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réalités Cardiologiques – n° 354_Mai-Juin 2020

Numéro thématique : La COVID-19 pour le cardiologue

Du SARS-CoV-2 à la COVID-19
en passant par le coronavirus :
le cardiologue, l’infectiologie
et la sémantique
“Il y a interaction entre langage et pensée. Un langage organisé agit sur l’organisation de la pensée,
et une pensée organisée agit sur l’organisation du langage.”

~Ahmad Amin (1886-1954) in Fayd al-khäter.

L
a pandémie d’infection à SARS- À la décharge de la communication
CoV-2 est récente avec les premiers grand public, il est admis qu’en langage
cas de personnes atteintes signalés commun, il faut souvent être simple pour
en fin d’année 2019 et l’isolement du être compris. Le recours à des termes
virus le 7 janvier 2020. Nous sommes généraux, parfois peu précis, peut donc
tout à la fois face à un nouveau virus et potentiellement se justifier. Cela, d’une
face à une nouvelle maladie. Si le sys- part, parce que le public cible possède
tème de santé et le système économique une science naïve ou profane et, d’autre
ont dû s’adapter rapidement à cette pan- part, parce que ces termes généraux ont
démie, le langage et les concepts doivent parfois un sens implicite, notamment
aussi s’adapter à la nouveauté, notam- pour l’expert qui peut en admettre la
ment à l’apparition de termes nouveaux. relative imprécision. Cependant, rien
n’empêche d’utiliser un langage adapté
F. DIEVART La couverture médiatique, et parfois pour être compris.
ELSAN clinique Villette, DUNKERQUE.
médicale, a entretenu une certaine
confusion sur les termes à utiliser du fait En médecine, le langage adapté est un
d’une sémantique mal utilisée ou encore impératif : la priorité est à la précision,
approximative, un terme particulier c’est-à-dire qu’il est essentiel de bien
n’ayant pas encore de définition stricte nommer les choses et si possible par un
ou en ayant plusieurs. Ce mésusage de la nom et un seul, sans avoir recours à l’arti-
signification des termes peut être pour fice littéraire qu’est le synonyme ou à l’ar-
partie dû au fait que la science virolo- tifice communicationnel qu’est le terme
gique est récente et très spécialisée, et général. Aussi, et alors que le domaine
que peu de commentateurs semblent est très évolutif, il a paru nécessaire de
faire l’effort de réfléchir au sens des faire une mise au point sur la signifi-
mots qu’ils emploient, se contentant cation de certains termes nouveaux,
d’en reproduire un usage imparfait. Or, ou de termes ou concepts plus anciens
ne pas prendre en compte la sémantique mais jusqu’à présents peu utilisés par
a des implications dans la compréhen- les cardiologues, et donc pour lesquels
sion adaptée des déterminants de l’in- la signification peut parfois être ambi-
fection en cours. guë. Il ne s’agit pas pour le cardiologue

