Religion,
culture et politique
en Afrique Noire
NUNC COCNOSCO EX PARTE
TRENT UNIVERSITY
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glr
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CHEZ LE MEME EDITEUR
Hors Collection
Le Conseil constitutionnel
par François LUCHAIRE
La constitution de la République française
par François LUCHAIRE et Gérard CONAC (sous la dir. de)
• Les institutions constitutionnelles des Etats d’Afrique
francophone et de la République Malgache
• Les institutions administratives des Etats francophones
d’Afrique noire
par Gérard CONAC (sous la direction de)
Droit de la famille au Sénégal
par Jacques BOUREL
Collection Politique comparée
dirigée par Gérard Conac, Professeur à l'Université de Paris /
Religion,
culture et politique
en Afrique Noire
https://archive.org/details/religioncultureeOOOOglel
INTRODUCTION
Dans notre ouvrage : Naissance d'un État Noir1, nous avons examiné les
relations entre religion et politique au Dahomey. Alors que le Soudan et le
Nigeria au lendemain de l’Indépendance ont vécu des luttes ethnico-religieuses ;
alors qu’au Tchad s’est déroulée une insurrection que l’on estime d’essence
régionaliste et religieuse ; alors que certains États, au nom de l’affirmation
de l’identité culturelle des peuples africains, ont, sous la poütique dite de
l’authenticité, interdit officiellement le port de prénoms étrangers, en fait
essentiellement chrétiens, puisque ceux transmis par l’Islam ont encore droit
de cité, au profit de prénoms purement africains ou à consonance africaine,
alors que, au nom de leur option idéologique, en l’occurence le marxisme-
léninisme, nouvelle religion séculière qu’ils entendent ériger en religion d’État,
certains chefs politiques ont déclaré la guerre à l’Islam, au christianisme
aussi bien qu’à la Religion traditionnelle allègrement confondue avec la sor¬
cellerie ou la féodalité, et que des conflits d’autorité ont éclaté entre gouver¬
nements et autorités religieuses, qu’en Ouganda une répression systématique
sévit contre la puissante Eglise anglicaine, que Don Francisco Macias Nguema
interdit en 1978 le catholicisme dans le pays le plus christanisé d’Afrique,
imposant de célébrer les offices, son portrait sur le maître autel, que se des¬
sinent de nouveaux rapports au sein de l’État, entre le pouvoir poütique et
le pouvoir religieux et qu’on assiste à une poussée de l’Islam et à une forte
reprise d’initiative dans le domaine de la Religion traditionnelle et des pra¬
tiques magiques, il nous a paru intéressant d’étendre nos recherches à l’Afrique
noire, celle des «Indépendances», c’est-à-dire l’Afrique des États modernes
dont les institutions politiques et sociales portent encore les empreintes indé¬
lébiles de l’étranger, notamment des anciennes puissances coloniales. Notre
étude vise à présenter une vue d’ensemble des relations et interactions entre
Religion, Culture et Politique en Afrique. Il s’agit de dégager les caractéris¬
tiques essentielles, les traits structurels, la complexité et la dynamique des
interactions. On ne prétend donc pas à une analyse exhaustive, du reste très
difficile à mener, pour un continent où les réalités sont diverses et multi¬
formes, variant d’une aire culturelle à l’autre, ou suivant l’impact du phéno¬
mène colonial. Des enquêtes et des monographies par pays ou régions s’avèrent
indispensables ; un tel travail gagnerait à être réalisé par des équipes pluri¬
disciplinaires intégrées.
L’homme négro-africain est profondément, «incurablement»2 religieux
et croyant, affirment ethnologues et anthropologues, africanistes et spécialistes
1. MA. Glélé, Naissance d’un État noir, Librairie G.D.J., Paris, 1969.
2. L.V. Thomas et René Luneau avec J.L. Donneux, Les religions d’Afrique noire. Textes
et traditions, séries Fayard/Denoël, 1969, p. 1, L.V. Thomas, Le socialisme et l’Afrique,
Le Livre africain, Paris, 1966.
8 Introduction
des religions, ainsi que des hommes de culture ou d’État tels que les Présidents
Senghor, N’Krumah, Sékou Touré, Houphouët-Boigny et Nyéréré.
En effet, définie par le Robert comme «reconnaissance par l’homme d’un
pouvoir ou d’un principe supérieur de qui dépend sa destinée et à qui obéis¬
sance et respect sont dus ; attitude intellectuelle et morale qui résulte de
cette croyance, en conformité avec un modèle social, et qui peut constituer
une règle de vie», la religion, et d’une manière générale, les croyances en
Dieu et dans des forces surnaturelles, occupent une place fondamentale dans
la vie de l’Africain; certains auteurs, tel Hampâté Bâ, affirment même que
le religieux imprègne et informe constamment tous les comportements et
actes de l’Africain, et partant, conditionne et détermine l’organisation socio-
politique et économique des sociétés africaines. «Son (la religion) emprise
s’étend à la vie politique, sociale, familiale. L’esprit religieux l’emporte en
général sur l’esprit politique»3. «Les peuples d’Afrique noire» écrit M. Jean
Buchmann, «sont imprégnés d’esprit religieux»4. Tandis que les Présidents
L.S. Senghor et Houphouè't Boigny déclarent respectivement «nous n’ac¬
ceptons pas l’athéisme, nous sommes des êtres profondément religieux».
«L’Afrique, en effet, n’est pas seulement riche de bois, de café, de manganèse
ou d’autres matières. C’est un immense réservoir de foi car le cœur de chaque
Africain recèle dans ses fibres les plus profondes un inestimable capital de
croyance en Dieu et de confiance en sa toute puissance...»5.!. Maquet estime
que la religion est, avec l’art et la littérature, un des domaines où l’africanité
peut se manifester.
De fait, les Africains professent, et pratiquent trois grandes religions :
«l’Animisme» ou la Religion traditionnelle, l’Islam, le Christianisme avec ses
sectes dérivées, notamment les messianismes noirs.
Rares sont les États d’Afrique dont les populations dans leur totalité em¬
brassent la même religion ; au plan des religions, les États africains apparais¬
sent comme hétérogènes, pluralistes. Parfois, dans un État domine l’une des
deux religions importées, le plus souvent l’Islam. Sans doute, peut-on dire,
grosso modo, que l’Afrique de l’est, l’Afrique soudanienne et le Nigéria sont
musulmans, du moins à dominante musulmane, que l’Afrique des forêts et
l’Afrique centrale et Madagascar sont chrétiennes, du moins comportent d’im¬
portants ilôts chrétiens, mais à l’exception du Soudan, de la Somalie, de la
Mauritanie, des Comores, chaque État africain compte d’importantes minorités
religieuses, tantôt islamiques, tantôt chrétiennes, et que l’Afrique s’avère
fondamentalement «animiste».
D’après le journal «l’Effort camerounais»6 il y avait en Afrique Noire, en
1969, 158 millions «d’animistes» contre 87 millions de musulmans et
7. La revue «Missions d’Afrique» des pères Blancs, février 1970. «L’Afrique Noire, Mo¬
saïque des religions» ; et Statistiques démographiques des Nations Unies, 1967-1968.
Annuaire statistique de l’Église (catholique) 1974 ; Journal La Croix du mardi 15 juin
1976, «L’Islam aux dossiers de l’écran ; 625 millions de musulmans dans le monde», p. 3 ;
Journal Le Monde, 3-4 avril 1977, p. 17 ; Une conférence du Père De Souza : «Et si l’Afri¬
que, un jour, évangélisait l’Europe ?» avec quelques données statistiques ; J.M. Cuoq,Les
Musulmans en Afrique, Ed. Maisonneuve et Larose, Paris, 1975.
8. G. Esperet, «Syndicalisme croyant en Afrique», La revue Française d’études politiques
africaines. «Le mois en Afrique», N° 17,mai 1967, pp. 16 et suite,avec une bibliographie
sélective sur le syndicalisme en Afrique.
10 Introduction
Animistes
Pays Population Cathoüques % Protestants % Musulmans %
et divers
%
9. Vincent Monteil, «Problème d’éducation au Nigeria, Présence Africaine, 1er trim. 1962.
12 Introduction
l’on se sent mal à l’aise, voire quelque peu honteux sinon coupable de renier
le patrimoine ancestral en changeant de mentalité pour épouser une culture
autre, soit de désarroi où, d’instinct, l’on se retourne vers le sacré traditionnel
(lequel ne s’identifie pas avec le sacré chrétien ou musulman ; dans l’Afrique
contemporaine, il y a rupture du sacré, et plusieurs notions et formes du sacré
coexistent...) — en recourant à la magie qui structure généralement notre vie,
y compris la pharmacopée (rites d’exorcisme, lutte contre la sorcellerie afin
d’éloigner les mauvais esprits et les forces du mal avant de s’attaquer à la
maladie et de traiter le terrain, c’est-à-dire l’organe atteint) que l’homme
non averti considère volontiers comme une technique profane et neutre !
Et nos parents,illettrés,ne manquent pas de questionner avec malice et beau¬
coup de finesse les enfants «évolués», entendez ayant fait l’école du Blanc,
récalcitrants : «qu’as-tu appris au «Katékisu», au catéchisme» : le 4e comman¬
dement de l’Église ne dit-il pas : «si to towe kpo non towe kpan,Mawu na wa
dagbenu wé : respecte, honore ton père et ta mère, et Mawu (Dieu) te fera
du bien, te bénira» ? Il te faut donc respecter les traditions ancestrales, celles
du Hennu (du clan, du lignage ou de la famille)10. Au plan culturel qui nous
paraît fondamental, la littérature internationale n’insiste-t-elle pas désor¬
mais sur la notion de développement endogène se fondant sur la culture de
la société concernée ? le vrai problème demeure celui de l’enracinement des
religions importées, Christianisme et Islam, dans la civilisation négro-africaine;
mais il serait osé, à tout le moins prétentieux de s’attarder — bien qu’il y ait
réellement problème — sur cette question qui interpelle et doit préoccuper
les clercs, théologiens et docteurs de la loi, chrétiens comme musulmans :
comment vivre la même foi, être unis dans la même foi, et demeurer divers par
la Culture ? Religion et Culture ne sont-elles pas intimement liées, indisso¬
ciables ? N’est-ce pas une gageure que de vouloir les dissocier, en recherchant à
emprunter l’essentiel du religieux, pour délaisser le culturel ? Au surplus la
religion, dans le cas de l’Islam, n’entend-elle pas structurer et inspirer toute
la vie de l’homme, au plan spirituel comme au plan temporel, et partant,
fonder le et la politique sous ses aspects idéologique, économique et social ?
La religion n’est-elle pas un système total qui englobe et imprègne, et partant,
foncièrement, un facteur d’acculturation ?
Par ailleurs, l’Afrique Indépendante s’est dotée d’institutions politiques
fortement marquées par les modèles étrangers, de démocratie libérale ou
populaire. Le pouvoir désormais n’est plus de droit divin, il est censé émaner
du Peuple qui est dit Souverain. Avec l’accélération de l’Histoire, l’Afrique
doit vivre en vingt ans, quatre à cinq siècles d’histoire européenne ! «Tout
pouvoir vient de Dieu... mais par les hommes». Avec la colonisation le pou¬
voir est passé en Afrique des rois-dieux, des rois divinisés ou sacrés, aux gou¬
verneurs des colonies, puis avec les Indépendances, théoriquement, au Peuple
qui l’exerce par ses élus. Le pouvoir est donc, en principe, désacralisé et laïcisé.
En fait, le pouvoir est l’apanage de celui qui le détient et l’exerce. Dans le
XXe siècle des mass media est chef, détenteur du pouvoir, celui qui tient la
Radio, peu importe comment il s’en est emparé.
10. On comprend pourquoi, après des obsèques religieuses, nombre d’Africains chrétiens et
musulmans célèbrent encore les funérailles traditionnelles, accomplissant les rites de pas¬
sage, de notre univers visible au monde de l’au-delà, afin que le disparu y retrouve les siens
qui l’y ont précédé...
Région, Culture et Politique 13
... tâche prioritaire de juguler l’Église, et à défaut de la liquider. Il ne voulait pas d’autorité
concurrente dans la Société. Par deux décrets du 21 février 1976, il interdisait toute céré¬
monie religieuse, y compris la célébration du baptême et des funérailles. Sous son règne, il
était illégal de parler à un prêtre ; aucun ministre du culte ne pouvait se déplacer à l’inté¬
rieur du pays sans autorisation. Interdiction était également faite de verser toute contri¬
bution financière à l’Église, aussi bien pour l’entretien des bâtiments que pour les membres
du clergé...!
Religion, Culture et Politique 15
noire, comme on l’a vu, sont polyethniques et n’ont pas encore réalisé leur
intégration nationale ; sur le plan religieux ils apparaissent pluralistes ; grâce
aux accidents de l’histoire, certaines régions et partant certaines ethnies sont
fortement islamisées, d’autres christianisées, même si la dominante reste la
Religion traditionnelle. Les disparités économico-sociales régionales coïnci¬
dent souvent avec les distorsions confessionnelles. Quelles sont leurs inter¬
actions et leurs interférences sur la question de la construction de l’État-Nation
dans l’Afrique contemporaine ? La religion peut-elle s’analyser tantôt comme
un facteur centrifuge, tantôt comme une force d’intégration nationale ? Quels
sont le poids et le rôle des différentes communautés religieuses, leurs relations
avec le Pouvoir d’État ? coopération ? conflit ? opposition ou recours moral,
et partant, contrepoids au pouvoir politique ? neutralité ou indifférence ?
Devant la fragilité des États africains, face au choc des idéologies et à la
fièvre de prosélitysme qui s’empare aussi bien des chrétiens, des musulmans
que des marxistes-léninistes, la doctrine de l’État en Afrique ne devrait-elle
pas être une stricte laïcité, et partant le rejet de toute idéologie religieuse
ou philosophique officielle ? Ou bien reconnaissant que l’Africain est «fon¬
cièrement religieux, croyant», l’État ne devrait-il pas assumer le fait religieux
en prenant en charge la Religion comme un service pubüc au même titre
que la santé, l’éducation, comme un besoin fondamental de l’homme négro-
africain ? Il faudrait dès lors assister matériellement et financièrement, de
manière égale, les différentes communautés confessionnelles. Ne vaudrait-il
pas mieux reconnaître et garantir à chaque citoyen, la liberté de pensée,
de croyance, et de pratique de la religion de son choix, en évitant tout con¬
fessionnalisme, tout constantinisme religieux ou athée ? : ni religion d’État,
ni athéisme d’État. L’État laïc, c’est-à-dire celui qui «n’est ni religieux, ni
irreligieux, mais areligieux» n’est-il pas la formule qui s’impose en Afrique
et qui soit en mesure de structurer, de manière harmonieuse, dans le respect
des droits de l’homme, les rapports entre Politique et Religion dans la pro¬
blématique de l’intégration nationale et du développement ? Une telle dis¬
tinction entre Politique et Religion ne permettra-t-elle pas à l’Africain de sauve¬
garder et de développer pleinement une dimension essentielle de la civilisation
négro-africaine : la spiritualité dans le respect de la diversité culturelle ?
'
CHAPITRE I
1. «Islam in Tropical Africa» - Studies presented and discussed at the Vth International
African Seminar, Ahmadu Bello University, Zaria, janvier 1964, Oxford University Press,
1966
2. Journal <iLa Croix du Dahomey» du 25 décembre 1969, p. 6, et Afrique Nouvelle du
5 au 11 février 1970, p. 13, et Annuaire statistique de l’Église, 1974.
Section I
Sous ces réserves, il ressort des statistiques que «l’animisme» demeure la reli¬
gion professée, en tout cas pratiquée par la majorité des Africains. Le Burundi,
que la revue Pro Mundi Vita5 quaüfie de pays le plus christianisé de l’Afrique,
abrite, encore plus de 35 % «d’animistes», 45 % selon Jeune Afrique6.
