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Nordau, Max (1849-1923). Dégénérescence. 1894.

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Ptiactoet de bidiagio.- ~Mtttf~ar M. t~t~tk". v~t. ix-!). .n j(~ i.
~acipee de p~~bc!eSM~j"it«t Mt wa. ))ih.4.t Xi.))iM~ s<f«L t<t&. ,I%
Princtpat de tociete~H.ai}!.i~ti.irt()ai~ tur HM.):,te)t)i<tK~rititM.!
'i\M)t6 1.10ff. TutHt.-tM~-M. Tome))t. <6fr. tome )V;3~. ?
ïts~it tur~preStM.ff~it j~r.M. A. tiordeau. ) vêt. in. S* Mit. ff. ? .·
EtMi~e pt)MttqM.'rf!M~i''{)))rtf: A. ))of.h'<)u.( M~. in. a' Mit.7ft-, 69
Es~ tCiaaUfiqMM. ~tM)it< ))9rM. A. Btir.tetu. t tu). itt.S, i!' Mit.. ?&,?.<
!Mucatio!tph~i~,jaM)<i6t(M!ie <t tBOi-aie. i <()). ixB, t() (Mi).. S&; '?
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J~!<KT()'.)<)<)')))!itit))t. -SaM~imon-etteSaint-SjMoni~me. tn.tS.a' ~)!. 2 ft. ?
–Le<oMaiB6sdusociaMs<a<6eatempOMiN.i vo).in-t2,2'M!t. afr.!M
L~ phiiosophie df; f<!t!B!!<~nh.4 ve). in-t3. S ft. Mjp''
-)j<mat<nmbmt)contsjaM~)t.S~<'fHi.,f\o).i)!-i2. Ztf<St'
PhUoMphie de !a M<!vchttMn-tfaHMiM. t' tdit.,t tt)). i~-12. Z Tr.
-LMMaMtfiM!es.<o).M.3'Mit.t()(~'
Bitteire de h soieute paWtiatta avec ta mcMt~, 9*<Mtt.~y'
<n~\Ms rapporta
t.M.ti'ARD). OpfMMtet et'ajttes. t \'t)). in-tN. S{ftE6~'
!,)!X[M)nK<Sir!((ha).–t.e~opS~ede~ttM.St~î.i~-ta. S~
MOSSO.–I.a ptNf. Ët~dt )t<t'*p!<Ct"e'<<fec ti~~rt!). t v()).in-M. 9 ff, !(f'?X
\UV!CO% KM'!<ttt<e e~M~sc~iiM.t humafaes et fettrs ;.t~~s "(tteetOt~
t~~M~a~ 'M'i)'
PAYM.t.'éd)tMti6&dt M~Mte. i Wi. u)-S. S.fc.
)'iDHK)T.La mmnque ~t~'j~o'BOtue. t «)!. in'S..)\ee "X))f:, S h..
PiiOAt.. jLe criMa et t~ Out'MM MNroM~ par )'Ac!t(t~miedM'Mif!)~
M~M~w~M~~M~ ?&<.
SQwr)''Ntm)ËM (~.). –At<K~m<tt sur la sagesse ~aus la vie. 5'"ëdi).~iiM~
~?~5~ °~
De !< quadm~e MM&e ~$t}!ie!p6de!a Misas tnMaMta.ssiti fsii'~M~
~h~~w~M~Ct~MM~tML~ Ett.
La-tMm~e MJMM.tateKBkS~emme-raprésentttioa.'rt'.tttat' par M..A.B)<rd<'t~
3w~mm~M~MM~ 7!r.!)(M'5
Lé HBre.trbitt'e, ttt~N!S. SaJoneu t'.ein.)th.S*Adit., { <.)!ht.2':f'w
I.oteUdementdeittBat~~rttttitpac ~).A. Mtu'de9u.4*é()it., t vaf.m-tS. ~'ft'
teMeee et <as'~Mts/!t~?i)tr;pi)r !t. J. BourftcaM. ii'~()it.,t tot.itt-i~. 3 fr.'M
!0)))ttAt)ff.Mit~It<tth~tt6ae'&a mouvement. Ivoi.iB-S. SJ~)~
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;C!.LY ~)!)Cs).<S LapM9ia9tate.<o).iu-8,2't(tit. 7fr.
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~~i.ft(q;afil2:'e'.Y~tü(n.~P.ldl HIGC.7td.
Fin d'ufn ~fie de doeumenH
M couleur
~JMRESCENCE
AUTRES OUVRAGES DE MAX NORDAU

PUBUÉS
ENfMKÇAtS

Par *«<««te BtKTKMH

Les ttenxoMtet conventionnel de notre eMMMtiMi,


traduits sur la <3' édition allemande. Un vol. in-8, t886.
KoaveMeédition, un vol. in-<8, <888. Parh, W. Hfnneheen.

Le Mtt du itMete, roman. Un vol, in~S, <889. Paris,


L. WeMhausser.

Oomtdit du sentiment, roman, avec une préface du tra-


ducteur. Un vol. tn-<8, <892. Mêmeéditeur.

Cou!<MNmMM. tmp. PAUt. BRODARD.


DEGENERESCENCE

PA«

MAX NORDA-U~.

ït~i) è-
('~(t))t~
PAR

AUGUSTE DIETtUCH

TOME~ECONU

t.'E&OTÏSME Ï.B RÉALISME


LE VtN6TI&ME SI&OÏ.E

PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAtLHÊRE ET C''

FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR

<OS, BOULEVARD SAtNT-GKBJtAtt), t08

4894
Tous droit* rJterr~
LIVRE III

L'ÉGOTISME

M*x NOBMO. MgënfrmmnM. n–t I


me ~iÊeoTtsttE
fa~MMtite

L by

Si dissemblablesque puissent paraître au premier


aspect des individualitéstelles que Richard Wagner et
Totstoï, Rossettiet Verlaine, nous avonsnéanmoinsren-
contré chez chacune certains traits pensée vague ou
incohérente,tyrannie de l'associationd'idées, apparition
d'obsessions,excitabilitéérotique, enthousiasmereligieux,
qui laissentrecomiaKreen elles des membresd'une seule
et mêmefamillehteUectueUeet justment leur réunion en
un groupe unique celuides mystiques.
Nousdevonsfaireun pas de plus et dire que nonseule-
menttes mystiques,parmi les dégénérés,maisau fondtous
les dégénérés,de quelquenature qu'ils soient, sont pétris
de la mêmep&te.Ils montrenttouslesmêmeslacunes,iné-
galitéset déformationsdesfacultésintellectuelles,lesmêmes
stigmatespsychiqueset somatiques.Ceuxdonc qui, ayant
a ~tgerun certainnombrede dégénérés,voudraientmettre
en relief et présentercommeleur particularité exclusive,
t L'&MTtStM

chez les uns seulementla mysticismede la pensée, chez


les autres seulementl'émotivitéérotiqne, ou la maniodo
réformeuniversollo<la philanthropieconfuseset stériles,
ou seulementl'impulsionaux actes criminels,etc., coux-H
no verraientévidemmentqu'un côté du phénomèneet no
tiendraientpas comptedes autres. Tel ou tel stigmatode
dégénérescencepeut, dans un cas donné,apparaître tout
particulièrement;mais, en cherchantavec soin, on trou-
vera à côté tousles autres également,au moins indiques.
Le grand mérite d'Esquirota été d'avoir reconnuqu'il
y a des formes d'aliénation mentale dans lesquellesla
penséeprocèdeen apparenced'une façon tout à fait rai-
sonnante, mais où apparaissent au milieu de l'activité
cërébrate intelligenteet logique, semblablesà des blocs
erratiques, quelquesidées folles qui laissent reconnaître
dans le sujet un malade d'esprit. Seulement,Esquirol a
commisla faute de no pas creuserassez profondément;
son observations'est trop arrêtée à la surface. Pource
motifseul il a pu introduire dans la, sciencel'idée de la
« monomanie c'est-à-dire de la folie partielle bien
délimitée,de l'idée fixeisolée, à côté de laquelle tout le
restant de la vie intellectuelles'effectuerait sainement.
C'étaitune erreur. H n'y a pas de monomanie.Le propre
élèved'Esquirol, Falret père, l'a suffisammentdémontré,
et notre Westphal, disons-lesans vouloir faire tort à ses
mérites, était loind'être à la hauteurde la sciencequand,
un demi-siècleaprès Esquirol,trente ans après,Falret, il
décrivaitencore la « peur des espacesa ou agoraphobie
comme une maladie intellectuelle spéciale, commeune
monomanie.La prétenduemonomanieest en réalité l'in-
PSYCHOMOU:
BEL'ËOOTtSME S
dieo d'un profond désordre organique qui ne se revête
jamais par une foliounique. Une idée fixe n'existejamais
isolément Ettoest toujours accompagnéeaussi d'autres
irrégularitésde la pensée et du sentimentqui, il est vrai,
n'apparaissent pas tout de suite au regard fugitif aussi
nettementque !o délire particulièrementdéveloppe.L'ob-
servation clinique récente a découvertune tonguo série
de semblablesidées Nxasou monomaniosn, et constate
qu'elles sont toutes la conséquenced'une dispositionfon-
damentalede l'organisme: la dcgen6roscenco do celui-ci.
tt ~tait inutito que Magnan donnât un nom particulier
à chaque symptômede dégénérescenceet fit dMter la
série presque comiquedes « phobies n et « manies »
l'agoraphobie(peur dos espaces),la claustrophobie(peur
des espacesformés), la roupophobio(peur de la satcto),
t'iophobio(peur du poison), la nosophobio(peur do la
maladie), t'aichmophobie(peur des objets pointus), la
bdenophobio(peur des aiguilles),la cremnophobie(peur
des abimes),la trichophobie(peur des cheveux),l'onoma-
tomanie(foliedes mots ou des noms), la pyromanie(folie
incendiaire),la cleptomanie(folie du vol), la dipsomanie
(folie de la boisson), t'érotomanic (folie amoureuse),
l'arithmomanie(foliedes nombres),t'oniomanie(fotiedes
achats), etc. On pourrait allonger à plaisir cette liste et
l'enrichir à peu près de toutes les racinesdu dictionnaire

i. Lisandro Reyes a bien vu cela dans son utiie étude intitulée


Contribution M<Mde de l'état mentat cte: enfanta dégénérés.
Paris, MSt, p. S. Il étaNit Mpressêment que chez les enfants dégé-
nérés it n'y a pas de monomanie réeue exclusive Chez eux,
une seule idée détifante peut persister pendant quelque temps,
mais le plus aouvent elle est remplacée tout à coup par une non-
velle conception
< L'&GOTtSMR

grec. C'est là simplementtto jeu phitotogico-médiMt.


Aucundes troubles découvertset décrits par\Magnanet
ses étaves, et décoréd'un nom grec sonore, ne forme une
entité indépendante et n'apparatt isolément, et Mor6t
avait raison en neigeant commesans importancetoutes
cesmanifestations bigarrées d'une activitécérébratomala-
dive, pour s'en tenir au phénomène capital qui gtt au
fond do toutes tes Il phobies et « maniesa la grande
émotivitédes dégénérésSi, à l'émotivitéou à l'excessive
excitabilité,il avaitajouté la débilitécérébralequiimpliqua
la faiblessede t'aperception,de la volonté,de la mémoire,
du jugement, l'inattention, l'instabilité, il aurait com-
plètemento*ractëris6la nature de la dégénérescenceet
peut-être empêché que la psyctiiatrio fût surchargée
d'une foule de désignations inutiles et troublantes.
Kfwatowskis'est approché bien plus près de la vérité
quand, dans son étude connue il a représenté tous les
!ronbtosintellectuelsdes dégénérés commeune maladie
uniquequi offresimplementdifférentsdegrés do gravité et
qui amène, sous sa forme la plus bénigne, la neuras-
thénie sous une forme plus grave, les obsessionset les
angoissesirraisonnées;soussa formela plusgrave,la folie
de la négationou du doute. Dansce cadre se rangent toutes
les « manies» et « phobies » isolées qui pullulentactuel-
lementdans la littérature psychiatrique.
Maissi l'on doitse refuser à faire une maladieparticu-
lièrede chaquesymptômepar lequelsemanifestele trouble
t. Legrain,Ddélirechezlesd<'j~a<f<<.
Parie,t8S6,p.68,exprime
celaentermessimplement unpeudifMrents,
quandit dit Obses-
voilàcequ'ontrouveaufonddetoutemonomanie
sion,hnpuiaion,
S.AnalyséedansteJournalof mentalscience,janvier!M8.
PSMHOMMtE DE ï.'Ëf!OTtSMË y
fondamental,c'est-à-direla dégénérescence,il ne faut pa~
non plus mécoonattre, d'autre part, que chex certains
dégénéra prédomine Nettementun groupe de phéno-
mènes morbides, sans que pour cela manquentchez eux
les autres. !i est donc permis do distinguer parmi eux
certainesespècesprincipales,notamment,à cotédes mys-
tiques dont nous avons étudié les ptus remarquables
représentants dans l'art et la poésie contemporains,les
« égotistesH(.feA<t!cA<~e). Cen'est pas par affectationque
je NMseM de ce mot, au lieu des mois < égoïsmeM et
« égoïste » ordinairementemployés. L'égoïsmeest un
manque d'amabilité, un défaut d'éducation,peut-être un
défaut du caractère, une prouve do moralité insufasam-
ment développée,maisce n'est pas une maladie.L'égoïste
est complètementon état de se conduiredans la vie et do
tenir sa place dans la société; i! su est même souvent,
quandil ne s'agit que d'atteindredes butsbas, pluscapable
que l'hommesupérieur et meilleur qui s'est élevéjusqu'à
l'abnégp,tionde lui-même.L'égctis'i*,au contraire, est un
malade qui ne voit pas les chosescommeelles sont, n~
comprendpas te mondeet ne sait pas prendrejuste posi-
tion vis-à-vislui. La différenceque je fais en allemand
entre Ichsucht et <Se<6s<s!<c&<,les Français la font aussi
dans leur langue,où jamais un écrivainsoigneuxne con-.
fondra <emot « égotisme», emprunté à l'anglais,avecle
mot « égoïsme».
Naturellement,te lecteur auquel on montre la physio-
nomieintettectuetiedes égotistes doit toujours se rappeler
que, si les représentantsprincipauxde cette espèceet de
l'espècemystiquesont caractérisésavec une netteté sufN-
0 L'taOTNMK

santé, les frontièresde ceMes-etsont Mettantes.Les égo-


listes sont d'une part à la fois mystiques, érotiques et,
parfois même, ce qui a !'& paradoxal, affectentun
sembtaatde philanthropie,et chez tes mystiques,d'autre
part, nous rencontronsassez souvent un égotismeforte"
ment développé. JI y a panât les dégénères certains
exemplaires chez lesquelstous les troublesse produisent
à un degré tellement égal, que l'on peut se demandersi
t'oa est en présenceplutôt de mystiquesque d'egotiste:!
En règlegénérale cependant,le rangementdans l'une ou
l'autre classe ne souffrirapas do trop grandes diMea!tés.
Que rogotsme soit un trait da caractère saillant des
d&génerës,c'est ce qu'établissent unanimementtous les
observateurs. « !t (le dégénéré) ne connalt, ne s'inté-
resse qu'à tui-mcme », dit Roubin''vitch et Legrain
constate qu'il « n'a. qu'une préoccupation, celle de
satisfaireses appétits Il. Cette particularité établit un
lien qui rattache le plus haut dégénère au plus bas, le
géniedélirant au débile d'esprit. « Tous les génies déli-
rants M, remarque Lombroso, « sont très épris et très
occupésde leur propre moi' M,et Sollierécrit au sujet
de leurs antipodes, les imbéciles « Indisciplinés,its
n'obéissentque par crainte, &oatsouventviolents, surtout
avec ceux qui sont plus faiblesqu'eux, hup'Meset soumis
avec ceux qu'ils sentent plus forts. Peu affectueux,
égoïstesau premier chef, vantards H.
<.J. ReabiMTitct),
Ny~A-M m<M< <<<~N~<ae<H)< Paris, tMÛ,
p. 62.
S. Legrain,ep.eK.,p. M.
3. Lombroao, GénieetFot:<(éditionallemande citée1.1),p. 32S.
t. D' PaulSolfier,P~cAo&)o<e de l'idiotet de fjfm4M<e. Ptha,
MM,p. Ht.
MMaOUKttEBKt.'ËOOTt8Me; a
Le clinicienso contented'indiquerla fait de cet égoïsme
caractéristique;maisnous voûtons,nous, aussirechercher
quettossont sesracines organiques,pourquoi te dégénérA
doit être ptas qu'égoïste,pourquoiil doit être égotisteet
ne peut être autrement.
Pour comprendrecommentnatt la consciencedu « moi<'
maladivementexagérée,frequementaccruejusqu'à la folie
des grandeurs, noos devons nous rappeler commentse
formela saine consciencedu « moi ».
U ne peut naturcttementme venirà t'idee do traiter ici
ta théorie entièrede la connaissance;seuls les résultats
les plus importants de cette science,aujourd'huidéjà si
développée,peuventtrouver place à cet endroit.
C'est devenuun lieu communphilosophique,que nous
obtenonsla connaissanceimmédiateseulementdes trans-
formationsqui ont lieu dans notre propre organisme.Si,
malgré cela, nous sommesen état de nous créer, à l'aide
des perceptionsque nous puisonsuniquementdans notre
intérieur,une imagedu mondeextérieurqui nous entoure,
cela vient de se que nous ramenonsles transformations
perçuespar nous dans notre organismeà descausesagis-
sant en dehors de eetui-ci,et que nous tironsde ta nature
et de ta force des transformationsqui se passent dans
notre organisme,des conclusionssur la nature et la force
des faits extérieursqui Sesoccasionnent.
Commentnous arrivons à admettre qu'il y a quelque
chose d'extérieur et que les transformations, perçues
seulespar nous dans notre organhme, peuvent avoir des
causesqui ne résident pas dans l'organismemême,c'est
là une question sur laquelle la métaphysiquese casseta
<[0 I/iaoTtSMK

tête depuisdes siècles.Cetto'eia si peu trouvé de réponse,


que, pour avoir l'air d'en finir avec cette diMcuhe,elle tt
simptement nié la question même et prétendu que le
« moi 4 n'a réettementaucune conMtssanced'un « non"
moi », d'un mondeext6rieur,et ne peut non plus l'avoir,
parceqn't)n'y a pas do mondeextérieur, que ce que nous
nommonsainsi est une créationde notre esprit et existe
seulementdans notre pensée commereprésentation,mais
non en dehors de notre « <)noi commeréalité.
C'estun fait caractèristiquepour Faction assoupissante
exercéepar le bon d'un mot sur l'esprit humain, que ce
caquetageabsolumentdénuéde sens,insinuant;bien agence
et formé en système philosophique,de l'idéalisme, ait
complètementsatisfaitpendantprès do huit générationsla
plupart des métaphysiciensdo ~iciëssion, de Berkeley&
Fichto, Schellinget HcgeLCes hommessages répétèrent
sur un ton convaincu la doctrine do la non-existence
du « non-moi H,et cela no les troubla pas do contredire
constammentdans toutes leurs actions leur propre vor-
Mage,de se livrer, de leur naissanceà leur mort, à une
série ininterrompucd'actes absolumentabsurdes s':t n'yy
avait pas de mondeextérieur objectif,do voir par consé-
quent eux-mêmesdans leur systèmede l'ombre etdu vent,
un jeu puéril avec des mots vides de sens. Et le plus
togiqueparmi cesradoteurs sérieux,l'évêqueBerkeley,ne
remarquamêmepas qu'il n'avait toujourspas obtenu, au
prix de l'abdicationtotale du bon sens, la réponse cher-
cMcà la questionfondamentaledela connaissance,car son
idéalismedogmatiquenie, il est vrai, la réalité du monde
exténeur, mais admet etourdimentqu'en dehors de lui,
PSYCHOMKMt
na L~OY!8M& a

Berkeley,il y encore d'autres esprits et Mêmeun esprit


du monde.Ainsidonc, mémod'après lui, le « moi o n'est
pas tout, il y a en dehorsdu moi » quelquechoseencore,
un non-moi M; il existe doncun monde extérieur, ne
fût-ceque sous la forme d'esprits immatériels.Maisalors
celaramènela question commentJo « moi » do Dert~etoy
arrive-t-il à conçevoirl'existencede n'importe quoi en
dehors de lui-môme,l'existenced'un "non-moi "? C'est
à cette questionqu'il fallait répondre, et, tout en sacri-
fiant le mondedes phénomènestout entier, l'idéalismedo
Berkeley,commet'idéaUsmede chacunde sessuccesseurs,
n'y répond en quoi que ce soit.
La métaphysiqueno pouvait trouver de réponse à la
question, parce que celle-ci, telle qu'elle est posée par
ceUc-ta,n'est pas susceptibledo réponse. La psychologie
scientifique,c'est-à-dire la psycho-physiologio, no ren-
contre pas tes mêmes ditficuttes.Elle ne prend pas le
« moi » achevé de l'adulte clairement conscient do lui-
même,se sentant nettement opposé au « non-moi», eu
mondeextérieur tout entier, mais elle revient aux débuts
de ce « moi », recherchede quelle manière il se forme,
et trouve alors qu'à une époque où l'idée de l'existence
d'un non-moi » serait réellement inexplicable,cette
idée, en effet, n'existe absolumentpas, et qu'ensuite,
quand nous la rencontrons, le « moi » a déjà fait des
expériencesqui expliquentcomplètementcommentil a pu
et dû arriver à la formationde l'idée d'un « non-moi».
Qu'une certaine consciencesoit le phénomène accom-
pagnateur de chaque réaction du protoplasma sur les
actions extérieures,c'est-à-dire une qualité fondamentale
<a L'ÉOOTtSMS
de la matière vivante, c'est ce qu'il nous <~t permis de
supposer. Mêmeles êtres vivantsuntcettutai.es les plus
simples se meuvent avec une intention évidente vers
certainsbuts et s'éloignentde certains points; ils distin-
guent entre les alimentset les matières impropresà les
nourrir; ils ontdoncune sorte de volontéet dojugement,
et ces deux activités supposent do la conscience De
quelle nature, il est vrai, peut être cette conscienceloca-
lisée dans le prutoptasmapas mémo encore différencia
en cettutes nerveuses, c'est là une chose dont l'esprit
humain no peut absolumentse iairo une idée claire. Ce
que nous pouvons seulement supposer d'une façon cer-
taine, c'est que, dans la consciencqcrépusculaired'un être
vivantunicellulaire,la notiond'un « moi etd'un non-
moi » qui lui est opposé, n'existe pas. La celluleéprouve
des transformationsen elle-même,et ces transformations
provoquent,d'après des lois bio-chimiquesou bio-mëca-
niques déterminées, d'autres transformations; elle reçoit
une impression à laquelle
elle répond par un mouvement;
mais elle ne se fait sûrement aucune idée que l'impres-
sion est causée par un processus dans le monde extérieur
et que son mouvement réagit sur le monde extérieur.
Même chez des animaux bien'plus étevés dans la série,

beaucoup plus avancés dans la différenciation, un « moi

<. Voir à ce sujet le remarquable travail d'Alfred Binet sur la


vie psychique des micro-organismes contenu d~ns le volume
Le tMtcAMmedans l'amour (Études <fepftj;e&o<oy« ezpérimentale).
La vie psychique des mtO~-Ot-~nMmet, <'m<eMtMde. images men-
tales, le protMKte hypnotique, note sur 1'écriture hyattrique. Paris,
i8M. Peu de temps avant Binet, Verworn a traité, dans ses
J~tfdM pro<M<Mpj~eAo~t~e' jf~Met. Iéna, t8M, ce même sujet
d'une façon très méritoire et ouvrant'des voles nouvelles.
PSYCHOMGM DE L'toOTtSM! t3t

proprementdit est inimaginable.Commentles bras d'une


étoite de mer, le bouton d'un tunicier, du botryte, par
exemple, la moitié d'un animal double (diplozoon),le
tubed'uneactinieoud'un autre polypeeorailliet,peuvent-
ils avoirconscienced'un « moi » particulier,vu que, tout
en étant des animauxpar eux-mêmes,ils sont en même
temps une partie d'un animal compose, d'une colonie
d'animaux, et doivent percevoir les impressionsqui les
frappent directementaussi bien que celleséprouvéespar
un compagnondo la mêmecolonie?Ou biencertainsgros
vers, maintes espècesd'eunice, par exemple,peuvent-ils
avoir'une idée do leur « moi », puisqu'ils ne sentent ni
ne reconnaissentles propres parties de leur corpscomme
parties constitutivesde leur individualité, et entament
leur queue quand, par un hasard de l'enroulement,elle
vient à se trouverdevant leur bouche?
La.consciencedu « moi M n'est pas synonymede la
conscienceen général. Tandis que celle-ciest probable-
ment un attribut de toute la matière vivante, celle-làest
le résultat de l'action concordanted'un tissu nerveux hau-
tementdifférenciéet placé dans un rapport de subordina-
tion réciproque(hiérarchisé).Elle apparait très tard dfus
la série d'évolutiondes organismeset est jusqu'à pn'sent
le plus haut phénomènevital dont nous ayons ccnnais-
sance.E))ena!t peu à peu des expériencesque fait l'orga-
nismeau coursde l'activiténaturellede ses parties consti-
tutives.Chacunde nos ganglionsnerveux,chacunede nos
libres nerveuses et même chaque cellule, a une con-
sciencesubalterneet vague de ce qui se passe en eux
Commele systèmenerveux entier de notre corps a de
<t t.'ËGOTtS)Nt

nombreusescommunicationsentre toutes ses parties, il


perçoitdans sa totalité quelquechose de toutesles excita-
tions de ses parties et de la consciencequi tes accom-
pagne. Docette façon na!t au centre oit aboutissenttoutes
les voiesnerveuses du corps entier, au cerveau,une con-
sciencetotale composéede consciencespartiellesinnom
brables, mais qui naturettementn'a pour objet que los
processusse passant dans son propre organisme.Dansle
cours de son existence,'et cet&de très bonne heure, la
consciencedistingue deux sortes de perceptions tout à
fait différentes. Les unes apparaissent imprévues, les
autres précédées d'autres phénomènes. Nul acte de
volonténo précèdeles excitationstles sens,mais it précède
chaquemouvementconscient;avant que nos sens perçoi-
vent quelquechose, notre consciencen'a aucunenotionde
ce qu'ils percevront;avant que nos musclesexécutentun
mouvement,une imagede ce mouvementest élaboréedans
le cerveauou la moelle épinière (s'il s'agit d'une action
renexe); il existe donc auparavantune représentationdu
mouvementque les muscles exécuteront.Nous sentons
clairement que la cause immédiatedu mouvementest
placée en nous-mêmes;par contre, nous n'avons pas les
mêmes sensationsquant aux impressionsdes sens; nous
appt ans en outre par le sens musculairela réalisation
des représentations de mouvementétabjrées par notre
conscience;par contre, nous n'éprouvonsrien de sem-
blable quand nous étaboronsune représentationde mou-
vementqui n'a pas exclusivementpour objet nos propres
muscles.Nousvoulons,par exjmpte, lever le bras. Notre
conscienceélabore cette représentation,les musclesbra-
PSVCHOMCM DE L'&GOTtSME <s

chiauxobéissent, et la consciencereçoit le rapport que la


représentationa été réalisée par les muscles brachiaux.
Maintenant,nous voulonslever ou lancer avec le bras une
pierre. Notre conscienceélabore une représentationde
mouvementimpliquantnos propres muscteset la pierre.
Quandnous exécutonsle mouvementvouluet pensé,notre
consciencereçoit des impressionsdes musclesmisen acti-
vité, mais non do la pierre. Elle perçoit doncdesmouve-
ments qui sont accompagnésde sensationsmusculaires,et
d'autres qui apparaissent sans cet accompagnement.
Pour saisir complètementla formation de notre con-
sciencedu « moi et de l'idée de l'existenced'un « non-
moi nous devons encore envisagerun troisièmepoint.
Toutes tes parties, toutes les cellulesde notre corps ont
leur conscienceparticulièrequi accompagnechacune de
leurs excitations.Ces excitationssont occasionnéesen
partie par l'activité de la nutrition, de l'assimilation,du
dédouNementdu noyau, c'est-à-dire par tes processus
vitauxde ta cellulemême, en partie par les actionsexté-
rieures. Les excitations qui proviennent des processus
intérieurs, bio-chimiqueset bio-mécaniques,de la cellule,
sontcontinueset durentaussi longtempsque la vie de la
cellulemême.Les excitationsqui sont un effet des actions
extérieuresn'apparaissentévidemmentqu'avecces actions,
c'est-à-dire non continuellement,mais périodiquement.
Les processus vitaux dans la cellule n'ont directement
de valeuret d'importanceque pour la cellulemême, non
pour l'organisme totat; les actions extérieures peuvent
acquérir de l'importancepour l'organisme tout entier.
L'organe principal, le cerveau, s'habitue à négliger les
t9 t.'ËaOTtSMR
¡
excitationsqui se rapportent &t'activa vittite intérieure
de la cellule, d'abord parce qu'elles sont continues et
qu'on ne perçoit ctairemontqu'unchangementd'état, non
un état même, et ensuiteparceque la celluleaccomplitses
propres fonctionspar sa propre force, ce qui rend inutile
t'intervcntiondu cerveau. Le cerveautient compte,par
contre, des excitationsqui sont amenéespar uno action
extérieure, premièrementparcequ'ellesapparaissentavec
des interruptions,et secondementparce qu'elles peuvent
rendre nécessaire une adaptation do l'organisme total,
laqueilen'a lieu que par une interventiondu cerveau..
Que le cerveau ait connaissanceaussi des excitations
intérieures de l'organisme,et, seulementpour les raisons
exposées,ne soit pas, en règle générale, clairementcon-
scientd'elles, cela n'est pas douteux. Si, par la maladie,
un troublese produit dans les fonctionsde la cellule,nous
devenonsaussitôtcouscientsdes processusdans ta cellule,
nous sentons l'organe malade, it excite notre attention,
l'organismeentierest malà l'aise et mal disposé.C'est des
excitationsde ce genre, qui, à l'état sain, n'arrivent pas
clairementà notre conscience,que se composela sensation
de notre corps,notre « moi» organique,ta « ceneathesieM.
La cénesthésie, le « mo' » organique obscurément
conscient,s'élève jusqu'à la conscienceclaire du « moi»
par les excitations.de la secondeespècequi arrivent au
cerveaupar les nerfs et les muscles,car elles sont plus
fortes et plus nettes que les autres et sont interrompues.
Le cerveau apprend tes transformationscausées dans le
systèmenerveuxpar les actionsextérieureset les contrac-
tions des muscles.Commentil a connaissancede ces der-
P8YCHOMONC DE t.'tCOTtSMN t1

nières, cela est encore obscur. On a prétendu dans ces


derniers temps que te sens musculaire q pour siège les
nerfs des articulations.Cela est sûrementfaux, car nous
avons des sensationsnettes des contracthns de muscles
qui ne mettent en mouvementaucune articulation;par
exempledes musclesorbiculaireset constricteurs,puis des
spasmestoniqueset cioniquesmêmede ilbresmusculaires
isolées qui, également,ne produisent pas un changement
de positionde l'articulation.Quoiqu'il en soit, do quelque
façonque se produisent les perceptionsdu sens muscu-
laire, ces perceptionsexistenten tout cas.
~Laconsciencefaitdonc do très bonneheure l'expérience
que les mouvementsmusculairesperçus sont précèdesde
certainsactes qu'elle accomplitelle-même,à savoir t'éta-
boration de représentations de mouvementset l'envoi
d'impulsionsaux muscles.Elle reçoit connaissancede ces
mouvementsdeuxfoisl'une après t'autre elle les perçoit
d'abord directement comme représentationet acte voti-
tionnet propres, comme image de mouvementélaborée
dans les centres nerveux, et immédiatementaprès comme
impressionprovenantdes nerfs musculaires,commemou-
vement exécute. Elle s'habitue à rattacher les mouve-
ments musculairesà ses propres actes, à ses représenta-
tions de mouvementsélaborées d'abord, et à regarder
ces mouvementsmusculairescommeune conséquencede
ceux-ci bref, à pensercausalement.La consciencea-t-elle
pris l'habitudede la causalité,elle cherchealors la cause
de toutes ses perceptionset ne peut plus s'imaginerune
perception sans cause. La cause des perceptionsmuscu-
laires,c'est-à-diredes mouvementsvoulusavec conscience,
MAXNonoAU. Dégénérescence. n–2
la l.OOTt8)tK

oUela trouve en ette-mëma.La causedes perceptionsner-


veuses,c'est-à-diredes rapports faits par te systèmener-
veux sur les excitations qu'il éprouve, elle ne ta trouve
pas en ette-meme.Maiscettes-cidoivent cependantavoir
âne cause.Où est-etto?Commeelle no se trouve pas dans
la conscience, elle doit nécessairementexister quelque
part ailleurs; il doit donc y avoir quetqucchose d'autre
encore on dehors de ta conscience,et c'est ainsi que la
conscienceparvient, par l'habitude de la pensée causale,
à concevoirl'existencedo quelquechose en dehorsd'elle-
même, d'un « non-moi», d'un monde extérieur, et à y
transporter la causedes excitations~qu'cttcperçoit dans le
système nerveux.
L'expérienceenseigneque, dans la distinctionentre le
« moi a et le « non-moi », il ne s'agit réellement que
d'une habitude de pensée, d'un schémade pensée, et non
d'uneconnaissanceeffectiveet sûre quiporte en elle-même
le critériumde son exactitudeet de sa certitude. Quand,
par suited'un trouble maladif,nos nerfs sensorielsou leurs
centres de perception sont CMttéset que la conscience
acquiert connaissancede cette "xcitation, elle lui impute
sans hésitation, conformémentà son habitude, une cause
existantdans le « non-moi », une cause.extérieure.Ainsi
naissentles illusionset les hallucinations,que le malade
tient pour des réalités, et cela si sûrement, qu'il n'y a
absolumentaucunmoyende le convaincrequ'it perçoitdes
faits qui se passent en lui, non hors de lui. De la même
manière, la conscience conclut que les mouvements
exécutésinconsciemment sont.causéspar unevolontéétran-
gère. EUe perçoit le mouvement.elle n'a pas remarqué
MYCHOUMUt
M: t.'ËGOTtStM! i.

