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ANDORRA-Les défis_Mise en page 1 04/07/17 13:22 Page2

Doré Q

logo “foncé”

L. Burgorgue-Larsen (Dir.)
TRIBUNAL CONSTITUCIONAL
PRINCIPAT D’ANDORRA
TRIBUNAL

L’
analyse contemporaine des modalités d’interprétation des droits, et partant,
de leur subséquente application, laisse à voir un processus commun entre CONSTITUCIONAL
les Cours régionales de protection des droits de l’homme (les Cours
PRINCIPAT D’ANDORRA
africaine, européenne et interaméricaine) et les Cours constitutionnelles : il s’agit
de l’utilisation de sources extérieures aux systèmes juridiques concernés.
Cette ouverture des systèmes juridiques à des sources extérieures est tantôt inscrite
dans les textes de références (Conventions de protection et Constitutions), tantôt
découle de l’œuvre prétorienne des juges (conventionnels et constitutionnels). Sous la direction de

Les défis de l’interprétation et de l’application des droits de l’homme


Laurence Burgorgue-Larsen
L’objet du colloque international qui s’est tenu à Andorra la Vella a été de croiser
les analyses sur le « décloisonnement » des ordres juridiques induit par l’utilisation
de sources extérieures afin, au bout du compte, de voir la manière dont cela rejaillit
sur le nécessaire dialogue qui doit s’engager entre les juges conventionnels (pour

Les défis
interpréter les droits) et entre les juges conventionnels et nationaux (pour appliquer
les droits).

Le Tribunal constitutionnel d’Andorre a accueilli, pour ce faire, des magistrats


et des professeurs issus de trois continents : l’Afrique, l’Amérique et l’Europe.
Il était en effet incontournable, afin de prendre la mesure du phénomène et de ses
de l’interprétation
conséquences, de pouvoir croiser les regards de ces deux catégories de juristes. et
de l’application
L’ouvrage réunit les analyses de Frédéric Joël AÏVO, Rafâa BEN ACHOUR, Laurence
BURGORGUE-LARSEN, Enric CASADEVALL MEDRANO, Xavier ESPOT, Eduardo
FERRER MAC-GREGOR, Gonzalo GARCÍA PINO, Sergio GARCÍA RAMÍREZ, Itziar
GÓMEZ FERNÁNDEZ, Tania GROPPI, Luis LÓPEZ GUERRA, Pacifique MANIRAKIZA,
des droits
Nicole MAESTRACCI, Claudia MARTIN, Djedjro Francisco MELEDJE, Gérard NIYUNGEKO,
Fatsah OUGUERGOUZ, Pablo PÉREZ TREMPS, Alfonso SANTIAGO, Alioune SALL,
de
Francis WODIÉ.

l’homme
De l’ouverture au dialogue

Editions A. Pedone
ISBN 978-2-233-00840-4 57 €
Pedone
LES ARTICLES 60 ET 61 DE LA CHARTE AFRICAINE
DES DROITS ET DEVOIRS DE L’HOMME ET DES PEUPLES

FATSAH OUGUERGOUZ
Juge et ancien Vice-président
Cour africaine des droits de l’homme et des peuples

Monsieur Xavier Espot Zamora, Ministre de la Justice,


Monsieur Enric Casadevall Medrano, Président du Conseil supérieur de la
Justice,
Madame le Professeur Laurence Burgorgue-Larsen, Présidente du Tribunal
Constitutionnel d’Andorre,
Chers Professeurs, cher(e)s collègues de la Cour africaine, des autres cours
régionales et des juridictions nationales,
Cher(e)s ami(e)s,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d’abord de dire tout le plaisir qui est le mien de participer à
ce beau et stimulant colloque consacré à une thématique qui présente un intérêt
tout particulier pour le juge national et le juge international dans la mesure où
elle touche intimement à l’exercice de leur activité au jour le jour. Ce dialogue
judiciaire auquel nous avons été conviés aujourd’hui par notre amie, le
Professeur Laurence Burgorgue-Larsen, me paraît donc être une excellente
initiative qui mérite d’être rééditée à la fois dans le temps et dans l’espace.
La Cour africaine, sous la présidence dynamique de notre collègue Gérard
Niuyengeko, avait très tôt mesuré l’importance d’une interaction entre les juges
internationaux entre eux et entre ceux-ci et les juges nationaux. La Cour a ainsi
organisé deux dialogues judiciaires, le dernier en date au mois de novembre
2015, et intitulé « Etablir un lien entre la justice nationale à la justice
internationale », auquel ont été conviés tous les présidents de cours suprêmes et
constitutionnelles africaines, ainsi que les membres des Cour européenne et
interaméricaine des droits de l’homme.
Toujours pour souligner l’importance du présent colloque d’Andorre et la
grande actualité de son thème, je dirais deux mots d’un autre dialogue judiciaire
auquel j’ai participé durant toute la semaine dernière à Copenhague. Il s’agit de
la session bi-annuelle du Brandeis Institute for International Judges à laquelle
ont participé une vingtaine de juges des cours universelles et régionales et dont
le thème était la question de l’autorité des juridictions internationales ; nous
sommes arrivés à la conclusion qu’une des manières de mesurer l’autorité des

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juridictions internationales était la fréquence de la référence à leurs décisions par


les autres juridictions internationales ainsi que par les juridictions nationales, que
cette fréquence dépendait de la qualité desdites décisions et que cette qualité était
à son tour tributaire d’un certain nombre de conditions, dont celles des
ressources financières et humaines mises à la disposition des juridictions
internationales.
Le présent colloque consacré au décloisonnement des ordres judiciaires
nationaux et internationaux, selon la belle expression imagée de son
organisatrice, se caractérise également par sa dimension éminemment pratique.
Je suis convaincu que nos débats d’aujourd’hui et de demain accoucheront
d’idées novatrices pour renforcer les synergies entre nos juridictions respectives
ainsi que la contribution de chacune d’entre elles à la protection des droits de
l’homme.
Je me réjouis de la tenue de ce dialogue judiciaire international à Andorre,
en plein cœur de ces belles et verdoyantes Pyrénées dont on a trop longtemps dit
qu’elles marquaient une frontière symbolique : celle entre la vérité et l’erreur.
Il nous faut faire pièce à ce fameux adage et souligner que le processus d’osmose
juridique et judiciaire en cours depuis quelques décennies déjà est le témoignage
que la vérité se situe tant en deçà qu’au-delà de ces Pyrénées qui ne sont plus
aujourd’hui confins effrayants mais trait d’union rassurant.
Je me réjouis tout autant de siéger sur ce premier panel consacré à
« l’ouverture des systèmes juridiques aux sources extérieures, telle qu’organisée
par les textes », et aux côtés d’éminents représentants de ces acteurs importants
que sont les juridictions nationales, parties prenantes essentielles s’il en est des
systèmes régionaux de protection des droits de l’homme ; j’ai en effet beaucoup
à apprendre de cette culture d’adhésion des juges nationaux à la jurisprudence
internationale, évoquée avec beaucoup d’enthousiasme par le Professeur
Burgorgue-Larsen, et qui est assurément un indicateur de bonne santé de ces
systèmes régionaux de protection. Je me réjouis enfin que nos débats de ce matin
se déroulent sous la présidence éclairée de notre collègue Dominique Rousseau,
Magistrat au Tribunal constitutionnel d’Andorre.

PROLÉGOMÈNES

La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 juin 1981


prévoit la création d’un organe quasi-judiciaire, la Commission africaine du
même nom, et contient un chapitre IV intitulé « Des principes applicables » et
consistant en quatre articles (articles 60 à 63), dont seuls les deux premiers
(articles 60 et 61) méritent cependant de figurer dans ce chapitre.
L’article 60 est ainsi libellé :
« La Commission s’inspire du droit international relatif aux droits de
l’homme et des peuples, notamment des dispositions des divers instruments
africains relatifs aux droits de l’homme et des peuples, des dispositions de la
Charte des Nations Unies, de la Charte de l’Organisation de l’Unité Afri-
caine, de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, des dispositions

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des autres instruments adoptés par les Nations Unies et par les pays africains
dans le domaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi que des
dispositions de divers instruments adoptés au sein d’institutions spécialisées
des Nations Unies dont sont membres les parties à la présente Charte ».
Quant à l’article 61, il est calqué sur l’article 38 du Statut de la Cour
internationale de Justice,1 et dispose ce qui suit :
« La Commission prend aussi en considération comme moyens auxiliaires de
détermination des règles de droit, les autres conventions internationales, soit
générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par
les Etats membres de l’Organisation de l’Unité Africaine, les pratiques
africaines conformes aux normes internationales relatives aux droits de
l’homme et des peuples, les coutumes généralement acceptées comme étant
le droit, les principes généraux de droit reconnus par les nations africaines
ainsi que la jurisprudence et la doctrine ».
Aucune de ces dispositions ne traite à proprement parler de la question du droit
applicable par la Commission. L’article 60 autorise seulement la Commission à
« s’inspirer » de certaines sources et non pas à les appliquer; quant à l’article 61,
il autorise la Commission à prendre également en considération d’autres sources
comme « moyens auxiliaires de détermination des règles de droit » qu’il lui
appartient d’appliquer.
Ces deux dispositions se contentent en réalité d’offrir expressément à la
Commission la possibilité de recourir à des sources extérieures aux fins
d’interpréter les dispositions de la Charte africaine qu’elle a vocation à appliquer
durant l’examen des communications dont elle est saisie. Il ne fait pas de doute
qu’un tel pouvoir d’interprétation est inhérent à la qualité d’organe quasi-judiciaire
de la Commission et qu’une autorisation expresse n’était pas nécessaire à cet effet.
Ces deux dispositions offrent toutefois un «guide d’interprétation du pouvoir
d’interprétation» de la Commission qui a certainement dû faciliter le travail de
cette dernière depuis son établissement en 1987.
La première fois que l’article 60 a été évoqué devant la Commission africaine
remonte à 1995, soit huit années après son installation. La Commission avait été
saisie d’une communication concernant le statut juridique des homosexuels au
Zimbabwe2 et qui alléguait la violation d’un certain nombre de droits garantis
par la Charte ; cette communication mettait également l’accent sur l’article 60
de la Charte, aux termes duquel la Commission s’inspire du droit international
des droits de l’homme et des peuples. L’auteur de la communication avait joint
les observations du Comité des droits de l’homme des Nations Unies qui,
dans l’affaire Toonen c. Australie, avait considéré que la condamnation de
l’homosexualité à Tasmania constituait une ingérence arbitraire dans la vie

1
Je ferai ici observer que l’article 38 du Statut ne traite pas de l’interprétation en général mais a pour
objet de définir le droit applicable par la Cour de La Haye.
2
Communication 136/94, William Courson c. Zimbabwe, Huitième rapport annuel d’activités (1994-
1995) (ACHPR 1995).