La RépubÜque de Guinée compte 66,5 % de musulmans contre 30 % «d’ani¬
mistes» de même que le Mali. On a tendance, lorsqu’on parle des religions en
Afrique, à ne retenir que les religions importées, l’Islam et le Christianisme, qui
6. D’après Jeune Afrique, numéro spécial annuel, Afrique 1969, la population du Burundi
estimée à 3 400 000 habitants, comprend 1 600 000 catholiques, 112 000 protestants,
25 000 musulmans, 45 % d’animistes. Tandis que selon la revue des Étudiants catholiques
africains en France (Tam-Tam, janjuin 1968), en 1963 le Burundi, sur une population de
2 654 683 hab. comptait 1 599 742 catholiques contre 828 238 animistes.
20 La religion dans les sociétés africaines
I - Catholique
Burundi 3 400 000 Michel Michombero
Congo-Brazzaville 1 000 000 Marion Ngouabi
Congo-Kinshasa 15 000 000 Joseph Mobutu
Côte d’ivoire 3 500 000 Félix Houphouët-Boigny
Dahomey 2 200 000 Émile Derhn Zinsou
Guinée équatoriale 250 000 Fransisco Macias Nguema
Lesotho 800 000 Mosnoeshoe II
Madagascar 6 000 000 Philibert Tsiranana
Rép. Centrafricaine 2 038 000 Jean Bedel Bokossa
Rwanda 3 210 000 Grégoire Kayibanda
Sénégal 3 500 000 Léopold Sédar Senghor
Tanzanie 10 000 000 Julius Nyerere
II - Chrétienne
non Catholique
Botswana 542 000 Se te tse Xhama
Tchad 2 730 000 François Tombalbaye
Éthiopie 20 000 000 Haïlé Selassie I
Ghana 7 000 000 Dr Busia
Kenya 9 376 000 Jomo Kenyatta
Libéria 1 499 999 William Tubman
Malawi 4 200 000 Hastings Kahazu Banda
Nigéria 40 000 000 Yakubu Gowon
Rép. Sud. Afric. 18 298 000 Jim Fouché
Togo 1 500 000 Étienne Eyadema
Zambie 3 545 000 Kenneth Kaunda
III - Musulmane
Algérie 12 000 000 Houari Boumedienne
Haute-Vol ta 5 000 000 Sangoule Lamizana
Cameroun 4 500 000 Ahmadou Ahidjo
Guinée 3 000 000 Sekou Toure
Libye 1 564 000 Idris El Senussi
Mali 4 500 000 Moussa Traoré
Maroc 12 000 000 Hassan II
Mauritanie 800 000 Moktar Ould Dadda
Niger 3 000 000 Hamani Diori
RA.U. 31 800 000 Gamal Abdel Nasser
Somalie 2 500 000 Abdi R. Ah Shimarke
Soudan 12 500 000 Aboubakar Awadalian
Tunisie 4 500 000 Habib Bourguiba
IV-Animiste
Gabon 500 000 Albert Bongo
Ngwane 389 492 Sobhuza II
V - Hindoue
Ile Maurice 750 000 Seewoosagra Ramgoolam
22 La religion dans les sociétés africaines
9. Franz Cumont, Membre de l’Institut : «Lux Perpétua», Librairie orientale Paul Geuth-
mer, Paris, 1949.
10. A. Hampaté Bà - ib., pp. 95-96 (passim).
11. a)E. Damman, Les religions de l’Afrique, Payot, Paris, 1964.
b) Les religions africaines traditionnelles, Rencontres internationales de Bouake, 1962,
Ed. du Seuil, Paris, 1965. _ .. ,
c) Les religions africaines comme source de valeurs de civilisation, Colloque de Coto-
nou. Présence Africaine, Paris, 1972.
à) Religion et développement. Traditions africaines et catéchisés, par R.P.H., Mauner,
Esprit et Mission, Marne, 1965.
e) H. Deschamps, Les religions de l’Afrique,Y Xi .F., 1958.
12. A. Hampaté Bà, ib., pp. 3442 (passim).
24 La religion dans les sociétés africaines
C’est ainsi que les missionnaires prirent pour Dieu, Nzame,l’ancétre mythi¬
que des peuples du bassin de l’Ogooué. Se référant aux travaux de RP. Trilles
sur les Fang, «Le totétisme chez les Fang», P. Alexandre et P. Binet écrivent :
«Il faut souligner que Nzame n’est pas le Dieu créateur mais bien l’ancêtre-
géniteur, c’est à lui que remontent toutes les généalogies. Or toutes les missions
chrétiennes ont pris son nom pour traduire la notion de Dieu. L’erreur s’expli¬
que : le nom de Mebeghe était rarement prononcé, alors que celui de Nzame
revenait dans toutes les conversations». Mais la question est loin d’être tran¬
chée car on peut se demander si ces deux éminents chercheurs n’ont pas eux-
mêmes substitué un mot à un autre,et si le vocable Nzame n’évoque pas davan¬
tage le Dieu des chrétiens ou Allah que celui de Mebeghe.
Dans bon nombre de pays africains, s’est constituée,depuis une vingtaine
d’années, une classe d’informateurs professionnels prêts à assister les cher¬
cheurs étrangers en mission sur le terrain. Parlant plus ou moins bien l’anglais
ou le français, ces professionnels de l’information sur les traditions orales afri¬
caines ont élaboré et affiné leur système d’explication. Au Dahomey par exem¬
ple, plus d’un n’hésite pas à reconstituer le mystère de la Sainte Trinité dans la
religion africaine traditionnelle. La prudence s’impose donc et le chercheur doit
demeurer vigilant et procéder à des recoupements en replaçant les informations
recueillies dans leur contexte culturel réel. Sous le bénéfice des réserves ci-
dessus, nous emploierons le vocable de Dieu pour désigner l’Etre suprême que
reconnaît la tradition religieuse africaine.
Dieu est assisté d’esprits ou dieux secondaires : «créés avant les hommes, ils
sont supérieurs aux hommes,ils sont invisibles, doués de pouvoirs que les hom¬
mes n’ont pas, ils peuvent leur venir en aide ou au contraire leur nuire»15. Par
ailleurs, les ancêtres constituent des intermédiaires entre l’homme et Dieu.
L’Africain croît à la transcendance et, en même temps, à l’immanence de
Dieu et à la présence divine en tout être et en toute chose. Il en résulte que
l’homme doit se montrer juste et moral dans sa vie, dans ses relations sociales,
par respect pour Dieu présent partout et en tous, sous la forme de l’âme ou de
la force vitale16.
Selon les croyances africaines qui apparaissent anthropomorphiques l’hom¬
me est proche des dieux et participe du divin, aussi est-il magnifié à sa mort ;
à son tour, il devient esprit, son souffle vital ou âme, est capable de se réincar¬
ner dans un autre corps, c’est le terme de l’évolution de l’homme. Il peut
intercéder pour les vivants. La mort n’est que le passage du monde visible à
l’univers divin, invisible, celui de Dieu et des dieux, royaume des morts aux
yeux de l’humain mais vivant une vie éternelle. Aussi la religion africaine se
caractérise-t-elle surtout par des cultes et cérémonies en l’honneur des an¬
cêtres et de différentes divinités plus accessibles à l’homme que l’Etre suprême
qui se désintéresse de ce qui se passe sur terre, tel le Zeus de l’Ilhade.Le culte
des morts provient de la croyance en un au-delà, à la survivance, voire à la
réincarnation des morts17. Ainsi s’expliquent les rites de passage qui mar¬
quent les usages funéraires et les sommes considérables dépensées — certains
sociologues et économistes disent volontiers gaspillées - de nos jours encore,
lors des décès. Pour l'observateur quelque peu averti, le culte des morts n’est
pas l’apanage de l’Afrique noire. En effet, Fustel de Coulanges, dans la Cité
Antique, souligne l’importance du culte des morts chez les peuples indo-
européens, «les Aryens, écrit-il, croyaient à la survivance vague et indécise
de l’être humain, invisible mais non immatériel, et réclamant des mortels une
nourriture et des breuvages»18.
La littérature classique, sous la plume d’Horace, de Virgile, de Cicéron,
Tertullien, d’Ovide ou de Sénèque, nous a laissé d’admirables pages sur les
cérémonies funéraires en Grèce et à Rome. Et l’on sait que l’Egypte et l’Asie
partageaient les mêmes croyances en la survivance de l’homme après sa mort.
Ce sentiment anime la plupart des hommes, voire ceux qui doutent de tout, car
«l’instinct primordial de la conservation veut prolonger notre vie au-delà du
terme fixé par la nature et c’est mutiler l’homme que de prétendre l’anéantir
en lui. L’amour que nous portons à des êtres chéris se résigne difficilement
à une séparation définitive»19. Par ailleurs, comme le note encore avec justesse
Franz Cumont : «Si l’on interrogeait les foules qui viennent fleurir la tombe
du soldat inconnu ou y ranimer la flamme, et qui font revivre ainsi, sans s’en
douter, le culte antique des héros, les réponses obtenues varieraient sans doute
à l’infini. Les gestes consacrés, que l’on reproduit aux funérailles ou dans les
cimetières ne sont plus, pour les esprits éclairés, qu’un moyen de manifester
pieusement par des signes extérieurs leurs sentiments intimes et de marquer
la durée de leurs regrets et de leurs souvenirs. Mais le commun des hommes ne
peut se défendre de l’idée ingénue que sous la pierre scellée ou le tertre ga-
zonné, la dépouille qui est l’objet de sa sollicitude y reste sensible de quelque
façon mystérieuse». Pour l’Africain, l’âme ou l’énergie vitale est immortelle ;
il estime comme les Pythagoriciens, ou Platon dans le Phédon, que «l’âme
est de la même essence divine que les dieux sidéraux, et étant comme eux
principe de son propre mouvement, elle participe de leur immortalité».
Aussi s’attache-t-il à honorer les morts, à les prier plutôt qu’à prier pour
eux ; les morts interviennent directement dans le monde des mortels qu’ils
peuvent guider, aider. En cas de maladie ou de difficultés, on prie, on con¬
sulte par les techniques de divination, ses ancêtres ou ses parents décédés.
Périodiquement, on leur offre de grandes libations.
En tout état de cause, le culte des morts, pratiqué sous diverses formes, se
révèle comme l’un des traits communs à tous les «animistes». C’est la princi¬
pale pratique religieuse de beaucoup d’Africains. C’est un culte familial, par¬
fois ethnique. Aussi, dans les sociétés de la côte du Bénin, lorsque l’épouse
d’un quidam vient à passer de vie à trépas, si elle n’appartient pas au même
groupe familial original ou à la même ethnie que son mari, force est de suivre
pour ses obsèques et les cérémonies le rituel de sa propre famille ou ethnie.
Le mariage n \opère pas une assimilation totale de la femme au monde culturel
de son époux. Par ailleurs, certaines monarchies précoloniales, telles que celle
du Borgou, du Dan-Homey ou du Burundi ont élevé le culte des ancêtres au
rang de religion dynastique, voire une forme de religion d’État. Qu’il se situe
dans le cadre familial, ethnique ou étatique, le culte des morts consiste géné¬
ralement, en-dehors de rites de passage obligatoirement accomplis au moment
des funérailles, en des cérémonies ou offrandes périodiques pour être agréable
aux défunts et obtenir leur protection. Ces cérémonies, à l’occasion des décès
ou à la mémoire des défunts, donnent lieu à de grands rassemblements de
populations. Elles peuvent servir d’une part de prétexte à des opérations
politiques, d’autre part, considérées dans l’optique du décollage économique
des États africains, ces cérémonies qui mobilisent les énergies et voient brûler
en quelques jours des fortunes, incitent à la réflexion et ont déjà provoqué
dans quelques États l’intervention du législateur.
Cumulativement à ces croyances et pratiques religieuses de base, beaucoup
d’Africains embrassent des religions formées par le culte d’une divinité parti¬
culière, tel que le culte du dieu-tonnerre, du dieu-variole, etc., d’une manière
générale des forces telluriques, des génies et héros mythiques, notamment les
ancêtres, les enfants morts-nés, les jumeaux et les monstres, des animaux, etc.
Ce sont ces divinités ou leurs représentations que les Portugais ont baptisé
d’un terme en vogue dans leur propre civilisation «fétiche». Le mot «feitico»
désigne en portugais ce qui est artificiel, factice en même temps porte-bonheur;
mot mis en vogue par l’ouvrage de Charles de Brosse, en 1760, sur le culte des
Dieux fétiches. Les différents êtres et phénomènes telluriques ne sont pas
adorés pour eux-mêmes, comme des êtres vivants. C’est l’esprit qui emprunte
leur corps ou leur forme comme un réceptacle qu’on honore et adore. «Les
Noirs ne rendent nullement un culte à la matière, à la foudre, aux serpents,
aux statuettes, etc. ; mais ils adressent leurs hommages aux esprits, génies
ou saints, qui, d’après eux, établissent leur séjour dans divers objets ou dans
le corps de quelques animaux». En cas de sacrilège, l’esprit ou la divinité
quitte son réceptacle ; de même les vodù désertent toute habitation ou tout
enclos où se produit un décès. Tant que les cérémonies funéraires ne sont pas
terminées — la maison est, dit-on, ouverte, sans protection - les esprits et
divinités se tiennent à l’écart. Aussi, comme il nous a été donné de le vivre
plus d’une fois chez les Fons, doit-on purifier, laver, - é non kplo hué - la
maison ou l’autel profané. De même, lorsqu’un chef de famille meurt, ses vodù
et son fà disparaissent avec lui, et les objets dans lesquels ils s’incarnaient,
parce que vidés de l’esprit divin, deviennent stériles, inutiles ; on les détruit...
C’est donc, comme l’a si bien dit M. Ferdinand Lafargue, par «une interpréta¬
tion un peu rapide que l’on a parlé d’animisme en entendant qu on prêtait une
âme aux choses : cela n’est pas exact ; les choses sont comme un réceptacle où
les êtres supérieurs viennent habiter ou bien où ils aiment à venir. Lorsqu’on
honore ces choses, ce n’est donc pas la chose elle-même qu’on honore, mais
l’être en question est honoré ou adoré» .
En dehors de l’Etre suprême qui n’est l’objet d’aucun culte «Il n’est l’objet
d’aucun culte, écrit J. Teilhard de Chardin, les Noirs laissent l’Etre suprême
dans un outrageant oubli»22, et au-dessous de lui, se situent donc des divinités
diverses et multiples. Ces divinités sont appelées chez les Adja-Fon, et les
Yoruba, cultures que nous connaissons le mieux et que nous vivons : Vodù ou
Orisha. Pour une étude plus approfondie du Vodù, nous recommandons l’inté¬
ressant et.sérieux travail de B. Adoukonou «Pour une problématique anthro-
23. Adokonou B. : in La Mort dans la vie africaine, Présence Africaine, Unesco Paris
1979, pp. 206 et s.
Religion, Culture et Politique 29
«l’épouse» ou «le cheval» d’une divinité. Mais il est toute sa vie lié par l’obliga¬
tion du secret24 quand bien même, comme il advient, il se convertit à une reli¬
gion importée, le Christianisme ou l’Islam. Il y a des élus, en quelque sorte
prédestinés, eux seuls pourront être consacrés aux dieux et être possédés par
eux, entrer en contact direct, en communion avec le divin. Ils parlent alors une
langue spéciale apprise en un temps record dans les couvents ; et que seuls les
initiés sont censés bien comprendre. Les non-initiés pour s’entretenir avec
les vodusi sont obligés de s’adapter à leur système de communication. Seuls ceux
qui ont pactisé avec les dieux, qui leur sont voués, subissent l’autorité directe
des chefs religieux qui deviennent pour ainsi dire leurs maîtres à penser, voire
leurs directeurs de conscience. De la sorte, les autorités religieuses disposent
d’une clientèle électorale aisément manipulable et monnayable auprès des poli¬
ticiens en quête d’électeurs. Seules les personnes consacrées aux divinités sont
tenues à la fidélité aux dieux ; elles ne peuvent, sous peine de sanctions fatales,
apostasier. Elles restent vouées aux dieux jusqu’à la mort ; c’est seulement lors
de leurs obsèques que l’on les délivre de la divinité ; elles sont alors déüées de
tous les liens avec les dieux, devenant pour certaines, grâce à un rituel, partie
du milieu divin.
