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INTRODUCTION

Les transports maritimes jouent un rôle incontournable dans la mondialisation des


économies et la globalisation des entreprises. Sept milliards de tonnes de marchandises
ont été transportées en 2005, soit un milliard de plus qu’en 2000. Déjà, entre 1995 et
2000, les échanges avaient augmenté de 1,4 milliard de tonnes. Ces chiffres, qui
illustrent le dynamisme du commerce international, doivent autant à l’accroissement de
la production des biens de consommation, qu’à la forte demande de matières premières,
que constitue le domaine du transport à la demande.

L’ensemble du commerce mondial repose sur l’efficacité du système de transport


maritime. Et celui-ci est étroitement dépendant des stratégies mises en œuvre par les
acteurs de la filière de transport, qu’ils soient armateurs, constructeurs de navires,
assureurs ou banquiers. Ces partenaires sont unis au sein d’une filière complexe qui
s’organise autour des compagnies maritimes : elles investissent, elles font travailler les
chantiers navals, elles expriment des besoins en assurance et en service (gestion,
entretien des navires, etc.), elles offrent leurs prestations de transport aux chargeurs. Les
stratégies des armements portent, en particulier, sur l’organisation de l’offre de transport
et sur la réduction des coûts. C’est ainsi que les armateurs mettent en place des accords
techniques et commerciaux (conférences, alliances, pools) afin de regrouper les escales,
d’optimiser les lignes et l’utilisation des navires. Ils sont engagés dans des politiques de
massification et de croissance rapide pour élargir leurs réseaux, atteindre une masse
critique et profiter au mieux des économies d’échelle. Néanmoins, les accords de
coopération sont aujourd’hui partiellement remis en cause en Europe de l’Ouest pour la
distorsion de concurrence qu’ils engendrent, et la course au gigantisme et à la
massification. Contrairement à ces conférences, d’autres compagnies indépendantes
appelées outsiders/Trampers préfèrent travailler en solitaire et propose des tarifs
singulièrement inférieurs à ceux des conférences. Ainsi, le système de transport
maritime présente deux types d’exploitation des navires ; l’exploitation de la ligne
régulière et l’exploitation des Trampers ou transport à la demande.

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Ce travail présente en premier temps le système de lignes régulières. Ensuite sera
exposé, celui du transport à la demande ou tramping. Il sera étudié enfin, l’impact de
ces deux modes d’exploitations sur le commerce international.

I- LES LIGNES REGULIERES (LINER)

Dans le système d’exploitation des lignes régulières, les navires sont exploités sur des
routes maritimes clairement précisées et font toujours escale dans les mêmes ports,
qu’ils visitent à jours et à heures fixes selon un calendrier prédéfini faisant l’objet d’une
large diffusion auprès des chargeurs. Le navire, généralement un cargo ou un porte-
conteneurs, assure ce service de ligne pour le compte d’un grand nombre de clients,
dont chacun loue un espace du navire. Ce système standardisé est très bien adapté aux
échanges de marchandises inutilisées, ou marchandises diverses (caisses, boîtes,
conteneurs…), caractérisés par un grand nombre de clients avec des lots de petites
tailles à charger et décharger régulièrement.

Il existe plusieurs modes d'exploitation des lignes régulières :


- le service "tour du monde" (est-ouest) qui permet la couverture complète des
marchés régionaux par les opérateurs globaux.
- le service pendulaire entre grandes régions : Europe du nord et Japon par exemple.
- le service feeder qui redistribue vers des ports secondaires.

1- Architecture des lignes maritimes régulières

1-1- Lignes maritimes de longue distance

 Les lignes maritimes régulières Est-Ouest

Les trois grandes routes Est-Ouest entre les pays fortement industrialisés concentrent
ainsi la très grande majorité des flux maritimes réguliers : celles reliant l’Asie à
l’Europe, l’Asie à l’Amérique du Nord et, dans une moindre mesure, l’Amérique du
Nord à l’Europe. Sous l’impulsion de l’ouverture de la Chine (adhésion à l’Organisation
mondiale du commerce en 2001), les échanges Est-Ouest ont connu depuis plus de

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quinze ans une croissance quasi exponentielle. Les lignes Est-Ouest sont opérées par les
plus grands armements, tous européens ou asiatiques. 
Le trade Asie-Europe est le plus convoité à la fois pour ses volumes importants et pour
son équilibre entre les importations et les exportations. C’est là que sont déployés les
plus grands porte-conteneurs opérés dans le monde. Sur ces lignes, la desserte du Nord
de l’Europe se structure souvent autour de quatre à cinq escales au maximum : un ou
deux ports centraux avec Rotterdam et Anvers en position dominante, Bremerhaven ou
Hambourg à l’Est, et un port à l’Ouest, par exemple Le Havre, comme première ou
dernière escale en Europe du Nord et bien souvent un port britannique.

 Les lignes maritimes régulières Nord-Sud

Les lignes maritimes régulières dites « Nord-Sud » sont desservies par des porte-
conteneurs de dimension moyenne. Elles assurent les liaisons entre les trois continents
les plus riches et les régions les moins développées (Afrique occidentale, Amérique du
Sud, océan Indien…). Une des caractéristiques des lignes maritimes conteneurisées est
l’importance des flux de conteneurs vides, liés notamment à l’inégalité des échanges.
Certaines liaisons ont des trafics en déséquilibre chronique entre les sens aller et retour
(à certaines époques, la proportion était du simple au double sur les liaisons États-Unis-
Asie). 
Le développement rapide de pays du Sud comme le Brésil et l’Afrique du Sud, où
l'apparition de ports en eaux profondes sur le continent africain ont tendance à modifier
la densité du trafic et la taille des navires et de ce fait l’architecture de la desserte de
l’ensemble des ports des régions maritimes traversées. Ainsi, les ports de l’océan Indien
situés sur la route entre l’Asie et l’Afrique du Sud, comme Port Réunion, peuvent
bénéficier de capacités plus importantes et d’une concurrence accrue grâce à la présence
d’un grand nombre d’armateurs sur ce marché. Cela peut leur permettre d’être touchés
en direct par des navires transocéaniques et non plus par des feeders, ce qui a pour
conséquence de faire diminuer les tarifs pour leurs importateurs et les exportateurs. 