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de devenir infectiologue ou virologue, 2018, soit plus de 100 articles par jour. Ce comporte toujours un génome, qui est de
mais plus simplement d’adopter un lan- domaine de recherche a donné lieu à l’at- l’ADN ou de l’ARN. Ce génome peut être
gage adapté et de rafraîchir des connais- tribution d’une vingtaine de prix Nobel bicaténaire (comportant deux brins) ou
sances parfois anciennes et oubliées, à partir de 1946, dont le dernier en 2008. monocaténaire (comportant un brin).
surtout lorsque, depuis la formation
médicale initiale, ces connaissances ont Un virus est une structure simple, Une caractéristique fondamentale des
pu notablement évoluer. constituée d’un génome, d’une cap- virus est qu’ils se répliquent, ce qui les
side et parfois d’une enveloppe (fig. 1). distingue par exemple des toxines qui
Sachant qu’il est toujours difficile d’être Les virus sont présents partout dans le perdent leur toxicité par dilution.
précis même si on souhaite l’être, si des monde vivant et dans l’eau, l’air, le sol.
contradictions ou des paradoxes appa- Les virus sont consubstantiels à la vie Pour se répliquer, un virus a besoin
raissent dans cet article, c’est que nul et il y a des génomes viraux dans les d’utiliser le matériel d’une cellule
n’est parfait, seulement perfectible et que génomes non viraux. Les virus peuvent qu’il infecte et notamment d’en uti-
cet article a été rédigé par un cardiologue. être endogènes, exogènes, dormants, liser des ribosomes qu’il ne possède
pathogènes ou non. pas. Ces cellules hôtes peuvent être
de différents types : bactéries, algues,
Sur les virus Les virus sont considérés comme des plantes ou cellules animales. Les
systèmes “sub-biologiques” pour les uns virus ne peuvent pas se répliquer
Une partie des lignes qui suivent est et comme des organismes vivants pour dans un milieu amorphe, comme un
adaptée du cours de virologie de l’Uni- d’autres. Ils ne sont pas des cellules, mais bouillon de culture bactériologique.
versité de Louvain (www.virologie- seulement des messages génétiques : un Contrairement aux virus, les bacté-
uclouvain.be). virus isolé est incapable de métabolisme ries, même intracellulaires, disposent
ou de multiplication, il ne peut que se de la plupart des éléments nécessaires
La création des outils permettant la répliquer aux dépens d’une cellule à leur métabolisme et à leur réplication
découverte progressive du monde des vivante infectée. Un virus est donc un comme les ribosomes.
virus a moins de 140 ans et l’évolution parasite absolu.
des connaissances dans le domaine La réplication d’un génome à ARN
semble exponentielle. Ainsi, à titre indi- 1. Génome viral est beaucoup moins fidèle que celle
catif, en tapant le seul mot “virus” dans d’un génome à ADN : il y a donc un
PubMed, en 1998, 20 800 articles étaient C’est le constituant essentiel du virus nombre de mutations plus élevé parmi
référencés, 28 000 en 2008 et 38 000 en qui lui permet de se répliquer. Un virus les virus à ARN dont font partie les
coronavirus. Cette différence entre
virus à ARN et ADN est due au fait que
les ARN polymérases des virus à ARN
n’ont pas les mécanismes de détection
et de correction d’erreurs de copie des
ADN polymérases des virus à ADN.
En étant particulièrement sujets aux
variations génétiques, les virus à ARN
posent divers problèmes en matière
de transmission, de diagnostic et de
1. Génome : ARN ou ADN 2. Capside 3. ± enveloppe traitement.

Certains virus ont, au cours de leur


réplication, un intermédiaire de leur
génome sous une forme différente :
Virus nu Virus enveloppé ainsi les rétrovirus qui sont des virus à
ARN sont rétrotranscrits en ADN dans
la cellule hôte et c’est à partir de cet
ADN “proviral” que sont formés les
nouveaux brins génomiques d’ARN. De
façon similaire, certains virus à ADN
Fig. 1 : Les deux ou trois éléments principaux constituant un virus. passent par un intermédiaire ARN