Sur le plan métaphysique, il s’agit de religions ou de cultes essentiellement
à base de mystère, comme le chantent les Nessouhoué à Abomey (Dahomey) :
«Vous cherchez, par curiosité, à saisir l’origine et le fond du «Hun» ; c’est-à-
dire du divin ; vous voulez percer le secret, le mystère, il vous faut attendre la
fin du monde». Ainsi que faisait observer le RP. Chautard «leur fétichisme est
plus spiritualiste qu ’on ne pense...» 25. Par ailleurs, les sacrifices et les offrandes
tiennent une grande place dans les religions africaines, comme dans la Grèce
antique. On immole des bœufs, des moutons et des poulets au Shango ou
Dongo, dieu-tonnerre de même que Socrate rappelait, dans le Criton, sa pro¬
messe d’offrir un coq à Esculape. Les cérémonies et sacrifices — acte social par
nature — s’exprimant par l’exaltation et la participation de tous lorsqu’ils ont
heu annuellement ou épisodiquement, revêtent une importance particulière et
donnent heu à de grands rassemblements de populations, circonstances que les
politiciens de l’Afrique moderne savent bien exploiter, avec la complaisance,
voire la complicité, des chefs religieux. Mais on remarquera que ces différents
cultes ne relèvent pas d’un clergé, d’une Église au sens chrétien, mais d’un
collège de prêtres, ou de dépositaires et conservateurs des secrets et du rituel.
Aussi rencontre-t-on souvent, dans un même village, dans une même ville,
plusieurs groupements se réclamant d’une même divinité telle que «tchankpa-
nan» (chez les Yoruba) ou «Sakpata» (chez les Fon), dieu de la variole, avec
leurs chefs distincts parfois rivaux. Il n ’existe pas, au niveau d’un État, un chef
suprême à l’instar des communautés chrétiennes ou même islamiques avec des
Imams officiels. «L \animisme» sous ses différentes expressions ne se présente
pas comme une force organisée, structurée. C’est au lendemain des indépen-
Section 2
26.Vincent Monteil, L’Islam Noir, Editions du Seuil, Paris, 1964, p. 49 ; 3e éd. 1980.
Religion, Culture et Politique 33
prière rituelle (cinq fois par jour), du jeûne annuel du Ramadan, l’aumône
légale, et lorsqu’«on est en état de le faire», une fois dans sa vie, le pèlerinage
de la Mecque. Voilà qui diffère sensiblement du dogme chrétien, notamment
du mystère de la Trinité et de lTncamation, et des multiples interdits avec
le poids démesuré du concept du péché dans la vie religieuse, autant d’éléments
qui relèguent au second rang, l’essentiel, c’est-à-dire, la foi, la croyance en
Dieu. Sous sa forme occidentaüsée, le message chrétien pénètre difficilement
en Afrique. L’Islam, quant à lui, s’adapte plus facilement, contrairement au
Christianisme multiforme et divisé, individualiste. Alors que le message évangé¬
lique a besoin d’être prêché par un corps de spécialistes, l’Islam, lui, est diffusé
par tout musulman, où qu’il soit, quelle que soit sa formation intellectuelle
ou profession ; en principe, il n’y a pas et il ne doit pas y avoir de clergé en
Islam. Il y a des Imams ou prieurs. On peut difficilement parler de théologiens
musulmans. Il n’existe pas une hiérarchie qui édite ou interprète la loi et le
Coran. Sans doute peut-on citer diverses catégories d’hommes qui font auto¬
rité dans le domaine religieux, tels que les qadhi-s (juges), les muphti-s (juris¬
consultes),les LTlama (savants), les fouqaha (légistes ou spécialistes des sciences
de la religion), les ayatollah (témoins de Dieu) mais l’Islam ne connaît aucune
structure, aucune autorité ou hiérarchie qui ressemble à la Papauté. Le musul¬
man prêche d’exemple ; et le commerçant diola propage sa nouvelle foi à
travers le bassin du fleuve Niger, au gré des caravansérails. C’est que l’Islam
ne déracine pas, et qu’il respecte l’homme africain, ne lui demande pas un
reniement de soi : une véritable metanoia, et qu’il épouse plus facilement
les mœurs africaines, du moins les supporte. Le Christianisme, lui, investit
l’identité culturelle de l’Africain et oblige ce dernier à se dépersonnaliser. Il
est devenu classique de citer comme un des obstacles majeurs à l’évangéli¬
sation de l’Afrique la polygamie. D’aucuns pensent qu’il s’agit d’un thème
éculé, à reléguer dans les oubliettes, tel n’est pas notre avis. La polygamie
est un fait de civilisation qu’on ne saurait abolir par simple décret gouverne¬
mental ou ecclésial. En tout cas, comme on le verra plus loin,le Christianisme
en imposant aux Africains de renoncer à la polygamie, et partant, à leurs
structures familiales traditionnelles, ferme ses portes à beaucpoup d’appelés.
Il en est également ainsi de ses exigences en ce qui concerne les coutumes et
pratiques magiques et funéraires, l’excision et les rites d’initiation, le culte
des ancêtres, condamnés et répudiés comme des pratiques païennes et sata¬
niques, sans qu’on prenne en considération leur charge culturelle. Il n’est pas
excessif de dire, alors que pour être chrétien, il paraît indispensable de devenir
blanc ou européen, qu’on se fait musulman tout en demeurant enraciné dans
sa culture, même si la langue de prière est une langue étrangère, «ésotérique» :
l’arabe. Mais l’existence d’un «Islam Noir», pour reprendre l’expression de
Vincent Monteil, ne devrait pas présenter l’Islam comme inoffensif, sans
aucun effet corrosif sur les cultures africaines. Sans doute, au XIe siècle,
les Almoravides, dans un premier temps, se montrèrent-ils tolérants envers
les nègres du Tekrour qu’ils convertirent par la force des armes et qu’ils en¬
rôlèrent dans leurs troupes, mais on ne saurait oublier qu’une fois devenus
maîtres du Maghreb, ils devinrent plus intransigeants en restaurant 1 ortho¬
doxie religieuse. De même, Soundjata Keita, Dan Fodio,El Hadj Omar, Samory
Touré, en répandant l’Islam par la force des armes, imposèrent 1 abolition et la
disparition totale de pratiques «animistes et païennes», interdisant la consom-
34 La religion dans les sociétés africaines
27. Y. Person. Samory, Une révolution Duyla, IF AN, Dakar, 1968, pp. 810 et s.
28. D.D. Barret, Schism and Reneval in Modem Africa, Oxford University, Paris, 1968.
29. «Religions en Afrique», Présen ce Africaine, 2e Congrès des écrivains et artistes noirs.
Religion, Culture et Politique 35
30. En 1976 (Annuaire de l’Église catholique), voici quelle était la situation religieuse au
Zaïre : i) Catholiques : 49,9 % de la population (12 millions 475.000 sur une population
de 25 millions d’habitants) ; ii) Protestants : 24 % ; iii) Kimbanguistes : 10 % ; iv) Animis¬
tes et autres : 6,10 %. La situation de l’Église catholique au Zaïre se présentait comme suit,
en 1979 : 47 diocèses ; 51 évêques dont 44 zaïrois ; 706 prêtres sécuüers ; 924 grands sé¬
minaristes ; 1800 prêtres religieux (en 1978) dont 85 zaïrois seulement ; 836 pères dont
425 zaïrois ; 83 scholastiques et novices ; 155 congrégations religieuses, 4220 religieuses
dont 2124 zaïroises ; 228 novices et 238 postulantes zaïroises. L’influence sociale de
l’Église catholique demeure très forte au Zaïre ; l’Église contrôle en fait toutes les œuvres
sociales, et dirige encore l’enseignement à 68 % pour le premier cycle, à 45 % dans le se¬
condaire, en février 1977, l’État ayant rétrocédé à l’Église la gestion des écoles, tout en en
conservant la propriété.
31. Maria Isaura Pereira de Queiroz : Réforme et révolution dans les sociétés traditionnel¬
les, Histoire et ethnologie des mouvements messianiques, Préface de R. Bastide, Éditions
Anthropos, Paris, 196 8, p. 7.
32.Ibidem, p. 353.
33. On lira avec intérêt le petit et bon livre de MJ.C. Frolich,Nouveaux dieux d Afrique,
Prismes Orante 1969, ainsi que les ouvrages de M. Georges Balandier -.Sociologie actuelle
de l’Afrique, Sens et Puissance, PUF, Paris. Et de Martial Srnda, Messianismes noirs : Le
Kibanguisme, Payot, Paris, 1972.
36 La religion dans les sociétés africaines
35.P. Bastid : Cours de Droit constitutionnel, DES, Droit public et science politique,
1961-1962,p.5.
38 La religion dans les sociétés africaines
Les États africains ont adopté deux de ces trois formules, les uns,
et ils sont peu nombreux, se réclament d’une religion d’État, tandis que les
autres, qui constituent la grande majorité, défendent la laïcité de l’État, du
reste très nuancée dans son expression. Les textes cités ci-dessous datent de
1960-1965 ; beaucoup d’Etats vivent sans constitution mais, dans la pratique,
s’inspirent de l’esprit des premières constitutions élaborées lors des indépen¬
dances ou après les premiers coups d’État : 1963-1965. Les principales nova¬
tions en matière religieuse sont signalées en note.
CHAPITRE II
l’État, pour les élèves de foi musulmane. L’enseignement du Coran dans les
écoles primaires et secondaires gouvernementales est, pour les musulmans,
un élément fondamental de l’instruction...».
Comme l’écrit Arnaldo Bertola2 : «Par certaines de ses dispositions, la
constitution de la Somalie donne à la société, dont elle définit le cadre légal,
une des formes les plus typiques d’État musulman étroitement confessionnel
que l’on puisse rencontrer actuellement». Il n’en demeure pas moins que la
Mauritanie et la Somalie se réclament des principes démocratiques et de la
déclaration Universelle des droits de l’Homme (Art. 7 de la Constitution) et
reconnaissent la liberté de religion : Art. 29 de la Constitution somalienne :
«Toute personne a droit à la liberté de conscience, à la liberté de professer
sa religion, d’exercer et d’enseigner un culte, sauf les limitations qui pour¬
raient être établies par la loi dans le seul but de protéger les bonnes mœurs,
l’hygiène et l’ordre public». La constitution de la République Islamique de
Mauritanie dispose en son article 2, alinéa 2 : «La République garantit à
chacun la liberté de conscience et le droit de pratiquer sa religion sous les
réserves imposées par la moralité et l’ordre public».
Après le coup d’État du 21 octobre 1969,1a Somalie fut proclamée «Répu¬
blique Démocratique de Somalie», et la Constitution suspendue, le pouvoir
étant exercé par le Conseil Suprême de la Révolution. Le pays vit sous un
régime «révolutionnaire». Par referendum, le Peuple Somah a approuvé en
août 1979, une nouvelle constitution3. Celle-ci dispose d’une part que, «la
République Démocratique est un État socialiste», dirigé par le prolétariat
(art. 1er), d’autre part que «l’Islam est la religion d’État» (art. 3 al. 1). Elle
reconnaît en son article 6 que tous les citoyens sont égaux quant aux droits
et devoirs, devant la loi, sans distinction de sexe, de religion ou de langue.
En outre, aux termes de l’art. 31 «Toute personne est libre de professer toute
religion, croyance ou idéologie».
La République Démocratique de Somalie entend fonder son développe¬
ment national, social et économique sur l’Islam et la Révolution Socialiste.
D’importantes et nombreuses dispositions de la Constitution montrent l’orien¬
tation socialiste de la Somalie ; l’instrument, le principal agent du socialisme
somah qui ne se réclame pas du SociaÜsme Scientifique, est «Le Parti Révo¬
lutionnaire Socialiste de la Somalie», seul parti légal, aucun autre parti ou
organisation poütique ne pouvant se constituer (art. 7). Il reste à savoir si le
socialisme somah s’inspire de l’Islam, religion d’État. Il s’agit d’un sociahsme
qui se veut original, fortement marqué par le nationahsme. L’Islam apparaît
comme un catalyseur, l’atmosphère dans laquelle baigne et évolue la Somalie.
Aux termes de l’art. 73 les députés et le Président de la République, avant leur
entrée en fonction, prêtent serment «au nom de Dieu : In the name of God and
country I swear that I shall faithfully, selflessly and with full confidence serve
the Somah people, implement the principles of the Révolution of 21st October,
1969, abide the Constitution and laws of the country, carry out the socialist
principles...».
Aux termes de la Constitution du 1er octobre 1978, les Comores consti-
tuent une République fédérale islamique. L’État se fonde sur l’Islam qui
1 inspire et le structure. Ainsi dispose le préambule de la Constitution : «Le
Peuple Comorien proclame solennellement sa volonté de puiser dans l’Islam,
religion d’État, l’inspiration permanente des principes et des règles qui régissent
1 État et ses institutions...». Aux termes de l’article 42, «la justice est rendue
sur tout le territoire de la République au nom de Dieu». Si l’Islam est proclamé
religion d État, il n’est pas Punique religion dans l’État ; il n’est pas exclusif
puisque la constitution reconnaît et garantit la liberté de croyance et de pra¬
tique de la religion : «Il (le Peuple Comorien) proclame et garantit... — l’égalité
de tous les citoyens en droits et en devoirs sans distinction de sexe, d’origine,
de race, de religion ou de croyance ; — les libertés de pensée, de conscience
et de pratique de la religion sous les seules réserves du respect de la morale et
de l’ordre public...». Enfin la Constitution interdit toute discrimination fondée
sur la religion ; Art. 3 : «Dans le respect des particularités propres à chaque
île, l’égalité des citoyens est assurée devant la loi sans distinction d’origine,
de race, de religion ou de croyance». Le fait que la Mauritanie, la Somalie
et les Comores proclament l’Islam comme religion d’État s’explique par le souci
du constituant de refléter la réalité socio-culturelle de ces trois États. Leurs
populations sont quasiment islamisées et paraissent profondément marquées
par l’empreinte arabe. Dans ces conditions, doit-on considérer les dispositions
constitutionnelles relatives à la liberté de culte comme un simple hommage à
la démocratie ou bien comme l’expression d’une volonté réelle d’assurer la
liberté et Légalité de religion telles qu’elles sont reconnues et pratiquées dans
les autres États africains ? Nous pensons que la religion d’État doit s’analyser
ici non comme une religion exclusive mais la religion de la majorité de la popu¬
lation, et partant priviligiée. Il n’y a donc pas en la matière un simple mimé¬
tisme institutionnel ; les textes reflètent et traduisent la réaüté sociologique de
sociétés dans lesquelles domine très largement une religion, en l’occurrence
l’Islam.
Il en est autrement dans les autres États africains.
CHAPITRE III
Section I
Section II
religion. Elle respecte toutes les croyances...». Mais il serait artificiel d’y voir
une volonté de radicalisation par opposition à la République Malgache qui a
préféré le terme de neutralité, traduisant une certaine modération. Les États
anglophones, eux, n’ont pas puisé dans l’arsenal juridique britannique, sinon
ils auraient dû, à l’instar de l’Angleterre, instituer une église d’État semblable
à l’église anglicane, avec le président de la République comme chef, tout en
assurant la liberté aux autres cultes. Les formules adoptées par le Nigéria, la
Sierra Leone et le Libéria traduisent la même option, la séparation des églises
et de l’État.
En Afrique noire, la laïcité de l’État s’analyse en terme de neutralité de
l’État3. Elle s’entend comme une neutralité vis-à-vis des religions et non comme
un indifférentisme spirituel.