1-2- Lignes maritimes de courte distance

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Le cabotage est un transport maritime de courte distance, ou « short sea shipping », qui
s’exerce le long des côtes d’un continent ou entre des îles. Protéiforme et désigné
diversement selon les circonstances, le cabotage maritime peut être national ou
international. Cabotage, feedering, merroutage, autoroute de la mer et transport
maritime de courte distance sont les termes les plus couramment employés pour
qualifier ce mode de transport, voulu comme alternatif au mode routier. C’est en tout
cas l’ambition clairement exprimée par l’Union européenne. 
L’« autoroute de la mer » est une liaison maritime qui vise à opérer au sein de l’UE un
transfert modal de la route vers la mer. Son but est de désengorger les grands axes
autoroutiers européens, en premier lieu les passages des massifs montagneux, de limiter
la pollution et de favoriser le développement durable. Il s’agirait de faire embarquer des
camions complets ou leurs remorques à bord de navires pour effectuer un trajet qu’ils
faisaient auparavant par la route. 
Ce concept ne doit pas être confondu avec le franchissement de détroits par les poids
lourds à bord de ferries même s’il existe un lien fixe (comme dans le cas du tunnel sous
la Manche ou des liaisons entre le Danemark et la Suède) ni avec le franchissement de
mers intérieures ou très enclavées (liaisons transbaltiques entre la Finlande et les pays
Baltes ou transadriatiques entre le Sud de l’Italie et la Grèce). Les autoroutes de la mer
concernent principalement la mer Baltique, l’arc Atlantique, l’Europe du Sud-Est, la
Méditerranée occidentale ou encore la liaison fluviale Seine-Escault.

II- TRAMPING OU TRANSPORT A LA DEMANDE 

Au XIXe siècle, avec la croissance du commerce maritime et la complexité des


opérations de transport, le marché se divisa en 3 segments : les passenger liners, les
cargo liners et le tramping.

Le premier développement de transport maritime prit place avec l'émergence du


tramping.

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Le tramping est un service que le propriétaire rend à l'affréteur en lui louant ou en
mettant à disposition son navire pour transporter des cargaisons de différentes sortes.
C'est un service qui ne réside que sur la demande des affréteurs. C'est en quelque sorte
la raison pour laquelle des navires faisant du tramping révèlent souvent une situation
économique fragile.

Le transport, les activités et les itinéraires dans le domaine du tramping se font de façon
irrégulière comparés au transport de ligne régulier qui a toujours un itinéraire fixe où les
ports et dates sont connus à l'avance et les prix sont fixes. Alors qu'à chaque voyage fait
par un navire tramping, le prix et la quantité de cargaison sont négociés.

Les navires tramping sont affrétés pour des voyages particuliers ou pour une certaine
période. Ils opèrent sur tous les océans et font toutes les destinations selon le fret, à
moins que certaines conditions ne le leur interdisent, comme les profondeurs de certains
ports ou des exigences légales. Ils sont parfois affrétés par des compagnies de ligne
régulière pour opérer dans leur service, mais juste pour un certain temps. Pendant ce
laps de temps, ils cessent d'agir comme des navires faisant du tramping. En résumé,
chaque voyage est différent.

Les navires utilisés dans le tramping sont souvent des vraquiers et des cargos
polyvalents qui sont utilisés aussi dans le service de ligne régulière. Ils transportent des
marchandises en vrac comme du charbon et du grain. Bien évidemment, Ils ont une
construction qui est différente de celle des navires de ligne régulière et à passagers. Ils
sont construits en vue d'économiser car leur capital et coûts d'opérations sont inférieurs
aux autres types de services. C'est pourquoi ces navires sont de dimension moyenne et
ont un design simple avec juste un faux-pont. La vitesse utilisée est la vitesse
économique (ex: 10 nœuds) sachant que la vitesse moyenne d'un navire est de 13 à 14
nœuds. Ils possèdent aussi des apparaux de charge.

Les opérateurs de tramping sont souvent des petits propriétaires qui ne possèdent que 1
ou 2 navires. Malgré les coûts d'opérations à bon prix qu'offrent le service tramping, ils
sont toujours désavantagés par rapport au service de ligne régulière. Celle-ci est adaptée
à transporter des cargaisons de grande valeur et qui rapportent énormément mais aussi

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elle transporte des cargaisons qui ont besoin d'être acheminées très rapidement en un
laps de temps précis.

Les navires tramping ont une capacité de chargement assez grande, ce qui leur permet
ainsi de transporter de grandes quantités pour pallier un peu leur faible vitesse. Ils ont
aussi l'avantage d'avoir des clients réguliers.

III- IMPACT DES LIGNES REGULIERES ET DU TRAMPING SUR LE


COMMERCE INTERNATIONALE

1- Les stratégies des compagnies maritimes de lignes régulières

Le transport maritime de lignes régulières connaît, depuis plus de vingt ans, une forte
croissance de la demande. Elle s’explique à la fois par une conteneurisation accrue des
marchandises diverses, mais aussi par la globalisation de l’économie conduisant à une
multiplication des échanges internationaux et, notamment, de produits finis ou semi-
finis. Les trafics maritimes mondiaux de conteneurs sont passés d’un peu plus de 30
millions d’EVP en 1990 à près de 80 millions en 2006 (ISL, 2006). Les projections
prévoient plus de 200 millions d’EVP pour 2020.

1.1- L’intégration horizontale : l’essor des Global Carriers

Quand il s’agit d’analyser les principales tendances du marché des lignes régulières, le
premier élément qui vient à l’esprit est l’émergence de géants du transport maritime
également repris sous l’appellation de Mega-Carriers ou encore de Global Carriers.
Une multitude de sources statistiques et d’indicateurs peut être mobilisée afin d’illustrer
ce phénomène. La part des dix premiers armateurs mondiaux est, par exemple, passée
d’environ 50 % de la capacité mondiale en 2000 (soit une capacité cumulée de 2,5
millions d’EVP), à 60 % en janvier 2007 (pour 6,3 millions d’EVP) (AXS-Alphaliner,
2007). Sur cette même période, la part de marché cumulée des cinq premiers armateurs
s’accroît de 33 % à 43 % de la capacité mondiale.

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Cette tendance à la croissance de la taille des entreprises est générale. Toujours selon la
même source, le leader du marché le Danois Maersk Line a vu sa part de marché
s’accroître de 12 % en 2000 à environ 17 % en janvier 2007, pour une capacité de
transport d’environ 1,7 million d’EVP. MSC, le deuxième armateur mondial, avec une
capacité de 1,03 million d’EVP en 2007, connaît, quant à lui, la plus forte progression
(+ 800 000 EVP lors des sept dernières années) alors que le troisième armateur mondial
CMA-CGM, avec plus de 450 000 EVP de capacités additionnelles en sept ans, cumule
685 054 EVP en janvier 2007.

Si la croissance de la flotte des armateurs est générale, le mode de croissance choisi par
les acteurs diffère et a suivi deux voies : interne (ou organique) via l’investissement ou
l’affrètement et externe via les fusions, acquisitions ou alliances stratégiques. Bien
évidemment, loin d’être exclusif, le mode de croissance choisi par un armateur change
au cours du temps et peut s’expliquer par des facteurs généraux tels que l’évolution
globale du marché et les stratégies des concurrents mais aussi plus spécifiques à
l’armateur tels que la stratégie du groupe (différenciation, diversification…), sa capacité
financière, son positionnement sur les marchés.

Le développement de Maersk Line, lors des dix dernières années, s’est fondé sur
l’investissement direct, sur une alliance stratégique avec l’Américain SeaLand de 1995
à 1999, mais aussi sur des vagues successives d’acquisitions, notamment de Safemarine,
CMB-T et de SeaLand en 1999 ou de P & O Nedlloyd en 2005. Chaque stratégie
comporte des avantages et des inconvénients.

