficace contre la contribuent guère à développer leurs
pauvreté, comparativement à d’autres stra- capabilités.
tégies mises en œuvre par les entreprises. Au-delà de leurs apports respectifs, les
La recherche s’appuie sur une étude de différentes contributions de ce dossier
cas multiple, utilisant des données primaires spécial dédié au low-cost témoignent de
et secondaires, et s’attache à étudier la richesse de ce champ de recherche fécond
l’ensemble des dispositifs mis en place et de l’intérêt de poursuivre les efforts
par huit entreprises à destination de leurs d’investigation entamés en sciences de
clients pauvres. Les résultats soulignent que gestion.

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