que la causeintërieura habituelle,la représentationd'ua


mouvementet un acte do votent, t'cat précédé;elle place
doncsanshésitation!a causedu mouvementdans )e « non-
moi », bian qu'elleréside dans le « moi étant élaborée
par dos centres inférieurs dont l'activité reste inaperçue
par la conscience.C'est là ce qui donnenaissanceau spi-
ritisme, qui, en tant qu'il est do bonne foiet non ouverte-
ment une duperie, constitue simplementun essai d'expli-
cation mystique de mouvementsdont la conscience ne
trouvepas en ette-memela cause réelle, qu'elle place en
conséquencedans te non-moi ».
En dernière analyse, la conscience du « moi » et
notammentl'opposition du H moi » ot du « non-moi ").
est une illusion des sens et une faute de pensée.
Chaque organisme se rattache & tespeco, et, au delà
d'elle, à l'univers.Il est la continuationmatériettedirecte
de ses parents, il,se continued'une façonmaténettedirecte
dans ses descendants.Il se composedes mêmesmatières
que le monde qui l'entoure, ces mati&rcspénètrent con-
stammenten lui, le transforment,produisenten lui tous
les phénomènesdeta vie et de la conscience.Toutesles
lignesde forcede la nature se prolongent dans son inté-
rieur, théâtre desmêmesfaits physiqueset chimiquesqui
se passent dans l'univers entier. Ce que, le panthéisme
pressent et revêt .de mots inutilementmystiques,est un
fait net et ctair t'unité de la nature, dans laquelle.chaque
organisme est aussi une partie reliée au tout. Certaines
parties sont plus rapprochées, d'autres s'écartent un peu
plus les unes des autres. La conscienceperçoit seulement
'as parties étroitementrassemblées de son substratum
M t.'t:COT!SME

samatiqup,non celles ptus distantes.Ainsi elle arrive à


soMrc Fittt.jion que tm parties rapprocheMsontseulesà
elle, que les p!ua distantes lui sont étrangères, et &se
considérercommeun « individu» qui se place en facedu
mondeen qualité do monde particulier, do microcosme.
Elle ne remarque pas qua )c « moi o si raidomentaffirmé
n'a pas de timitcs nxes, mais se continue et s'étend
au-dessousdu seuildo la conscience,avecune netteté do
séparationdo plus en plus diminuée, jusqu'auxprofon-
deurs extrêmesdo la nature, pour s'y mMora toutes tes
autres parties constitutivesdol'univers. 1
Nous pou~'on.~ maintenantrésumqrbeaucoupplus brio-
vementl'histoirenaturelledu « moi » et du « non-moi »,
et la présenter en quelques formules.La conscienceest
une qualité fondamenta!odo la maticrovivante. Le plus
haut organisme !ui-m6mon'est qu'une colonie d'orga-
nismesles plus simples,c'cst-a-dirode cellulesvivantes,
qui sont différenciéesdiversement pour rendre apte la
colonieà do ptus hautesfonctionsquo la simplecellulene
peut en effectuer.La consciencecollectiveou du « moi
de la coloniese composedo la conscienceparticulièredos
parties. La consciencedu « moi Ma une partie obscure
négligéequi se rapporte aux fonctionsvitalesdes cellules,
la cénesthésie,et une partie claireprivilégiéequi est atten-
tive aux excitations des nerfs sensoriels et à l'activité
vouluedes muscles,et qui les connait.La conscienceclaire
fait t'expérieaceque des actes de volonté précèdentles
mouvementsvolontaires.Elle arrive à la conceptionde la
causalité. Elle remarque que les excitationssensorieltes
n'ont pas de causeplacée en ette-meme.Ettc est en con-
PSYCHOLQO:8 C)t L'ËQOTiSME itt
séquenceforcée do transporter ailleurs cette cause à la
conceptiondo taqucttoollene peut renoncer,et est nëcM-
sairement amenée par là d'xbord A !'i)Mod'uh « noa-
moi et ensuiteau développementde co « non-moi » en
un univers apparent.
La vieille psychologie spiritualiste, qui regarde te
Il moi » commequoiquechose d'ont!eremontdifférentdu
corps, conxnt)uuo subslancespécialeet une, prêtent!que
ce « moi » consid~roson propre corps commequctqua
choso do non identique avec lui, d'opposû au moi
proprement dit, comme quelque chos'cd'cxtorieur, par
conséquent,on fait, comme« non-moi Elle nie ainsi la
cënosthesio,c'est-à-direun fait empiriqueabsolumentcor-
tain. Nous avons constammentl'obscure sensation do
l'existencedo touteslos parties do notre corps, et la con-
sciencedo notre « moi » éprouveimmédiatement uneatte-
ration, si lesfonctionsvitalesdo quoiqu'unde nos organes
ou tissussubissentun trouble
Le devotoppoment va du moi » inconscientorganiqtte
à la conscienceclaire du « moi et il la conceptiondu
« non-moin. L'enfanta vraisemblablement déjà avantsa
naissance,en tout cas après, de la cénesthésie,car il sent

matadesjouissentavecdttieesdeta Mg~reM
Certains deleur
as, se sententsuspendusen l'air, croientpouvoirvoler;ou
btjn Usont un sentimentde pesanteurdanstoutle corps,dans
quelquesmembres, dansun seulmembre,quiparaitvotumineut
etlourd.t'n jeuneépileptiquesentaitparfoissoncorpssi extraor-
dinairement pesant,qu'&peinei pouvaitlesoulever.
i D'autresfoisii
se sentaittellement n e
téger,qu'iicroyait pas toucher lesol.Quel-
quefoisilluisemblaitquesoncorpsavaitpris untel volume,qu'i)
lui seraitimpossiblede passerpar uneporte.Danscettedernière
Illusion, le maladesesentbeaucoup pluspetitou beaucoup plus
grandque danslareaiité (Th.ttibot, t M inaladies
dela person-
MhW,3' édition.Paris,tM:, p. 35).
ta t.'ÉQOT!99<S
~es actes vitaux intérieurs, témoignedo la sati~ettMn
quand ceux-ci effectuent Minement, manife-itapar t)M
t'agitation et dos cris, qui ne sont aussi qu'une agitation
des muscles respiratoires et taryngiens,son nteconton-
tement quand des troubles y apparaissent, aperçoit ot
opprimates ~!atsgénéraux do son organisme,teh quo h
faim, la soif et la fatigue. Mais uno fonscienee ftairc
n'~isto pas encore, )c ccrvcnnn'a pas cncoro pris !o
bossus sur les contres iHMrieors,deahnpreMMMisenso-
ricttes suut peuMtM perdues, mais suM'mcntnon onocro
réunies en' aperceptions,,la plupart des mauvemenitno
sont pr;d~s d'aucun acte de <o)ontéconscient et no
sont que des actions r~t!excs,c'est-à-dire des manifesta-
tions do cesconscienceslocalesqui, plus tard, deviennent
obscuresjusqu'à no plus pouvoir ~tro perçues, quand la,
consciencecérébralea atteint sa pleine clarté. Peu à peu
se développentles centres supérieurs; l'enfantcommence
à prêter attentionà ses impressionssensoricMcs,à former
doses perceptionsdes aperceptionset &faire des mouve-
ments voulusadaptésà sesbesoins.A t'eveitde savolonté
conscienteest aussi liée la naissancede. ta consciencedo
son « moi L'enfantreconnaltqu'il est uneindividualité.
Seulementses processusorganiquesintérieurs l'occupent
beaucoupplus encore que les phénomènes du monde
extérieur qui lui sont transmis par tes nerfs sensoriels,
et ses propres états remplissentà peu près co:nptetement
sa conscience.L'enfant est pour cette raison un modèle
d'egoYsme, et, jusqu'à un âge plus avancé,il est tout à fait
incapablede déployer de l'attention ou de t'intérét pour
quoique ce soit qui ne se rapporte pas directementà ses
OE ~OOTtSME
fSYCMOMMtE M
hcMnMet Ases penchant! Par to perfcetionncmaatfon-
tinu~de son cerveau, l'homme parvient tmatemontà ce
degré de maturitédaos tequotit aequiurtlino Motionju!*ta
do ses rapport avec les autres hommesp) avec la Mature.
Alors la conscicnpojx'cH't de moins en nioio!!garde
aux processus vitaux dans son propra organisnw, et do
plus en ptus aux excitation'!de SMst'na.Ette no s'occupa
p))x dn ecu\-)&que quand ils «'ttfth'nx'nten pressants
besoins;ettc s'oefupoait fontt'airodo t'otx-ci (oujottre!à
t'~tat ~vt)itt6.La « moi Il recote d~citt~toentdcn't~ra le
non-moi ut t'imago du mondat'emptit (a plus grande
partie do la consciNMc.
De mûtneque ta formnttO)) d')))) moi d'xoo indivi-
doatit~ctairementconscientedo son existenceparticoticro,
est ta plus haute «'«vro de la matière vivante, do mente
te plus haut dcgro de dcvetoppententdu « moi n consiste
a s'incorporer te « non-moin, &comprendre le monde, A
vaincre t'egoïsmoet étabtir d'étroites relationsavec tes
autreitêtre:), les choses et les phénomènes. Auguste
Comteet, âpre:)tui, Herbert Spencer, ontnommece degré
« altruisme », du mot italien « attrui », !o prochain.
L'instinctsexuetquipousse l'individuà chercherun autra
individuest aussi pou de l'altruismeque, par exemple,la
faim qui incitele chasseurà suivreunanimal pour le tuer
et le manger. M ne peut être question d'altruisme que
quand l'individus'occupe d'un autre être par sympathie
ou par curiosité,et non pour satisfaireun besoinpressant
immédiatde son corps, la faim momentanéede tel ou tel
de ses organe?.
Par l'altruisme seulementl'hommeest en état de se
M L'tOOTtSM)!

maintenirdans la ~odeteet dans la nature. Pour consti-


tuer un être fociat, l'hommedoit ~ehtiravec Mo sembla-
btes et se montrer sensibleà lour opinion sur lui. L'un
et l'autre présupposentqu'il est capablede se représenter
assexvivementles sentimentsdo ses semblablespour les
éprouvertui-memo.Cetuiqui n'est pas on état do se repre-
i-euterh douleurd'un autre asseznettementpour en souf-
frir lui-même,celui-là M'aurapas do compa~iun,et cetui
<)uine peut pressentir exactementquelle impressionfera
sur un autre tcUe actionou teUoomissionde tui-m~mc,
ce)ui-)àn'aura aucunégard pour lesautres. Dansles deu\
vas il so verra bientôt excludo la communautéhumaine,
l'ennemido tous,combattupar tous,et très vraisombtabte-
montil succombera.Et pour se défendrecontretes forces
naturelles destructriceset les tourner à son avantage,
l'homme doit les connattroexactement,c'est-à-dire qu'il
doit être en état de se représenterclairementleurs effets.
Une représentationnette des sentimentsdes autres et des
effetsdes forcesnaturellessupposela facultédo s'occuper
intensivementdu « non-moi Pendant que t'hommo
s'occupe du « non-moi», il no songo pas à son moi »,
et celui-cidescendau-dessous du seuil do la conscience.
Afin quo le « non-moide cette façon l'emportesur le
« moi », les nerfs sensorielsdoivent bien conduireles
impressionsextérieures,les centresde perceptiondu cer-
veaudoiventêtre sensiblesaux excitationsdes nerfs sen-
soriels,lescentresles plus etevesdoiventdévelopperd'une
manière sûre. rapide et vigoureuse, les perccpiionsen
aperceptions,unir celles-cien conceptset en jugf monts,
et, !e cas échéant, tes transformeren actes votittonmets,
fSYCHOKMMe
CEL'ÉQOTtSMK tS
en imputions motrices,et, com~: ia plusgrandepartie de
ca~diffoMntcsactivité est «'fomptip par t'eeorcc gris*'
des tobosfrontan\, cela veut dire que cette dernière doit
être bit'n d~vetopp~oet travaillervigoureusement.
Ainsise présente &noMt'hommfsain. Hperçoit pfu et
rarementses excitationsintérieure! toujourset nettement
ses ifnprcs'-ioas'c\~)'ie))re! SMconsficnff est remptia
d'imagesdu tnande ef~rit'or, no))d'ifna~t'Ad'activité du
ses organes, t~! travail ineonMiontdo se:! cotircs infé-
rieurs joue un r~)e presquet~gtigeab)~à c~t~du travail
pleinement conscient des centres les plus t*')evt''s.Son
égo1smon'est pas plus fort que ce)a n'est strictement
nécessairepour maintenirson individualité,et ses pensées
ot actions sont déterminées par la connaissancedu la
natureet desessemblableset par les égardsqu'il leur doit.
Tout autre est )o spcctactcoffert par le dégénère. Son
systèmenerveuxn'est pas normal. Hn quoi consistenten
dernière anaiyseles écarts de la norme, nous l'ignorons.
Très vraiscmbtaHemontla cellule du dégénéré est com-
posée un peu autrement que ceUcde l'homme sain, les
particules du protoplasma sont disposées autrement,
moins régulièrement,les mouvementsmoléculairesont
Hou,par suite, d'une façon moinslibre et rapide, moins
rythmiqueet vigoureuse.Maisceci est une simple hypo-
thèse indémontrable.Seulement,on ne peut raisonnable-
mentdouter que tousles signescorporelsou Il stigmates
de la dégénérescence,tous les arrêts et inégalités de
développementobservés n'aient leur source dans un
trouble bio-chimiqueet bio-mécaniquede la cellulener-
veuseou peut-êtrede la celluleen général.
86 L'JÈaOTtSME
Daoala via psychiquedu d~n~re, t'anomatiede son
systèmenerveuxa pMtreon~qut'nM t'ittcapaei)~ d'atteindre
le pttMhaut degr6du d~otoppomentdo t'individn,ta libre
sortie des limites facticesde t'indhiduatito,t'attrnbme.
Dans te rapport do son « moi o et do son « non-moi
le d~g~nt''r~Msto (auto sa via tm cofant. Il apprécie et
)))Nnnapor~oit&peinate mondec~ricur et s'occupeseu-
tcmont dos proees!<u:< organitpx' dansson propre co~ps.
tt est plus qu't~o'jstc,it est nmMivament ~gotisto.
Son ~got~mepeut dirfctu«M))tprovenir de ditMMnttM
conditionsdo son organisme.Sos nerfs sensorielspeuvent
~tro ohtus, sont en conséquencefaiblementexcita par ta
monde extérieur, transmettont lentoment et mal leurs
excitationsait cerveau, et ne sont pas en état d'incito
celui-ci&une perceptionet à nnoapcrceptionsuMsamment
fortes. Ou bien ses nerfs sensorielstravaillent passaMo-
ment bien, mais le cerveau est insufMsamment excitable,
il ne perçoit donc pas convenablementles impressions
qui lui sont transmisespar le mondeextérieur.
L'obtusiondes dégénérésest attestée partousles obser-
vateurs.Dola quantitéinnombrablede faitsque nouspour-
rions rapporterici, donnonsseulementun très courtchoix
suMsammentcaractéristique.« Chez beaucoupd'idiots
dit Sollier, « il n'y a aucunedistinctionentre le sucre et
l'amer. En leur administranttour a tour du sucre et de
la coloquinte,ils ne manifestentaucuns sentiments<iffé-
rents. (Chez eux) le goût r'existe pas à proprettent
parler. En outre, il y a des perversionsdu go&t.Nousne
parlons pas ici des idiots complets, mais d'imbéciles
même qui mangent des ordures ou des choses repous-
PSWHOLOOH:
HEL'ËOOTtSME a?

MntM, m~motauMpropres excréments. les mcmes


reoMrttttMa'apptiqucntà l'odorat,Plus t'xeoro potit-~trp
pour tes odeurs quepottc les tWMtri),les Mn~paraiMPOt
absotumentobtus. La sonsibi)it6tactiloest très obtusoen
g~n~rat,niaiselle t*e<ttoujour:!d'uno mani~Muniforme.
On peut quctquofbissa damandors')! n'y a pas ancstMsio
comptUo )'. Lombrosoa cxtnninAla so)tsib)ti<6 g&t)~ra!c
do h peau do <Mcriminots,ot t'a troxv~e obtuso ch<*x
:? d'entreeux et )))t''j~)t)dttn~tas deux mo!ti(~du corps
<-t)M ~H Dans un tivro ttt~rio'r, il r~ttmc en CMmots
ses constatatMnssur t'ocuit~iiousoriettedes d~tt~r~s
« Impa~ibtc:!& la doutcur oux-mûmes,anatg~aiqocs,its
!)0 comprennentjamais ta douleur chez les autn~ ').
M.Ribotramène)<'s<nNatadies do la personnalité (c'est-
ù-dirolesfaussesconceptionsdu « moi") Ades a perturba-
tions organiques,dont)o premier rcsuttatest do déprimer
lafacuttédo sentiren général, le second,do ta pervertir ».
« Un jeune hommo dont ht conduite avait toujours été
excellente, so tivro subitementaux plus mauvaisesten-
dances. On na constat dans son état mentalaucunsigne
d'aliénationévidente,..tais on put voir que toliteta sur-
facede sa peau était devenueabsolumentinsensible».
« !i peut semblerétrangeque les parcsthesieset dysesthc-
sies, c'est-à-direde simplesperturbationsou altérations
sensoriettes,désorganisentle moi. Pourtant, l'observation
le démontre ». Maudsteydécrit quelquescas de dégéné-
i. Sollier;Psychologie
defMfote<de t'~mMcik, p. S:!et sqq.
2. Lombroso, ~Memme criminel.Traduction
françaiseparH~gnier
et Bournet.Paris,1M~,p. 290et sqq.
3. Lembroso, Lesapplications
dt <'an<Afopeb~'ecriminelle.Paris,
t892,p. <N.
4.Th.Ribot,Lesmaladies de la personnalité,
p. 6), 78,t05.
ax L'~COTiMt)!

resconce chex des enfants dont la peau ~tait insensible, et

remarqua ensuite Ils ne peuvent ~ntir tes impressions

naturellement, ils na peuvent s'adapter aux conditions


environnantes avec lesquelles ils se mettent en désaccord,

et les affections porve'.ties du moi M traduisent par des


actes d'un caractère destructeur )'.
Du reste, t'insonsihititA des d~gëner~s constatée par tous
tes observateurs est susceptible do différentes interpréta-
tions. Si beaucoup la considèrent comme une conséquence
do la condition pathologique des nerfs sensoriels, d'autres
croient que la perturbation a son siège non dans ces nerfs,
mais dans te cerveau, non dans tes conducteurs, mais dans
tes centres (le perception. Pour
citer t'un des ptus cmi-
nonts parmi les psycho-physiotogistcs de la jeune école,
Binet établit que « si une partie du corps d'une personne
est insensible, elle ignore ce qui s'y passe; mais, d'autre

part, les contres nerveux en relation avec cette région


insensible peuvent continuer & agir; il oit resutto que cer-
tains actes souvent simples, mais parfois très compliques,

<. Mwdste), PaMoto~e de f<~))f, traduction française par Ger-


mont. Paris, t8S~, p. 300. Voir aussi Alfred Binet, tf.t<t<Mn!<«MM t~
la fM'MCMaMM. Paris, <Ma, p. 39 Sei! sens se ferment aux exci-
tations du dehors; le monde extérieur cesse d'exister pour tut) it
ne vit plus que de sa vie exclusivement personnelle; it n'agit plus
qu'avec ses propres excitations, qu'avec le mouvement automatique
de son cerveau. Bien qu'il ne reçoive plus rien du dehors et que
sa personnalité soit complètement isolée du milieu dans lequel il
est ptacé, on le voit aller, venir, faire, agir, comme s'il avait ses
sens et son intelligence en plein exercice Ceci, if est vrai, est la
description d'un malade, mais ce qui est dit de celui-ci s'applique
également. avec une différence de degré seutement, a. t'egotiste. Féré
a communiqué à la Société biologique de Paris, dans la séance du
i9 novembre «92, tes résultats d'un grand nombre d'expériences
faites par lui, d'où il appert que chez la plupart des épiteptiques.
hystériques et dégénérés, la sensibilité cutanée est diminuée
Voir La Semaine mA<«'a&, tM2, p. 456.
PSMHOKMtB M t/tOOTtMM 29

peuvents'accomplirdanste corpsd'une hystériqueet &son


insu; bien ptus, ces actespeuventêtre donature psychique
et manifesterune intettigctx'cqui sera par conséquentdis-
tincte de cette du sujet et constituera un second moi,
coexistantavec le premier « On s'est longtempsmépris
sur la vraie nature do l'anesthésie hystérique,et on la
comparaità une anesthésievulgaire, de cause organique,
duo, par exemple,a l'interruption des nerfs conducteurs
des impressions.Cettemanière do voir doit être complè-
tementabandonnée,et noussavonsaujourd'huique fanes-
thesic hystérique n'est pas une insensibilité véritable;
c'est une insensibilitépar inconscience,par désagrégation
mcntato; en un mot, c'est une insensibilitépsychique M.
Le plus souvent il ne s'agira pas de cas simples, où ce
sont les nerfs sensoriels seuls ou les centres cérébraux
souts qui travaillentmal, mais do cas mixtesoit les deux
appareil ont une part diversementvariable au trouble.
Maisque les nerfs no conduisent pas les impressionsau
cerveau, ou que te cerveauna perçoive pas ou na fasse
pas monterdans la conscienceles impressionsamenées,le
résultatest toujoursle même te mondeextérieurne sera
pas saisi exactementet nettementpar la conscience,le
« non-moi » n'y sera pas convenablementreprésenté, le
« moi n'éprouvera pas la dérivationnécessairedo la
préoccupationexclusivedes processusse passant dans son
propre organisme.
Le rapport naturel sain entre les sensationsorganiques
et les perceptionssensoriellesest plus fortementdéplacé

t. AlfredBinet,A<~
a~M/feNtdela peMonttaHM,
p.83,85.
30 t.'tOOTtSMt:

encore, quand &t'insensibititédes nerfs sfasorie):!ou de~


tentres de perception, ou des <teu\,s'ajoute une activité
vitaledes organes maladivementmodiMeet accrue.Alors
tosentimentorganiquedu Il moi », la fénesthésie,s'avance
impériensenMntau premierplan, couvrantde ses tnmnttes
en grande partie on complètementles aperception~du
monda extérieur dans la conscience, qui ne tient ptus
compte que des faits int~riourade l'organisme.Ainsinatt
cette surexcitationoitemotivitoparticuticrequi constitue,
nous l'avonsvu, le pMnomenofondamentatde la vie intel-
lectuelledes degën~r~s.Car la dispositiond'esprit fbnda-
mentalede rcmotif, désespéréeou joyeuse,courroucéeoit
pleurarde, qui détefminele colorisde ses représentations
comme la marche de ses idées, est !a conséquencedes
phénomènesqui ont lieudans ses nerfs, ses vaisseauxet
ses glandes La consciencedo ce dégénéré émotif est
remplie d'obsessions qui no sont pas inspirées par les
faits du mondeextérieur, et d'impulsionsqui no sont pas
la réactioncontrelesexcitationsextérieures.Acelas'ajoute
ensuite la faiblessede volontéconstantedu dégénère,qui
lui rend impossiblede supprimersesobsessions,derésister
à ses impulsions,de contrôlersa dispositiond'esprit fon-
damentale,et d'attacherses centres supérieurs à la pour-
suite attentivedu phénomènedu monde.Lerésultatnéces-
saire de ces conditionsest que, dans de pareilles têtes, le
monde, suivantle motdu poète,doitse renétcr autrement

t. Lesphénomènes organiques,
cardiaqucs, sécré-
vaso-moteurs,
toires,ete.,quiaccompagnentpresquetous,sinontouslesétats
lephénomène
auectits, précèdent loindete suivre;ils
conscient,
n'enrestentpas moins,dansnombredecas, inconscientsG)ey,
citépar A.Binet,Lesat~attOM<ff la jM'MxttatiM,
p. SOS.
PSYCHOMûtE
BEL'jÈCOTtSME 3i

que dao~les tctes normates,Lu mondaextérieur, te « non-


moi u, ou bien n'existe pas (lutout dans la consciencedu
dégénère émotif, ou n'y est représente, comme sur une
surfacefaiblementrestante, que par u<~ imagoentière*
ment decotorec,à peine reconnaissable,ou, commedans
un miroir creux ou conveM, que par une itnage fausse
compMtetnent(Mt)gur~o; la conscicttcf,au caxtMfc, est
itnpëriouscm~ntaccapara par te « moi » somatique,qui
ne permetpas quet'apprit s'occupad'autre chose que des
faits pénibles ou tumultueuxqui se paient dans la pro-
fondeur des organes.
Nerfs sensorielsmauvaisconducteurs,centres de per-
ception du cerveau obtus, faiblessede votonteet incapa-
cité d'attentionqui en est la conséquence,prucessusvitaux
maladivement irregutiers et violents dans les cellules,
voita, par conséquent,tes bases organiquessur lesquelles
croit t'egotismc.
L'egotistc doitnécessairementexagérer de façonextra-
ordinairesa propre importanceet celle de tous ses actes,
car il n'est rempti que de tui-meme, peu ou point de
l'image du monde, et par là incapable de comprendre
sa situation vis-à-vis tes autres hommeset le monde, et
d'apprécier convenablementte reh de son activitédans le
fonctionnementgénérât de la société. Oninclineraitpeut-
être maintenantà confondrel'égotisme avecla maniedes
grandeurs. Maisil y a entre les deux états une différence
caractéristique.La manie des grandeurs, il est vrai, est,
elle aussi, de même que son complémentclinique, la
manie des persécutions,causée par des processusmala-
difs dans l'intérieur de l'organisme, qui contraignentla
aa !aOT)SME

conscience&consacrer constammentson attention à son


propre moia somatique plusspéeia~ment,t'aetivitôbio-
chimiquedos organes anormatemeataugmentéedonne tes
représentationsagréablementexcessivesdo la manie des
grandeurs; l'activitératontiaou matadhcmeotaborrante,
au contraire,les représentationspénibles de la maniedes
percutions Seulement, dans la manie des grandeurs
commedans celle do la persécution,le malade s'occupo
constammentdu mondaet des hommes;dans l'égotisme,
au contraire, it s'en abstrait & peu -os complètement.
Dansle délire systématiquedu fou mégalomaneet persé-
cuté, le « non-moinjouo le rôle prééminent.Le matado;
s'expliqua l'importanceque son moi a obtient à ses
propres yeux, par t'invcntiond'une grandiose situation
socialeuniversellementreconnueou d'une inexorablehos-
tilitéde personnagesou de groupespuissants.H est pape'
ou empereur, et ses persécuteurssont des chefsd'Ëtat ou
de grandspouvoirssociaux,la polico, le c!erge, etc. Son
délire comptepar conséquentavec i'Ëtat et la société,il
admet leur importance et attache la plus grande v~our,
dans un cas, aux hommages,dans t'autro cas, à l'inimitié
do son prochain. L'égotiste, au contraire, ne regarde
atMotumentpas commenécessairede rêver une situation
sociale inventée. it n'a pas besoin du monde et de son

