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Denis SAILLARD
Abstract : The gastronomical discourse often links food and territory. It draws a lot of material and mental
« borders ». This is the case for national discourses, yesterday and today. For instance « national » gets the
upper hand of « transnational » on Europa stamps issued in 2005 whose topic was Gastronomy. However
history tell us that inter and extra-European food trade and culinary exchange were quite developed. Their
speeding-up since several decades and fusion cuisine’s fast spread lead to current questioning about the
future of European gastronomical cultures. Some cultural borders are revived or modified.
Le discours gastronomique ne cesse de repérer des liens géographiques, territoriaux, entre la nourriture
et une région donnée : zones de production d’un aliment, régions où l’on élabore un « plat typique », où l’on
fait un usage alimentaire spécifique ou réputé tel, etc. Il peut s’agir d’un discours scientifique, par exemple
quand, en 1937, Lucien Febvre établit des cartes des fonds de cuisine français (beurre, graisses animales,
huiles, ...) pour le tout nouveau musée national des arts et traditions populaires (Ferrières, Madeleine, « Une
frontière de l’huile d’olive », in Montanari et Pitte, 2009, p. 201-219). Cependant ce discours peut aussi servir
à marquer une différenciation anthropologique souvent dévalorisante pour l’Autre. Il n’est guère nécessaire
d’insister sur la kyrielle de sobriquets de nature alimentaire utilisés pour désigner les autres, ceux du village,
de la région ou de la nation situés au-delà d’une « frontière », administrative ou non : les Français sont taxés
de froggies, mangeurs de grenouilles, de l’autre côté de la Manche (Moulin, 1989, p. 10). Eux-mêmes ont
longtemps désigné les immigrés italiens par le terme de macaroni (Leveratto, 2010 et Noiriel, 2010). Un
biographe d’Emile Zola a stigmatisé la consommation d’huile d’olive de l’auteur de Germinal afin de rappeler
ses origines transalpines et décrédibiliser son œuvre et ses idées (Courtine, Robert, Zola à table, Paris, R.
Laffont, 1978, p. 5-19 ; sur ce littérateur gastronomique, cf. Francfort, Didier, « Les Chroniques de la
Reynière dans Le Monde », in Hache-Bissette et Saillard, 2007, p. 257-274). En Toscane, les habitants de
Farnocchia sont qualifiés de fagiolani c’est-à-dire de haricots donc d’idiots, par ceux des villages voisins
(Tak, 1988).
S’établit par conséquent une représentation des autres et des « identiques », deux groupes séparés par
une frontière culturelle. Ici je m’interrogerai principalement sur la construction d’un discours gastronomique
territorial à l’échelle de la nation qui aboutit à tracer des frontières culturelles entre les différents Etats
d’Europe. Ces délimitations, dans le contexte actuel de l’intégration européenne et de la mondialisation,
trahissent-elles la volonté d’une fermeture à autrui ou expriment-elles simplement la volonté d’individualiser
une culture au sein d’un grand espace géopolitique et économique ouvert ? J’analyserai principalement les
choix faits par soixante et une administrations postales européennes quand il s’est agi, pour la série Europa en
2005, de produire des timbres sur la « gastronomie ». Les émissions philatéliques font partie de la panoplie de
vecteurs utilisés pour conférer une identité à une nation (Anderson, 1983 ; Thiesse, 2006) et il importe de
comprendre la symbolique utilisée par les Etats « anciens », recréés ou nouveaux, voire les entités non
officiellement reconnues ou provisoires, en ce début de XXIe siècle, près de cinquante ans après le traité de
Rome et quinze ans après la chute du Mur de Berlin. D’autre part, au début de l’année 2006, le Conseil de
l’Europe publiait un beau livre dont le titre, Cultures culinaires d’Europe. Identité, diversité et dialogue,
indique assez bien la dialectique contenue dans notre objet d’étude. En effet, étudier la construction de
marqueurs identitaires gastronomiques invite également à aborder la question des migrations et des transferts
alimentaires et culinaires, donc des échanges à travers l’histoire avec l’Autre, de la transgression de la
frontière culturelle.