L AFRIQUE SPIRITUALISTE
Section I
L APPEL A DIEU
Les États africains reconnaissent le fait religieux comme l’une des marques
spécifiques de leurs sociétés, et l’assument dans leurs institutions. Ils recon¬
naissent l’existence de Dieu. Au Burundi, la devise du royaume était : «Dieu,
le Roi et le Burundi». En outre, les Chefs d’État prêtent serment devant Dieu :
Constitution du Royaume du Burundi (octobre 1962) : «... affirmant notre
croyance en Dieu et notre conviction de l’éminente dignité de la personne
humaine...». Au Rwanda, on lit : «L’Assemblée nationale confiante en la
toute-puissance de Dieu...», de même que la convention française, par le décret du
18 floréal instituant le culte de l’Etre suprême a déclaré : «Le Peuple français re¬
connaît l’existence de l’Etre suprême et l’immortalité de l’âme» de même le Libé¬
ria stipule dans le préambule de sa constitution : «... Par conséquent, nous,
peuple de la communauté du Libéria, en Afrique, reconnaissant avec pieuse
gratitude la bonté de Dieu qui nous a accordé les bénédictions de la religion
chrétienne et les übertés politiques, religieuse et civile...». Quant à h Répu¬
blique Malgache, le préambule de sa constitution affirme «sa croyance en Dieu
et sa conviction de l’éminente dignité de la personne humaine...». On lit
également dans le préambule de la constitution du Gabon, en date du 21 février
1961 • «Le peuple gabonais, conscient de sa responsabilité devant Dieu...».
Par ailleurs, dans certains États qui proclament le principe de la laïcité de
l’État, les formules de prestation de serment des Chefs de l’État avant leur
entrée en fonction se trouvent ainsi libellées : Sénégal - art. 31. «... En pré¬
sence de Dieu et devant la Nation sénégalaise...». Au Cameroun,le serment ou
déclaration d’allégeance du président de la République se termine par ces mots
«Que Dieu me vienne en aide». Au Togo, le président de la République prete
le serment suivant (art. 24 de la Constitution) : «Je jure solennellement devant
Dieu et devant le peuple togolais...». Aux termes de l’article 29 de la Constitu¬
tion dahoméenne du 11 avril 1968, avant son entrée en fonction, le president
de la République prête le serment suivant : «Devant Dieu et devant les an¬
cêtres devant les hommes et devant le peuple dahoméen, seul détenteur de la
souveraineté nationale...». Le président de la République Malgache prete ser¬
ment dans des termes semblables (article 9, alinéa 4) : Avant son entree en
fonctions, le président de la République prêtera serment devant le Parlement
réuni spécialement en congrès à cet effet, et fera la déclaration suivante dans
les deux langues officielles : «Je jure solennellement devant Dieu, devant les
48 L :'Afrique spiritualiste
ancêtres et devant les hommes, de remplir loyalement les hautes fonctions qui
m’ont été confiées, de respecter fidèlement les règles et les principes fixés
par la constitution, de ne me laisser guider que par l’intérêt général et de
consacrer toutes mes forces à la recherche et à la protection du bien public».
Ces dispositions constitutionnelles apparaissent comme contraires à la
notion de laïcité stricto sensu qui exclut aussi bien toute référence au théisme
qu’à l’athéisme. Certes la laïcité ne signifie pas laïcisme, c’est-à-dire l’irréligion,
mais elle implique le refus d’option de l’État au plan métaphysique : l’État
n’a pas plus à se réclamer de Dieu qu’il n’a à se déclarer athée. En fait, de la
laïcité, les États africains n’ont retenu que la séparation du temporel et du
spirituel, la séparation des églises et de l’État.
«En réalité, écrit M. Gonidec, le principe de laïcité n’a pas et n’a jamais
eu, en Afrique noire, la signification qu’il a acquise en France sous la IIe Répu¬
blique et qu’il conserve encore dans une certaine mesure. Il n’implique pas la
répudiation systématique du fait religieux par l’État1. Comment expliquer ce
décalage par rapport aux institutions de type européen, notamment français ?
Faut-il l’imputer, comme le suggère M. Gonidec, à la «confusion du temporel
et du spirituel» dans l’Afrique précoloniale, et considérer la laïcité comme une
notion étrangère aux sociétés africaines, répudiée par l’Afrique contemporaine
pourtant portée par une contagion institutionnelle à transporter en Afrique les
institutions publiques européennes, ou ne faut-il y voir que l’expression du
caractère fondamentalement religieux de l’Africain qui considère la religion
comme consubstantielle à l’homme et, partant, à la société ? le facteur reli¬
gieux constituant alors le point de résistance par excellence à l’acculturation ?
Section II
1 La Religion | I La Magie |
1--
— Tend vers l’entrée dans le monde — Tend vers l’utile pour soi (faire de
sacré notamment par le sacrifice la pluie) ou le maléfice aux autres
(il est étymologiquement et en (jeter de mauvais sorts)
fait, l’acte qui «rend sacré» — Agit par action directe (imitation,
— Prie des êtres supérieurs incantation, etc.)
— Exige des fidèles et de tous les — Malgré le caractère collectif, la
fidèles une communion. magie est en général individuelle
(sorcier) ou limitée à un petit
nombre d’initiés, et alors ses opé¬
rations se font en secret.
4. Maurice Brillant in Histoire des R eligions, Ed. Blond et Gay ,1953,T.l,p. 19.
5. Extrait cité in Histoire des Religions, publié sous la direction de Maurice Brillant et
René Aigrais, Ed. Blond et Gay, p. 30.
6. G. Balandier, Anthropologie politique, PUF, 1970 ; Max Weber, The theory of social
and économie organisation, Talcett Persons, Tree Press, Glencoe III, 1957 ; Max Weber,
«Le métier et la vocation d’homme politique», Annales des Centres d'Études des religions ;
L. de Heusch Le Pouvoir et le sacré, édité par l’Institut de sociologie, Solvay, 1962 ; Roger
Caillois, L’homme et le sacré, Gallimard ; J. Maquet, Pouvoir et société en Afrique, Ha¬
chette, 1970.
7. G. Burdeau, Traité de science politique, Tome premier : Le pouvoir politique, Librairie
générale de droit et de jurisprudence, Paris, 2e édition, 1966, pp. 137 et suivantes.
Religion, Culture et Politique 51
lyses des liens entre Religion et Pouvoir : «La communauté des attributs du
pouvoir et du sacré, écrit G. Balandier, révèle le lien qui a toujours existé entre
eux, et que l’histoire a distendu sans pourtant jamais le rompre»8. Et l’auteur
de poursuivre : «La sacralité du pouvoir s’affirme aussi dans le rapport qui unit
le sujet au souverain : une vénération ou une soumission totale que la raison
ne justifie pas, une crainte de la désobéissance qui a le caractère d’une trans¬
gression sacrilège»8. Le professeur G. Burdeau estime que «La fonction poli¬
tique implique des prérogatives tellement immenses que son exercice apparaît
sans commune mesure avec les possibilités d’un chef qui ne serait qu’un hom¬
me. Par ailleurs, les conséquences qui s’y attachent sont d’une ampleur telle
qu’il ne semble pas concevable qu’elles puissent être le fruit de décisions qui ne
seraient pas inspirées par une force surnaturelle.
Si donc il est vrai que le Pouvoir est né dans les temples parce qu’aux
époques primitives la religion était le seul objet de la pensée collective, on
s’expüque que la sacralisation du Pouvoir n’ait pas été fondamentalement affec¬
tée lorsque les esprits ont découvert d’autres horizons que ceux ouverts par les
croyances religieuses. D’où ce phénomène apparemment paradoxal d’un
Pouvoir qui s’est laïcisé sans, pour autant, cesser d’être sacré»9.
Il existe incontestablement une parenté étroite voire «congénitale» entre
le fait religieux, le sacré et le pouvoir ; le pouvoir institutionnalisé le plus
laïcisé apparaît de quelque manière sacré. Mais sur le plan des structures, le
pouvoir politique et le pouvoir religieux tendent à devenir le plus souvent
autonomes. Les sociétés africaines traditionnelles ont souvent opéré cette
séparation du pouvoir politique et de l’autorité ou des autorités religieuses.
«L’Afrique indépendante renoue avec son passé lointain, elle y recherche
l’enracinement de sa personnalité moderne et parfois la suggestion de ses fron¬
tières futures», note G. Balandier dans «Afrique Ambigüe»10. Sur le plan des
relations structurelles entre l’autorité politique et les autorités religieuses, quel
enseignement peut-on tirer de l’histoire de l’Afrique telle qu’on la connaît à
présent ?
Il semble malaisé d’établir une typologie des structures pouvoir politique -
autorités religieuses ; anthropologues et historiens présentent une gamme très
variée et portant sur des réalités sociales difficilement comparables scientifi¬
quement. A cette première difficulté vient s’ajouter une autre due au fait que
des recherches nouvelles effectuées à partir des traditions orales, sur le terrain,
remettent en cause certaines idées reçues, et si répandues qu’elles apparaissent
comme des vérités d’évidence. De jeunes chercheurs africains formés dans les
universités et à des techniques d’enquêtes européennes travaillent de plus en
plus sur le terrain. Ils ont l’avantage incontestable de parler et de comprendre
la langue des populatiions qu’ils étudient. Force leur est souvent de réajuster et
d’affiner les méthodes d’enquête et de recherche. Des études sont ainsi entre
prises en vue de l’établissement de monographies sur des groupes ethniques de
plus en plus sous l’égide des universités, qu’elles soient implantées en Afrique ou
non, des Instituts ou Centres Nationaux de recherche, et pour l’Afrique Occi¬
dentale, sous l’égide du Centre Régional de documentation pour la tradition
17. G.V. Kaboré, Organisation politique traditionnelle et évolution politique des Mossi
de Ouagadougou, Paris, CNRS/Recherches Voltaïques, 1966. Colloque sur les cultures
voltaïques,Recherches Voltaïques, S, 1967.
Religion, Culture et Politique 55
d’élire ou d’introniser, voire de déposer le roi. Ainsi les Ragbenle, les Poro chez
les Temme du Sierra Leone, les Agboni chez les Yoruba contrôlaient le pouvoir
royal. Dans certains royaumes comme celui du Dan-Xomé la séparation des
pouvoirs était réelle ; mais les observateurs n’ont pas clairement perçu le fait
significatif du point de vue de la laïcité de l’État : la prééminence du pouvoir
politique sur le pouvoir religieux. En réalité, le royaume du Dan-Xomé était
pluri-ethnique, et partant diversifié sur le plan culturel : les Fon, gens du
pays ; les Yoruba qui habitaient le plateau et la région Ouémé avant l’arrivée
des Adja-Tadonou fondateurs de la dynastie royale d’Abomey, les Aïzo, les
Agonlin, etc, chacun de ces groupements ethniques ayant sa ou ses religions.
La structure étatique s’articulait comme suit : à la tête du royaume, le roi
représentait Hwegbaja, le fondateur du Dan-Xomé. A côté du roi, dans la
banlieue d’Abomey, à Hwawé, le Agasunô, grand prêtre, chargé du culte de
Agasu, l’ancêtre mytique (le Tohuio) des Alladanou-Sadonou. Par ailleurs,
le roi comme tout paterfamilias présidait aux cérémonies à la mémoire de
ses ancêtres. En fait, certains membres de la famille, les femmes, appelées
Tassinon, sont seules habilitées à réciter les litanies et prières et à offrir les
offrandes aux mânes des Ancêtres. Avec la centralisation du pouvoir, le roi
du Dahomey comme celui du Rwanda a élevé le culte de ses ancêtres au ni¬
veau d’un culte officiel, une sorte de religion d’État, au sens de religion privi¬
légiée mais non pas unique, exclusive. Mais parallèlement au culte officiel,
chacun pratiquait au sein de son ethnie ou de son groupe famiüal, d’une part
le culte des morts, d’autre part, les religions ou cultes de son choix, par exem¬
ple, le culte du Sakpata, dieu de la variole, le culte du Heviosso, dieu du ton¬
nerre. De nombreuses religions étaient ainsi professées et pratiquées. Elles aug¬
mentaient au fur et à mesure que s’agrandissait le royaume car les rois du
Dahomey avaient pour politique de ramener à Abomey les dieux tutélaires des
populations conquises. Ainsi se développait la puissance du roi et du royaume.
Etant donné la multiplicité des cultes, et pour surveiller les chefs religieux y
compris ceux chargés des divinités de la famille royale, le roi institua un mi¬
nistre des cultes : Adjaho. Il devait connaître et contrôler toutes les autorités
religieuses du pays. Il n’y avait donc pas confusion du religieux et du poli¬
tique mais séparation nette ; les autorités religieuses étant soumises au pou¬
voir de police du roi, ne devant en aucun cas s’immiscer dans les affaires
temporelles18. Barthélémy Adoukonou, dans son excellente étude sur le
«Ciodohun»19 cite un exemple célèbre dans l’histoire du royaume d Abomey,
où un chef religieux de grande renommée fut décapité, son couvent razzié
d’ordre du roi, pour avoir, fort de son pouvoir magique, voulu se rebeller
contre l’autorité royale.
La distinction des autorités religieuses et des autorités politiques se retrou¬
vait également dans les populations islamisées. Sans doute chez les Toucouleurs
du Sénégal, de Guinée et du Cameroun, dans l’Empire peul du Macina
et dans le Sokoto, le Gouvernement revêtait-il la forme théocratique. Encore
convient-il de relever que, sauf l’exemple d’El hadj Omar, la théocratie n a été
qu’épisodique, éphémère même dans les États ou Empires musulmans d Afri¬
que. En effet, si en l’état actuel de nos connaissances, il paraît difficile d affir-
18. M. A. Glélé, «Le Dan-Xomé, du Pouvoir Adja à la Nation Fon», Ed. Nubia, Paris, 1975
pp. 78-84.
19. B. Adoulonou,in La Mort dans la vie africaine, «Ciodohun»,Unesco,Presence Afri¬
caine, Paris, 1979.
56 L 'Afrique spiritualiste
mer que l’Islam était au Mali, à Gao, religion d’État ; on peut en revanche sou¬
tenir qu’il y a eu coexistence entre la Religion traditionnelle et l’Islam. Si les
empereurs, longtemps demeurés «animistes» et fidèles à la religion ancestrale,
finirent parfoisi par professer l’Islam, encore ne s’agissait-il le plus souvent que
d’un Islam de Cour, politique et artificiel, les populations elles s’adonnaient
à leurs croyances et pratiques ancestrales. Il faut attendre la révolution reli¬
gieuse et guerrière peul, l’alliance de la foi et du sabre, au XIXe siècle, avec
Sékou Amadou dans le Marina, Osman Dan Fodio dans le Sokoto, Samori
dans le Foûta, pour voir s’instaurer une théocratie. Les Chefs prirent le titre
d’Almâni, reçu comme celui de chef politique et religieux ou de commandeur
des croyants, alors que le vocable d’Almâni désignait initialement «celui qui
préside aux prières le vendredi». Dans le Foûta Djalon, on l’appelait abbasside,
«titre porté par l’almâni, commandeur des croyants et chef des armées musul¬
manes, donc successeur du Prophète et lieutenant de Dieu»20. Les Almâni
firent de l’Islam la religion d’État et le fondement de toutes les lois sociales :
le droit commun ; des Kadi, juges de droit musulman furent nommés dans
les régions administratives et dans les principaux centres économiques ; l’en¬
seignement coranique devait être généralisé. En fait, devant la résistance
farouche des milieux traditionalistes, gardiens de la religion ancestrale, la
théocratie n’a pas fait long feu. En ce qui concerne Samori, la théocratie
aura duré vingt mois à peine ; comme le souligne fort justement Y. Person
«L’Empire théocratique n’est donc qu’un bref épisode de quelques mois, dans
le déroulement d’une aventure militaire qui a duré près de quarante ans. On ne
saurait le comparer aux longues années de contrainte religieuse qui ont suivi
les triomphes d’El Hadj Omar»21. Mais dans la plupart des États ou Empires
africains, Ghana, Mali, Songhay, Bornou et Borgou, cohabitaient les tenants...
de la Religion traditionnelle et les musulmans. La destruction du Ghana en
1077 par Abou Bakr Ibn Omar permit l’islamisation partielle de l’Empire
mais, subsistaient de fortes communautés «païennes». La conversion à l’Islam
du roi Malal au milieu du XIe siècle, à la suite d’une famine qui ravageait le
pays, ouvrit la voie à l’expansion islamique en attendant que le Mali devînt
en grande partie un pays musulman sous Soundiata ; mais les Dogon, eux,
restèrent réfractaires à l’Islam. L’Empire Songhay, quant à lui, vit ses chefs,
sous la dynastie des Dia, se convertir à l’Islam vers l’an 1000. Sonni Ali,
demeuré fidèle à la Religion traditionnelle, persécuta les musulmans. Askia
Mohammed, succédant à Sonni Ali, livra la guerre sainte (Jihad) aux popula¬
tions «infidèles», les «mécréants» comme dirait Dan Fodio, du sud de son
Empire, les Hawsa de l’est, le Mali islamisé et les musulmans Peul à l’ouest.