I. Ce n'est paslà unesimplehypothèse, maisunfaitbiendé-


montré.Descentainesd'expériences de Bcec)~ Weill,Mœbiu",
Charrin,Mairet,Bosc,Siosse,Laborde. Marie,etc., ontétaMique
chezlesaiiénés,dansteset'ta d'tMitationet après,l'urineestplus
toxique,c'est-4-direplus richeen matiefesorganiques uséeset
excrétées,et aprèslesétatsde dépression,moins toxique,c'eat-a-
dire ptuspauvreen matièresdésagrégées que cheztesindividus
sains,ce quiprouveque,chezceux-là, ta nutritiondes tissusest
maladivement accrueouralentie.
PSÏCHOMatE CR L'ÉaOTtSME M

appréciationpourjustifier&ses propresyeuxqu'il est toi-


mêmel'objetde son uniqueintérêt. 11no voit Mémopas )o
monda.Lesautreshommestout simplementn'existentpas
pour lui. Toutle « non-moin apparalt dans sa conscience
seulementcommeune ombre vagueou un nuage mince.Il
no lui vient donc pas mêmet'idoo qu'ilest quelquechose
do particulier,qu'il est plus que les autres et, pour cotte
raison, ou admiréou htn; il est seul dans )o monde,plus
que cola, il est seul !o monde, et tout io reste hommes,
animaux,choses,ne constitueque dos nguresaccessoires
sans importancequi ne vatontpas qu'on y pense.
D'autant plus insigniuantssont los troubles des voies
conductrices,des centresdo nutrition, do perceptionet do
volition,d'autant plus faible est naturellementt'cgotismo
et d'autant plus innocemmentil se manifeste.Son expres-
sion la moins choquanteest l'importancesouventcomique
que l'égotisteattribue ù ses sensations,penchantset acti-
vités. Est-it peintre il ne doute pas quo l'histoire uni-
versellotoutentière no pivoteautourde la peinture,et de
ses tableauxen particulier. Ëcrit-itf prose ou en vers
il est convaincuque l'humanitén'a pas d'autre souciou,
du moins, de souci plus sérieux que les vers et les livres.
Qu'on n'aille pas objecter que cela n'est pas particulier
aux égotistesseuls, mais spécialà l'immensemajoritédes
hommes. Assurément,chacun trouve important ce qu'il
fait, et celui-làne vaut mêmepas grand'chose,qui exécute
son travail si distraitementet si superficiellement,telle-
mentsans ptaisir ni conscience,que lui-mêmene peutpas
l'estimer.Maisla grande différenceentre l'hommeraison-
nableet sainet l'égotiste, c'estque celui-làvoit clairement
M~x NOHDAU. D~gënéreacenco. Il 3
3t ï.'ÊoaTMHB

combienest subordonne pour !o reste ttes hommesson


occupation,quoiqu'eitoromptissosa ~!aet exige ta meit-
leur de sa force,tandis que celui-cino parvient pas &se
représenterqu'une activitéà laquelleit consacreson temps
et ses effortspuisse semblera tous les autres sans impor-
tanceet mcmopueriie. L'honnête savetierqui ressomcto
une vioittobottose tivrosarementdo corpset d'amali son
travail,mais il admetqu'il y a pour l'humanitédos choses
plus internantes et ptusimportantesencore que )a répa-
ration do chaussuresendommagées. L'egotiste, par contre,
s'il est écrivain,n'hésite pas & dectarcr, commeM. Sté-
phane MaHarme « Le mondeest fait pour aboutir A un
beau livre Cotte exagération absurde do nos propres
occupationset intérêts donne on littérature les parnas-
siens et les esthètes.
La dégénérescenceest-elle plus profondeet t'cgotismo
plus fort, celui-cine rcvct ptus la forme comparativement
innocentede t'obsorption totale en roucoulementspoé-
tico-artistiques,mais se manifestecommeimmoralitéqui
peutaller jusqu'à la folie morale.La tendance& commettre
des actionsnuisiblesà tui-memoou à la sociétés'éveille
e&et !&aussi chezl'homme sain, quand un appétit dete-
tère demandesatisfaction;mais il a la volonté et ta force
de l'étouffer.L'égotistedégénèreest trop faiblede volonté
pour maîtriser ses impulsions,et l'égard au bien de la
sociéténe peut pas déterminer ses actions et.ses pensées,
parce que la société n'est pas même représentéedans sa
conscience.C'est un solitaire insensibleà la loi morale
créée pour la vie en société, non pour l'homme isolé. Il
est clair que,pour RobinsonCrusoé,le codepénaln'existe
PSYCHOMOtE
DR)L'ÉOOT<8t<E 3t
pas. Seuldans son !)e, n'ayant affairequ'à la nature, it
no peut évidemmentni tuer, ni voter, ni piller ait sens du
code pj~na).JI no peut commettredo délits quecontrelui-
memo. Le manque do discernement et d'empire sur
soi-mêmeest t'unique immoratitequi lui soit possible.
t/egotisto est un RobinsonCrusoe intoUectuetqui, dans
son idt~ vit seulsur une !)o,ot il est en m&motemps un
d6bi)cimpuissantà se dominer.!.a loi morale universetto
n'existedonc pas pour lui, ot )a seule chose qu'il pourra
voir et avouer, peut-être aussi un peu regretter, c'est
qu'il pèche contrela loi morale du solitaire, c'cst-a-diro
contre ia nécessitéde maltriserles instinctsnuisiblesà
soi-mcmc.
La moralité, non cello apprise machinalement,mais
celle que nousressentonscommeun besoin intérieur, est
devenue, dans le cours des milliersde générations,un
instinctorganise. Elle est pour cette raison, commetout
autre instinct organisé, exposée à la « perversion
celle-cia pour effet qu'un organe ou l'organismeentier
)ravai)tc contrairementa sa tache normaleet à ses lois
naturelles,et ne peut travaillerautrementDans la per-
versiondu go<tt,le maladechercheavidement à avaler
toutce qui, d'ordinaire,provoquela plusprofonderépul-
sion, c'est-à-dire est instinctivementreconnu nuisible

i. LeD'Pau)Moreau (deTonra)décritl'aberrationencestermes
quelquepeuobscurs L'abermtion constitueunedérogation aux
loisquirégissentla sensibitite des
propre organes e t des facultés.
Parcemotnousentendons désignercescasdanslesquelsl'obser-
vationfaitconstaterun changement contrenature,exceptionnel
et toutà fait psychologique,
changement quiapporteun trouble
palpableau fonctionnement d
régulier 'unefacuité ~Matftfa-
KoMdMsens9<ne){ç«c, 4*édition.Paris,i88~,p. <.
96 t.OOT!8ME
et pour cette raison rejeta dos matines orgaaiqoesten
décomposition,des ordures, du pua, dos crachats, etc.
Dansh perversiondo t'odorat, il profère les odeurs do
pourriture an parfum des fteuri!.Dans la perversion du
sens g~n~siquc,i) a des désirs qui sont directementcon-
trairasau but do t'instinct la conservationdo !'cspoec.
Dansla pervor~iondo l'instinctdo moratit~,le maladeost
attira et ~prono des jcmiMancespar des actes qui rom-
plissent rhommo sain do d~go~t et d'horreur. Si cotte
aberrationparticu)it'ros'ajoute &l'égotisme,nous n'avons
plusseulementdevantnous !'indifferenc«obtusocnveMte
crime, qui caractérisela foliomorale, mais la joio gontee
dansle crime. L'egotistodo cette espèce n'est plus seule-
mentinsensibleau bien et au maiet incapabledo les dis-
cerner, mais il a une prédilectiondécidée pour le mal,
t'estime chezles autres, le fait lui-mêmechaque fois qu'il
il
peut agir d'après son penchant, et lui trouve la beauté
propre que t'hommosain trouveau bien.
Suivantla classesocialea laquelle appartient l'égotiste
atteint ou non de perversion de l'instinct de moralité,
et suivant ses particularités personnelles, son trouble
moralse manifesteranaturellementd'une façondifférente.
Membrede la classe des déshérites, il est ou simplement
un être déchu et abâtardi dont l'occasionfait un voleur,
qui vit dans une promiscuitéhorrible avec ses sœurs ou
ses OHes,etc., ou un crimineld'habitudeet de profession.
Cultivé et &!'aise ou dans une situation dominante, it
commetdes méfaits qui sont propres aux classes supé-
rieures et n'ont pas pour but ta satisfactiondes besoins
matériels, mais d'autres convoitises.H devient un Don
PSIfCHOLOatE
PE L'ÉOÛTMXE a~
Juan (b salonet porto sans hésitationla honte et la doso-
lation dans la famittado son meittexrami, Mest capteur
d'héritage. traître envers ceux qui ont conOancoen lui,
intrigant, semeuf do discordeet menteur.tt s'ctevo quel-
quefois aussi jusqu'au grand carnassiersur te tronc et
jusqu'au conquérantuniverfe).t) deviont, dans d'6troi)c:t
conditions,Chartesle Mauvais,comte d'Ëvrouxet roi do
Xavarro,Gilles do Mais!,to prototypedu ttat'hc-!<)euo,00
C~sar Horgia,et, dans do plus !ar{;es.Kapot~on Si
son sy~mc nerveuxn'est pas assuxfort p0)))'otaborer des
impulsionsimpérieuses,ou si ses musclessont tropfaibtc:.
pour obéir à do tc))es impulsions,tous ces penchantscri-
minelsrestent non satisfaitset uc se dépensent que dans
son imagination.L'égotistepe~erti n'estalors qu'un mal-
faitourptatoniquoot)t)X''o)iq))e;et s'il embrasseta carrière
littéraire, it inventera des systèmesphilosophiquespour
la justificationdo sa dépravation,ou emploieraune com-
plaisanterhotoriquoen vers et en prosepour la célébrer,
t'attifer, et la présenter sous une forme autant que pos-
sible séduisante.Nousnous trouvonsalors en présencedo
diabolismeet du decadentismelittéraires. Diaboliqueset
décadents se distinguentdes criminels simplementen ce
que ceux-làse contententde rêver et d'écrire, tandis que
ceux-ciont la résolutionet ta force d'agir. Maisi)s ont
ce lien commun d'être les uns et les autres des êtres
« anti-sociaux

t. Lesvicesde l'organisation se faisantjour


payeho-physique.
pardesactesprohibésnonseulement parla morale,cetensemble
des rentesnécessairesêtaboréespar l'expérienceséculairedes
nations,maisaussipar tescodespénauï,sonten désaccord avec
ta viedansla société,au seinde laquelleseulementl'humanité
as ~ËOOTtSME
Un second caractère que partagent entre eux tous tes

egatistes, qu'ils aûirment tours penchants anti-sociaux en

pensèos ou en actions, comme écrivains ou comme crimi-


nets, c'est teur incapacité de s'adapter aux conditions dans

lesquelles ils doivent vivre. Ce manque d'adaptabitito est

une des partieuiarites les plus frappantes du do(;cn6re et


elle cet pour lui la source d'une constante souffrance et

d'une ruine tmate. Mais e)'a resutto nécessairement de )a


constitutiondo son système nerveux contra!. La prémisse

indispensaMo do t'adaptation est d'avoir une notion exacte


dos faits auxquels on doit s'adapter Je uo puis éviter t'or-

pt'ut faire des prosrf's. Un honnue, di*s son origine adapté t )<
vie s0t')a)t). nepeutacqnArir de ptrett~ vices que par sotte de cer-
tailles ('Mx'ttUuxi)jMfxictouse!), mettant ses xtoyem) ))!<yeho-)))t)fi-
ques en ~SMt«r<< avec les exigences n~coasaiffi do tt vie s<x')ata
Drill, <« c' f")iMh HtineMtj,cité par Lombroso dans tM apptic<!<'ott)'
<<ef<)n</t<\)pafo~«' ft'tmftx'Mc. P«r)a, <899, p. Ot. Voir <msi)i(!. Tarde,
ta t'AiteM~Ate ))~ta<< t.; on, <MO,passim. Loton moral n'ost )M<t
Mn vtrttahto e)itn&. Une marquise de BrintitOeM, un Troppmfnn,
un 6tre nAsans com~Maton nt senUment de honte, peut-on dire do
lui qu'il n'est pas )ui-m9mo quand i) commet son eritne! Non. t)
n'est que trop tut.nteme. Mah son être, sa personne sont hoslilcs
& h société. H n'éprouve pas los sentiment)) que nous autres, hommes
civilisés, regardons comme indispensabtcs. tt ne faut pas songer &
le guérir ou & ramèttorer
4. Le darwinisme exptique t'adaptationseuiemont comme r~suttat
de la lutto pour l'existence et de la sélection, qui est une forme de
cette lutte. Dans un individu apparatt par hasard une qualité qui
le rend plus apte à se conserver et à vaincre ses ennemis, que les
individus nés sans cette qu<utté. Il trouve des conditions d'etis-
tence plus favorables, laisse de plus nombreux descendants qui
héritent de cette qualité favorable, et par la survivance des plus
capables et la disparition des moins capables, l'espèce entière entre
finalement en possession de la qualité utile. Je ne nie nullement
qu'une déviation individueiie fortuite du type de l'espèce, qui se
montre comme un avantage dans la lutte pour l'existence, ne puisse
être une source de transformations ayant pour~ésuttat une meil-
leure adaptation de l'espèce aux circonstances données et qui ne
peuvent être changées. Mais je ne crois pas qu'un tel hasard soit
la source unique ou même la plus fréquente de semblables trans.
formations. Je me représente tt jt autrement te fait de i'adaptation
t'être vivant éprouve dans une situation quelconque des sentiments
PSYCHOMCtE DE L'~OOTtStE 39
nH~ dans le ehemm, si }e ne la fptnaf<)Mc pM; je ne pu!~

de déplaisir auxquels Il veut <<'))apper, s«tt por changement ds


situatifn (txMtt~mott, htite). sait en ea~yant d'<e)r ttethement
sur la cause de ces sontiMtntt de dtp)<)-~ir (attaque. modification
des conditions natureiies). Si tes organes qu" poi~ede l'étra vivant
et tes aptitudes que tM organes ont d~Ja Mq~he~ no SMMMntpas
pour fournir les «iMttoM seoUe~ n<f<'Mt)r' et ~t)u)M~tM!t Mnt)-
n)en<~de déplaisir, )ti) <tMt <Mhi)eitite soumettent à leur destinée
et <au(ffent ou méme p<ir)Ment. Les Individus plus vigoureux, au
fon)ft)re, tant de violents eftart~ cantinui) pouf atteindre leur drs-
eot)) d< fuite, de défense, d'<m«(Ut., tta sttpcr~ton de!' obstactM
t~tttft'ti), t)i) iotpfiMcnt do fortaa hnpu)aia)W nfr~eo~e'' teu~
organes pour MiircXre au degré axpr~me leur cxpMttA fooetiot)-
nctto, et CM ifxputsten:' t)erta"s<'9 sont )? cauM im)(t~()i<ttedes
traotffrnmtion~ <tut donnent aux or~nes da nou<e))ei) <)Mf)jt<et
les rendent plus })ropr<*aà fafM pro-)n<'rer t'~tM vivant. Que t'in)-
pulsion nerfCUM ait pour con~t)uen<-e une augmentation do )'ot-
Oui: sanguin et une meilleure nutrhien du l'organe en jeu, c'est )<<
un fait biologique certain. Pour moi donc, )'odtptttion est le plus
souvent non le résultat de <jM<dites acquise!) fortuitement, mais un
tête de volonté. Elle a paut'prem)Me la pert'eptiun et l'aperception
nettes deo causes extérieures dM sentiments do dcptoiatr et la vit
désir d'échapper &ee~seuthnenh de d~pt&b))'. ou Men cetut do se
procurer des sentiment'' de plaisir, <est-t~)ro un appétit orga-
nique. Son mécanisme consiste dans t'ehtmratien d'une représen.
tation Intense d'actes utiles d'organes déterminés et dans l'envoi
d'impulsions adéquates & cos o<wnes. Que semblables impulsions
puissent medifiot' h structure anatomique des organes, Kant t'a
déjà pressenti toMtju'i) écrivait son traité De tft capacité de la
pensée A moMt'Mt'' der )<<<'M nxttodtK'i, et la médecine moderne a
ptoinement confirme la chose, en montrant que les stigmates d'une
Louise Lateau, les guérisons de tumeurs sur io tombeau du diacre
Péris, les modifications amenées par la augeestion sur la peau des
hystériques, la naissance de nBvus par impressions ou émotions
maternelles, sont t'etTet de représentations sur los tissus corporels.
On a eu tort de se moquer de Lamarek prétendant que la girafe
a un long cou parce qu'elle l'a allongé continuellement pour pou-
voir atteindre les cimes des arbres élancés et en pattre les feuilles.
Quand l'animal élabore la représentation nette qu'il doit allonger
te cou le plus .wssiNe pour parvenir jusque un feuillage élevé,
cette representatio-t inOuencera de la façon la plus forte la circu-
lation du sang da~s tous tes tissus du cou, ceux-ci seront tout
autrement nourris qu'ils ne le seraient sans cette représentation,
et tes transformations souhaitées par l'animal s'effectueront sare-
ment peu à peu, si son organisation générale les rend possibles.
La connaissance et la volonté sont par conséquent tes causes de
l'adaptation,- non la volonté au sens mystique de Schopenhauer,
mais la volonté dispensatrice d'impulsions nerveuses. Que cette
esquisse suffise au lecteur; ce n'est pas ici le lieu de tadéveiopner
davantage et de démontrer en détail combien ces idées sont fécondes
pour la doctrine évoiutionniste.
tO t/Ë<!OTf8M<

détourner le coup que jo ne vois pas venir; il est impos-


sible d'enuter du fil dans une aiguille,si t'en n'agréait
pas avecune netteté suffisantele chas et si l'on n'amené
pas le fil d'une mainsure au bonendroit. Cela est tello-
montetemontaire,qu'it est à peine nécessairede la dire.
Ceque nousnommonste pouvoirsur la nature est enfait
l'adaptationà la nature. C'est nous exprimerinexactement,
quo do dire que nous nous soumettonsles forcesde la
nature. Eu rcatito,nous les observons,nous apprenons&
connattro leurs particularités, et nous nous arrangeons
do façon que les tendances dos forcesnaturelles et nos
propres désirs coïncident.Nous construisons la roue ta
où doit tomberl'eau on vertu de la loi naturelle,et nous
avons ensuite l'avantage que ta roue Hurno selonnotre
besoin.Noussavonsque t'etcctricitesuit les filsde cuivre
et nouslui préparons, avec un empressementhabile, des
voiescuivréesdans la directionoitnousvoûtonsl'avoir et
où son action nous est utile. Donc,sans connaissancede
la nature, pas d'adaptation, et, sansccttc-ci, pas do pos-
sibilitéde profiterde ses forces.Or, le dcgenen5ne peut
s'adapter, parcequ'il n'a pas l'aperceptionnette des cir-
constancesauxquellesil doit s'adapter, et il n'obtient pas
d'ettes une aperceptionnette, parceque, nous le savons,
il a des nerfsmauvaisconducteurs,des centres d'apercep-
tion obtuset une faibleattention.
Lacauseactivede toute adaptation,commede touteffort
en général, et l'adaptationn'est autre chosequ'un effort
d'espèceparticulière,-est le désir de satisfaireun besoin
organique quelconqueon d'échapperà un désagrément.
Autrement dit, l'adaptation a pour but de donner des
iPStCHOMOtE B8 L'&OOTtSME 4<

sentiments do plaisir et do diminuer ou do supprimer tes


sentiments do dcptai-iir. L'être inadaptabto est pour cette
raison bien moins en état que t'être normal do se procure)'
des sensations agréables et d'écarter de lui tes sensations
desagreabtes; il se heurte il toutes les arêtes parce qu'il
ne sait pas les éviter, et il aspire vainement au fruit

savoureux, parce qu'it tic sait pas s'y prendre pour

attraper la branche & laquelle il pend. L'cgotista est to

type do t'être inadaptable. tt doit donc nécessairement

souffrir du monde et des hommes. Aussi to fond do son


être est-il la mauvaise humeur, et it se tourne avec un
mécontentement haineux contre la nature, la société, les

institutions publiques, qui t'irritent et le blessent, parce


qu'il no sait pas s'accommoder d'elles. Il est dans un état
constant do revotto contre ce qui existe, et travaiUo & to
détruire ou du moins on rêve la destruction. Dans uu pas-

sage célèbre, H. Taille indique « l'amour-propre exagéré


et « le raisonnement dogmatique n comme les racines du
jacobinisme 1; cetui-ta miinc lui mépris et au rejet des in-

i. H. Taine, Les origines de <<!Frafx'e <'<)'t<<'H)fm<"ae.


t« <t~t«<«-
lion, t. H ta Con~M~e~aceSine. Paris, <)?), p. tO-H.. Ni l'amour-
propre eMgéré ni le raisonnement dogmatique ne sont rares dans
l'espèce htfmaine. Bn tout pays, ces deux racines de l'esprit jacobin
subsistent indestructibles et souterraines. Partout elles sont com-
primées par la société établie. Partout elles (Aehent de dcsccller la
vieille assise historique qui pèse sur elles de tout son poids. A
vingt ans, quand un jeune homme entre dans le monde, sa raison
est froissée en mème temps que son orgueil. En premier lieu,
quelle que soit ta société dans laquelle it est compris, elle est un
scandate pour la raison pure car ce n'est pas un législateur phi-
losophe qui )'a construite d'après un principe simple: ce sont des
générations successives qui l'ont arrangée d'après leurs besoins
multiples et changeants. En second lieu, si parfaites que soient
tes institutions, les lois et les mœurs, comme elles l'ont précédé.
it ne les a point consenties; d'autres, ses prédécesseurs, ont choisi
eur lui, et l'ont enfermé d'avance dans la forme morale, poli-
tique et sociale qui leur a plu. Peu importe si elle lui déptajt; il
ta L'&NOTtSHR

i-titutionsque l'on trouve tout établies,quepar conscqueat


on n'a pas inventéeson chômes 'at-momo; celui-cicon-
sidère t'ediOecsocial comme absurde, parce qu'i! n'est
pas <'une œuvra de la logique,mais do l'histoire
Acôté de cesdeux racinesdu jacobinismeque Tainea
misesà jour, Hy en a encoreune autre, h plusimpor-
tante, qui a échappaà son attention l'inaptitudedu deg<"
nere à s'adapter aux circonstancesquellesqu'elles soient.
L'egotistoest condamnepar sa nature organiquea être on
pessimisteat un jacobin. Ma:s les revojutionsqu'il sou-
haite, prêcha et peut-être accompliteffectivement,sont
steritos pour le progrès. Il est commerévolutionnaireM
que serait commebalayeurdes rues une inondationou un
cyclone.Il n'est pas un d6b)aycnrconscientdu but, mais
un destructeur aveugle. Cela le distinguodu novateur a
l'esprit clair, du révolutionnairevéritable, qui est un
réformateuret conduit de temps en temps l'humanité
souffranteet cntiscc, par des sentiers pénibles, dans un
nouveauClianaaa.Le réformateurabatavec une violence
impitoyable,s! cela est nécessaire, les ruines devenues
embarrassantes,pourfaire placeà des constructionsutiles;
t'égotistese deehainefurieusementcontre tout ce qui est
debout,que cela soit utilisableou inutile, et ne songepas
à aplanirle terrain à la suitede la dévastation sa joio est
de voir, là où s'élevaientauparavant des murailleset des

faut qu'il la subisseet que,commeun chevalatte)é,U marche


entre deuxbrancardssousle harnaisqu'onlui a mis. Rien
d'étonnant:'it est tentéde regimbercontredes cadresqui, bon
grémaigré,l'enrégimentent, etdanslesquels
lasubordinationsera
sontôt. Delà vientquela plupartdesjeunescens,surtoutceux
qui ontleurcheminà faire,sontplusoumoinsJacobinsau sortir
du collège c'estunemaladiedecroissance
PSVCHOMME
CEL'~NOTtSHE t3
Mtes, dos monceauxdo décombresenvahie par tes mau-
vaisesherbes.
Cela creusa un abtmeiafranchissabtoentre te rcvotu-
tionnairo sain et le jacobin égotiste. Cotui-taa un idéal
positif, celui-cinon. Cctui-tasait quel but il vise, celui.ci
n'a aucuneidée do la façondont on pourraitamftiorer co
qui t'irrite. H Mepensa m~no pas si toin. 11no s'occxna
nullementdosavoirco quiMmptaco'aleschosesdétruites.
Il sait soulementque tont le chagrine,et il veut dëcharget'
sur toutsa méchantehumeurgrognonneet confuse.Aussi,
il est caractéristiqueque le niais besoin de révolte de ce
genre de rovotutionnairesse tourne fréquemmentcontre
des maux imaginaires, poursuive des buts puerits ou
combattedes lois précisémentsages et bienfaisantes.Ici,
ils forment une « Ligue contre le salut par coup do
chapeau »; là, ils s'opposent&la vaccinationob)igatoire
une autre fois, i)s se soub''vcntcontre le recensementde
la population,c'. ils ont la ridiculeaudace de mener ces
campagnesineptes avec les mêmes discourset attitudes
que les vrais révolutionnairesmettent, par exemple, au
service de la suppressionde l'esclavageou de la liberté
de pensée!
A l'incapacitéd'adaptationde l'égotistes'ajoute souvent
encore ta manie de destructionou clastomaoieque l'on
observe si fréquemmentchez les idiots et les imbéciles
et dans quelques formesde l'aliénationmentale Chez

t. Sollier,Psychologie
defM<o~ et df~/m~t-, p. M9 11existe
encorechez idiots autreinstinctqui se rencontredu reste
tes un
à un certaindegrécheztesenfantsnormaux:c'estla aestructivité
qui, cheztouslesenfants,se moutrecommepremièremanifesta-
tiondeleurmotricité,sousformede besoinde frapper,de casser,
<t L'ÈQOTtSMf!

l'enfant, l'instinct de destructionest normal.!t est la pre-


mière manifestationdu besoinde mettre en actionsa force
musculaire. Bientôtcependants'éveitte le désir d'exercer
ses forces non en détruisant, mais en créant. Cr, l'acte
de créer a une prémisse psychique l'attention. Celte-ci
manquantau dégénère,t instinctdo destruction,qui peut
pire satisfaitans attention, par des mouvementsdésor-
donnés et fortuits, no s'ctfve pas chez lui jusque t'ins-
tinct do création.
Ainsi,le mécontentementcommeconséquencede l'inca-
pacitéd'adaptation,le manquede sympathiepour sessom-
blables par suite du faible pouvoir de représentation,et
t'instinctde destruction commerésultat d'arrêt de deve-
toppement intellectuel, donnent ensemMo Fanarchiste,
qui, suivantle degré do ses obsessions,écrira seulement
des livreset ferados discoursdo réunions populaires,ou
recourraà la bombechargéedo dynamite.
A son point extrême de développement,enlin, l'égo-
tismeconduit à cette folieà la Caligula,dans laquellele
déséquilibrese vante d'être « un lion riant », se croit
au-dessusde toutesles règles de la morateet de la loi, et
souhaiteà l'humanitéentièreune seuletête pour pouvoir
la lui abattre.
Lelecteurqui m'a suiviverraclair désormais,jel'espère,
dans la psychologiede l'égotisme.Commenous l'avons
constaté, la consciencedu « moi » nait de la sensation

de détruire. Cbezles idiote,cestendances sontencorebienplus


accusées.H n'enest pasde mêmecheztesimbéciles. Leuresprit
malicieuxoumalfaisant continue&tespousserà détruirenonplus
dansla but de dépenserleursforces,maisdansle desseinde
nuire.C'estunesatisfaction
malsaine qu'itsrecherchent
PSVCHOMftfE CE t.'&OOT<SME tS

des processusvitauxdanstoutesles partiesde notre corps,


et la conceptiondu Mnon-moi dostransformationsdans
nos organes sensoriels,Comment d'une façongénératc
nous an'ivans&ta conceptionde l'existenced'un « non-
moi c'est ce que nousavonsexposa en datait plus haut;
il est doncinutilode le répéter ici. Si nousvoulonsquitter
le sol fermedos faitsabsotumontétabliset nous hasarder
sur le terrain quelquepen vacillantdes hypothèsesvrai-
semblables, nous pouvons dire que la conscience du
« moi » a sa base anatomiquedans le système du grand
sympathique,et la représentationdu « non-moi dansle
systèmeceréhro-spinat.Dansl'homme sain, la perception
des faitsvitauxintérieursno s'eteve pas au-dessusdu seuil
de la conscience.Le cerveaureçoit ses excitationsbeau-
coupplus des nerfs sensorielsque des nerfsdu grandsym-
pathique. Dansta conscience,la représentationdu monde
extérieur l'emportedoncde beaucoupsur la consciencedu
« moi Dansle dégénère,les faits vitaux internes sont
maladivementaccrusou s'effectuentanormalement,et sont
en conséquenceconstammentpercuspar la conscience;on
bienles nerfs sensorielssont obtus, et les centres d'aper-
ceptionfaibleset paresseux;oubienencorecesdeuxécarts
de la norme existentsimultanément;le résultat, dans les
trois cas, est que la notion du « mot est bien plus forte-
ment représentéedans la consciencequel'imagedu monde
extérieur. L'égotiste, conséquemment,ne connalt ni ne
saisit le phénomène~u monde. La conséquencede ceci
est le manque d'intérêt et de sympathie et l'incapacité
de s'adapter à la nature et à t'hamanité. L'absence de
sentimentet t'incapacitéd'adaptation,fréquemmentaccom-
46 L'ÉGOTtSME

pagnées d'aberrationdes instinctset d'impulsions,font do


l'égotiste un être anti-sociat.M e:it un fou moral, un cri-
minel, un pessimiste,un anarchiste, un misanthrope,et
tout celaseulementdans ses penséeset ses sentiments,ou
aussi dans ses actes. La lutte contre l'égotiste ennemide
la société, son exputsiondu corps social,sont une fonc-
tion nécessairedo celui-ci, et s'it n'est pas capaModo
l'accomplir, c'est un signe de force vitale tarissunte ou
de maladiegrave. Toterer et surtout admirer l'égotisto
théoricienon agissant, c'est pour ainsi dire apporter la
preuve que les reins de !'organismosocialn'accomptissent
pas leur tâche, que la société souffrede la maladiede
Bright.
Dans les chapitressuivantsnousétudieronsles formes
sous lesquellesFégotismese manifesteen littérature,,et
noustrouveronsoccasionde traiter en détail beaucoupde
points qu'il suffisaitd'indiquerici.
81

fAKXASStE~S ET BMttOMQMBS

On s'est habitue à daigner les parnassiensfrançais


commeune école, mais ceux qui sont compris souscette
dénominationont toujoursrefuséde se laisserparquersous
un nomcommun.« Le Parnasse?. s'écrieun des par-
nassiensles moins contestables,M. Catutte Mondes,« ça
n'a jamaisété uneécole! LeParnasse!Maisnousn'avons
seulementpas écrit une préface! Le Parnasseest né d'un
besoinde réactioncontrele dcbraittéde la poésieissuede
la queue de Murger, Chartes ttata'tte. AmédéeRottand,
Jean du Boys;puisç'a été une ligue d'espritsqui sympa-
thisaienten art. M.
Le nomde « parnassiens» est effectivementappliquéà
toute une série de poètes et d'écrivainsqui ontà peine un
point de communentre eux. Ils sont réunis par un lien
purement extérieur; leurs œuvres ont paru chezl'éditeur
AlphonseLemerre, qui a pu faire des « parnassiens»

JulesHuret,E<t}H<'<e
m)'fecoft~Ma p. 2M.
HK~afr?,
ta t.QOTtSMK

fomnw t'Mitcur Coua, dans la premit'ro moitié de ce


siècle, faisait en Allomngnodos ctassiquos.La désigna-
tion mémoémaned'une sorte d'Atmanaehdes Musasque
M.CatulleMondespublia on i8(t0 sous ce titra Z.<'Pa)'-
ttasse con~tH~orat'M fMMM'< de OM'~))OMM<!«.f, et qui
renfermaitdos productiondo prastjtMtous los portas do
t'Apoquo.
Jo n'ai pas besoin da m'occuperici do la phpart dos
noms do co groupe nombreux,car ceux qui tes portent
no sont pas des dégénérés,mais do bravos gens de la
moyennesusurrant correctementla chanson qui tcur a
été chantéepar d'autres. Ils n'ont exerceaucune iunuence
directesur lalltmséocontemporaine,mais seulementcon-
tribueindirectementa fortifier('actiondo quelqueschefs,
en so groupantautour d'euxdanst'attitudo do discipleset
en leur permettantpar là do se présenter avecun cort~g~
imposant, co qui fait toujours do l'impression sur les
badauds.
Ces chefsseuls ont do l'importancepour mon enquête.
C'est à eux que t'en songe quand on parte des parnas-
siens, et c'est do leurs particularitésque l'on a dérivé la
théorie artistique attribuée au Parnasse. Incarnée-dela
façon la plus parfaite dans Théophile Gautier, elle se
résumeen deuxmots perfectionde la forme et « impas-
sibilitéM.
Pour Gautier et ses disciples, ta~forme est tout en
poésie, le fond n'a pas d'importance. « Un poète, quoi
qu'on dise », ainsi s'exprime-t-il, « est un ouvrier; il ne
faut pas qu'il ait plus d'intelligencequ'un ouvrieret sache
un autre état que le sien, sans quoi il le faitmal.Je trouve
PAMUASStENS Ef OtABOUQUEa 49

tr~sparfaitementabsurdela manie qu'on a de les guinder


sur un socle idoat rien n'est moinsidéal qu'un poète.
Le pocteest un clavecinet n'est rien de plus. Chaqueidée
quipasseposeson doigt sur une touche latoucherésonne
et donne sa note, voiiatout A un autre endroit il dit
ceci Pour )o poète, lesmots ont, en enx-m~meset en
dehors du sans qu'ils expriment,unohcaut&et une valeur
propres, comme des pierres précieusesqui no son: pas
encoretaittceset montre;!on bracelets, on colliersou en
bagues ils charment!o connaisseurqui les regart)*)et tes
trie du doigt dans la petite coupe où ils sont mis en
réserve 1».GustaveFtaubort,un autro adorateurdu mot,
se range complètementil cette manièredo voir, quand il
s'écrie « Un beau vers qui ])c signinorien est supérieur
à un vers moins beau qui signiftoquelquechose 1».Par
les mots « beau et « moinsbeau Ftaubortentend ici
« des nomsaux triomphantessyllabes,sonnantcommedes
fanfaresdo clairon », ou « des mots rayounants,dos mots
do lumière Gautier n'admettait do llacine, que lui,
romantique, avait naturellementen profondmépris, que
ce vers unique

La nUedoMinosetde Pasiphae.

L'applicationla plusinstructivedecettethéoriese trouve

t. ThéophileGautier,tf< G)-o(M~Me<. p. 270.


Paris,<8S3,
2. te<HeMrtdu Mal,par ChartesBaudelaire, prëeêdtesd'une
noticeparThéophile Gautier,2' édition.
Paris,1809,p. 46.
3.M.Guyau,~'MfMH~Me du versmoderne. Revuephilosophique,
t. XVII,p. 216.
4.Th.Gautier,citépar M.Guyau,toc.cit.
MM NMDM. M~nMMMO. Il 4
ao t.'&aOTMM
dans une pi{x'o<io\c~ do M. CatuHoMchd~ )at!tuMe
/Mc<<M~<«)'tM, qui commenceatns'

KoM.Emmetine,
Margxertttette,
Odette,
Alix, Atino,

Faute, Hippe~tc,
t<ttey,!.t)ci)e,
Mcitt),
BtphM, tMMte,

ArMmMoM,
Myrrha.Mynfhtne,
Périne,
Nafa,EadoM.

Suivent onze strophes de façonidentique,que je me


dispenscdo reproduire,puiscette strophe thmte

l.ulma,X~He,
tM~ine,Reine,
Mnot.
Rtj'en oubliot.