Le recours à l’affrètement plutôt qu’à l’achat de porte-conteneurs (environ 55 % de la


flotte de Maersk Line en 2007 était affrétée, 40 % pour MSC, 65 % pour CMA-CGM) a
l’avantage de donner plus de flexibilité aux armateurs, de réduire le coût initial en
capital à court terme (le prix d’un porte-conteneurs est d’environ 100 millions US $
pour un navire de 6 500 EVP en 2006, selon le Drewry Shipping Monthly (2007) et
d’éviter les délais de livraison. Dans le même temps, le coût final de long terme est plus
élevé que l’achat.

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Si le choix de la fusion ou de l’acquisition procure l’avantage de pouvoir accroître
relativement rapidement sa capacité de transport et son réseau commercial et logistique,
il a aussi un coût. À titre d’exemple, l’offre récente de rachat de P & O Nedlloyd par
Maersk Line en 2005 était estimée à environ 2,8 milliards de dollars selon le Lloyd’s
List (2005). À ce coût en capital, il convient d’ajouter les coûts en termes d’organisation
et de management.

Une autre voie, qui fut également choisie par les opérateurs, fut celle des alliances
stratégiques, la forme la plus étendue des consortia (Douet, 1985 ; Massac, 1997 ;
Cariou, 2000). Ces accords d’échange d’espaces au sein des navires permettent
d’accroître la qualité de services à moindre coût. Le principal désavantage provient des
problèmes de coordination entre les différents partenaires formant l’alliance et ce,
d’autant plus que la stabilité des alliances stratégiques fut régulièrement mise à mal par
des opérations de fusions-acquisitions. La fusion de P & O (UK) et de Nedlloyd (Pays-
Bas) en 1996, alors que le premier opérait au sein de la Grand Alliance et le second au
sein de la New World Alliance avait conduit au choix de la Grand Alliance par le
nouveau groupe et avait inévitablement déstabilisé l’autre alliance. Il en va de même de
l’impact du récent rachat de P & O Nedlloyd par Maersk Line et de la décision du
nouveau groupe de quitter la Grand Alliance.

Actuellement, la stratégie d’alliance semble plus être le fait de groupes de relativement


petite taille, n’ayant pas la capacité financière de se développer seuls. Elle peut être vue
comme une stratégie d’entrée sur le marché ou d’accroissement de son pouvoir de
marché vis-à-vis des opérateurs portuaires (voir la section suivante).

L’impact de ces différentes stratégies de consolidation des armateurs sur leur


profitabilité est difficile à établir. Global Insight (2005) retenant un échantillon de trente
armateurs de lignes régulières souligne ainsi que si le retour sur investissement peut être
globalement estimé aux environs de 7,5 % de 2000 à 2004, sa mise en relation avec les
différentes stratégies des entreprises n’est pas aisée.

Il faut dire que cette question de l’absence de relation directe entre la structure d’un
marché (et notamment de la concentration), un potentiel pouvoir de marché et, in fine, la

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performance individuelle des entreprises n’est ni étonnante ni nouvelle au regard de
l’économie industrielle (voir notamment Tirole, 1988). Elle provient également du fait
que ces stratégies de croissance ne peuvent s’avérer payantes que sous l’hypothèse où
les autres maillons de la chaîne logistique (opérations portuaires, pré-ou post-
acheminement) accompagnent ces évolutions. Cette dernière remarque conduit à étudier
un second élément caractéristique des stratégies des armateurs de lignes régulières
depuis dix ans : l’intégration verticale.

1.2- Les stratégies d’intégration verticale.

La forte croissance de la demande de transport maritime conteneurisé se retrouve


également dans les statistiques portuaires. Elle est amplifiée par les stratégies des
armateurs qui, en réorganisant leurs réseaux via l’émergence de Hubs, plateformes de
transbordement où le transfert s’opère vers des Spokes, dessertes des ports de
destination finale, démultiplient les opérations portuaires requises pour un même
conteneur.

De nouveau, de nombreuses sources statistiques peuvent être mobilisées afin de mettre


en évidence cette croissance des trafics portuaires. À titre d’illustration, les trafics
portuaires conteneurisés mondiaux sont passés de 86 millions d’EVP en 1990 à près de
309 millions en 2003, de 32 millions à 147 millions en Asie, de 24 millions à 70
millions en Europe et de 17 à 40 millions en Amérique du Nord (Ocean Shipping
Consultants, 2004). Selon la même source, la part du transbordement (transfert d’un
navire à un autre) dans les trafics portuaires était, en 2003, de 45 % pour les ports
d’Asie du Sud-Est, 22 % pour les ports chinois, 21 % pour les ports d’Europe du Nord
et 32 % pour les ports méditerranéens.

Les ports furent également amenés à investir pour répondre à cette forte croissance de la
demande. Au début des années quatre-vingt-dix, deux éléments limitaient cependant
leur capacité à investir. Tout d’abord, la manutention portuaire était avant tout le fait
d’entreprises dites locales ou régionales ayant une capacité financière limitée. Une
majorité d’entre elles étaient encore directement ou indirectement sous contrôle

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d’entreprises publiques alors que les marges de manœuvre des finances publiques se
réduisaient. Deux tendances allaient alors se dessiner.

À l’instar des tendances sur le marché des lignes régulières, des entreprises
internationales de manutention portuaire se développèrent. La part cumulée des six
premières entreprises de manutention portuaire de conteneurs8 qui représentait près de
15 % des trafics en 1991 comptait pour environ 36 % en 2003 (Brooks, 2000 ; Heaver
[et al.], 2000 ; Notteboom, 2002 ; Midoro [et al.], 2005 ; Gouvernal, 2006 ; Olivier,
2005 ; Gouvernal [et al.], 2005). Dans le même temps, au sein de ces opérateurs
émergent des groupes contrôlés par les armateurs soit directement (tels AP Moller
Terminal branche de Maersk Line) ou indirectement (tels Port Synergie, une joint-
venture de CMA-CGM et P & O Ports) et donnant lieu à un phénomène d’intégration
verticale.

Cette tendance peut s’expliquer dès lors que les stratégies d’intégration horizontale, et
notamment leur décision d’investir dans des navires de grande taille (section 3) et de
recourir à des plateformes d’éclatement, ne peuvent s’avérer payantes à terme que si les
ports maritimes, les infrastructures terrestres et la chaîne logistique s’adaptent à ces
évolutions. Or, dans le cas où la réponse du marché est insuffisante compte tenu de la
spécificité des actifs, l’intégration verticale peut devenir une stratégie gagnante.

