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MINISTÈRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR RÉPUBLIQUE DE CÔTE D’IVOIRE

ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE Union – Discipline – Travail


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Université Alassane Ouattara de Bouake

UFR COMMUNICATION, MILIEU ET SOCIETE


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DEPARTEMENT DE GEOGRAPHIE

Villes et Urbanisation dans le monde

Licence 2 Géographie 2015 - 2016

Pr. KOFFI Brou Emile


Maître de Conférences
Université Alassane Ouattara de Bouaké
Objectifs du cours :
La géographie urbaine, courant de la géographie humaine, a
pour objet d'étude les villes. Ce cours porte tout autant sur
leur organisation spatiale interne et sur l'organisation des
espaces par les villes et entre les villes. Cet enseignement a
pour objectif de donner des éléments de compréhension des
enjeux urbains ainsi que des clés de lecture des villes dans les
contextes socio-économiques et politiques actuel et précédent.
Plan du cours
Chapitre I : Identité du fait urbain.
I. Le contenu du phénomène urbain.
II. Qu’est ce que la ville pour le Géographe ?
III. Une définition conceptuelle de la ville.

Chapitre II : Une croissance urbaine généralisée mais inégale.


I. L’urbanisation, un phénomène planétaire.
II. L’explosion urbaine des « Suds ».
III. L’urbanisation du Nord : entre ralentissement
et recomposition.

Chapitre III : Métropolisation et mondialisation : une


articulation réticulaire.
I. Les métropoles, centres d’impulsion de la
mondialisation.
II. La métropolisation du monde : le déploiement
d’un système hiérarchique.
III. Des métropoles aux mégalopoles : jeux
d’échelle.

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Bibliographie :
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Chapitre I : Identité du fait urbain

Les villes apparaissent à tous comme une réalité évidente,


immédiatement perceptible. Mais est-il possible de répondre
avec clarté et exactitude à : "qu’est-ce qu’une ville ?"    Ou
"qu’est-ce que l’urbain ? " "Qu’est-ce que l’urbanisation ? "
C’est principalement à cette tâche que répondra ce chapitre.
Ici, il s’agira de répondre à ce fait de l’identité du fait urbain.

I. Le contenu du phénomène urbain

On a appris à faire l’opposition, pour mieux marquer l’urbain,


entre la ville et la campagne. Il y aurait certains traits d’espace
et de société qu’on retrouve en ville et qui serait totalement
inexistants dans les campagnes. La première chose à laquelle
on pense est le type d’homme. Les ruraux sont des paysans.
Il faut voir dans ce concept à la fois un trait d’activité, mais
aussi toute une culture de type traditionnelle.
Le citadin, dans la mentalité de la population, est un homme
instruit, autant qu’il a enregistré plus de sciences, plus de
techniques. Cette modernité se voit dans la langue ; car, en
plus de la langue maternelle, il parle une langue étrangère. Ce
trait de culture moderne, apparaît comme un élément de valeur
qui fait que l’homme urbain est plus apprécié dans son
évolution que les ruraux. A cette distinction culturelle entre le
rural et l’urbain, il faut ajouter une différenciation
professionnelle. L’urbain et le rural se distinguent du point de
vu des hommes par leurs activités. Mis à part l’élevage et
l’agriculture, on ne trouve pas d’autres activités spécifiques au
monde rural. Ces activités exigent la consommation de
grandes surfaces de terres que le milieu rural fourni. Les
activités en milieu urbain, relèvent de deux grands secteurs de
l’économie dits secteurs secondaire et du tertiaire. La notion

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de secteur, dérive d’une classification opérée par COLLIN
Clark. Elle est essentiellement fondée sur la différentiation des
procédés de production et sur la nature des produits, des
activités humaines.
Le secteur secondaire exige principalement l’emploi de

A_villes et
machines. Il aboutit à la production d’objets dits
urbanisation dans le monde L2 - Copie.doc

manufacturés qui peuvent être des biens de consommation


courante ou des biens de productions.
Le tertiaire, englobe toutes les activités dont les résultats, en
termes de production, ne sont un bien matériel, mais quelque
chose qui n’est pas palpable (service). La ville est le lieu par
excellence de la production des biens et des services. La
différence la plus immédiate que l’on fait entre la ville et la
campagne est la densité des habitations, la présence
d’immeubles à grande hauteur, bitume, un environnement de
grande technologie de vie évoluée. Quant aux ruraux, par
opposition, restent encore plus proche de cadre de vie naturel.
Cependant il existe une approche statistique de la définition de
l’urbain et du rural. Ici c’est la notion de taille, c'est-à-dire
volume de population ou effectif d’habitant dans une localité
ou dans des établissements humains, qui est mis en exergue.
Le qualificatif de village ou d’habitation rurale est donné à des
établissements ou à des localités qui se situent entre 1 à 5 000
ou à 10 000 habitants. Au-delà de 10 000 habitants,
statistiquement on a des villes. Mais il n’y a pas d’accord entre
les différents services de la statistique concernant cette
frontière qui est tantôt à 5 000 tantôt à 10 000. Le principe de
la distinction se fonde sur le fait qu’à partir d’une certaine
taille de localité, les éléments qui sont caractéristiques de
l’urbain, c'est-à-dire, services, cultures et organisation de
l’espace naissent, mais on ne peut dire avec précision à partir
de quand apparaît cette distinction de nature. On fait

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remarquer que de petits villages, ont souvent tous les traits de
villes, et que les villes de 10 à 20 milles habitants restent tout
aussi délabrées que des villages.
Le concept de ville doit-il donc être révisé ? Ou bien plutôt
faut-il le considérer non pas comme entité fixe proprement
dite, mais comme un instrument détenant et propageant une
forme de civilisation particulière, caractérisée par un ensemble
de traits qui peuvent se diffuser de manière plus ou moins
globale et plus ou moins parfaite ? Il y aura la véritable
« ville » et les déviations ou les prolongements du fait urbain.

II. Qu’est-ce que la ville pour le Géographe ?

Ce que l’on rassemble sous le nom de « ville » est multiforme


par sa situation, par sa taille, par son architecture, par son
organisation interne, par son rôle dans la vie régionale ou
nationale. Le géographe qui en entreprend l’étude la perçoit de
diverses manières : elle correspond à un mode particulier
d’occupation du sol ; elle rassemble en un espace plus ou
moins vaste, cependant relativement resserré, des groupes
d’individus qui y vivent et y produisent ; elle peut être
dynamique et prospère ou languissante et dégradée ; elle est le
nœud des flux tour à tour centripètes ou centrifuges de toutes
natures ; elle est, à des degrés divers et sous des formes
variées, l’élément fondamental de l’organisation de l’espace.
Cette approche géographique a progressivement été modifiée.
Les géographes ont tout d’abord prêté attention aux aspects
concrets. Le site, le plan, la morsure sur l’espace, les
modalités diversifiées de l’utilisation du sol les ont retenus.
Puis, ils ont découvert l’habitant : les origines, les
agencements variés de la répartition et des caractéristiques
démographiques de la population ont fait l’objet de leurs
recherches qui se sont étendues à d’autres activités urbaines.

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Ils ont décrit des genres de vie, des traits de civilisation qui se
différencient de ceux du monde rural. Ils ont aussi caractérisé
des fonctions et recherché l’origine et les fondements du
développement urbain, et ceci les a conduit à s’interroger sur
le rôle régional des villes, sur l’existence de réseaux ou
d’armatures s’appuyant sur la présence des noyaux urbains,
entretenant entre eux, dans certains cas, des relations plus ou
moins hiérarchisées.
Les conclusions à cette approche progressive ont pu être
résumées par cette phrase de Dalmasso dans "L’introduction
de la Géographie urbaine" de Pellegrini (1973, p.10) : « Les
villes sont la projection, sur une fraction de l’espace, des
conditions naturelles, des héritages de l’histoire, du jeu des
forces économiques, des efforts du progrès technique, du
génie créateur des architectes, des contraintes administratives,
des habitudes quotidiennes comme des aspirations conscientes
ou inconscientes de leurs habitants ».

III. Une définition conceptuelle de la ville

Qu’est-ce que la ville du point de vue général ? Sa définition


est-elle permanente ou liée à certaines caractéristiques de la
société ? L’important est de considérer que la ville,
concentration d’hommes, de besoins, de possibilités de toutes
sortes, ayant une capacité d’organisation et de transmission,
est à la fois sujet et objet. En tant qu’objet, elle existe
matériellement ; elle attire et accueille des habitants auxquels
elle fournit par sa production propre ou par son commerce, et
par ses équipements divers, la majeure partie de tout ce dont
ils ont besoin ; elle est le lieu où les contacts de toutes natures
sont favorisés et leurs résultats maximisés ; elle contribue

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essentiellement à la double liaison entre l’espace périphérique
qu’elle domine plus ou moins et l’espace lointain avec lequel
elle entretient des rapports complexes. Le cadre urbain influe
sur les habitants ; il peut les transformer peu à peu ; par ses
exigences (nourriture, matières premières, commerces). La
ville joue sur les activités internes et périphériques ; par son
pouvoir propre, elle favorise, diffuse ou bloque les impulsions
diverses venues de l’extérieur.
Le rôle de la ville peut varier en fonction de sa taille, de ses
équipements, de sa richesse, de son pouvoir. Son rôle est celui
d’une organisation médiatrice entre les individus et groupes
locaux d’une part et le milieu extérieur d’autre part.

Conclusion 

La ville est un instrument détenant et propageant une forme de


civilisation particulière, caractérisée par un ensemble de traits
qui peuvent se diffuser. Elle est la projection sur une fraction
de l’espace, des conditions naturelles, des héritages de
l’histoire, du jeu des forces économiques, des efforts du
progrès technique, du génie créateur des architectes et des
habitudes quotidiennes de ses habitants. Son rôle peut être
variable en fonction de sa taille, de ses équipements, de sa
richesse et de son pouvoir.

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Chapitre II : Une croissance urbaine généralisée mais
inégale

I. L'urbanisation, un phénomène planétaire


En ce début de XXI siècle, une majorité de personnes vit dans
des zones urbanisées et en 2030 deux habitants sur trois seront
vraisemblablement citadins. Cette urbanisation rapide de la
planète est le fait des 50 dernières années et a produit une
transformation spectaculaire de la répartition des hommes à la
surface de la Terre. Le monde devient ville. L'urbanisation
correspond à une mobilité accrue des sociétés actuelles et les
agglomérations urbaines en sont les pôles d'attraction. La
mondialisation, qui correspond à une logique mondiale de
concentration des activités, favorise les grandes ou très
grandes villes.

1. Le monde devient ville.


Le défi urbain est une des grandes questions de la période
contemporaine, car d'ici vingt ans la terre comptera 5 milliards
de citadins, dont les trois quarts dans les pays pauvres. Ceci
est l'aboutissement d'une vague d'urbanisation accélérée à
partir de 1950. Le phénomène est mondial, le taux
d'urbanisation moyen de la planète, proche de 15 % en 1950,
atteint 30 % en 1960 et 48,5 % en 2003 selon l'ONU, soit près
de 50 % aujourd'hui.
Bien sûr, la question des statistiques se pose, car la définition
des villes et la délimitation des agglomérations varient d'un
pays à un autre, d'un organisme à un autre. Les critères retenus
sont variés. Le critère de population, comprendre le nombre
d'habitants, est toujours lié à d'autres caractéristiques
fonctionnelles ou structurelles.

1.1. Définir l'urbain

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En France, entre 1846 et 1954, la définition de la zone urbaine
est simple: le chef-lieu de la commune doit avoir plus de 2 000
habitants. L’accroissement des banlieues a entraîné des
modifications depuis 1954. Afin de tenir compte de la
différence entre les petites villes des zones rurales et les
grandes agglomérations qui, avec leurs banlieues, recouvrent
de nombreuses communes, en 1962, l'INSEE conçoit la notion
d'unité urbaine: celle-ci « est un ensemble d'une ou de
plusieurs commune(s) dont le territoire est partiellement ou
totalement couvert par une zone bâtie d'au moins 2 000
habitants. Dans cette zone bâtie les constructions sont séparées
de leurs voisines de moins de 200 mètres » (on parle de ZAU
ou zonage en aire urbaine), l’INSEE a créé les ZPIU (ou zones
de peuplement industriel et urbain), regroupement des unités
urbaines, des communes rurales et contenant des
industries, des communes dortoirs dans lesquelles les
habitants travaillent dans des pôles urbains. Ceux-ci ont
une définition précise: chaque pôle correspond à une unité
urbaine fournissant 5 000 emplois (minimum) et ne faisant
pas partie d'une zone périphérique d'un autre pôle.
L'évolution depuis la Seconde Guerre mondiale est
spectaculaire. En 1950, le nombre des citadins est de 730
millions pour une population mondiale de 2,5 milliards et 85
villes étaient millionnaires. En 2003, la population urbaine
peut être estimée à près de 3,050 milliards d'habitants pour
une population mondiale de 6,3 milliards, soit un taux
d'urbanisation d'environ 48,5 % et les villes continuent de
croître à un rythme de 2,1 % (2000-2003), soit cinq fois plus
vite que le monde rural.
Il existe aujourd'hui 173 agglomérations de plus de 2 millions
d'habitants qui rassemblent près de 900 millions de personnes,
soit 14 % de la population du globe.