« Et j'en oublie C'estle seul dos soixanteversde la


piècequi renfermeun sens, tandis que les cinquante-neuf
autres se composentuniquementde nomsde femmes.
Ce que M. CatulleMondesse proposeiciest assezctair.
Il veut montrer l'état d'âme d'un libertinqui jouit au sou-
venir de toutes les femmesqu'ila aiméesou aveclesquelles
il a flirté. L'enumération de leurs nomsdoit faire surgir
dans l'esprit du lecteur des images voluptueusesd'une

t. hnpnmédansL'Échode ParM,a' S!9M,


8 juillet1812.
PAM<AS3MB)8tJT CtAMUQUES at

troupe de jeunes 0)tMqui servent au plaisir, des tableaux


de haremou du paradi:!de Mthoote!.Maissans parler do
la longueurde la liste qui rend celle-ciinsopportablement
ennuyeuseet froide, M.Mondèsn'atteint pas l'effetcherché
pour une seconderaisonencore parceque sa formearti-
ncicusotrahit au premier coup d'tcit la profondeiMin-
c~rit~ de sa prAtendtteémotion. Quand &l'esprit d'un
adorateurdocotillonsM présententIcs (!gnresde sescom-
pagnes des heures du berger et qu'il éprouve réoHoment
le besoinde murmurertendrementleursnoms, il ne songe
certainementpas a rangerces nomsen jeux de mots(Alix-
Aline, Lucy-LucMo, Myrrha-Myrrhinc,etc.). S'il est assez
do sang-froidpour se livrer à cetaride travailde bureau,
il ne peut absotumcntse trouver dans t'extasotascivoque
la pièce doit exprimer et communiquerau lecteur. Cette
émotion,si immorateet vulgairoqu'ellesoit, parce qu'eMc
est vantarde, aurait encore, commechaque mouvement
d'âme vrai, le droit d'être expriméelyriquement.Maisune
liste donomssanssignittcation,artificieusementcombinée,
rangéed'après leurs assonances,ne dit au contraire rien.
Conformémentà la théorie artistique des parnassiens,
cependant, 7~cap<<t~o«<Mt est une poésie, voire même
l'idéal d'une poésie, car elle « ne signifierien comme
l'exige Flaubert, et elle se composeuniquement de mots
qui, suivant l'affirmationde Th. Gautier, « ont en eux-
mêmes une beautéet une valeur propres ».
Un autre parnassien éminent, Théodore de Banville,
sans pousserjusqu'à l'extrêmelimite,avec lalogique intré-
pide de M. Catulle Mondes,la théorie des sonoritésver-
bales dépourvuesde tout sens, l'a, lui aussi, professée
sa t.'ËOOT!S!<E

avec une sincérité à taqwUo il faut rondre hommage


« Je vousordonne crio-t-ilaMxpoètesen herbe, do
tire ta plus qû voussera possibledes dictionnaires,des
encyclopédies,des ouvrages techniques traitant de tous
les métiers et do toutesles sciencesspéciales,des cata-
loguesde librairieet des catfttoguesdo ventes, des livrets
de musées,enOntousteslivres qui pourrontaugmenterto
répertoire des motsque voussavezet vous renseignersur
leur acceptionexacte, propre ou Cgurce. Unefois votre
tête ainsi meubtëe,vousserez dej&bienarmé pour trouver
la rimo ». Dansla poésie,d'après Banville,la soutochose
essenticHoest de trouver la rime. Pour composerune
pièce de vers sur un sujet quelconque,cnseignc-t-ità ses
disciples, « il faut avant tout connattrotoutes les rimes
sur ce sujet. Le reste, les soudures,ce que le poète doit
rajouterpour boucherles trous avec sa main d'artiste et
d'ouvrier, est ce qu'onappelleles chevilles.Ceuxqui nous
conseillentd'éviter les chevillesmeferaientplaisir d'atta-
cher deux planches i'une à l'autre au moyen do la pen-
sëe Le poète c'est ainsi que Banvillerésume sa
doctrine n'a pas d'idées dans le cerveau; il n'a que
des sons, des rimes, des calembours.Ces calembourslui
inspirent ses idées ou des apparencesd'idées.
C'est avec raison que Guyau exerce cette critique à
l'égard de la théorie artistiquedes parnassiensétabliepar
Banville '<Larecherchede la rime, pousséeà l'extrême,
tend à faire perdre au poètel'habitudede lier logiquement
les idées, c'est-à-direaufondde penser,car penser,comme

t. Théodore.
de Banville,
Petit<ra<M<!< a*Mition
po~ie/t-a')f<nM,
revue,p. 64,Si.
fAMMSStENS ET MABOUQUË~ 53

l'a dit Kant,e'eat unir et lior. Rimer, au contraire, c'est


juxtaposerdes mots nécessairementdécousus. Le culte
de larimepour la rimeintroduitpeu à peu dans le cor veau
mêmedu poète una sorte du désordre et de chaos perma-
nent toutesleslois habituettesde l'associationdes idées,
toute la logique(ta la pensce est détruite pour êtro rem-
ptaceopar le hasarddo la rencontre des sons. La péri-
phrase et ta métaphoresont la seule ressourcepour bien
rimer. L'impossibilitéde rester simpleen cherchanttes
rimes riches risque ù son tour d'ontratnorcommeconsé-
quence un certain manque do sincérité. La fraîcheur du
sentimentpris sur le vif disparattrachezl'artiste do mots
trop consommé;il perdra ce respect de la pensée pour
ettc-mémc qui doit être la première qualité de l'écri-
vain' ?.
Où Guyaucommetune erreur, c'est quand it dit que le
culte de la rime pour la rime « introduitdans le cerveau
mêmedu poèteune sorte de désordre et de chaosperma-
nent Il fautrenverserla proposition.Le « chaosperma-
nent » et le « désordre » dans le cerveaudu poète sont
ce qui existe antérieurement; l'exagération de l'impor-
tance de la rime n'est qu'une conséquencede cet état
d'esprit. Nous avons de nouveau affaireici à une forme
de cette inaptitude&l'attention,bien connuede nous, qui
est particulièreau dégénéré. Le cours de ses idées n'est

t. M.Guyau, <ec.cK.,p. 26t-26a. Rapprocher de celleopinion


la manièredevoirdeTo)sto!« Mest violemment hostile&toute
poésierimée. L e rythme, l arimeenehatnentla pensée,et toutce
quis'oppose&la formation la ptuscomplète
possiblede ridée,est
un maL..Tolstoiregardecommeun progrèsquenotreestimede
la poésieen versdiminue Raphaël Lœwenfetd,CotM)'M<M'M sur
!~&Met«Mt;lui.Berlin,tMt,p. n.
SI, ~tOQTtStm

pas déterminépar une idéecentrale autour do laquellela


volontégroupe toutes les autres rfprésentations,suppri-
mant lesunes et renforçât les autres à l'aide Je t'atten-
tion, mais par l'assoeiationd'idées complètementméca-
nique éveillée, dans le cas des parnassiens, par une
assonanceverbalesimilaireou identique.Sa manièrepoé-
tique est de Mcho)a)iepure.
La th'rio parnassiennedo l'importancode la forme,
notammentde In rime, pour la poésie,de la beauté propre
du son des mots, du plaisir sensuel que pouvent donner
des syllabessonoressans égard à leur sens, et de l'inuti-
tih'!et même du caractère nuisible d'une idée dans la
poésie,est devenuedécisivepour le récent devehtppemcnt
do la poésie française.Les symbolistes,que nous avons
étudies dans le votumoprécèdent, s'en tiennent exacte-
ment a cette théorie. Ces pauvres d'esprit, qui ne balbu-
tient que des '< syttabea sonores « dépourvuesde sens,
sont les descendantsdirects des parnassiens.
La théorie artistiqueparnassiennen'est que débite.Mais
t'egotismedes dégénèresqui font inventéese révèledans
l'énorme importancequ'ils attribuent à leur chasseà la
rime, à leur poursuitepu~ritedes mots « tonitruants et
« rayonnantsn. M. CatulleMendèsterminepar t*« envoi
suivantune poésie(La seule douceur), oùil a décrit d'une
façon aussi alléchanteque possible une série de joies de
l'existence

Prince,je mens.Sousles Gémeaux


Out'Amphore,faire en sontivre
Aimerentreeuxde noNesmots,
C'estla seuledouceurde vivre.
PARNASStENa ET BtABOUQUES :i:i

Ce!uiqui n'est pas de cet avis se voit tout bonnementcon-


tester son caractère humait). C'ost ainsi que Baudelaire
appc!)eParis « nn Mpharnattm,une Babctpcuptced'imbé-
ci)esot d'inutiles,pou délicatssur les manièresdo tuer )e
tempset absolumentrebellesauxjouissanceslittéraires n.
Traiter d'imMcitocelui qui estimepour ueantun cliquotis
de rimesdt~nn~do sens o<une kyric))ode soi-disantboanx
noms propres, c'cfitd~ja là ono sotto soMsam'c donton no
peut que rire. MaisBaudelaireva jusqu'à parier d' inu'
titcs )'. Onn'a pas droit a la vie, si l'on est inacccssibtea
M qu'il nommedes « jouissanceslittéraires c'cst-à-dim
à une idiote echotaUo!Parce qu'it cultiveles jeux de mots
avec un sérieux puéril, chacun doit accorder la mémo
importanceque lui à ses amusomentsde bébé, et celuiqui
no le fait pas n'est pas seulementun philistinou un ctro
inférieursans compréhensionni délicatesse,ncn, il est
« un inutile». Si ce niais en avait eu te pouvoir,il aurait
sans aucun doute voulu poursuivre sa penséejusqu'au
bout et balayer tes Il mutités du nombre des vivants,
commeNéronfaisaitmettre &mort ceux quin'applaudis-
saient pas son jeu sur le théâtre. L'egotismemonstrueux
d'un aliéné peut-it s'exprimer plus audacieusementque
dans cette remarque de Baudelaire?
La seconde caractéristiquedes parnassiens,après tenr
exagérationinsenséedela valeurde la formela plus maté-
rielle pour la poésieet de la rimaillerie pour t'humanité,
c'est leur « impassibilité». Eux-mêmes, il est vrai, ne
veulent pas admettre que ce vocableleur soit applicable.

t. EugèneCrépet,tM Po~M/h:)tca«,t. H',p. S!6 Étudede


CharlesBaudelaire
surThéodore
de Banville.
se t.'ËOOTtaME

« En aura-t-onbientôt ttniavec cette baliverne a'écfMt


sur un ton d'impatienceM. Leeontcde Liste,interrogeau
sujet de l' <' impassibilité et M. Catutte Mondesdit
Parce que Glatignya fait ou poème intitulé /n~Ms-
aible, et que moi j'ai dit ce vers dont la pose avou. se
démentdans la suite mêmedu poème

l'as de Mngtetthumainsdansle chantdo:)poètos!

on a concluque tes parnassiensétaient on voulaientc~e


des « impassibleso. Oit la prend-on,oit la voit-on, cette
séréniténgce,cette sécheressedont on nous affuble'?' Il
En effet, le mot a et<!mat choisi par ta critique. Il no
peut y avoir en art d* '<impassibilité dans le sens d'in-
différencecomptetoenversle spectacledola natureet de la
vie. Elleest psychologiquement impossible.Toute activité
artistique,eu tant qu'ellen'est pas nno simpleimitationde
disciplo,maisdécouled'unbesoinoriginal,estune réaction
do l'artiste contre des impressions reçues. Celles qui le
laissent complètement indifférent n'inspirent au poète
aucunvers, au peintre auclin tableau, au musicienaucun
dessin mélodique. Les impressions doivent le frapper
d'une manière quelconque,eveitter en lui une émotion
quelconque,afin que lui vienne l'idée de les objectiver
sous forme artistique. Dansla multitude innnie des phé-
nomèness'écoulantuniformémentdevantses sens, l'artiste
a distinguéle sujet qu'il traite avec les moyensparticuliers
de son art, il a exercéune activitésélective, et a donné
à ce sujet la préférence sur tes autres. Cette préférence

i. JulesHuret,op.nt., p.SM,S!H.
PARNASSIENS ET MAfOUQUES si
suppose la sympathieou l'antipathie; l'artiste doit donc
avoir éprouvequelquechose en apercevantson sujet. Le
seutfait que l'écrivaina écrit une poésieouun tivre témoi-
gno que le sujet traita lui a inspiré de la curiosité, de
t'intorei, de la colère, une émotionagréable ou désagréa-
ble, qu'il a forceson esprit à s'y arrêter. Cela est doncte
contraire do t'indiffercnce.
Les parnassiens no sont pas mpassibtes. Itaus leurs
poésies ils geignent, maudissentet Masphement,expri-
mentla joie, t'enthousiasmeet la douteur. Maisce qui les
tourmente ou les enchante, ce sont exclusivementtours
propres états, leurs propres expériencesvitales.L'unique
fond de leur poésieestleur moi H.La douleuret la joie
des autres hommesn'existentpas pour eux. Leur impas-
sibilité M n'est donc pas de t'insensibilité, mais une
absencecomptctode sympathie.La « tour d'ivoire » dans
laquelle,d'après le mot de t'un d'eux, le poète habiteet
s'abstrait orgueilleusementde la cohue indifférente,est un
beau nom prête à son obtusion pour l'existence et les
actions de ses semblables.C'est ce qu'a très bien vu ce
critique dont la belle santé intellectuelle impressionne
si agréablement, M. Ferdinand Bruneticrc. L'une des
piresconséquencesqu'ellespuissententrainer (les théories
des parnassienset particulièrementcelle de Baudelaire),
c'est, en isolant l'ut, d'isoler aussi l'artiste, d'en faire
pour im-memeune idole, et commede renfermer dans
le sanctuairede son moi.Nonseulementalors il n'est plus
questionque de luidans son œuvre, de ses chagrinset
de ses joies, de sesamourset de ses rêves, mais, pour
se développerdans le sens de ses aptitudes,il n'y a plus
38 ~ÉOOTtSME

rien qu'it respecteou qu'il épargne, il n'y a plus rien qu'il


no se subordonne,ce qui est, pour le dira en passant,
la vraie dMnitionde t'immoratite.Se faire soi-mêmele
centre des choses, au point de vue philosophique,l'illu-
sionestaussi pucriteque de voir dans l'homme« te roi de
lu création H, ou dans la terra ce que les anciens appo-
laicnt te~ombri) du monde mais, au point de vue
purement humain, c'est la glorificationde t'ego~sme,et,
par suite, la négationmémodo ta solidarité
Ainsi, M. Brunetière remarquel'égotisme des parnas-
sienset établitleur manièred'être anti-sociale,leur )mmo-
ralité; mais il croit qu'ils ont librementchoisileur point
de vue. C'est là sa seule erreur. Ils ne sont pas égotistes
par libro choix, mais parce qu'ils sont forcésdo l'être et
no peuvent ctre autrement. Leur égotismèn'est pas une
philosophieou une doctrinemorale, il est leur maladie.
L'impassibilitédes parnassiensn'est pas, commenous
l'avons vu, une froideur à l'égard de tout, mais seule-
ment une froideurà l'égard de leurs semblables,unieau
plus tendreamour pour eux-mêmes.L'impassiMMte a tou-
tefoisencoreuneautre face, et ceux qui ont trouvéle mot
ontvraisemblablementsonge surtout à cette-ci,sans s'en
être complètementrendu compte. L'indifférencequ'aN-
chentles parnassienset dont ilssont particulièrementfiers
s'adressemoinsauxjoies et aux souffrancesde leurs sem-
blables qu'à la toi morale universeUement.reconnue. Pour
eux it n'y a ni vertu ni vice, mais seulement des choses
belleset laides, des chosesrares et vulgaires.Ils prennent

i. ArticlesurLaS<a<t<e
de Baudelaire.
BwuedesDeuxJ)fon<fet,
livraisondui" septembre
<M2, CXut,p. aM.
t.
PAM!ASS<ENS
RTBtABOUQUES se
leur point da vue o au-de!~du bienetdu mal », longtemps
avant que la folie moralede Frédéric NietMcheait trouva
cette formule.Baudelairele justifie dans les termes sui-
vants « La poésie. N'a pas d'autre but qu'et)e-memc;
ellone peut pas en avoir d'autre, et aucun poèmene sera
si grand, si noble, si véritablementdigne du nom de
poème, que celui qui aura été écrit uniquementpour le
plaisir d'écrire un poème. Je ne veux pas dire que la
poésie n'ennoblisse pas Ics mœurs, qu'on me com-
prenne bien, que son résultatfinalne soit pas d'élever
l'homme au-dessusdes intérêts vulgaires. Ça serait évi-
demmentune absurdité.Je dis que, si le poètea poursuivi i
un but moral, il a diminuésa force poétique, et il n'est
pas imprudent de parier que son œuvre sera mauvaise.
La poésie ne peut pas, sous peine de mort ou de
déchéance,s'assimilerà la scienceou à la morale. Elle
n'a pas la vérité pour objet, elle n'a qu'eUe-Kieme ». Et
Th. Gantier, qui transcrit ces idées, les approuve com-
plètement. « Sur les hauts sommetsil (le poète)est tran-
quitte pacena MrnMM<cMea< », dit-il en employant
une image qui se retrouveà foisonchez Nietzsche.
Déjouonsavant tout ici un artificecourant de sophiste
employé par Baudelaire.La question à laquelle il veut
répondreest celle-ci la poésiea-t-elle à être morale ou
non? Tout d'un coup, il glisse en fraude dans sa démon-
strationla science,dont il ne s'agit nullement, la nomme
d'une haleine avec la moralité, montre d'un air triom-
phant que la sciencen'a rien de communavec la poésie,

t. te*ftoot du Jtfat,p. Stm.


60 t.'&OOT!SME

et fait semblantensuite d'avoir démontreta m~tnechose


ausnjotdetamora)ité.0r,anjourd'hni,itnovient& ù
t'ideo d'aucunhommeraisonnablede demanderà la poésie
d'enseignor les vérités scientifiques,et, depuisdes géné-
rations, nul poèto sérieuxn'a songe à exposer dans un
poèmedidactiquel'astronomie on la physique. La sente
questionqnocertainsesprits voudraientconsidérercomme
ouverteest celle de savoir si l'on peut exiger ou non do la
poésie d'être morale, et c'est à cette questionque )taudo-
taire répondpar une affirmationnon prouvée et par une
échappatoireartineieuse.
Je ne veux pas m'arrêter ici à ceUe question. Non
qu'ette m'embarrasseet que je prétende l'éviter, mais
parce que sa discussionme semble mieux à sa place
quand nous étudierons tes disciples du Parnasse, les
décadentset les esthètes, qui ont poussé la doctrinejus-
qu'à l'extrême.Je ne contredisdonc pas pour le moment
l'aflirmationdes parnassiensque la poésie n'a pas à se
soucierde moralité.Le poète doit rester « au-delàdu bien
et du mal ». Maiscelane peut raisonnablementque signi-
fierune impartialitéabsolue,cela ne peutque vouloirdire
que le poète, en considérantuneactionou un aspectquel-
conques, prétend simplementse trouver en face d'un
spectaclequ'il juge uniquementd'après sa beautéou sa
laideur, sans mêmedemanders'il est m~ral ou non. Un
poète de ce genre devra donc voir nécessairementautant
de belleschoses que de laides, autant de chosesmorales
que d'immorales.Car, sommetoute, les chosesmoraleset
belles dans l'humanité et dans la nature sont au moins
aussifréquentesque leur contraire,et doiventmême pré-
PARNASSIENS ET MABOULES 6t
vatoir. Car nous considéronscommelaid ou ce qui repré-
sente une déviationdes lois qui t:ous sont famitiereset
auxquelles nous nous sommes adapte! ou ce on quoi
nous reconnaissonsta manifestationd'une nocivité quel-
conque pour nous; et nous sentons comme immora)ce
qui est contraire it h prospérité ou il l'existencemêmede
la société.Or, le soulfait que nous avonscru trouverdos
loisest une preuveque tes phénomènesqui rep.ondeataux
lois reconnues,et par suite nous sont ngreaMcs,doivent
être beaucoup plus nombreuxque les phénomènescon-
tradictoiresdo ceux-ci,et par suite, laids; et, de même,
l'existencedo la sociétéest une prouveque les forcescon-
servatriceset favorablesdoiventêtre ptusvigoureusesque
les forces destructrices, c'est-a-dirc immorales. Aussi,
dans une poésie qui, sans doute, ne s'occupe pas de la
moralité,mais qui, commeelle t'aMrmc,serait véritable-
ment impartiale,le moral devrait-ilêtre représente dans
une mesureau moins égale, et mêmeun peu supérieure,
à l'immoral.Maisdans la poésie des parnassiens,ce n'est
pas le cas. Elle se comptaitpresque exclusivementdans
le dépravé et le laid. Théophile Gautier cétebre, dans
jtf<KfeM<MseMe de J~oM~tM,la sensualité la plus basse,
qui, si elle devait devenir la loi générale, ramènerait
l'humanité à l'état des sauvages vivant en promiscuité
sexuellesans amour individuelet sans forme quelconque
de famille;Sainte-Beuve,d'ailleurs ptus romantiqueque
parnassien, bâtit au plaisir sensuel, dans son roman de
Volupté,un autel sur lequelles antiquesadorateursasia-
tiques d'Astaroth pourraient, sans hésitation, accomplir
leur culte; M. Catulle Mendès, qui commençasa car-
ea LtaOTtSM
ri!'fe titt~raira par une condamnationpour outrage aux
mfenra que lui attira sa pièce de théâtre :J~omaH
<<'MHe Nuit, exatto dans des tCttvrtspostérieures,dont je
na veuxmême pas citer les titres, une dosformesles plus
répugnantesdo la luxurecontre nature; Baudelairedtatue
les charognes, les mntadics, les criminelset tes prosti-
taees; bref, si t'en contomptota mondt)dans le miroirde
la poésiepMMssionno,on éprouve l'impressionqu'it se
composeexctosiveatentde vices, do crimei'et do pourri
turc, sansle moindrenxHM~ed'émotionssaines,d'aspects
réjouissantsdans la nature et d'ètrea humainssentant et
agissant honnêtement.En contradictionperpétuelle avec
lui-même,commeil convientà un vrai dégénéré,le même
Baudelaire,qui no veut pas, à un endroit, que la poésie
soit confondueavec la moralité, dit à un autre endroit
« L'art modernea une tendanceessentiellementdémo-
niaque. Et il semble que cette part infernalede t'homme,
que l'hommeprend plaisir& s'expliquera tni-meme,aug-
mente journottement,eommosi le diable s'amusait a la
grossirpar des procédés artificiels,&l'instar des engrais-
seurs, empittantpatiemment le genre humain dans ses
basses-courspour se préparer une nourriture plus succu-
tente 1».
Ce n'est plus là de l'indifférenceenvers la vertu ou le
vice, c'est une prédilection absolue pour celui-ciet de
l'aversion pour cette-ta. Les parnàssiensne se tiennent
pas du tout « au-delàdu bien et du mal », mais enfoncés
jusqu'au cou dans le mat et aussi loin que possible du
i. Ouvragecité d'EugèneCr~pet t« Poètesfrançais,t. tV.
P.SM.M9.
PABNASStBKS
ET MABOUQUES 63
bien. Leur <' hupartiatite'< feinte & t'~gard d<:~peetaetc
de la moratitc et do t'immoratit~est, en r~atit~, ua parti
pris passionnepour l'immoral et l'abject. On a donc en
tort de vouloir les caractMser par F iMpMsiMtite)*.
De m<Stne qu'ils manquautdo MndnMXtt soutementenvers
leurs semMahte:.et non envers eux-mente: )ts ne sont
froids et indifférentsan~i qu'eaver:')o bien, non enversle
mat; cohu-cites Mtiro aHeontrairo autant et les emplit
autant de sentiment!)de plaisir, que te bien attire et
ft-jonh ta msjorito saine des hommes.
CoMoprédilectionpour le mat a été apcrfuo par beau-
coupd'observateurs,et bon nombreont essayedo l'expli-
quer philosophiquement.Dansune conférencesur J~e.Ma<
comme objet de la )'ejM'MeMf<!<<oH po~t'~tM,Franz Bren-
tano dit MPuisque ce qui est expose dans la tragédie
puratt si peu désirableet réjouissant,cela suggèret'idée
que ces explications(du plaisir que l'on y goûte) sont
moins& chercherdans l'excellencedu sujet que dans un
besoin particulierdu publieauquel seulesles chosesainsi
exposéesrépondent. L'hommeéprouverait-ilpar hasard,
de temps en temps, le besoind'une émotiondouloureuse
et aspirerait-il&ta tragédiecommeà une chose qui satis-
fassece besoinde la façon la plus cMcaceet l'aide, pour
ainsi dire, à pleurer une bonne fois de bon c(cur" Si
pendant longtempsn'ont régné en nous aucune des pas-
sions que tes tragédiesexcitent,le pouvoirde les ressentir
demandede nouveau,en quelquesorte, à se manifester,et
c'est la tragédiequi nous y aide; nous sentonsdouloureu-
sement, il est vrai, les émotions, mais en même temps
nouséprouvonsun apaisementbienfaisantde notrebesoin.
c~ t/&aOTt3ME

Je crois avoir fait centfoissemblablesobservations,moins


sar moi-mêmeque sur los autres, sur ceux, par exempte,
qui dévorentavec avidité le récit d'un nouvolassassinat
qu'its lisentdans lourjournal M.Le professeurDrentano
confondici avant tout, avec une regrettablelégèreté, le
mauvaiiiet b triste, deux conceptionsabsolumentdiffé-
rentes. ta mort d'un <Mreaimé, par exempte, est triste,
maison ne peut rien y trouver do mal, c'est-à-dired'im-
moral, a moins que, avec une argutie subtile, on ne pré-
tende interpréter comme une immora)itc l'action des
forces naturelles dissolvantl'individu. M donne ensuite
commeune explicationce qui n'est qu'une paraphrase
tout à fait superficielle.Pourquoiprend-onplaisir au mal?
Parce que. nous avonsévidemmenten nous un penchant
il prendre plaisir au mal! Op:MM/<!C)'< dorm~'e qltia
est !')<eo f!<t<s <)!o)'M<<<fa. M. Fr. Paulhan a traité la
questionplus serieu&cment,mais aveclui non ptus nous
n'allons pas bien loin. Il Un esprit contemplatif,largo,
curieux,pénétrant, avecdes tendancesmoralesprofondes,
mais qui peuvent s'oublier en grande partie pendant la
recherche scientifiqueou la contemplationesthétique,
avec aussi quelquefoisune légère perversionnaturelleou
simplementune tendancemarquée vers certainsplaisirs,
quels qu'ils soient, qui ne sont pas un mal par eux-mêmes
et peuvent mêmeêtre un bien, mais dont l'abus est un
mal, telles sont les raisons d'être des sentiments (de
t'amour du mat) qui nous occupent.L'idée du mal, en

i. FranzBrentano,
LeJMetcomme objetdela représentation
po<-
tique. faiteà
Conférence la SoeMté
des amisde la littérature,a
Vienne.Leipzig,M92,p. n.
PAM!AS3!EN8 ET ÏMABOHQUE3 08

flattantun goût, trouveun point d'appui solide, et il y a


une raison de ptuspour qu'elle soit agréable,en ce qu'elle
satisfaitidéatementun penchant que la raison empêchedo
satisfaireréellement jnsqa'ft satiété Do nouveau cette
suite d'idées qui tourneen ccrc!ecommeun chat quijoue
et se mord la queue nous avons du goût pour le mat
parceque noustrouvonsdu goût au mal.L'impuissancede
raisonnementque M. Paulhanrevête ici est d'autant plus
surprenanteque, quelquespagesplus haut, il s'est appro-
ché de bien près da la vraie solutionde l'énigme.K 11est
dos états morbides », dit-il, « oit l'appétit se déprave;
le malade avateavec avidité du charbon, de la terre, ou
pis encore.Il en est d'autres ou la volontéest viciéeet le
caractère détraqué par quelque endroit. Les exemples
pathologiquessontfrappants,et le cas du marquisde Sade
est un dos plus caractéristiques. On jouit parfois des
maux qu'on éprouvesoi-mêmeaussibien que de ceuxdes
autres.Les sentimentsdo la volupté,do la douleuret do la
pitte, dontla psychologies'est occupée,paraissentdéceler
parfois une véritable perversion, et contenircommeélé-
ment t'amour de la douleur pour la douleur même.
Souventon a affaire& des gens qui veulent leur bien
premièrement et puis le mat d'autrui. L'un on l'autre
état spécialementpsychiquesont visibles dans bien des
cas de méchanceté,par exemple dans ce fait d un riche
fabricant accusant faussementun jeune homme qui va
se marier d'être atteint d'une maladie vénérienne et
maintenantson affirmationpoM' jp/aMM' ou encore
du jeune gredin qui savoure le plaisir du vol au point de
s'écrier « Quandmêmeje serais riche, je voudraisvoler
MAXNoRHAU. Mg~éresecnce. Il 5
66 L'ÉQOTtSME

toujours )'. La vue même do la souffrancephysique


n'est pas toujoursdésagréable,bon nombrede personnes
la recherchant. La perversion ici est frobablement de
tout temps et de tout pays. L'on dirait qu'il peut entrer
dans l'esprit d'nn hommede notre âge une certainejoie
do déranger l'ordre do la nature, qui ne parait pas s'être
manifestéeautrefoisavec une pareille intensité.C'est une
des mitto formes du repliement sur soi qui caractérise
notre civilisationavancée* Ici M. Paulhan touche an
nœudde la question,sans le remarqueret sans s'y arrêter.
L'amourdu matn'est pas quelquechosed'universellement
humain, il est une « aberration» et une « perversionMet
« une des milleformesdu repliomentsur soi », autrement
dit, d'une façon plus brève et pius claire de l'égotisme.
La littérature criminalisteet psychiatrique enregistre
des centainesde cas d'aberrationdans lesquelsle maladea
ressentiune prédilectionpassionnéepour le mal et l'hor-
ribte, pour la souffranceet la mort. Je me contenterai
de citer un exemple caractéristique. « Dans l'automne
de 1884 mouruten prison, en Suisse,une femmenommée
Marie Jeanneret, qui avait assassineun certain nombre
de personnes.Après une bonne éducationelle s'étaitcon-
sacréeau soin des malades, non par amour de la bien-
faisance, mais pour satisfaire une passion folle. Les
souffrances, les gémissements et les contorsions des
malades la remplissaientd'une volupté secrète. Elle sup-
pliait à genoux et en pleurant les médecinsde la laisser
assisteraux opérationsdangereuses,afinde.pouvoirsatis-

t. Fr. Paulhan,Le nouveau Paris,M9i,p. 9t. Voir


mysticisme.
d'ailleurstoutte chapitre L'amourdu mal,p. SM9.
PARNtSStENS ET MABOUQUEa M

