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Né et mort dans le canton de Neuchâtel, Frédéric Godet est une haute figure du protestantisme
suisse ; ses commentaires bibliques, traduits dans les principales langues, sont
universellement signalés pour leur profondeur, leur originalité et leur rigueur ; mais peut-être
faudrait-il dire avec plus de justesse qu'ils se distinguent par leur luminosité. Car Frédéric
Godet n'est pas un commentateur ordinaire.
Le lecteur sérieux remarquera vite en effet chez lui un don spécial : celui de dissiper par une
lumière intense qu'il projette sur le texte, les ombres des fausses idées que nous traînions
depuis longtemps sur tel ou tel passage biblique.
Dans cet instant privilégié nous comprenons que ce qui avait tordu notre perception du texte
n'était pas tant sa difficulté que notre manque de droiture d'esprit. Il faut l'avouer, les exégètes
de la Bible font rarement de l'honnêteté intellectuelle une de leurs exigences, sans doute à
cause du côté passionnel du sujet. C'est ainsi que lorsque l'un d'entre eux la possède, il se
détache nettement des autres. En ce sens l'originalité de Godet se rapproche de celle de
C.S.Lewis, autre écrivain à qui tous les chrétiens évangéliques accordent une place à part.
L'analyse de la singularité de ces deux écrivains montrera qu'on ne trouve pas chez eux de
traces de cette bigoterie, qui en véritable antithèse de l'honnêteté d'esprit, fausse si souvent le
jugement des auteurs les mieux intentionnés.
Cependant une capacité d'analyse hors pair ne pourrait à elle seule rendre compte de l'œuvre
de Godet ; il possède aussi à un haut degré l'intuition, vertu magique, proche du pouvoir
créateur, qui à partir d'indices infimes trouve la clef de l'énigme, soulève le voile et fait
resplendir la vérité. Qu'on lise par exemple son Etude sur le Cantique des cantiques et qu'on
juge ensuite si ces éloges sont justifiés. Nous ne savons pas que Godet ait jamais été réfuté sur
l'interprétation de ce livre. Sa clairvoyance s'affirme encore dans un autre mystère millénaire :
l'Apocalypse. Avec la création de l'état d'Israël, un demi-siècle après sa mort, l'avenir a
confirmé la justesse de ses vues, et nous pensons qu'il continuera à le faire, au rebours des
idées reçues.
L'intuition jointe à l'analyse ne serait pas encore une formule suffisante pour résumer Godet :
il est avant tout un chrétien fasciné par la personne du Sauveur. C'est le mystère du Fils de
l'homme, du Fils de Dieu, qu'il a essayé de sonder en commentant les Ecritures. Le fruit de
son travail il l'a résumé dans deux études, l'une sur la personne de Jésus-Christ, l'autre
sur l'œuvre de Jésus-Christ ; aucun chrétien ne pourra les lire sans que sa figure intérieure de
Jésus-Christ ne brille d'un éclat nouveau. L'admiration de Jésus-Christ, voilà le secret de
Godet, voilà la marque si reconnaissable qu'il a laissée sur chacun de ses écrits. Paraphrasant
un mot d'Hector Berlioz on pourrait dire :
Car en dépit du sens que Berlioz donnait à sa boutade, Bach ne s'explique pas sans Dieu,
Godet non plus.
Frédéric Godet restera surtout connu dans l'histoire du protestantisme comme le champion de
l'orthodoxie évangélique face à la haute critique allemande, qui prétendait démythifier la
Bible, en la vidant de ses miracles, et en lui ôtant toute crédibilité historique.
Après un tel panégyrique, on s'attendrait à ce que cet écrivain soit lu et médité de tous les
pasteurs français, qui ont souvent du mal à trouver de bons ouvrages écrits dans leur propre
langue : il n'en est rien ; l'absence de réédition de ses commentaires le montre. C'est là un fait
qui s'explique sans peine, sinon sans tristesse : Godet n'est pas aimé des protestants qui le
trouvent trop évangélique, et il n'est pas aimé des évangéliques qui le trouvent trop protestant.
En termes plus explicites, les protestants libéraux tiennent à se démarquer d'un auteur qui
affirme sans concession la véracité de la Bible dans ses récits miraculeux ou historiques ;
quant aux évangéliques, ils ne supportent guère la candeur intellectuelle, dont nous parlions
au début, lorsque celle-ci s'oppose à leurs interprétations traditionnelles des textes ; l'érudition
et l'intelligence de Godet s'accordent mal avec leur conception de la piété. En fait, Godet avait
déjà eu de son temps à combattre cette même double opposition : le libéralisme protestant qui
vise à ruiner l'autorité divine des Ecritures, mais également un piétisme étroit, incapable de
nuances, et qui a depuis si profondément affecté le monde évangélique.
Enfin il faut le dire, l'exégèse n'intéresse plus aujourd'hui les pasteurs ; la communication, le
leadership, la psychologie..., voilà la nouvelle manne, le pain béni des formateurs de futurs
ministres du culte. Quoiqu'il en soit, aussi loin le balancier a été dévié dans un sens, avec
d'autant plus de force il revient. L'interprétation de la Parole restera toujours l'aliment
fondamental de l'Eglise et la gloire des serviteurs qui en ont la charge..
Les œuvres de Frédéric Godet ne se démoderont pas car elle tirent leur substance du Livre
divin. Il se trouvera toujours quelque chrétien pour les exhumer, et rendre ainsi à l'Eglise un
de ses trésors les plus précieux.