Une transnationalité culturelle minoritaire, traversée par des identités culturelles nationales
Une nette majorité d’administrations postales, 46 sur 61 soit 75% (groupe 1), a choisi une ou plusieurs
recettes ou produits typiques de son pays ; 7 (groupe 2) ont émis des visuels plus génériques mais porteurs
eux aussi d’une identité territoriale et culturelle : Andorre, Biélorussie, Chypre, Danemark, Estonie, Saint
Marin, Vatican ; 8 autres enfin (groupe 3) des représentations sans référence géographique, si ce n’est
européenne dans son ensemble, mais pas forcément dépourvues de marqueurs identitaires : Allemagne,
Croatie, France, Grande-Bretagne, île de Man, Italie, Liechtenstein, Suisse.
A l’évidence le groupe 3 possède une certaine unité avec trois des six pays fondateurs de la Communauté
européenne auxquels s’ajoute la Grande-Bretagne. Et, dans une classification de type culturel, il n’est pas
étonnant de retrouver le Liechtenstein et la Suisse dans un groupe où figurent l’Allemagne et la France. Ainsi
la seule compréhension du terme « gastronomie » délimite une frontière culturelle entre deux groupes de pays
européens. Ce terme possède en effet deux sens. Il est très souvent utilisé comme synonyme de « cuisine » et
c’est donc dans cette acception que la plupart des administrations postales l’ont entendu. Cependant la
gastronomie, au sens premier, est la « connaissance de tout ce qui se rapporte à la cuisine, à
l’ordonnancement des repas, à l’art de déguster et d’apprécier les mets » selon le dictionnaire Larousse, qui
s’inspire de l’énoncé de Brillat-Savarin (Physiologie du Goût, 1826) : « La gastronomie est la connaissance
raisonnée de tout ce qui a rapport à l’homme en tant qu’il se nourrit. Son but est de veiller à la conservation
des hommes au moyen de la meilleure nourriture possible. »
L’administration postale allemande, dans la présentation de son timbre, précise soigneusement la
définition de « gastronomie ». Son texte souligne les origines « gréco-françaises » du mot. L’Allemagne, en
représentant par un simple trait blanc sur fond noir une table portant un verre, une bouteille, une bougie et une
tasse sur une soucoupe, stylise la gastronomie davantage encore que la Croatie et l’Italie qui ont choisi deux
produits symboliques de l’alimentation, le pain et le vin pour la première, le blé et le raisin pour la seconde.
Les deux timbres italiens sont les seuls de toute la série Europa 2005 à utiliser le drapeau européen comme
fond. La France, le Liechtenstein, l’île de Man et la Suisse représentent la haute cuisine. Man consacre son
timbre à la formation des jeunes chefs (Youth Programme Masterchef). Le timbre suisse, comme l’allemand,
se veut par sa stylisation particulièrement transnational : la mention « art culinaire » figure en quatre langues
et une carte de l’Europe apparaît sur la cloche au centre de la table. De surcroît cette cloche masque son
contenu. La Grande-Bretagne enfin a émis une série de six timbres, rebaptisée « Changer de goûts (Changing
Tastes) », illustrant le multiculturalisme alimentaire moderne ; l’Afrique et l’Asie font, grâce à elle, leur
entrée dans la gastronomie vue d’Europe.