Mre sesdésira. L'agonie d'un ctre humain lui offrait la


plus vive jouissance.Sous pr~te~ted'une maladied'yeux,
elle avait consulté plusieurs médecinsoculistes et leur
avaitsoustraitde la bauadoneet d'autrespoisons. Sa pre-
mière victimefut son amie; d'autres suivirent,sans que
les médecinsauxquelselle se recommandaitcommegarde-
maladeeussentdes soupçons,d'autantmoinsqu'elle chan-
geait fréquemmentde sëjour. Une tentative manquéeà
Vienneamenala découverte elle n'avait pas empoisonne
moinsde neuf personnes, mais n'on éprouvaitni ropontir
ni honte. En prison, son vœu le plus ardent était de
tombergravementmalade, pour pouvoir se ropattre dans
la glacedo ses propres contorsions' 1».
Ainsinous reconnaissons,&la lumièredo l'observation
ctiniqun,la véritablenature des parnassiens.Leur impas-
sibilité, en tant que simple indifférenceà régard de la
souffranced'autrui, de la vertuetdu vice, procèdede leur
égotisme et est une conséquencede leur obtusion, qui
leur rend impossiblede se représenter assezvivementun
processus du monde extérieur, par conséquentaussi la
douleur, le vice ou la laideur, pour pouvoir y répondre

t. OswaldZimmermmB, La MhtpMdela mM~)'anteten<ritM-


tion8<a CMnaiMnHM dusentiment humaindansfart e<~atMla vie,
2' éditionrefondue.Leipzig,tSSS,p. m. Celivreest sansvaleur
au pointdevuedesidées, c aril reproduit,en langagevolontaire-
mentampoutéet en aspirantvisiblement à la profondeur
les radotagestêt plus imbéciles du trio Edouardde Hartmann,
Nietzsche et Gusffe Jteger.Maisfauteur,qui a de la lecture,a
danscertainschapitres,particulièrement danscefuiintitulé<'l'As-
sociationdela yoiuptéet de la cruauté (p. <(net sqq.),compilé
soigneusement des matériauxutiles.(Lecas Jeanneret,d'abord
publiépar CbatelaindanstesAnnales mAfice-p~eAoto~'aMM,a été
cité aussi par Krant-EMng, Manvelde psychopathologie légale,
30édition.Stuttgart,1892,p. 248).
es L'ÉCOTtSME

par les factions normales,)!'av<<rMnn, l'indignationou la


pitié; mais ta où t'impasaibititeconstitueune prédilection
dcctare«pour le mal et l'horrible, it nousfautvoir en elle
la même aberrationqui fait de l'imbécileun crueltortion-
naire d'animaux 1etde Mario Jeanneret, citée plus haut,
une dccupte empoisonneuse.Toute la différenceconsiste
dan!' te degré do t'impn~ion. Est-oUcassez forte, elle a
pour conséquencedes actes cruels et des crimes.E~(-c!!e
~)aboreopar les centres maladesavec une force insnM.
Mnte, elle peut être satisfaitepar la soule imagination,
par des manifestationspoétiquesou artistiques.
Naturellement, on a tenté de défendre l'aberration
commequelquechose de justifiéet de voulu, et mémode
l'ériger endistinctionintellectuelle.C'est ainsi que M.Faut
Bourgetmetdans la bouchedes décadents,avecdo petits
artificesde style qui ne permettentpas de douterun instant
qu'it exprime sa propre opinion,le raisonnementsuivant
« Nousnous délectonsdans ce que vous appeleznoscor-
ruptions de style, et nous délectonsavec nous les raf-
Nnesde notre race et de notre heure. H reste à savoirsi
notre exception n'est pas une aristocratie, et si, dans
t'ordre de l'esthétique, la pturatité des suffragesrepré-
sente autre chose que la pluralité des ignorances. C'est
une duperie de ne pas avoir le couragede son plaisir

i. SeUier,«~ <*)<p. t23 L'imbecite est raffinédanssesper-


et celasciemment.
sëcn<ions, Maime&voirsoutMr.Mécorcheun
oiseauvivant,rit de l'entendrecrieret de levoirse débattre.U
arrachetespattesa unegrenouille, la regardeun momentsouffrir,
puis,brusquement, t écraseo u la tued'uneautrefaçon,comme
fait un des imbécilesde Bieetre.L'imbécile est aussicruelpour
sessemblables quepourtes animaux, et celajusquedanssesplal-
Banterief.C'estainsiqn'Mrira méchamment et se moquerad'un
camarade qui sesera estropié
PARNA8StE!<a
ET MAttOUQUES 09

inteMectuot. Complaisons-nous doncdans nos singularité


d'idéalet de forme, quitte &nous y emprisonnorduosuuo
sotitndosansvisiteurs
tt semble&peine nécessairedo faire remarquerqu'avec
ces arguments,par lesquels M. Bourgetanticipo toute ta
« philosophie» d6tirantodo Nietzsche, chaque crime
peut être gtoriuo comme une action « ai'istttcratiqnoM.
L'assassina « to couragode son plaisir intellectueln, la
ptut'atit~qui no t'approuvepas est une p)m'a)ited' « igao-
t'ants », il se complattdans ses « singularitésd'id~at et
doit tout au plus, pour ce motif, se laisserenfermerdans
« une solitudesans visiteurs c'est-à-dire, pour parter
simplement,c!t prison, si « la p)ura)itedes ignorances
nole fait pas pendre ou guillotiner. Le deeadentMaurice
Barresn'a-t-il pas, avecla théoriede M. Bourget,défendu
et justifié(~hambige'??
Ce même théoricien antipathique de l'égotisme anti-
social le plus abjectnie aussi qu'on puisse parler d'esprit
maladeou sain. « tt n'y a », dit-il, « ni maladieni santé
de i'âme, il n'y a que des états psychologiques,au pointde
vue de t'ohservateursans métaphysique,car il n'aperçoit
dans nos douleurset dans nos facultés,dans nos vertus et
dans nos vices, dans nos volitionset dans nos renonce-
ments, que des combinaisons,changeantes,mais fataleset
partant normales,soumisesaux loisconnuesde l'associa-
tion des idées. Un préjugeseul, où réapparaissentta doc-
trine antique des causesfinaleset la croyancea un but
déttnide l'univers,peut nousfaireconsidérercommenatu-

i. Pau)Bourget,
Essaisdep~cAo(oy<e Paris,t883,
contemporaine.
p. 28.
70 L'ÈaOTtSMS

rels et sains les amoursde Daphoiset (!e Chlottdans la


vaMon,commearti<!cie!s et malsainslesamoursd'un Bau-
detaire )'.
Pour ramener cetteniaise sophistique&sa juste valeur,
te bon sensn'a qu'à rappeler l'existencedes asilesd'alié-
nés. Mais le bon sens n'a pas droit do suffragechez des
rhéteurs de l'espècedo M. Faut Bourget. Nouslui répon-
drons donc, avec un sérieux qu'il no mérite pas, qu'en
effet chaque manifestationvitale, cellesdu cerveaucomate
de tout autre organe, est l'effet nécessaireet seul pos-
sible des causes qui les occasionnent,mais que, d'après
t'état de l'organe et do ses parties élémentaires, son
activitéNécessaireet naturelle en soi peut Mre utile on
nuisible à l'organisme total. Si le monde a un but,
c'est là une question qu'on peut laisser indécise, mais
l'activitéde toutesles parties de l'organismea néanmoins
sinonle but, du moins l'effetincontestabledo conserver
l'organismetotal; si ellene produit pas cet effet et si, au
contraire, elle le contrecarre, elle est nuisible&l'orga-
nismetotal, et pour une pareille activiténuisiblede cer-
tains organes,la langue a formé le mot de « maladie».
Le sophistequi nie qu'il y ait de la maladieet de la santé
doit logiquementnier aussi qu'il y ait de la vie et de la
mort, ou du moins que la mort ait une importancequel-
conque. Car en fait, étant donnée une certaine activité
de ses parties que nous nommonsmaladive, l'organisme
totalpérit, tandis qu'avec une activitéd'uneautre nature,
que nous qualifionsde saine, il vit et prospère. Tant que
t. Pan!Bourget,
EMa&
depsychologie Paris,1883,
eontemporaiae.
p. U.!3.
PAttNASSMMS
ET XMAMMQtJES 7t
M. Bourgetno peso pas la thèse que la douleurest aussi
agréable que le plaisir, la décrépitudeaussi satisfaisante
que la vigueur, et la mort aussi désirable que la vie, il
prouve qu'il ne sait pas eu n'ose pas tirer de sa prémisse
la conclusionjuste qui on ferait apparaîtreimmédiatement
l'absurdité.
Toute la théorie qui doit expliqueret justifierla prédi-
lection pour le mat n'a d'ailleurs été imaginéequ'après
coup. Le penchant pour )o mat et t'horribto existait
d'abord, et il n'était pas une conséquencede considéra-
tions philosophiques et d'auto-persuasion.Nousavonssim-
plement ici.un nouveaucas de cette méthode de notre
conscience,si souventconstatéeau cours do cette étude,
qui consisteà inventerdescausesrationnellesaux instincts
et actesde l'inconscient.
tt s'agit, dans la prédilectiondes parnassienspour l'im-
moral, le criminelet le laid, seulementd'une aberration
organiqueet de rien d'autre. Prendre que des penchants
de ce genre existentdans tout homme,même le meilleur
et le plussain, et sont simplementétonnés par lui, tandis
que les parnassiens leur lâchent la bride, c'est là une
affirmationarbitraire et non prouvée. L'observationet ta
marcheentièredu développementhistoriquede l'humanité
la contredisent.
Qu'il y ait dans la nature répulsion et attraction, per-
sonne ne le niera. Un coup d'œit sur les potes magné-
tiques, sur les électrodespositifs et négatifs, suffit pour
établir ce fait. Nous retrouvons ce phénomènechez les
êtres vivants les plus intérieurs. Certainesmatières les
attirent, d'autres les repoussent.U ne peut s'agir là d'un
72 t'ÉOO'nSME

penchantou d'une expressionde votante. Il faut plutôt


considérerle processuscommeun fait purement méca-
nique ayantvraisemblablementsa raison dans des condi-
tions moléculairesqui nous sont encore inconnues.La
microbiologie donne à l'attitude des micro-organismes
vis-à-visdes matièresattrayanteset répulsivesle nomde
chémotaxis» ou chimiotaxie,formepar Pfetfer Dans
les organismessupérieurs,lesconditionsne sont pas natu-
rellementsi simples. Chezeux aussi, il est vrai, la raison
dernière des inclinationset des aversions est sûrement
chimiotactique,mais l'actiondo la chimiotaxiedoit néces-
sairement s'y manifester sous une autre forme. Une
simplecelluletelle que )e bacillo, par exemple,s'éloigne
aussitôtquand elle pénètre dans le rayon d'un corps chi-
mique qui la repousse. Mais la cellule constituantune
partie d'un organismesupérieur n'a pas cette liberté de
mouvement. Elle ne peut changer par elle-même de
place. Est-ellemaintenantrepousséechimiotactiquement,
ellene peut échapper à l'action nuisibleet doit y rester
exposée, mais subit des troublesdansson activitévitale.
Ceux-cisont-ilsassezgraves pour nuire aux fonctionsde
l'organismetotal, celui-cien obtientconnaissance,s'efforce
de percevoirleur cause, la découvreaussi en règle géné-
rate, et fait pour la cellulesouffrantece que celle-cine
peut faireseule il la soustraità l'action répulsive.L'or-
ganismeacquiertnécessairementde l'expérienceen ce qui
concerne sa défense contre les nocivités.Il apprend à
connaitre les conditionsdans lesquelles elles apparais-

t. Verwomemploie
le mot ehémotropistne
o.
PAHNASStBNS
ET DtABOMQUES 73

sent, et ne leur permet plus d'arriver jusqu'à l'effet


réellementchimiotactiquo,mais évite le plus souventles
matièrestroublantesavant qu'elles puissent exercer une
répulsion réelle directe. La connaissance acquise par
l'individu devient héréditaire, se transforme en faculté
organiséede l'espèce, et l'organismeressent subjective-
ment commeun malaise qui peut s'accroître jusqu'à la
douleur,l'avertissementqu'une nocivitéagit surlui et qu'il
ait il s'y soustraira. Echapper à la douleur devient une
fonctioncapitale de l'organisme, qu'il ne peut négliger
plus ou moinssans expier cette négligencepar sa ruine.
Chezl'être humain, les faits ne se passent pas autre-
ment qu'ils viennentd'être décritsici. L'expérienceorga-
nisée héréditairementde t'espece l'avertit de la nocivité
des actions auxquelles il est fréquemmentexposé. Ses
postes avancéscontre les forces naturelles hostilessont
sessens. Le goût et l'odorat lui donnent, en ce qui con-
cerne les matières chimiotactiquementrépulsives, l'im-
pression du dégoûtet de ta fétidité;les différentesespèces
de sensationscutanéeslui rappellent,par le sentimentde
la douleur, du chaud ou du froid, qu'un contactdonnéest
défavorablepour lui; t'œit et l'oreillele mettent en garde
par la sensationdu criard, du strident, de la dissonance,
contre les effets mécaniquesde certainsphénomènesphy-
siques, et lescentres cérébrauxsupérieursrépondent aux
nocivitésreconnuesde nature compositeou à leur repré-
sentationpar la réactionégalementcompositedu déplaisir
à ses différents degrés de vivacité, depuis le simple
malaisejusqu'à l'horreur, à l'indignation, à l'épouvante
ou à la fureur.
?t L'&OOTtSME

Le porteur de cette expérience héréditaire organisée


est l'inconscient;c'est doue à lui aussi qu'est eonuéela
défense contre les nocivités simples, apparaissant fré-
quemment la répugnanceà des impressionsde goût et
d'odorat nnisiMes, la peur des animaux et des phéno-
mènesnaturels dangereux,etc., sont devenuesen lui un
instinct auquel l'organismes'abandonne sans réflexion,
c'cst-a-diresans interventiondo la conscience.Maisl'or-
ganismehumain n'apprend pas seulementà distingueret
à éviter ce qui lui est directement préjudiciable à lui-
même il agit de même& l'égard de ce qui le menacenos
commeindividu,maiscommeêtre social,commemeMbra
d'une sociéMorganisée;l'antipathie à l'égard des actions
qui nuisentà l'existenceou à la prospérité de la société
devientaussi chezlui un instinct.Seulement,cetenrichis-
sementde laconnaissanceorganisée del'inconscientrepré-
sente un degré élevé de développementque beaucoup
d'êtres humains n'atteignentpas. Les instincts sociaux
sont ceux que l'hommea acquisen dernier lieu, et, con-
formémentà la loi connue, il les perd en premier lieu
lorsqu'ilrétrogradedansson développementorganique.
La consciencen'a l'occasionde constaterle danger des
phénomèneset de défendre contre lui l'organisme,que
si ces phénomènessont ou tout nouveauxou très rares,
de sorte qu'ils ne peuvent être connuset redoutés héré-
ditairement oa bien s'ils renferment en eux beaucoup
d'élémentsdifférentset n'agissent pas directement,mais
par leursconséquencesplus ou moins éloignées, de sorte
que leur connaissanceexige uneactivitéde représentation
et de jugementcompliquée.
PARNASStEfO
ET tMABOUQUES '!5
Le déplaisirest donc toujours une connaisMucoinstinc.
tive ou conscientedo la nocivitéd'un pMnomfne. Son
contraire, le plaisir, n'est pas seulement, commeon l'a
quelquefoissoutenu, l'absence do déplaisir, c'est-à-
dire un état négatif, mais quelque chose de positif.
Chaquepartie de l'organismedes besoins déterminés
qui s'aMrmentcommetendanceconscienteon inconsoento,
comme penchant ou désir; la satisfactiondo ces besoins
est ressentiecommeun plaisir qui peut s'accroîtrejusqu'A
ln volupté. Le premier de tous les besoins do chaque
organe est de fonctionner.Sa simpleactivitéest déjà pour
lui, tant qu'elle ne va pas au-delà do son pouvoir, une
sourcede plaisir. L'activité des centres nerveuxconsiste
&recevoirdes impressionset à tes transformeren aper-
ceptions et en mouvements.Cette activité leur procure
des sentimentsde plaisir. Ils ont en conséquenceun fort
dési)'de recevoirdes impressions,pour être mis par elles
en activitéet éprouverdes sentimentsde plaisir.
Voilàà grands traits l'histoire naturelledes sentiments
de plaisir et de déptaish'. Le lecteur qui ta connaîtra
n'éprouvera aucune diMcutteà comprendreta nature de
l'aberration.
L'inconscientest soumis aux mêmes lois biologiques
que le conscient.Le porteur de l'inconscientest le même
tissu nerveux, quoique peut-être une autre partie du
système, dans lequel est élaborée aussi la conscience.
L'inconscientest aussi peu infàittiMeque la conscience.Il
peut être plus hautementdéveloppéou arriéré dans son
développement,être stupideou intelligent. Si l'inconscient
est incomplètementdéveloppé,il distingue mal et juge
ifa t/ËOUTfSMf!
faussement,it setrompe dans la connaissancede co qui
lai est nuisibleou favorable,l'instinctdevientincertainou
obtus. Alors nous avons l'indifférenceenvers )o laid, le
répugnant, t'immorat.
Noussavonsque chezles dégénérésapparaissentdivers
arrêts de développementet des malformations.Certains
organes ou systèmes entiers d'organes s'arrêtent a un
degré de dévotoppomentqui répond à t'onfance,mêmea
!a vie fœtale.Si tes contrescérébraux)os plus c!o~s du
dégénéré s'arrêtentdans tour développementà un degré
très peu avance, il devient un imMcitoou un idiot. Si
t'arrot de développementfrappe les centres nerveux do
l'inconsciont,le dégénèreperd les instincts qui se mani-
festent dans t'être normal comme dego&tet répulsion
contre certaines nocivités; son inconscient, pourrais-je
dire, souffred'imbeeittiteou d'idiotisme.
Nous avonsvu de plus, dans le précédentchapitre,que
t'impressionnabititodes nerfs et du cerveaudu dégénéré
est obtuse.!t ne perçoit pour cemotifque les impressions
fortes, ce ne sont que celles-ci qui excitent ses centres
cérébraux à cette activité cogitative et motrice qui lui
donnedes sentimentsde plaisir. Or, les impressionsdésa-
gréablessont naturellementp!~s fortes queles impressions
agréablesou indifférentes,car, si elles n'étaient pas plus
fortes, tous ne les éprouverionspas commedouloureuses
et elles ne pousseraientpas l'organismeà faire des efforts
pour se défendre.Pour se procurer donc lès sentiments
de plaisir qui sont liés à l'activité des centres cérébraux,
pour satisfaire le besoin de fonctionnementpropre aux
centres cérébrauxcomme à tous les autres organes, le
fAnNASSJENS
ET NABOUQUES 77

dégénère cherche los impressionsqui sont assezfortes


pour exciter Al'activité ses centres obtus et paresseux;
mais ces impressions fortes sont justement oollos que
l'hommesainressentcommedouloureusesou répugnantes.
Ainsis'expliquentles aberrationsou perversionsdes dégé-
nérés. Ils ont le désir de fortes impressions,parce que
celles-ci soutesmottent !our cerreau en activité, et celle
actionsouhaitéesur tourscentresn'est exercéeque par tes
impressionsque tes êtres sains redoutent à causede !eur
violence,c'cst-a-dire losimpressionsdoutourousos,repu-
gaanteset révoltantes.
Dire que chaque être humain a en secretune certaine
prédilectionpour le matet l'abominablo,c'est une sottise;
la seule petite etinccucde vérité que renfermecette afur-
mationabsurde, c'est que t'être humainnormal, lui aussi,
devientobtus dans la fatigueou l'épuisementpar maladie,
c'est-à-direqu'il tombedans l'état qui, chez le dégénère,
est l'état permanent. Alorsil offrenaturellementlesmêmes
phénomènesque nous avons constatéschez celui-ci,mais
&un bien moindre degré.!) peut alors trouverdu plaisir
au crime et à la laideur, et à cchn-ta plutôtqu'a celle-ci;
car les crimessont des nocivitéssociales,tandis que les
laidourssont la forme visiblede forces nuisiblesà l'indi-
vidu or, les instincts sociauxsont plus faiblesque les
instinctsde conservation,ils s'assoupissentpar conséquent
plus tôt, et, pour cette raison, la répulsioncontrele crime
disparaîtplus tôt que cellecontrela laideur. En tout cas,
cet état est chez l'être normal aussi une aberration,mais
imputableà ta fatigue et qui n'existe pas chez lui, comme
chezle dégénéré,d'une façonpermanenteet ne formepas
78 L'iÈOOTtSME

le trait fondamentalcache de son être, ainsi que le pré-


tendent les sophiste!:qui te calomnient.
Une ligne de développementininterrompuem&nodes
romantiquesfrançais aux parnassiens,et t'ou peut déjà
distingueren ccux-tàtous tes germes des aberrationsqui
nous apparaissenten plein épanouissementchezceux-ci.
Nous avons vu dans ta tivro précèdent combien tenr
poésieest extérieureet indigented'idées, commeils exat-
tèrent leur imaginationfort au-dessusdo l'observationde
la reaUte, et quelle importance ils assignèrent à leur
mondede rêve. Sainte-Beuvequi, au début, faisaitpartie
tui-meme de leur groupe, dit à ce sujet, avec une com-
plaisancequiprouvequ'ilne croit pasexprimerun Marne
« Les romantiques. avaient une pensée, un culte,
l'amourde l'art, la curiosité passionnéed'une expression
vive, d'un tour neuf, d'une image choisie, d'une rime
brillante; ils voulaientà chacun de leurs cadresun clou
d'or. (tmagc remarquablementfausse,soitdit en passant.
On peut désirer pour un tableau un riche cadre, mais
quant au clou qui supporte celui-ci,on aura égard à sa
soliditéet nonà sa préciosité).« Enfantssi vousle voulez,
mais enfants des Muses,et qui ne sacrifièrentjamais à la
grâcevulgaire'
Retenonscet aven lesromantiquesétaient des<n<ants:
ils l'étaient dans leur inaptitudeà comprendrele monde
et les hommes,dans le sérieuxet l'ardeur avec lesquels
its se livraientà leurs jeux de rimes, dans la natvetéavec
laquelle ils se mettaientau-dessus des prescriptionsde

CotMfttM
t. Sainte-Beuve, du Lundi,t. X!V,p. M. Arttdedu
12octobre~85~
surles poésiescomplètes
deThéodorede BanviUe.
PARNASSttNS
ET 0)ABOUQt)ES 79
moralité et do bon sens à l'usage des adultes. Que l'on
exagère un peu Mtto puérilité, sans lui associerla {orée
d'imaginationsauvage et exubéranted'un VictorHugo et
son don d'associationd'idées rapide comme l'éclair et
évoquantles plus étonnantesantithèses,et t'en obtient la
figure littéraire do Théophile Gautier, que l'imbécile
Barbey d'AuMvittya pu nommer d'une haleine avec
Gœthe pour la seule raison, probablement,que le son
du nom du grand poète attemaud dans la prononciation
française a une certaineressemblanceavec celuide Gau-
tier, mais dont un do ses admirateurs, M. J.-K. Hnys-
maus, dit « DesEsseintes(le héros de son roman) arri-
vait aussi à se désintéresserde t'oeuvrode Gautier; son
admirationpour l'incomparablopeintrequ'était cet homme
était attéoen se dissolvantde jour en jour, et maintenant
it demeuraitplus étonné que ravi par ses descriptionsen
quelquesorte indifférentes.L'impressiondes objetss'était
Mxéesur son mit si perceptif,mais elle s'y était localisée,
n'avait pas pénétréplus avantdans sa cervelleet dans sa
chair; de mêmequ'un prodigieuxréneeteur, il s'étaitcon-
stamment borné à réverbérer, avec une impersonnelle
netteté, des alentours' M.
QuandM. Huysmacsregarde Gautiercommeun miroir
impersonnel de la réalité, il est victime d'une illusion
optique. En vers commeen prose, Gautierest un ouvrier
mécaniquequi enfile les uns à la suite des autres des
adjectifsétincetants,sans y entendre malice.Ses descrip-
tions ne donnentjamais un contour net de l'objet qu'il

t. Barbeyd'AnreviUy, etPMct'et.
Ca-Me Paris,<SS2.
2. J.-K. Hu;smans,~t rebours. Quatrième mille. Paris, tS92, p. 2St.
80 L'&aOT!8ME

veut peindre. Elles rappollentces mosaïquesgrossières


do la dernière période byzantine, dont tes différentes
pierres sont du tapis-tazuti,dola malachite,de la chryso-
praso et du jaspe, et qui produisent pour ce motif
l'impressiond'une richesse barbare, maislaissentà peine
reconnaîtreencoreun dessin. Dansson égotismedépourvu
de tonte sympathiepour le monde extérieur, il no soup-
çonnepas ce que son spectaclerenfermedodouleursot de
joies, et de mêmequ'il ne ressent rien à son aspect il ne
peut non plus, avec ses tentativesdistraiteset maniérées
pour le rendre, éveiller chezle lecteurd'émotiond'aucune
sorte. Les soutes émotions dont il est capable,
abstractionfaite do l'orgueilet de la vanité, sont les
excitationssensuettes; aussine trouve-t-ondanssesœuvres
d'alternancequ'entre la froideurglacialeet la lasciveté.
Si l'on exagère le culte de la forme do Théophile
Gautieret sa lubricité, et si à son indifférenceenvers le
monde et les hommeson associe l'aberration qui la fait
dégénéreren prédilectionpour le mat et le répugnant,on
a devantsoi la Ogurede Baudelaire.Nousdevons nous y
arrêter, car Baudelaireest, plus encore que Gautier, le
chef intellectuelet le modèle des parnassiens, et son
influencedomined'unemanièretoute-puissanteune partie
de la génération actuelledes poètes et écrivainsfrançais,
et aussi des poètes et écrivainsanglais.
Il n'est pas besoinde démontrerlonguementque Bau-
delaireétait un dégénéré.H estmort de paralysiegénérate,
après s'être vautré de longs moisdans les degrés les plus
abjects de la démence.Maisquand bien même une Hn
aussihorrible n'aurait pas mis le diagnosticà l'abri de
PAMtASStENS ET NABOMQUEa 8t

toute attaque, celui-ci ne serait pas douteux, Baudetaira

ayant accusé toute sa vie tous los stigmates intellectuels


de la dégénérescence, Il était à la fois. mystique et éroto-
mane mangeur do haschich et d'opium it se sentait
attiré d'une façon caractéristique par les autres dégénérés,
aliénés ou dépravés, et appréciait,
par exemple, le plus
parmi tes écrivains te richement doué mais aliéné Edgar
Poe et le mangeur d'opium Thomas do Quincey. tt tra-
duisit tes récits du premier en leur consacrant une étude

biographique et critique enthousiaste, et it emprunta aux

Confessions d'«a MMM~etH'<fo/):Hm du second un extrait

important qu'il accompagna d'un commentaire exubérant.


Les particularités de l'esprit de Baudelaire se révèlent à
nous dans le recueil de ses poésiès auquel it a donné un
titre trahissant à la fois la connaissance qu'il avait de
tui-méme et son cynisme Les Ffeto's (ht 3/< Le recueil
n'est pas comptet. U y manque quelques pièces qui ne
circulent que manuscrites, parce qu'elles sont trop infâmes

t. Paul Bourget, op. cit., p. 6 11est libertin, et des visions


dépravées jusqu'au sadisme troublent ce même homme qui vient
d'adorer le doigt tevé de sa Madone. Les mornes ivresses de la
Vénus vulgaire, les capiteuses ardeurs de la Vénus noire, les rafCnées
détices de la Vénus savante, les criminelles audaces de la Vénus
aanguinaire.onttatssédeteurressouvenirdanstesptuespirituatisésde
ses poèmes. !t s'échappe un relent d'alcôve infâme de ces. vers.
Et p. 49 «. 11n'en va pas ainsi pour l'âme mystique, et celle
de Baudelaire en était une. Car cette Ame ne se contentait pas
d'une toi dans une idée. Elle voyait Dieu. 11était pour elle non pas
un mot, non pas un symbole, non pas une abstraction, mais ur;
Être, en la compagnie duquel l'âme vivait comme nous vivons avec
un père qui nous aime
2. Théophile Gautier, qui fut tui-méme membre d'un club de has-
chisch, cherche, it est vrai, à nous faire accroire (tes Fleurs d« ,'UM,
p. 57 et sqq.), que Baudelaire s'est adonné à l'usage des poisons
narcotiques seulementdans un but d' expérience physiologique
mais nous connaissons le penchant de tous tes dégénérés à pré-
senter des impulsions dont ils rougissent comme de libres actes de
volonté pour lesquels ils ont toutes sortes d'explications palliatives.
Mtx NoM)AC. Degêû~MMeDM. Il fi
89 t.'&NOTtSMB

pour supporterla pleinepublicitédu livrede débitcourant.


Maisje veux empruntermes citations seulementaux vers
imprimés, qui suMseat entièrementà caractériser leur
auteur.
Baudelairehait la vie et le mouvement.Dans la pièce
intituléeLes Hiboux, il nous montre ces oiseauxqui se
tiennentrangés, immobiles,sous lesifs noirs, et continue

Leur atUtade<m sage enseigne


Qu'il faut en ce monde qu'il craigne
te tumulte et le «Maternent.

L'hommeiw) d'une ombre qui passe


Porte toujours le chàtimnt
D'avoirvoulu changer de place.

La Beautédit d'elle-même,dans la pièce de ce nom

Je haisle mouvement quidéplaceteslignes;


Et jamaisje ne pleureet jamaisje ne ris.

Autantil abhorre le naturel, autant il aime I'art!uc!e!.


Voici commentil dépeint son monde idéal (Rêve pari-
sien)

Be ce terrible paysage
Que jamais oeilmortel ne vit,
Ce matin encore l'image,
Vague et lointaine, me ravit.

J'avais banni de ces spectacles


Le végétât irrégmier.

Je savouraisdans mon tableau


L'enivrante(1)monotonie
Du métal, du marbre et de l'eau.
PABNASStENS
ET MAMUQUE8 89

Dabeld'eMatiers et d'arcades,
C'était un palais infini,
Plein de bassins et de cascades
Tombant dans l'or mat ou bruni

Et des cataractes pesantes,


Comme des rideaux de cristal,
Se suspendaient, éNouissantes,
A des murailles de métal.

Non d'arbres, mais de colonnades


Les étangs dormants s'entouraient,
Où de gigantesques naïades,
Comme des femmes, se miraient.

Desnappes d'eau s'épanchaient, bleues,


Entre des quais roses et verts,
Pendant des millionsde lieues,
Verstes confinsde l'univers;

C'étaient des pierres inouïes


Et des flots magiques; c'étaient
D'immensesglaces éblouies
Par tout ce qu'eUesreflétaient.

Et tout, même la couleurnoire,


Semblait fourbi, clair, irisé.

Nul astre d'ailleurs, nuls vestiges


De soleil, même au bas du ciel,
Pow illuminer ces prodiges,
Qui brillaient d'un feu personnel(!).

Et sur ces mouvantesmerveilles


Planait(terriblenouveauté! 1
Tout pour l'œH, rien pour tes oreilles1)
Un silenced'éternité.

C'est là le monde qu'il se représente et qui t'enthon-


siasme pas de plante « irregnUere pas de soleil,pas
d'astres, nul mouvement,nul bruit, rien que métal et
<t t~MTtSME

verre; c'est-à-dire quelque comme un paysage en


fer-blanc de Nuremberg, seulement ptus gramt et de
matière un peu plus riche, un jouet pour l'enfant d'un
millionnaireaméricainsouffrant do la folie de richesse
des parvenus, avec une petite lampo électriqueà l'inté-
rieur et une mécaniquequi tournelontementlescascades
et fait glisser les nappes d'eau de verre. Tel doit être
nécessairementl'aspect de l'idéal qu'un dégénèreégotiste
se composede l'univers. La nature le laisso froid ou le
repousse,parce qu'il no t'aperçoit ni ne la comprend.Là
ou t'hommosain voit te tat'teau du mondeettenet)r, i'ego-
tiste est entoure d'un vide noir dans lequel nottent tout
au ptus des formesnébuleusesincomprises.Pour échapper
à son horreur, it projette, lui, comme d'une lanterne
magique, les ombres colorées des représentationsqui
rcmptissentsa conscience;mais ces représentationssont
rigides, paresseuses, monotoneset enfantinescommetes
centres cérébrauxmaladeset débites qui tes élaborent.
L'incapacitéde t'egotisted'éprouver avec justesse les
impressionsextérieureset la peine avec laquelleson cer-
veau travaille, sont aussi la clef de FépouvantaMeennui
dont se plaint Baudelaireet du profondpessimismeavec
lequel il contemplete monde et ta vie. Ecoutons-tedans
Le Voyage:

KOMS avonsvu partout.


LespectacleennuyeMde rhnmortetpéché-:
Lafemme,esclavevile,orgueilleuse et stupide,
Sansrire s'adorantet s'aimantsansdégoût;
L homme,tyran goulu,paillard,dur et cupide,
Esetavede l'esclaveet ruisseaudansfegout;
PAMNASStENa ET MABOUQUE8 85

t.c bourreau qui jouit, la martyr qui sangtoto;¡


t~ fête qu'assaisonne et parfume le sau}!
Et les moins sots, hantis amants de la d&mence,
Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,
Kt se réfugiant dans t'opium uotneoM (!).
Tel est du globo entier reternet bulletin.
0 Mort, vieux capitaine, il est temps! tevons rancre!
Ce pays nous ennuie, A Mort1 Appareillons
Nous weutons.
Mongerau fonddu geuO'ro,Enferou Ciel, qu'importe?
Au fondde nnconou pour trouver du nouveau1

Ce cri désospérévers du « nouveau est la plainte


naturelled'un cerveauqui aspire au sentimentde plaisir
du fonctionnementet réclame avidementune excitation
que ses nerfs sensoriels impuissants ne peuvent lui
donner. Qu'un hommesain se représentel'état d'esprit où
il tomberaitsi on l'enfermaitdans une celluleoù ne par-
viendraienta luinul rayon,nul bruit, nul parfumdu monde
extérieur. 11aura alors une exacte idée de l'état d'âme
permanentde l'egotiste, quel'imperfectionde son système
nerveux isole éterneHementde l'univers, de son bruit
joyeux,de ses tableauxchangeants,de son agitationcapti-
vante. Baudelairene peut que s'ennuyer horriblement,
car son esprit n'apprend réeUementrien de nouveauet
d'amusantet est forcéde s'enfoncersans relâche dans la
contemplationde son « moi » souffreteuxet geignant.
Les seuls tableauxqui peuplent le mondede sa pensée
sont des tableaux sombres,haineux et abominables. H
dit (<7ttJfort joyeux)
Dansuneterre grasseet pleined'escargots
Je veuxcreusermoi-mêmeunefosseprofonde
et L'ËaonsME

Où je puisse &loisir étaler mes vieux os


Et dormir dans fonMi comme un requin dans l'oude.
Plutôt que dtmptorer une larme du monde,
Vivant,J'aimerais mieux inviter tes corbeaux
A saigner tous tes bouts de ma carcasse immonde.
0 vers noirs compagnonssans oreille et sans yeux,
Voyezvenir à vous un mort libre et joyeux)

Dans La C~ocAefdlde, it dit de lui-môme

.Mon Ameest fêlée, et lorsqu'on ses ennuis


Elle Mat de ses chants penpler l'air froid des nuits,
Il arrivesouvent que sa voix affaiblie
Semble le raie épais d'un blessé qu'on oublie
Au bord d'uu fac de sang, sous un grand tas de morts.

<Sp<MM
.Mon triste cerveau.
C'est. un immense caveau
Qui contient plus de morts que ta fossecommune.
Je sua un cimetière abhorré de la iune
Où,comme des remords, se trament de longs vers.

~MveM' sympathique

Cieux déchirés comme des grèves,


En vous se mire mon orgueil)
Vosvastes nuages en deuil
Sont tes eorbitlardsde mes rêves,
Et vos lueurs sont le reflet
De l'Enfer où mon cœur se platt!

Le Coucher ~Mso!e:< t'<MM«H<tM

Une odeur de tombeau dans les ténèbres nage,


Et mon pied peureux froisse, au bord du marécage,
Des crapauds imprévus et de froids limaçons.
PARNASStENB
ET MABOMQUES 87

Danse moca~. Le poète, parlant à an squelette

Aucunst'appelleront une caricature,


Qui ne comprennentpas, amants ivres de chair,
L'élégancesans nom de l'humaine armature.
Tu réponds, grand squelette, à mon goût te plus cher!

<7ne CAaro~ne:

Rappelez-vousl'objet que nous vtmes, mon âme,


Ce beau matin d'été si doux
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,


Brntaute et suant tes poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.

Et le ciel regardait la carcasse superbe(t)


Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vouscrûtes vousévanouir.

Et pourtant vous serezsemblableà cette ordure,


A cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion 1
Oui! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vousirez, sous l'herbeet les floraisonsgrasses,
Moisirparmiles ossements.