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pour former les nouveaux brins d’ADN, marché d’une ville chinoise de 11 mil- être détecté, à l’inverse d’un virus nu,
comme les Hepadnaviridae et le virus lions d’habitants, puisse rapidement comme celui de la poliomyélite dont
de l’hépatite B humain. conduire à une épidémie puis à une pan- les selles sont un moyen essentiel de
démie. Comme l’épidémie actuelle est la dissémination de l’infection (contami-
Tous les organismes vivants sont suscep- troisième en moins de 20 ans due à une nation fécale-orale).
tibles d’être infectés par des virus, mais ce mutation d’un coronavirus d’origine ani-
ne sont pas les mêmes virus qui infectent male, nul doute que d’autres épidémies, 4. Classification et taxonomie des virus
les différents organismes. Ainsi, les virus voire pandémies, suivront et pas obliga-
des plantes n’infectent généralement pas toirement de coronavirus comme en a La classification des virus évolue réguliè-
les animaux et les virus d’une espèce de témoigné en 2009 l’épidémie de virus rement comme en témoigne la nouvelle
plante n’infectent pas nécessairement H1N1 (voir plus loin pour ce terme). dénomination des coronavirus d’origine
d’autres espèces de plantes. Cette bar- animale responsables de syndrome de
rière d’espèce n’est pas absolue : certains 2. Capside détresse respiratoire sévère qui date de
animaux peuvent partager des virus avec février 2020. La classification des virus
les humains et entre eux. Il s’agit d’une structure protéique empa- est faite par l’International Committee
quetant le génome. La capside est une on Taxonomy of Viruses (ITCV) dont le
À l’intérieur d’un organisme, les virus structure stable protégeant le génome. site est consultable en ligne (http://www.
sont sélectifs de certains types de cel- Le terme nucléocapside désigne l’en- ictvonline.org/).
lules. Cette spécificité est due en grande semble “génome + capside”. Le mot
partie aux récepteurs spécifiques de sur- virion est parfois utilisé à la place de Les virus sont regroupés selon un
face des cellules qui permettent la fixa- celui de nucléocapside. La nucléocap- ensemble de caractéristiques comme
tion et l’entrée des virus. Ainsi, les virus side peut avoir diverses conformations le type d’acide nucléique, la symétrie
du sida reconnaissent certaines cellules géométriques (hélicoïdale, polyédrique, de la nucléocapside et certaines carac-
du système immunitaire, portant à leur tubulaire…). téristiques biologiques au sens large
surface la molécule CD4. (tableau I). Parmi celles-ci, il y a le tro-
3. Enveloppe pisme cellulaire et d’hôte du virus ainsi
Le génome de l’homme contient une que les caractéristiques du cycle de répli-
forte proportion de séquences virales C’est un élément inconstant des virus, cation viral au sein de la cellule.
et pseudo-virales répétées (40 %)… sorte de membrane et donc élément le
tout comme il contient aussi une part plus externe du virus, permettant de La taxonomie est hiérarchisée en ordre,
variable mais faible (de l’ordre de 2 % distinguer des virus enveloppés et des famille, sous-famille, genre et espèce et
en moyenne en Europe) de génome de virus nus. L’enveloppe a un rôle impor- l’ITCV ne reconnaît pas les termes de
l’homme de Néandertal. tant dans la transmission des virus. superfamille ou de clade. L’évolution
rapide de la taxonomie peut être appro-
En pratique : un virus se réplique et les En pratique : contrairement à l’intui- chée en comparant les données de 2008
virus à ARN ont une plus grande pro- tion faisant envisager que l’enveloppe et 2009 : en 2008, il y avait 5 ordres de
babilité de modifier leur génome en se est protectrice, le fait d’avoir une enve- virus et 6 en 2009, 82 familles en 2008
répliquant que les virus à ADN. Il est loppe rend le virus fragile, car cette et 87 en 2009, 11 sous-familles en 2008
logique que, plus le brin d’ARN d’un enveloppe a la fragilité des membranes et 19 en 2009, 307 genres en 2008 et 348
virus est long, plus sa probabilité de cellulaires dont elle dérive. Et un virus en 2009 et 2 083 espèces en 2008 pour
muter est grande. Les coronavirus ayant doit être entier pour être infectant. Les 2 288 en 2009. Cette évolution peut
un long brin d’ARN, la probabilité d’une virus enveloppés sont ainsi très sen- conduire à faire qu’une famille peut
mutation est donc élevée, avec comme sibles à deux milieux particuliers : ils changer d’ordre (comme cela a été le
conséquence potentielle de leur per- peuvent être inactivés dans le milieu cas en 2008 pour les Retroviridae par
mettre de franchir la barrière d’espèce extérieur à certaines températures et exemple), que les virus peuvent chan-
et donc de passer de l’animal à l’homme. dans le tube digestif par le pH acide et ger de nom et qu’un nom peut chan-
Si un tel virus a une contagiosité élevée, les enzymes digestives. Ainsi, le fait ger d’orthographe (cf. http://www.
le mode de vie moderne, caractérisé par de trouver des virus dans des selles ne ictvonline.org/codeOfVirusClassifica-
une urbanisation croissante (augmen- signifie pas qu’une transmission de tion_2002.asp et http://talk.ictvonline.
tant la densité de population) et des ces virus puisse être faite par les selles. org/media/p/701.aspx)
voyages internationaux plus nombreux, Un virus enveloppé a une très faible
peut expliquer qu’une mutation d’un probabilité d’être transmissible par En pratique : il est peu probable qu’un
virus animal, transmis à l’homme sur un les selles, même si son génome peut y cardiologue devienne virologue.