Cependant, et à mesure que se consolident les acteurs sur le marché du transport


maritime, une stratégie de différenciation de la part des armateurs apparaît (Midoro et
Parola, 2006). Elle se retrouve notamment dans l’importance des branches portuaires et
logistiques au sein des compagnies maritimes. Une typologie existe ainsi entre les
armateurs se focalisant sur le transport maritime comme MSC, Cosco ou Hyundai et
ceux comme Maersk Line ou encore CMA-CGM qui étendent leurs services le long de
la chaîne logistique (services de manutention portuaire, navettes ferroviaires et/ou
fluviales), vers un service dit de bout en bout (end-to-end). Une différenciation existe
également entre les armateurs contrôlant intégralement les opérations portuaires tel que
Maersk Line via sa filiale AP Moller Terminal9 et l’utilisation de terminaux dédiés pour
lesquels ils détiennent une exclusivité, ceux contrôlant partiellement les opérations via
des terminaux dédiés et des joint-ventures avec des entreprises de manutention portuaire

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tels que CMA-CGM et MSC et ceux, souvent de plus petite taille, ayant recours à des
contrats bilatéraux avec des groupes de manutention.

Les raisons menant à ces différentes stratégies sont nombreuses. Une première raison
relève bien évidemment de la capacité financière de l’armateur. L’investissement direct
ou en coopération avec un opérateur portuaire représente un coût non négligeable. À
titre d’exemple, la contribution des opérateurs privés dans l’investissement de Port 2000
au Havre s’élève à environ 279 millions d’euros soit 26 % de l’investissement total
(Levieux, 2007).

Une deuxième raison ne dépend pas directement de l’armateur mais provient du fait que
l’autorité portuaire y trouve également un intérêt. Au-delà de l’absence de fonds
nécessaires pour l’investissement évoquée précédemment, la participation des armateurs
dans le financement et dans la sélection des superstructures portuaires permet de
s’assurer que l’investissement répond à une réelle demande et que l’armateur s’engage à
utiliser les infrastructures portuaires sur une longue période.

Une troisième raison provient de la perception par l’armateur de la situation actuelle et


future du marché. Un armateur, considérant que l’offre portuaire et logistique disponible
dans un port ne lui permet pas d’obtenir une qualité de service suffisante au regard de
ses attentes concernant notamment le temps passé au port et le taux de remplissage de
ses navires peut, dès lors, décider d’investir lui-même dans ses services
complémentaires à son activité maritime.

Plusieurs autres avantages de nature plus opérationnelle existent également. Le recours


à un terminal dédié permet de sécuriser l’accès au terminal en contournant la règle du
premier arrivé-premier servi ou l’incertitude de l’allocation de priorités (windows) qui
sont dans les mains de l’opérateur portuaire. La réduction du nombre de clients conduit
à une meilleure coordination des opérations maritimes et portuaires et, finalement, à des
services sur-mesure à l’origine d’une plus grande productivité portuaire. Une analyse
similaire peut s’étendre aux choix de certains armateurs de se lancer dans l’exploitation
de navettes ferroviaires ou fluviales depuis des ports maritimes.

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2 Les stratégies et l’environnement des armements au tramping

Le marché du tramping est caractérisé par une grande atomicité des compagnies
maritimes qui disposent souvent d’une faible surface financière et sont donc confrontées
à des problèmes de trésorerie. D’autre part, le marché maritime est globalement ouvert
(peu de barrières à l’entrée), très international et la concurrence y est forte. Les
compagnies œuvrent sur des marchés segmentés, ce qui limite leur expansion. Autre
élément important, les armateurs sont en fait dépendants des marchés des matières
premières qu’ils transportent et des politiques économiques qui régulent ces marchés.
Enfin les taux de fret et d’affrètement peuvent accuser des hausses ou des baisses
conséquentes et cette volatilité des taux fragilise d’autant plus la trésorerie que les
armateurs vraquiers et pétroliers ne diversifient pas leurs sources de revenus : ils
demeurent tributaires de taux qu’ils ne maîtrisent pas. Il faut noter également l’extrême
inertie du marché et son manque d’adaptation aux cycles de l’offre et de la demande : il
faut du temps pour qu’une masse critique d’armateurs enclenche un mouvement de
contraction ou d’expansion de flotte afin de réagir aux mouvements des taux de fret et
d’affrètement qui peuvent être pour leur part très rapides. Pour autant, il n’existe pas un,
mais des marchés vraquiers et pétroliers et tous ne partagent pas au même chef les
principes généraux précédents.

Ainsi, la stratégie de l’armateur dépend en partie des navires qu’il exploite et des
marchés sur lesquels il intervient, marchés dont les indices de taux d’affrètement
donnent le pouls. Ensuite, les moyens mis en œuvre par les compagnies maritimes pour
assurer leur croissance varient. En revanche, les mesures de sécurité maritime qui se
renforcent s’imposent à tous les armateurs et constituent une donnée essentielle de
l’évolution du transport à la demande.

2-1 - Les relations entre les navires, les marchés et les taux

2-1-1- La taille des navires et les types de marchés

La taille et l’équipement des navires s’adaptent au mieux aux conditions nautiques des
ports, aux routes maritimes suivies et au degré de massification inhérent à chaque

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marché. Les armements auront ainsi tendance à armer un type de navire en particulier,
correspondant à un nombre limité de marchés, sachant que plus le navire est petit, plus
il est polyvalent.

Les navires de type handy peuvent accoster dans quasiment tous les ports. On les
rencontre sur les trafics régionaux ou sur le long cours pour des trafics au point de
massification assez faible comme les produits forestiers et sidérurgiques…

Rappelons que les panamax ont une largeur limitée à 32 m leur permettant de passer les
écluses du canal de Panama et que les aframax naviguent dans les bassins régionaux
(Caraïbes, Méditerranée). La taille des grands capesize leur interdit le passage par les
canaux de Panama et de Suez et ils empruntent donc les caps. Les suezmax peuvent
transiter par Suez à pleine charge. Il en est progressivement de même pour les VLCCs,
après approfondissement du chenal. Les très grandes unités (Very Large Crude
Carriers, Very Large Bulk Carriers, Ultra Large Crude Carriers et Ultra Large Ore
Carriers) sont cantonnées à des routes et des ports très précis. Plus le navire est
imposant et plus le nombre de ports dans lesquels il peut accoster est réduit. À titre
d’exemple, le Berge Stahl, minéralier de 365000 TPL est affecté à la seule route
Tubarao (Brésil)-Rotterdam (Pays-Bas).

Tableau 8.12 – La relation entre navires et marchandises sur les marchés vraquiers et
pétroliers (affectation dominante navire/marchandise)

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Agrandir Original (jpeg, 226k)

Source : ISEMAR

Il existe une relation très forte entre le marché industriel et le marché maritime.
L’organisation du marché industriel rejaillit en effet sur la demande de transport et
modèle cette dernière. Selon les marchés industriels et la demande de transport qui en
émane, les marchés maritimes sont plus ou moins rationalisés, concentrés. La structure
des marchés industriels, c’est-à-dire le nombre de producteurs, de clients, le type de
produits, la façon dont se réalisent les négociations d’achat et de vente, le degré
d’exigence logistique, l’histoire aussi de ces échanges, conditionnent la forme que va
prendre l’offre de transport. Les trois exemples suivants permettent d’en juger.