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privée de l’intéressé. 3 La Commission n’a toutefois pas eu à examiner cette


communication car celle-ci a été classée sans suite après qu’elle ait été retirée par
son auteur.
La Commission s’est par la suite, à de nombreuses occasions, référée à la
pratique d’autres organes pour en dégager un principe d’interprétation d’une
règle. Elle l’a fait pour interpréter une règle de procédure, comme par exemple
lorsque l’Etat défendeur a failli à son devoir de soumettre des informations ;
lorsque le gouvernement concerné n’a pas répondu à des allégations de
violations de droits de l’homme, la Commission a ainsi décidé sur la seule base
des faits fournis par le plaignant4. La Commission l’a également fait pour définir
le contenu d’un droit, comme par exemple le droit à un procès équitable ; la
Commission s’est ainsi référé au commentaire général de l’article 14 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, dans lequel le Comité des
droits de l’homme a notamment indiqué que le jugement de civils par les
tribunaux militaires ou spéciaux pourrait poser de graves problèmes en ce qui
concerne l’administration équitable, impartiale et indépendante de la justice5.
Dans son examen d’une communication introduite contre la Zambie, la
Commission a mentionné les articles 60 et 61 de la Charte dans les termes qui
suivent : « Les articles 60 et 61 recommandent à la Commission, dans son rôle
d’interprétation et d’application de la Charte africaine, de « s’inspirer du droit
international relatif aux droits de l’homme et des peuples», tel que reflété dans
les instruments de l’OUA et des Nations Unies ainsi que d’autres principes de
fixation de normes internationales (article 60). Il est également demandé à la
Commission de prendre en considération d’autres conventions internationales et
pratiques africaines conformes aux normes internationales […] »6. A l’occasion
de l’examen de cette même communication, la Commission s’est ainsi référée à
des décisions de la Commission interaméricaine des droits de l’homme à propos
de la primauté du droit international sur le droit national7. La Commission a cité
une décision de la Commission interaméricaine8 pour souligner qu’elle n’avait
pas la compétence d’interpréter et d’appliquer le droit national des Etats parties,
mais que son rôle était d’examiner le respect de leurs obligations internationales
par lesdits Etats. La Commission a en outre cité l’article 27 de la Convention de

3
Toonen c. Australie, Communication No. 488/1992, UN Doc CCPR/C/50/D/488/1992 (1994).
4
« Dans plusieurs décisions antérieures, la Commission africaine a établi le principe que lorsque les
allégations d’abus des droits de l’homme ne sont pas contestées par le gouvernement concerné,
même après de multiples notifications, la Commission doit décider sur la base des faits fournis par le
plaignant et traiter ces faits tels qu’ils lui sont livrés. Ce principe est conforme à la pratique des
organes internationaux des droits de l’homme et au devoir de la Commission de protéger les droits de
l’homme», Communication 25/89, Free Legal Assistance Group c. Zaire, Communication 47/90,
Lawyers’ Committee for Human Rights c. Zaire, Communication 56/91, Union Interafricaine des
Droits de l’Homme c. Zaire, Communication 100/93, Les Témoins de Jehovah c. Zaire (regroupées),
Neuvième rapport annuel de la Commission (1995/1996), paragraphe 49.
5
Communication 224/98, Media Rights Agenda c. Nigeria, paragaphe 65 de la décision,
Quatorzième rapport annuel de la Commission (2000/2001).
6
Communication 211/98, Legal Resources Foundation c. Zambie, paragraphe 58 de la décision.
7
Ibid., paragraphe 59.
8
Communication introduite contre l’Uruguay, Rapport 29/92 du 2 octobre 1992.

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Vienne sur le droit des traités pour souligner que le droit conventionnel interdit
aux Etats de s’appuyer sur le droit national pour justifier le non-respect de leurs
engagements internationaux (paragraphe 59). Elle a également cité l’Observation
générale No. 9 sur le devoir de donner effet au premier Pacte dans la législation
nationale, adoptée par le Comité des Nations Unies sur les droits économiques,
sociaux et culturels dans laquelle ce dernier a notamment indiqué que
« les principes internationaux des droits de l’homme légalement obligatoires
devraient s’appliquer directement et immédiatement dans le système juridique
interne de chaque Etat partie ; et ainsi permettre aux individus de faire valoir
leurs droits devant les cours et tribunaux nationaux » (paragraphe 59).
Dans son examen d’une communication introduite contre le Nigéria, la
Commission a également cité des décisions des Commission et Cour
européennes des droits de l’homme aux fins de définir le contenu de la
prohibition des traitements cruels, inhumains ou dégradants prévue par l’article 5
de la Charte africaine ; elle l’a fait dans les termes qui suivent : « Le traitement
interdit aux termes de l’article 3 de la Convention est celui qui atteint un niveau
minimal de sévérité et […] l’évaluation de ce niveau minimal est, dans la nature
des choses, relative. Il dépend de toutes les conditions qui entourent le cas, telles
que la durée du traitement, ses effets physiques et mentaux, et dans certains cas
du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime, etc… »9.
La Commission s’est aussi référée à des textes adoptés par l’Organisation des
Nations Unies tels que les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de
la magistrature 10 , l’ensemble de principes pour la protection de toutes les
personnes soumises à la détention ou à l’emprisonnement11, ou la Déclaration de
l’Assemblée générale du 18 décembre 1992 sur la Protection de toutes les
personnes contres les disparitions forcées12.
Il n’est pas ici sans intérêt de faire observer que la jurisprudence de la Commis-
sion africaine a, à son tour, inspiré celle de la Cour interaméricaine ; cette dernière
a en effet cité des décisions de la Commission africaine en relation avec des lois
d’amnistie 13 , les droits des peuples autochtones 14 , l’expulsion de ressortissants

9
Irlande c. Grande Bretagne, arrêt du 18 janvier 1987, Série A, No. 25, paragraphe 162, et décision
de la Commission dans l’affaire Antonio Urrutikoetxea c. France, 5 décembre 1996, p. 157 ; voir
aussi le paragraphe 41 de la décision relative à la Communication 225/98, Huri-Laws c. Nigeria.
10
Communication 224/98, Media Rights Agenda c. Nigeria, paragraphe 64 de la décision ;
Communication 204/97, Mouvement Burkinabé des Droits de l’Homme et des Peuples v. Burkina
Faso, paragraphe 38 de la décision.
11
Communication 225/98, Huri-Laws c. Nigeria, paragraphe 40 de la décision ; Communica-
tion 232/99, John D. Ouko c. Kenya, paragraphes 24 et 25 de la décision ; Communication 224/98,
Media Rights Agenda c. Nigeria, paragraphe 70.
12
Mouvement Burkinabé des Droits de l’Homme et des Peuples c. Burkina Faso, paragraphe 44 de la
décision.
13
«The African Commission on Human and Peoples’ Rights considered that amnesty laws cannot
protect the State that adopts them from complying with their international obligations, and noted, in
addition, that in prohibiting the prosecution of perpetrators of serious human rights violations via the
granting of amnesty, the States not only promote impunity, but also close off the possibility that said
abuses be investigated and that the victims of said crimes have an effective remedy in order to obtain
reparation», Gelman v. Uruguay (Merits and Reparations), (24 February 2011), paragraphe 214 ;

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étrangers, 15 l’indépendance de la magistrature 16 ou encore l’importance de la


liberté d’expression dans une société démocratique17.
Je ferais également observer que la plupart des décisions de la Commission
africaine citées par la Cour interaméricaine se réfèrent elles-mêmes à des arrêts
antérieurs de la Cour interaméricaine, ce qui témoigne ainsi d’une fertilisation
croisée et de la manière dont les sources extérieures sont utilisées par la Cour
interaméricaine pour renforcer sa position sur des questions à propos desquelles
elle s’est déjà abondamment prononcée.
Bien que non mentionnée dans les articles 60 et 61 de la Charte africaine –
car créée par voie de protocole à cette dernière – la Cour africaine des droits de
l’homme et des peuples (ci-après la «Cour africaine») peut sans l’ombre d’un
doute également recourir aux principes posés par ces deux dispositions. La Cour
n’a d’ailleurs pas manqué de le faire, dans les prononcés judiciaires qu’elle a
adoptés au cours de ses dix premières années d’existence. A ma connaissance,
la Cour n’a toutefois recouru à ces principes, en faisant une référence expresse à
l’article 60, que dans un seul de ses prononcés, à savoir dans son tout premier
arrêt rendu dans les affaires Tanganyika Law Society and Legal and Human
Rights Centre c. République Unie de Tanzanie et Christopher R. Mtikila c.
République Unie de Tanzanie. Dans cet arrêt, la Cour fait en effet référence au
paragraphe 17 de l’Observation générale No. 25 du Comité des droits de
l’homme sur le droit de participer librement à la direction des affaires publiques,
dans les termes qui suivent : « La Cour fait sienne cette observation générale car
il s’agit d’une déclaration faisant autorité sur l’interprétation de l’article 25 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui reflète
l’esprit de l’article 13 de la Charte et qui, en vertu de l’article 60 de la Charte,
est "un instrument adopté par les Nations Unies relatif aux droits de l’homme"
dont la Cour peut "s’inspirer" pour sa propre interprétation »18.
Avant de partager avec vous mes réflexions sur la jurisprudence de la Cour
d’Arusha, il me paraît nécessaire de souligner que cette jurisprudence est
relativement récente et peu abondante. La Cour a en effet été installée le 2 juillet