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Toutefois, les taux d'urbanisation actuels sont encore très
divers et correspondent à des niveaux de développement
différents. Entre le Bhutan, où le taux est de 8,5 %, le Burundi
avec 9,9 %, l'Inde 28,3 %, la Chine, 38,6 % et la France 76,3
% ou les États-Unis 80,1 %, les écarts sont considérables. Une
distinction fondamentale apparaît entre les pays développés
qui ont des taux d'urbanisation proches de 75 % en moyenne,
et les pays en développement qui dépassent de peu les 40 %,
alors que les pays les moins avancés avoisinent seulement les
25%
La croissance urbaine est sélective et touche de manières
différentes les divers continents. L'Asie et l'Afrique sont les
plus transformés par une déruralisation rapide en raison de la
rigidité des structures agraires, de l'abandon des terres
marginales et des crises agricoles. La ville apparaît ici comme
le lieu essentiel des services, du travail ou des possibilités de
migrations. Cependant, des spécificités existent au niveau de
chaque ensemble régional ou de chaque pays en fonction des
héritages et des histoires propres à chacun. Ainsi, en Chine, les
gouvernements ont longtemps bloqué les migrations
paysannes vers la ville, ce qui explique un taux d'urbanisation
encore très faible, de 13 % en 1978 à la fin de la période
maoïste, mais aussi une croissance urbaine très rapide dès la
fin des contraintes au début des années 1980, le taux
d'urbanisation atteignant 28,8 % en 2003. À l'échelle
continentale, la croissance est plus régulière avec un taux qui
passe de 16,6 % à 38,8 % de 1950 à 2003. En Amérique latine,
les taux d'urbanisation sont toujours restés relativement élevés
(41,9 % en 1950, 76,8 % en 2003). Cette situation ne
correspond pas obligatoirement à un niveau de
développement, mais elle est liée aux formes de
peuplement de l'espace à partir du XVI' siècle, au rôle des
villes, à la très forte concentration urbaine alimentée par

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un fort exode rural. En Afrique, le phénomène est plus récent
et plus spectaculaire. Ce continent est très peu urbanisé au
début du xx siècle, l'essor va débuter dans les années 1940 et
les rythmes d'accroissement sont désormais supérieurs à ceux
de tous les autres, avec une croissance annuelle de la
population urbaine de 3,6 % par an et un taux d'urbanisation
de 38,7 %, soit l'équivalent de celui de l'Asie.
De façon plus générale, l'analyse des taux d'accroissement de
l'urbanisation est significative d'un « rattrapage» de la plupart
des pays en développement sur les pays développés aux taux
plus élevés. Ainsi, plus le niveau de vie est faible et plus le
taux d'accroissement de l'urbanisation est élevé. Entre 1980
et 1991, les États; à faible revenu (Chine et Inde exclus) ont
des taux en moyenne supérieurs à 5 % l'an, contre 0,8 % pour
les pays industrialisés, alors que les pays à revenus
intermédiaires approchent les 3 %. Actuellement, le
différentiel reste fort entre les 0,1 % de croissance en
Europe et les 5 % des pays d'Afrique de l'Ouest . Les
perspectives retenues à l'échéance de 2030 proposent un
passage d'un peu plus de 3 milliards d'urbains à près de 5
milliards pour une population totale de 8 milliards.

2. Les facteurs de l'urbanisation


Les mécanismes de l'urbanisation à l'échelle de la planète
semblent corrélatifs du niveau de développement, mais
l'explosion contemporaine trouve aussi sa source dans les
composantes démographiques et migratoires, ainsi que dans
les modalités du peuplement.
L’urbanisation est d'abord révélatrice d'un niveau de
développement. Abstraction faite des villes-Etats, dont le
territoire exigu est entièrement urbanisé (Singapour,
Gibraltar), le taux d'urbanisation est avant tout fortement

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corrélé au niveau de développement du pays. Plusieurs
exemples le démontrent :
- tous les pays industrialisés ont un taux d'urbanisation
supérieur à la moyenne mondiale.
- Parmi les pays arabes, les pays producteurs de pétrole ont un
taux d'urbanisation dépassant les 75 % (Émirats arabes unis,
Arabie Saoudite, Koweït ou Qatar), tandis que le taux
d'urbanisation du Yémen, non producteur, est de 25 % ;
- en Amérique latine, la Bolivie, l'Équateur ou Guyana sont les
plus pauvres et les moins urbanisés, l'Argentine et le Chili, les
plus riches, sont les plus urbanisés;
- enfin, sur le continent africain, l'Afrique du Sud, le Gabon et
les pays du Maghreb ont des taux d'urbanisation voisins de 55
%, nettement plus élevés que la moyenne africaine (38,7 %),
tout comme la valeur moyenne de leur PIB par habitant. Ces
situations contrastées sont dues au transfert progressif d'une
population active majoritairement agricole et rurale vers des
secteurs d'activités industrielles et de services dont la
localisation est urbaine. L'exode rural a été le moteur
essentiel de l'urbanisation dans les pays industrialisés
pendant les Trente Glorieuses et les années 1980. La ville est
alors un pôle attractif créateur d'emplois induits par le
fordisme et qui couvre ses besoins de main-d'œuvre grâce aux
populations libérées par les efforts de productivité du monde
rural ou issues de l'immigration. L’exode rural actuel, rapide
dans les pays du tiers-monde, obéit aux mêmes dynamiques
d'attraction-répulsion. L’accroissement démographique est
un autre facteur explicatif de la croissance urbaine. La ville
est d'abord un lieu d'accroissement naturel fort. Dans les pays
développés, ce sont les villes qui concentrent les grandes
infrastructures sanitaires. Les citadins sont les mieux protégés,
ils profitent des meilleures conditions de vie sur le plan
économique, social et culturel et bénéficient d'une grande

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longévité responsable de la croissance urbaine. Dans les vil1es
des pays les moins développés, l'amélioration des conditions
sanitaires entraîne un fort recul de la mortalité infantile et la
proportion de population jeune est très élevée, ce qui induit
une hausse de la natalité. L’accroissement naturel est une
des causes majeures de croissance, auquel s'ajoutent les
migrations des populations jeunes des campagnes vers les
villes, ce que Milton Santos a appelé l'urbanisation
démographique. Ainsi, chaque année, la population urbaine
du monde s'accroît de près de 85 millions de personnes.
Ces deux grands types de facteurs permettent de comprendre
le poids respectif des croissances rurale et urbaine des pays
développés et des pays en développement. Cependant, si l'on
compare des pays à niveau de développement équivalent, une
observation fine relève des disparités que les facteurs
précédents ne suffisent pas à expliquer, comme la différence
des taux d'urbanisation entre l'Europe et l'Amérique du Nord,
le Brésil et le Chili ou l'écart entre l'Ouganda et le Bangladesh.
D'autres explications peuvent être avancées.
Dans les régions soumises à un élément bioclimatique
contraignant, le nombre de sites habités est restreint, la
population est concentrée et les taux d'urbanisation élevés,
que ce soit à cause du froid (Sibérie, Alaska), de l'aridité
(Arabie, Sahara, Australie) ou des milieux forestiers
intertropicaux. L'autre facteur qui permet d'affiner les
différenciations est l'ancienneté du peuplement. Ainsi, la
jeunesse relative du peuplement, sous forme de points de
fixation urbains, explique non seulement le taux
d'urbanisation des pays neufs (Amérique du Nord, Australie)
face à ceux d'Europe, mais également son augmentation sur
leurs périphéries mises en valeur plus tardivement : la Sibérie
a un taux d'urbanisation supérieur à la Russie d'Europe et les
États de l'Ouest américain sont plus urbanisés que ceux de

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l'Est. Enfin, certains milieux sont peu «urbanisants », comme
la montagne qui renforce les contraintes, le Bhutan à un taux
d'urbanisation de 8,5 %, le Rwanda 15 %, en Europe,
l'Autriche 55,5 % et la Suisse 57,5 % ont des taux inférieurs à
la moyenne européenne 73 %, mais la part des héritages
historiques et culturels expliquent aussi la faiblesse de
l'urbanisation à l'image du Japon intérieur. Pour définir une
logique globale, les analystes ont même établi un modèle de
transition urbaine, s'inspirant de la transition
démographique, qui affirme que tout pays passe d'un stade où
sa population est majoritairement rurale à un stade où elle est
majoritairement citadine, des phases intermédiaires soulignent
cette transition. En phase A, le taux d'urbanisation et sa
croissance restent faibles, c'est le cas d'un petit nombre de
pays comme le Bhutan, le Laos ou la Papouasie-Nouvelle-
Guinée. En phase B, l'accélération est rapide de type
exponentiel, comme la Chine et une partie de l'Afrique
tropicale. En phase C, l'accélération décroît et prend une
forme de type logarithmique, Cela concerne le Maghreb,
l'essentiel de l'Asie, en dehors de la Chine et du Japon et une
partie de l'Amérique latine. Enfin, en phase D, la croissance
devient quasi nulle, l'essentiel de la population vivant en ville,
cas des pays industrialisés, mais aussi de l'Argentine ou de
l'Afrique du Sud. Ce modèle ne conserve sa pertinence qu'à
l'échelle de la planète.

3. Une croissance sélective des villes

Au-delà des taux d'urbanisation, la géographie du monde


urbain montre la domination des deux grandes puissances
démographiques mondiales, la Chine et l'Inde. Un cinquième
de la population urbaine mondiale vit en Chine. La population
urbaine de l'Inde est pratiquement équivalente à celle de

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l'Afrique. Les autres grands foyers de population urbaine se
retrouvent en Amérique du Nord, en Europe, mais aussi en
Russie, au Japon et en Indonésie. Le monde urbain est donc
présent sur tous les continents et l'explosion des villes est
surtout le fait des pays en développement qui ont le plus de
difficultés à maîtriser et à réguler le phénomène.
Cette croissance urbaine connaît d'autres différenciations
malgré sa généralisation à l'ensemble de la planète. On peut
retenir deux niveaux de différenciation qui vont jouer un rôle
important dans le processus de mondialisation.
Tout d'abord, le nombre de villes par région varie, ce qui
traduit souvent le poids de l'histoire et une tradition urbaine.
L'Europe est la région du monde où les villes sont les plus
nombreuses; sur une surface quatre fois inférieure, elle
rassemble 5 fois plus de villes que l'Amérique du Nord, et
l'Allemagne compte davantage de villes que le Brésil. Cette
différence de densité, cette proximité de la ville renforcent
dans la vieille Europe les noyaux urbains, la diffusion d'une
société urbaine et l'atténuation de la distinction rural-urbain.
Cet ensemble de villes européennes se prolonge sur le
pourtour du Bassin méditerranéen et jusqu'au bassin de
Moscou. Ce sont alors près de 3700 villes (en 2000) qui
viennent s'ajouter à l'ensemble de l'Europe occidentale, soit au
total un regroupement du tiers des villes de la Terre. D'autres
mondes urbains émergent en particulier en Asie (Japon, Chine,
Inde), en Amérique (États-Unis, Brésil), mais la distribution
des villes varie: la distance moyenne entre les villes de plus de
10 000 habitants est de moins de 20 km en Europe (moins de
10 km dans la dorsale européenne et au Japon) et en Inde, de
40 à 90 km en Amérique et plus de 100 km en Afrique.
Au-delà de l'urbanisation et de la multiplication des villes,
une nouvelle hiérarchisation se développe qui renforce les
phénomènes de concentration et la multiplication des grandes

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agglomérations. Le processus d'urbanisation obéit à des
mécanismes qui peuvent différer suivant les conditions
locales ou régionales, mais il correspond de plus en plus à une
logique mondiale de concentration spatiale des activités. En
effet, les agglomérations urbaines permettent sur des surfaces
restreintes de minimiser les coûts de production, grâce à la
proximité, l'abondance et à la diversité de la main-d'œuvre,
ainsi qu'en raison de la présence de consommateurs avec
d'importants revenus moyens. L'économiste C. Baumont parle
de «capital social» pour évoquer le fait que la proximité
géographique des différentes activités est source de gains.
Pour bénéficier de ces économies, on doit prendre en compte
des effets de seuil. La prolifération des grandes métropoles
semble la manifestation la plus éclatante de la croissance
urbaine actuelle et de la mondialisation: si 49 agglomérations
dépassaient 1 million d'habitants en 1950, et 99 en 1960, ce
sont 407 qui sont millionnaires en 2003. La métropolisation,
le développement de très grandes agglomérations, se retrouve
à la fois dans les centres moteurs de l'économie mondiale et
dans les pays les moins avancés où l'armature urbaine montre
une faiblesse répétée des villes moyennes et petites.