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Les virus à ADN


Acide Capside
Famille Nature des maladies occasionnées (exemple)
nucléique Symétrie Enveloppe

Papilloviridae Verrues
Non Parvoviridae Gastro-entérites
Cubique Adenoviridae Broncho-pneumonie
ADN lridoviridae -
Oui
Herpesviridae Varicelle, zona, herpès
Indéterminée Oui Hepadnaviridae Hépatites B et D
Complexe Oui Poxviridae Variole, myxomatose
Les virus à ARN
Acide Capside
Famille Nature des maladies occasionnées (exemple)
nucléique Symétrie Enveloppe

Reoviridae Maladies respiratoires, diarrhée, gastro-entérites


Non Caliciviridae Gastro-entérites, hépatite E
Cubique Piconaviridae Hépatite A, maladies à entérovirus (poliomyélite, Coxsackie)
Flaviridae (arbovirus) Hépatite C, fièvre jaune, dengue
Oui
Togaviridae Rubéole
ARN Coronaviridae Gastro-entérites, rhume courant, SRAS
Rhabdoviridae Rage
Indéterminée Oui
Paramyxoviridae Rougeole, oreillons
Orthomyxoviridae Grippe
Arenaviridae Fièvres hémorragiques
Complexe Oui
Retroviridae Sida

Tableau I : Principale classification des virus humains.

Sur le virus en cause

1. Coronavirus

C’est le nom d’un genre de virus,


issu de la sous-famille des Ortho-
coronavirinae, membres de la famille
des Coronaviridae selon une taxono-
mie adoptée en 1975. Cette famille est
organisée en 4 genres et comprend
une quarantaine d’espèces.

Ces virus (fig. 2) sont entourés d’une


capsule de protéines en forme de pic
ou de pointe (spike en anglais), don-
nant au virus, lorsqu’il est observé
au microscope, un aspect en forme
de couronne solaire, d’où leur nom.
Ils ont pour particularité de posséder Fig. 2 : Structure d’un coronavirus.