Gomes Lund and Others v. Brazil (Preliminary Objections, Merits, Reparations and Costs), IACtHR
Series C, No. 219 (24 November 2010), paragraphes 146, 147, 160, 162.
14
Pueblo Indigena Kichwa de Sarayaku v. Ecuador (Merits and Reparations), IACtHR Series C,
No. 245 (27 June 2012), paragraphe 216; Pueblo Saramaka v. Suriname (Preliminary Objections,
Merits, Reparations and Costs), IACtHR Series C, No. 172 (28 November 2007), paragraphe 120.
15
Nadege Dorzema and Others v. Dominican Republic (Merits, Reparations and Costs), IACtHR
Series C, No. 251 (24 October 2012), paragraphes 162, 163, 175; Velez Loor v. Panama (Preliminary
Objections, Merits, Reparations and Costs), IACtHR Series C, No. 218 (23 November 2010),
paragraphe 100.
16
Apitz Barbera et al. (‘first court of administrative disputes’) v. Venezuela (Preliminary Objection,
Merits, Reparations and Costs), IACtHR Series C, No. 182 (5 August 2008), paragraphe 84 (citant
les Principes et Directives sur le droit à un procès équitable et l’assistance juridique en Afrique).
17
Herrera Ulloa v. Costa Rica (Preliminary Objections, Merits, Reparations and Costs), IACtHR
Series C, No. 107 (2 July 2004), paragraphe 114.
18
Tanganyika Law Society and Legal and Human Rights Centre c. République Unie de Tanzanie
(Requête 009/2011) et Christopher R. Mtikila c. République Unie de Tanzanie (Requête 011/2011),
arrêt du 14 juin 2013.

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2006 et ce n’est que trois années plus tard, le 15 décembre 2009, qu’elle a rendu
son tout premier arrêt. Dans cet arrêt, la Cour s’est déclarée incompétente pour
connaître de la requête introduite contre la République du Sénégal par Monsieur
Michelot Yogogombaye. Au cours des sept années qui ont suivi, elle a adopté de
très nombreuses décisions dans lesquelles elle s’est également déclarée
incompétente pour connaître des requêtes introduites ou a considéré que celles-ci
ne remplissaient pas les conditions de recevabilité19. Il faudra attendre le 14 juin
2013 pour que la Cour rende son tout premier arrêt sur le fond dans deux affaires
introduites contre la République Unie de Tanzanie et dont elle avait ordonné la
jonction20. Au 1er juillet 2016, la Cour a rendu six autres arrêts sur le fond21 et
trois arrêts sur la réparation22. Elle a également rendu un arrêt sur la compétence
et la recevabilité 23 , une douzaine d’ordonnances en indication de mesures
conservatoires24, deux arrêts relatifs à l’interprétation ou à la révision d’un de ses
arrêts antérieurs25 ainsi qu’un avis consultatif26.
Comme je l’ai indiqué précédemment, dans l’exercice de sa fonction judiciaire,
la Cour n’a pas manqué de puiser généreusement dans les sources extérieures.
Elle n’a ainsi pas hésité à s’inspirer de la jurisprudence d’organes quasi-
judiciaires tels que la Commission africaine, le Comité africain d’experts sur les
droits et le bien-être de l’enfant et le Comité des droits de l’homme des Nations
Unies, ou d’organes judiciaires tels que les Cours européenne et interaméricaine
des droits de l’homme, la Cour internationale de Justice et la Cour pénale
internationale. Elle a également cité d’autres conventions internationales que la
19
Urban Mkandawire c. République du Malawi (Requête 003/2011), Peter Joseph Chacha c.
République Unie de Tanzanie (Requête 001/2012), Frank David Omary et autres c. République Unie
de Tanzanie (Requête 003/2012).
20
Voir supra, note infrapaginale 18.
21
Ayants-droits de feu Norbert Zongo, Abdoulaye Nikiema dit Ablasse, Ernest Zongo et Blaise
Ibouldo & Mouvement Burkinabe des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso (Requête
013/2011), Lohe Issa Konate c. Burkina Faso (Requête 004/2013), Alex Thomas c. République Unie
de Tanzanie (Requête 005/2013), Wilfred Onyango et autres c. République Unie de Tanzanie
(Requête 006/2013), Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. Libye (Requête
002/2013) et Mohamed Abubakari c. République Unie de Tanzanie (Requête 007/2013).
22
Christopher R. Mtikila c. République Unie de Tanzanie (Requête 011/2011), Ayants-droits de feu
Norbert Zongo, Abdoulaye Nikiema dit Ablasse, Ernest Zongo et Blaise Ibouldo & Mouvement
Burkinabe des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso (Requête 013/2011) et Lohe Issa
Konate c. Burkina Faso (Requête 004/2013).
23
Ayants-droits de feu Norbert Zongo, Abdoulaye Nikiema dit Ablasse, Ernest Zongo et Blaise
Ibouldo & Mouvement Burkinabe des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso (Exceptions
préliminaires) (Requête 013/2011), arrêt du 21 juin 2013.
24
Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. Jamahirya Arabe Libyenne,
Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. République du Kenya, Commission
africaine des droits de l’homme et des peuples c. Libye (2 ordonnances), Lohe Issa Konate c. Burkina
Faso Lohe Issa Konate c. Burkina Faso, Armand Guéhi c. République Unie de Tanzanie, John
Lazaro c. République Unie de Tanzanie, Ally Rajabu et autres c. République Unie de Tanzanie,
Deogratius Nicholaus Jeshi c. République Unie de Tanzanie, Habiyalimana Augustino c.
République-Unie de Tanzanie, Joseph Mukwano c. République Unie de Tanzanie, Amini Juma c.
République Unie de Tanzanie.
25
Urban Mkandawire c. République du Malawi (Interprétation et révision) (Requête 003/2011) et
Frank David Omary et autres c. République Unie de Tanzanie (Révision) (Requête 003/2012).
26
Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant (Demande 002/2013).

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Charte africaine, des résolutions adoptées par l’Assemblée générale des Nations
Unies ou la Commission africaine, ainsi que la doctrine. Les trois seules
catégories de sources extérieures mentionnées par les articles 60 et 61 auxquelles
la Cour ne s’est pas encore référée sont 1) les pratiques africaines conformes aux
normes internationales relatives aux droits de l’homme et des peuples, 2) les
coutumes généralement acceptées comme étant le droit et 3) les principes
généraux de droit reconnus par les nations africaines.
La fréquence avec laquelle la Cour se réfère aux sources extérieures est
toutefois très variable. Dans son premier, et à ce jour unique, arrêt sur les
exceptions préliminaires rendu le 21 juin 2013, la Cour n’a fait référence à
aucune source extérieure, exception faite de la Convention de Vienne sur le droit
des traités et le Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait
internationalement illicite adopté par la Commission du droit international en
2001 (et dont l’Assemblée générale des Nations Unies a pris note dans sa
résolution 56/83 du 12 décembre 2001) 27 et, cela allait de soi, de trois
instruments dont la violation avait été alléguée par les Requérants (la Déclaration
universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils
et politiques et le Traité révisé de la Communauté des Etats de l’Afrique de
l’Ouest). En revanche, dans son tout premier arrêt sur le fond rendu quelques
jours plus tôt, le 14 juin 2013, la Cour a recouru très abondamment à ces sources
extérieures, en ne faisant toutefois qu’une seule référence expresse à l’article 60
de la Charte africaine28. Moins d’une année plus tard, dans son arrêt sur le fond
rendu le 28 mars 2014 dans l’affaire Norbert Zongo c. Burkina Faso, la Cour ne
faisait que deux références à des sources extérieures : au dictionnaire Petit
Robert (paragraphe 68) et à un arrêt de la Cour européenne (paragraphe 70).
Dans son arrêt rendu le 3 juin 2016 dans l’affaire Mohamed Abubakari c.
République Unie de Tanzanie, la Cour a fait à huit reprises référence à des
sources jurisprudentielles extérieures et à dix reprises à ses propres arrêts.
La tendance récente de la Cour est en effet de réduire au strict nécessaire ces
références à des sources extérieures et de privilégier le renvoi aux prononcés
judiciaires de la Cour elle-même ; c’est là la manifestation d’un désir
d’autonomisation progressive de la Cour qui caractérise, me semble-t-il, le
développement normal de toute juridiction.
Je me propose maintenant de procéder à un examen, bien entendu loin d’être
exhaustif, de la jurisprudence de la Cour 29 et d’adopter pour ce faire une
approche thématique ; je donnerai quelques exemples de référence à des sources
extérieures dans l’examen par la Cour des questions de compétence, de
recevabilité des requêtes, de fond et de réparations.
27
Ayants-droits de feu Norbert Zongo, Abdoulaye Nikiema dit Ablasse, Ernest Zongo et Blaise
Ibouldo & Mouvement Burkinabe des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso (Exceptions
préliminaires) (Requête 013/2011), arrêt du 21 juin 2013, paragraphes 63, 66 et 73.
28
Tanganyika Law Society and Legal and Human Rights Centre c. République Unie de Tanzanie
(Requête 009/2011) et Christopher R. Mtikila c. République Unie de Tanzanie (Requête 011/2011),
arrêt du 14 juin 2013, paragraphe 107.3 bis (il y a une erreur de numérotation des sous-paragraphes).
29
J’exclurai du champ de mon examen les opinions individuelles ou dissidentes jointes aux
prononcés de la Cour.