II. L'explosion urbaine des « Suds »

1. Une croissance exceptionnelle à toutes les échelles

Comparés aux pays développés, les pays en développement


ont a priori un degré d'urbanisation encore modeste, 42,1 %
contre 74,5 % pour les premiers. Mais ces valeurs ne sont que
de simples repères, car le tiers-monde est loin de former une
entité homogène, les taux d'urbanisation variant de moins de
20 % (Timor. Cambodge, Lesotho) à plus de 80 % pour
l'Amérique du Sud. Ces valeurs étant relatives, il est

19
nécessaire de les rapporter à la population totale et à la
superficie du pays. Ainsi, les 29 % de la Chine correspondent
à 504 millions d'habitants alors que les 29 % du Kenya
correspondent à 12 millions d'habitants.
La poussée urbaine semble irrésistible, les villes des pays en
développement connaissent une croissance explosive et leur
population est passée de 290 millions d'habitants en 1950 à
850 millions en 1975 et plus de 2,1 milliards en 2003. Bien
qu'en net recul par rapport aux années 1970, le taux de
croissance est proche de 3 %, soit un temps de doublement des
villes de 22 ans. L'essentiel de la croissance démographique
des pays en développement s'effectue au bénéfice des villes,
suivant des rythmes et une intensité variables. Durant les
années 1970, les pays à faible revenu ont connu un taux
annuel de croissance urbaine de 3,5 %, alors que les pays à
revenu intermédiaire atteignaient 4 %. Les années 1980 sont
marquées par un essor urbain exceptionnel des pays les moins
avancés (PMA) avec un taux de près de 9 % et un maintien du
taux des pays intermédiaires avec 3,4 %. Enfin, depuis une
décennie les taux toujours élevés ont régressé pour atteindre
2,8 % pour l'ensemble des pays en développement mais encore
4,3 % pour les PMA.
La situation varie d'un continent à l'autre. L'Amérique latine
avait enregistré dès les années 1920 une poussée vigoureuse
des villes, notamment des métropoles. Son taux de croissance
urbaine n'est plus que de 1,9 %, nombre de pays étant dans la
dernière phase de la transition urbaine. L'Asie a connu plus
tardivement, et avec moins d'intensité, la révolution urbaine,
car des pays comme l'Inde, et surtout la Chine ont cherché à
freiner le mouvement en retenant les paysans dans les
campagnes, aussi le taux de croissance est en baisse avec 2,7
% mais porte sur des masses de population importantes. Quant
à l'Afrique, partie la moins urbanisée de la planète, elle

20
connaît un rattrapage accéléré. Son taux de croissance urbaine
atteint des records de 3,6 % l'an, ce qui correspond à un
doublement des villes en 20 ans.
Les causes de cette spectaculaire poussé urbaine sont doubles.
L'exode rural assure l'essentiel de la croissance par un
formidable transfert de population, des campagnes vers les
villes. Dans les pays en développement, une grande part des
urbains est des néo-urbains, nés à la campagne et provenant
d'aires de recrutement parfois vastes; Ainsi Dakar au Sénégal
ou Abidjan en Côte d'Ivoire attirent des personnes en
provenance des pays voisins. Dans les États les moins
avancés, la pression démographique dans le monde rural et
l'attraction des villes côtières, foyers d'exportation, provoquent
d'importantes migrations intérieures. En Afrique, où les
réservoirs de main-d'œuvre restent conséquents, les migrations
vers les villes, qualifiées par J. Dupuis de « migrations du
désespoir », sont le résultat de toute une série de facteurs
allant de la misère, de l'extrême faiblesse des revenus
agricoles, de l'abandon des sols trop pentus ou trop arides,
des terres marginales, d'un travail pénible, de conditions
d'existence médiocres, de structures sociales rigides, aux
guerres.

2. Les causes de l'explosion urbaine dans les pays en


développement
Les raisons qui poussent les ruraux à partir pour la ville
relèvent de plusieurs ordres: aux préoccupations de nature
économique, obsédantes - trouver un emploi rémunérateur
pour le paysan sans terre, acquérir des biens de consommation
ou accumuler un pécule - s'ajoutent des aspirations plus
sociales, voire culturelles. La recherche - pour les enfants -
d'un encadrement scolaire de meilleure qualité constitue l'une
des principales motivations des migrants. L’éducation en ville

21
est vécue comme une chance de mieux-être et de promotion.
Mais cette migration ne résulte pas toujours d'un authentique
choix. On sait que la mécanisation de l'agriculture, qui s'est
affirmée durant les années 1950, a rejeté vers les villes toute
une main-d'œuvre d'ouvriers agricoles, subitement démobilisés
et sans autre recours. Dans le cas de l'Inde, on a prétendu que
la « Révolution verte» (introduction de nouvelles méthodes de
culture et de variétés plus adaptées et performantes) aurait eu
certains effets pervers. Elle aurait notamment suscité de
nombreux départs de ruraux déclassés, vers les centres
urbains. Dans le cas de la Chine, il semble que les réformes de
libéralisation de l'économie, impulsées à la fin des années 70,
soient à l'origine de la croissance urbaine forte de la décennie
80. En effet, ces réformes eurent pour conséquence indirecte
un relâchement du contrôle de la population rurale - prompte à
tenter sa chance en ville, riche en opportunités variées -, plus
fermement exercé jusque-là par les pouvoirs publics
(autorisations de déplacement accordées au compte-gouttes,
voire interdiction de sortie des districts). Il en résulta un
mouvement massif d'individus indésirés, échappant aux
structures d'encadrement, vers les principales villes. Cette «
population flottante» - ainsi que la désignent les géographes
chinois -, non intégrée à l'économie urbaine officielle,
représentaient au début des années 90 une masse de 80
millions d'individus, dont le sort demeure encore indécis. Ces
« paysans égarés» auraient amplement contribué à alimenter
les troubles qui ont secoué les villes chinoises au printemps
1989.
On évalue à environ 25 millions de ruraux, chassés par la
pauvreté ou l'insécurité, le nombre de personnes qui quittent
chaque année les campagnes du tiers-monde pour tenter leur
chance en ville. Ces mouvements sont à la fois intra-étatiques
et internationaux. Ainsi, au Burkina Faso, où 82 % de la

22
population est rurale, les Mossi retrouvent de vieux chemins
d'émigration vers la Côte d'Ivoire. Dans les régions où
l'agriculture se modernise, les efforts de productivité
suppriment des emplois et contribuent à accentuer l'exode
saisonnier ou définitif (cf. Brésil, Inde). Cette urbanisation ne
repose pas toujours sur des emplois urbains malgré une
tertiarisation des villes. Cependant, si les candidats au départ
savent que la ville est un monde rude, où le chômage est
endémique et où la pénurie de logements fait proliférer les
bidonvilles, elle offre aussi des opportunités grâce aux réseaux
familiaux et aux ressources du secteur informel. Elle permet
une mobilité sociale inexistante dans le milieu rural.
L'accroissement naturel est bien sûr l'autre composante de
cette explosion urbaine. Le recul important de la mortalité, en
particulier infantile, et le maintien d'une forte fécondité, liée
aux nouveaux arrivants souvent plus jeunes et conservant une
fécondité traditionnelle, concourent à cette croissance. En
outre, les villes, par l'encadrement sanitaire et médical qu'elles
offrent, ainsi que par la dissolution des contraintes sociales
qu'elles facilitent (contrôle familial allégé), connaissent, dans
l'ensemble, des taux de natalité relativement plus élevés que
les campagnes, au moins dans les premiers temps, tant que des
comportements démographiques proprement urbains ne sont
pas installés dans les habitudes.

3. Macrocéphalie et déséquilibres territoriaux


Si le développement des grandes agglomérations est d'abord le
fait des pays industrialisés, la croissance urbaine du tiers-
monde se traduit par le rôle majeur des villes principales qui
continuent de concentrer le plus la population au point de
devenir des mégapoles de plusieurs millions d'habitants au
terme de croissances surprenantes. Ainsi, Lagos (Nigeria) ne
comptait que 40 000 habitants en 1900 et, un siècle plus tard,

23
sa population avoisine 10,1 millions d'habitants; Séoul (Corée
du Sud) est passée pendant la même période de 200 000 à près
de 20 millions. La très rapide extension des agglomérations
des pays en développement s'est amplifiée depuis trente ans
environ. Les progressions de Mexico, du Caire ou Shanghai
sont particulièrement spectaculaires. Au début du XXI' siècle,
l'Afrique possède 21 villes de plus de 2 millions d'habitants;
l'Asie (sans la Russie) 75, et l'Amérique latine 19, soit un total
de 115 sur les 173 villes mondiales de ce type. Par ailleurs, les
taux de concentration de la population urbaine dans la plus
grande agglomération ou dans les 2 ou 3 plus importants
centres sont toujours supérieurs à 50%. Le terme de
macrocéphalie est souvent employé pour désigner, dans un
pays, la concentration des hommes et des activités dans une
seule ville. Ainsi, le taux d'accroissement moyen annuel
(moyenne 2000-2003) est de 5 % pour Lagos, 3,7 % pour
Kinshasa, 3,6 % pour Jakarta et de 4 % pour Riyad (Arabie
Saoudite). De ce fait, en 2015, on comptera huit
agglomérations du Sud dans les dix premières villes du
monde.
Les mégapoles du Sud sont l'expression de déséquilibres que
l'on peut prendre en compte à différentes échelles: régionale,
nationale ou mondiale. À l'échelle régionale, la concentration
des activités et des hommes sur quelques pôles débouche sur
la ville parasite qui vide les régions de ses paysans, de ses
élites locales et qui renforce les inégalités spatiales. En effet,
plus l'urbanisation s'accroît, plus on fait appel à des
importations de denrées alimentaires et industrielles liées à de
nouveaux types de consommation. Or, les régions incapables
de se spécialiser ne peuvent répondre ni à la nouvelle
demande, ni aux besoins des marchés internationaux. De ce
fait, la dépendance augmente vis-à-vis des pays industrialisés;
les villes sont ainsi l'expression de la dépendance des pays en

24
développement, véritables périphéries dominées par des
centres de l'économie mondiale, le véritable pouvoir étant
concentré dans les villes globales comme New York, Tokyo
ou Londres. Les déséquilibres se retrouvent aussi au niveau de
la répartition et de l'organisation spatiale, avec une forte
concentration sur les littoraux. La croissance profite aux
villes côtières, vieux centres stimulés ou mis en place par la
colonisation (Dakar, Abidjan, Recife, Shanghaï, Jakarta...).
Ces mégapoles maritimes sont des interfaces avec le reste de
l'économie mondiale. De plus la ségrégation spatiale est
marquée: les populations aisées et les classes moyennes se
regroupent dans les quartiers les plus agréables, dans le centre
comme à Buenos Aires ou Sao Paulo, ou dans des banlieues
bien aménagées et isolées comme à Mexico, Abidjan ou
Bangkok. Les populations pauvres, qui constituent un: large
part de la population urbaine, résident dans des quartiers
déshérités des vieux centres ou dans des « bidonvilles »,
habitats plus ou moins bien intégrés, souvent localisés sur les
sites délaissés, notamment les fonds de vallées insalubres et
inondables (Teotihuacan à Mexico, la lagune à Porto Novo au
Bénin), les collines exposées aux risques de glissements de
terrain (favelas de Rio de Janeiro), les espaces soumis aux
pollutions industrielles (Lagos, Manille, Bhopalou Calcutta en
Inde). L'existence d'une très forte ségrégation spatiale est le
marqueur de ces mégapoles.

4. Villes et intégration dans la mondialisation: entre


héritages et ruptures

L'urbanisation n'est pas un phénomène nouveau dans les


espaces en développement, mais la ville est-elle un plus ou un
handicap dans le processus de développement? Si les villes du
tiers-monde ont connu et connaissent une croissance

25
fulgurante au cours des dernières décennies, leur histoire est
ancienne et éclaire le contexte d'intégration de ces États au
système mondial. L'Asie et l'Amérique latine, plus que
l'Afrique subsaharienne restée longtemps peu peuplée et
isolée, sont des continents de vieille civilisation urbaine. En
Asie, l'émergence d'Etats stables en Perse, en Inde, dans
l'Empire khmer, en Chine ou au Japon a précocement favorisé
la mise en place de réseaux de villes marchandes et
administratives. Des villes chinoises et japonaises figuraient
au XVIII' siècle parmi les plus grandes villes du monde. Les
centres urbains littoraux d'Asie de l'Est et du Sud-Est
bénéficient depuis longtemps de l'ouverture maritime et
profitent, de nos jours, de l'essor industriel. L'Amérique latine
a connu une histoire urbaine ancienne et brillante: les
Aztèques, les Mayas et les Incas avaient bâti des cités politico-
religieuses dépassant 100.000 habitants. La colonisation est un
processus d'intégration de ces espaces largement responsable
de la configuration des réseaux urbains, ainsi que de certains
déséquilibres comme la macrocéphalie.