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un génome à ARN très long. Ce sont des Sur la maladie due à ce virus On aura compris que l’usage des expres-
virus enveloppés. sions “avoir une infection COVID-19”
COVID-19 ou “à COVID-19”, “être contaminé par
Par suite de mutation, 3 coronavirus pou- le COVID-19”… sont impropres. Les
vant être responsables de syndromes de C’est le nom de la maladie. Le terme expressions adaptées sont “avoir une
détresse respiratoire aiguë sont apparus COVID-19, parfois écrit CoViD-19 ou infection par le SARS-CoV-2”, “avoir été
chez l’homme au XXIe siècle en changeant Covid-19, ne désigne pas le virus mais contaminé par le SARS-CoV-2” ou “avoir
d’espèce hôte : le SARS-CoV, le MERS- la maladie due au virus SARS-CoV-2, une COVID-19”, c’est-à-dire avoir une
CoV et le SARS-CoV-2. quelle que soit son expression clinique. maladie due au SARS-CoV-2.
Ce nom est un acronyme forgé par l’OMS,
Sept espèces de coronavirus peuvent être le 11 février 2020, à partir d’une racine, Enfin, il y a encore deux ambiguïtés. La
à l’origine de maladies chez l’homme. COVI, désignant le COronaVIrus, et de la première concerne le porteur sain du
Quatre virus – 229E, OC43, NL63 et lettre D mise en suffixe et signifiant mala- SARS-CoV-2 : il a été contaminé mais
HKU1 – sont très répandus, endémiques die (disease en anglais). Le chiffre 19 peut-on dire qu’il est malade, c’est-à-dire
et provoquent généralement des symp- signifie que les premiers cas ont été qu’il a une COVID-19 ? Faut-il nuancer
tômes de rhume courant. Les trois autres décrits en 2019, ce qui, initialement, cette appréciation selon que le patient
(SARS-CoV, MERS-CoV et SARS-CoV-2) permettait de distinguer cette maladie porteur sain est contagieux ou non ?
sont d’origine zoonotique et peuvent être de celle survenue à partir de 2002 et due Enfin, y a-t-il réellement des porteurs
à l’origine de complications létales. au SARS-CoV ou SARS-CoV-1. sains ou, lorsque le diagnostic de conta-
mination par le SARS-CoV-2 est établi
2. SARS-CoV-2 En pratique : la précision justifie de avec les moyens diagnostiques actuels, ne
distinguer les termes COVID-19 et s’agirait-il pas d’un faux positif qui serait
C’est le nom d’un des coronavirus, SARS-CoV-2 qui n’ont pas la même signi- par exemple dû à une réaction croisée
celui responsable de la pandémie débu- fication, le premier désignant la maladie, avec un autre coronavirus endémique ?
tée en 2019. SARS est un acronyme le second sa cause. Toutefois, utiliser par
anglais dont l’équivalent français est exemple soit “COVID + ”, soit “SARS- La seconde concerne le genre de l’acro-
SRAS ou syndrome respiratoire aigu CoV-2 + ” peut parfois être équivalent nyme COVID-19 : est-il masculin ou
sévère, CoV désigne le coronavirus, et pour désigner une filière hospitalière pre- féminin ? Jusqu’à présent, le masculin a
2 a été ajouté pour distinguer ce virus nant en charge les patients contaminés prédominé dans le langage commun et
du coronavirus apparu en 2002 et res- par ce virus et qui ont donc la COVID-19. dans de nombreux documents officiels,
ponsable de la première épidémie de
SRAS ayant aussi débuté en Chine.
Covid est l’acronyme de coronavirus disease, et les sigles et acronymes ont le genre du nom
Le virus de 2002, initialement appelé qui constitue le noyau du syntagme dont ils sont une abréviation.
virus du SRAS, porte désormais le nom
de SARS-CoV, parfois aussi dénommé On dit ainsi la SNCF (Société nationale des chemins de fer) parce que le noyau de ce groupe,
SARS-CoV-1. société, est un nom féminin, mais le C.I.O. (Comité international olympique), parce que le
noyau, comité, est un nom masculin. Quand ce syntagme est composé de mots étrangers,
le même principe s’applique. On distingue ainsi le FBI, Federal Bureau of Investigation,
En pratique : le mot coronavirus, issu “Bureau fédéral d’enquête”, de la CIA, Central Intelligence Agency, “Agence centrale de
de la taxonomie des virus, doit être renseignement”, puisque dans un cas on traduit le mot noyau par un nom masculin, bureau,
considéré comme un terme générique et dans l’autre, par un nom féminin, agence. Coronavirus disease – notons que l’on aurait
et donc imprécis pour qualifier la pan- pu préférer au nom anglais disease le nom latin morbus, de même sens et plus universel –
signifie “maladie provoquée par le corona virus (“virus en forme de couronne”)”. On devrait
démie due au SARS-CoV-2. Cependant,
donc dire la covid 19, puisque le noyau est un équivalent du nom français féminin maladie.
dans le contexte de cette pandémie, et
peut-être du fait d’une prononciation Pourquoi alors l’emploi si fréquent du masculin le covid 19 ? Parce que, avant que cet
qui peut être jugée plus simple, son acronyme ne se répande, on a surtout parlé du corona virus,
emploi est fréquent dans la presse grand groupe qui doit son genre, en raison des principes exposés
plus haut, au nom masculin virus. Ensuite, par métonymie,
public pour désigner le SARS-CoV-2. Il
on a donné à la maladie le genre de l’agent pathogène qui
suppose donc et implicitement, actuel- la provoque. Il n’en reste pas moins que l’emploi du féminin
lement, que l’on parle du SARS-CoV-2 serait préférable et qu’il n’est peut-être pas trop tard pour
lorsqu’on l’emploie. Dans un article redonner à cet acronyme le genre qui devrait être le sien.
médical, la précision justifie d’utiliser
le terme SARS-CoV-2 pour parler de ce Encadré 1 : Le covid 19 ou la covid 19 : avis rendu par l’Académie française le 7 mai 2020 sur les emplois
coronavirus particulier. fautifs des expressions.