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LES ARTICLES 60 ET 61 DE LA CHARTE AFRICAINE

I. COMPÉTENCE DE LA COUR ET RECEVABILITÉ DES REQUÊTES

La Cour a commencé à s’inspirer des sources extérieures lors de l’examen de


sa compétence ou des conditions de recevabilité des requêtes, que des exceptions
préliminaires aient ou non été soulevées par les Etat défendeurs.
A. Compétence de la Cour
1. Compétence matérielle
Alors que l’article 34 (4) du Règlement intérieur de la Cour prévoit que « la
requête doit indiquer la violation alléguée », la Cour a cependant considéré qu’il
n’existe aucune exigence quant à l’indication formelle dans la requête des
dispositions conventionnelles dont la violation est alléguée. Selon elle, le fait de ne
pas citer les articles spécifiques de la Charte ou d’un autre instrument relatif aux
droits de l’homme ratifié par l’Etat concerné n’a aucune incidence sur la
compétence de la Cour. Elle en a ainsi décidé dans son arrêt rendu le 28 mars 2014
dans l’affaire Joseph Peter Chacha c. République Unie de Tanzanie (Requête
N°003/2012), en se référant à la jurisprudence de la Commission africaine ainsi
que de la Cour européenne et de la Cour interaméricaine. La Cour cite en effet
le paragraphe 51 de la décision de la Commission africaine relative à la
communication n°333/06 Southern African Human Rights NGO Network et Autres
c. Tanzanie, le paragraphe 44 de l’arrêt Guerra et autres c. Italie, le paragraphe 54
de l’arrêt Scoppola c. Italie, le paragraphe 293 de l’arrêt Préviti c. Italie, rendus par
la Cour européenne, et le paragraphe 42 de l’arrêt rendu le 1er septembre 2001 par
la Cour interaméricaine dans l’affaire Hilaire c. Trinité-et-Tobago30.
Dans son arrêt du 3 juin 2016 relatif à l’affaire Mohamed Abubakari c.
République Unie de Tanzanie, la Cour a également fait référence à la
jurisprudence de son homologue européenne aux fins de rejeter une exception
d’incompétence matérielle tirée du fait qu’elle ne saurait examiner les preuves
sur lesquelles a été basée la condamnation du requérant sans agir comme une
juridiction d’appel. La Cour a commencé par réitérer sa position de principe
selon laquelle elle ne constitue pas une instance d’appel des décisions judiciaires
rendues par les juridictions nationales (paragraphe 25) et a ensuite indiqué que
rien ne lui interdisait d’examiner les preuves qui ont servi de base à la
condamnation du Requérant, «comme éléments du dossier qui lui est soumis,
afin de voir si de façon générale, la manière dont le juge national les a appréciées
a été conforme aux exigences d’un procès équitable au sens notamment de
l’article 7 de la Charte» (paragraphe 26). Elle a, à cet égard, cité l’arrêt du 24
juillet 2012 rendu dans l’affaire Sarp Kuray c. Turquie, en son paragraphe 69
ainsi libellé : « La recevabilité des preuves relève au premier chef des règles de
droit interne et il revient, en principe, aux juridictions nationales d’apprécier
les éléments recueillis par elles. La mission confiée à la Cour ne consiste pas à
se prononcer sur le point de savoir si des dépositions de témoins ont été à bon
30
Voir les paragraphes 119 et 121 de l’arrêt rendu dans l’affaire Joseph Peter Chacha c. République
Unie de Tanzanie (Requête N°003/2012).

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FATSAH OUGUERGOUZ

droit admises comme preuves, mais à rechercher si la procédure considérée


dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve,
présentait un caractère équitable »31.
2. Compétence temporelle
Dans son arrêt sur les exceptions préliminaires rendu dans l’affaire des Ayants-
droit de feu Norbert Zongo, c. Burkina Faso, la Cour n’a pas manqué de faire
référence au principe de non-rétroactivité posé à l’article 28 de la Convention de
Vienne sur le droit des traités dans son appréciation de la date critique à partir de
laquelle elle pouvait se déclarer compétente pour connaître des violations
alléguées par les requérants,32 ainsi qu’à l’article 14 (1) et (2) du projet d’articles
de la Commission du droit international sur la responsabilité internationale
de l’Etat pour fait internationalement illicite, aux fins de définir les notions de
violations continues et instantanées. La Cour a considéré que la violation du
droit à la vie de Norbert Zongo est une violation instantanée qui a eu lieu avant
la date critique (à savoir le 25 janvier 2004, date d’entrée en vigueur de la
déclaration facultative à l’égard du Burkina Faso) et a conclu que cette violation
ne ressortit donc pas de la compétence temporelle de la Cour. Elle a en revanche
considéré que le comportement de l’Etat défendeur en ce qui concerne la
recherche, la poursuite, le jugement et la condamnation des personnes
responsables de l’assassinat de Norbert Zongo et de ses compagnons, ressortit de
sa compétence car il se poursuit au delà de la date critique33.

B. Recevabilité des requêtes

Concernant la condition de l’épuisement des voies de recours internes prévue


par l’article 56 (5) de la Charte africaine, la Cour s’est référée à une
jurisprudence internationale bien établie pour indiquer qu’il s’agissait là d’une
condition cardinale posée par le droit international et que ces recours devaient
être à la fois disponibles, efficaces et satisfaisants.
Dans son tout premier arrêt sur le fond, rendu dans deux affaires introduites
contre la République Unie de Tanzanie, la Cour a soutenu cette position en
faisant référence au paragraphe 31 de la décision de la Commission africaine,
relative aux communications n° 147/95 et 147/96 Sir Dawda Jawara c.
Gambie34. Dans ce même arrêt, la Cour a en outre mentionné la jurisprudence

31
Mohamed Abubakari c. République Unie de Tanzanie (Requête 007/2013), paragraphe 27 de l’arrêt
du 3 juin 2016; dans la note infrapaginale 4, la Cour fait également référence au paragraphe 31 de l’arrêt
Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas (arrêt du 27 octobre 1993), au paragraphe 164 de l’arrêt Gäfgen c.
Allemagne (arrêt du 1er juin 2010), au paragraphe 36 de l’arrêt Balta et Demir c. Turquie (arrêt du
23 juin 2015) et aux paragraphes 61 et 62 de l’arrêt Bochan c. Ukraine (arrêt du 11 mars 2015).
32
Ayants-droits de feu Norbert Zongo, Abdoulaye Nikiema dit Ablasse, Ernest Zongo et Blaise
Ibouldo & Mouvement Burkinabé des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso (Exceptions
préliminaires) (Requête No. 013/2011), arrêt du 21 juin 2013, paragraphe 63.
33
Ibid., paragraphes 66 et 73.
34
Tanganyika Law Society and Legal and Human Rights Centre c. République Unie de Tanzanie
(Requête 009/2011) et Christopher R. Mtikila c. République Unie de Tanzanie (Requête 011/2011),
arrêt du 14 juin 2013, paragraphe 82 (1).

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LES ARTICLES 60 ET 61 DE LA CHARTE AFRICAINE

des Cours européenne et interaméricaine pour établir que seuls les recours
adéquats doivent être épuisés. Elle a en effet cité l’arrêt du 29 juillet 1998 rendu
dans l’affaire Velásquez-Rodríguez c. Honduras, en son paragraphe 64 ainsi
libellé : « Les recours internes adéquats sont ceux qui sont à même de réparer la
violation d’un droit reconnu par la loi. Dans chaque pays, il existe un certain
nombre de recours, mais ceux-ci ne sont pas tous applicables à toutes les
situations. Si un recours n’est pas adéquat dans une affaire donnée, il est évident
qu’il ne doit pas être épuisé »35.
La Cour a dans la foulée reproduit le paragraphe suivant de l’arrêt rendu par la
Cour européenne des droits de l’homme le 16 septembre 1996 dans l’affaire
Akdivar et autres c. Turquie : « Un requérant doit se prévaloir des recours
normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d’obtenir réparation
des violations qu’il allègue ; ces recours doivent exister avec un degré suffisant
de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité
et l’accessibilité voulues »36.
Dans son troisième arrêt sur le fond, rendu celui-ci contre le Burkina Faso, et
toujours aux fins de souligner l’importance de cette condition et l’exigence que
ces recours soient à la fois disponibles, efficaces et satisfaisants, la Cour a fait
référence au paragraphe 60 de la décision de la Commission relative à la
communication n° 293/04 Zimbabwe Lawyers for Human Rights & Institute for
Human Rights and Development in Africa c. Zimbabwe, et aux paragraphes 99 et
100 de celle relative à la communication n° 284/03 Zimbabwe Lawyers for
Human Rights & Associated Newspapers of Zimbabwe c. Zimbabwe ;37 elle s’est
également référée au paragraphe 31 de la décision rendue dans l’affaire Sir
Dawda Jawara c. Gambie susmentionnée.38
A l’instar de la Cour européenne, la Cour a considéré qu’une voie de recours
est efficace si elle offre des perspectives de réussite et que, dans certains cas, le
pourvoi en cassation est une voie de recours à épuiser. Ainsi dans son arrêt rendu
le 28 mars 2014 dans l’affaire Ayants-droits de feus Norbert Zongo et autres c.
Burkina Faso, la Cour a fait observer que le pourvoi en cassation n’était pas un
recours inutile dans la mesure où la Cour de cassation pouvait, dans certaines
circonstances, modifier le fond de la décision contestée ; elle a ajouté que sauf à
exercer ce recours, le Requérant ne pouvait pas savoir ce que la Cour de
cassation aurait décidé. Pour soutenir cette affirmation, la Cour a indiqué ce qui
suit : « Comme l’a relevé la Cour européenne des droits de l’homme dans une
affaire impliquant la France qui appartient à la même famille juridique que le
Burkina Faso : "[…] le pourvoi en cassation figure parmi les voies de recours à
épuiser en principe pour se conformer à l’article 35 [de la Convention]

35
Id..
36
Id..
37
Lohé Issa Konaté c. Burkina Faso (Requête N° 003/2013), arrêt du 5 décembre 2014, paragraphes
77, 78 et 79.
38
Ibid., paragraphe 79, note infrapaginale 7.

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FATSAH OUGUERGOUZ

(paragraphes 41-44 de l’arrêt du 28 septembre 1999 dans l’affaire Civet c.


France)" ».39
Les références susmentionnées ne constituent que quelques exemples de
recours par la Cour à des sources d’inspiration extérieures aux fins d’établir sa
compétence et la recevabilité des requêtes ; elles témoignent toutefois de la
grande ouverture de la Cour à de telles sources d’inspiration. La Cour a fait
preuve de la même inclination en ce qui concerne le fond des affaires qu’elle a
eu à traiter jusqu’à présent.