5. L'impact de la colonisation

L’épisode colonial» - environ cinq siècles, du xv à la


deuxième moitié du xx' siècle - a sans aucun doute marqué la
genèse des villes du tiers monde. La participation majeure des
Européens à la formation des réseaux urbains d'un grand
nombre de pays du tiers monde est un fait peu contestable.
Pour asseoir durablement leur autorité, comme pour conforter
leur influence, les Européens se sont employés en effet à créer
des centres urbains. Qu'il s'agisse de fortins militaires, érigés
dans des zones mal contrôlées comme dans le Sahara algérien
-, de relais à partir desquels étaient administrées les régions
pacifiées, ou de centres économiques par où transitaient les

26
produits exportés vers la métropole ou importés de celle-ci, les
villes d'origine coloniale sont innombrables.
Abidjan est l’exemple éclairant. L’actuelle capitale de la Côte-
d'Ivoire fut fondée par les Français en 1898. Sa naissance est
contemporaine de la construction du chemin de fer: la ville est
située au débouché, sur le littoral, de la voie ferrée. Cette
position n'est pas innocente: la ville est tournée vers
l'extérieur, vers la métropole au service de laquelle elle a été
conçue. La voie ferrée, support de la pénétration française vers
l'intérieur, favorisait le drainage des richesses locales, au profit
des intérêts étrangers. Le port, qui fait partie intégrante de la
ville, avec ses hangars, ses sociétés d'import-export et ses
fabriques de première transformation, s'inscrit parfaitement
dans la logique coloniale.
On observe d'ailleurs que les plus grandes villes ont
fréquemment une localisation périphérique. Ainsi le port de
Djakarta-Batavia (Indonésie/Java), fondé au début du XVII'
par les Hollandais a détrôné les vieilles villes autochtones de
l'intérieur de l'île. Ainsi les villes littorales marocaines comme
Tanger et Casablanca ont, sous la double impulsion française
et espagnole, concurrencé les anciennes capitales de l'intérieur
(Fès, Marrakech, Meknès) ; ainsi, Shangai et Canton portent
davantage l'empreinte européenne que Pékin, implantée à plus
de 180 kilomètres des rives du golfe de Pohaï.
La croissance urbaine et les villes des pays en développement
ont longtemps été présentées comme un handicap majeur du
développement. Paul Bairoch, dans son ouvrage de Jericho à
Mexico (1985), insiste sur le fait que « la ville du tiers-monde
a perdu ses fonction de développement ». Cette vision
pessimiste s'appuie sur divers arguments: absence d'effets
positifs des villes sur les techniques et la production agricoles,
concentration de population qui favorise davantage les
importations que la production locale, monétarisation de

27
l'économie qui facilite la dépendance à l'égard des capitaux
internationaux, faiblesse de la ville comme lieu d'innovation et
de diffusion de techniques mises au point dans les pays
industrialisés, hypertrophie du secteur tertiaire souvent
informel et croissance trop rapide marquée par la congestion,
la pollution, l'habitat médiocre, la criminalité et le chômage.
Ce schéma est pertinent comme le prouve le fonctionnement
des mégapoles d'Afrique (Kinshasa, Casablanca ou
Khartoum), d'Asie (Calcutta, Dacca ou Manille) et d'Amérique
latine (Lima ou La Paz). De plus, les grandes institutions
internationales (Banque mondiale, FMI) estiment, dans une
vision libérale, que les lois d'un marché libre ne peuvent
s'exercer en raison des mauvaises politiques et de la corruption
qui provoquent une déperdition des capitaux au sein de ces
grands organismes urbains.
Cependant, les arguments ne manquent pas pour prouver le
rôle capital des mégapoles. Au niveau de l'emploi, l'économie
non officielle, le secteur informel, joue un rôle capital dans
des métropoles comme Lagos ou Bombay. Ces entreprises de
petites tailles, qui ne respectent pas les réglementations, sont
d'une grande flexibilité, occupant une main-d'œuvre abondante
et bon marché et constituant pour les plus pauvres un moyen
de survivre. La mobilité sociale plus grande en ville, les
services sanitaires et éducatifs sont autant de facteurs sociaux
qui sont à mettre au crédit des centres urbains.
Enfin, il existe une relation étroite entre ville et campagne.
Ainsi, de véritables réseaux se sont établis et, en Afrique par
exemple, des mouvements migratoires saisonniers relient un
système à l'autre. Ces associations villageoises « urbaines»
créent des services communautaires et des revenus importants
retournent dans le milieu rural. La croissance urbaine peut
donc aussi apparaître comme un facteur de développement
fondé sur des économies de taille. Cependant, à l'échelle

28
régionale ou nationale, la concentration urbaine repose sur un
déséquilibre.

III. L'urbanisation du Nord: entre ralentissement et


recomposition

Les pays industrialisés connaissent depuis quelques décennies


un net ralentissement de leur croissance urbaine. Le taux
d'urbanisation se stabilise autour des trois quarts de la
population (74,5 % en 2003) et la croissance prévue sur 30 ans
est lente avec un passage de 900 millions d'urbains en 2000 à
1 milliard en 2030. Dans les pays industrialisés, la phase
d'urbanisation rapide est désormais achevée puisque le taux
moyen de croissance des villes est de 0,5 % en 2003 contre 3
% dans les années 1950. Au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale, l'essor urbain reposait sur:
-l'accroissement naturel, avec le baby-boom qui touche les
États-Unis, l'Europe occidentale et le Japon, les villes alliant
forte fécondité et jeunesse de leurs populations;
-l'accélération de l'exode rural en liaison avec une
modernisation des campagnes. Ainsi au Japon, à partir de
1950, ce sont 5 millions de personnes qui quittent chaque
année leurs communes, avec un maximum de 8,5 millions en
1973, et encore 6 millions en 1985. En Europe, ce sont les
pays de l'espace méditerranéen qui connaissent les mutations
les plus rapides;
- un appel à une immigration qui fournit une main-d'œuvre
nécessaire aux industries urbaines; populations turques,
grecques en Allemagne, du sub-continent indien au Royaume-
Uni ou de l'espace méditerranéen pour la France ou la
Belgique.
Depuis un quart de siècle, la croissance urbaine diminue et
l'on assiste même à une redistribution de citadins vers les

29
espaces ruraux proches des villes. La raison majeure du
freinage de l'urbanisation tient au tarissement de l'exode rural
qui alimenta longtemps la croissance des villes. (fig. 6).
Le réservoir des campagnes est désormais presque vide, avec
seulement 8 % de population rurale au Royaume-Uni, 2,7 %
en Belgique, 9,9 % aux États-Unis ou même la quasi absence
d'espace rural à Singapour. La croissance urbaine des pays
développés ne s'alimente plus que de l'excédent des naissances
sur les décès, désormais très faible, et de l'apport, de plus en
plus réglementé, de l'immigration étrangère. Ainsi, de
nombreux pays européens et le Japon connaissent des
phénomènes de saturation de l'urbanisation, les taux
d'urbanisation semblent stagner à des niveaux variables de 60,
70 ou 80 %, avec une irrégularité de l'évolution qui fait
alterner de légères régressions des taux d'urbanisation et des
périodes de croissance.
Cependant, l'évolution de cette urbanisation reste inégale
selon les continents, les pays et leurs structures soio-
économiques. Dans l'Union européenne et au Japon, les villes
s'accroissent aujourd'hui lentement, à un rythme proche de 0,3
% l'an. La taille de la ville ne semble plus être un critère
décisif de différenciation car les villes moyennes et même les
petites, longtemps défavorisées par rapport aux métropoles,
savent à présent jouer d'atouts plus spécifiques (un cadre de
vie plus agréable, des coûts de fonctionnement moins élevés,
de bonnes infrastructures de communication) pour attirer les
entreprises et par conséquent les emplois, comme le prouve
des villes de l'Ouest français (La Rochelle, Poitiers), du Nord
de l'Italie (Padoue, Trévise), du Bassin de Londres
(Cambridge, Reading) (fig.7).
L'attractivité d'une ville tient moins à sa taille qu'à la nature de
ses activités dominantes, à la qualité de ses équipements et de
sa desserte par les moyens de transport, à l'efficacité des

30
relations, aux synergies établies avec les villes proches. Les
constitutions de projets interrégionaux (arc atlantique, arc
méditerranéen, arc baltique) sont un accélérateur de
développement de ces villes moyennes. En Europe orientale et
en Russie, la régression est parfois plus importante, liée en
grande partie aux caractéristiques d'économies en transition
qui s'accompagne d'un net recul de l'emploi industriel
traditionnel et d'une chute de la fécondité urbaine face à
l'incertitude soio-économique. Les villes nord-américaines
gardent un rythme moyen plus rapide de l'ordre de 1,4 %. Cela
correspond à la fois à un taux de croissance naturel plus élevé
et au maintien d'un apport migratoire extérieur soutenu. Aux
États-Unis comme au Canada, l'opposition de croissance est
entre les villes du Sud et de la façade pacifique (Miami,
Phoenix, San Diego, Vancouver), dont l'attractivité ne se
dément pas, et les villes plus anciennes de l'Industrial belt et
du Québec, du Nord-Est à la croissance affaiblie ou régressive
(Detroit, Rochester), malgré le dynamisme renouvelé dont font
preuves certaines métropoles à commencer par New York ou
Boston.

1. Nouvelles attractivités et nouvelles formes de la diffusion


urbaine

Le monde des pays industrialisés est un monde urbain qui


touche l'ensemble de la population, comme le suggère
l'utilbation pour les États-Unis, mais applicable aussi en
Europe, d'« urban way oflife ». Ce mode de vie urbain est
révélateur de la capacité d'attraction des villes pour tous les
types d'acteurs. Ainsi, pour les entreprises, la ville est
attractive car elle répond aux deux déterminants qui leur sont
nécessaires: des moyens de produire et un marché ou les
moyens de communiquer avec le marché.

31
L’attraction des sunnites urbains, dont Montpellier la «
surdouée» est le modèle français le mieux réussi, apparaît
partout supérieur à leur réel pouvoir économique. Montée du
chômage, accroissement des soldes migratoires, créations
d'emplois dans les secteurs dynamiques vont d'un même pas,
que l'orthodoxie urbaine ne sait plus aujourd'hui cadencer. À
l'autre échelle de la ville, l'organisation interne des
agglomérations et des régions urbaines, les mobilités
résidentielles révèlent les mêmes pulsions profondes du corps
social. Naguère, la mine attirait le coron, et l'usine, le
lotissement pavillonnaire ou le grand ensemble. Aujourd'hui,
toutes les enquêtes attestent que les citadins sont plus
sensibles, dans la fixation ou le changement de leur domicile,
aux attraits de l'environnement (centre-ville ou périphérie)
qu'à la proximité du lieu de travail. La ville-outil est dépassée.
De ce fait, les agglomérations des pays développées présentent
des atouts et concentrent activités, capitaux et emplois. On
peut citer les ports et les grandes zones industrialo-portuaires
(Rotterdam, Kobé, Vancouver) ; les mégapoles (Paris, Los
Angeles) ; les mégalopoles (Boswash - Boston-Washington-,
mégalopole japonaise) véritables régions urbaines à l'image de
la Ruhr ou de la Ranstad Holland, aux Pays-Bas, voire à une
autre échelle la dorsale européenne du Bassin de Londres au
nord de l'Italie, sans oublier la multiplication des villes
moyennes dont le dynamisme est lié à l’installation de centres
tertiaires ou d'industries de hautes technologies (technopôles
des centres urbains d'Italie du Nord Vérone, Padoue - des
métropoles régionales françaises - Montpellier, Nantes - ou
des villes du sud du Japon - Oita, Kagoshima). Au-delà des
entreprises, la population est de plus en plus attirée par un
cadre de vie urbain et la multiplication des services, que seules
les villes, et souvent les plus importantes dans un
environnement géographique agréable, peuvent apporter.

32
L'augmentation de la population urbaine dans les pays
développés s'est traduite par la construction de logements,
individuels et collectifs, l'aménagement d'équipements publics
(gares, hôpitaux, écoles et universités) et la réalisation
d'infrastructures multiples (réseaux, équipements sportifs). Les
investissements ont été considérables dans tous les pays de la
Triade. Deux modalités ont permis de répondre à cette
demande: une croissance verticale a d'abord prévalu par la
densification des centres urbains, en particulier en Europe et
au Japon, puis, sous l'impulsion des États-Unis, et grâce au
développement de l'automobile, une croissance à l'horizontale
au profit des périphéries s'est imposée. Le renforcement
d'activités industrielles et tertiaires consommatrices d'espaces,
la spécialisation fonctionnelle des quartiers et la mobilité
croissante des citadins, plus libres de choisir leur lieu de
résidence, accentuent l'étalement généralisé des villes. Le
desserrement est sélectif, il s'opère en fonction des prix
fonciers qui diminuent, de façon générale, en s'éloignant du
centre.
Par ailleurs, le front urbain se développe grâce aux réseaux de
transports routiers et autoroutiers. Ainsi, en 1990,
l'agglomération de Chicago compte 9 millions d'habitants et
couvre une superficie de 8 700 km2 bien au-delà des 600 km2
que se partagent les 11 millions d'habitants de Delhi en Inde.
L'espace périurbain connaît donc une inflation liée à une
dissociation accélérée logement-lieu de travail, il « comprend
tout l'espace d'urbanisation nouvelle par lotissements et
constructions individuelles, avec ou sans les plus anciennes
banlieues- intermédiaires ".