Par conséquent il est possible de percevoir une différenciation culturelle y compris dans le groupe des
émissions transnationales. L’histoire de la gastronomie française conduit ainsi logiquement au timbre Europa
de 2005. Cela fait maintenant plus de trois siècles, depuis la révolution culinaire des XVIIe et XVIIIe siècles et
les tables royales de Versailles, que la France joue un rôle primordial dans la gastronomie mondiale. C’est dès
la fin du XVIIIe siècle que se crée à Paris, métropole particulièrement bien approvisionnée par une production
nationale et internationale extrêmement variée, le restaurant moderne. Quelques années encore et, grâce à
Grimod de la Reynière, Antonin Carême, Brillat-Savarin puis leurs nombreux émules, la France réinvente le
discours gastronomique grec antique, fait de la gourmandise une qualité et exporte ses chefs dans le monde
entier (Ory, 1998 ; Ferguson, 2004 ; Hache-Bissette et Saillard, 2007). Elle souligne continuellement la
grande diversité et la richesse de ses terroirs et rappelle qu’elle est la patrie des banquets gaulois, du cuisinier
médiéval Taillevent et de Rabelais. Elle dresse un Panthéon virtuel à ses chefs du passé, Vatel, Auguste
Escoffier, Prosper Montagné, etc. comme à ceux d’aujourd’hui, de Ducasse à Gagnaire en passant par Bocuse
et Robuchon. Le dessin du timbre Europa – le chef en plus – est similaire à celui émis nationalement en 1980
qui portait déjà la mention « gastronomie française ». La Grande-Bretagne, elle, se veut officiellement la
promotrice du multiculturalisme depuis de longues décennies. Dans le domaine gastronomique cela
n’empêche pas qu’il existe toujours Outre-Manche, ne serait-ce que pour des raisons économiques, une
défense de la production alimentaire et des traditions culinaires nationales. Des campagnes en faveur de la
« nourriture britannique » sont régulièrement lancées dans le pays, comme on peut le voir sur le site internet
Love British Food. Chaque automne est organisée une « Quinzaine de la nourriture britannique ». Ce type de
manifestation peut aller jusqu’à prendre des colorations essentialistes ou nationalistes, lesquelles caractérisent
également le discours de certains hérauts de la cuisine française (Hache-Bissette et Saillard, 2007, p. 177-
290). Tel est le cas d’un article très hostile à Elizabeth David, célèbre cuisinière anglaise qui avait popularisé
la cuisine méditerranéenne en Grande-Bretagne à partir de la fin des années cinquante (Tim Hayward, « False
goddess. How Elizabeth David led devotees away from home-grown delights », Waitrose Food Illustrated,
October 2009, p. 68). Le numéro où il figure, « fait l’éloge de la tourte (pie), ce mets qui unit la Grande-
Bretagne ». Le magazine gastronomique de la chaîne alimentaire Waitrose possède par ailleurs une rubrique
« Tradition » qui met en exergue le lien entre nourriture, territoire et culture (« Into the Woods. […] Liz
Edwards gets a taste of old England », ib., p. 79-85). Ce type de représentation s’inscrit en réalité dans une
histoire longue de la défense de la culture culinaire et alimentaire britannique (Mennell, 1985 et Lehmann,
Gilly, The British Housewife: Cookery Books, Cooking and Society in 18th-Century Britain, Totnes, Prospect
Books, 2003). Il n’en reste pas moins que c’est le thème multiculturel qui a été choisi par le Royal Mail, ainsi
que celui de la haute cuisine grâce à l’île de Man. En effet la Grande-Bretagne prend soin d’être, à l’image du
modèle français, à la pointe en ce domaine. Il en va de même pour l’Allemagne, dont la qualité de la cuisine
est parfois brocardée. L’histoire culinaire allemande est pourtant fort riche et la pensée gastronomique très
développée depuis le XIXe siècle, ce que révèlent les travaux en cours de l’historienne Eva Nether.