II. FOND

C’est essentiellement à propos du droit de participer librement aux affaires


publiques, au droit à un procès équitable et à la liberté d’expression que la Cour
s’est prononcée dans les arrêts qu’elle a adoptés à ce jour. Nous nous
intéresserons uniquement aux références aux sources extérieures faites par la
Cour à l’occasion de l’examen de violations alléguées des deux premiers droits ;
en ce qui concerne la liberté d’expression, nous renvoyons au texte de la belle et
exhaustive présentation faite par le Juge Rafâa Ben Achour durant le présent
colloque.

A. Droit de participer librement à la direction des affaires publiques

C’est dans son tout premier arrêt sur le fond, rendu dans les deux affaires
introduites contre la République Unie de Tanzanie, que la Cour a eu à se
prononcer sur des allégations de violation de ce droit. Dans cet arrêt, la Cour a
conclu à la violation du droit du Révérend Mtikila à la libre participation à la
direction des affaires publiques de son pays en raison du « fait que pour se
porter candidat aux élections présidentielles, législatives ou locales en Tanzanie,
il faut être membre d’un parti politique » (paragraphe 111) ; la Cour a poursuivi
en indiquant que « les Tanzaniens ne sont donc pas libres de participer à la
direction des affaires publiques de leur pays, directement ou par le libre choix
de leurs représentants » (paragraphe 111). La Cour est arrivée à cette conclusion
après un examen minutieux de la clause de limitation contenue dans l’article 13
(1) de la Charte africaine garantissant le droit de l’individu de participer
librement à la direction des affaires publiques de son pays. Elle a notamment
considéré que les limitations aux droits imposées par l’Etat défendeur devaient
être conformes au droit international et que cette exigence est elle-même
conforme au principe posé par l’article 27 de la Convention de Vienne sur le
droit des traités (1969) et l’article 32 du Projet d’articles de la Commission du
droit international sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement
illicite (2001), qui prévoient tous deux qu’un Etat ne peut pas invoquer les
39
Ayants-droits de feu Norbert Zongo, Abdoulaye Nikiema dit Ablasse, Ernest Zongo et Blaise
Ibouldo & Mouvement Burkinabe des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso (Requête N°
013/2011), arrêt du 28 mars 2014, paragraphe 70; dans la note infrapaginale 4 de ce même arrêt, la
Cour a également fait référence au paragraphe 32 de l’arrêt de la Cour européenne rendu le 20 janvier
2000 dans l’affaire Yahiaoui c. France.

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LES ARTICLES 60 ET 61 DE LA CHARTE AFRICAINE

dispositions de son droit interne pour justifier la non-exécution des obligations


conventionnelles qui lui incombent (paragraphe 108).
La Cour a souligné que « la jurisprudence sur les limitations à la jouissance des
droits a établi le principe que les restrictions doivent être non seulement
nécessaires dans une société démocratique mais aussi raisonnablement
proportionnelles à l’objectif légitime recherché » (paragraphe 106.1). Elle a cité
les décisions de la Commission africaine relatives aux communications
n°105/93, 128/94, 130/94 et 152/96 Media Rights Agenda et autres c. Nigeria, et
à la communication n° 255/2002 Gareth Anver Prince c. Afrique du Sud, dans
lesquelles la Commission a indiqué que la seule raison légitime pour justifier les
limitations des droits et libertés garantis par la Charte africaine se trouve à
l’article 27 (2) de la Charte (paragraphe 106.1).
La Cour s’est également intéressée à la jurisprudence de la Cour européenne.
Elle a en effet cité le paragraphe 49 de l’arrêt rendu par cette dernière dans l’affaire
Handyside c. Royaume Uni qui se lit comme suit : « les fonctions de supervision de
la Cour l’obligent à porter une attention toute particulière aux principes qui
caractérisent "une société démocratique" […] cela signifie, entre autres
considérations, que toute "formalité", "condition", "restriction" ou "sanction"
imposée en la matière doit être proportionnelle au but légitime poursuivi »
(paragraphe 106.2). Elle a ensuite fait référence au paragraphe 55 de l’arrêt rendu
le 24 novembre 1986 dans l’affaire Gillow c. Royaume Uni, ainsi libellé :
« La notion de nécessité implique un besoin social impérieux ; en particulier,
la mesure prise doit être proportionnée au but légitime poursuivi. En outre,
l’étendue de la marge d’appréciation dont jouissent les autorités nationales
dépend non seulement de la nature de l’objectif visé, mais aussi de la finalité
de la restriction, mais encore de la nature du droit en cause » (paragraphe
106.2).
La Cour africaine s’est en outre référée au paragraphe 68 de l’arrêt de la Cour
européenne du 24 mars 1988 rendu dans l’affaire Olsson c. Suède pour indiquer
qu’en ce qui concerne les raisons sociales impérieuses, « la Cour européenne
vérifie non seulement si l’Etat concerné a usé de son pouvoir discrétionnaire de
bonne foi mais également si les raisons avancées sont "pertinentes" et
"suffisantes" » (paragraphe 106.3). La Cour a enfin mentionné le paragraphe 68
de l’arrêt rendu le 23 septembre 1982 dans l’affaire Sporrong et Lonnroth c.
Suède, pour faire observer que la Cour européenne « apprécie si l’intervention
était proportionnelle à l’objectif légitime visé » et qu’elle doit donc rechercher
« si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de
la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de
l’individu » (paragraphe 106.4).
La Cour s’est également inspirée de la jurisprudence de la Cour
interaméricaine des droits de l’homme, en l’occurrence de l’arrêt adopté par cette
dernière le 2 février 2001 dans l’affaire Baena Ricardo et autres c. Panama,
dans lequel elle fait observer que les limitations des droits ne sont autorisées que
si elles ont un fondement juridique, que si la loi y relative est conforme à la

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Convention américaine et que ces restrictions doivent donc être à la fois légales
et légitimes (paragraphe 106.5). En guise de conclusion, la Cour africaine a
indiqué ce qui suit : « La Cour s’accorde avec la Commission africaine pour
dire que les limitations aux droits et libertés prévues dans la Charte ne peuvent
être uniquement que celles qui sont précisées à l’article 27 (2) de la Charte et
que ces limitations doivent prendre la forme d’une "loi d’application générale".
Elles doivent aussi être proportionnées à l’objectif légitime poursuivi. La Cour
européenne a adopté la même approche, qui requiert qu’un juste équilibre soit
trouvé entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs
de protection des droits individuels fondamentaux » (paragraphe 107.1).
La Cour n’a par ailleurs pas hésité à s’inspirer des travaux du Comité des droits
de l’homme des Nations Unies. Elle a en effet fait référence au paragraphe 17 de
l’Observation générale n° 25 du Comité sur le droit de participer librement à la
direction des affaires publiques, en précisant qu’elle « fait sienne cette
observation générale car il s’agit d’une déclaration faisant autorité sur
l’interprétation de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques (PIDCP), qui reflète l’esprit de l’article 13 de la Charte et qui, en
vertu de l’article 60 de la Charte, est "un instrument adopté par les Nations
Unies relatif aux droits de l’homme" dont la Cour peut "s’inspirer" pour sa
propre interprétation » (paragraphe 107.3).
Il n’est pas sans intérêt de faire observer que la Cour a estimé nécessaire de
terminer son examen de la clause de limitation de l’article 13 de la Charte en
revenant à la jurisprudence de la Commission africaine selon laquelle les
restrictions imposées par les lois nationales ne peuvent pas aller à l’encontre des
dispositions explicites de la Charte ; la Cour a à cet égard indiqué qu’elle
partageait le point de vue de la Commission de Banjul tel que reflété comme suit
au paragraphe 50 de sa décision relative à la communication n° 212/98 Amnesty
International c. Zambie : « Les clauses "dérogatoires" ne devraient pas être
interprétées dans le sens contraire aux principes de la Charte. Le recours à ces
dispositions ne devrait pas être un moyen de perpétrer des violations des
dispositions claires de la Charte. Il importe que la Commission fasse une mise
en garde contre le recours trop facile à ces clauses dérogatoires à la Charte
africaine. Il incombe à l’Etat de prouver qu’il est justifié de recourir aux clauses
dérogatoires » (paragraphe 109).
Sans faire état de la confusion que semble opérer ici la Commission entre
clause de « limitation » des droits et clause de « dérogation » aux droits, la Cour
s’est appuyée sur cette conclusion pour à son tour conclure que « même si la
clause en question envisage l’adoption de règles et règlements pour l’exercice
des droits qui y sont consacrés, ces règles et règlements ne sauraient annuler les
mêmes droits et libertés qu’ils doivent régir » (paragraphe 109).

B. Droit à un procès équitable

Dans son arrêt rendu le 20 novembre 2015 dans l’affaire Alex Thomas c.
République Unie de Tanzanie, la Cour a considéré qu’une personne indigente
poursuivie en matière pénale a spécialement droit à l’assistance judiciaire

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gratuite lorsque l’infraction concernée est grave et que la peine prévue par la loi
est sévère. Pour soutenir sa conclusion, la Cour s’est référée non seulement à la
jurisprudence de la Commission africaine (paragraphe 30 de la décision relative
à la Communication n° 231/99 Avocats sans frontières (au nom de Gaëtan
Bwampamye) c. Burundi) 40 , mais également à celle du Comité des droits de
l’homme des Nations Unies (paragraphe 13.2 de la décision relative à la
communication n°377/89 Anthony Currie c. Jamaïque)41 et à celle de la Cour
européenne des droits de l’homme (paragraphe 59 de l’arrêt du 10 juin 1996
dans l’affaire Benham c. Royaume-Uni, et paragraphe 54 de l’arrêt du
27 novembre 2008 en l’affaire Salduz c. Turquie)42. Dans ce même arrêt Alex
Thomas c. République Unie de Tanzanie, la Cour a relevé que la jurisprudence
susmentionnée avait trouvé un écho dans les deux résolutions suivantes : les
Principes et Directives de la Commission africaine des droits de l’homme et des
peuples sur le droit à un procès équitable et l’assistance judiciaire en Afrique
(2003) et la Déclaration de Lilongwe sur l’accès à l’assistance juridique dans le
système pénal africain (2004) qui a été endossée par la Commission en 200643.
Dans son arrêt rendu le 3 juin 2016 dans l’affaire Mohamed Abubakari c.
République Unie de Tanzanie, la Cour a considéré que « dans la présente espèce,
le juge national aurait dû, avant de poursuivre l’examen de l’affaire, pousser plus
avant les investigations sur la question du conflit d’intérêts, en demandant au
requérant d’étayer ses allégations et d’en apporter la preuve ; et prendre une
décision formelle sur cette question ». Le juge n’ayant fait ni l’un ni l’autre, et
ayant choisi de poursuivre simplement l’examen de l’affaire, la Cour en a conclu
que l’Etat défendeur avait violé le droit du Requérant à un procès équitable
garanti par l’article 7 de la Charte. La Cour a à ce propos tenu à mentionner la
maxime selon laquelle « non seulement la justice doit être faite, mais elle doit
être également perçue comme ayant été faite » ; elle s’est à cette fin référée au
paragraphe 3.2 des Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire (2002),
au paragraphe 12 des Principes directeurs applicables au rôle des magistrats du
parquet, adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention
du crime et le traitement des délinquants (1990), ainsi qu’aux paragraphes 1 et
4.3 des Normes de responsabilité professionnelle et déclaration des droits et
devoirs essentiels des procureurs et poursuivants, adoptées par l’Association
internationale des procureurs et poursuivants (23 avril 1999)44. Dans ce même
arrêt, la Cour a énuméré un certain nombre d’éléments essentiels du droit à un
procès équitable en se référant à la jurisprudence internationale. Elle a par
exemple considéré que le fait de ne pas avoir accès à un avocat pendant une