Ce à quoi Baudelaire se comptaitte plus, c'est à ces


tableauxde mort et de pourriturequeje pourrais citer en
plus grand nombre encore,si je ne croyaisque ces exem-
ples suffisent.Maisà côtéde t'èffroyahteet du répugnant,
c'est le maladif,le criminelet le lubriquequi exercent
sur lui la plus forteattraction.
M L'ËCOTtSMe
Le Rêve d'KMc«net<~

Connus-tu, comme moi, la douleur MvoareOM?.

Spleen

Monchat sur le carreau cherchant une litière


Agite sans repos son corps maigre et gâteux.

Le r<H du solitaire

Un baiser libertin de !a maigre Adetine.

Le CrepMSCt~edu soir

Voicile soir charmant, ami du criminel;


Et l'homme impatient se change en bête fauve.

La J?es<)'!<e<MH

Sans cesse à mes cotes s'agite le Démon.


Je t'avate et le sens qui brate mon poumon
Et l'emplit d'un désir éterne) et coupable.
H me conduit.
Haletant et brisé de fatigue, au milieu
Des plaines de l'Ennui, profondes et désertes,
Et jette dans mes yeux.
Des vêtements souillés, des blessures ouvertes,
Et l'appareil sanglant de la Destruction!

Dans Une J~ar<yre, il décrit complaisamment et en


détails une chambre à coucher dans laquelle une jeune
courtisane, présumaMementjoUe, a été égorgée; l'assassin
lui a coupé la tête et l'a emportée; le poète n'est curieux
que de savoir une chose

L'homme vindicatif que tu n'as pu, vivante,


Malgrétant d'amour, assouvir,
ETPtAnoUQi'Ea
PAMtASStENS 89
Combta-t-itsar :a chaifinerteet complaisante
L'immensité de ''ondésir?

~*w)MM<H!MCM,pit~coconsacre à h pire aberration


de femmesdegen~rces.sa termine par cotte apostrophe
extatiqueauxhéroïnesdu vicecent.o nature
0 vierges,Adémons,d monstres,a martyM:
Deta rMM grandsespritscontempteurs,
CheMheusM d'infini,dévoteset satyres,
de cris, tantôtpleinesdo pleurs,
Tantôtpleines)
Vousque dansvotreenfermonâmea poursuivies,
Pauvressmors.jovousaimeautant queje vousplains.

P~/aee
Sile viol,lepoison,
lepoignard, t'incendie,
N'ontpas encorbrodéde leursplaisantsdessins
Le canevasbanalde nos piteuxdestins,
C'estque notreâme, M)as!n'estpas assezhardie.

Maiss'il n'est pas assezhardi pour commettrelui-mème


des crimes, il ne laisse pas douter un instant qu'il les
aimeet les préfère do beaucoupà la vertu, de mêmequ'il
préfère aux belles saisons les « lins d'automne,hivers,
printempstrempés de boue » (Bfxmes et Pltties). n est
« hostile à l'univers plutôt qu'indifférent o (Les sept
Le spectaclede la douleuric laisse froid, et si
Mt'e!'<&!t'<~).
l'on répand des larmesdevant lui, elles n'évoquent dans
son espritque l'image d'un paysageaux eauxcourantes.

jtf<!<<!< <t'M<e

Quem'importeque tu soissage?
Soisbelle!et soistriste Lespteurs
Ajoutentun charmeau visage,
Commele neuveau paysage.
90 j~'&OOTtSMt:

Dansta lutte entra Abel c. Coht, il prend sansMsttcr


parti pour cetut-ci
Race d'Abel, dors, bois et mange;
Dieu te sourit complaisamment.
Race de Ca!n, dans la fange
Rampe et meurs misérablement.
Race d'Abet, ton sacrifice
Flatte le ne: du Séraphin.
Race do Ça!)), ton supplice
Aura-t-Mjamais une Oa?'1
Race d'Abel, vois tes semailles
Et ton bétail venir à bien;
Race do Ca!n, tes entrailles
Hurlentla faim comme un vieuxchien.
Race d'Abel, chauffeton ventre
A ton foyer patriarcal;
Race de Caïn, dans ton antre
Tremblede froid, pauvre chacall
Ah race d'Abe!,ta charogne
Engraissera le sol fumant 1
Race de Cato, tt besogna
N'est pas fai'e snfusamment.
Race d'Abe!,voici ta honte
Le fer est vaincu par l'épieu 1
Race de Cain, au ciel monte
Et sur la terre jette Dieu1

S'il prie, c'est le diable (Les Litanies de <S<!<<tK)

Gloireet louange à toi, Satan, dans tes hauteurs


Du Ciel, où tu regnM, et dans tes profondeurs
De l'Enfer, où, vaincu, tn rêves en silence1
Fais que monâme un jour, sous t'Arbre de~Seience,
Près de toi se repose.
PARNASSHMS
ET NABOUQUEa et
M se mete, & l'aberration, ce mysticismequi ne fait
jamais défautchoxle dégénère. L'amour du mal ne peut
naturellementrev&tirla formede l'adorationdu diable,du
diabolisme,que si t'en est croyant,si l'on tient le surna-
turel pour une choseréelle. Cohti-taseul qui est enraciné
avectous ses sentimentsdans la foi religieuse,cherchera,
s'il souffred'aberration morale, une votuptedans l'adora-
tion de Satan, dans l'outragepassionneadressé a Dieu et
au Sauvour,dans la profanationdes symbolesde la foi, ou
voudra aiguillonnersa voluptécontrenature par le pèche
mortelet la damnationinfernale, en lui sacrifiantdans la
« messenoire en présenced'un vrai prêtre consacre,et
en parodianthideusementtoutes les formesdola liturgie.
A côte du diable, Baudelairen'adore qu'une puissance
encore la volupté. H la supplie ainsi (La /<<° <fMM
)Mt!ea)
Ah!ne ralentispas tes flammes!
Réchauffemoncoeafengourdi,
Volupté,torturedesâmes!
Volupté,soistoujoursmareine1
Pour compléterle portrait de cet esprit, citons encore
deux de ses particularités,Il souffrepremièrementd'an-
goisses perpetueMes,commele témoigne sa pièce Le
Gouffre,qui a la valeurd'une confession
.Tout est ablme, action,désir,rêve,
Parole!etsur monpoilqui toutdroit se relève
Maintefoisdela peurje senspasserle vent.
En haut, en bas,partout,la profondeur,la grève,
Le sitence,l'espaceaffreuxet captivant.
Surle fonddemesnuits,Dieu,de sondoigtsavant,
Dessineun cauchemarmultiformeet sanstrêve.
sa L'ÉaOT!SME

J'ai p<w du sommeilcomme on a peur d'un grand trou,


Toot plein de vague horreur, menant en ne sait od;¡
Je ne vois qu'infini par toutes les fenêtres,

Et mon esprit, toujours du vertige hanM,


Jalousedu néantt'insansibitite.

Baudctaifo dcerit ici assez exactement cette obsession


des dégénères que t'en a nommée « la peur des aMmea
(cremnophobie) 1. Sa seconde particularité est sa preocca-
t<ationdes deurs. tt y est attentif, tes interprète, ettes pro-
voquent en tui toutes sortes do sensations et d'associations
d'idées. tt s'exprime ainsi à ce sujet dans Correspon-
<~<!nces

Les parfums, les couleurs et les sons se repondent.

U est des parfums frais commedes chairs d'enfants,


Douxcomme les hautbois, verts comme les prairies,
Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayantl'expansion des choses intmies,


Comme l'ambre, le musc, le benjoin et t'enceas,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

U aime ta femme avec son odorat. (« Le parfum de


tes charmes étrange:! < ~1 «xe J~o~&arat~), et ne man-
que jamais, en décrivant une maîtresse, de mentionner
ses cxhalaisons.
~*<H'/HMt
&rO<<~<M

Quand tes deux yeux fermés, en un soir chaud d'aùtomne,


Je respire t'odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouter des rivages heureux
Qu'éblouissenttes feux d'un soleil monotone.

pratiquede médecinementale,2* édition.


t. D' E. Régis, JUonMet
Paris, tSM,p. 2~9.
PARNASSIENS ET DIABOLIQUES 99

La CAfM~M)'<'

0 toison, moutonnantjusque sur l'encolure!


0 boucles! 0 parfum chargé de nonchaloir!

La langoureuse Asieet la brutanto Afrique,


Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeur: forét aromatique!

Naturellement, i) pt'effre au\ bonnes odeurs les par-


fums qui, pour l'homme sain, constituent une puanteur.
La pourriture. la décomposition, lit pMtitenee ravissent
son nez.

Z,eJ~<te<M)

Il est de forts parfumspour qui toute matière


Est poreuse. On dirait qu'ils pénètrent le verre.
Parfois on trouve un vieuxflacon qui se souvient,
D'au jaillit toute v.une Ame qui revient.
Voilàle souvenir enivrant qui voltige
Dans l'air troublé; tes yeux se ferment; le vertige
Saisit t'ame vaincue et la pousse à deux mains
Vers un gouffre obscurci de miasmcs humains;
Il la terrasse au bord d'un gouffreséculaire,
Ou, Lazare odorant déchirant son suaire,
Se meut dans son réveil le cadavre spectral
D'un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.

Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire


Deshommes, dans le coin d'une sinistre armoire
Quand on m'aura jeté, vieux Bacondesoté,
Decfépit, poudreux, sale, abject, visqueux,fêté,
Je sera) ton cercueil, aimable pestilence!
Le témoin de ta force ft de ta virulence,
Cher poison préparé par les anges!

Nous connaissons maintenant tous les traits dont se com-


pose le caractère de Baudetaire. Il a le « culte de soi-
M )L'ÉGOTt8ME

mémo il abhorre la nature, le mouvement,la vie; il


rêve un idéal d'immobilité,do silenceéternel, de symétrie
et d'artiftciet; il aime la ma.adie, la taideur, le crime;
tous ses penchantssont opposésen une profondeaberra-
tion à ceuxdes êtres sains; ce qui charmeson odorat,c'est
l'odeur de pourriture; son (pit, la vuedes charognes,do)a
sanie et de la douleur d'autrui; il se sont à l'aise dans la
saisond'automneboueuse et nébuleuse ses sens ne sont
excités que par le plaisir contre nature. Il se plaint d'un
effroyableennuiet de sentimentsd'anxiété; son esprit n'est
rempli que do représentationssombres, son association
d'idéestravaille exclusivementavec des imagestristes où
répugnantes la seulechose qui puisse le distraire et l'in-
téresser est le mal meurtre, sang, luxure, mensonge.Il
adresseses prières à Satan et aspire à l'enfer.
M a essayede faire passer ses particularitéspour une
comédieet une pose étudiée. Il dit dans une note placée
en tête de la premièreédition(i857) des Fleurs du JMat
« Parmi les morceauxsuivants, le plus caractérisé. n'a
été considéré,du moinspar les gens d'esprit, que pour ce
qu'il est véntabtement le pastiche des raisonnementsde
l'ignoranceet de la fureur. Fidèle à son douloureuxpro-
gramme, l'auteura dû, en parfait comédien,façonnerson
esprit à tous les sophismes,commeà toutes les corrup-
tions. Cette déclaration candide n'empêchera pas sans
doute les critiques honnêtesde le ranger parmi les théo-
logiensde la populace,etc. Quelques-unsde ses admi-
rateurs acceptent cette explicationou font semblant de

t. La f/tMM
duMal,p. 5. LemotestdeTMophite
Gautier.
ET DtABOUQUES
PARNASSIENS 95

l'accepter. « Son intense dédain du vulgaire n, susurre


suavementM. Paul Bourget, « éclateen paradoxesoutran-
ciers, en mystificationslaborieuses. Chez beaucoup de
lecteurs, même des plus fins, la pour d'être dupes de ce
grand dédaigneuxempêchela pleine admiration 1».Le
mot est devenu un lieu commun critique pour Baude-
laire il est un « mystificateurM tout, chez lui, n'est que
tromperie; lui-mêmene sent et ne croit rien de ce qu'il il
exprime dans ses poésies. C'est du radotage et rien
d'autre. Unrhéteur de l'espècedo M. Paul Bourget,égre-
nantde la paille et frisant des rognures de papier, peut
croire qu'un hommelibre intérieurementest capablede
conserverartificiellementtoute sa vie l'attitude d'un gâte-
rien et d'un aliéné, en sachant qu'il joue seulementune
comédie. L'homme du métier sait que le choix d'une
pose à la Baudelaireest à lui seul une preuve de trouble
cërébrat profond. La psychiatre a constatéque tes per-
sonnes qui simulent avec quelque persévérancela fotie,
mêmedans un but raisonnable,comme,par exempte,cer-
tains criminelsmis en accusation,pour échapperau châti-
ment, sont presque sans exceptionréellement fottes

t. PaulBourget, op.cit..p. 3t.


2. Ch.-J.-J.
Sazaret,~<«</e <t«-la simulation de la folie.Xancy.
tSM.Cetécritd'undébutant, qui renferme uneréunionutiled'ob.
servationscliniques,estparticulièrement amusantence quetoutes
tes observationsCttéea par l'auteurdémontrent exactement le con-
trairede cequ'ilse proposede démontrer. Aprèsavoirétablilui-
même(p. 22)que les victimesde i'hystériesonttrès portées&
simulertoutesortedemaladies itdit (p.29) Lesgensfrappés
d'aliénationmentalesimulentparfoista folie ce fait est rare,
maiscependant il a étéconstaté, et s'ilne l'a pasétéplussouvent,
c'est,croyons-nous, qu'on s'estbornéà un examensuperficiel et
n'a
qu'on pasanatysé c ertainsa ctes Lefaitestsi il
peurare,qu'il
se laissedémontrerdanschaqueobservationcitée par l'auteur.
Dansie casde BaUtarger (2*observation), lasoi-disantsimulatrice
98 L'&OOTtSME

quoiquepas au degré qu'elles afitchent,de mêmeque le


penchantà s'accuserou Il se vanterde crimes imaginaires
est un symptômeconnu d'hystérie. L'afOrmationde Bau-
delaire toi-même,que son satanismen'est qu'un rôle étu-
die, n'a aucuneespèce do valeur. Commecela se produit
si fréquemment chez les dégénéréssupérieurs, il sent
tout au fond de lui que ses aberrations sont maladives,
immoraleset anti-sociales,et que tous les gens normaux
!e mépriseraientou te prendraient en pitié, s'its étaient
convaincusqu'il est véritablementce qu'il se vanted'être
dans ses poésies il recourt en conséquenceà t'eMuse `
enfantine que les malfaiteurs ont souvent aussi à ta
bouche,« quetout ça n'était pas sérieux». Peut-êtreaussi
la consciencede Baudelaire eprouvait-etteune horreur
sincère des instincts pervers de son inconscient,et cher-
chait-ilà se faire accroireà lui-mêmequ'avec son sata'
nisme il se moquaitdes philistins. Maisune telle pallia-
tion après coupne donne pas le changeau psychologueet
n'a aucuneimportancepour son jugement.

avaitété enfermée huit ans auparavantdansun asiled'aliénés


commefolletrèsauthentique; danstecasde More!(t*observ.),te
simulateur eut, à la vued'unelancette,de véritabtes crisesde
est
nerfs ce qui nettementde t'aichmophobie et unstigmate
certainde dégénérescence; dansta 6°observation, More!admet
de
que l'extravagance t'observé, sa craintedu poison(ainsi,
iophobieprononcée '), et lefaitderamasserdesordures,indiquent
undésordrementalpossible le casde Foville(«t'observ.).avait
uncertainnombred'aliénésdanssa famille lecasde Legrand
du Saulle(<«'observ.)était Ctsde femmehystérique, petit-nts
d'atiéné lecasde BonnetetDelacroix (t9*observ.)comptedes
aiiénésparmisesascendants <ecas de Billod(22'observ.) a
souventprésentédestroublesetdu détire etc.Tousces pré-
tendussimulateurs étaientdesatiénés&ne s'y pointméprendre,
et lefait qu'ilsontintentionnellement exagérétes symptômes de
leurdéiire,n'étaitqu'unepreuvede plusde leuraliénation.
tiï

BËCABEKTS ET ESTHETES

De même que, à la mort d'Alexandrele Grand, ses


générauxs'abattirentsur l'empiredu conquérantet s'empa-
rèrent chacund'un lambeau,ainsiles imitateursque Bau-
delaire trouva parmi ses contemporainset la génération
suivante, beaucoupmêmesan" attendre sa folieni sa
mort, prirent possessiond'une de ses particularités,
pour l'exploiter littérairement. L'école de Baudelaire
répète le caractèredu ma!tre,mais singulièrementdécom-
posé elle est devenue en quelque sorte le prisme qui
détaillecettelumièreen ses rayons élémentaires.Sa folie
anxieuse(anxiomanie)et sa prédilectionpour la maladie,
la mortet la pourriture(nécrophilie),sontéchuesen par-
tage, commenous l'avonsvu dans le volumeprécédent,à
M. MauriceRollinat.M. Catulle Mendèsa hérité de ses
aberrationssexuelleset de sa lubricité, et les pornogra-
phes français actuels s'appuient en outre sur elles pour
prouver la « raison d'être artistique de leur dépravation.
M. Jean Richepin,dans La <7&<:KMM des 6'«eM.c,lui a
empruntésa glorificationducpBMK-~ade
,mtt plus enflé à la
M.t Xo~tH. Mgt~KtMne~ H 7
i
M L'ÉGOTtSME

grosseurdetout un épaisvolume,de la façonla plus videet


laplus ennuyeuse,dans Les B~mM, les imprécations
et les prières au diable de Baudelaire.Son mysticisme
alimente les symbolistesqui, il son exemple,prétendent
percevoirdes rapports mystérieuxentre tes couleurset les
sensationsdesautressens,aveccettedifférencequ'ilsenten-
dentles conteurs,alors que, lui, les sentait,ou, si t'en aime
mieux,qu'ils ontun (cit dansl'oreille,tandisque,tui, voyait
avec le nez. NousretrouvonschezFaut Verlaineson mé-
langede voluptéet de pieté Swinbnrnea établiun dépôt
anglais de son sadismecomposadelubricitéet de cruauté,
de son mysticismeet de sonamourdu crime,et je crainsbien
que GiosuèCarduccitui-mcme, d'ailleurssi riche do son
proprefondset si personnel,n'ait coulédes regardsversles
I,t<<!MtMde .Satan, quandilécrivitsa célèbreOde a;Satan.
Le diabolismede Baudelairea été cultivé particulière-
mentparYittiers de l'Isle-Adamet Barbeyd'AurevHty.Ces
deuxhommesonten commun,outre l'air de famillegénéral
des dégénères,une série de traits particuliers. Villierset
Barbeys'attribuaient,commele font fréquemmentles désé-
quilibrés,une extractionfabuleuse;celui-làprétendaitêtre
un descendant du célèbre maréchal et grand-mattre de
Malte(qui en cette qualité n'était pas marié,bien entendu),
comte de l'Isle-Adam, et il réclama un jour, par une
lettre adresséeà la reine d'Angleterre,en vertu de son
droit d'héritage, la restitution de Malte. Barbeyajouta à
son nom le surnom nobiliaire d'Aurevilly,et parla, sa vie
durant, de sa noble race qui n'existait pas. Tous deux
étalaient théâtralement un catholicismefanatique, mais
se délectaient en même temps à des blasphèmesétudiés
B&CABENTSET ESTH&TB8 99

contre Dieu Tousdeuxse complaisaientà des étrangetcs


do costumeet d'existence,et Barbey avait l'habitude des
graphomancs,déjà connuedo nous, d'écrire ses lettres et
ses travaux littéraires avec des encres de différents eou-
leurs. Villiers do l'Isle-Adam, et plus encore Barbey
d'Aurevilly, créèrent une poésie du culte du diable qui
rappelle les dépositionsles plus follesdes sorcièresdu
moyenAgemisesà la torture. Barbey est allé, sous ce
rapport, probablementjusqu'à la limite de t'imaginabtc.
Son livre Le ~<~ MMtwpourrait être écrit par un
contemporaindes bruteurs de sorcières; mais il est
encore dépassépar Les Diaboliques, recueit d'histoires
démentes ou hommes et femmes se vautrent dans la
luxure la plus hideuse, en invoquantcontinuellementle
diable, en le célébrantet le servant.Tout ce qui, dans ces
délires, est invention, Barbey l'a volé, sans l'ombre de
vergogne, aux livres du marquis de Sade; ce qui seullui
appartient en propre, c'est la tournure catholico-théolo-
logiquequ'il donne à ses abjections.Si je ne parle qu'en
expressions générâtes des livres mentionnés ici, sans
entrer dans les détails, sans en résumer les récits ni en
citer de passages caractéristiques,c'est que ma démons-
tration n'exige pas ce plongeon dans l'ordure et qu'il me
suftit d'indiquer de loin du doigt la sentine qui témoigne
de l'action de Baudelairesur ses contemporains.
Barbey,l'imitateurde Baudelaire,a lui-mêmetrouvéuu
imitateuren M. JoséphinPéladan, dontle premier roman,
i. Fr. Paulhan,op.cit.,p. 92.. En affectant
unefoidesémina-
riste,il (Villiers)
se détectait&blasphémer.Hconsidérait
te droit
au blasphème commesa propriétéparticulière.CeBretoncatho-
Uquefréquentait SatanencoreplusqueBien
ipo t.OTtSME

r<c<?sn~)'f'M<occupenno ptaecéminentedans la tittéra-


ture du diabolisme,M. Pétadan,qui ne s'était pas encore
hisse a ta dignité de grand-roiassyrien, définitdans son
livre ce qu'ii entend par le c vice suprême» « Qu'on
nie Satan! La sorcelleriea toujours des sorciers. des
esprits supérieursqui n'ont pas besoin de grimoire,leur
pensée étant une page écrite par l'enfer, pour l'enfer. Au
lieudu chevreau, ils ont tue en eux t'ame bonne, et vont
au sabbat du Verbe. Ils s'assemblent pour profnner et
sonitter l'idée. Le vice qui est ne leur suffitpas; ils
inventent, ils s'émulent dann la recherchedu Ma<MOK-
veau, et s'ils le trouvent, s'applaudissent.Où est Ja pire,
de la sabaziedu corps ou de celle de l'esprit, de l'action
criminelleou de la pensée perverse?Raisonner,justifier,
héroïserle mal, en établirle rituel, en démontrerl'excel-
lence, est-ce pas pis que le commettre?Adorerle démon
ou aimer le mal, terme abstrait ou concret du fait idén-
tique. H y a de l'aveuglementdans la satisfactionde l'ins-
tinct, et de la démencedans la perpétrationdu méfait;
mais concevoiret théoriser exigentune opération calme
de l'esprit qui est le Vice sM~me Baudelairea
exprimé cela avec bien plus de concisiondans ce seul
vers « La consciencedans le mal

t. JostphinPétadan,Vice<Mpt<me. Paris,tM2,p. t69.


2. LesFleursdu Mal,p. 24<
Têtea têtesombreet timpide
Qu'uncœurdevenusonmiroir!
Puitsde vérité,clairet noir,
Oùtrembleuneétoitelivide,
Unphareironique,infernal,
Flambeau desgrâcessataniques,
Soulagement et glnireuniques,
Laconscience dansle Malt
DÉCADENTS ET ESTHÈTES t0<
Le mêmeVilliersde l'Isle-Adam,qui a empruntéà Bau-
delaire son diabotisme,s'est approprié la prédilectiondo
celui-ci pour l'artificiel et l'a étevée, dans son roman
L'Ève /«<«re, jusqu'à une hauteur drolatique.Dans ce
livre moitiéfantastique,moitié satiriqueet fou au total, il
imagine,commeprochain développementde l'humanité,
un état dans lequella femmede chair et de sang sera sup-
primée et remplacéepar une machineà laquelleil laisse,
ce qui est un peu contradictoire,la forme d'un corps
féminin,et qu'il snffh'ado mettreà point à raide d'une vis
pour obtenirimmédiatementd'elle tout ce que l'on désire
amour, caprices,inudêtité,dévouement,toutesles perver-
sions, touslesvices.C'est réellementplus artincietencore
que les paysagesde fer-blancet de verre de Baudelaire!
Un disciple postérieur, M. Joris-Karl Huysmans,est
plus instructifque tous ces imitateursqui n'ont développé
que l'un ou l'autre côté de Baudelaire,car il s'est soumis
à la tâche difficultueusede composer,avecles diverstraits
isolésqui Fe trouvent dispersésdans les poésies et écrits
en prose du « mattrc », une ligure humaine, et de nous
présenter le baudelairismeincarné et vivant, pensant et
agissant.Le livredans lequel il nousmontreson décadent
modèlea pour titre A re&OMf's.
Le mot « décadent» a été emprunté par tes critiques
-français, entre 1850 et 1860, à l'histoire de l'empire
romain unissant, pour désigner la manière d'être des
Théophile Gautier et notamment des Baudelaire, et,
aujourd'hui,les disciplesde cesdeux écrivainset de leurs
imitateurs antérieurs le revendiquent comme un titre
d'honneur. Autrementque pour tes expressions'<préra-
409 L'ÉGOTISME

phaétites » et « symbolistes nous possédonspour celle-


ci une explicationexactedu sens que ceux qui parlent de
« décadence» et do « décadentsMattachentà ces mots.
« Le style de la décadenceM,dit ThéophiteGautier,
« n'est autrechose que l'art arrivé à ce point de matu-
rité extrême que déterminentà leurs soleilsobliques(') )es
civilisationsqui vieillissent style ingénieux,compliqué,
savant, plein de nuances et de recherches, reculanttou-
jours lesbornes de la langue,empruntantà tous les voca-
bulaires techniques, prenant des couleurs à toutes tes
palettes,des notes à tous les claviers,s'efforçantà rendre
la pensée dans ce qu'elle a de plus ineffable,et la forme
en ses contoursles plus vagues et les plus fuyants,écou-
tant pour tes traduireles conndencessubtilesde la névrose,
les aveuxde la passionvieillissantequi se déprave,et les
hallucinationsbizarresde l'idée fixetournantà la folie. Ce
stylede décadenceest le dernier mot du Verbesomméde
tout exprimer et poussé à l'extrême outrance. On peut
rappeler, à proposde lui, la languemarbrée déjà des ver-
deurs de la décompositionet commefaisandéedu Bas-
Empire romain, et les raffinementscompliquésde l'école
byzantine,dernièreformede l'art grec tombéen déliques-
cence mais tel est bien l'idiomenécessaireet fatal des
peupleset des civilisationsoù la vie facticea remplacéla
vienaturelleet développéchezl'hommedes besoinsincon-
nus. Ce n'est pas chose aisée, d'ailleurs, que ce style
méprisédes pédants,car il exprimedes idéesneuves avec
des formesnouvelleset des mots qu'on n'a pas entendus
encore.A l'encontredu style classique,il admet l'ombre,
et dans cetteombrese meuventconfusémentles larvesdes
BËCADErrrs ET ESTHÈTES toa

superstitions, les fantômes hagards do t'insomnic, tc~


terreurs nocturnes, tes remords qui tressaillent et se
retournentau moindre bruit, tes tthes monstrueuxqu'ar-
rête seule l'impuissance,tes fantaisiesobscures dont te
jours'étonnerait,et tout ce quo t'âmo, au fond de sa ptus
profondeet dernière caverne,recèle do ten6braux,dû dif-
formeet de vaguementhorrible M.
Ces mcmosidées qu~ Gautier exprimeapproximative-
ment dans ce galimatias, Baudetairotes ~noncoen ces
termes « NosemMe-t-Hpas au lecteur, commeil moi,
que la languedo la dernière décadencelatino, suprême
soupir d'une personne robuste déjà transforméeet pré-
paréepour lavie spirituelle, est singulièrementpropre
à exprimerla passiontelle que l'a compriseet sentie le
mondepoétiqueet moderne?La mysticitéest t'autrc pote
do cet aimantdont Catulleet sa bande, poètes brutauxet
purement épidermiques,n'ont connu que le po)o sensua-
lité. Danscette merveilleuselangue,le solécismeet te bar-
barismeme paraissentrendreles négligencesforcéesd'une
passion qui s'oublie et se moque des règles. Les mots,
pris dans une acceptionnouvelle,révèlent la maladresse
charmante du barbare du Nord agenouillé devant la
beauté roma'ne. Le calembour lui-même,quand it tra-
verse ces pédantesqnesbégayements,ne joue-t-ilpas la
grâcesauvageet baroque de t'enfance? »
Le lecteur qui a présent à l'esprit le chapitre sur la
psychologiedu mysticismereconnaît naturellementaus-
sitôt ce qui se cache derrière le verbiage de Gautieret

t. te*FleursduMal,p. n-M.
~t L'ËCOTtSME
de Baudelaire. Leur descriptionde t'état d'âme quo )o
langage <'décadent '< doit exprimer est simplementla
descriptiondo la dispositiond'esprit des dégénères mys-
tiques, avec ses représentationsnébuteusesglissantes,sa
fuited'ombresd'idées informes,ses perversionset aber-
rations, ses angoisses et impulsions. Pour exprimercet
état d'amo, il fauttrouver on effetun langagenouveauot
inouï, puisqu'il ne peuty avoirdans aucun langageusuel
de désignationcorrespondantà dos représentationsqui, en
réalité,n'en sont pas. Hest absolumentarbitrairedo cher-
cher un exempleet un modèled'expression« décadente»
dans la tangue du Bas-Empire, tt aurait été diMcite&
Gautier de découvrir chez n'importe quel écrivain du
tv°et du v* siècle le latin « marbré des verdeurs de la
lécompositionet commefaisandequi l'enchantaitsi fort.
M. Huysmans,exagérantmonstrueusement,à la façondes
imitateurs,l'idée de Gautieret de Baudelaire,donne do
ce prétendulatin du v°siècleta descriptionsuivante « La
languelatine, maintenantcomplètementpourrie, pen-
dait (!), perdant ses membres,coulant son pus, gardant
à peine, dans toute la corruptionde son corps, quelques
parties fermes que les chrétiens détachaientaun de les
marinerdans la saumure de leur nouvellelangue
Cette débauched'un déséquilibréavec perversion gus-
tative dans les représentations pathologiques et nau-
séeuses, est un délire, et n'a aucun fondementdans les
faits philologiques. Le latin des derniers temps de la
décadenceétait grossier et plein de solécismespar suite

i. J.-K.Huysmans,
retom~, p. 49.
ETESTHÈTES
DËCAHEMa <(?
de la barbarie croissaate des nxeurs et du goat des lec-
teurs, do l'étroitesse d'esprit et de l'ignorance gramma-
ticale des écrivains,et de l'intrusiond'élémentsbarbares
dans son vocabulaire,mais très éloignéd'exprimer« des
idées neuvesavec dos formesnouvettes et do prendre
« des co'ueursà toutes les palettes »; il frappe, au con-
traire, par sa maladresseà rendre tes pensées les plus
simples et par son profond appauvrissement.La tangue
allemande,elle aussi, a eu une pareille période do déca-
dence.Ala suite de la guerre de Trente Ans, ses meilleurs
écrivainseux-mêmes, un Moscheroseh,un Zinkgref,un
Schup, étaient, avec « leurs périodes de longue haleine
et embrouilléesMet « leur attitude aussi entortillée que
raide », à peu près « incompréhensiblesH la grammaire
montraitlos pires difformités,le vocabulairepullulait de
mots étrangersy pénétrant de force, mais t'attemandde
cette époque désoléen'était sûrementpas « décadent» au
sens des définitionsde Gautier, Baudelaireet Huysmans.
La vérité est que ces dégénérés ont attribué arbitraire-
ment tour propre état d'âme aux auteurs de la décadence
romaine et byzantine, à un Pétrone, mais surtout à un
Commodiende Gaza, à un Ausone,à un Prudence, à un
SidoineApollinaire,etc., et ont créé d'âpres leur propre
mode'eou leurs instinctsmaladifsun « hommeidéal de la
décadenceromaine », comme Jean-Jacques Rousseaua
inventé le sauvageidéal et Chateaubriandl'Indien idéat,
et l'ont transporté par teur propre imagination dans un

i. HenriKuK,introduction auxécrits simpliciens Leipzig,


i863,t" partie,p. u. Voiraussises remarquessur l'allemand
de
Grimmelshausen d u
(l'auteur $)mpHctMmM), p. Xt.v
e t sqq.
i06 t~OOMSME

passé fabuleuxou dans un pays lointain. M. Pau) Bourget


est plus honnête, quand il renonce & citer chartatanes-
quementles auteurs latins du Bas-Empire et décrit ainsi
ta « décadencen, sans se préoccuper do l'opinion des
parnassiensses mattres « Par le mot décadenceon
désignevotontierst'état d'une société qui produit un trop
grand nombred'individusimpropresaux travauxde la vie
commune.Une sociétédoitêtre assimiléeà unorganisme.
Commeun organisme;en effet,elle se résout en une fédé-
ration d'organismesmoindres,qui se résolventeux-mêmes
en une fédération do cellules.L'individuest la cellule
sociale.Pour que l'organismetotalfonctionneavec énergie,
il est nécessaireque les organismescomposantsfonction-
nent avec énergie, mais avec une énergie subordonnée;
et pour que ces organismesmoindres fonctionnenteux-
mêmes avec énergie, il est nécessaireque leurs cellules
composantesfonctionnentavec énergie, mais avec une
énergie subordonnée. Si l'énergie des cellules devient
indépendante,les organismesqui composentl'organisme
total cessent pareillementde subordonnerleur énergie à
L'énergietotale, et l'anarchie qui s'établit constitue la
décadencede l'ensemble' )'.
Trèsjuste. Unesociétéen décadence« produit un trop
grand nombre d'individus impropres aux travaux de la
vie commune» ces individussont précisémentles dégé-
nérés « ils cessent de subordonner leur énergie à
l'énergie totale », parce qu'ils sont égotistes et qt'.e leur
développementrabougri n'est pas parvenu à ta hauteur

t. PantBourget,
op.0< p. 24.
DÉCADENTS ET ESTHÈTES i07

où l'individuatteint sa jonction morale et intellectuelle


avee la totalité, et leur égotismerend nécessairementles
dégénérésanarchistes, c'est-&-diroennemis de toutes les
institutionsqu'ils ne comprennentpas et auxquellesils ne
peuvent s'adapter. Ce qui est bien caractéristique,c'est
que M. Bourget, qui voit tout cela, qui reconnaît que
« décadent » est synonymed'inaptitude aux fonctions
régulières et de subordinationaux taches sociales,et que
la conséquencede la décadenceest t'anarchio et la ruine
de la communauté,n'en Justine pas et n'en admire pas
moinsles décadents,notammentBaudelaire.C'est là Il la
consciencedans le mal a dont parle sonmaître.
Nous voulons maintenantexaminer le décadent idéat
que M. t!aysmansnousdessinesi complaisammentet si en
détail dans ~<w<. D'abordun mot sur auteur dece
livre instructif.M. Huysmans,le type classiquede l'hysté-
rique sans originalitéqui est la victime prédestinée de
chaque suggestion,commençasa carrière littéraire en
imitateurfanatiquede M. Zolaet excrétaà cette première
période de son développementdesromanset des nouvelles
dans lesquels, commedans Marthe, il dépassa de beau-
coupson modèleen malpropreté.Puis il se détourna, par
un brusquechangementd'idée qui est égalementbien hys-
térique, du naturalisme,accablacette tendanceet M. Zola
lui-mêmedes plus violentesinjures, et se mit à singer tes
diaboliques,en particulier Baudelaire.Un lien commun
réunit d'ailleursses deux manièressi opposées sa lasci-
veté.Celle-làest restée la même.Il est comme« décadent»
langoureux tout aussi vulgairementobscène qu'il fêtait
comme naturaliste » brutal.
)tOS L')6COT)SME