D'où lui venaient une telle lumière, une telle perspective célestes ? De quelle source puisait-il
ses riches commentaires bibliques donnant un si profond relief aux vérités de la Parole de
Dieu, y compris les mystères de l'accomplissement eschatologique ? C'est Frédéric Godet lui-
même qui rendra raison à l'éminent Sundar Singh qui déclarait :
"Je ne condamne pas la science théologique, ni tous les théologiens dont plusieurs sont des
saints. Je ne suis pas opposé aux études, mais celles-ci sans la vie obscurcissent la vision
spirituelle. Une théologie sans prière est une fontaine sans eau. J'ai appris bien des choses
utiles dans mes études, mais l'enseignement de l'Esprit je l'ai reçu aux pieds du Maître."
En effet, la fraîcheur et la profondeur qui se dégagent des oeuvres de Frédéric sont, de son
propre aveu, le résultat d'une incessante et proche communion dans la prière avec son
Seigneur et Sauveur :
"Mes chers frères, il est des connaissances pour l’acquisition desquelles la prière n’est
nullement indispensable ! Vous pouvez devenir habile chimiste, fort mathématicien,
historien érudit, sans avoir ployé le genou. Mais il n’en est pas ainsi de la connaissance de
Dieu. Dieu n’est pas une chose que l’on puisse manier, retourner, observer, disséquer,
analyser, étudier à volonté, comme une pierre ou un livre. Dieu, comme tout être vivant,
plus que tout autre être vivant, car il habite, lui, une lumière inaccessible, n’est connu
qu’autant qu’il veut bien se donner à connaître. Et il ne se donne à connaître qu’à celui
qui consent à se recueillir pour le contempler et l’écouter. C’est alors seulement que se
déchire pour nous le voile de la chair, bien plus épais encore chez nous, chez qui il est
comme doublé de celui du péché, que chez Christ, et que la lumière divine descend dans
notre âme.
La Parole de Dieu elle-même ne peut remplacer cette révélation intérieure. Saint Paul
disait aux Ephésiens, au moment même où il leur exposait par écrit le plan de Dieu : Je
prie le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père de gloire, d’éclairer les yeux de votre
cœur, de vous donner l’esprit de sagesse et de révélation dans sa connaissance. Sans cette
illumination intérieure, fruit de la prière, l’apôtre sait que la Parole de Dieu elle-même
restera pour eux obscure, inintelligible, semblable à un pays enveloppé de brouillards. Mais
quand la lumière d’En-haut est accordée à l’homme, ce saint livre ressemble à une contrée
sur laquelle vient à tomber un brillant rayon de soleil.
[...] Il est bien des domaines où, pour travailler avec succès, il n’est point nécessaire de
prier. On peut fabriquer, spéculer, administrer sans avoir recours à la force d’En-haut.
Mais l’œuvre à laquelle vous vous consacrez, vous, mes jeunes frères, ne se fait par aucune
force naturelle. Faire passer des âmes de la mort à la vie est une opération dont Dieu s’est
réservé le monopole. Pour que vous réussissiez à l’accomplir, il faut que Dieu lui-même
s’associe à vous et vous prête sa force. Un sermon pour lequel vous avez beaucoup prié,
fût-il médiocre pour les idées et pour le style, portera coup dans les cœurs. Il ressemblera à
une épée peu précieuse, mais dont la lame est bien aiguisée.
[...] Vous n’êtes pas seulement appelés à être des hommes de science religieuse. Vous êtes
surtout des hommes d’action. Au service de Christ, toute connaissance tourne à l’action.
Vous le voyez chez Christ lui-même." (1)
"Mes jeunes frères, faire l’œuvre de Dieu, la faire dans la lumière de Dieu, par la force de
Dieu, avec un cœur d’enfant de Dieu, voilà, si j’ose le dire ainsi, le programme de votre
ministère ! La prière, voilà le moyen de le réaliser. Cette vocation a pu, en d’autres temps,
être plus périlleuse ; jamais elle ne fut plus importante et plus difficile qu’à cette heure. De
nouvelles questions religieuses se posent, de nouvelles aspirations sociales surgissent ;
l’humanité, exaltée par le spectacle des œuvres de ses mains, est comme dans une crise
d’enfantement. L’Evangile, qui trois fois déjà a renouvelé la société, en des crises aussi
graves, lors de sa première apparition, après le déluge social de l’invasion des barbares et
aux temps de la Réformation, l’Evangile est appelé encore une fois, (sera-ce peut-être la
dernière?), à déployer ses trésors de force et de lumière, à tendre la main à l’humanité dans
le labyrinthe où elle est engagée.
Mais il faut pour cela des hommes qui, d’un côté, comprennent les besoins de leur temps,
besoins religieux, intellectuels, sociaux, et qui, de l’autre, sachent interroger cet Evangile
éternel tout à nouveau, pour obtenir de lui les réponses qu’il tient en réserve pour des jours
tels que ceux-ci, et lui arracher, comme autrefois le prêtre à la Pythie, le mot que lui seul
possède et qui pourra servir de fondement à l’ordre nouveau. Et qui seront ces hommes, si
ce n’est vous, ministres de l’Evangile? Demandez à Dieu un cœur assez large pour
comprendre votre temps ; demandez-lui en même temps les nouvelles ressources qui vous
permettront de satisfaire à ces nouvelles exigences, dans votre sphère, petite on grande.
Dites comme les apôtres : Augmente-nous la foi, la foi triomphante pour soutenir celle de
ton Eglise qui va s’affaiblissant, la foi qui transporte les montagnes, la foi par laquelle
l’Eglise pourra achever sa tâche, la conquête du monde !
[...] En priant, vous remuez le ciel, et par le moyen du ciel, les entrailles du globe, ce qu’il y
a de plus profond, d’éternel sur la terre, le fond des âmes !" (1)