2. Centres et périphéries en recomposition

33
Les villes se reconstruisent en permanence sur elles-mêmes.
Les mouvements réguliers de démolition-reconstruction et
d'extension résultent des stratégies, souvent conflictuelles, des
multiples acteurs de la ville, les ménages, les entreprises
locales extérieures ou internationales et les collectivités
publiques à différentes échelles. La différenciation de l'espace
urbain dans les pays industrialisés est marquée par l'ancienneté
de l'accumulation à partir de quartiers primitifs qui
symbolisent la cité elle-même, par opposition aux extensions
contemporaines, les centres s'opposent aux banlieues et zones
péri urbaines. L’exemple de Pittsburgh est très enrichissant.
Fondée en 1754 par Duquesne, la ville connaît son véritable
essor après 1840 avec l'exploitation du bassin houiller des
Appalaches. La cité devient le premier foyer sidérurgique des
États-Unis. En 1880, la ville a déjà plus de 150 000 habitants.
Aujourd'hui, la ville proprement dite a 300 000 habitants,
l'agglomération atteint presque les trois millions.
La crise de l'acier et de la sidérurgie a entraîné la fermeture de
toutes les grandes usines. Entre 1979 et 1983, le taux de
chômage est passé de 6 % à 15 %. À la fin des années 70,
Pittsburgh est une cité sinistrée et cette situation se reflète
particulièrement dans le centre-ville; celui-ci, à l'époque de la
prospérité, était si enfumé, que l'on devait allumer les
lampadaires en plein jour. La ville symbolisait à la fois le
travail, l'emploi et la pollution. On raconte que les cadres, à
midi, devaient rentrer chez eux pour changer leur chemise
blanche [.. .]. L:écrivain anglais, H. Spencer, a même été
jusqu'à écrire: « Il suffit d'un mois à Pittsburgh pour avoir
envie de se suicider. » La tradition soutenait même que l'on
pouvait marcher sur l'eau des trois rivières tellement celles-ci
étaient polluées [.. .].
Aujourd'hui, l'immeuble d'acier de la multinationale USX
(l'ancienne US Steel) est un témoin du passé. Sur les terrains

34
des aciéries, de nouvelles activités se sont créées. La
reconstruction s'est faite dans des conditions particulières,
rares aux États-Unis; L.:Allegheny Conférence, organisation
privée à but non lucratif, va revitaliser le centre-ville. Dès la
fin des années 70, l'association met en route un programme de
développement baptisé renaissance Il ; les objectifs: créer des
bureaux, des moyens de transport. L:université est sollicitée
pour ranimer le centre: elle est aujourd'hui au cœur de la cité.
Entre 1978 et 1987, 100 000 emplois nouveaux sont créés et la
nature de ces nouvelles activités est très significative:
éducation, recherches, professions de la santé, industries de
pointe. À la place des anciens terrains utilisés par les aciéries,
s'installent aujourd'hui des « parcs industriels» à quelques
minutes du centre-ville (c'est le cas d'un ancien bâtiment de
l'US Steel).
La plupart des projets de développement sont gérés par un
organisme privé à but non lucratif: la Regional lndustrial
Development Corp qui travaille avec la municipalité. Le rôle
de la RIDC est également d'acheter des usines qui ferment (ou
sont fermées) afin de les transformer et de les proposer à des
investisseurs: c'est le cas de Sony. Le président d'une agence
dont le rôle est de faire venir les entreprises résumait ainsi la
nouvelle politique: « Pour attirer des cerveaux, des
entrepreneurs, des investisseurs [.. .], il faut plus qu'une bonne
main-d'œuvre. Le style de vie est déterminant pour les gens
qui choisissent de venir ici. »
Pourtant, la rénovation a ses revers; en effet le chômage a
diminué parce que les chômeurs sont partis ailleurs! De plus,
les tensions entre les différentes communautés sont vives. Ma
population noire (25 % du total) est très touchée par le
chômage et ne profite guère de cette «renaissance ». Il n'en
reste pas moins que l'exemple de Pittsburgh est une sorte de

35
laboratoire; les expériences qui s'y déroulent peuvent
constituer un exemple.
Les centres urbains des villes des pays développés présentent
souvent une sédimentation historique importante. Peu de
villes, en particulier européennes, ne possèdent pas un cœur
«culturel », que ce soit des centres d'une grande richesse,
comme Florence, Venise et de nombreuses villes italiennes, ou
les grands centres comme Londres, Paris, Budapest ou
Moscou. Dans ces centres historiques, la résidence peut
constituer encore une fonction importante. En Europe
occidentale, la dégradation de ces îlots ou des quartiers
entourant ces sites est fréquente après 1950. Jusqu'aux années
1970, ces quartiers sont très peuplés et deviennent le refuge de
catégories sociales défavorisées (le quartier du Barrio Chino à
Barcelone, le Marais à Paris, le centre de Porto ou
d'Amsterdam). La crise de ces centres s'est accompagnée d'une
régression lente de la population, puis d'un phénomène de
reconquête par des opérations de rénovation ou
d'aménagement, que l'on retrouve dans la plupart des villes
européennes moyennes ou grandes. Cette modernisation des
centres se traduit, le plus souvent, par le renforcement des
fonctions tertiaires de commerce et de services en raison du
renchérissement des coûts fonciers et d'un dédoublement des
centres. À côté du noyau historique apparaissent alors dans les
grandes villes de nouveaux centres directionnels (La Défense
à Paris, la City à Londres).
Aux États-Unis, l'originalité repose sur la jeunesse, la rapidité
de l'urbanisation et la très forte concentration du pouvoir
économique dans rie centre. Le CBD, Central Business
District (centre des affaires), est une hypertrophie des
fonctions tertiaires du centre jouxtant les quartiers les plus
anciens dégradés et résidences des minorités les plus
défavorisées, avec développement de ghettos urbains. Le

36
déclin de ces vieux centres est aussi le résultat de la crise de
certaines industries et du développement de friches urbaines.
Ici, le processus de reconquête est partiel, et s'accompagne
d'un phénomène de gentrification (retour des classes aisées),
quand il y a possibilité de réhabilitation (Pittsburgh), ou de
réoccupation d'espaces bien disposés (espaces portuaires à
New York, Philadelphie, Boston).
Les secteurs entourant le centre se succèdent: quartiers
péricentraux composés de faubourgs et de quartiers industriels
de la fin XIX' et début XX' ; banlieues dont le développement
est corrélatif de l'utilisation des automobiles; extensions
récentes de la périurbanisation. Ils connaissent des mutations
considérables mais dont la forme varie suivant les zones et
selon que l'on se trouve en Europe, aux États-Unis ou au
Japon.
Les points communs se retrouvent au niveau des premières
banlieues, les plus anciennes et souvent les plus industrielles,
où se concentraient de grands équipements (casernes, lycées,
hôpitaux, cimetières) qui ne peuvent trouver ici des moyens de
s'étendre ou de fonctionner. La désindustrialisation rapide de
ces quartiers ouvre la voie à d'importantes opérations de
remodelage urbain, et à la place des friches industrielles
surgissent des quartiers rénovés (Manchester, Lille,
Baltimore). Dans les ports, cette rénovation touche aussi les
quais et les anciens docks comme à Nantes, Londres, Boston
ou Fukuoka.
Les banlieues récentes et les espaces périurbains ont beaucoup
grandi depuis cinquante ans en raison d'une démographie
favorable grâce à la jeunesse de la population résidente, à
l'accueil de l'exode rural et à la redistribution interne de la
population des agglomérations du centre vers la périphérie.
Ces espaces connaissent des extensions ou des restructurations
selon des modalités variables. En Amérique du Nord,

37
l'utilisation précoce de la voiture s'est traduite par un
développement considérable des banlieues (suburbs). Avec
une faible tradition historique, des extensions uniformisées par
un cadastre géométrique assurant essentiellement une fonction
économique, la ville américaine est devenue une « collection
de banlieues ».l’urban sprawl est depuis dix ans le terme
utilisé pour définir ce processus d'urbanisation, qui s'étend en
dehors de toute notion de limite et le plus souvent au détriment
des terres agricoles et de l'environnement naturel.
Trois facteurs permettent d’expliquer cela : la fragmentation
du territoire urbanisé en une série de municipalités (la
municipalité de Chicago compte 265 municipalités et celle de
New York 780), les systèmes de taxation en vigueur au niveau
fédéral comme au niveau local, ainsi que le choix des
individus en faveur de l'achat d'une maison et d'un accès à des
écoles de qualité. L’urban sprawl affecte également les
emplois: en s'appuyant sur un rapport établi par Robert Lang
de la Fannie Mae Foundation à la suite d'une enquête menée
dans les 13 premières métropoles du pays, entre 1979 et 1999,
le pourcentage de bureaux localisés dans la ville centre a
diminué. En 1979, 74 % de la superficie de bureaux se
trouvaient dans les villes centres contre 26 % pour les
banlieues, alors qu'aujourd'hui les pourcentages sont de 58 %
pour la ville-centre contre 42 % pour les banlieues. Les
bureaux sont ainsi dispersés sur l'ensemble du territoire de la
métropole. Dans les métropoles de Houston, Dallas, Chicago,
New York et Denver, la ville centre détient une petite majorité
de bureaux alors que dans les métropoles de Philadelphie,
Atlanta, Washington DC, Miami et Detroit, les banlieues
détiennent la majorité des bureaux. À Boston, San Francisco et
Los Angeles, les pourcentages sont équivalents pour la ville et
la banlieue. Les métropoles de New York et Chicago ont le

38
privilège de continuer de détenir la majorité des bureaux dans
leur ancien dowtown.
En Europe, les espaces périurbains connaissent aussi une
extension remarquable avec la redistribution de la résidence et
de grands équipements: centres commerciaux, pôles
administratifs, campus universitaires, technopôles, parcs
d'attractions, bases de loisirs, équipements sportifs, complexes
cinématographiques. En France, les terres agricoles occupent
la moitié des sols périurbains et, au Japon, les extensions
urbaines, soumises aux fortes contraintes de la topographie
induisent aussi un mélange urbain-rural. L'extension spatiale
des villes des pays développés provoque des problèmes très
divers: déséquilibres environnementaux, renforcement des
disparités sociales, cohésion des ensembles urbains tant au
niveau de la réalité socio-économique et culturelle de la ville
que de sa gestion. La métropolisation renforcée par la
mondialisation illustre parfaitement ces problématiques.

Conclusion
En ce début de xx siècle, une majorité de personnes vit dans
des zones urbanisées et, en 2030, deux habitants sur trois
seront vraisemblablement citadins alors que chaque année la
population urbaine mondiale s'accroît de 85 millions de
personnes. Cette urbanisation rapide de la planète est le fait
des 50 dernières années puisque le taux d'urbanisation moyen
est passé de 15 % en 1950 à 30 % en 1960 et 50 % en 2005.
Mais si le taux d'urbanisation des pays développés est de 75 %
en moyenne, les PVD tombent à 40 % et les PMA à seulement
25 % en dépit d'un processus de rattrapage de plus en plus
rapide. L'urbanisation dépend à la fois du niveau de
développement, de la croissance démographique et de
l'attractivité migratoire due à l'exode rural. Les villes des pays

39
en développement connaissent une croissance explosive avec
une population qui passe de 290 millions à plus de 2,1
milliards d'habitants entre 1950 et 2003. Mais, très souvent,
les équipements et infrastructures ne suivent pas, ce qui
provoque de graves dysfonctionnements dans un contexte de
violence sociale généralisée alimentée par le mal-
développement et une ségrégation sociale très vive.

40
Chapitre III. Métropolisation et mondialisation:une
articulation réticulaire

I. Les métropoles, centres d'impulsion de la mondialisation

1. La métropolisation, une fonctionnalité sans cesse


réactivée

Parmi les métropoles il est possible de distinguer entre des


métropoles internationales, des métropoles nationales et des
métropoles régionales. La métropole internationale répond,
selon Jean Labasse, à plusieurs critères :
- une population qualitativement apte à être insérée, à l'échelle
internationale, à de vastes réseaux d'échanges de toute nature ;
- un niveau international d'offre de services dans les
domaines de pointe technologique, de conseil, de formation et
de recherche; une infrastructure et des équipements d'accueil
des grandes manifestations internationales (congrès, festivals,
salons et foires) ;
- des communautés de résidents étrangers dont les membres
représentent des firmes et institutions multinationales et sont
suffisamment nombreux pour animer une vie associative
locale; une image de marque internationale, notamment dans
le domaine du tourisme d'affaires, des loisirs et de la culture.
À ce titre la plupart des métropoles de gabarit national
participent étroitement au jeu international et disposent de
facettes dévolues aux métropoles internationales. Celles-ci,
comme les métropoles nationales, coiffent les métropoles
régionales.
Dans les pays en développement les métropoles sont
généralement de très grandes villes plusieurs fois millionnaires
au point de vue démographique. Elles ne correspondent
évidemment pas au profil des « vraies» métropoles, mais la

41
plupart d'entre elles sont néanmoins entrées dans le processus
de l'internationalisation et de la mondialisation.
La métropole régionale est la ville économiquement
déterminante ou, dans la mesure où il y a coïncidence
politico-économique, la capitale d'un espace régional. Elle
constitue le pôle de croissance et d'entraînement essentiel
de la région, concentrant la plupart des services de haut
niveau dans les domaines les plus divers. La métropole
régionale est aussi la vitrine de la région pour l'extérieur,
tant national qu'international. Plus cette vitrine est
complète, plus la métropole est accomplie et bénéficie d'un
rayonnement international. À ce titre, elle participe alors plus
ou moins étroitement aux réseaux internationaux des villes.
L'urbanisation généralisée que connaît la planète s'effectue au
profit des grandes villes et en particulier des métropoles. La
métropole est un pôle majeur doté de la quasi-totalité des
fonctions urbaines de haut niveau, constituant un pôle
décisionnel et de commandement déterminant dans un réseau
de villes à vocation régionale, nationale ou internationale. La
métropole concentre des activités de commandement dans des
domaines divers, elle exerce son influence sur un espace
relativement vaste et agit parfois à l'échelle mondiale.
Le processus de métropolisation correspond au renforcement
continu des grandes villes. Il est largement dû à l'évolution
récente des moyens de transport des hommes, des
marchandises et des flux d'informations, qui baisse les coûts
de la mobilité, facilitant l'accessibilité aux pôles les plus
attractifs, qui renforcent ainsi leurs pouvoirs de décision et
leur influence dans le cadre de la mondialisation. Le nombre
d'habitants est un indicateur du niveau de métropolisation, car
nombre d'activités se répartissent dans l'espace en fonction des
densités de population. La métropolisation se rapporte aux
villes qui ont au minimum 500 000 habitants, car cette taille