40
Paragraphe 117 de l’arrêt.
41
Paragraphe 120 de l’arrêt.
42
Paragraphe 119 de l’arrêt ; dans la note infrapaginale 20 de son arrêt, la Cour fait également
référence aux arrêts suivants: arrêt Quaranta c. Suisse du 24 mai 1991 (paragraphe 33), arrêt Zdravka
Stanev c. Bulgarie du 6 novembre 2012 (paragraphe 38), arrêt Talat Tunç c. Turquie du 27 mars
2007 (paragraphe 56), arrêt Prezec c. Croatie du 15 octobre 2009 (paragraphe 29) et arrêt Biba c.
Grèce du 26 septembre 2000 (paragraphe 29).
43
Paragraphe 121 de l’arrêt.
44
Paragraphe 111 de l’arrêt.

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longue période depuis l’arrestation affectait la capacité des victimes de se


défendre de façon appropriée, et constituait une violation de l’article 7 (1) c) de
la Charte ; elle a à cet égard cité la décision rendue par la Commission africaine
le 26 novembre 2013 relativement à la Communication n° 368/09 Abdel Hadi,
Ali Radi et alt. c. République du Soudan (paragraphe 90), ainsi que l’arrêt rendu
le 9 avril 2015 par la Cour européenne dans l’affaire A.T c. Luxembourg
(paragraphes 63-65).45
La Cour a également souligné que c’est à la partie qui allègue avoir été victime
d’un traitement discriminatoire qu’il appartient d’en apporter la preuve, faisant à
cette fin référence dans une note de bas de page au paragraphe 607 de l’arrêt
rendu dans l’affaire Celebici le 20 février 2001 par le Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie46. Elle a de la même manière indiqué que le
droit pour un accusé d’être complètement informé des charges portées à son
encontre est un corollaire de son droit à la défense, et au-delà, un élément
essentiel de son droit à un procès équitable ; elle s’est ici référée à deux
décisions de la Cour européenne et à une décision de la Cour interaméricaine, à
savoir l’arrêt Pélissier et Sassi c. France, du 25 mars 1999 (paragraphe 52),
l’arrêt Balta et Demir c. Turquie, du 23 juin 2015 (paragaphe 37) et l’arrêt Yvon
Neptune c. Haïti (Fond, réparations et frais), du 6 mai 2008 (paragraphes 102-
109) 47 . La Cour a en outre considéré que « le droit à un procès équitable
implique certainement qu’un moyen de défense fondé sur un possible alibi soit
minutieusement examiné et éventuellement écarté, avant de conclure à une
décision de culpabilité » ; elle a cité la décision de la Commission africaine
relative à la communication n° 212/98 Amnesty International c. Zambie
(paragraphe 50) pour conclure que l’Etat défendeur n’était « pas fondé à
invoquer l’état de son système juridique interne et les exigences techniques qu’il
peut comporter pour faire échec au respect de ses engagements internationaux en
matière de droits de l’homme »48. La Cour a par ailleurs fait référence à l’arrêt
rendu le 27 octobre 1993 par la Cour européenne dans l’affaire Dombo Beheer
B.V. c. Pays-Bas (paragraphe 33) au soutien de son affirmation selon laquelle
« en ne poussant pas plus avant ses investigations sur l’alibi invoqué par le
requérant, et en considérant uniquement les preuves présentées par l’accusation,
le juge national a violé le principe de l’égalité des armes entre les parties en ce
qui concerne les preuves, si essentiel en matière de justice ».49
Un autre élément essentiel du procès équitable souligné par la Cour est celui de
la publicité du prononcé des jugements. A la question de savoir « si une audience
tenue dans le bureau d’un juge, entièrement ouvert au public, peut être
considérée comme une audience publique, et si en conséquence, le jugement
prononcé dans de telles circonstances est réputé prononcé publiquement » 50 ,

45
Paragraphe 121 de l’arrêt.
46
Paragraphe 153 de l’arrêt, note infrapaginale 19.
47
Paragraphe 158 de l’arrêt.
48
Paragraphe 192 de l’arrêt.
49
Paragraphe 193 de l’arrêt.
50
Paragraphe 223 de l’arrêt.

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la Cour affirma que cette question « devrait être appréciée avec une certaine
flexibilité et pas de façon trop formaliste »51. A ce propos, elle a cité l’arrêt rendu
le 10 avril 2012 par la Cour européenne dans l’affaire Lorenzetti c. Italie, dans
lequel cette dernière avait notamment considéré « qu’il convenait, dans chaque
cas, d’apprécier à la lumière des particularités de la procédure dont il s’agit, et
en fonction du but et de l’objet de l’article 6 § 1, la forme de publicité du
«jugement» prévue par le droit interne de l’Etat en cause » (paragraphe 37)52.

III. RÉPARATIONS

Au 1er juillet 2016, la Cour avait rendu trois arrêts exclusivement consacrés à la
question des réparations53, dans lesquels elle s’est abondamment référée à des
sources extérieures, et à la jurisprudence internationale en particulier, lorsqu’elle
s’est prononcée sur certains aspects de cette question tels que l’obligation de
réparer, l’exigence d’un lien de causalité, la définition, l’étendue et la victime
potentielle d’un dommage moral, les formes de la réparation ou la définition des
parents proches. Nous nous proposons de mentionner quelques-unes de ces
références relativement à l’obligation de réparer, l’exigence d’un lien de
causalité, la définition du dommage ainsi qu’au contenu et au bénéficiaire de la
réparation, en puisant largement dans l’arrêt Ayants-droits de feus Norbert
Zongo et autres c. Burkina Faso (Réparations) que je considère être, à ce jour,
la décision de la Cour la plus élaborée en la matière.

A. Obligation de réparer

Dans son tout premier arrêt rendu sur les réparations,54 à savoir Christopher
R. Mtikila c. République Unie de Tanzanie (Réparations), la Cour a tenu à
rappeler le principe posé par le désormais classique arrêt rendu par la Cour
permanente de Justice internationale dans l’affaire de l’Usine de Chorzow ;
le paragraphe suivant de cet arrêt a été reproduit : « […] "la Cour constate que
c’est un principe du droit international, voire une conception générale du droit,
que toute violation d’un engagement comporte l’obligation de réparer". Déjà
dans son arrêt n°. 8, la Cour, statuant sur la compétence qu’elle dérivait de
l’article 23 de la Convention de Genève, a dit : la réparation est le complément
indispensable d’un manquement à l’application sans qu’il soit nécessaire que
cela soit inscrit dans la convention même. L’existence du principe établissant
l’obligation de réparer comme un élément du droit international positif n’a du

51
Paragraphe 224 de l’arrêt.
52
Id..
53
Christopher R. Mtikila c. République Unie de Tanzanie (Réparations) (Requête 011/2011), arrêt du
13 juin 2014, Ayants-droits de feu Norbert Zongo, Abdoulaye Nikiema, Ernest Zongo, Blaise Ilboudo
& Mouvement Burkinabe des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso (Réparations)
(Requête 013/2011), arrêt du 5 mai 2015, et Lohe Issa Konate c. Burkina Faso (Réparations)
(Requête 004/2013), arrêt du 3 juin 2016.
54
Paragraphe 21 de l’arrêt.

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reste jamais été contestée au cours des procédures relatives aux affaires de
Chorzów »55.
Au paragraphe 20 de son deuxième arrêt rendu sur les réparations (Ayants-
droits de feus Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (Réparations)), la Cour a
reproduit un extrait de l’arrêt que la Cour permanente a rendu sur la compétence
dans la même affaire de l’Usine de Chorzów56. Au paragraphe 21 de l’arrêt, la
Cour a également reproduit l’article 31 (1) du Projet d’articles de la Commission
du droit international sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement
illicite (2001), ainsi libellé : « L’Etat responsable est tenu de réparer
intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite ».57

B. Exigence d’un lien de causalité

Dans ce même arrêt Ayants-droits de feus Norbert Zongo et autres c. Burkina


Faso (Réparations)), la Cour, citant l’article 31 (2)58 du Projet d’articles sur la
responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, a indiqué que « pour
qu’une réparation soit due, il faut qu’il y ait un lien de causalité entre le fait
illicite établi et le préjudice allégué ». 59 A l’appui de son affirmation, elle a
également reproduit le paragraphe 110 de l’arrêt rendu par la Cour
interaméricaine des droits de l’homme le 27 novembre 2008 dans l’affaire
Ticona Estrada et autres c. Bolivie (Fond, réparations et dépens)60. S’agissant
du lien de causalité entre le fait illicite et le préjudice moral subi, la Cour a
considéré que « celui-ci peut résulter de la violation d’un droit de l’homme,
comme une conséquence automatique, sans qu’il soit besoin de l’établir
autrement », en citant à cet effet la jurisprudence de la Cour interaméricaine
selon laquelle « il existe même une présomption à cet égard » ; la Cour africaine
a reproduit un paragraphe de l’arrêt rendu le 29 août 2002 en l’affaire Caracazo
c. Vénézuela (Réparations et dépens) dans lequel la Cour de San José relevait
l’existence d’une présomption selon laquelle « violations of human rights and a
situation of impunity regarding those violations cause grief, anguish and
sadness, both to the victims and to their next of kin» (paragraphe 50)61. Citant un