Le marché céréalier est fonction des conditions naturelles qui fixent le niveau des
récoltes et de la demande ; la variabilité est en conséquence le facteur prédominant de la
structure des échanges. La quantité échangée est flexible et s’ajuste par le biais de
marchés à terme où la loi de l’offre et de la demande fixe les cours mondiaux. C’est un
marché de négoce et de spéculation où les relations de court terme sont la règle. Cette
dynamique déteint totalement sur le marché maritime. Les opérateurs ont besoin d’une
offre de transport flexible et malléable dans un domaine où la stabilité est absente. Le
nombre de compagnies maritimes est élevé et aucune n’a de position dominante. En
2006, pas moins de 4 190 handysize et handymax ainsi que 1 351 panamax sont
disponibles sur le marché. Les relations entre le chargeur et l’armateur sont très
distendues. Les quantités à transporter sont fluctuantes, rendant le prix des céréales
assez volatil et, partant, les taux de fret maritime le sont aussi. Toutefois, aujourd’hui,
des mécanismes de couverture des taux de fret permettent aux armateurs de se prémunir
contre la volatilité des taux (cf. le chap. 6 sur l’apport de la finance à l’économie
maritime).

Le marché du minerai de fer montre un autre visage. Les rapports entre les groupes
miniers et les sidérurgistes sont basés sur des relations de long terme. Le marché est
conditionné par le rapport de force entre un petit groupe de producteurs et un petit
groupe d’acheteurs. Les entreprises de sidérurgie investissent dans les mines afin de

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sécuriser leurs approvisionnements. Les prix du minerai et du transport sont fixés par
des négociations annuelles de gré à gré. Au regard des volumes transportés, les
compagnies maritimes sont peu nombreuses et les échanges se réalisent dans le cadre de
marchés relativement segmentés par bassin (flux Brésil-Europe, flux Australie-Asie du
Nord). Jusqu’en 2000, la demande de transport était relativement stable. Néanmoins, le
boom chinois a généré des tensions extrêmes sur ce marché : l’augmentation des achats
de minerais par les Chinois (leurs achats ont été multipliés par trois en trois ans, passant
de 70 Mt en 2001 à 200 Mt en 2004) a entraîné des hausses de prix du minerai à la
tonne (sur un marché proche, celui du charbon, la tonne de charbon à coke au départ
d’Australie se négociait à 125 US $ en 2005 contre 43 US $ en 2002), qui se sont
ajoutées à des hausses de taux d’affrètement du fait d’un nombre de navires insuffisant
pour transporter ce surplus à l’importation (Arcelor affrétait des panamax à 40-45 000
US $/jour fin 2003 contre 10-15 000 US $/jour au début de la même année).

Le marché du Gaz naturel liquéfié (GNL) est l’un des plus fermés qui soient.
L’intégration entre les différentes phases opérationnelles, de l’extraction à la
distribution, est fréquente. Les projets d’investissement sont conçus autour d’une chaîne
logistique qui rassemble, de façon contractuelle, tous les intervenants, y compris
l’opérateur maritime. Les chaînes sont édifiées de bout en bout, une fois la source de
gaz prospectée et sa viabilité assurée : plate-forme d’extraction, usines de liquéfaction et
de regazéification, navires, gazoducs… Tous les investissements sont garantis par un ou
plusieurs contrats à long terme, couramment vingt ans, incluant le prix du gaz et les
quantités livrées, entre le producteur et le groupe électrique ou gazier qui va
réceptionner le gaz. Dans cette chaîne, l’armement a un contrat d’affrètement qui court
sur la durée du contrat de livraison. Le transport requiert une expérience à la fois de ce
type de montage et de la gestion de ces navires très spécialisés (méthaniers), coûteux à
l’achat mais dont le retour sur investissement est assuré. Par sa spécificité et les
compétences nécessaires, le transport maritime de GNL est le fait d’un petit groupe
d’armements mondiaux (ils sont au nombre de quarante-trois et les vingt premiers
arment 83 % de la flotte) et la concurrence est limitée. Il n’en reste pas moins que le
marché évolue rapidement avec l’essor d’un marché spot, de court terme, en même

15
temps que le marché, organisé sur des bases régionales, s’harmonise progressivement
sur une base mondiale.

2-1-2- Taux d’affrètement et indices : spéculation et volatilité

Les prix du transport maritime sont construits à partir d’indices qui sont censés refléter
l’état du marché à un instant t. Il existe plusieurs indices selon les marchés, les plus
connus et les plus utilisés étant le Worldscale pour les pétroliers et le Baltic Exchange
Dry Index pour les vraquiers (chap. 6).

Le Worldscale est une table de valeur en US $/tonne qui porte sur cinq types de navires
et environ 5 000 routes maritimes entre ports de chargement et de déchargement. Cette
table est actualisée tous les six mois. Le taux de référence (taux plat ou flat rate) est
indicé WS 100 et correspond aux coûts d’exploitation et aux charges variables d’un
navire étalon qui sert de référence pour les cinq types de navires dans le calcul de toutes
les routes maritimes. Chaque contrat d’affrètement se traduit par un pourcentage
négocié du WS 100. Une cotation WS 75 signifiera que l’armateur sera rémunéré à
hauteur de 75 % du taux indiqué dans le recueil. D’autres indices ont vu le jour, plus
spécialisés afin d’être encore plus proches de la réalité, comme le tanker aframax index
pour les pétroliers aframax ou le Riverlake Tanker Index pour les pétroliers exploités en
mer Noire et mer Baltique. Le Baltic Exchange Dry Index (BDI) date de 1985. Ses
concepteurs se sont heurtés à l’hétérogénéité des marchés vraquiers (aciers, céréales,
bauxite, engrais…) et des navires utilisés. Ils ont donc construit un indice composite
général qui reflète un état moyen. L’indice est composé, à l’origine, par un panier de
valeurs associant un type de navires à une marchandise et à une route. Chaque
composante est choisie pour son rôle d’exemple, de référence, car elle représente une
part significative du commerce mondial des marchandises en vrac. Une pondération
permet ensuite de relativiser le poids de chaque composante dans la réalité. L’indice de
base est de 1 000 points. Jugé trop général par beaucoup, le BDI privilégie de fait les
navires capesize (minerai et charbon) et panamax (charbon et céréales) et rend moins
compte de la réalité des marchés handysize et handymax, plus difficiles à cerner. Cet
indice général, toujours d’actualité, a été relayé depuis par des indices sectoriels. Il
existe désormais un Baltic Handy, un Baltic Panamax, un Baltic Capesize. D’autres

16
indices existent aux côtés de ceux du Baltic : on trouve ainsi le SSY Capesize index ou
encore le JE Hyde handysize-Handymax Shipping Index. Ces indices sont mis au point à
partir de panels par des courtiers qui se basent sur leur propre activité.