42
offre une masse nécessaire au développement de fonctions
externes. Cependant, certaines agglomérations de dimension
modeste peuvent jouer un rôle de commandement sur un
espace ou un territoire vaste, c'est le cas de Bruxelles, capitale
majeure de l'Europe, qui regroupe seulement 1 million
d'habitants. En s'appuyant sur un seuil de 2 millions
d'habitants pour qualifier les grandes villes, on peut mettre en
évidence qu'en 197584 villes dépassaient ce seuil et, en 2003,
le nombre s'élève à 173 (fig.8).
Si la croissance du nombre de grandes villes est le fait des
pays du Nord comme des pays du Sud, le nombre de
mégapoles se renforce essentiellement dans les pays en
développement, avec 110 agglomérations supérieures à 2
millions d'habitants contre 63 dans les pays développés en
2003. Actuellement, une vingtaine d'agglomérations dépassent
les 10 millions d'habitants, un quart est des métropoles de
puissances économiques ou militaires qui dominent la planète
(Tokyo, New York, Los Angeles, Moscou). Un autre quart
appartient à des pays émergents, (Mexico, Sào Paulo, Séoul),
leur progression forte entre j 940 et 1990 est encore rapide
mais tend à se ralentir. La moitié de ces mégapoles sont des
capitales économiques ou politiques de pays plus pauvres,
comme Calcutta, Jakarta, Dacca ou Lagos, que leur
dynamisme nourri par l'exode rural pourrait porter d'Ici 2015-
2020 aux premiers rangs des villes mondiales.
2. Les métropoles, lieux de concentration des
activités et des pouvoirs
À l'échelle mondiale, quelques grandes villes jouent un rôle
déterminant dans l'organisation de l'espace mondial.
L'économiste Pierre Veltz définit ainsi ce processus de
métropolisation croissante: « les grandes villes se révèlent plus
que jamais des lieux de localisation privilégiés pour les entre-
prises, grandes ou petites. Tous les observateurs sont d'accord

43
sur ce fait: la croissance, la puissance et la richesse sont de
plus en plus concentrées dans un nombre limité de très grands
pôles. C'est le développement des métropoles qui tire les
économies. Les échanges se font moins entre les nations
qu'entre ces pôles, qui ont tendance à s'organiser en réseaux,
comme une économie d'archipels qui ignore de plus en plus
les zones intermédiaires».
Tout d'abord, il est aisé de mettre en évidence une meilleure
productivité du travail dans les grandes villes. Ceci est lié au
fait que les grandes agglomérations fixent la production à
haute valeur ajoutée, l'essentiel des emplois tertiaires et des
emplois les plus qualifiés. L’agglomération parisienne, qui
compte 1/6' de la population française, fournit près du tiers de
la productivité française. Cette surproductivité des régions
métropolitaines par rapport au reste du pays est vérifiable dans
tous les cas: Paris + 35 %, Londres + 34 %, Tokyo + 34 %,
New York + 38 %, Chicago + 26 %. Cela débouche sur un
renforcement du poids économique relatif des agglomérations
dans leur cadre national, que ce soit dans les pays développés
ou dans les pays en développement, et la puissance
économique de ces villes est considérable: le PŒ de
l'agglomération de Tokyo est comparable à celui du Royaume-
Uni.
Il Y a d'autant plus concentration, proximité, accumulation
qu'il y a plus de connectivité et d'accessibilité: ainsi pourrait-
on résumer à la fois la croissance des grandes villes et le jeu
des relations qu'elles entretiennent entre elles.
Bien entendu, des facteurs plus classiques renforcent le
processus de localisation dans les métropoles. D'abord, la
position sur des noeuds de connexion avec trains à grande
vitesse, carrefours autoroutiers, aéroport avec lignes
internationales, particulièrement ceux qui ont été choisis pour
assurer la fonction hubs and spokes de redistribution des flux.

44
25 grands aéroports polarisent 83 % du trafic aérien
international dont 75 % relèvent d'échanges Amérique du
Nord-Europe-Japon [...].
L’organisation de centres de logistiques aux portes des villes
favorisant la (re)distribution rapide et coordonnée des
produits, liée à une bonne accessibilité complètent ce
dispositif. Les livraisons juste-à-temps, le souci de diminuer
les stocks, la concurrence que se livrent les sociétés
commerciales pour livrer le plus rapidement leurs clients font
que les activités de messageries ou d'intégrateurs (qui
disposent de leur propre réseau de transport à l'échelle
mondiale et assurent la livraison de fret porte-à-porte) se
doivent d'être de plus en plus sophistiquées et performantes.
Ces grandes firmes traitent dans leurs centres de tri des
dizaines de millions de colis à l'heure, suivis depuis les lieux
de production jusqu'à leur acheminement final, par des
systèmes de code-barre, installant surtout leurs sites dans les
grands aéroports, comme Fédéral Express, qui vient
d'implanter l'une de ses plates-formes à Roissy.
Autre type de renforcement des grandes aires urbaines, les
systèmes de téléphonie mobile. Ainsi, lors de la mise aux
enchères en mars et avril 2000 pour l'obtention d'une licence
UMTS (troisième génération de téléphones mobile dotées
d'Internet) destinée à équiper le bassin du très grand Londres
et le sud anglais, au terme de 25 rounds, les prix ont atteint
210 milliards de francs. Pourquoi cette lutte entre opérateurs,
qui exige d'énormes investissements, même si la durée de
concession atteint 21 ans et permet de prévoir de substantiels
retours sur investissements? Le marché de la zone couverte
par le secteur d'attribution représente 80 % des possesseurs
potentiels de Grande -Bretagne, localisés dans un rayon de
150 km autour de Londres, de Bristol à Oxford et Cambridge,

45
des ports du sud aux villes du sud-est soit 25 à 30 millions
d'habitants [" ,].
Dernier exemple de ces processus de concentration géo-
économique, les rapprochements conflictuels entre les bourses
au niveau européen. L’entente entre Paris, Bruxelles et
Amsterdam créant la structure Euronext (de droit néerlandais)
permet, chaque bourse conservant son autonomie, de
regrouper certaines compétences et un partage des tâches:
cotations à Paris, compensations à Bruxelles, fusions à
Amsterdam, [., ,]
Moins heureux a été le rapprochement entre les bourses de
Londres et de Francfort.
Les métropoles s'adaptent parfaitement au changement de
modes de production, au passage d'entreprises intégrées
souvent de grandes dimensions, à l'origine de centres
économiques comme les company towns américaines (Detroit-
Ford, Seattle..Boeing), à des entreprises en réseaux à l'échelle
internationale, fondées sur l'utilisation de sous traitants
dispersés et une externalisation de la production, qui favorise
les grandes villes, tête de réseaux, capables de fournit les
relations interindustrielles nécessaires. Cette évolution
privilégie tous les types de métropoles, villes mondiales
(Londres), mégapoles des pays émergents (Mexico, Bangkok),
les villes des pays riches (Milan, Madrid) ou les petits centres
diffus dans des espaces aux fortes densités urbaines à l'image
des districts industriels d'Italie du Nord localisés de Florence à
Parme et de Trévise à Vérone.
Les métropoles sont aussi des villes qui offrent un maximum
de services nécessaires au bon fonctionnement des entreprises:
recherche et technologie (technopôles : Silicon Valley à San
Francisco, Tsukuba à Tokyo, Sophia Antipolis à Nice,
Oxbride à Oxford-Cambridge), ingénierie financière
(Dusseldorf, Amsterdam, Genève, Hong Kong), expertise,

46
audit, conseil juridique et fiscal, action et informations
commerciales, assurances. La qualité de l'offre de services
détermine souvent les implantations des sièges sociaux ou des
usines, et la transnationalisation des firmes a renforcé le poids
des métropoles dans leur fonction d'organisation, d'échanges et
de participation à un système ouvert de relations matérielles
(hommes, marchandises) et immatérielles (données,
informations, décisions).
Les métropoles jouent enfin un rôle par l'importance des
marchés de consommation, que peuvent représenter des
agglomérations de plusieurs millions de personnes et par le
développement de la fonction logistique. Les principaux
foyers de consommation mettent en relation acheteurs et
vendeurs et doivent s'appuyer sur une logistique efficace
(diversité des modes de transport, marché de fret, stockage,
télécommunications), ainsi, les nœuds de réseaux de transports
sont des facteurs de métropolisation : aéroports (Chicago,
Dallas- Fort Worth, Francfort, Osaka, Mexico), grands ports
(Rotterdam, Singapour, Anvers, Chiba), rôle des trains à
grande vitesse dans le renforcement de la métropolisation
(Lille, Lyon, Séville).

3. Les métropoles: hiérarchie et limites

La métropolisation, mouvement de concentration croissante


de populations et d'activités dans les métropoles, est un
processus mondial. Les métropoles sont des villes principales
d'une région, d'un pays ou à rôle international et suivant la
concentration des services et des pouvoirs de décision qu'elles
renferment, elles s'inscrivent dans le niveau de hiérarchie
urbaine à différentes échelles. Une métropole régionale
organise et commande une région à travers ses entreprises, ses
administrations, ses commerces, son université, ses services

47
sanitaires ou culturels (Bordeaux en Aquitaine, Sapporo à
Hokkaido au Japon, Rosario en Argentine). Une métropole
nationale ou internationale offre les mêmes caractéristiques
mais à une échelle supérieure: sièges d'entreprises
transnationales, administrations centrales, services rares,
grands centres de recherche, principaux médias. La plupart de
ces métropoles sont aussi capitales d'État et ajoutent donc aux
fonctions déjà citées des fonctions politiques nationales (siège
du gouvernement, parlement) et internationales (ambassades,
sièges d'organismes internationaux: FAO à Rome, l'OPEP à
Vienne). Mais il arrive que ces métropoles de premier rang ne
soient pas des capitales politiques, comme New York, Sâo
Paulo, Abidjan ou Bombay. Au sommet, il existe des
métropoles mondiales que Saskia Sassen appelle « villes
globales» qui concentrent des activités de commandement à
l'échelle mondiale New York, Londres, Tokyo ou Paris.
Si les mérites de la métropolisation sont identifiables, les
contraintes présentent de réelles limites au processus. La taille
des villes impose un développement du coût des transports et
des économies liées à la concentration due aux parcs d'activité,
aux grands ensembles de bureaux, commerciaux ou de loisirs,
parfois regroupés dans des centres secondaires provoquant une
augmentation des coûts fonciers, des spéculations
immobilières et des déséquilibres de l'environnement. Autre
élément de dysfonctionnement possible, la très forte
concurrence entre les grandes villes pour attirer les
investissements, avec le rôle des États qui subventionnent les
infrastructures, favorisant les équipements de prestige (Très
Grande Bibliothèque ou Opéra Bastille à Paris, Dôme de
Londres), souvent très coûteux.
Cette compétition entraîne des inégalités spatiales, ce d'autant
plus que se développe un véritable marketing urbain depuis les
années 1980 qui prend des formes diverses: campagnes

48
médiatiques de promotion autour de slogans accrocheurs
(Montpellier la surdouée, Toulouse la ville qui gagne), ou de
valorisation des manifestations (capitale culturelle
européenne, Jeux olympiques). Enfin, l'accroissement des
écarts sociaux est important dans les métropoles, « villes
éclatées », où on assiste à une régression de l'emploi industriel
de type « fordiste » au profit d'un tertiaire peu qualifié à côté
d'emplois très hautement qualifiés. Mais peut-on concevoir
des modèles alternatifs à la métropolisation ? L'approche par
les « districts industriels » développée en Italie et reprise en
France, inspirée par les travaux de l'économiste Marshall, met
en avant des types de productions réalisées par de nombreuses
petites et moyennes entreprises regroupées dans des espaces
limités, au sein de petites villes à l'image du textile de Prato et
Pistoïa, près de Florence. Cependant, malgré quelques succès
(le Choletais ou la vallée de l'Arve en France), des districts
technologiques (technopôles), on s'aperçoit que ces structures
fonctionnent en réseau avec des centres urbains de plus
grandes dimensions et que ces systèmes productifs locaux
restent fragiles.

II. La métropolisation du monde: le déploiement d'un


système hiérarchique

I. Les métropoles mondiales, interfaces de la


mondialisation

Les villes sont les espaces moteurs de la mondialisation et


l'armature urbaine, les réseaux et la hiérarchie composent un
dispositif d'échelles spatiales emboîtées locales, régionales,
nationales, continentales et mondiales. La mondialisation
favorise les très grandes métropoles des pays les plus
développés, dont certaines, au sommet de la hiérarchie,

49
concentrent au plus haut niveau, des activités de
commandement à l'échelle mondiale (sièges sociaux
d'entreprises transnationales, places boursières majeures,
grands organismes nationaux ou transnationaux) symbolisés
par les Central Business District. Ainsi Manhattan, Qà New
York, renferme le plus grand centre boursier mondial à Wall
Street, le siège de l'ONU et des dizaines de sièges sociaux de
sociétés transnationales. Ces centres de pouvoirs
économiques, industriels et financiers sont aussi des espaces
de production et des nœuds privilégiés de la circulation des
richesses, des hommes, des connaissances et des informations
(ports, aéroports, télécommunications, recherche et
innovation). Leur puissance repose sur des capacités à
permettre les interconnexions entre les différents acteurs
mondiaux et entre les échelles géo-économiques nationales,
continentales et mondiales dans lesquelles elles s'insèrent.
C'est dans ce contexte que des chercheurs ont proposé de
nouveaux concepts.