Dan Fodio écrit dans ses manuscrits22 que les savants, au XIIIe siècle, divisaient
les pays des Noirs en trois catégories :
i) les pays dans lesquels le paganisme est prédominant et l’islam minoritaire :
Mossi, Gourma, Boussa, Borgou, Yoruba, l’ouest du fleuve Niger, pays
Sarakolé ;
20. Alfa Ibrahim Sow, Chroniques et récits du Foûta Djalon, Le Pouvoir, le sabre et la foi,
Librairie C. Klincksieck, Paris, 1966.
21. Y. Person, op. cit., p. 818.
22. Sheykh Uthmàn Bê-Fôdiyo et ses œuvres. Manuscrits traduits par un chercheur du Ni¬
ger. Mr Hamadu Bello, Inédit. Uthmàn Bê-Fôdiyo, est le père de Mohammed Bello, créa¬
teur de l’empire de Sokoto, 1212 de l’Hégire soit 1798 de l’ère chrétienne.
Religion, Culture et Politique 57
ii) pays à prédominance islamique avec une minorité de païens : Bomou, Kano,
Katsina, pays Malle. Tous ces pays ont des chefs païens ;
iii) les pays entièrement musulmans. «Cette dernière catégorie, conclut Dan
Fodio, n’existe pas en pays noir». Tous ces pays mi païens, mi-musulmans
avaient à leur tête des chefs païens ; or estime Sheykh Uthmàn Bê-Fôdiyo
(alias Dan-Fodio) «la religion d’un pays est le reflet de celle de son chef».
Aussi Ahmadou b-Saïd écrit-il dans son livre «Mukhtimar Al Akmal» : «Il
est obligatoire pour les musulmans de déposer leur chef s’il est païen. Il
est de leur devoir de se révolter contre lui s’ils se sentent assez forts pour
le faire. Mais s’ils se savent faibles, ils ne doivent pas se révolter, mais quitter
le pays pour un autre». Par ailleurs, dans son manuscrit no 215 portant
message aux peuples soudanais et traitant de la réorganisation d’ordre social
et politique, Ibn Fodiyo dit notamment : «Le peuple doit être sous la domi¬
nation d’un chef ; si ce dernier est bon musulman, l’État le sera également ;
s’il ne l’est pas, le peuple le suivra dans cette voie aussi. En conséquence,
il faut émigrer d’un pays sur lequel règne un chef infidèle». Il convient donc
de combattre et de déposer les chefs infidèles. «C’est une obligation pour
vous de combattre le roi rebelle qui n’ayant pas abandonné l’Islam y mêle
cependant du paganisme, comme la plupart des chefs Hawsa. De tels rois
doivent être déposés». Il ressort de cette étude que dans les États africains
traditionnels lorsque les populations professent et pratiquent des religions
différentes, les pouvoirs politique et religieux sont distincts.
Comme l’écrit Ibn Khaldûn «Le pouvoir royal, lorsqu’il est musulman,
est subordonné au Califat (on sait que le calife agit comme vicaire du Légis¬
lateur - Mahomet, pour préserver la foi et gouverner la terre). Ailleurs, le
pouvoir temporel est séparé. En tous cas, il a partout ses charges et ses emplois,
ses fonctions particulières» 23.
En conclusion, les relations structurelles entre autorités politiques et auto¬
rités religieuses en Afrique traditionnelle peuvent se traduire par le schéma
suivant :
23. Ibn Khaldûn : Al -Muqaddima ou Discours sur l’histoire universelle, Collection Unesco
d’œuvres représentatives, Série Arabe, Beyrouth, 1967, p. 434.
58 L ‘Afrique spiritualiste
HOMOGENE HÉTÉROGÈNE
Section III
Il résulte des exemples cités qu’on ne saurait, sans déformer les faits et
forcer l’histoire, dire que les sociétés traditionnelles africaines ne connaissaient
pas et n’appliquaient pas sur le plan de l’État, le principe de la séparation des
autorités religieuses et politiques. Ce principe n’est pas contraire à la vision
spiritualiste, dynamique de l’Univers que nous avons soulignée chez l’Africain.
Cette vision est agissante et permanente dans la vie de tous les instants, vie
privée et vie politique ; elle implique le recours aux dieux et à des forces sur¬
naturelles pour dominer le monde et forcer le destin mais contrairement à ce
qu’écrit le professeur P.F. Gonidec, l’Africain opère bien une distinction des
fonctions dans l’État. La séparation du religieux et du politique, la laïcité de
l’État, n’est pas un article d’importation. La laïcité n’est pas le laïcisme ;
l’histoire européenne, notamment celle de la France,nous enseigne qu’on peut
être croyant, pratiquant et être foncièrement laïc au plan de l’État. Je crains
que certains auteurs ne se laissent emporter, au lieu d’une analyse sérieuse, par
leurs tendances plutôt laïcistes que laïques, héritage du combisme. En bref,
comme l’écrit G. de Lagarde24, «la laïcité est un mot ambigu et ambivalent
qui a: pris au cours des siècles les acceptions les plus diverses». La laïcité ne se
confond cependant pas avec le laïcisme. Nous faisons nôtre la définition que
les constituants français de 1946 ont donnée de la laïcité. MM. Hervé et Fajon,
au nom du groupe communiste, dans le projet d’amendement à l’art.1er de la
constitution, ont déclaré, au cours de la séance du 21 août 1946, à l’Assemblée
Nationale Constituante : «Il est nécessaire que la laïcité de l’État, qui se tra¬
duit par la séparation de l’Église et de l’État, et le principe que l’État, ne
reconnaît ni ne protège aucun culte ni aucune rehgion soient inscrits dans la
constitution». Et le rapporteur, M. Coste-Floret de répondre : «Nous acceptons
l’amendement, car nous considérons que la laïcité, entendue dans le sens de la
neutralité de l’État, est conforme à la tradition républicaine». Et M. Maurice
Schumann, au nom du M.RP. de définir la laïcité l’«Indépendance vis-à-vis
de toute autorité qui n’est pas reconnue par l’ensemble de la nation, afin de
lui permettre d’être impartiale vis-à-vis de chacun des membres de la commu¬
nauté nationale et de ne pas favoriser telle ou telle partie de la Nation». La
laïcité prônée par les États africains correspond bien à la laïcité neutralité qui
n’exclut pas une option métaphysique ou rehgieuse personnelle. En Afrique,
elle reflète le caractère profondément rebgieux, spiritualiste de l’homme ;
elle permet au niveau des fonctions d’opérer une séparation qui assure l’équi-
übre dans l’État et garantisse la liberté de chacun.
En tout état de cause, les États africains qui se déclarent laïcs ou neutres,
pratiquent en fait une neutralité spiritualiste, c’est-à-dire qui ne nie pas le
caractère fondamentalement croyant et rebgieux de l’Africain. Dans ces condi¬
tions la question se pose de savoir si l’Afrique noire, quand bien même elle ne
se déclarerait pas spirituabste, accepterait que l’on professât l’athéisme. En
l’état actuel de nos connaissances, cela semble difficile. Si, par réahsme et pour
éviter de vaines querelles idéologiques, l’unanimité paraît se faire autour de la
25. Yves Benot, Idéologies des Indépendances africaines, Maspero, 1965, p. 14.
26. Publié dans la Semaine Africaine des 15-21,1979.
Religion, Culture et Politique 61
30. Report of the constitution Drafting Committee containing the Draf Constitution, Vol. I
Fédéral Ministry of Information, Printing Division, Lagos, 1976. Le texte définitif publié
par le Gouvernement Fédéral du Nigéria (Ministère de l’Information) date d’août 1979.
Religion, Culture et Politique 63
not take into account the religious sensitivities of the people of this country.
These types of publications are strongly condemned and the FMG will
continue to ensure that the religious harmony existing in this country is
not disturbed»31.
Il ressort de cette étude des constitutions, que les États d’Afrique noire,
qu’ils soient «révolutionnaires» ou «réformistes», anglophones, francophones
ou lusophones ont, pour la plupart, adhéré au principe de la laïcité de l’État32,
ou plus précisément à sa forme atténuée, la neutralité ; l’unanimité semble se
faire sur la séparation des églises et de l’État, mais l’État assume la religiosité
africaine ; la laïcité en Afrique noire s’analyse en neutralité spiritualiste. Plutôt
qu’une option dogmatique, l’attitude de l’État en matière religieuse révèle la
tendance pragmatique qui inspire les institutions politiques africaines et qui
permet de trouver des compromis qui sauvegardent l’équilibre des forces en
vue d’une unité nationale en gestation. La laïcité est une règle traditionnelle en
Afrique noire ; par delà les textes constitutionnels, il convient de rechercher
et de dégager les implications du phénomène religieux et du fait politique
dans la vie publique africaine. Pour ce faire, et pour mieux appréhender les
interférences religion et politique, il semble indiqué de saisir quel a été l’impact
de la politique coloniale sur les rapports entre les autorités religieuses et les
gouvernements métropolitains et les autorités locales dans les colonies, en
d’autres termes, quelle a été la poli tique coloniale en matière de laïcité de
l’État, le legs colonial et ses conséquences sur la politique des nouveaux États.
32.Depuis les réformes constitutionnelles (19 mars - 6 avril 1976 et loi du 28 décembre
1978) quatre courants de pensée dont un marxiste-léniniste sont reconnus au Sénégal ;
en conséquence, l’appel à Dieu a été supprimé du serment du chef de l’État.
Lire Ibrahimi Fall : Sous développement et démocratie multipartisane. N.E.A. Dakar,
1977.
Aux termes des mêmes réformes constitutionnelles, «aucun parti politique ne doit et
ne peut s’identifier à une race, ethnie,religion ou à une secte...»
CHAPITRE V
Section I
L’interférence entre les facteurs religieux et les facteurs politiques est frap¬
pante de la colonisation à nos jours. On note une imbrication de différents
facteurs, comme il ressort des nombreux travaux faits par ethnologues et poli¬
ticologues, notamment «Contribution à l’étude de l’Islam noir», de M. Cardaire,
«l’Islam noir», de P. Marty, «les églises chrétiennes et la décolonisation»,
sous la direction de Marcel Merle, «l’africanisation de l’Église Catholique», de
Christian Coulon, l’Islam Noir, Religion à la conquête de l’Afrique, de Vincent
Monteil.
Religion et colonisation ont été dès le départ associées. Ainsi en fut-il de la
première tentative d’implantation du Christianisme en Afrique noire, en l’oc¬
currence, dans le royaume de Kongo (dont les débuts remontent au XIIIe siècle
de notre ère). C’est en 1491 que le «mani-Kongo» ou roi du Kongo, Affonso 1er
se convertit au christianisme. Il apostasia très vite. En revanche, son successeur,
Mvemba (Diogo 1er) vécut en catholique et fit de son royaume un pays chré¬
tien. Le christianisme pouvait être considéré comme religion d’État. Il fit sacrer
en 1521 son fils, D. Henrique, évêque et gouverneur de Mpangu. Il voulut allier
christianisme et modernisation avec pour modèle l’Europe occidentale. Il
donna priorité à la scolarisation et à la formation d’une élite moderne, lettrée
et christianisée. Il s’appuya sur le Portugal dont le roi, Manuel 1er prit le «ré-
gimento de 1512» en vue de la modernisation du Kongo. En fait les üens privi¬
légiés avec le Portugal se transformèrent en un monopole, en une véritable
mainmise sur le Kongo. En vertu de l’acte dit padroado, le Portugal avait le
monopole des missions et de l’évangélisation dans la région. Le très chrétien
royaume du Kongo ne pouvait traiter directement avec Rome ; les portugais
installèrent l’archevêché à Sao Tomé avec juridiction sur le Kongo (lequel
avait l’évêque !). Diogo 1er (1545-1561) qui avait confié l’enseignement aux
jésuites, se battit sans succès pour limiter la traite négrière et contrôler les
Européens vivant dans son royaume ; or ces derniers, en vertu d’immunités
décrétées par le Portugal, échappaient à son autorité et se conduisaient comme
en pays conquis. De guerre lasse, Diogo 1er abandonna le christianisme, se
rapprocha de son peuple et reprit la Religion et les cultes de ses ancêtres. Ce
fut la rupture avec les missionnaires. Les intrigues furent telles que deux rois
furent tués en un an ; le troisième successeur de Diogo 1er, Alvaro 1er, chassé
par les Jaga, dut faire cause commune avec les Portugais qui l’aidèrent à libérer
le Kongo vers 1575. Sur le plan religieux, la situation se dégradait progressi¬
vement. Le roi Alvaro II (1574-1614), «lance, écrit Joseph Ki-Zerbo, des sup¬
pliques désespérées au Saint-Siège, lui proposant même un vaste domaine que le
pape refusa. Le même appel continue sous Alvaro III (1614-1622) et quand les
missionnaires arrivent enfin, des querelles de clocher sèment la zizanie entre
jésuites, prêtres portugais et capucins, ces derniers étant en général opposés
aux premières groupes»1. Cette première phase de christianisation de l’Afrique
noire, se solda par un échec grave qui donna naissance aux premiers syncrétis-
1. J. Ki-Zerbo, Histoire de l’Afrique noire, Hatier, 1977, p. 329. Voir également W.G.L.
Randles, L \ancien royaume du Congo, ainsi que G. Balandier, La vie quotidienne du royau¬
me de Kongo du XVIe au XVIIe siècle, Hachette, Paris, 1965.
Religion, Culture et Politique 67
2. AJphonso Codjo Quenum, Le rôle de l’Église dans la traite des noirs, Mémoire de Licen¬
ce de théologie, Faculté de Théologie de Strasbourg, 1973, p. 30.
68 Religion et colonisation - décolonisation
dications de François 1er, scandalisé d’avoir été exclu du partage des terres
nouvelles : «le soleil, avait protesté le monarque français, luit pour moi comme
pour les autres et je voudrais bien voir l’article du Testament d’Adam qui
m’exclut du partage» !
Sans en référer expressément au Pape, les puissances européennes qui, au
lendemain de la Conférence de Berlin, allaient se déchaîner pour s’abattre sur
l’Afrique, relancèrent et renforcèrent le mouvement missionnaire. Alors que,
jusqu’au milieu du XIXe siècle, en Afrique de l’Ouest comme en Afrique Orien¬
tale, les missionnaires ont précédé les explorateurs et le colonisateur — le
royaume de Kongo s’était fortement christianisé au XVe siècle, puis s’était
déchristianisé au XVIIe siècle - désormais les missionnaires et les conquérants,
militaires et administrateurs coloniaux devaient cheminer, s’entraidant souvent,
gardant parfois une autonomie jalouse mais rarement en lutte ouverte suscep¬
tible de mettre en cause l’autorité politique coloniale. Dans chaque État colo
niai se constituèrent des sociétés ou congrégations pour l’évangélisation de
l’Afrique. Une véritable fièvre d’apostolat saisit l’Europe chrétienne : missions
catholiques pour la France, la Belgique, l’Italie et le Portugal ; missions protes¬
tantes pour l’Allemagne et l’Angleterre. En France, plusieurs missions virent le
jour, se répartissant les zones d’action : Missions Africaines de Lyon, de Mgr
Marion de Bresillac, Spiritains du Révérend Père Libermann, Pères Blancs avec
le Cardinal Lavigerie ; du côté anglais, on citera notamment : la London Mis-
sionary Society qui avait envoyé en 1807, Livingstone en Afrique centrale et
australe ; la Church Missionary Society, Universities Mission to Central Africa
(mission anglicane) ; Anglican Church Missionary Society ; South African
General Mission et Roman Catholic Mission3 ; on citera également les Cam-
boniens non liés à un colonisateur qui connaissent de nos jours encore beau¬
coup de vocations missionnaires.