A tv~CM~ peut & peine s'appeler un roman, et


M. Huysmans,du reste, ne nomme pas son livre ainsi.
Celui-ci n'expose pas une histoire, n'a pas d'action, et
s'offre commeune sorte de peinture ou do biographie
d'un hommedontles habitudes,les sympathieset les anti-
pathies, les idéessur tous les sujetspossibles,notamment
sur l'art et la littérature, noussontcontasen grand défait.
Cet hommes'appelledes Esseinteset est le dernier por-
leur d'un antique titre ducat français.
Le duc Jean des Esseintes est physiquementun grin-
galet anémiqueet nerveux, l'héritier de tous les viceset
de toutesles dégénérescences d'une raceépuisée. « Les des
Esseintes marièrent, pendant deux siècles,leurs enfants
entre eux, usant leur reste de vigueur dans les unions
consanguines. La prédominancede la lymphe dans le
sang apparaissait», (Cetemploid'expressionstechniques
et de phrases vides d'apparencescientitiqueest particulier
a beaucoupd'écrivainsdégénérésmoderneset à leursimi-
tateurs.Ils sèmentcesmotset ces expressionsautour d'e'n
commele « valet instruit Hd'une farce.allemandeconnue
sèmeautour de lui ses bribes de français,mais sans être
plus au couran' de la scienceque cetui-oin'est au courant
de la langue française).Des Esseintes fut élevé chez les
jésuites,perdit de bonne heure ses parents, mangeaen
nocesstupides,qui l'accablaientd'ennui, la majeurepartie
de son patrimoine, et se retira bientôt de la société,qui
tui était devenueinsupportable.« Son mépris de l'huma-
nité s'accrut; il comprit enfin que te monde est, en
majeure partie, composé de sacripants et d'imbéciles.
Décidément,il n'avait aucun espoir de découvrir chez
DÊCAMMT8 ET ESTHÈTES io9
autrui les mêmes aspirations et tes marnes haines,aucun
espoirdo s'accoupleravecuneintelligencequi se compta,
ainsi que la sienne, dans une studieuse décrépitude.
Enerve, mat à t'aise. indignepar l'insuffisancedes idées
échangéeset reçues, il devenaitcommeces gens qui sont
douloureux partout; il en arrivait a s'écorcher constam-
ment l'épiderme,à souffrirdes balivernespatriotiqueset
socialesdébitée* chaque matin, dans les journaux. II
rêvait à une thebaMeraMnt*'e. à un désert confortable,à
une arche immobile et tiède ou il se réfugierait loin do
l'incessantdéluge de la sottisehumaine».
!t réalise ce rêve. tt liquide ses biens, achète des
rentes sur )'Ëtat, réunit de la sorte un revenu annuel de
cinquantemille livres, découvreune bicoque Il a vendre
tout près de Paris, dans un endroit écarté, sans voisins,
t'acquiert, et commencealors à s'organiser suivant son
goût.
« L'artificeparaissaità des Esseintesla marquedistinc-
tive du géniede l'homme.Commeil le disait, la naturea
fait son temps; elle a définitivementlassé, par la dégoû-
tante uniformitéde ses paysageset de ses ciels. t'attcntive
patience des raffinés.Au fond, quelle platitudede spécia-
liste confinédans sa partie, quelle petitessede boutiquière
tenant tel articleà l'exclusionde tout autre, quel monotone
magasinde prairies et d'arbres, quelle banale agence de
montagneset de mers! » (P. 31).
Il banniten conséquencede son horizontout ce qui est
naturel, et il s'entoure d'artificiel.!t dort dans la journée
et ne quitte le lit que vers le soir, pour passer la nuit à
lire, à rêver, dans son rez-de-chausséeéclairé à jour. Il
«o t/~GOTfSME
ne franchitjamais le sruil do sa maison.Il ne veut voir
personne,et mème sonvieuxdomestiqueet sa femmedoi-
vent iaire leur besognependant qu'il dort, de façon&ne
pas apparattre a ses ye<n. n ne reçoit ni lettres ni jour-
naux, n'apprend rien du monde exteneur, tt n'a jamais
d'appétit, et quand, par hasard, celui-ci se réveillait,« il
trempait ses rôties enduites d'un extraordinairebeurre
dans une tasse de thé, un impeccablemélangede Si-a-
Fayoune,de Mo-you'-Tann et de Khansky,des thés jaunes,
venus de Chine en Russie par d'exceptionnellescara-
vanes » (P. 61).
Sa salle à manger ressemblaità la cabine d'un
navire », avec « sa petite croiséeouvertedans la boiserie,
de même qu'un hublot dans un sabord ». Elle était
insérée dans une pièce plus grande percée de deux
fenêtres, dont l'une était placéejuste en facedu hublot
pratiqué dans la boiserie. Un grand aquarium occupait
tout l'espace compris entre le hublot et cette fenêtre; le
jour traversait donc, pour éclairer la cabine, la croisée,
dont les carreaux avaient été remplacéspar une glace
sans tain, puis l'eau. « Quelquefois,dans l'après-midi,
lorsque,par hasard, des Esseintesétait réveinéet debout,
it faisaitmanœuvrerle jeu des tuyauxet des conduitsqui
vidaient l'aquarium et le remplissaientà nouveau d'eau
pure, et il y faisaitvenir des gouttes d'essence colorées,
s'offrant, à sa guise ainsi, les tons verts ou saum&tres,
opalins ou argentés, qu'ont les véritablesrivières, suivant
la couleurdu ciel, l'ardeur plus ou moinsvive du soleil,
les menacesplus ou moins,accentuéesde la pluie, suivant,
en un mot, l'état de la saison et de l'atmosphère. H se
C&CAttENTS ET ESTH&TES <u

figuraitalors être dans t'ontre-pontd'un brick, et euHeM*


semontit contemplaitde merveittcuxpoissonsmécaniques,
montés comme des pièces d'horlogerie, qui passaient
devantla vitre du sabordet s'acerothatcntdansdo fausses
herbes; au bien, tout en aspirant la senteur du goudron,
qu'on insufflaitdans la pièce avant qu'il y entrât, il exa-
minait, pendues au mur, des gravures en couleur repré-
sentant, ainsi que dans les agencesdes paquebotset des
Ltoyd, des steamers en route pour Valparaio et la
Plata (P. 27),
Ces poissons mécaniquessont décidémentptus remar-
quablesque le paysageen fer-blancde Baudelaire.Maisce
rêve de quincaillierretiré des affaireset devenuidiot n'est
pas l'unique jouissancedu duc des Esseintes,qui méprise
si profondément« la sottise et la vutgaritedes hommes»,
bien qu'aucune de ses connaissaaces sans doute n'aurait
eu t'idee d'une ànerie pareille à ces poissonsmécaniques
à mouvementd'horlogerie.Quandil veuttout particulière-
ment jouir, il composeet se joue une symphoniegustative.
Hs'est fait construire une armoirecontenantune série de
petits barilsà liqueurs. Une tige peut rejoindre t~us les
robinets, les asservirà un mouvementunique de sorte
qu'it suffitde toucherun boutondissimulédans<aboiserie,
pour que toutes les cannelles remplissentJe liqueurtes
« imperceptibles gobeletsplacésau-dessousd'elles. Des
Esseintesnommecettearmoire son « orgue à boucheo.
(Que t'en remarque toutesces complicationsrisibles pour
se procurer de plusieursbarilsun peu de tiqueur! Comme
s'it est besoinpour celade tout ce mécanismeà n'en pas
finir!) « L'orgue se trouvait alors ouvert. Les tiroirs
tt: t.'ËaOTÎSMR

étiquetés« <!ôte,cor, voixcéleste », étaienttires, prêts &


la manœuvre.DesEsseintesbuvaitune goutte, ici, là, se
jouait des symphoniesintérieures, arrivait à se procurer,
dans le gosier, des sensationsanatogufsà celles que la
musiqueverseà l'oreille. Du reste, charte liqueurcorres-
pondait, selon lui, commegoût, au son d'un instrument.
Le curaçao sec, par exemple,à la clarinettedont le chaut
est aigrelet et vetoutê; te kummelau hautbois dont le
timbre sonore nasitto; la menthe et l'anisette à la Mute,
tout à la foissucrëcet poivrée, piaulanteet douce; tandis
que, pour compléterl'orchestre, le kirsch sonne furieuse-
ment de la trompette; le gin et le whiskyemportent !o
palaisavectoursstridentséclatsde pistonset de trombones,
l'eau-de-vie de marc fulmine avec les assourdissants
vacarmes des tubas, pendant que roulent les coups de
tonnerrede la cymbaleet de la caisse frappes a tour de
bras, dans la peau de la bouche, par les rakis de Chioet
les mastics o. 11joue ainsi « des quatuors d'instruments
a cordes. sousla voûte palatine,avecle violonreprésen-
tant la vieille eau-de-vie,fumeuseet fine, aiguë et frète;
avec l'alto simulépar le rhum plus robuste, plus ronflant,
plussourd»; avec le vespétrocommevioloncelle,le bitter
commecontrebasse;la chartreuse verte en était le mode
maje~ la bénédictinele mode mineur, etc. (P. 63).
Des Esseintes n'entend pas seulementla musiquedes
liqueurs, il reniue aussila couleurdes parfums.De même
qu'il a un orgue à bouche, il possède une galerie de
tableaux nasale, c'est-à-dire un nombre considérablede
Maçonsrenfermant toutes tes substances odorantes pos-
sibles.Quandsessymphoniesdu goûtne luicausentplus de
CËCADENTS ET ESTHÈTES «a

plaisir, i) se joue un ah' olfactif. Assis dansson cabinet


do toilette,devantsa table, unepetitefièvrel'agita, il fut
prêt au travail. Avecses vaporisateurs,il injecta dans la
pièce une essenceformée d'ambroisie, de lavande de
blitcham, de pois de senteur, de bouquet, une essence
qui, lorsqu'elle est distilléepar un artiste, mérite le nom
qu'on lui décerne, « d'extrait de pré ncuri »; puis, dans
ce pré, il introduisitune précise fusionde tubéreuse, de
fleur d'oranger et d'amande, et aussitôtd'artificielslilas
naquirent, tandis que des tilleuls s'éventèrent, rabattant
sur le sol leurs pâles émanations. Ce décor posé en
quelques grandes lignes, it insufna une légère pluie
d'essences humaines et quasi-félines,sentant la jupe,
annonçant la femme poudrée et fardée, le stéphanotis,
l'ayapaua, l'opoponax, le chypre, le champaka,le sar-
canthus, sur lesquelsil juxtaposaun soupçonde seringa,
afin de donner, dans la vie facticedu maquillagequ'ils
dégageaient,un fleur naturel do rires en sueur (!). de
joies qui se démènentau plein soleil» (P. 15~-157).
Nousavonsvu commeM. Huysmanssuit servilementà
la lettre, dans ses caquetagessur le thé, les liqueurset les
parfums, le précepte fondamentaldes parnassiens,qui
consisteà éveatrerles dictionnairesspéciaux.Il a évidem-
ment dû copier les cataloguesdes voyageursen parfu-
meries et en savons, en thés et en liqueurs,pour réunir
son éruditionde prix courants.
Quedes Esseintes, à ce régime, deviennemalade,cela
n'est pas surprenant. Son estomacrefusetoute nourriture,
ce qui rend possiblele suprême triomphede son amour
pour l'artificiel on est obligéde lenourrir avecdes lave-
Ma NoBB~r. Ms~~MMC. M 9
Ht L'taoTtSWE

monts peptoniscs, c'est-à-dired'une manKsreabsolument


opposéeà la manièrenaturelle.
J'omets beaucoupde détails, pour ne pas devenir trop
prolixe; par exemple, une descriptionsans fin des tons
associesaux couleurs (P. 17-30); celle d'orchidéesqu'il
aime, parce quelles ont pour lui une apparence 'de dar-
tres, de cicatrices,de croûtes, d'ulcères et de chancres,
paraissent convertis de pansements,plaquées d'axange
noire mercurielle,d'onguentsverts debelladone(P. 120);
ttne expositiondu côté mystiquedes pierres précieuses
et demi-précicuscs(P. &7-60),etc. Je ne veux ptus que
signalerquelquesautres particularitésdu goût de ce déca-
dent-type.
« La verve sauvage, le talent ûprc,éperdu de Goya,le
captait; mais l'universelleadmiration que ses oeuvres
avaient conquise le détournait néanmoinsun peu, et il
avait renoncé, depuis des années, à les encadrer. En
effet, si le plus bel air du mondedevient vulgaire, insup-
portable, dès que le publiele fredonne,dès que les orgues
s'en emparent, t'œuvre d'art qui ne demeure pas indiffé-
rente aux faux artistes, qui n'est point contestéepar des
sots, qui ne se contente pas de susciterl'enthousiasmede
quelques-uns,devient, elle aussi, par cela même,pour les
initiés, polluée, banale, presque repoussante (P. 1S4).
L'exemptede l'orgue est un truc destinéà égarer le tec-
teurinattentif.Si un bel air devientinsupportable,joué sur
les orgues, c'est que les orguesjouent d'une façonfausse,
criarde et dénuée d'expression, c'est-à-dire modiSent
l'essencemêmede l'air et l'abaissentà la vulgarité; mais
l'admiration du plus grand nigaud lui-mêmene change
ET ESTHÈTES
DÉCADENTS its
absolumentrien à t'tcuvre d'art, et ceux qui l'ont airn~t~
pour sesqualités retrouveronttoutesces qualitéscomptctes
et intactes, même quand tes millionsde regards de philis-
tins insensiblesauraient rampésur elle. La vérité est que
le décadentcrevant de sotte vanitétrahit ic. involontaire-
ment son fond le plus intime.Ce gar~on-~n'a, en fait, pas
la moindre compréhensionde l'art ot e:!t complètement
inaccessible au beau, comme & toutes tes impressions
extérieures; pour savoir si une œuvre d'art lui pMt ou
non, il no regarde pas t'fouvre d'art, oh non! it lui
tourne le dos, mais étudie anxieusementles mines des
gens qui se tiennent devant elle; sont-ils enthousiasmés,
le décadent méprise t*a'uvrc; restent-ils indifférentsou
paraissent-its mémo se fâcher, il l'admire avec con-
viction. L'homme banal cherche toujours a penser, a
sentir, à faire la même chose que la foule; le décadent,
tui, chercheexactementle contraire.Tousdeux tirent donc
leur manière de voir et leurs sentimentsnon de leur inté-
rieur, mais se les laissentdicter par la foule. Tous deux
manquent de personnalité, et ils doiventavoir constam-
ment les yeux fixéssur la foule,pour trouver leur route.
Le décadent est donc simplementun hommebanal avec
le signe MMMKs, qui, absolumentcomme celui-ci, seule-
menten sens contraire, se dirige d'après la foule, maisse
rend toutefoisles choses bien plus difficilesque l'homme
banal et se fait continuellementdu mauvaissang, tandis
que celui-cireste joyeux.On peut résumerceci dans une
proposition le snob décadentest un philistin atteint de
la manie de contradictionet anti-social,sans le moindre
sentimentpo'ir t'œuvre d'art elle-même.
<t6 L'ÈGOTtSME
Entre ses séancesdégustativeset olfactives,desEsseintes
lit parfois aussi. Les seules œuvres qui lui plaisent sont
naturellementcettes des parnassiens et des symbolistes
les plus excessifs.Car il trouveen eux (P. *M}6) « l'agonie
de la vieillelanguequi, après s'être persilléede siècleen
siècle,finissaitpar se dissoudre,par atteindrece detiquixm
de la tanguelatine qui expirait dans les mystérieuxcon-
cepts et les énigmatiquesexpressionsde saint Bonifaceet
de saint Adhelme.Au demeurant,la décompositiondo la
langue française s'était faite d'un coup. Dans la langue
latine, une longue transition,unécart de quatre centsans
existaitentre le verbe tacheté et superbe de Oaudieh et
de Rutilius et le verbe faisandédu vm" siècle. Dansla
langue françaiseaucun laps de temps, aucune succession
d'âge n'avait eu lieu; le style tacheté et superbe des de
Goncourtet le styte faisandéde Verlaineet de Mattarmé.
se coudoyaientà Paris, vivanten mêmetemps, à la même
époque, au même siècle ».
Nousconnaissonsmaintenantte goût d'un décadent-type
dans tous les sens. Jetous encoreun coup d'œit sur son
caractère,sa moralité, son sentiment,ses vues politiques.
Ma unami, d'Aigurande,quisongeunjour à se marier.
« Se basant sur ce fait que d'Aigurandene possédait
aucunefortuneet que la dotde sa femmeétait à peu près
nulle, il (desEsseintes)aperçut, dans ce simplesouhait,
une perspectiveinfiniede ridiculesmaux». Il encouragea
en conséquence(!) sonamià commettrecettefolie,etce qui
devait arriver arriva le jeun" couplemanqua d'argent,
tout devint sujet à aigreurs et à querelles,bref, la vieleur
fut insupportable; lui, s'amusaau dehors; elle, « quêta,
M~CAMiNTa
ETESTHÈTES a?

parmi les e" t6diontsdo t'adultère, t'ouMido sa vie ptu-


\ieuse et plato ». D'un communavis, ils resiticrenttour
bail et requorirentla séparationdo corps. « Monplan de
bataille était exact, s'était alors dit des Esseintes,qui
éprouva cotto satisfaction dos straMgistes dont les
manœuvres,prévues do loin, réussissent».
Uneautrefoisil se croiseun soir, ruede Rivoli,avecun
garçond'environseizeans, un enfant « pa)otet fut~ » qui
fumait une mauvaise cigarette et lui demandedu feu.
Des Esseinteslui offre d'aromatiquescigarettesturques,
lie conversationaveclui, apprend que sa mère est morte,
que son père le bat, et que le garçon travaille chezun
cartonnier. « Des Esseintes l'écoutait pensif. Viens
boire, dit-il. Et il l'emmenadansun caféoa il lui lit servir
de violents punchs. L'enfant buvait, sans dire mot.
Voyons,nt tout h coup des Esseintes, veux-tu t'amuser,
ce soir? c'estmoi qui paye ». Et il emmènele malheureux
dans um maison publique,où sa jeunesse et son trouble
étonnent les filles. Tandis qu'une des donzellesentraine
i'enfant, la tenancière demande ad es Esseintesquelle idée
il a eue là de teur amenerce galopin.Le décadentrépond
(P. 9&) « Je tâche simplementde préparer un assassin.
Ce garçonest vierge et a atteint l'àge où le sang bouil-
tonne il pourrait courir après les Mettes de son quartier,
demeurerhonnête, tout en s'amusant. Au contraire, en
l'amenant ici, au milieu d'un tnxe qui! ne soupçonnait
même pas et qui se gravera forcémentdans sa mémoire;
en lui offrant,tous les quinzejours, une telle aubaine, it
prendra l'habitudede ces jouissancesque ses moyenslui
iuterdisent; admettonsqu'il faille troismoispour qu'ettes
Uf t.fOTtSMR

lui soient devenuesabsolumentnéco~airM; eh bien au


bout do cestrois mois jo supprime la petite rente que ja
vais te ver? r d'avancepour cette bonne action, et alors
il votera, ann do séjourner ici. H tuera, je t'espcre, le
monsieur qui apparaltra malà propos tandis qu'il tentera
do forcer son secrétaire. Alors, mon but sera atteint;i
j'aurai contribue, dans la mesure do mes ressources, à
crcor un grcdin, un ennemi do plus pour cette hideuse
sociétéqui nous rançonne'). Et il quitte ce premiersoir te
pauvre enfant souillé, en lui disant « Retourneau plus
vile chez tort pora. Faisaux autres ce que tu ne veuxpas
qu'ils to fassent;aveccettemaximetuiras toi"Bonsoie.
Surtoutno sois pas ingrat. Donne-moile plus tôt possible
do tes nouvoHes,par la voie dos gazettes judiciaires ».
tt voit des gamins pauvres du village qui se battent
pour un morceaudo pain noir recouvertde fromage mou.
H ordonneaussitôtqu'on lui apprête une tartine pareille,
et dit a son domestique « Jetezcette tartine&cesenfants
qui se massacrentsur la route. Que les plus faiblessoient
estropiés,n'aient part à aucunmorceauet soient, de plus,
rossés d'importancepar leurs familles quand ils rentre-
ront chezelles lesculottesdéchiréeset tes yeuxmeurtris;
cela leur donneraun aperçu de la vie qui tes attend »
(P. 236).
S'il songeà la société, ce cri s'échappe de sa poitrine
« Eh1 crouledonc, société1 meursdonc, vieux monde
(P. 293).
Pour que les lecteursLe soient pas en peine de la suite
des destins de des Esseintes, ajoutons qu'une grave
maladienerveuse l'atteint dans sa solitude, et que son
DËCADES-ra ET E~TH~TM U9
médecin exige impérieusementqu'it retourna à Paris,
rentre dans ta vie commune. Un second roman de
M. Huysmanst, JE,A-~aa,nous montre ensuite co que 'des
EMemt<)a fait &Paria. Il écrit une histoire do Cittea do
Rais, J'assassinsadique du &v*sièclo, sur tequet te livre
de Moreau(de Tours) traitant dos aberrations sexuotles
a visiblementappoMl'attentionde la bande dos diaboli-
ques, on général profondémentignorante, mais erudite
sur cettematièrespociatode t'crotomanio,et cela fournit
l'occasionà M. Huy!'n<ans do fouilleret do reniftofavec
une satisfactionporcinedans lesordures les plus oft'roya-
bles. 11exposeen outre dans ce Mvrole cote mystiquedu
deeadentismc,il nousmontrodes Esseintesdevenudévot,
maisallanten mêmetempsà la « messenoire avecune
femmehystérique,etc. Je n'ai aucuneraison pour m'occu-
per de ce livre aussi répugnantque niais. Ce quej'ai
voulu, c'est montrer l'hommeidéaldu decadentismo.
Le voilà, le « surhomme n que revent Baudelaireet
ses disciples,et auquel ils cherchent à ressembler phy-
siquement,maiadcet faiblo;moralement,un fieffécoquin;
intellectuellement,un idiot sansnom qui passeson temps
Achoisirartistementles couleurs des étoffes qui doivent
tapissersa chambre,à observer les mouvementsdo pois-
sons mécaniques,à Oairer des parfums et &lécher des
liqueurs. Son inventionta ptus corsée, c'est de veitterla
tit et de dormirle jour, et de tremper sa viandedans
son thé. L'amouret l'amitié lui sont inconnus.Son sens
artistique consisteà guetter l'attitude des gens en face
d'une œuvre, pour prendre immédiatement l'attitude
opposée.Son inadaptabititécomplètese révèle en ce que
<ao )L'~f)Ot!8ME

chaque contact avec la monde et !es hommeslui eauso


des douleurs, Hrejette naturellementsur ses samb!ab..s
la causa do son matais et voci<~M contraeux commeune
poissarde. !t les quatiueen masse do coquinset d'imbé-
cites, et profère à leur adresse d'horribles malédictions
anarchistes.Ce crétin se regarde commeinfinimentsupé-
rieur aux autres, et sa sottise !nomcn'a d'égale que son
adoration grotesquedo lui-même. !) possède cinquante
mille francs do rente et doit aussi les posséder, cai' un
lamentablesiro parcHne serait pM en ctat d'arracher un
sou à la sociétéet un grain do b)6à la nature. Parasitedo
la plus basseespèce, sortedo saccutushumain il serait
condamné, s'il était pauvre, & mourir misorabtementdo
faim, au cas oit la société, dans sa bontémat employée,
ne lui assurerait pas le nécessairedans un asile d'idiots.
Si M. Muysmansnous a montrédans son des Esseintes
le décadentavec prédominancedo perversionde tous les
instincts, c'est-à-dire le complotbaudelairienanti-nature
avec folie esthétique et diabolismeanti-sociat, un autre
~.présentant en vue do la littérature décadente,M. Mau-
rice Barrès, incarne to pur egotismodu dégénère inca-
pable d'adaptation.It a consacréjusqu'ici au « culte du
moi Mune série de quatre romans, et commentéen outre

t. LeMccutus estuncirripèdequivit&i'ètMde parasitedanste


eanatintestinalde certainscrustacés.Il représentela pluspro-
fondetransformation régressived'unêtre vivantprimitivement
d'uneorganisation plusétevée.Ma perdutoussesorganesdiffé-
renciéset ne formeplusen substancequ'unevésicule(d'oùson
nom petit sac)qui s'emplitdes sucsde l'hôteabsorbéspar le
parasiteà l'aidede quelquesvahseautqu'ilenvoiedansla paroi
intestinaledecelui-ci.Cetêtre rabougria si peugardédechoses
d'un animalindépendant, qu'on l'a tenu longtempspour une
mcroissance maladive de t'intestinde sonnote.
HÈCAMMTa ET tSTHÈTES t8t

les trois premiers dans une brochure presque plus pré-


ciousopour notre cnqn&to<)uates romans marnes, en ce
que toustes sophisme!! par tosquetsh consciences'fforco
d'expliquer mensongeromonttes obsessions do l'incon-
scient malade apparaissentici commodémentrésumesen
une sorte de systèmephilosophique.
Quelques mots sur M. Maurice Barres. !t commenta
par faire parier do lui en défendantdans la presse pari-
sienne son ami ChamM~e,un cutthatt'tu' it~iquo de son
<'moin. Puisii devint députaboutangiste,et plus tard il
canonisaMario !<asc!))<irtsoff, une degen~roomorte jeuno
do phtisie, atteinte do folio moralo, d'un commencement
do délire des grandeura et do la persécutionainsi que
d'exaltationérotiquemorbide,soust'invoMtionde«Notre-
Dame du Sleeping » Ses romans .S~«t f<e<7des
Far&at'M, Un //oMma f<6M,Le Jat'~i'H<~~'eMt'ee et
Zt'~MHeMtdes lois, sont construits d'après la formule
artistique établie par M. Muysmans.Le tableaud'un être
humaitt,de sa vieintellectuelleet do ses destmeesexté-
rieures monotonesà peine modulées, douno à l'auteur
prétexte d'exprimer ses propres idées sur toutes tes
chosespossibles sur Léonard de Vinci et Venise sur
un muséede provinceet l'art industrieldu moyen&ge
sur Néron Saint-Simon,Fourier, Marx et Lassalle
Jadis il était d'usage d'utiliseren articles de journauxou
de revues,que l'on publiaitensuiteen volumes,ces excur-
<.Maurice Barrès,!'t'eH~fa<«MM<fep~eyM</t<)'<<?.Paris,<892.
Deuxi6me station.
Id., UnHomme être,3' édition.Paris,1892.
3. Id., LeJardindeBérénice. Paris,H9t,p. 3Ï et sqq.
4. LeJardinde Bérénice, p. 245et sqq.
Maurice Barras,t'Ennen))<fM M).Paris,1893, p. 63,88,tie.
tM t.'taaT<8M:

sions sur t<wtes terrains possibles.Mais t'exp~ricncea


apprisque te publicna témoignapas beaucoupd'iat&r&t&
ees reoueits d'articles, et tt~ 'adt'nt~ ont ou l'habita
idée de tes relier ensembh)au moyeud'un (!t do récit à
peinoperceptibleet de les servir aux tecteuracomoe des
romans.Les rantancieraanglaisdu siècle pr~cédeat,puis
Stendhal, Jean-Paul et C<e<ho lui-mêmo, ont coaMttaussi
ces broderiesde r~ftoxioa:'personnellesdo l'auttiursur te
t'MOMsdu r~cit, mais cht'tt eux (&l'exceptionpeut'&tM
de Jean-Paul) ces intercalationsétaient <« moias subor-
données à t'ensemble de )'<fWM. Il était réservé à
M. Huysmanset à son écoledo faire d'oUesle principalet
do transformerte roman, do po~ie épiqueen prose qu'il
était, en un mélangehybride des Essais de Montaigne,
des Paf<<t et PamM~oMMado Schopenhauer,et des
épanchementsde Journald'une pensionnairede couvent.
M. BarrèsM cache nullementque, dans ses romatM,it
a ~!peint son propre être et qu'il se tient pour le repré-
sentant typique d'une espèce. « Ces monographies.
sont, dit-il, un twMM'~emea(sur un type de jeune
homme déjà fréquent et qui, je te pressens, va devenir
plus nombreuxencoreparmi ceux qui sont aujourd'hui
au tycee. Ces livres. seront consultes dans la suite
comme documents ».
Quette est la nature de ce type? Répondonsà cette
questiondans les termesmêmesde l'auteur. Le héros des
romans est « un. peu lettré, orgueilleux, raNné ett
désarmé » (EjMmeM,P. il): < un jeune bourgeoispali,

i. Maurice
Barrès,Etajnmde<n)M Paris,K92,p. t4.
idéologies.
ETKSTMtTZS
f~CACKNTa <M
affaméde tous les bonheurs » (P. 28) « découragé du
contact avec lei hommes (P. 3<t); il est un do ceux
« qui se trouventdans un état faeheMXan milieutlat'ordre
du monde, qui se sentef. faiblesdevantla vie (P. A&).
Peut-onimagineruue doscf)pttonptus comptèt~du d~g~.
Nër~incapabled'adaptation, maloutilléon vue de la lutte
poorfe~tstence,et ha~sant et craignant, par cette raison,
le mondeet les hommes,mais secouapn même temps do
d~irs matadih?
Copauvre être d6)abt~,que la faibtttssade volonté de
son cerveau imparfait et le perp~tMottumutto do ses
organes matMinsrendent n&cesMiMtaent égotiste, élève
ses im!fm!t~sà la hauteur d'un systèmequ'il proclame
orguoiOeusement (P. i8) « Il convient quo nous nous
on tenions &ta seule réalité, au MoiIl (P. &5). « Mn'y
a qu'une chose que nousconnaissionset qui existo réelle-
ment. Cetteseuleréalité tangiblo, c'est le Moi, et l'uni-
vers n'est qu'une fresque qu'il fait boue ou laide.
Attachons-nousà notre Moi, protégeons-le contra les
étrangers, contre los Barbares ».
Qu'entend-ilpar tes Barbares?Ce sont les « êtres qui
de la vie possèdentun rêve opposéà celui qu'il (le héros
d'un de ses livres) s'en compose.Fusscnt-its par ailleurs
de uns lettres, ils sont pour lui des étrangers et des
adversairesM.Un jeune homme « contraintpar la vie &
fréquenter des êtres qui no sont pas de sa patrie psy-
chique » éprouve un froissement». « Ah! que m'im-
porte la qualité d'âme de qui contredit une sensibilitét
Cesétrangers qui entraventou dévoientle développement
de tel Moidélicat,hésitantet qui se cherche,ces barbares
iat L'~aOTtSME