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donc dans l’usage. Cependant, ce terme sonnières essentiellement hivernales. avoir des signes cliniques évoquant une
est féminin comme le précisent l’Acadé- La grippe, maladie infectieuse fré- contamination à ce virus mais qu’il peut
mie française (encadré 1) et l’Office qué- quente, est causée par des virus à ARN avoir été contaminé par un autre virus.
bécois de la langue française, puisque le de la famille des orthomyxoviridés : les En période de forte épidémie de SARS-
mot de base sur lequel il repose, disease, virus des grippe A, B, C et D. Le virus de CoV-2, la démarche bayésienne renforce
qui signifie maladie en français, est fémi- la grippe A est un virus à ARN mono- la probabilité qu’en cas de symptômes
nin. Or, les sigles étrangers prennent caténaire appartenant au genre Alpha- évocateurs, le tableau clinique soit lié
généralement le genre qu’aurait en fran- influenza-virus. Les sous-type H1N1 du à ce virus.
çais le mot de base qui les compose. En virus de la grippe A sont dénommés ainsi
vertu de cette règle, COVID-19 est de en référence à deux antigènes présents à
genre féminin. leur surface : l’hémagglutinine de type 1 Sur le français correct
(d’où le sigle H1) et la neuraminidase de mais pas toujours sorti
De ce fait, même si on peut préférer utili- type 1 (d’où le sigle N1). Ces sous-types de l’ambiguïté
ser le masculin d’usage courant jusqu’à sont caractérisés par un pouvoir patho-
présent, la précision justifie que, dans gène élevé pour l’être humain, qui rend 1. Pandémie
un texte médical, le féminin soit utilisé. ces souches responsables de près de la
Ce cas illustre les différences qu’il peut moitié de toutes les infections de grippe La pandémie est une épidémie tou-
parfois y avoir entre la règle et l’usage, humaine, notamment d’une grande par- chant tous ou presque tous les pays du
comme c’est aussi le cas avec le mot tie des cas de grippe saisonnière. Des monde. Parler de “pandémie mondiale”
“enzyme” pour lequel l’Académie fran- virus du sous-type H1N1 ont été res- est donc, en principe, au pire un bar-
çaise précise qu’il est féminin, alors que ponsables de la pandémie de grippe de barisme, au mieux une forme de pléo-
dans l’usage, il est surtout employé au 1918, dite grippe espagnole. Certaines nasme. Toutefois, le terme pandémie a
masculin. souches de H1N1 sont endémiques aux parfois été défini comme une épidémie
humains, tandis que d’autres sont endé- qui dépasse la frontière de son pays
miques aux oiseaux (grippe aviaire) ou d’origine, ou encore qui atteint un conti-
Sur les virus aux porcs (grippe porcine). L’expression nent mais pas obligatoirement le monde
commune “grippe A (H1N1)” fait impli- entier. Ainsi, par exemple, l’Académie
1. Virus respiratoire citement référence à l’épidémie apparue française donne comme définition de
en 2009 et causée par un virus contenant ce mot “Épidémie qui touche la popu-
C’est un virus dont un des retentisse- des gènes d’autres virus, d’origine por- lation de tout un continent, voire du
ments organiques possibles est une cine, aviaire et humaine. monde entier”. Le terme de pandémie
atteinte respiratoire, parfois bénigne, mondiale n’est donc possiblement pas
parfois létale. Ce groupe est donc carac- 4. Bêta-coronavirus un barbarisme.
térisé par un de ses retentissements
possibles et il peut comprendre des C’est le sous-groupe de coronavirus 2. Distanciation sociale
virus aussi divers que le SARS-CoV-2, auquel appartient le SARS-CoV-2. Ce
le MERS-CoV, le “H1N1”, les virus de la sous-groupe comprend aussi le SARS- La distanciation est un mot d’usage
grippe saisonnière, le virus respiratoire CoV-1, le MERS-CoV et deux virus récent et qui n’apparaît pas encore dans
syncytial (VRS), etc. strictement humains, les HCoV-OC43 certains dictionnaires. Dans le sens
et HCoV-HUK1. Ces deux derniers virus actuellement le plus utilisé, ce terme
2. MERS-CoV sont endémiques et sont la cause d’in- désigne l’action de créer une distance, de
fections respiratoires hautes ou basses, prendre du recul, entre deux personnes.
Il s’agit du coronavirus responsable saisonnières, surtout hivernales. Ils sont Dans la dernière édition du dictionnaire
d’une épidémie au Moyen-Orient à par- considérés comme la deuxième grande de l’Académie française, le terme “dis-
tir de 2012. MERS signifie Middle East cause des rhumes courants. Ils ont plu- tanciation” désigne une technique théâ-
Respiratory Syndrome. Initialement, sieurs homologies de structure avec les trale, prônée par le dramaturge allemand
ce virus a été dénommé 2012-nCoV ou SARS-CoV pouvant potentiellement être Bertolt Brecht, où l’acteur s’efforce de
nCoV pour “nouveau coronavirus”. à l’origine de réactions croisées lors de jouer comme à distance de son person-
l’utilisation de tests diagnostiques. nage, afin que le spectateur donne prio-
3. Grippe H1N1 rité au message social ou politique que
En pratique : le SARS-CoV-2 n’a pas l’auteur a voulu délivrer. De ce fait, sa
C’est une forme de grippe due à des l’exclusivité des atteintes virales respi- définition supposait jusqu’à récemment
virus A, responsables d’épidémies sai- ratoires. Cela signifie qu’un patient peut qu’un recul était pris, non pas vis-à-vis