On peut citer également la Church Missionary Society, les sociétés presby¬
tériennes écossaises, la Weslyan Missionary pour les méthodistes, la Société
des Missions de Paris. Les Chrétiens allemands fondèrent en 1875, la Société
du Verbe Divin (catholique), et du côté protestant : la Société de mission
évangélique luthérienne de l’Afrique Orientale et Mission évangélique pour
l’Afrique Orientale allemande (1886) en attendant en 1933, le Congrès mis¬
sionnaire évangélique allemand... Missionnaires et colonisateurs, adeptes de la
doctrine évolutionniste alors en vogue, partageaient le même idéal de «mission
civilisatrice» en Afrique. En effet, les commentaires de Luther sur la Bible
faisait autorité ; ils fondaient sur le livre de la Genèse 9 et 10 l’infériorité du
Noir, justifiaient et légitimaient la conquête coloniale et l’apostolat missionnaire.
Cham, le fils irrévérencieux de Noé, qui manqua d’égards pour son père pris de
vin, et a été maudit et chassé par lui, est «le père de la race noire». Les nègres
seraient donc, d’après la Bible, des enfants déchus, voire dégénérés, en tout cas,
pas comme les autres hommes... C’est à croire que c’est pour punir les nègres
que Dieu a inculqué un sens profond du respect du père et de la mère, un res¬
pect quasi-religieux — le nègre croit viscéralement au pouvoir réel et efficient
de bénédiction mais aussi de malédiction du père — aucune révolution n’a en¬
core entamé cette valeur de civilisation ou cette marque indélébile du pêché
3. T.O. Ranger et IsaacKimanbo, The Historical Study of African Religion, Londres, 1972,
R.C. Mitchel et H.W. Turner, A bibliography of modem African Religions movements,
Nortwester University Press, G.Mosmans,Z Église à l’heure de l’Afrique, Casterman, 1961.
Religion, Culture et Politique 69
irrémissible de Cham. En tout cas, d’une manière ou d’une autre, cette fameuse
malédiction de Cham nous poursuivra jusqu’à la fin des temps ! (il est temps
que les exégètes revoient de très près la traduction de la Bible, surtout que le
débat semble désormais clos sur la double erreur exégétique et ethnologique
de 1 interprétation de la malédiction de Cham appliquée à la Race Noire ; et
puis, pas même les historiens n’arrivent, dans leurs recherches sur le peuple¬
ment de l’Ancienne Egypte, ou de l’Afrique Orientale ou de l’Afrique Centrale
interlacustre, à se débarrasser de ce mythe passé de chamitique à hamitique...
Ils parlent encore de hamites !!!!). Pour l’occident chrétien du XIXe siècle,
c’est taire une bonne action, obtenir «une indulgence plénière...» en plus des
gains économiques,que d’évangéliser les Noirs, de les ramener à Dieu : «L’aveu¬
glement et l’esprit de Satan, disait le Père Libermann, sont trop enracinés dans
ce peuple, et la malédiction de son père se pose encore sur lui ; il faut qu’il soit
racheté par les douleurs unies à celle de Jésus afin de le laver de la malédiction
de Dieu...»4. La même conviction se retrouve dans la démarche des évêques
missionnaires auprès du Concile de Vatican I... Tel était le fondement idéolo¬
gique de l’action missionnaire et accessoirement de conquête coloniale : arra¬
cher le nègre à l’emprise de Satan, l’élever à la dignité d’homme, d’enfant de
Dieu !
Sur le terrain, faute d’instaurer le christianisme, l’Administration colo¬
niale favorisera l’Islam, religion révélée5, considérée comme une reügion du
Livre, comme s’il ne s’agissait pas à l’instar des Évangiles, de livre élaboré
essentiellement à partir de traditions orales éparses — ainsi en est-il du Coran
comme du Nouveau Testament — ni Jésus ni Mahomet n’ayant laissé par eux-
mêmes d’écrits. Nous connaissons la vie et l’œuvre de Jésus-Christ d’après les
témoignages de ses disciples. «Il (Jésus-Christ) les enseignait, nous disent les
Évangiles...». Quant au Prophète, n’aurait-il pas répondu le plus naturellement
du monde à l’Ange Gabriel qui lui demandait d’écrire le Message divin «mais,
je ne sais point lire, ni écrire...». Mahomet lui aussi enseignait ses disciples ;
il n’a point tenu la plume pour nous laisser le Coran. La tradition orale est
essentielle, déterminante dans les Évangiles comme dans le Coran. Et les spé¬
cialistes de l’Islam savent que parmi les tout premiers et fidèles compagnons
de Mahomet figuraient des esclaves noirs d’Afrique dont certains ont rapporté
plus tard des hadîth (tradition) du Prophète : on citera entre autres : Am mâr.
B. Yâsir, devenu gouverneur de Kûfa ;Bilâl b. Rabâj, l’immémorable muezzin;
Habal le noir, huissier du Prophète ; Abû Muwaihiba, Um-Aiman, Sa’ad le noir',
et le célèbre savant S’a’ib b- Djubar...6. Par ailleurs, on privilégie l’Islam et le
Christianisme comme religions révélées comme si la Religion traditionnelle
africaine était une pure invention de l’homme. Ce n’est pas le lieu d’enta¬
mer ce débat. On pêche trop par ignorance,le plus souvent par suffisance, faute
de savoir s’informer et s’instruire auprès des détenteurs et dépositaires de la
4. G. Goyau,La France missionnaire dans les cinq parties du monde, Plon, 1948,11,117.
5. Denise Masson,Monothéisme coranique et monothéisme biblique. Doctrines comparées,
Desclée de Brçuwer, Paris, 1977.
6. On trouvera des indications dans l’Encyclopédie de l’Islam. Mc Ewan, African from
early Times to 1800, Oxford University Press, 1968 ; R. Oliver, The Middle Age of
African History, Oxford University Press ; H.A. MacMichael, A History of the Arabs in the
Sudan, Frank Cass and Co, 1967.
70 Religion et colonisation - décolonisation
8. Il est heureux que l’Épiscopat de l’Afrique de l’Ouest ait créé une Commission spéciale
chargée de la Religion Traditionnelle.
9. Suzanne Bernus, Particularismes ethniques en milieu urbain : l’exemple de Niamey,
Université de Paris, Mémoires de l’Institut d’Ethnologie I, Institut d'Ethnologie, Musée de
l’Homme, Paris, 1969, p. 188.
Religion, Culture et Politique 71
10. Alain Quellien, La politique musulmane dans l’Afrique Occidentale Française, Ed. La-
rose, 1910, pp. 222-223.
11. Alphonse Gouilly, L’Islam dans l’Afrique Occidentale Française, Ed. Larose, 1952,
p. 255 sq.
12.1b., pp. 260-261.
13.Ib., pp. 256-266.
72 Religion et colonisation - décolonisation
18. Ibrahima Kaké, «La Traite négrière et le mouvement de populations entre l’Afrique
noire, l’Afrique du nord et le Moyen-Orient», in La Traite négrière du XVe au XIXe siècle,
Histoire Générale de l’Afrique, Études et Documents, 2, Unesco, Paris, 1979, pp. 171 et s.
19. Y. Person, Samori, Une révolution Dyula, 1FAN, Dakar, 1968, Tome l,p. 95.
74 Religion et colonisation - décolonisation
au XIXe siècle écrit : «Il faut encore, dans le domaine des généralités, faire
une place à part aux pays musulmans d’Afrique, d’Arabie et du Golfe arabo-
persique, ainsi que de l’Océan Indien. Comment apprécier la part qu’ont prise
à l’enrichissement de ces régions, les Africains présents dès le VIIe siècle en
Irak et qui étaient spécialisés dans les durs travaux de culture des dattes et
de la canne à sucre, ou pêcheurs de perles ? Comment apprécier la contribu¬
tion des guerriers noirs, des marins africains à la puissance du monde musul¬
man ? Ce n’est qu’au XIXe siècle que la traite musulmane, articulée sur les
besoins en main d’œuvre des colonies de l’Océan Indien, peut être considérée
comme intégrée au système capitaliste». Les Djula, convertis à l’Islam, se
spécialisèrent dans le négoce et animèrent le commerce intra et transafricain,
échangeant de l’or contre le sel, le sel gemme, le sel marin, le cuivre saharien
ou maghrébin, des perles puis de la Kola et des tissus. «Durant cinq ou six
siècles, les Sarakholé, quittant leur patrie du Sahel, ont en effet essaimé au
long des routes qui mènent aux mines d’or ; vers le haut Sénégal et les orpail¬
lages du Bambuk, mais aussi vers ceux de la Volta et de l’Ashanti, non loin
du Golfe de Guinée...». Trafic de l’or mais aussi trafic des esclaves.
En effet, les marchands arabo-berbères, dans le Soudan comme en pays
hawsa, kanoetKatsina,ont pratiqué un commerce actif d’esclaves. Les Hawsa
islamisés par des commerçants djula, «Wangara» au milieu du XIVe siècle,
menaient des expéditions contre les pays «animistes et païens, cafres» du sud
pour se procurer des esclaves qu’ils échangeaient dans les grands centres
négriers de Zaria, Kano et Katsina contre des chevaux arabes. Dans son «Ta¬
bleau géographique de l’Ouest africain au Moyen-Age»,R.Maunyécrit «...l’es¬
clavage de la traite, alimenté par les guerres faites par les princes musulmans
contre les peuples animistes du sud-Soudan et de la forêt, a été une source
très importante de revenus pour ces États et une fraction non négligeable du
commerce trans-saharien»21, R. Mauny estime qu’à la fin du XVIe siècle, les
esclaves constituaient la principale exportation africaine vers le Maghreb et
le monde arabe, à raison d’environ deux millions par siècle ! On pourrait
soutenir qu’il ne s’agissait pas que de nègres «animistes» non islamisés, «des
Noirs devenus musulmans ne pouvant être vendus en esclavage». L’histoire
d’Ahmed Baba prouve qu’il n’en fut pas toujours ainsi ; en effet, après leur victoi¬
re sur les Songhay, les Marocains emmenèrent, outre une quantité considérable
d’or, 1200 prisonniers noirs dont des musulmans, notamment le célèbre juris¬
consulte de Tombouctou, Ahmed Baba. Ce dernier en excipant du Coran,
obtint sa übération ; puis, il esquissa la doctrine islamique quant à l’esclavage :
«En 1611, Ahmed Baba fut consulté par ses admirateurs du Touat. Ceux-ci,
épouvantés par l’énorme transit du «bois d’ébène» qui se faisait à travers leur
oasis, s’adressèrent à lui pour lui soumettre leurs scrupules : Pouvait-on se
livrer à un pareil trafic sans mettre le salut de son âme en péril ? Le Soudan, ils
ne l’ignoraient pas, renfermait un grand nombre de musulmans ; n’était-il pas
à craindre que, parmi les malheureux arrachés à leur foyer, il n’y eût des
«frères ?».
Pour répondre à ces questions, Ahmed Baba composa un opuscule : «Échelle
pour s’élever à la condition juridique des Soudaniens réduits en esclavage».
25. Ahmad Baba reproduit un long passage de VHistoire des Berbères (pp. 139-140)
d’Ibn Khaldûn, relatif aux populations de ce pays.
Religion, Culture et Politique 77
28. Genèse, X, 25. Voir l’article de G. Vajda sur Hâm dans El2, III, p. 107.
29. Ibn Ishaq (apud A.B., fol. 5a).
30. D’après Ahmad Baba, cette tradition est rapportée dans l’ouvrage de Suyuti intitulé :
Raf sha’n al-Hubshân. Signalons qu’il existe de cet ouvrage, qui demeure encore manus¬
crit, deux copies, l’une à la Bibliothèque Nationale de Paris, l’autre au British Muséum à
Londres.
31. Ibn Khaldûn,op. cit., 1.1, pp. 170,171 et s.
Religion, Culture et Politique 79
Ainsi, selon cette citation, des Noirs islamisés ne pouvant être réduits en es¬
clavage. Le pape Martin V, lui aussi, avait excommunié dans une bulle, les mar¬
chands génois de Caffa (ville de l’État génois sur la Mer Rouge), parce qu’ils persis¬
taient à acheter et à vendre des esclaves chrétiens. «Mais il faut noter que c’estleur
foi Chrétienne qui leur vaut cette attitude du Pape»3 4. Ainsi, la religion islamique
s’est répandue au gré des mouvements de population et des activités commer¬
ciales. En Afrique Orientale, l’Islam s’est développé autour et à partir des
comptoirs étabüs ou développés par les commerçants arabes, persans et indiens.
Lors de sa tournée africaine de 1905, l’Aga Khan III, en organisant en com¬
munauté les Ismaéliens dont l’influence est encore perceptible à Nairobi
notamment, leur ordonna «d’assister leurs frères africains. C’est leurs petits
dukas (magasins) et leurs affaires en cours de développement qui fournissaient
les subsides à l’Islam africain : pour employer les musulmans locaux, pour
encourager les Africains à devenir musulmans, pour aider financièrement
les mosquées...»35.
En Afrique Orientale se pratiquait également un intense trafic d’esclaves
en direction des pays arabes, la Perse, la Mésopotamie, l’Inde et l’Indonésie.
«L’ouvrage arabe Abjaib al-Hind écrit vers la fin du Xe siècle, note B.A. Ogot,
révèle que 200 esclaves étaient transportés d’Afrique de l’est à Oman chaque
année et que 1 000 navires omanais participaient à ce trafic. S’inspirant des
chroniques de l’Hadramaout, R.B. Seijeant confirme que des esclaves étaient
exportés d’Afrique de l’est en Arabie avant la période portugaise. Les pays du
golfe Persique, et notamment Bahrein, ont importé des esclaves d’Afrique de
l’est du Xe au XIIe siècle.
Les exportations d’esclaves d’Afrique de l’est à destination de l’Arabie et
du golfe Persique se sont poursuivies au cours de la période portugaise. C’est
ainsi qu’en 1631, 400 Africains de Mombasa ont été vendus comme esclaves
sur le marché de La Mecque...»36.
La présence massive de noirs appelés Zandj est attestée par les révoltes suc¬
cessives des esclaves africains dans le monde musulman. Le statut social de la
plupart des Zandj, le mauvais sort qui leur était infligé provoquèrent en effet
la révolte de 75/694 qui vit le noir Riyâh (Shîr Zandji) vainqueur des
Umayyades se proclamer commandeur des croyants ou calife, puis la révolte
de 255/869 que Louis Massignon a qualifiée de raciale et qui dura plus de qua¬
torze ans, en Perse et en Mésopotamie méridionale. Cette insurrection qui prit
la forme d’une véritable guerre, rassemblait des troupes estimées à environ
300 000 personnes, dont la majorité de Noirs, était dirigée contre le califat.