La présence de la Croatie dans le groupe 3 est la moins attendue. Même si la slovène a choisi une
thématique originale, toutes les administrations postales des entités issues de l’éclatement de la Yougoslavie
ont émis des visuels nationaux. Ce choix paraît logique en raison de la jeunesse de ces Etats nés au cours
d’une période de conflits meurtriers et de déplacements ethniques forcés. Deux graphistes de Zagreb, Orsat
Franković et Ivana Vučić, ont représenté du pain et un verre de vin rouge sur un fond uniformément blanc. La
notice philatélique croate, Petit essai sur le pain et le vin (A sketch on bread and wine), l’une des plus longues
de celles produites pour Europa 2005, insiste sur l’universalité des symboles gastronomiques choisis : « Le
pain et le vin sont les deux choses les plus importantes dans la vie de l’être humain. » Cependant il est
difficile de ne pas remarquer le dessin d’une croix sur la pain ; le fond blanc peut aussi faire penser à un autel.
D’ailleurs la notice souligne elle-même les différences de perception du vin. Multipliant les références aux
religions chrétienne, juive et grecque antique, mais pas à l’islam, elle montre que le vin peut être soit célébré,
soit considéré avec méfiance, voire condamné et proscrit. Pour conclure elle ne cite pas la vieille bénédiction
hongroise « Vin, pain et paix » mais la pensée du métaphysicien magyar Béla Hamvas. Au sortir de la
Seconde Guerre mondiale, dans Philosophie du vin (A bor fiozófiája, publiée bien après sa mort survenue en
1968 ; l’édition croate date de 1993), Hamvas, s’en prend aux hygiénistes, aux athées et aux fanatiques
religieux. Il fait l’apologie de la joie de vivre et celle du vin, où comme dans toute nourriture et dans l’amour,
réside, selon lui, la présence divine. Ainsi l’administration postale croate a incontestablement eu l’intention de
dépasser un nationalisme étroit. Cependant, déterritorialisée dans le graphisme et le motif des timbres, la
gastronomie est ici spiritualisée, tandis que la notice philatélique énonce sans ambages que le vin peut
constituer une source de division culturelle.
Cité pontificale. Ces deux timbres du Vatican se réfèrent implicitement et habilement au symbole chrétien
antique du Sauveur, l’ictus, voire à la pêche miraculeuse du Christ au lac de Tibériade. L’Estonie et le
Danemark ont chacun émis deux timbres, l’un avec un visuel alimentaire peu distinctif, le second avec des
produits typiques du pays, notamment des poissons.
Le Vatican n’a pas caché son embarras face au thème de la gastronomie : « Chaque pays exprime avec la
cuisine […] sa culture, son histoire, sa tradition, son art. […] L’Etat de la Cité du Vatican possède, par sa
nature, un rayonnement international et se justifie, comme entité étatique, parce qu’il offre un siège
identifiable et souverain au Successeur de Pierre. » Sans réalité nationale, pas de cuisine à soi. Les trois-
quarts des Etats et entités d’Europe ont, eux, bel et bien présenté leur cuisine nationale, laquelle constitue l’un
des éléments de ce que l’on a nommé « la check list identitaire », commune à toutes les nations européennes
(Löfgren, 1989 et Thiesse, 2006). Chaque nation se construit une identité en développant un discours, des
représentations, qui individualisent son histoire, ses symboles, les coutumes de sa population, etc. Une
frontière culturelle est par conséquent tracée entre ces différentes identités nationales « imaginées »
(Anderson, 1983), « inventées » (Hobsbawm et Ranger, 1983), « fabriquées » (Agulhon, 1989). Ainsi, en
2005, le rédacteur de la notice des timbres du Luxembourg peut considérer la frontière culturelle
gastronomique comme une évidence : « Est-il possible de manger une paella sans penser immédiatement à
l’Espagne, de goûter des pâtes al dente sans s’évader pour l’Italie, de partager un bon mezze sans se
retrouver un peu en Grèce ? Et pour cause, la spécificité culturelle d’un pays passe aussi par ses traditions
gastronomiques. Car comme l’affirme l’adage populaire : “ Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu
es ”. Dit autrement, il est légitime d’affirmer que la culture gastronomique d’un pays est fortement liée à son
histoire, à ses conditions géographiques et climatiques, à la richesse de sa structure sociale, à la mentalité et
au mode de vie des individus qui le composent. »
Les vignettes des 46 entités du groupe 1 montrent donc des plats, des boissons, des produits et des