55
Affaire relative à l’Usine de Chorzow (Demande en indemnités) (fond), Allemagne c. Pologne,
arrêt du 13 septembre 1928, Séries A, No. 17 (1928), p. 29.
56
« C’est un principe général de droit international que la violation d’un engagement entraîne
l’obligation de réparer dans une forme adéquate. La réparation est donc le complément indispensable
d’un manquement à l’application d’une convention, sans qu’il soit nécessaire que cela soit inscrit dans la
convention même », Cour permanente de Justice internationale, Affaire relative à l’Usine de Chorzow
(Demande en indemnités) (compétence), arrêt du 26 juillet 1927, Séries A, No. 9 (1927), p. 21.
57
Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II (2), p. 28.
58
La Cour voulait certainement faire référence au paragraphe 1 de cet article 31, et non pas à son
paragraphe 2.
59
Paragraphe 26 de l’arrêt.
60
Note infrapaginale 5.
61
Paragraphe 55 de l’arrêt ; dans la note infrapaginale 20, la Cour a également mentionné les arrêts
suivants de la Cour interaméricaine: Aloeboetoe c. Suriname (Réparations et dépens), arrêt du
10 septembre 1993, paragraphe 76; Loayza Tamayo c. Pérou (Réparations et dépens), arrêt du
27 novembre 1998, paragraphe 140; Gonzalez Medina et autres c. République dominicaine (Exceptions

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autre arrêt de la Cour interaméricaine, la Cour a considéré que « dans de telles


circonstances, aucune preuve n’était requise »62.
C. Définition du dommage
Toujours dans l’arrêt Ayants-droits de feus Norbert Zongo et autres c. Burkina
Faso (Réparations),63 la Cour a fait observer que « selon le droit international, tant
le préjudice matériel que le préjudice moral doivent être réparés » et a reproduit
dans les termes suivants l’article 31 (2) du Projet d’articles sur la responsabilité
internationale de l’Etat : « [l]e préjudice comprend tout dommage, tant matériel
que moral […] ». 64 Elle a ensuite repris la définition de ces deux types de
dommage65, donnée par le Dictionnaire de droit international public selon lequel
le dommage matériel est une « atteinte à un intérêt économique ou patrimonial,
c’est-à-dire un intérêt s’appréciant immédiatement en termes monétaires » 66 et
le dommage moral consiste en une « [a]tteinte à la considération, aux sentiments
ou à l’affection d’une personne physique en faveur de laquelle est exercée la
protection diplomatique ou un recours juridictionnel »67. Dans la note infrapaginale
8 de cet arrêt, la Cour a également reproduit le paragraphe 53 de l’arrêt Cantoral
Benavides c. Pérou (Réparations et dépens), rendu par la Cour interaméricaine le 3
décembre 200168.
D. Contenu et bénéficiaire de la réparation
Concernant le contenu de la réparation, la Cour a, au paragraphe 29 de l’arrêt
Ayants-droits de feus Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (Réparations)),
considéré que la réparation « peut prendre plusieurs formes », avant de citer
l’article 34 du Projet d’articles sur la responsabilité internationale de l’Etat69 et
de reproduire dans la note infraginale 9 un extrait d’une décision du Comité des
Nations Unies contre la torture70 ainsi que des décisions de la Cour permanente
de Justice internationale71 et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme72.

préliminaires, fond, réparations et dépens), arrêt du 27 février 2012, paragraphe 270 ; Myrna Mack c.
Guatemala (Fond, réparations et dépens), arrêt du 25 novembre 2003, paragraphe 243.
62
Paragraphe 55 de l’arrêt ; Cour interaméricaine des droits de l’homme, Massacre de Mapiripan c.
Colombie (Fond, réparations et dépens), arrêt du 15 septembre 2005, paragraphe 146: «Beyond the
above, in a case such as that of the Mapiripán Massacre, the Court deems that no evidence is required
to prove the grave impact on the mental and emotional well-being of the next of kin of the victims».
63
Paragraphe 26 de l’arrêt.
64
Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II (2), p. 28 .
65
Paragraphe 27 de l’arrêt.
66
Jean Salmon (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 361.
67
Id.
68
Ce paragraphe 53 est ainsi libellé: «Non-pecuniary damages might include the pain and suffering
caused to the direct victims and to their loved ones, discredit to things that are very important for
persons, other adverse consequences that cannot be measured in monetary terms, and disruption of
the lifestyle of the victim or his family».
69
« La réparation intégrale du préjudice causé par le fait internationalement illicite prend la forme de
restitution, d’indemnisation et de satisfaction, séparément ou conjointement, conformément aux disposi-
tions du présent chapitre », Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II (2), p. 29.
70
« Le Comité considère que la réparation doit couvrir l’ensemble des dommages subis par la
victime, et englobe, entre autres mesures, la restitution, l’indemnisation, la réadaptation de la victime,

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La Cour s’est par ailleurs référée à la jurisprudence de la Cour


interaméricaine 73 , de la Cour européenne 74 et de la Cour internationale de
Justice75 pour considérer que la constatation dans une décision judiciaire de la
violation par l’Etat défendeur de la Charte constitue déjà, en soi, une forme de
réparation du préjudice moral subi76. S’appuyant toujours sur la jurisprudence de
la Cour interaméricaine 77 et de la Cour internationale de Justice, 78 la Cour a
considéré que « la publication des décisions des juridictions internationales des
droits de l’homme au titre de mesure de satisfaction est de pratique courante »79
et que ses propres décisions peuvent en soi constituer une satisfaction équitable
du préjudice non-pécuniaire allégué80.
En outre, s’agissant des garanties de non-répétition, la Cour a, dans l’arrêt
Ayants-droits de feus Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (Réparations),
considéré que « la demande de reprise des investigations sur l’assassinat de
Norbert Zongo et ses trois compagnons [ne constitue] pas véritablement une
mesure de non-répétition, mais plutôt une mesure de cessation d’une violation
déjà constatée » 81 . Elle a ajouté qu’il s’agissait toutefois là « d’une mesure
légitime susceptible d’éviter la continuation de la violation de l’article 7 de la
Charte en l’espèce » 82 et que « cette position est en droite ligne de la

ainsi que des mesures propres à garantir la non-répétition des violations, en tenant toujours compte
des circonstances de chaque affaire », Comité contre la torture, Communication No. 269/2005 Ali
Ben Salem c. Tunisie, 7 novembre 2007, paragraphe 16.8; la Cour a également mentionné la décision
relative à la Communication No. 212/2002 Kepra Urra Guridi c. Espagne, mai 2005, paragraphe 6.8.
71
Affaire relative à l’Usine de Chorzow (Demande en indemnités) (fond), arrêt du 13 septembre
1928, Séries A, No. 17 (1928), p. 47.
72
Castillo Paez c. Pérou (Réparations), arrêt du 27 novembre 1998, paragraphes 48 et 51; Caracazo
c. Vénézuela (Réparations et dépens), arrêt du 29 août 2002, paragraphe 77; Barrios Altos c. Pérou
(Réparations et dépens), arrêt du 30 novembre 2001, paragraphe 25.
73
«Judgments, pursuant to repeated international precedents, constitute in and of themselves a form
of reparation», Montero-Aranguren et al. (Detention Center of Catia) c. Vénézuela (Exceptions
préliminaires, fond, réparations et dépens), arrêt du 5 juillet 2006, paragraphe 131 ; la Cour a
également mentionné les décisions suivantes: El Amparo c. Vénézuela (Réparations et dépens), arrêt
du 14 septembre 1996, paragraphe 35 ; Neira Alegria et autres c. Pérou (Réparations et dépens),
arrêt du 19 septembre 1996, paragraphe 56.
74
Varnava et autres c. Turquie, arrêt du 18 septembre 2009, paragraphe 224.
75
Affaire du détroit de Corfou (Fond), Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord c.
République Populaire d’Albanie, arrêt du 9 avril 1949, Recueil CIJ, 1949, p. 36.
76
Paragraphe 66 (note infrapaginale 26) de l’arrêt Ayants-droits de feus Norbert Zongo et autres c.
Burkina Faso (Réparations)).
77
Massacre du Plan de Sánchez c. Guatemala (Réparations), arrêt du 19 novembre 2004,
paragraphes 102 et 103 ; Heliodoro Portugal c. Panama (Exceptions préliminaires, fond, réparations
et dépens), arrêt du 12 août 2008, paragraphe 248 ; Garrido et Baigorria c. Argentine (Réparations et
dépens), arrêt du 27 août 1998, paragraphe 79.
78
Affaire du détroit de Corfou (Fond), Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord c.
République Populaire d’Albanie, arrêt du 9 avril 1949, Recueil CIJ, 1949, p. 36.
79
Paragraphe 98 de l’arrêt Ayants-droits de feus Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso
(Réparations)).
80
Paragraphes 37 et 45 de l’arrêt du 13 juin 2014 relatif à l’affaire Christopher R. Mtikila c.
République Unie de Tanzanie (Réparations).
81
Paragraphe 103 de l’arrêt Ayants-droits de feus Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso
(Réparations).
82
Paragraphe 104 de l’arrêt.