par qui plus d'un jeuno homme impressionnaet faittira


à sa destinée et ne trouvera pas sa joia de vivre, je les
hais H(f. 33). u Soldats, Magistrats,moralistos,Muea-
teura co sont là tes Harbarcs qui mettentobstacleau
développementdu « moi (P. A3).En un mot, le « moi »
qui ne peut s'oricntordans l'ordre social,regardecomme
ses ennemiston!'les représentantset tes défenseursdocet
ordt'f. Ce qu'il voudrait, ce serait « se livrer sans réac-
tion aux forcesdo son instinct » (P. 25), distinguot'« oit
sont sostcuriosité sincères, la directiondo son instinct,
sa ~'erito (P. t7). Cette idée d'affranchir rinstinct, la
passion, t'inconMient,de la ~nrvciuancode la raison, du
jugement, de ta conscience,reyicnt des centainesdo fois
dans les romansdo l'auteur. « Le goût tient ticude mora-
lité » (~BnncMt des lois, P. 3). « Homme,et homme
libre, puiss6-joaccomplirma destinée, respecteret favo-
riser mon impulsion intérieure, sans prendre conseil de
rien du dehors! M(P. 22). « Sociététracée au cordeau!1
Vousoffrez l'esetavagoà qui ne se conforme pas aux
deQaitionsdu beau et du bien adoptées par la majorité.
Au nom de l'humanité, commejadis au nom do Dieuet
do la Cité, que de crimes s'apprêtent contre l'individu!1»
(P. 200). « tt n'y a pas à contraindreles penchantsde
l'homme,maisà leur adapter la formesociale (P. 97).
(Qu'it fut beaucoup plus simpto d'adapter à la forme
sociale faisantloi pour des millions d'hommes, les pen-
chants d'un seut homme, c'est là une idée qui ne vient
pas même à notre philosophe!).
H est absolumentlogiqueque M. Barrès, après nous
avoir montré dans ses trois premiers romans ou « idéo-
ntCAMNTSET KSTH&TEa tas

togics » ta dévetoppcmpntJe son « cultivateurdu moi a,


fasse devenir cotui-cianarchisteet « ennemi des lois
Maisil sent lui-mêmequ'onlui objecteraa juste titre quo
la sociéténe pont existersans une loi et un ordre quel-
conques,et il cherche a provenir cette objectionen aMr-
tnant que chacun sait se conduiretui-memc,que t'instinct
est bon et infaillible « No sentez-vous pas, dit-il
(P. i77), que notre instinct a pronte du long appren-
tissagede notre race parmi tes codeset les religions? )'.
It avoue doncque « religionset codes )' ont tour utilitéet
tcur nécessité,mais seulement&une période prhnitivedo
l'histoire humaine. Lorsque les instincts étaient encore
sauvages,mauvaiset déraisonnables,ils avaientbesoindo
la disciplinede la loi. Maismaintenantils sonttellement
parfaits,que ce guide et ce mattre no tour est plus néces-
saire. 11y a pourtant encore des criminels?Que faire de
ceux-ci? « En les étouffantde baisers et en prévenant
leurs besoins,on les empêchede nuire ». Je voudraisbien
voir M. Barres obligé, dans jnc attaque nocturne, a
employersa méthodede défensecontredes assassins.
Se laisser mener p ses instincts, c'est, en d'autres
termes,faire l'inconscientmaîtrede la conscience,subor-
donner les centres nerveuxles plus éteves aux centres
inférieurs. Or, tout progrès repose sur ce que les centres
les plus élevés exercentde plus en plus d'autoritésur
l'organismeentier, que le jugementet la volontédomptent
et dirigent de plus en plus sévèrementles instinctset les
passions, que la conscienceempiète toujours davantage
sur le domainede l'inconscientet s'annexe toujours de
nouvellesparties de cetui-ci.Certes, l'instinctexprimeun
tM t.'taODSME

besoin directementsenti dont la satisfactionprocure un


plaisirdirect. Maisco besoinest souventcetuid'un unique
organe, et sa satisfaction,quoiqnoagr~abteà l'organe qui
la réclame, peut ptre nuisibtoet mcmemortelle&l'orga-
nisme total. Puis, il y a des instinctsanti-sociauxdont la
satisfaction,il est vrai, n'est pas directementnuisiblea
l'organismotnCmo.mais rond diMcih)ou impossiblesa
vie en communavec t'Mp~'c, p)osntanvai~cs,par fonsé-
~Mcnt,M'aconditionsvitales,et prépara indir<'cten'eatsa
ntiuo. Le jugement seul est appote & opposer a eos ins-
tinctsla repreMatationdes besoinsdo rorganiiimototal et
de t'espece,et la volontéa la tâche d'assurerà la repré-
sentationrationnellela victoiresur l'instinct suicide. Le
jugementpeut se tromper, car il est le résultatdu travail
d'un instrumentsupérieurementdifférenciaet délicat qui,
comme toute machinettno et compliquée,se dérange et
refusele serviceplus facilementqu'un outit ptus simptoet
ptus grossier; l'instinct, cette expériencedo l'espèce
héritée et organisée, est, en regto générale,plus sur;
celadoit être certainementadmis.Maisoù est le malheur,
si le jugement se trompe une fois dans une défensequ'il
oppose à l'instinct? L'organisme, la plupart du temps,
n'est alors privé que d'un sentimentmomentanédo plai-
sir, il souffredonc au plus un dommagenégatif; maisla
volontéaura fait un effort, acquisdo la vigueurpar t'exer-
cice, et cela est pour l'organisme un prout positif qui
balance,certes,presque toujours ces dommagesnégatifs.
Et toutesces considérationsprésumentta santé parfaite
de t'organisme, car dans cette-ci seulement travaillent
normalementaussi bien l'inconscientque la conscience
ttËCADENTS ET KSTHÈTÎS <a?

Maisnous avons vu plus haut quo l'inconscient,lui aussi,


est soumis la maudit'; il peut être stupide, obtus et
aliéné commela fonseience;ators il cf~p eompt~tcment
d'être sur; alors les instinctssontdes guidesaussidépour-
vus de valeur que des aveuglesou des gens ivres; alors
t'or~anisme,s'il s'abandonneà eux, doit aboutirà la ruine
et a la mort; la seule chose qui puisse parfois alors le
sauver est la vigilance constante, anxieuse, tendue, du
jugement,et commecelui-cin'est jamais capable, par ses
propresressources,de résister&une fortecohued'instincts
revottcset faisant rage, il doit allor demanderdu renfort
au jugement de l'espèce, c'est-à-dire à une loi, &une
tnoratitereconnues quelconques.
Telle est la folioaberrationdes « cultivateursdu moi
tombantdans to m~modéfaut que les suporHciets psycho-
logues du xvm° sieete, qui reconnaissaie.ttseulementla
raison, ils ne voient qu'une partie do la vie intellectuelle
de l'homme son inconscient;ils veulentrecevoirleur loi
uniquement de l'instinct, mais négligentcomplètement
de voir que l'instinct peut dégénérer, tomber malade,
s'épuiser, et devenir alors aussi inutilisablecommelégis-
lateur qu'un fou furieux ou un idiot.
M. Barrescontreditd'ailleurs à chaque pas ses propres
théories. Tandis qu prétend croire que les instinctssont
toujoursbons, il dépeint, avecles expressionsde la plus
tendre admiration,maintesdeses héroïnescommedevrais
monstres moraux. La « petite princesse », dans Z/J?N-
nemi des lois, est un des Esseintesféminin;elle se vante
d'avoir été, enfant, « le Oêaude la maison » (P. 146).
Elle considérait ses parents comme ses « ennemis n
iaa L'ËCOTMXE

(P. H9). Elle aime les enfants « moins que les chiens »
(P. 38~). Naturettement,etto se donne aussitôta chaque
hommequi lui tappdanst'ffit, car, aMtremont, a quoicela
servirait-ild'être une « cultivatricedu moi etune adapte
de la loi do l'instinct?Têts apparaissentles êtres bons do
M. Barras, qui n'ont plus besoin do loi, parce qu'ils ont
« profité du long apprentissagede notre race ».
Quelquestraits encore pour compléterle portrait intel-
tect<:etdo ce décadent,tt fait raconterpar sa « petite prin-
cesse M « Quandj'avais douze ans, j'aimais, sitôt seule
dans la campagne,a oter mes chaussureset à enfoncer
mes piedsnus dansla bouechaude.J'y passaisdes heures,
et celame donnaitdanstoutle corpsun frissonde plaisir».
M. Barrèsressembleà son hérolino.H éprouve « un frisson.
do plaisir dans tout le corps », quand il « s'enfoncedans
la boue chaude
« Il n'est pas un détaildo la biographiedo Bereniccqui
ne soit choquant», ainsidébutele troisièmechapitre du
J<M'<h'M de JM~Ht'M; « je n'en gardepourtant quo des
sensationstrès fines». CetteBéréniceétait unemarcheuse
de l'Eden-Théâtre,que sa mère et sa sœur alnée avaient
vendue toute petite à de vieux criminels,et qu'un amant
arracha plus tard à la prostitutionqui avait déjà souillé
son enfance. Cet amant meurt et lui laisse une fortune
considérable.Le héros du roman, qui l'a connueenfant
du ruisseau, rencontre la veuve illégitime à Artes, où il
se présente commecandidatboulangistoà la députation,
et il reprend avecelle ses anciennesrelations. Ce qui le
charmele plus dans leurs rapports et exalteau plus haut
degré sa jouissance,c'est l'idée du vif amour qu'elle a
t)ËCADE!<TSET ESTHÈTES <a9

porte à sondéfuntamant et de l'abandon avec lequel eUe


a reposa dans ses bras. « Ma Berenicequi sur ses tevres
pâtes et contre ses dents éclatantes garde eneorola
saveur des baisers do M. de Tt~nso (l'amant en ques-
tion). Le jeune hommequi n'est plus lui a laissede pas-
sionce qu'en peut contenirun cmurdo femme (P. 138).
Le sentimentque M.Barreschercheà enguirlandera t'aide
d'un phebus d'expressions ampoulées, est :;imp)emont
t'emoustittemontbien connu que des pécheurs senitcs
éprouventà la vue des exploitserotiquesdos autres. Tous
ceux qui sont au courant do la vie parisienne savent ce
qu'on entendà Paris par un « voyeur M. Barrès se
révèle ici comme « voyeur métaphysique.Et pourtant
il voudraitfaire croire que cette petite pierreuse, dontil
expose les sales aventuresavec la chaleur do l'amour et
l'enthousiasmedu dilettante, est en réalité un symbole;
co n'est que commesymbonstefu'iiprétend t'avoir conçue.
« On voit une jeune femmeautour d'un jeune homme.
N'est-ce pas plutôt l'histoire d'une âme avec ses deuxete-
ments, fémininet mate?Ou encore,à côte du Moiqui se
garde, veutse connaîtreet s'aMrmer,la fantaisie,le goat
du plaisir, te vagabondage,si vif chez un être jeune et
sensible?' ». On est en droit de lui demander où est le
« symbolisme» dans les détails biographiquesscabreux
de « Petite-Secousse nomqu'il donneà son « symbole».
La maladieet la corruptionexercent sur lui l'attraction
baudelairiennehabituette. « Quand Beréniceétait petite
ntte, dit-il (P. 72), j'avais beaucoupregretté qu'ette n'ait

t. Examen
detroisidéologies,
p. 36.
M~mNoBDAM. DégéatnaMcee. tt 9
t30 L'ËOOTiSME

pas quelque infirmité physique. Une taro dans ce que


je préfère &tout. natte ma plus chère Manied'esprit
Et & un endroit (P. 882) est raitté un ingénieur u qui
voudraitsubstituer &nos marais pteins de belles névres
quelqueétang de carpes ».
Le stigmatedo dégénérescencede la ioophilie ou de
t'amour exagéré pour tes animaux,est fortementaccusé
chez lui. Quandil vont particulièrements'édifter,il court
« contemplerte:, beauxyeux des phoqueset (se) dénoter
do la mystérieuse angoisse que ter signent dans leur
masqueces bêtesau cœursi doux, les frères des chienset
tes nôtres' M.Le seul éducateurqu'admetteM. Barre<est
te chien. « Elle est excellente en effet, t'éducationquo
donneun chien Noscollégienssurchargesd'acquisitions
intellectuellesqui demeurenten eux des notions, non des
façons do sentir, alourdis d'opinionsqui ne sont pas dans
le sens de leur propre fonds,réapprendraientdu chien la'
belle aisance, le don d'écouter, l'instinct de teur moi
Et que t'on no s'imagine pas que des endroits tels que
ceux-cisont un persMagcde soi-mêmeou une manièrede
blaguer le philistinqui pourrait s'être égaré parmi leslec-
teurs du livre. Lerôle que deuxchiensjouentdansle roman
tém( ignéque les phrasescitéessontterriblemeutsérieuses.
Commetout vrai dégénéré,M. Barrèsréserve pour les
hystériqueset les déments toute la somme d'amour du
prochain et d'admirationqu'il n'a pas dépenséepour les
phoques et les chiens. Nou?avons déjà mentionnéMn
enthousiasmeà l'égard de ta pauvre MarieBaschkirtseff.

t. Bramendetroist<)<o<o~iej,
n. 46.
2. t'Ennemi
<t«<«! p. 9"
DECADENTS
ETESTHÈTES <a<
L'idée qu'il so fait de Louis 11 ()e Mavicroest incompa-
rable. L'infor)um'roi est & ses yeux un « insatisfait
(/<)MfM)t <ffs/OM, p. 2<U);il parlodp« cetemportement
hors do son milieunatal, cette ardeur à rendre tangib)''
son rêve, cetéchec do l'imaginationdans la gauf-heriede
t'oxécution Il (P. 208); Louis H est « un probtcme
d'éthique tout parfait (P. 2tM)).« Commenteût-it toMrc
qu'aucunevotanteintcrtint dans sa vie, ce frère de fa)'-
siral, fo pur, co simple, qui opposait ù toutes les (ois
humainesles mouvement:,de son cK'nr! Et il semble bien
que d'avoir entratneto docteurGuddensous l'eau soit la
vengeancequ'il tira d'un barbare qui voulaitlui imposer
sa règle de vie (P. 225). C'est en pareillesphrases que
M. Barréscaractériseun aliéné dont l'esprit était complè-
tement enténébréet qui, pendant des années, no fut pas
capabled'une seule idée raisonnable!Cette façonimpu-
dentede détournerla tête d'un fait qui lesouffletteù droite
et à gauche, cette incapacitéde reconnattrola démence
dans ta vieintellectuellod'un malade tombéaux plus bas
degrés du gâtisme, cet entêtementà expliquer les actes
les plus fous comme fortement délibères, intentionnels,
philosophiquementjustifiés et pleins d'un sens profond,
jettent une vive lumière sur l'état d'esprit du décadent.
Commentun être de cette espèce pourrait-il se rendre
compte du trouble pathologiquede son propre cerveau,
quandit ne perçoit pas mêmeque LouisU n'était pas un
« problèmed'éthique mais un fou ordinaire, tel que
chaque asiled'aliénésun peu considérableen contientdes
centaines?
Nousconnaissonsmaintenantla conceptiondu mondeet
<aa !&aOT!8ME

la doctrinemorale dos « cultivateursdu moi &à la façon


do bi. MauriceBarrès. Unmot seutomentencoresur tout'
conduitedo vie pratique. Le héros du Jardin (le F<
H)'M,Philippe, est t'Mte rejoui do « Petite-SecousseIl
dans la maisonqueson dernieramant lui a tais~o. Aubout
do quelquetempsit en a assezdot' inBuettcocducatricp')
de celle-ci; it ta quitte, et lui donne en partant le conseil
énergiqued'épouserson compAtitem' au siège do dopu(6,
ce qu'ollofait. L' « ennemidos lois un anar<:)tiste
du nom d'André Matt~ro,condamnéà plusieurs mois de
prisonpour un articledo journal ou il faisait l'éloge d'un
attentat & h dynamite, est devenu par son proeôs une
cetcbritc du jour; une très riche orphctine lui offre sa
main, et la « petite princesse n son amour. H épouse la
jeune fille riche, qu'il n'aime pas, et continueà aimer la
« petite princesse», qu'il n'épouse pa$. Car c'est ainsi
que l'exige« la culturedo son moi pour satisfaireses
penchantsesthétiqueset « agir par la parole et par la
plume, il doit avoir do l'argent; et pour apaisersesbesoins
do cœur, il doit avoir la « petite princesse ». Apresquel-
ques moisde mariage,il trouve incommodedo dissimuler
devantsa femme son amourpour la « petite princesse ».
Il lui laisse doncdevinersesbesoins do cœur. Sa femme
est à la hauteur de sa philosophie elle est « compréhen-
sive ». Ellese rend elle-mêmeauprès de la « petite prin-
cesse », l'amèneau noble anarchiste, et à partir de ce
moment,celui-civit riche, aimé, heureuxet satisfait,entre
l'héritière et la maitresse,commeil convientà unenature
supérieure. M. Barrès croit avoir crééun type « rare et
exquis ». t) se trompe. Des « cultivateursdu moi de
n&CADENTS
ETESTHÈTES <aa
l'acabit du boulangistePhilippe et de t'aaarchisto André
so rencontrentpar miniersdans touteslos grandes vittes
seutement,ta police les eonua!)sous un autre nom clio
tes appelle dos « souteneurs Et la loi morale du bravo
anarchisteest depuis fort longtempscellodes prostituées
de la haute volée, qui, do tout temps, ont entretenu
« l'amantde cour ') Acotéde « l'autre », ou « des autresx.
Lo décadontismon'est pas resté limitéà la France; il a
aussi fait écoleonAngleterre. Il a dcja cto question,dans
le votomoprécèdent, d'un des premiers on date et des
ptus servilesimitateursdo Baudelaire,Swinburne.J'ai da
to classorparmi les mystiques,car le stigmatedegeneratif
du mysticismeprédomine dans ses couvres, tt a, il est
vrai, port6 la tratno do tant de modèles, qu'on peut le
ranger parmi la domesticitéd'un grand nombre do mat-
trcs; mais,finalement,on lui assignerasa place là où it a
le pluslongtempsservi chezles préraphaélites.Il a prin-
cipalement emprunté à Baudelairele diabolismeet le
sadisme, la dépravationcontre nature et la prédilection
pour ta souffrance,la maladieet le crime. L'egotismodu
decadcntisme,sonamourdo rartittciet,sonaversioncontre
la nature, contretoutes les formesd'activitéet do mouve-
ment, son mépris mégalomanedes hommeset son exagé-
ration du rôle de l'art, ont trouvé leur représentantan-
glais dansles « esthètes M,dontle chefest OscarWilde.
Wilde a plus agi par ses bizarreries personnellesque
par ses œuvres. Comme Barbey d'Aurevilly, dont on
connaîtles chapeauxde soieroseet les cravatesà dentelles
d'or, commele disciplede cetui-ci,Joséphin Péladan,qui
se promèneen jabot à dentelleset en pourpointde satin,
~'ÉGOT~E

Witdo s'habitto de costumesétranges qui rappellent en


partie te!*modes du moyen Age, en partie te:: formes
rococo.tt prétendavoirrenonceau vêtementaetuet parce
qu'il offenseson sonsdo la beauté, mais ce n'est )&qu'un
prétexte auquel trci: probablement il ne croit pas lui-
memo.Ce qui réellementdétermineses actes, c'est t'envie
hystériqued'être remarque,d'occuperdo lui te monde, de
faire parler do (ui. On assure qu'it s'est promenéen ptein
jour dans PaHMat),la rue la plus Mqucntco du We~tend
do Londres, en pourpoint et en eutottes, avec une toque
pittoresque sur la tête, et, a la main, un soleil, fleur
adoptéeen quoiquesorte commesymbolehcratdiquodes
esthètes. Cette anecdoteest reproduite dans toutes les
biographiesde Wilde, et je n'ai ~u nulle part qu'on l'ait
démentie.Eh bien! une promenade avec un soleil à la
mainest-elleaussi inspiréeparle besoinde beauté?
LeshaMcursnousrépètentperpétuellementce radotage,
que c'est uao preuve d'indépendancedistinguéedo suivro
son propre goût sanss'astreindreà la réglementationphi-
listinedu costume,et de choisir pour ses vêtementsdes
couleurs, des étoffeset des coupes que l'on scat belles,
même si elies s'écartentn'importecombiende la mode du
jour. Il faut répondre à ce caquetageque c'est avant tout
un signed'égotismeanti-sociald'irriter sans nécessitela
majorité,pour l'unique satisfactiond'une vanité ou d'un
instinct esthétiquepeu importantet facileà réprimer,
ce que l'on fait toujoursquand on se met, en parotes ou
en actions, en contradictionavec elle. On est obligéde se
refuser, par égard pour sessemblables,beaucoupde mani-
festationsd'opinionset de désirs; faire comprendrecela à
O&CAnEJfm
ET ESTMÈTEa t35
l'hommeest ta but do l'éducation, et celui qui n'a pas
appris &s'imposer quoique contrainte pour no ptMcho-
quer tes autres, les méchants phithtins no tu nomment
pas M))esthète, maisun goujat.
Ce peut ctro un devoir,pour servir la vérité et la con-
naissance,doheurter dofrontla foulo; mais ce devoir, un
hommesérieuxta sentira toujours commeun devoirdon-
tonreux; ce n'est jamaisd'un eft'xr t~gorqu'il le remplira,
et il MaminoratongocnMntet sûrement si c'est rcetto-
montuno toietov~cet absolumentimp~ricuM* qui te force
à ttrc d~agresbte à la majorité do se;! Mmbtabtes.Une
telle action est, aux yeux do t'hommomoral et sain, uoc
sorte <temartyre pour une convictiondont t'aMrmation
coNstMuc une nécessitévitale; clio est une forme, et non
une formefacile,(te sacrMcede soi-même,car ello est un
renoncementà la joie que donne la consciencede l'accord
avec ses semblables,et elle exigele refoulementdoutou-
reux des instinctssociauxqui, à la vérité, manquent aux
déséquilibreségotistes, mais sont très puissants dans
rhomme normal.
L'amourdes costumesétranges est l'aberration pattM-
logique d'un instinctde l'espèce.La parure de l'extérieur
a originairementsa sourcedans le désird'être admirédes
autres, en première ligne du sexe opposé, d'être
reconnu comme particulièrementbien bâti, beau, juvé-
nile, ou richeet puissant,ou bienéminent par la position
et le mérite; ellea donc pour but d'impressionnerfavora-
blement les autres, elle résulte du fait de penser aux
autres, de se préoccuperde l'espèce. Si maintenant,non
par suite d'une erreur de jugement,mais avec un dessein
<M L'Éa<MM8!)E

prémédite, on sa pare do telle ft~on que Fan irrite les


autres ou qu'on leur prête à rire, e'esH-a-diroqu'on
excite la réprobation au lieu do t'approbation, cela va
juste à l'encontredu but do l'art du costume et témoigna
d'une perversiondo l'instinctde vanité.
Le prétendubesoindo beautéest une excuseda ta con-
sciencepour une foliede l'inconscient.Le sot qui exécute
&Patt MattunentaMaradonose voit pas, no jouit doncpas
do ta beauté qui serait, d'âpres son dire, un besoinostM-
tiquopour lui.Colaaurait un sens,s'it s'efforçaitd'amener
los autres à s'habillera son go&t;car il les voit, ils pou-
vent l'agacerpar la laideurdo leur costumeet le charmor
par sa beauté. Mais en commentantpar tui-momecette
innovationartistique du vêtement,il n'approchepas d'une
seuloligno son prétendu but do satisfactionesthétique.
Ce n'est doncpas par indépendancedo caractère qu'un
Wilde se promène en « costumed'esthète » au milieudes
philistinsqui lui jettent des regards railleurs ou irrités,
mais par un.manqued'égards que n'excuseaucun devoir
supérieur, qui est purement anti-socialet égotiste, et par
un désir hystériquede produire de l'épatement; ce n'est
pas nonpluspar besoinde beauté,mais par vicieusemanie
de contradiction.
Quoi qu'il en soit, Wilde obtint, dans le mondeanglo-
saxon tout entier, par son déguisementde paillasse, la
notonétc que ses poésies et ses drames ie lui auraient
jamais acquise. Je n'ai aucun motif pour-m'occuper de
ceux-ci, faiblesimitationsde Rossettiet de Swinburne,et
d'une nullitédésespérante.~es articles en prose, au con-
traire, méritent l'attention, parce qu'ils accusenttous les
D&CAOENT8
ETKSTH&TE3 m
traits qui laissent reconaattrodans t'esth&tcla coagcnora
du décadent.
Oscar WiMe méprise la uaturo, comme la font soi'
mattres français.Il Co qui arrive effectivementest perdu
pour l'art. Toutes)t's mauvaise polies sortentde senti-
ments vrais. Être naturel veut dire être évident, et être
aident veut dire être anti-artistique
t) est un cultivateurdu moi et ressent une divertis-
sante indignationdo co que la natureose être indifférente
enversson importantepersonne.'<La nature est si indiffé-
rente, si incompréhensive. Chaquefois que je vais me pro-
menerdans Mydc-Park,je sens queje nosuispas pluspour
elle que le bétail quipatt surta ponte do la prairie » (P. A).
i) a do lui et do l'espèce t'opinion do des Esseintes.
<' Ah)Ne dites pas que vous êtes d'accordavec moi.
Quandles gens sont d'accordavec moi, je sens toujours
queje doisavoir tort (P. 100).
Son idéal do la vieest t'inactivite.« Les philistinsseuls
cherchent à estimer une personnalité d'âpres l'épreuve
vulgairede ses teuvres.Que l'on cherche Il être quelque
chose, non à faire quelquechose (P. ?). La société
pardonnesouventau criminel,elle ne pardonnejamais au
rêveur. Les sentimentsmagnifiquementinfécondsque l'art
exciteen nous sont haïssablesà sesyeux. Les gens vous
abordenttoujoursimpudemmenten vousdemandant Que
faites-vous?-Tandis que Que pensez-vous!est la seule
questionqu'un être civilisédevrait oser murmurerà un

L OscarWilde,7'XentMM. Leipzig,Tauchnitz, t89t,p. i62.


Lescitationsqui vontsuivrese réfèrentà la pagination
de cette
édition.
iM L'ËOOTtSME

autre. La contemplationest t'cccupationappropriée à


t'hommo. Les sont feux qui sont là pour ne rien
faire. L'activitéest limitéeet eonditionnette.HMmitoo et
non conditionnoHeest la vue doceluiqui reste confortable-
mentassis là et observe,qui chemineet rêve dans la soli-
tudo f (P. 137). « Le sûr moyendo no rien savoir do ta
vie, est de se rendre utito (P. m). « De temps en
temps ie monde e)evoun cri contre quoique charmant
poèteartistique,parce que, pour employersa phrase res-
sasséeet sotte, il M'«<'«*?Adire. Maiss'il avait quelque
choseà dire, il le dirait vraisemblablement,et le résultat
serait ennuyeux.Pr~eisementparce qu'il n'a rien do nou-
veauà nousannoncer,ilpeutaccomplirun travailsuperbe
Wilde aime l'immoralité, to pèche et le crime. Dans
une caressanteétudebiographiquesur le multipleassassin,
dessinateur, peintre et auteur Thomas Grilith Waine-.
wright, il dit « C'était un faussairede talent exception-
nel, et comme empoisonneur délicat et 'discret il n'a
presque pas son pareil dans ce siècle ou dans un autre.
Cet hommeremarquable,si puissantpar la plume, le pin-
ceauet le poison,etc. » (P. A9). <'Il cherchaitl'expression
de son être par ta plume ou le poison M (Mêmepage).
« Un ami tui reprochant t'assassinât d'Hélène Aber-
crombie, il haussa les épaules et dit Oui, c'est là une
action terrible. Maiselle avait de très grosses chevilles»
(P. 72). « Ses crimessemblentavoir exercé une action
considérablesur son art. Ils donnèrent à son style une
empreinte fortementpersonnelle,un caractère qui man-
quait sûrementà ses premiers travaux » (P. 73). « H n'y
a pas de péché, exceptéla bêtise » (P. 172). « Une idée
O&CAOKNTS
KTtSTHÈTEa 09
qui n'est pas dangereuse no méritemémo pas d'ctra une
idée H(P. ~7).
Mcultiveaccesiioirpmentun tegcr my~ticismodes cou-
leurs. tt L'amourdu vert est chez les individustoujour:-
un signe de dispositionartistique deticatc, et, ehoa les
peuplos,il indiqueta relâchement,et mémola dissolution
des B)«'urs M(P. ~9).
Maisce qui formel'idéecontraledo son verbiage tour-
demont raitteor, poursuivantcomme but suprême )'aga.
cemeutdu philistin et s'offorcautpenibtemontdo prendre
le contre-pieddu senscommua,c'est l'oxaltationdo fart.
Wilde expose de la manière suivante te sy~mo des
<' esthètes H « Leurs doctrines sont on deux mots
celles-ci l'art n'exprime jamais rien d'autre que lui-
meme.Ma une vio indépendantecommet'idee, et se devo-
loppe exclusivementvers ses propres buts. Seconde-
ment toutmauvaisart provientdu retour &la vioet a la
nature et dot'etevationde colles-ciau rang d'ideat. La vie
et la nature peuventparfoisêtre utilisablescommeparties
de. la matière première do l'art, mais avant que cetui-ci
no puisse réellementfaire quoi que ce soit, elles doivent
ètre traduites en conventions artistiques. Dès que l'art
renonce à son inédium d'imagination('), il renonceà
tout. Le réalisme,commeméthode, est un completéchec,
et tes deuxchoses que tout artiste devrait éviter sont la
modernitéde la forme et la modernitédu sujet'. Pour

t. Schillerdit aussi, .<mes/<mMj


ÉterneUement jeuneestseulementla fantaisie.
Cequin'<~ jamaisexisténullepart,
Celaseulne vieillitjamais.
Mjisilneveutpassignifierparlà quel'artdoitfaireabstraction
<t0 L'ëCOTtSME

Nous, qui vivons au six* siècle, chaque siècle est un objet

artistique excepté Jo n<)tf0. t<M seules bottes


approprié,
choses sont celles qui no nous concernent on rien. C'est

justement parce qu'Hécube no nous est rien, que ses dou-


leurs sont un si bon sujet de tragédie Le troisième

principe est que la vie imite beaucoup plus l'art que l'art
n'imite la vie. Ceci est ta conséquence non sottement do

l'instinct d'imitation do la vie, mais aussi dit fait que ta but

conscient de la vie est de trouver do l'expression, et quo

l'art lui offre certaines battes formes grâce auxquelles il


peut réaliser cette aspiration » (P. ~3 et sqq.). Bien

entendu, par ce troisième point, t'innuenco de l'art sur ta

vie, Wilde no songe nullement au rapport réciproque


entre t'feuvrc d'art ot le public, rapport que j'ai depuis

de la vérité et do la vie; it veut dire qu'il doit distinguer dans le.


phénomène l'essentiel et, par cela même, te durable du contingent,
c'est-t-diro da l'éphémère.
t. Comparer <t eeta la Critique du .ftt~'Hent, de Kant (publiée et
comment<ie par J.-H. de Kirchmann, Bertin, <M9, p. 6S) Tout
intérêt gâte le jugement du goût et lui en)6ve son tmpart(a)ité,
principalement si, comme t'intcret do la raison, il no fait pas pré-
céder par Fumité te eontiment du p)aisir. mate te fonde sur ceMe~ei
ce qui arrive toujours dans ie jugement esthétique, quand une
chose cause do la joie ou de la douleur La psycho-physiologie
actuelle a reconnu comme erronée cette vue de Kant et démontre
que te sentiment de plaisir en soi est primitivement un senti-
ment d' utilité organique, et qu'il n'existe pas de jugement
du goût sans intérêt (ia psycho-physiologie emploie, au lieu
du mot intérêt tes mots tendanceorganique ou pen-
chant '). Au reste, Wilde, qui ne craint pas de contredire ses thèses
audacieuses, dit à ta page t53 de ses htenMoM exactement te con-
traire de ce qu'il vient de dire dans le passage cité ci-dessus. Un
critique, y lisons-nous, ne peut pas être juste au sens ordinaire
du mot. il n'est possible d'émettre une opinion vraiment non
Influencée que sur les choses qui ne nous intéressent pas du tout.
Telle est à coup sûr ia raison pour laquelle une opinion non
inOueneée est toujours complètement sans valeur. L'homme qui
voit les deux côtés d'une question est un homme qui ne voit abso-
lument rien tl faut donc qu'Hécube soit tout de même quelque
chose pour le critique, ann qu'il puisse la critiquer!
CÊCADEt<!TaET ESTHÈTES tt<
longtempsconstate et qui consisteon ce que celte-ia
excreoune suggestionet que celui-cila subit; mais il veut
dire en touteslettre que la nature et non les hommes
civilises se développede façon&entrer dans les formes
donuées par l'artiste. De qui, sinon des impression-