1.1. Profil de la ville globale

J. Friedman et S. Sassen qui ont conceptualisé la ville globale


à partir de l'étude de New York, Londres et Tokyo en ont
dégagé les traits majeurs:
- un « point de base » de l'économie mondiale à partir duquel
le marché s'ordonne, notamment en matière de finance (taux
d'intérêt, cours boursiers);
- un centre d'accumulation et de reproduction du capital
international (Tokyo étant encore un cas à part);
- un centre de commandement (sièges sociaux des entreprises
mondiales) où s'élaborent les décisions stratégiques;
- un centre de création de nouveaux produits, procédés et idées
que requiert une économie mondiale: invention de multiples

50
produits financiers, génération d'information et de produits
culturels (New York avec les grandes chaînes de télévision
CBS, NBC, ABC, les grands magazines comme Times et
Newsweek, les publications spécialisées comme le Wall
Street Journal) ;
- un complexe économique stratégique rassemblant outre les
centres de commandement et la puissance financière, tous les
services aux entreprises de très haut niveau: publicité,
services juridiques, fiscaux et comptables, services-conseils
dotés d'une expertise mondiale;
- un énorme marché de produits et services haut de gamme;
- un centre de communication, doté de puissantes
infrastructures (plates-formes intermodales, télé ports)
- un point d'articulation du système mondial et du système
régional-national, et donc d'organisation de la division du
travail à l'échelle mondiale; - un centre cosmopolite, portail de
l'immigration;
- un centre d'émergence d'un « métropolitanisme global » dans
le terreau culturel-idéologique matérialiste du consumérisme,
où se côtoient et se combinent le particulier et l'universel. Sa
puissance de création d'images en fait un diffuseur
idéologique de premier ordre.
Ville globale est synonyme de ville mondiale. Portée par la
dynamique financière et la demande en services des firmes
transnationales, la ville mondiale devient un site de services de
proximité (Manhattan à New York, Chiyoda, Minato ou
Shinjuku à Tokyo), elle assure ce nouveau rôle stratégique.
Olivier Dollfus propose le terme « d'archipel mégalopolitain
mondial", formé de villes qui contribuent à la direction du
monde. Il insiste sur les liens entre les villes appartenant à une
même région et entre les grands pôles mondiaux, avec
émergence de grappes de villes constituant des mégalopoles.
Les îles de l'archipel sont selon cet auteur au nombre d'une

51
demi-douzaine: la mégalopole américaine du Nord-Est; une
mégalopole secondaire autour des Grands lacs américains, de
Chicago à Toronto; l'arc urbain de Londres au nord de l'Italie,
la mégalopole japonaise; un arc bien vaste et discontinu de
Séoul à Singapour sur la côte Pacifique de l'Asie et l'ébauche
d'une mégalopolisation en cours de Sao Paulo à Buenos Aires.
Des limites apparaissent à ces analyses car elles attribuent à
ces pôles interconnectés des pouvoirs autonomes alors que la
puissance de ces centres dépend d'abord de la domination géo-
économique et géopolitique de certains organismes urbains qui
tirent leur rayonnement international et mondial de leurs très
vastes hinterlands continentaux et nationaux. L'exemple
japonais est significatif à ce propos, la mégalopolis japonaise
n'est pas le simple reflet de la mondialisation mais le produit
d'une construction politique et économique millénaire de
l'archipel, qui évolue dans le cadre de la mondialisaion. De
même, Gérard Dorel a bien démontré que les grandes
métropoles américaines sont bien le fruit de la puissance des
États-Unis avec une double vocation océanique. Ce sont des
ports (New York, Boston, Philadelphie, Los Angeles,
Chicago) qui organisent la conquête du continent et qui
aujourd'hui assurent l'articulation des États-Unis avec le reste
du monde.

2. L'unité fonctionnelle des métropoles : La gentrification


dans les métropoles

Dans les années quatre-vingt, les districts centraux de New


York, Londres et Tokyo ont accru leur spécialisation d'adresse
prestigieuse pour les sociétés et les logements, à une échelle
qui n'a rien à voir avec les périodes plus anciennes. Le point
essentiel a été le développement d'ensemble luxueux de
bureaux et de résidences, dans le cadre d'un marché

52
immobilier devenu international et d'une expansion
fracassante des nouveaux secteurs d'activités. À côté de ces
développements, les centres des villes ont également connu
une aggravation et une concentration de la pauvreté matérielle
et de la détresse physique (1). La mainmise sur des secteurs
urbains destinés aux « gentrifications » et autres «
réhabilitations» a également contribué à accroître le nombre
de sans-logis, spécialement à New York, mais aussi à Londres
et - sur une échelle beaucoup plus réduite - à Tokyo. Les trois
villes avaient longtemps connu de fortes concentrations de
citoyens aisés, mais pas à la même échelle, au point d'entraîner
un ensemble de pratiques de consommation et de styles de vie
« achetable!i » par d'autres en fonction de leurs revenus:
boutiques, restaurants de luxe et pratiques diverses ouvertes au
règne de l'argent. Les trois villes avaient aussi, depuis
longtemps, d'importantes concentrations d'indigents, mais
l'étendue de la fragmentation et l'inégalité géographique ont
atteint des dimensions qui n'ont rien à voir avec celles des
décennies antérieures.
L’un des processus qui marquent cette évolution est justement
la « gentrification », initialement conçue comme la
réhabilitation d'immeubles décrépits du centre ville et leur
occupation par des classes moyennes venues de l'extérieur des
cités. Vers la fin des années soixante-dix a commencé à
apparaître une conception élargie du projet et, au début des
années quatre-vingt, de nouveaux chercheurs en sciences
sociales ont développé une signification plus vaste de la «
gentrification " la reliant aux processus de restructuration
spatiale, économique et sociale. Smith et Williams font
remarquer que, vers la fin des années soixante-dix, la notion
de réhabilitation résidentielle était au coeur même du
processus, mais qu'au début de la décennie quatre-vingt il est
devenu évident que cette réhabilitation n'était qu'une facette

53
d'un processus beaucoup plus ample, lié aux bouleversements
du capitalisme avancé: le passage à une économie de services
et la transformation associée de la structure de classe,
accompagnée du passage à la privatisation de la
consommation et des prestations de services. La gentrification
est alors devenue la composante géographique visible de cette
transformation. Le phénomène est apparu dans le
redéveloppement des « fronts de Seine », des hôtels de luxe et
des ensembles de congrès dans le centre des villes, avec leur
cortège d'immeubles de bureaux et de résidences luxueux,
leurs districts de boutiques de mode à prix élevés.
Si les paysage² s urbains dépendent en partie des sites et
donc de la nature environnante, Vancouver, la maritime n'est
pas Madrid la continentale, l'organisation fonctionnelle et la
structuration spatiale des métropoles obéissent à des principes
communs, reposant sur une séparation des fonctions et le prix
du foncier comme discriminant spatial. Il, en résulte des
centres, avec immeubles de bureaux ou résidences de standing
et des périphéries, juxtapositions de quartiers socialement
homogènes et d'activités industrielles ou de services. Ln
croissance des métropoles entraîne partout la redistribution des
populations et des activités.
Les centres des métropoles subissent des mutations
importantes. La désindustrialisation des quartiers centraux
laisse la place à des friches urbaines. Aux États-Unis, les
immeubles anciens et dégradés, sont occupés par les
populations défavorisées, les ghettos très souvent de minorités
ethniques.
En Europe, nombre de vieilles métropoles industrielles ont
connu à partir des années 1960-1970 une dégradation des
centres (le marais à Paris, les docks de Londres, le vieux Lille,
Mitte à Berlin). De même, dans les pays en développement,
les quartiers centraux historiques encore très densément

54
peuplés se sont souvent transformés en taudis: médinas des
villes arabes (Alger, Fez), slums de Calcutta, favelas de Rio de
Janeiro ou centre de Durban en Afrique du Sud. Partout la
reconquête des espaces centraux est engagée. Des opérations
de rénovation (démolition-reconstruction) et de réhabilitation
(amélioration d'un habitat ancien) à Londres (Docklands), à
Baltimore, Boston, San Diego, (les Fronts d'eau), à Berlin,
Barcelone, Lisbonne mais aussi Pékin, Shanghaï, Moscou sont
en oeuvre. Bureaux et résidents ont réoccupé les quartiers
délaissés et les prix fonciers ont grimpé rapidement. Ce
phénomène de « gentrification » bénéficie essentiellement à
une population aisée.
Le desserrement du tissu urbain, qui caractérise les
métropoles, fait qu'entre les centres et les franges les plus
externes des villes des distances considérables s'instaurent.
Los Angeles s'étend sur 200 km du littoral pacifique, Caracas
au Venezuela s'étale sur 10 000 km2 soit une superficie
supérieure à la Corse. Ce déversement de la ville sur sa
périphérie se traduit dans tous les cas, par une banalisation
d’aménagements consommateurs d'espace. L'entremêlement
des zones industrielles et commerciales, résidentielles et de
loisirs génère des paysages et des mosaïques spatiales
identiques d'une ville à l'autre. Aux grands ensembles et aux
quartiers en difficultés des métropoles des pays riches,
répondent les favelas, bustees, bidonvilles, habitats mal ou
sous intégrés des métropoles des villes du Sud. On peut donc
constater dans les métropoles la diffusion planétaire d'un
certain nombre d'objets urbains, né le plus souvent dans les
pays développés: centres d'affaires (CBD ou centres
secondaires périphériques), quartiers d'habitat social
(immeubles ou lotissements), quartiers aisés périurbains,
centres commerciaux, métros, voies rapides, aéroports, que
l'on retrouve de manière partielle, dans les agglomérations les

55
plus petites, partout dans le monde. Les lieux génériques se
sont multipliés avec la mondialisation preuve d'un
fonctionnement urbain identique lié à l'évolution du capita-
lisme international.

3. Le maintien d'une diversité géographique

Si les formes de la métropolisation et les modalités des


extensions urbaines récentes présentent des similitudes,
l'organisation spatiale des métropoles est bien sur le reflet d'un
contexte culturel et socio-économique qui s'inscrit dans le
temps. Les formes d'évolution et d'adaptation dépendent
largement des domaines géographiques auxquels
appartiennent les villes. L'échelle des problèmes, voire leur
nature n'est pas semblable dans les pays périphériques et clans
les pays centraux de l'économie mondiale.
En Europe, le patrimoine artistique, architectural, urbanistique
constitue une spécificité particulière des métropoles
européennes. Anvers, Florence, Prague, Paris, Barcelone,
Vienne ou Saint Petersburg, ont en commun d'être d'abord des
capitales culturelles. La civilisation européenne s'identifie à
une culture urbaine et Rome, Venise, Madrid, Paris,
Amsterdam ou Londres ont été tour à tour moteurs de son
expansion économique et foyers de son rayonnement culturel.
Aujourd'hui, la métropolisation est devenue lente mais elle
s'appuie sur un réseau extrêmement dense de villes dont la
taille est supérieure à 500 000 habitants. Les villes
européennes présentent, quelque soit les critères retenus, une
qualité inégalée des transports urbains, des équipements
sociaux et sanitaires, des services culturels et éducatifs, autant
d'aspects favorables à l'attraction des activités et des hommes.
La différenciation spatiale fait toujours ressortir un centre
historique et un développement radio concentrique composé

56
d'une alternance entre un habitat individuel et un habitat
collectif débouchant sur des espaces périurbains où les espaces
agricoles représentent encore plus de la moitié de la surface.
La métropolisation produit un lien plus étroit entre espace
urbain et espace rural, et l'on note une volonté affirmée
d'organiser l'espace.
Les métropoles des nouveaux mondes (Amérique du Nord
mais aussi Australie) se caractérisent par l'aspect récent et la
rapidité de la métropolisation des populations, par
l'importance des flux migratoires, par l'importance de
l'automobile dans le processus et le mode d'organisation
spatiale et par la prédominance des espaces périphériques sous
forme d'un habitat pavillonnaire. En effet, les villes s'y sont
créées en fonction du maillage des voies ferrées et des liaisons
maritimes avec l'Europe, favorisant les carrefours intérieurs
(Chicago, Saint-Louis, Denver), des ports fluviaux (Saint
Paul-Minneapolis) et maritimes (Boston, New York, La
Nouvelle-Orléans, San Francisco). L'afflux des populations a
fait surgir des villes champignons, comme Chicago passée de
5 000 habitants en 1840, à 3 millions en 1920 et 8,6 millions
en 2003. La physionomie de ces métropoles est très différente
de celle des métropoles européennes; plan quadrillé, contraste
entre verticalité des centres d'affaires et l'étalement sans fin
des périphéries qui se structurent de plus en plus autour de
centres secondaires, appelés Edge city par le sociologue Joël
Garreau, et qui désigne un processus de décentralisation des
activités économiques au profit d'une pluralité de pôles.
Dans les pays en développement ou dans les pays émergent, la
structuration spatiale est complexe, les différents cycles,
coloniaux, économiques, migratoires aboutissent à des
juxtapositions spatiales et à des villes très fragmentées; centre
historique, colonial et centre des affaires, banlieues aux
contrastes sociaux accentués, habitat sous intégré proliférant,

57
voire quartiers d'habitats collectifs avec une forte
concentration de population à faibles revenus. Alger, Abidjan,
Calcutta, Sao Paulo, Jakarta illustrent cette organisation.