éléments de service fort divers, puisque réputés propres à un espace et une culture donnés, mais elles
possèdent, à quelques exceptions près, la même fonction et relèvent de cette « grammaire identitaire » des
nations européennes (Löfgren, 1989) : lavash (pain) et harissa pour l’Arménie ; plov et dolma pour
l’Azerbaïdjan ; jambon pour l’Espagne ; poulet au paprika pour la Hongrie ; mămăligă (polenta) et învârtite
cu brânză (gâteau au fromage) pour la Moldavie ; cozido et bacalhau (morue) pour le Portugal ; blinis, caviar
et samovar pour la Russie ; etc. Quelques exemples suffiront ici, comme les deux timbres du Luxembourg, où
des photographies détaillent deux de ses plats traditionnels : « Au Luxembourg, la bonne chère fait également
partie intégrante de la culture. Car s’il est vrai que, de par la position frontalière du pays, la cuisine
luxembourgeoise combine harmonieusement la cordialité allemande avec la finesse de la cuisine franco-
belge, elle a également une personnalité qui lui est propre. C’est ainsi que de nombreuses recettes liées au
mode de vie agricole ont influencé de larges couches de la société luxembourgeoise, et ce jusqu’à nos jours.
[…] Plat national par excellence, le Judd matt Gaardebounen ou Collet de porc fumé aux fèves des marais à
la sauce brune, est un plat de caractère particulièrement apprécié des gourmets. Accompagné de pommes de
terre poêlées au lard et d’une bonne bouteille de vin blanc de la Moselle luxembourgeoise, [il] constitue un
véritable régal à partager entre amis ou en famille. »
Cependant dans ce groupe, certaines images retiennent particulièrement l’attention : celles qui lient
étroitement cuisine (ou alimentation) et territoire ou paysages nationaux (Thiesse, 2006 et Fumey, 2010, p.
106-111), et celles qui insistent sur la différenciation culturelle. Ainsi l’Islande, dont les deux timbres
circulaires comme des assiettes ont remporté le prix artistique PostEurop, Jersey et Guernesey évoquent
l’environnement maritime. Les timbres islandais représentent également la flore et les paysages terrestres du
pays. La Lituanie et le Kazakhstan figurent leurs pâturages et leurs produits laitiers typiques (plus le pain noir
pour la Lituanie), la Turquie une campagne où abondent légumes et céréales. Si la notice du timbre slovaque
égrène la liste de plusieurs plats et boissons typiques, le visuel figure simplement du pain et du sel. En offrir à
un visiteur étranger est une tradition slave particulièrement vivace en Slovaquie où elle porte le nom de
« chlieb a sol’ ». Cette tradition d’hospitalité est cependant conjuguée avec l’affirmation territoriale nationale
puisque la tranche de pain dessine l’Etat slovaque, indépendant depuis 1993. Le lien entre cuisine et
territoire est davantage marqué encore sur les deux timbres roumains, dont la riche symbolique comprend des
cartes. Ces dernières leur confèrent également une dimension historique, plus que dans tout autre
représentation de la série Europa de 2005, y compris celles émanant d’Etats très récents et celles des
territoires en quête d’une reconnaissance internationale. L’une des deux cartes représentant l’Europe au IXe
siècle porte la mention « DACIA » et figure un limes au nord du pays ; « les Daces qui habitaient ce territoire
sont les ancêtres des Roumains », précise la notice philatélique. La dimension historique est reprise par
plusieurs autres détails. La chasse est ainsi représentée comme une activité séculaire (le cavalier à l’arc), qui
perdure jusqu’à aujourd’hui et constitue l’une des sources principales des recettes nationales. L’administration
postale de Bucarest insiste
d’ailleurs régulièrement sur la filiation, contestée, entre Roumains et Daces (Thiesse, 2001, « Les fils des
Daces », p. 95-100). En 2005, presque simultanément avec l’émission Europa, elle émet un bloc de quatre
timbres sur la viticulture présentant chacun un cépage typique sur fond du décor sculpté de l’église
iconoclaste Stavropoleos construite à Bucarest en 1724. La notice rappelle les origines millénaires de la
viticulture et mentionne l’histoire de Burebista, roi du « premier Etat dace indépendant et centralisé » (un peu
plus grand que la Roumanie actuelle) qui, au premier siècle avant JC, avant donc l’occupation romaine, aurait
été contraint de prendre des mesures pour en restreindre l’étendue. Elle cite aussi comme « preuve de
continuité » historique, l’origine dace de trois termes viticoles roumains actuels.