La volatilité des taux fait de l’armement au tramping un métier risqué où la spéculation


trouve matière à s’exprimer. Le revenu des compagnies est aléatoire et la trésorerie est
soumise à de fortes incertitudes. Pour autant, les instruments financiers de couverture,
largement utilisés dans le négoce des matières premières, sont peu diffusés dans le
transport maritime. Cela tient en grande partie à la structure même du marché, composé
d’un nombre important de petites compagnies, qui ne disposent pas de la compétence
nécessaire pour manier ce type d’outils. Les contrats futures, qui permettent aux
armateurs d’arbitrer leur position sur le marché de l’affrètement grâce au modèle des
marchés à terme, sont donc pour l’instant réservés aux grandes compagnies œuvrant
dans les secteurs du charbon, du pétrole et du minerai. Nous n’entrons pas ici dans le
détail des mécanismes de ces contrats qui sont largement exposés dans le chapitre 6
traitant des apports de la finance au secteur maritime.

Figure 8.2 – La volatilité des taux sur le marché pétrolier de 2002 à 2004

Agrandir Original (jpeg, 247k)

17
Source : ISEMAR, 2005, d’après BRS

2-2- La consolidation de l’offre de transport

Les armements disposent de plusieurs options s’ils veulent augmenter leur flotte. Ils
peuvent recourir à la croissance interne et acheter des navires neufs ou d’occasion. C’est
la solution la plus simple et la plus traditionnelle ; c’est aussi la plus longue car elle
repose sur la construction patiente de grandes compagnies pendant plusieurs dizaines
d’années avec comme corollaire la rigueur dans la politique de gestion des affrètements
et des opérations d’achats/ventes des navires. Or, les armements vraquiers ont plutôt
tendance à la spéculation : on achète et on vend en fonction du prix de marché. Les
navires constituent souvent les seuls actifs de la compagnie et ces dernières s’en
séparent en cas de problème de trésorerie : l’armement World Wide Shipping (Hong-
Kong) a ainsi considérablement réduit sa flotte à quelques navires dans les années
quatre-vingt, alors qu’il possède à nouveau une vingtaine de tankers aujourd’hui. La vie
des compagnies maritimes au tramping est donc loin d’être linéaire ; elle est plutôt faite
de phases de croissance et de contraction. Les armements peuvent aussi affréter des
navires à d’autres armateurs. C’est là encore un moyen largement utilisé. Le
regroupement au sein de pools permet d’envisager une troisième voie : la mutualisation
d’une partie des navires dans une structure commerciale commune, qui ne nécessite pas
d’investissements lourds. Quatrième possibilité plus rarement d’actualité : certains
armements s’engagent dans des politiques de rachat d’autres compagnies maritimes.
Dans ce cas, l’armement accroît sa flotte et achète en même temps le portefeuille de
clients de son concurrent.

2-2-1- Les affrètements et les pools, une solution privilégiée pour grandir en
sécurité

Dans le secteur de la chimie ou dans celui des transports sous température dirigée, on
retrouve un schéma relativement identique fondé sur l’affrètement : il existe un très
grand nombre de petits armements qui possèdent moins d’une dizaine de navires. Dans
le secteur des navires polythermes, on dénombre seulement 26 compagnies sur 428 qui
possèdent plus de dix navires. Dans le secteur des chimiquiers, ce sont 44 compagnies

18
sur 731 qui détiennent plus de dix navires. Pourtant, le marché s’est concentré autour de
quelques grands opérateurs car les chargeurs recherchent désormais une capacité de
transport importante et disponible partout dans le monde. Les petites compagnies ne
peuvent plus répondre à ces exigences et seules les plus grandes d’entre elles, très
visibles, sont désormais en mesure de proposer un service mondial. Ces compagnies
sont pourtant loin de posséder tous les navires ; elles offrent un service à l’échelle de la
planète en affrétant un grand nombre de navires à des compagnies beaucoup plus
petites. Ce sont les plus grandes compagnies qui « font vivre » les plus petites et l’offre
de transport de ces grandes compagnies n’existe que par l’existence des plus petites,
dans une relation d’étroite interdépendance. Dans ce système, les plus grands
armements n’immobilisent pas de capitaux dans l’achat de navires et adaptent
précisément leur flotte en fonction de la demande en jouant sur la durée des
affrètements. Ils limitent leur exposition financière au marché et peuvent se concentrer
sur la construction de réseaux de lignes, voire même sur des implantations terrestres,
comme c’est le cas pour la chimie. Inversement, de petits armements peuvent survivre
grâce à la stratégie d’affrètement de ces opérateurs maritimes dominants. En cas de
tension sur le marché maritime, les grands armements cessent leurs affrètements et les
contraintes de trésorerie se reportent sur les armements de petite taille qui demeurent
propriétaires des navires, alors même que ce sont les plus fragiles. La compagnie
maritime danoise Lauritzen a ainsi totalement modifié sa stratégie, il y a quelques
années, en vendant la plupart de ses navires. Aujourd’hui, au lieu d’avoir à gérer un
parc de navires standards en propre, la compagnie affrète précisément les types de
navires que ses clients recherchent pour des durées de quelques semaines à quelques
mois. La compagnie se concentre ainsi davantage sur la partie commerciale de son
métier (gérer des affrètements et frètements de navires) que sur la partie technique
(exploiter des navires).

Avec la politique d’affrètement, le regroupement au sein de pools reste l’option la plus


utilisée par les armements pour consolider leur offre de transport. Les armements
doivent maximiser leur présence sur les mers afin d’offrir un service mondial. Ils
doivent également former des ensembles de taille suffisamment importante pour
contrebalancer la puissance des chargeurs lors des négociations sur les taux de fret. Les

19
pools de navires permettent à chaque armateur de profiter de la puissance d’un groupe
tout en restant indépendant. Un pool d’armements fonctionne par l’intermédiaire d’une
société de gestion. Celle-ci commercialise un service de transport qui est assuré par la
mise en commun de navires provenant de flottes de différents armements. Les
compagnies maritimes disposent librement d’une partie de leur flotte et placent une
autre partie dans une structure commune, un pool, où les risques comme les bénéfices
sont partagés au prorata de l’engagement de l’armateur. De la sorte, les armements
vraquiers optimisent l’utilisation de leurs navires et réduisent les temps de trajet à vide
sur ballast : dans un pool, c’est le navire disponible le plus près du lieu de chargement
qui sera choisi. Ces armements atteignent aussi une taille critique mondiale ou
régionale, selon le pool, qui leur serait impossible d’obtenir seul. Enfin, le pool,
commercialisé sous un nom unique, permet de renforcer leur poids et leur crédibilité
face aux chargeurs industriels mais aussi face aux interlocuteurs financiers et aux
assureurs. Les pools font aujourd’hui l’objet d’une enquête approfondie de la part de la
Commission européenne. Ils fonctionnent sur la base d’une tarification commune et
vont ainsi à l’encontre de la libre concurrence. Parmi les plus connus des pools on peut
citer Tankers International, aussi appelé le « gang des six » et Star Tankers dans le
secteur du pétrole brut, ou les pools constitués autour de l’armateur Torm dans les
produits pétroliers.