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d’une autre personne, mais vis-à-vis nale il s’agit d’“un foyer de circulation de gène. Ce terme définit aussi la personne
d’une action réalisée ou des mots formu- virus”. Pour certains épidémiologistes, à l’origine d’un foyer secondaire d’in-
lés afin de créer une distance entre soi un cluster débute à partir de la surve- fection tel “le patient zéro de l’Oise ou
et une réalité. Y ajouter l’adjectif social nue de 2 cas en même temps au même de la Savoie” par exemple. Il est aussi
rend l’expression plus ambiguë et fait endroit, et, le terme cède la place au mot parfois désigné comme “cas index” ou
penser aux thèses de Pierre Bourdieu ou “foyer” lorsque le nombre de cas atteint “cas primaire”. Sa recherche est censée
du couple Pinçon-Charlot consacrées à au moins 50. Toutefois, les épidémio- permettre de retrouver les personnes
la distance créée et entretenue entre les logistes utilisent usuellement le mot ayant été en contact et potentiellement
classes sociales. Cette ambiguïté se per- anglais cluster dont la définition épidé- infectées.
çoit lorsque certaines personnes hésitent miologique admise est “unité épidémio-
à utiliser cette expression et utilisent plu- logique de cas pathologiques, exprimés Enfin, on aura beau prendre toutes les
tôt celle qui paraît plus adaptée à la situa- cliniquement ou non, survenant dans un précautions quant à l’utilisation des mots,
tion actuelle, c’est-à-dire l’expression même lieu (ferme, maison…) au cours on aura beau connaître parfaitement la
“distanciation physique” voire mieux d’une période limitée de temps”. Cluster sémantique, il restera alors à prendre en
“distance entre personnes”. est donc plus simple et plus court, mais compte les problèmes de syntaxe. Ainsi,
pourrait être remplacé par “groupement par exemple, le débat est actuellement
3. Cluster localisé d’un petit nombre de personnes vif pour savoir s’il faut dire, en analysant
contaminées” voire mieux, “foyer épidé- les politiques sanitaires de nombreux
Il s’agit d’un anglicisme, mot anglais mique localisé” par exemple. pays : “Il manque des masques” ou “Ils
non présent dans le dictionnaire de masquent des manques”. Parmi les ambi-
l’Académie française, dont la traduction 4. Patient zéro guïtés, il restera aussi à comprendre si ce
peut être “grappe”, “groupe” ou encore sont les mêmes personnes qui se sont
“amas”. Dans le contexte épidémiolo- C’est l’expression, au mieux paradoxale plaintes d’un manque de masque et qui
gique, il renvoie à un regroupement de au pire incongrue, qui désigne en fait le ne les portent pas une fois le déconfine-
cas dans un territoire délimité. Pour le premier patient identifié comme atteint ment commencé.
ministère de la Santé français, un cluster d’une nouvelle maladie, en l’occurrence
est “un regroupement d’au moins deux la personne qui pourrait être à l’origine
L’auteur a déclaré ne pas avoir de conflits
cas en même temps, au même endroit” d’une épidémie ou première personne à d’intérêts concernant les données publiées
et pour le ministère de l’Éducation natio- avoir été contaminée par un agent patho- dans cet article.

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