Quant à la différenciation culturelle par la cuisine et l’alimentation elle est particulièrement intéressante à
analyser sur les vignettes de l’Autriche et des Etats issus de la Yougoslavie. Le timbre de l’administration
postale viennoise est un dessin humoristique mais il ne peut échapper que son sujet, le mélange, c’est-à-dire le
café mélangé à du lait dans des proportions égales, définit une identité culturelle par rapport à une autre, en
l’occurrence celle des Ottomans. La notice philatélique détaille les circonstances historiques de l’invention, à
la fin du XVIIe siècle à Vienne, du mélange, « une institution, une partie de l’Autriche », puis résume la place
centrale des cafés dans la société viennoise : Congrès de 1815, valses, littérature, etc.
Plusieurs Etats ou entités issus de l’ex-Yougoslavie ont soigneusement pris comme symboles
gastronomiques des plats perçus comme identitaires, car excluant les autres proches et établissant de ce fait
une démarcation culturelle. C’est en particulier le cas des trois entités bosniaques. Le règlement du conflit des
années 1990, défini par les accords de Dayton, n’est pas encore arrivé à son terme. Les deux vignettes de
l’Etat central, officiellement reconnu, de la Bosnie-Herzégovine (image à gauche) figurent la sogan dolma et
la baklava, nourritures d’origine orientale. Les baklavas sont produites et consommées sous des formes
variées dans l’ensemble du sud-est de l’Europe, vaste région communément désignée sous le terme de
« Balkans » (Todorova, 1997), mais l’administration postale de Sarajevo est la seule à les avoir choisies pour
Europa 2005. La notice des timbres émis par la poste croate de Mostar (au centre sur l’image), décrit la
« cuisine familiale d’Herzégovine » et insiste surtout sur la fabrication du jambon fumé, qui figure sur l’une
des deux vignettes (en haut à droite) avec une bouteille de vin, du pain, de l’ail et des oignons. Le jambon
constitue également le sujet de l’un des quatre timbres du Monténégro aux visuels assez génériques, les trois
autres étant le miel, le vin rouge, les poissons et crustacés.
Les images de la « République serbe » de Bosnie (Banja Luka) illustrent la cuisine rurale et ses « plats
traditionnels », où apparaît une nouvelle fois le jambon, servis sur une grande table en bois, autour d’un
foyer. Ces représentations de 2005 se situent dans la continuité du conflit de la décennie précédente. La
cuisine et les habitudes alimentaires servent de marqueurs identitaires aux discours nationalistes, comme on le
voit de manière éloquente dans Nationalism on the menu, documentaire réalisé en 2007 par Djordje Naskovic
et David Muntaner.
Sources et bibliographie
La plupart des timbres Europa 2005 figurent sur les pages du site internet de PostEurop :
http://www.posteurop.org
Les notices présentant les timbres sont parfois consultables sur les sites des administrations postales et sur
différentes pages philatéliques, comme par exemple pour la Slovénie et la Croatie :
http://www.istrianet.org/istria/philately/stamps/2005.htm