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jurisprudence de certaines instances internationales » 83 . La Cour a ensuite


reproduit le paragraphe suivant d’une décision du Comité des droits de l’homme
des Nations Unies : « L’Etat partie devrait enquêter sur les événements faisant
l’objet de la plainte et traduire en justice ceux qui se seront rendus coupables de
préjudices sur la personne du frère de l’auteur; il est de surcroît tenu de prendre
des mesures pour garantir que pareilles violations ne se reproduisent plus ».84
Après avoir ajouté que « la Commission africaine des droits de l’homme et des
peuples recommande fréquemment aux Etats de prendre certaines mesures
destinées à éviter la répétition des violations qu’elle a constatées », la Cour a
également cité une décision de la Commission dans laquelle celle-ci a
recommandé que « an inquiry and investigation be carried out to bring those who
perpetrated the violations to justice »85.
Concernant la notion de victime ou de bénéficiaire de la réparation, la Cour
s’est référée au principe 8 des Principes de base et directives sur le droit à un
recours et à la réparation pour les victimes des violations flagrantes du droit
international des droits de l’homme et des violations graves du droit international
humanitaire, adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16
décembre 2006 ; elle en a reproduit l’extrait suivant : « Aux fins du présent
document, on entend par "victimes" les personnes qui, individuellement ou
collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité
physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle ou une atteinte
grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions constituant
des violations flagrantes du droit international des droits de l’homme ou des
violations graves du droit international humanitaire. Le cas échéant, et
conformément au droit interne, on entend aussi par "victimes" les membres de la
famille proche ou les personnes à charge de la victime directe et les personnes
qui, en intervenant pour venir en aide à des victimes qui se trouvaient dans une
situation critique ou pour prévenir la persécution, ont subi un préjudice »86. A cet
égard, la Cour a également mentionné87 des décisions de la Cour européenne88 et
du Comité des droits de l’homme des Nations Unies89.

83
Paragraphe 105 de l’arrêt.
84
Id.; Comité des droits de l’homme, M’Boissona c. République centrafricaine (pour François
Bozize), décision du 7 avril 1994, Communication No. 428/1990, paragraphe 7.
85
Paragraphe 105 de l’arrêt ; Commission africaine des droits de l’homme et des peuples,
Communication 288/04, Gabriel Shumba c. Zimbabwe, 2 mai 2012, paragraphe 194 (2). Dans la note
infrapaginale 39 de l’arrêt, la Cour a cité les décisions suivantes de la Commission qui vont dans le
même sens: Communications 54/91-61/91-98/93-164/97-196/97-210/98, Malawi Africa Association,
Amnesty International, Ms Sarr Diop, Union interafricaine des droits de l’homme et RADDHO,
Collectif des veuves et ayants-droits, Association mauritanienne des droits de l’homme c.
Mauritanie, 11 mai 2000, dispositif; Communication 241/01, Purohit et Moore c. Gambie, 29 mai
2003, dispositif; Communication 279/03-296/05, Soudan Human Rights Organisation and Centre on
Housing Rights and Evictions (COHRE) c. Soudan, 27 mai 2009, dispositif; Communication 236/00,
Curtis Francis Doebbler c. Soudan, 25 novembre 2009, dispositif; Communication 334/06, Egyptian
Initiative for Personal Rights and Interights c. Egypte, 1er mars 2011, dispositif.
86
Paragraphe 47 de l’arrêt Ayants-droits de feus Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso
(Réparations).
87
Ibid., note infrapaginale 15.

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Citant un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme 90 , la Cour a


également admis qu’une personne morale, en l’occurrence le Mouvement
Burkinabé des droits de l’homme et des peuples, pouvait subir un préjudice
moral 91 . La Cour a dès lors estimé que « ce préjudice a pu résulter des
frustrations ressenties durant des années par le MBDHP en raison du non-
aboutissement des actions de recherche, de poursuite et de jugement des
assassins de Norbert Zongo et ses compagnons »92.

***

Comme nous avons essayé de le montrer à travers ce survol de la jurisprudence


de la Cour, cette dernière s’est illustrée par une grande ouverture non seulement
à la jurisprudence des autres organes judiciaires ou quasi-judiciaires
internationaux, tant universels que régionaux, mais également aux conventions
internationales universelles et au « droit mou » que constituent les résolutions de
certains organes internationaux, régionaux ou universels. La Cour n’a pas non
plus hésité à se référer à la doctrine comme on peut en trouver une illustration
plus claire encore dans l’avis consultatif demandé par le Comité d’experts
africains des droits et du bien-être de l’enfant et donné par la Cour le 5 décembre
2014 93 . Etant donné la relative jeunesse de la Cour africaine, il est toutefois
difficile d’en tirer des conclusions sur sa pratique future en matière de recours
aux sources extérieures mentionnées par les articles 60 et 61 de la Charte
africaine. La tendance observée au cours des trois dernières années, durant
lesquelles a été adopté l’essentiel de sa jurisprudence, est toutefois prometteuse.
Il faut maintenant espérer que, de par sa qualité, la jurisprudence de la Cour
africaine serve également de source d’inspiration aux autres juridictions tant
nationales qu’internationales de manière à contribuer à ce très salutaire processus
de fertilisation croisée dont il a été question tout au long de ce beau colloque
d’Andorre.

88
Aslakhanova c. Russie, arrêt du 18 décembre 2012, paragraphe 133 : «[…] the applicants, who are
close relatives of the disappeared men, must be considered victims of a violation of Article 3 of the
Convention, on account of the distress and anguish which they suffered, and continue to suffer, as a
result of their inability to ascertain the fate of their family members and of the manner in which their
complaints have been dealt with».
89
Shirin Aumeeruddy-Cziffra et 19 autres femmes mauriciennes c. Ile Maurice, Communication
No. 035/1978, décision du 9 avril 1981, paragraphe 9.2: «A person can only claim to be a victim in
the sense of article 1 of the Optional Protocol if he or she is actually affected. It is a matter of degree
how concretely this requirement should be taken».
90
« La Cour ne peut […] exclure, au vu de sa propre jurisprudence et à la lumière de cette pratique, qu’il
puisse y avoir, pour une société commerciale, un dommage autre que matériel [préjudice moral] appe-
lant une réparation pécuniaire », Comingersoll S.A. c. Portugal, arrêt du 6 avril 2000, paragraphe 35.
91
Paragraphe 65 de l’arrêt Ayants-droits de feus Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso
(Réparations)).
92
Id.
93
Voir les paragraphes 61, 62 (note infrapaginale 22), 65, 74 (note infrapaginale 27), 81, 82, 87, 88,
90 et 92.

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TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos ........................................................................................................ 3

ALLOCUTIONS SOLENNELLES D’OUVERTURE


Xavier ESPOT ......................................................................................................... 7
Enric CASADEVALL MEDRANO ............................................................................... 13

INTRODUCTION GÉNÉRALE
L’ère du décloisonnement
Laurence BURGORGUE-LARSEN ............................................................................ 21

I. L’OUVERTURE DES SYSTÈMES JURIDIQUES


AUX SOURCES EXTÉRIEURES

L’OUVERTURE « ORGANISÉE » LA FORCE DES TEXTES


Les clauses constitutionnelles d’interprétation
AFRIQUE
La place des sources extérieures dans le cadre du contrôle de constitutionnalité
en Afrique. Le cas du Sénégal
Alioune SALL ........................................................................................................ 33
L’article 7 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990
Frédéric Joël AÏVO .............................................................................................. 47
AMÉRIQUE LATINE
er
L’article 1 de la Constitution mexicaine.
Des conséquences de la révision constitutionnelle de 2011
Sergio GARCÍA RAMÍREZ ....................................................................................... 61
EUROPE
Le Tribunal constitutionnel espagnol, les droits fondamentaux
et les juridictions européennes
Pablo PÉREZ TREMPS............................................................................................ 97
Le recours à l’article 10§2 de la Constitution espagnole
dans la jurisprudence récente du tribunal constitutionnel
Itziar GÓMEZ FERNÁNDEZ................................................................................... 111
TABLE DES MATIÈRES

Les clauses conventionnelles d’interprétation


Les articles 60 et 61 de la Charte africaine des droits et devoirs de l’homme
et des peuples
Fatsah OUGUERGOUZ......................................................................................... 135
L’OUVERTURE « IGNORÉE »
La force de la création prétorienne à l’échelle constitutionnelle
L’ouverture implicite aux sources extérieures. Le cas de la France
Nicole MAESTRACCI ............................................................................................ 159
L’ouverture ignorée aux sources extérieures. Le cas de la Côte d’Ivoire
Djedjro Francisco MELEDJE .............................................................................. 169
La force de la création prétorienne à l’échelle conventionnelle
Le développement du corpus juris interaméricain à travers
l’action prétorienne de la Cour interamericaine des droits de l’homme
Eduardo FERRER MAC-GREGOR ......................................................................... 181

II. LE DIALOGUE
ENTRE LES JUGES DE DIFFÉRENTS SYSTÈMES JURIDIQUES

LE DIALOGUE AU SERVICE DE L’INTERPRÉTATION DES DROITS


La mobilisation des sources extérieures par la Cour africaine.
L’exemple de la liberté d’expression
Rafâa BEN ACHOUR ............................................................................................ 223
La mobilisation des sources extérieures par la Cour interaméricaine
des droits de l’homme. L’exemple du droit à la vie
Claudia MARTIN ................................................................................................. 241
LE DIALOGUE AU SERVICE DE L’APPLICATION DES DROITS
Dialogue et exécution des arrêts de condamnation
Quel dialogue entre la Cour africaine et les Etats ayant fait l’objet d’arrêts
de condamnation ?
Gérard NIYUNGEKO............................................................................................ 273
Quel dialogue entre la Cour interaméricaine
et le Tribunal constitutionnel chilien ?
Gonzalo GARCÍA PINO ........................................................................................ 287
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
dans les décisions de la Cour constitutionnelle italienne :
Une recherche empirique
Tania GROPPI .................................................................................................... 323

422
TABLE DES MATIÈRES

Dialogue et application du standard conventionnel


Le protocole n°16 : une vraie-fausse solution ? Un début de réponse
Luis LÓPEZ GUERRA ........................................................................................... 365
Le contrôle de conventionnalité en Amérique latine laisse-t-il place au dialogue ?
Le cas argentin
Alfonso SANTIAGO .............................................................................................. 371
Vers un renforcement d’un véritable système juridictionnel de protection
des droits de l’homme en Afrique
Pacifique MANIRAKIZA ....................................................................................... 391

CONCLUSIONS GÉNÉRALES
De l’Afrique à l’Amérique latine en passant par l’Europe
Le poids des textes, la force de la jurisprudence
Francis WODIÉ .................................................................................................. 413

423

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