Les insurgés détruisirent en 871 de notre ère, Bassora, le principal port fluvial
d’Irak... Pour ce qui est des échanges commerciaux, on ajoutera qu’ils portaient
entre autres sur l’or, l’ivoire ; l’ivoire africain était, à partir d’Oman, exporté
vers l’Inde et la Chine ; de même, de Sofala, s’exportait du fer vers l’Inde et
Java... sans oublier les peaux de léopard pour les selles de chevaux, ainsi que
diverses peaux d’animaux, l’industrie du cuir ayant été introduite de l’Afrique
Orientale en Egypte et au Yemen ; même des éléphants et des girafes s’exilaient
dans le monde arabe pour les comptoirs musulmans de la côte orientale d’Afri¬
que... Dans le sillage des marchands arrivaient des lettrés, des chérifs et des
religieux arabes qui propageaient la nouvelle religion. Mais les conversions
massives se sont faites par la guerre : épopée Almoravide, prosélytisme et
expéditions religieuses de Sékou Ahmadou,El Hadj Omar, Dan Fodio, Samori.
Il apparaît ainsi que l’Islam a été introduit et répandu tantôt par les armes,
tantôt par le commerce, et tantôt grâce à l’exemple de vie des musulmans.
D’après le Coran même, on n’aurait jamais dû, on ne doit jamais recourir aux
armes pour convertir à la religion de Mahomet. La Jihad, guerre sainte,ne doit
pas être offensive mais défensive : «Il n’y a pas de contrainte en matière de
religion», dit le Coran, idée reprise dans de nombreuses sourates (Mamadou Dia,
dénombre soixante-trois sourates et cent-vingt-cinq versets...)37. Comme nous
35. N.Q. King,Muslim and Christian in Africa, Harper and Row, New York, 1971.
36. B.A. Ogot, «Les mouvements de population entre l’Afrique de l’est, la Corne de
l’Afrique et les pays voisins» in La Traite Négrière, p. 184.
37. Mamadou Dia, Islam, Sociétés Africaines et culture industrielle, Ed. N.E.A., Dakar,
Abidjan, 1975.
82 Religion et colonisation - décolonisation
45. ChaiUey, A. Bourbon, B. Bichon, FJ. Amon d’Aby, F. Quesnot, Notes et études
sur lIslam en Afrique Noire, CHEAM, J. Peyronnet et Cie, 1962.
46. J.S. Trimingham, Islam in East Africa, Edimburg House Press, 1962, pp. 12 et s.
I.M. Lewis, Islam in tropical Africa (Studies presented and discussed at the Fifth Interna¬
tional African Seminar Ahmadu Bello University, Zaria,january, 1964. Oxford University
Press, 1966. On trouvera dans cet ouvrage, des études intéressantes sur les croyances mu¬
sulmanes et la pratique religieuse au Sénégal, Mali, Côte d’ivoire, Ghana, Nigéria, Soudan,
Somalie, Kenya et Tanzanie.
Religion, Culture et Politique 85
47. J .M. Cuoq, Les Musulmans en Afrique, Ed. Maisonneuve et Larose, Paris, 1975, p. 263.
86 Religion et colonisation - décolonisation
les pays musulmans, seront considérées comme fêtes légales les grandes com¬
mémorations de l’Islam (Ramadan, Tabaski), dans d’autres pays,
seront fériées et chômées les fêtes chrétiennes aussi bien que musulmanes. On
retrouve chez certains dirigeants africains, principalement dans les pays de la
forêt, des survivances de la politique coloniale qui consistait en la représenta¬
tion officielle de l’Administrateur ou du Gouverneur aux fêtes musulmanes.
Au Sénégal, gouvernement et partis d’opposition délèguent des représentants
au magal (pèlerinage) de Touba (capitale du Mouridisme) et de Tivouane. Un
tel comportement traduit l’attitude conciliante et courtisane du pouvoir
colonial puis des gouvernements vis-à-vis des religions. Seuls sont reconnus
officiellement et aidés, le cas échéant, au mépris de la Religion traditionnelle,
l’Islam et le Christianisme. Même dans des pays comme le Dahomey où la
Religion traditionnelle s’avère vivace, personne ne songe à consacrer une
journée par an, à la célébration de cérémonies ancestrales telle que la fête
de l’igname ou le culte des Ancêtres.
48. M. Merle, Les Églises chrétiennes et la décolonisation, Armand Colin, 1967, p. 12 ; RP.
Ducatillon,Patriotisme et colonisation, Tournai, Desclée et Cie, 1957.
Religion, Culture et Politique 87
les missionnaires, tant il était clair que ces derniers travaillaient autant pour
l’Église que pour la France éternelle, celle des Lumières, fille aînée de l’Église.
La collaboration se faisait au coup par coup, compte tenu de la situation locale,
dans les colonies. Il faudra attendre la IVe République pour voir l’État adopter
une politique plus ouverte et active de soutien à l’œuvre missionnaire chrétien¬
ne (subventions, aides financières, bourses d’études, etc.). La Grande Bretagne
adopta, quant à elle, une politique plus libérale à l’égard des missions en soute¬
nant en particulier l’enseignement. Les Belges et les Portugais, à partir de
1910, optèrent pour une reconnaissance officielle des missions catholiques et
pour leur soutien financier. Quant aux Allemands, ils accordèrent également
une aide financière aux différentes missions chrétiennes, catholiques et protes¬
tantes ayant les unes et les autres leurs zones respectives d’activité, sans concur¬
rence ni interférence. Ces rapports complexes entre pouvoir politique métro¬
politain et missionnaires facilitèrent, dans l’ensemble, l’expansion du christia¬
nisme, même si parfois ils ont été néfastes à l’implantation des Églises. Ces
liens devaient par la suite, au moment de la décolonisation, faire passer le
christianisme pour l’auxiliaire ou le complice de la colonisation, un instrument
de colonialisme occidental.
En tout état de cause, le Christianisme paraît si intimement lié à la coloni¬
sation, qu’il est associé dans l’esprit des Africains à l’exploitation coloniale, et
partant comme un instrument d’aliénation. «L’impérialisme culturel du Chris¬
tianisme» pour reprendre l’expression de l’Abbé Robert Sastre,49 est dénoncé
par les Africains, et stigmatisé par un grand penseur chrétien comme Jacques
Maritain50 qui écrit : «Envahissant l’esprit des clercs comme des laïques, et
même parmi ceux-là qui se consacraient à l’apostolat, les préjugés comme
l’infériorité radicale des races non blanches, ont trop longtemps fait regarder
les missionnaires comme les apôtres non seulement de Jésus-Christ, mais
aussi d’une certaine culture humaine ou nationale, quelquefois comme les
avant-coureurs des colons et des marchands. Ce fût là un des principaux obsta¬
cles à l’évangélisation du monde»50. Et notre auteur de poursuivre : «Ce serait
une erreur mortelle de confondre la cause universelle de l’Église et la cause
particulière d’une civilisation, de confondre par exemple latinisme et catholi¬
cisme, ou occidentalisme et catholicisme. Le catholicisme n’est pas lié à la
culture occidentale. L’universalité n’est pas enfermée dans une des parties
du monde»51.
En affirmant ce point de vue, J. Maritain traduit la doctrine classique de l’Égli¬
se puisqu’aussi bien le premier concile de Jérusalem affirmait qu’il ne fallait pas
«judaïser» le païen qui se convertit, que la charte des Missions de 1659 dis¬
posait «Quoi de plus absurde que de transporter chez les Chinois, la France,
l’Espagne, l’Italie ou quelques autres pays d’Europe ? N’introduisez pas vos
pays, mais la foi». Il est dit dans les Actes 15, 28 : «L’Esprit Saint et nous,
avons décidé de ne pas vous imposer d’autre charge que ce qui est nécessaire».
Et au Baptême à la phrase sacramentelle : «Que demandez-vous à l’Église de
Dieu » ? On répond : «La Foi», et non pas l’aliénation, la dépersonnalisation
ou l’occidentalisation. Ces instructions ne furent pas toujours respectées.
49. Abbé Robert Sastre : Théologie et Culture africaine, in Présence Africaine, 2e Congrès
des Écrivains et Artistes noirs (Rome 26 mars - 1er avril 1959), tome I, pp. 130 et s.
52. André M., Les Martyrs noirs de l’Ouganda, Paris, 1936 ; Sœur Marie André du Sacré-
Cœur, Ouganda, terre des martyrs, Tournai, (Belgique), Casterman, 1962 ; Fauquel JT.,
African Holocaust, Londres, Geoffrey Chapman, 1965.
52bis. Hardy G : Un apôtre d’aujourd’hui : le RP Aupiais, provincial des missions africai¬
nes de Lyon, Larose, Paris 1949.
53. Cheikh Hamidou Kane, in Bulletin de l’Association musulmane des étudiants africains
de Dakar, 1956.
54. Suzanne Bernus,op. cit., pp. 17 et s.
55. J.C. Froelich, «Essai sur les causes et méthodes de l’islamisation de l’Afrique de
l’Ouest, du XIe au XXe siècle», in Islam in Tropical Africa, pp. 160 et s.
90 Religion et colonisation - décolonisation
vances «animistes» ;
iii)l’Islam s’est implanté plus tôt en Afrique que le Christianisme, et qui plus
est, la religion musulmane a été de bonne heure prêchée et imposée par des
Arabes et des Africains noirs.
En l’occurrence, on peut regretter que les Arabes, à leur tour, monopolisent
Mahomet et fassent de l’Islam leur patrimoine, à l’instar des Européens pour le
Christianisme... Avant la naissance du Prophète Mahomet, l’Arabie du sud
entretenait des relations commerciales avec la côte orientale de l’Afrique.
Chacun sait que la nourrice de Mahomet était une négresse, dénommée Umm
Aiman Buraka que le Prophète considérait comme sa seconde mère, «Après ma
mère Amina, a dit le Prophète, c’est Umm Aiman qui est ma mère». Par ail¬
leurs, on note que les premiers hommes convertis à l’Islam furent des esclaves
noirs. En outre, cinq ans après la proclamation de l’Islam, en 615, une centaine
de musulmans, dont Raqayya, fille du Prophète, fuyant (la fuite se dit Hégire)
la persécution des «païens» de La Mecque, allèrent se réfugier auprès du
Nadjashi, Négus Chrétien d’Abyssinie. De nombreux Africains furent les pre¬
miers compagnons du Prophète, rappelons entre autres, parmi les plus célèbres :
Ammar b. Yâsir, qui participa aux batailles livrées par le Prophète, notamment
à la bataille contre Kuraish, et devenu gouverneur de Küfa ; Bilâl b. Rabâh,
esclave noir d’origine éthiopienne, affranchi, premier muezzin de l’Islam, appe¬
lé d’après la tradition populaire «un tiers de l’Islam», pour les nombreux et
éminents services qu’il a rendus à la nouvelle religion ; le grand guerrier, père
de la cavalerie :al-Mikhad b. ’Omr, qui combattit aux côtés du Prophète.
Nombreux furent des esclaves noirs qui s’affranchirent selon la nouvelle Loi,
puis devinrent des clients ou disciples du Prophète auprès duquel ils occupaient
et exerçaient des fonctions importantes. Au VIIIe siècle, plusieurs d’entre eux
s’en allèrent avec des Arabes et des Perses islamisés, fonder des colonies et
comptoirs sur la côte orientale de l’Afrique, de la Somalie au Mozambique, en
passant par Mombassa, Kilwa et Zanzibar, Sofala, entretenant des rapports
commerciaux, surtout le trafic des esclaves, les «Zandj» ou noirs avec les États
de l’Afrique centrale et australe, en particulier avec le célèbre État de Mwene
Mutopa. En fait de commerce, il s’agissait de razzias systématiques de popula¬
tions bantu» que les Musulmans traitaient de Kufârs ou mécréants, incroyants,
donc naturellement réduits en esclaves ; ces opérations d’envergure pour rafler
les Zandj avaient pour but de fournir les cours royales de l’Arabie, d’Égypte et
de Perse, de Mésopotamie, et même de l’Inde et de l’Indonésie, en domesti¬
ques, en ennuques et en main d’œuvre agricole. Dans les comptoirs, se déve¬
loppait l’Islam... En dehors de cette contribution au développement économi¬
que des pays arabes et à l’expansion de l’Islam, les esclaves noirs ont joué des
rôles de premier plan dans l’Islam médiéval, tel que Kâfûr al Ishshîdî, ennu-
que devenu roi d’Égypte (+ 329/940)... Comme il a été souligné plus haut, on
relève quelques savants africains noirs dans le domaine de la connaissance et
de l’étude de l’Islam, et ayant rapporté, transcrit des hadîth, tel Sa’id.b.Djubair
(+ 94/712), grand érudit, spécialiste de l’exégèse coranique, du rituel du pèle¬
rinage et de l’interprétation de la loi ; de même que Atâ’b Rabâh (+ 117/335),
l’homme «au teint noir, au nez épaté et aux cheveux crépus», homme de
religion et grand jurisconsulte, baptisé le «Mufti de La Mecque». Les Noirs ont
donc joué un rôle actif et de premier plan dans l’Islam naissant et ont contribué
à son affermissement doctrinal et à son développement ainsi qu’à sa diffusion
à travers l’Afrique. Mais l’Afrique n’a point besoin de ces titres de noblesse ;
Religion, Culture et Politique 91
il lui suffit d’adopter l’Islam, religion universelle. Les Arabes devraient donc
rendre Mahomet à l’Humanité de même que les Européens doivent rendre Jésus-
Christ à l’Humanité, d’autant que sur 700 millions de musulmans dans le monde,
les pays arabes ne représentent que le 6e environ (80 millions), l’Indonésie à
elle-seule, compte 150 millions de musulmans, l’Afrique noire 62 millions.
Il convient de rappeler que l’Afrique soudanienne se convertit à l’Islam
du XIe au XIXe siècle, et l’Afrique Orientale, de la Somalie à Zanzibar, aux
Comores et Madagascar, du XIIe au XVIe siècle. Au XIXe siècle, l’Afrique
connaîtra deux grands empires musulmans ; les empires Peul du Marina56 et
de Sokoto. Ces différents éléments ont concouru à conférer à l’Islam les traits
d’une religion africanisée ; son caractère étranger s’est estompé au cours des
ans ; il fait désormais partie du patrimoine religieux, voire socio-culturel, d’une
partie importante de l’Afrique. Il n’en est pas ainsi du Christianisme malgré
la bonne volonté des missionnaires.
L’œuvre humaine des missions, note A. Gouilly, «a presque toujours précédé
la civilisation de l’Europe, elle l’a rendue possible. Trop souvent les missionnai¬
res sont les seuls Européens à parler les langues des peuples d’Afrique, à péné¬
trer leur psychologie, à manifester à leur endroit les sentiments d’affection
désintéressés sans lesquels les plus brillantes qualités d’intelligence sont vai¬
nes»57 . Et l’auteur de poursuivre fort justement : «... Le Noir christianisé n’est
plus un Noir, mais ce n’est pas non plus un chrétien à l’instar d’un Européen, ce
n’est qu’un indigène déclassé et déraciné. Le Noir islamisé, au contraire, est bien
musulman ; sous d’autres latitudes, ses coreligionnaires ne le rejetteraient pas.
Alors qu’en devenant musulman, le Noir islamisé «n’est pas forcé de devenir
Arabe... en devenant chrétien, il (le Noir) est obligé de devenir Français, An¬
glais , Allemand ou Portugais» 58.
Nous ne saurions suivre Gouilly lorsqu’il écrit : «... mais ce n’est pas non
plus un Chrétien à l’instar d’un Européen». En effet, on peut se demander qui
est Chrétien, ou Musulman ; l’Européen est-il Chrétien, vraiment ? Comment
l’Européen «Chrétien» a-t-il pu, et peut-il encore, s’il se réclame de Jésus-
Christ, asservir, coloniser, exploiter d’autres hommes et peuples ? encourager,
soutenir, à tout le moins tolérer l’apartheid, et entretenir, pour des raisons éco¬
nomiques, l’injustice au plan mondial ? Il serait intéressant et fort instructif
d’étudier le phénomène de l’acculturation et de l’altération du Message Évangé¬
lique par l’Européen.