III. Des métropoles aux mégalopoles: jeux d'échelle

1. Métropoles régionales et régions urbaines


.

Les villes, qui exercent principalement des fonctions de


tertiaire supérieur pour leur population et celle de leur région,
deviennent progressivement des métropoles régionales où se
concentrent les services nécessaires au développement des
entreprises. Elles organisent la vie de territoires régionaux
structurés par des réseaux de villes moyennes et de petites
villes. En France, on peut prendre en compte les 18 aires
urbaines qui dépassent 400 000 habitants en 2000, comme
Strasbourg, Toulouse, ou Rennes ainsi que les capitales
régionales. Cette structuration spatiale par l'intermédiaire de
métropoles régionales se retrouve dans la plupart des pays
européens, mais aussi au Japon et dans les pays émergents
(Mexique, Taiwan). Ces métropoles régionales sont
caractérisées par une population importante mais variable
(400 000 habitants pour Montpellier ou Saragosse, 1,6 million
pour Lyon ou Cordoba en Argentine et 2, 7 millions pour
Hambourg ou Fukuoka au Japon).
Leur poids régional et leur attractivité est du à l'addition d'un
pouvoir administratif régional, d'activités tertiaires
diversifiées, du rôle de centre des réseaux de transports, de
l'existence de zones industrielles qui favorisent les activités
innovantes. Les métropoles régionales deviennent des villes «
d'intermédiation » selon Félix Damette c'est-à-dire qu'au sein
du système productif, elles exercent toutes les activités

58
nécessaires aux entreprises, et villes d'interface, c'est-à-dire
d'échanges et de contact avec d'autres métropoles ou régions
urbaines. En effet, le processus de mondialisation oblige les
métropoles à instaurer de nouvelles relations au-delà de
l'espace régional, dans un espace mondialisé dans lequel elles
fonctionnent en réseaux.
En effet, les entreprises et particulièrement les firmes
transnationales incorporent les métropoles dans leurs
stratégies de production et de développement. Ainsi les
métropoles de grandes dimensions (Dallas) ou plus petites
(Parme) peuvent attirées de nombreuses entreprises sur une
activité spécialisée (Turin - automobile) et il s'y développe des
interrelations comparables aux districts industriels avec mise
en commun de savoir faire spécifiques. Mais les entreprises
non spécialisées sont aussi attirées par l'importance du marché
de main-d'œuvre et des débouchés potentiels dans le cadre des
économies d'échelle. Par ailleurs, la recherche d'une meilleure
productivité des entreprises à l'échelle internationale se traduit
par l'organisation en unités spécialisées qui n'effectuent qu'une
fonction du cycle de production (fabrication, recherche et
développement, administration, commercialisation et
logistique). Cette division du travail correspond à une
dispersion des unités au niveau international. Ainsi,
l'Aérospatiale à Toulouse, a créé un réseau avec des
partenaires et des concurrents localisés à Hambourg,
Manchester, Madrid et Naples. Des villes moyennes ou
grandes peuvent ainsi être au cœur de ces réseaux spécialisés
pourvu qu'elles soient situées sur des nœuds de connexion.

2. Les mégapoles : l'articulation du national, du


continental et du mondial
Sao Paulo, une
mégalopole

59
Sao Paulo, la plus grande ville d'Amérique latine, est parmi les
plus grandes villes du monde par sa taille, la puissance de sa
concentration économique, la position dominante qu'elle
occupe sur le territoire national ainsi qu'en Amérique du Sud.
Elle semble atteindre un niveau qui la place au rang de ville
mondiale, ces villes qui attirent à elles une part énorme de la
croissance, de la richesse, du pouvoir comme New York,
Londres ou Tokyo. (...) Dans le mouvement de mondialisation
de l'économie, la concentration des fonctions centrales s'opère
dans un certain nombre de sites où se met en place un nouveau
système de coordination de l'ordre économique international.
Sao Paulo en serait le nœud pour l'Amérique latine avec son
importante production de nouveautés financières et la
structuration/intégration des marchés brésiliens et latino-
américains.
Le palmarès de Sao Paulo est déjà Impressionnant au niveau
brésilien: avec 10% de la population nationale,
l'agglomération contribue à 23 % du PIB ; son parc
automobile est fort de 4,5 millions de véhicules (21 % du total
national) ; on y compte un téléphone pour 4 habitants, contre
un pour 11 dans le reste du Brésil i un étudiant sur 3 s'y forme
i les revenus moyens des familles y sont près de deux fois
supérieurs, etc. C'est aussi une des villes les plus étendues du
monde, urbanisée sur 100 km d'est en ouest et 60 km du nord
au sud, où l'on circule le plus sur pneus: 8 millions de
passagers/jour en autobus, c'est-à-dire cinq fois plus qu'à Paris.
C'est enfin une métropole du Tiers Monde avec son cortège de
contrastes détonants, d'injustices socio-spatiales (fig.9).
Au sens large, les mégapoles sont des villes géantes, l'ONU
considère que ce sont les agglomérations qui regroupent plus
de 8 millions d'habitants. En s'appuyant sur les données de
Géopolis on en dénombre 28, de Tokyo (30 millions

60
d'habitants) à Taipei à Taïwan (8 millions d'habitants), dont
certaines appartiennent à des aires mégalopolitaines.
Ces agglomérations sont les plus peuplées, les plus étendues
et les plus puissantes, et de nombreux auteurs prennent pour
limites les villes de plus de 5 millions d'habitants. Ces centres
d'impulsion de l'économie mondiale regroupent plusieurs
caractéristiques.
- L'importance du pouvoir financier avec la mobilisation
des capitaux opérée par les banques, les sociétés de courtage,
les fonds de placements, les assurances, sociétés
particulièrement concentrées dans ces mégapoles, ainsi, les 50
premières banques se répartissent sur quinze villes dont 6 à
Londres, 6 à Paris, 5 à Tokyo, 3 à New York.
- Les centres de décision, les sièges sociaux des grandes
firmes se regroupent aussi dans ces mégapoles, New York,
Chicago, Los Angeles et San Francisco regroupent à elles
seules la moitié des sièges sociaux des 30 premières firmes
transnationales. Certaines mégapoles voient leur rôle
renforcé par la présence des sièges de grands organismes
internationaux, l'ONU à New York, l'UNESCO à Paris ou
l'Union maritime internationale à Londres, et par des grandes
sociétés de commerce international, agents privilégiés de la
mondialisation renforçant le poids d'Osaka, de Séoul ou de
Cologne.
- Ce sont aussi des lieux de maîtrise des flux grâce à la
collecte de l'information par les agences de presse et les
médias, et par l'intermédiaire des réseaux de transports :
Kennedy et Newark à New York, Roissy et Orly à Paris,
Narita à Tokyo sont parmi les aéroports les plus fréquentés
au monde.
- Enfin, de nombreuses mégapoles, centres d'impulsion
économique sont des capitales d'États centralisés comme
Paris, Moscou, Mexico, Buenos Aires, Séoul.

61
Les mégapoles sont au sommet de la hiérarchie urbaine, mais
leur répartition est inégale, plus nombreuses en Amérique du
Nord, et en Europe qu'en Afrique ou en Asie du Sud. De plus,
dans les pays en développement, ces mégapoles sont
caractérisées par une forte croissance démographique,
accompagnant une urbanisation incontrôlée, une ségrégation
forte, le développement de bidonvilles, le tout renforcé par un
déséquilibre urbain (macrocéphalie) ne leur permettant pas de
jouer un rôle de ville globale. Cependant, ces mégapoles très
souvent concentrées sur les littoraux sont en position
d'interface dans le cadre d'une mondialisation qui renforce les
échanges, et deviennent des lieux privilégiés dans les
stratégies des firmes transnationales. Si le pouvoir réel
appartient aux mégapoles des pays riches, celles du tiers-
monde sont autant de relais pour les entreprises mondialisées.

3. Les mégalopoles: trois pôles majeurs d'impulsion (États-


Unis, Europe, Japon)

Dans certaines régions, la concentration de métropoles


interconnectées aboutit à la formation de vastes ensembles
urbanisés qui comportent des villes et des zones périurbaines
de toutes tailles et que l'on nomme mégalopoles. Le terme de
mégalopolis est donné, pour la première fois, par Jean
Gottmann, en 1961, à l'espace urbain qui s'étend sur un millier
de kilomètres de Boston à Washington dans le nord-ouest des
États-Unis. La localisation des mégalopoles ne fait que refléter
la hiérarchie des États et la domination économiques de la
Triade: États-Unis, Europe, Japon. Dans une analyse
géographique du pouvoir, il est facile d'évoquer trois espaces
mégalopolitains majeurs à l'échelle de la planète.
- Le Nord-Est des États-Unis, de Boston à Washington
(Boswash) et son hinterland, Québec vers le nord, Chicago

62
vers l'ouest, compose la mégalopole atlantique, En
additionnant uniquement la population des cinq villes les plus
importantes de la mégalopole (Boston, New York,
Philadelphie, Baltimore et Washington), on atteint 40 millions
d'habitants, Même si, dans le cadre américain, la mégalopole
atlantique peut être concurrencée par les villes de la Sun belt,
il n'en reste pas moins que le nord-est détient encore la moitié
des 500 plus grandes firmes du pays.
- La mégalopole japonaise constitue un long ruban urbain de
plus de 1 000 km sur 20 à 50 km de large de Tokyo à
Fukuoka et regroupe 105 millions d'habitants, soit 85 %
de la population. Elle s'organise autour des trois principales
villes du pays: Osaka, Nagoya et Tokyo qui, jusqu'aux années
1950, formaient des systèmes urbains séparés, Le rattachement
urbain a abouti à une conurbation où de très faibles distances
séparent les métropoles. Cette mégalopole est au cœur de la
puissance japonaise et de son ouverture au monde. Elle est la
première région industrielle du monde, regroupe les sièges
sociaux des firmes multinationales japonaises et sa puissance
financière repose sur les bourses de Tokyo et d'Osaka. La
mégalopole s'articule autour de la première façade portuaire
mondiale (environ 1,5 milliard de tonnes par an, dont 600
millions pour la seule baie de Tokyo).
La mondialisation exerce ses effets sur cet espace, en
favorisant le renforcement de deux pôles mondiaux: Tokyo
(2/3 des sièges sociaux des grandes entreprises japonaises,
85%) des établissements financiers étrangers, place financière
mondiale) et le Kansai qui comprend Osaka, Kobé. Kyoto 1/4
des sièges sociaux, activités industrielles de haut niveau).
- En Europe, l'espace le plus dynamique de l'Union
européenne s'étend du bassin de Londres à l'Italie du Nord
composant une dorsale, limitée au nord par la Ranstad
Holland et au sud par l'agglomération parisienne. Cette

63
mégalopole concentre une grande partie de la puissance
économique de l'Union européenne: 60 % de la production
industrielle, le premier port de fret au monde avec Rotterdam,
les bourses européennes (Londres. Francfort, Milan et Zurich)
et la banque centrale européenne ainsi que les principales
institutions européennes à Strasbourg, Bruxelles, Luxembourg
et Francfort.
En ce début de XXI' siècle, d'autres mégalopoles sont sans
doute en gestation. À l'échelle nationale, on peut citer, en
Corée du Sud, l'axe Séoul-Pusan, qui comprend 6 des 7
métropoles millionnaires du pays, regroupe 70%) de la
population du pays concentre 80% des emplois du secondaire,
et fait figure de corridor industrialo-urbain largement ouvert
sur l'extérieur. Dans les pays émergents, certains notent
l'ébauche d'une mégalopolisation entre Sâo Paulo, le sud
brésilien et l'embouchure de la Plata avec Buenos Aires, dans
le cadre du Mercosur. Enfin, et de façon plus conséquente, on
peut définir le dynamisme de la façade pacifique de l'Asie
comme un facteur Je structuration d'un grand arc littoral de la
Corée à Singapour, mais sans que de véritables processus
d'intégration aient vu le jour.

Conclusion

Dans ce contexte, la mondialisation favorise les grandes ou


très grandes villes: 173 agglomérations de plus de 2 millions
d'habitants rassemblent près de 900 millions de personnes, soit
14 % de la population du globe. Les grandes métropoles sont
les lieux de concentration des activités et du pouvoir aux
échelles régionales, nationales et continentales et se trouvent
au cœur du fonctionnement de l'économie de cette troisième
mondialisation. Cette mondialisation favorise les métropoles

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des pays les plus développés, dont certaines, au sommet de la
hiérarchie, concentrent les activités de commandement à
l'échelle mondiale (sièges sociaux d'entreprises
transnationales, places boursières majeures, grands organismes
nationaux ou transnationaux) symbolisées par les Central
Business District

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