2-2-2- Les fusions et acquisitions, entre spéculation et réseau, exemple de deux


compagnies : Frontline et Teekay shipping

Depuis quelques années, un certain nombre de grandes compagnies émergent dans le


secteur pétrolier. Elles prennent parfois appui sur le secteur boursier pour assurer leur
développement rapide et devenir leader sur leur marché par des politiques de
fusions/acquisitions agressives. Elles appliquent des méthodes de gestion financière et
gèrent leur flotte comme un patrimoine industriel. Certaines ont une vision stratégique à
long terme, comme Teekay Shipping, d’autres demeurent des entreprises plus
spéculatives comme Frontline.

Les dix premiers armements pétroliers maîtrisent 25,8 % du tonnage pétrolier mondial
(91,8 Mt) en 2006 contre 18,3 % (55 Mt) en 1999, tandis que ce chiffre tombe à 21,5 %

20
(76,5 Mt) pour les dix premiers armateurs de navires vraquiers, contre 18,4 % (52 Mt)
en 1999.

Le plus grand armement pétrolier Frontline du groupe Fredriksen a été créé en 1985 en
Suède. La compagnie s’est engagée dans une politique d’acquisition rapide sur le
créneau des programmes de construction de navires neufs, rachat de navires ou de
sociétés entières. La majorité des navires est placée au spot où les taux sont les plus
élevés mais où le risque de retournement de conjoncture est aussi plus grand.
L’ensemble de la compagnie est coté en bourse. L’idée maîtresse réside dans la
séparation comptable de deux activités, la gestion de navires et l’affrètement, qui sont
en réalité deux choses bien différentes, tout au moins au regard du risque qui s’y attache
et donc de la rémunération financière de ce risque. La compagnie Frontline est séparée
en deux entités distinctes, l’une focalisée sur l’armement (Frontline Shipping) et
s’appuyant sur un actionnariat traditionnel (autant que l’on puisse qualifier de la sorte
les investisseurs du monde maritime) ; l’autre axée sur l’affrètement (Frontline Ltd) et
reposant sur des fonds de capital-risque. L’essentiel est que les dividendes versés aux
actionnaires soient à la hauteur du risque qu’ils prennent. Frontline Ltd affrète à long
terme les pétroliers à Frontline shipping et frète ensuite les navires sur le spot, à très
court terme. Mais J. Fredriksen touche peut-être là aux limites de l’adéquation entre le
marché maritime et le marché financier. En effet, des conflits d’intérêts entre les deux
sociétés pourraient voir le jour, donc entre les deux groupes d’actionnaires.

La philosophie de Teekay Shipping est toute autre : il s’agit de construire un ensemble


maritime cohérent, en partenariat avec les chargeurs pétroliers. Ici, pas de surexposition
sur le marché spot, mais une volonté de sécuriser les investissements par des frètements
de long terme, de prendre position sur un marché et de le contrôler. Teekay Shipping a
mis en place un véritable réseau maritime alliant des VLCCs pour les transports
océaniques, à des aframax pour les échanges régionaux et à des pétroliers navettes pour
les dessertes locales. La compagnie a franchi un nouveau seuil dans l’élaboration de sa
stratégie en décidant de conforter son savoir-faire maritime par une offre de services de
stockage, complémentaire aux transports maritimes. L’armement se définit lui-même
comme une mid-stream company, prestataire mondial de services maritimes et

21
logistiques dans le secteur pétrolier. Bjorn Moller, directeur de Teekay, définit son
entreprise comme « partie intégrante de la chaîne logistique de ses clients16 ».
Aujourd’hui Teekay Shipping transporte 10 % du pétrole dans le monde. Deux chiffres
pour se rendre compte de l’évolution du groupe au regard de sa trésorerie : en 2002, 260
millions US $ (soit la moitié de la trésorerie à cette date), provenaient des frètements de
long terme contre 32 millions US $ en 1999.

Tableau 8.13 – La croissance de Teekay Shipping

Agrandir Original (jpeg, 214k)

Source : ISEMAR

2.3 – La sécurité, un maillage de règlements de plus en plus contraignant

La sécurité est un élément fortement contraignant pour les compagnies maritimes. La


législation, qu’elle émane des organisations internationales ou des instances politiques
régionales, est de plus en plus importante et concerne des champs sans cesse élargis de
la gestion du navire : les normes de construction, la formation des équipages, la gestion
des déchets, les relations entre le bord et le siège social, les relations entre le navire et le
terminal lors des opérations de manutention, etc. À ces notions de sécurité sont venus se
greffer des principes de sûreté maritime après les attentats du 11 septembre 2001 aux
États-Unis. Le maillage de lois, de directives et de règlements est de plus en plus serré
et se traduit par des coûts additionnels et des stratégies de contournement. En voici un
tour d’horizon en cinq grands règlements.

22
Les pétroliers sont les premiers visés en raison du risque de pollution qu’ils
occasionnent. L’obligation de la double coque, imposée par les États-Unis, dès 1993
(Oil Pollution Act décidé à la suite du naufrage de l’Exxon Valdez), puis par l’Union
européenne en 2000 (Paquets Erika 1 et 2, entérinés à la suite du naufrage de l’Erika) a
entraîné un renouvellement de la flotte. Aujourd’hui, 72 % de la flotte de tankers dans le
monde sont équipés de double coque et ce chiffre monte à 83 % dans le cas des
chimiquiers. Les pétroliers construits avant 1982 (Marpol 1, pétroliers simple coque
sans Ségrégation de Ballast – SBT –) ont au minimum vingt-quatre ans en 2006 et sont
interdits de navigation dans l’UE, ceux qui ont été construits entre 1982 et 1996
(Marpol 2, pétroliers simple coque avec ségrégation de ballast) ont entre dix et vingt-
quatre ans et doivent être retirés de la circulation d’ici 2010 et, enfin, les pétroliers
construits après 1996 (Marpol 3, pétroliers simple coque SBT et non SBT) ont au
maximum dix ans en 2006 et ne pourront plus naviguer dans les eaux européennes d’ici
2015 au plus tard.

Cette interdiction concerne la navigation dans les eaux territoriales américaines et


européennes. Les États-Unis et l’Europe étant deux groupes d’importateurs de pétrole
brut et d’exportateurs de produits raffinés incontournables, les armements se sont
adaptés et ont modernisé leur flotte. Toutefois, les pétroliers âgés et à simple coque vont
désormais se concentrer en Asie et dans les pays émergents. Les chargeurs pétroliers ont
renforcé leurs mesures de vetting (contrôle des navires par des inspecteurs des
multinationales pétrolières ; l’accord du service de vetting d’un chargeur pétrolier est
indispensable pour pouvoir affréter le navire). Certains, comme BP ont même revu leur
stratégie maritime. BP a lancé un vaste programme de constructions neuves équivalent à
trois milliards US $. Une quinzaine d’aframax et une dizaine de handymax ont rejoint la
flotte de BP via la société Hemel, la filiale qui gère les navires du groupe et qui possède
déjà trente-cinq pétroliers. Toutefois, BP utilise deux cents navires par jour en
affrètement ou en propre. Sur ce total, BP souhaite désormais en contrôler une bonne
centaine, ce qui signifie un recours plus important aux affrètements à long terme. De
cinquante à soixante-dix navires par jours affrétés au spot, BP désire passer de vingt-
cinq à quarante navires. Il faut se souvenir que BP a couvert jusqu’à 75 % de ses
besoins de transport au spot.

23
Autre mesure importante, l’Organisation maritime internationale a promulgué un texte
traduit en Europe par la directive sur les déchets et les résidus de cargaison (directive
2000/59/CE du 27 novembre 2000). Cette directive vise tous les navires de commerce,
de pêche et de plaisance qui escalent dans les ports de l’Union européenne. Tous les
déchets du bord doivent être déposés dans des installations spécifiques dans les ports.
Cela concerne notamment les eaux mazouteuses et les résidus de cargaisons comme les
fonds de citernes. Les ports doivent élaborer des plans de traitement des déchets
révisables tous les trois ans. Le coût doit inciter le dépôt à terre plutôt que le rejet en
mer. Il s’agit d’un coût fixe pour tous les navires utilisant ou non les installations,
auquel s’ajoute une partie variable facturée à l’utilisateur. À chaque escale, le capitaine
doit présenter un « état des déchets » et un « livre des hydrocarbures » permettant de
contrôler les quantités à bord, les ports et les quantités déposées précédemment et, par
calcul, de vérifier s’il y a eu rejet en mer. Les autorités portuaires sont tenues de valider
chaque « état » et chaque « livre » avant le départ du navire. Cette mesure vise
directement les pétroliers qui nettoient leur citerne en mer et rejettent les eaux souillées,
ainsi que ceux qui se débarrassent de leurs eaux mazouteuses en mer. La surveillance
des côtes, en particulier dans le golfe de Gascogne et à l’entrée en Manche s’est
renforcée depuis quelques années et les contrevenants sont soumis à des cautions
(250 000 euros pour les armateurs des Nova Hollandia et Gitta Kosan en 2003) puis
condamnés à des dommages et intérêts (entre 100 000 et 200 000 euros pour les
capitaines des Voltaire et Drobudja, toujours en 2003). Aux États-Unis, des peines
d’emprisonnement ont même été appliquées pour des chefs mécaniciens ayant rejeté
intentionnellement des eaux mazouteuses.

L’ISM et STCW 95 constituent une troisième série de réglementations incontournables.


Dans les années deux mille, trois constats ont entraîné la mise en œuvre de deux
grandes normes : l’ISM et STCW 95. Prenant acte A) de la dilution des responsabilités
avec la multiplication des intervenants dans la marche du navire ; B) de l’absence
d’implication des cadres de l’armement dans la sécurité à bord des navires ; C) du
problème de formations disparates des marins, l’OMI a ratifié deux mesures :

24
À la suite des attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis ont imposé, via l’OMI, un
code de sécurité particulier sur les navires et à terre : le code ISPS pour International
Ship and Port Security. Ce code prévoit une sécurisation des terminaux et des navires
(portiques de sécurité, barrières et enceintes fermées, badges d’accès informatisés) avec
des niveaux de sécurité et d’alertes similaires au plan vigipirate en France. Le coût de la
mise aux normes des navires et des compagnies maritimes (élaboration des plans de
sécurité, formation des officiers de sécurité à bord et au siège social, achat des
équipements et des sytèmes d’alerte, etc.) est difficile à chiffrer car il y a un coût à terre
pour l’ensemble de la flotte et un coût par navire. Selon les garde-côtes américains, le
coût initial pour un pétrolier reviendrait à 17 700 US $ et le coût annuel à 11 540 US $.
Toutefois en incluant le volet terrestre, le coût initial de la mise aux normes ISPS pour
une compagnie armant un pétrolier revient entre 60 000 et 180 000 US $ et le coût
annuel varie entre 50 000 et 165 000 US $. Selon le cabinet BDPL, le coût total pour
une compagnie armant environ cent cinquante pétroliers, comme Teekay Shipping, se
monterait à 5,5 millions US $/an et le coût pour une compagnie moyenne armant
environ cinquante pétroliers serait de deux millions US $.

Dernière grande avancée en matière de sécurité, l’Union européenne a traduit le code


BLU (Bulk Loading and Unloading) dans sa législation par la directive 2001/96/CE
« établissant des exigences et des procédures harmonisées pour le chargement et le
déchargement des vraquiers ». Prenant acte du nombre de naufrages de vraquiers
consécutifs à des coques et des structures fragilisées, l’OMI a décidé d’intégrer le volet
manutention à la sécurité maritime. Les opérations de chargement et de déchargement
répétées sont agressives pour les structures des vraquiers et provoquent des usures
prématurées. Le principe du code BLU et de la directive impose un système de contrôle
de la qualité (normes ISO 9001 : 2000). L’élaboration, la mise en œuvre et le maintien
d’un système de qualité dans les terminaux permet de garantir que les procédures de
coopération et de communication ainsi que les opérations de manutention sont
planifiées et exécutées conformément à un cadre harmonisé internationalement reconnu
et pouvant faire l’objet d’audits.

25
Les armements au tramping agissent ainsi sur des marchés très différents sur lesquels on
observe un gradient d’environnement, du plus instable au plus organisé, du plus
spéculatif au plus rigide, du plus ouvert au plus fermé. Néanmoins, tous sont contraints
par des exigences de sécurité de plus en plus globales qui consistent à associer
désormais les volets maritimes et terrestres, techniques et administratifs (gestion des
ressources humaines). La politique de qualité et de sécurité mise en avant par certains
armements dénote la prise de conscience d’une partie de la profession qui fait de la
sécurité un véritable enjeu commercial. La consolidation que l’on observe, surtout dans
le secteur pétrolier et chimique, traduit aussi un changement de comportement de la part
des armements et le détachement d’une partie d’entre eux qui suivent une logique plus
industrielle. L’utilisation d’outils financiers de couverture des risques par les plus
grandes entreprises maritimes reflète là encore l’émergence d’un groupe d’acteurs plus
dynamique et innovant.

CONCLUSION

Au terme de notre analyse, il ressort que le commerce international est fondé en grande
partie sur le transport maritime. Ainsi, les échanges maritimes s’articulent sur la base de
nouvelles relations commerciales. L’exploitation des lignes régulières et celle du
tramping demeurent les éléments incontournables du commerce international, leur
évolution a apporté un souffle nouveau aux échanges internationaux. Leur existence est
l’un des leviers qui maintiennent le commerce international. Ainsi, l’impact de ces deux
types d’exploitations est indéniable, si bien qu’ils répondent aux besoins de transport
mondial des marchandises très importantes pour les Etats, les entreprises et les
particuliers. De ce fait qui dit transport maritime dit : ligne régulière et tramping.
Toutefois, vu l’évolution rapide de la technologie en général et le danger que représente
l’insécurité pour la stabilité du commerce international, il convient de définir des
normes de sécurités harmonisées.

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