En réalité, il ne faudrait pas exagérer ou surestimer ce déracinement de
l’homme africain christianisé car ce serait faire peu de cas des points de résis¬
tance culturels à l’acculturation surtout religieuse. Le Noir christianisé, en
dehors peut-être des familles comptant deux ou plusieurs générations de
Chrétiens, comme les métis ou les descendants d’anciens esclaves ou de familles
portugaises, ou les «gourmets» du Sénégal, pratique bien souvent un syncré¬
tisme qui lui permet de maintenir un équilibre culturel et religieux. Il reste que
s’il veut vivre réellement sa foi chrétienne, le Noir christianisé se sent vraiment
mal dans sa peau et connaît des drames de conscience. Mais ces mises en ques¬
tion constantes, ces crises ou troubles de la foi, le Musulman qui se veut ortho-
56. A. Hampâté Bà, J. Daget, L’Empire Peul duMacina, Paris, Mouton, 1962.
doxe, les partage aussi, quand bien même il n’affiche pas son profond dé¬
sarroi. En fait, on peut dire que nombre d’Africains, sont soit des animistes
Chrétiens, soit des animistes-Musulmans ; il y a beaucoup d’islamisés ou
de christianisés, mais en réalité, l’Afrique compte peu de vrais Musulmans
ou de Chrétiens, même si les Africains s’avèrent foncièrement croyants et
profondément pieux. Ce n’est pas le lieu de développer ce thème ; nous nous
proposons de le faire dans un prochain ouvrage : «Itinéraire ou les tribulations
d’un animiste-Chrétien». C’est tout le problème du terrible et dramatique
problème de l’identité culturelle et de l’acculturation religieuse. Comment être
et rester soi-même, si l’on renie la religion de ses ancêtres, celle-là même qui
est intimement liée à la culture, à l’environnement socio-culturel, surtout en
Afrique où, comme nous l’avons relevé dans ce travail par une approche
structuralo-fonctionnaliste, la religion est le tout de l’homme, informe et anime
toute la vie de l’homme. On ne peut de l’extérieur, ou bien quand on n’a pas
été élevé dans le sérail, au cœur de la religion et de la vie culturelle autochtones
ou nationales, parler de cette question, ni même la comprendre vraiment.
Sentimentalisme ? Subjectivisme ? Si l’on veut ... heureux,peut-être, ceux qui
ne connaissent pas d’inquiétude métaphysique, qui ne connaissent et ne vivent
qu’une seule culture, dans «l’établissement culturel et reügieux», pensé, ordon¬
nancé et surveillé pour eux par des institutions séculaires... On reconnaîtra que
contrairement à l’Islam, le Christianisme est une religion à Dogme et très
intellectualisée, perdant de plus en plus le sens du sacré, objet de savantes dis¬
sertations théologiques éthérées, négligeant l’homme réel, ici-bas confronté
avec des problèmes de vie ou de simple survie, dans sa quête d’un monde de
paix et de plus de fraternité. Certains théologiens vont jusqu’à vous dire que la
prière ne doit être que d’adoration et de louange et pas de demande, comme si
Jésus-Christ lui-même ne nous avait pas laissé le «Notre-Père !» Comment tenir
un tel langage à nous autres, les démunis, les éprouvés de tous les instants, dans
une nature ingrate et terrifiante et qui lance à l’homme un défi permanent,
nous, de surcroît les réprouvés, les «damnés de la terre» Ah ! les fils maudits et
déshérités de Cham ! Pour le négro-africain qui est foncièrement croyant,
Dieu est tout. Il peut tout et tout dépend de lui. Nous travaillons et peinons,
mais si sa grâce vient à nous manquer, vaines sont nos peines. Et puis, il ne
nous a pas donné le monde pour que nous en souffrions ; non, pour le négro-
africain, la vie de l’homme n’est pas faite pour les épreuves, en attendant un
au-delà meilleur. Dans notre langue maternelle, l’homme se définit «maître,
père du monde», et pour lui, vivre, c’est «manger la vie».
Comme l’écrit B. Adoukonou59 «la vision du monde des Adja-Fon est
marquée au coin d’une passion pour la vie. La saisie originelle du réel est
centrée sur les valeurs de la vie, qui est elle-même une réalité qui se «mange».
Etre heureux se dit en adja-fon «manger la vie» (du Gbê) ; mais cette passion
pour la vie est très consciente des dangers qui la guettent, et c’est pourquoi,
comme il a été remarqué, la joie de vivre des Adja-Fon s’accompagne d’un sens
tragique, voire à la limite d’un pessimisme qui n’offre aucune issue. La littéra¬
ture orale, les chants populaires, même modernes, relèvent presque de l’existen-
59. Adoukonou B., op. cit., pp. 267-9. On lira également avec intérêt la thèse de Basile
Kossou, «Sê et Gbê, dynamique de l’existence chez les Fon du Sud-Dahomey, Paris,
Sorbonne, 1971.
Religion, Culture et Politique 93
Section II
63. Missions africaines de Lyon, a créé la revue «Renaissances Africaines». Grand anthro¬
pologue très attaché à la culture africaine, a su rallier, les dahoméens de toutes religions.
Fut élu député du Dahomey à la constituante de 1945. Lire in Revue Grands Lacs, numé¬
ro spécial de juillet 1946 «Les grandes dates de la mission au Dahomey».
64. Prêtre autrichien de la Société du Verbe Divin.
Religion, Culture et Politique 95
histoires de la tribu sur son origine, l’origine du genre humain, celle du monde,
la révélation primitive, et, en général, tout ce qui peut confirmer les récits de
nos livres saints ou les renseignements du Christianisme sur l’unité de la race
humaine , etc.». Dénonçant le colonialisme, le R.P. Aupiais disait «la princi¬
pale cause du préjugé de couleur est que la colonisation a commencé par un
acte violent, et les Blancs qui se sont introduits parmi les populations indi¬
gènes à la suite de ces coups ont été tentés de se conduire en vainqueurs», et
de préconiser un «régionalisme culturel». «Par le régionalisme, ils (les prêtres
africains) seront conduits à apprécier la littérature orale de leur pays, à prati¬
quer, et d’une manière excellente, les divers genres littéraires qui la caracté¬
risent, 1 art d’être disert, voire éloquent, dans un pays ou l’habileté dans le
discours est si courante. Us ne négligeront pas la linguistique qui leur rendra
les plus grands services pour les traductions. Ds se mettront aussi en marche
pour le long chemin des découvertes historiques, religieuses, morales du passé
de la tribu, de son existence matérielle, politique et spirituelle»66. C’est à
partir de telles recherches que s’est développée une scolarisation dans les lan¬
gues africaines principalement au Nigéria et au Togo67, que les Évangiles, des
cantiques ont été traduits en langues africaines et que plus d’un a appris le
catéchisme de Saint Pie X en Fon et en Yoruba. Au lendemain des Indépen¬
dances, l’africanisation de la liturgie s’accentue, sous forme d’adoption de
chants et tams-tams africains pour animer les offices religieux et assurer une
participation plus directe aux cultes, à l’instar des cérémonies traditionnelles.
Au lendemain de Vatican II, plus d’un Chrétien s’étonne et se scandalise
devant des messes célébrées suivant le rite africain : tam-tam, procession autour
de l’autel et offrande des produits agricoles, voire de la pêche, avant la consé¬
cration, et qualifie de messes païennes celles-là que vivent à présent maintes
communautés chrétiennes comme celle dirigée par l’Abbé Mboumou à Yaoundé.
Et pourtant «Louez-le par l’éclat du cor, louez-le par la harpe et la cithare,
louez-le par les cordes et les flûtes, louez-le par la danse et le tambour, louez-le
par les cymbales sonores, louez-le par les cymbales triomphantes...» chantent
David et l’Église dans le Psaume 150 ! !
Est-ce à dire que l’Église se soit faite alors africaine avec les Africains ? Tant
s’en faut. Sans doute, «christianiser n’est pas occidentaliser»68, mais, le phé¬
nomène de l’acculturation ayant joué, le Christianisme a subi les influences
socio-culturelles de l’Europe occidentale, et a été transmis à l’Afrique dans ce
halo socio-culturel. Malgré leurs efforts, les missionnaires progressistes, ou
plutôt ceux qui sont plus fidèles à l’Évangile, n’ont pu décoder ni dépouiller
le Christianisme de l’habit occidental et le faire s’incarner dans le milieu afri¬
cain. Il était et il paraît encore difficile de réaliser la révolution qui s’impose
en la matière : nationaliser les Églises chrétiennes surtout l’Église catholique,
à la manière de l’Église copte ; conserver le dogme et l’intégrer au patrimoine
culturel africain. Certains observateurs européens ont sans doute été frappés
par la réserve ou la timidé des évêques africains au Concile, ou même à Kam¬
pala lors du voyage du Pape Paul VI. L’on voudrait qu’ils se fissent les cham¬
pions des réformes liturgiques lancées par Vatican II mais ils ne le peuvent pas.
Ils procèdent plus par prudence que par conservatisme. En transposant sans
ménagement en Afrique, les réformes actuelles, ils risquent à coup sûr de pro¬
voquer dans des chrétientés encore jeunes des traumatismes, et à tout le moins,
de graves troubles de conscience, surtout parce que, dans ce domaine plus
qu'ailleurs, l’accessoire a été identifié à l’essentiel. En effet, le retour à l’Église
primitive rapproche singulièrement de la Religion traditionnelle. De tels rappro¬
chements risquent de choquer les chrétiens qui ont, comme dirait l’auteur de
La Foi d’un Païen69 «des siècles d’éducation chrétienne... le Christianisme a
pénétré depuis longtemps leur sensibilité et jusqu’à leur inconscient». Dans la
plupart des églises d’Afrique, la communion n’est toujours pas donnée dans la
main, et les laïcs participent rarement à la distribution de l’eucharistie. Et c’est
judicieux. Le sacré est consubstantiellement hé au religieux ; et le Christianisme
avait conforté ce sens du sacré dans les jeunes chrétientés d’Afrique. La désa¬
cralisation sauvage en cours en Europe que dénoncent non sans raison, mais
avec excès et animosité les intégristes,ne peut que dérouter, écœurer l’Africain
non prévenu... Il n’est donc pas facile d’aller aussi vite que l’on le voudrait
parfois. Il en est ainsi du port de la soutane... Des interlocuteurs européens se
sont étonnés de la réticence des Africains à enfourcher le cheval de bataille
du mariage des prêtres qui préoccupe bien des clercs occidentaux. Sans aborder
quant au fond cette question complexe et délicate du mariage ou du célibat des
prêtres, disons que la tradition religieuse africaine n’apporte pas une réponse
décisive. Parfois, le chef religieux exerce une charge, une fonction, parfois une
véritable profession, le plus souvent patrimoniale, héréditaire. H transmet le
culte, ses rites et secrets à l’un de ses enfants ou à défaut à l’un de ses parents
ou proches. Il vaut mieux pour le chef religieux avoir une progéniture. Et
nous avons connu des chefs religieux de grande renommée qui se désolaient soit
de ne pas avoir d’enfants, soit de ne trouver parmi la nombreuse progéniture un
enfant digne d’hériter du patrimoine religieux et culturel, car n’est pas chef de
culte qui veut. E faut avoir été choisi, oint par la divinité. Et la scolarisation, à
l’occidentale, se révèle en la matière le plus grand agent destructeur de la Reli¬
gion traditionnelle. Par ailleurs, ce que beaucoup ignorent, c’est que le chef
religieux négro-africain est astreint à des périodes de continence
absolue. On n’approche la divinité qu’en état de pureté. El nous est arrivé de
participer ou d’assister à des cérémonies religieuses familiales ; nous savons par
expérience combien le sacré est à la fois attractif et répulsif, terrifiant. Comme
nous l’avons montré dans notre ouvrage, le Dan-Xomé, à Abomey,
on ne doit pas, même de nos jours, entrer dans le mausolée où
reposent les rois Glélé et Behanzin par exemple, chaussé ni en état d’impureté.
Au moment des offrandes ou libations sur les tombeaux des rois, princes ou
dignitaires, tous ceux qui ont eu des rapports sexuels et ne se sont pas purifiés,
lavés, ou les dames dans leur menstruation, sont tenus de rester dehors. Ils
se gardent bien de pénétrer dans la chambre ou dans le mausolée «adoxo :
chambre de sommeil, de repos» où reposent les ancêtres. Dans un tel envi¬
ronnement culturel, la suppression de tout «interdit» pour recevoir la Sainte
Communion présente de graves risques de banalisation et de désacralisation...
69. Jean Claude Barreau, La Foi d’un païen, Ed. du Seuil, 1967.
Religion, Culture et Politique 97
71. Michel Robert, Les statuts du clergé séculier d’Afrique Noire, Thèse soutenue à la
Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Paris, le 9 décembre 1958.
72. Côte d’ivoire (1934) ; Ghana et Cameroun (1935) ; Soudan français (1936), Nyassa-
land (1937) ; Oubangui-Chari (1938) ; Guinée française (1939).
Religion, Culture et Politique 99
les prêtres indigènes, qu’on ne fasse aucune différence et qu’il n’y ait point de
distance entre les uns et les autres mais qu’ils soient tous unis par un rapport
humain et une commune charité». Que ces instructions n’aient pas toujours
été suivies, c’est ce que démontrent maints conflits entre missionnaires et
prêtres africains au point que d’aucuns n’ont pas hésité à parler de racisme dans
l’Église. L’étude sociologique de l’Église d’Afrique déborde le cadre de notre
travail, mais elle pourrait être fort utile et instructive pour les communautés
chrétiennes elles-mêmes. Il serait trop facile et injuste de ne relever que les
aspects négatifs de l’action missionnaire...
Sans doute, le comportement de certains missionnaires n’était pas toujours
exempt de racisme, à tout le moins d’un complexe de supériorité. Dans certains
cas, rares il est vrai, d’aucuns n’ont pas admis de servir sous l’autorité d’évêques
africains, de surcroît leurs anciens élèves. De telles attitudes sont humaines et
se comprennent ; on ne saurait les généraliser. On doit en toute honnêteté re¬
connaître le dévouement rare des missionnaires et les grands services qu’ils ont
rendus à l’Afrique, aussi bien dans les milieux christianisés que dans les régions
fortement islamisées, où leur présence symbolique au plan religieux était fort
appréciée dans le domaine de l’enseignement. Malgré des insuffisances et des
bavures dans leur apostolat, on doit rendre un hommage mérité aux mission¬
naires dont le désintéressement, l’esprit de sacrifice forcent l’admiration. Eux
au moins apprenaient et parlaient nos langues, vivaient avec et dans le peuple,
à son écoute. Nous avons connu, et plus d’un Africain peut porter le même
témoignage, des missionnaires, prêtres et pasteurs qui parcouraient à bicyclette
des dizaines de kilomètres, sous le soleil ou la pluie, par moments en pirogue
dans les villages lacustres, pour apporter la Bonne Nouvelle. Des prêtres se dé¬
plaçaient souvent, à 20 kilomètres à la ronde, pour assurer la messe du diman¬
che dans plusieurs villages, principaux centres régionaux où se rassemblaient,
une fois par mois, les communautés chrétiennes des petites agglomérations
environnantes. A cet hommage doivent être associés les maîtres-catéchistes
africains, auxiliaires dévoués et désintéressés, les grands propagateurs du chris¬
tianisme dans la brousse africaine. On les oublie trop souvent dans l’étude de
l’expansion du christianisme en Afrique. Leur expérience pourrait fort bien
instruire les chrétiens occidentaux actuellement en quête d’une solution73 pour
les paroisses sans prêtres. Si seulement les vieilles églises d’Europe avaient
l’humilité d’apprendre des églises plus jeunes d’Afrique qui ont une longue
pratique, comme nous l’avons vécue dans notre jeunesse, de communautés
dominicales de laïcs. Devant la crise des vocations sacerdotales que connaît
actuellement l’Afrique — crise due à une certaine désaffection de la foi, aux
difficultés matérielles rencontrées dans la vie des séminaristes, au désir d’une
promotion sociale assortie de confort ou de grandes satisfactions matérielles,
nécessité de gagner sa vie pour venir en aide à des parents démunis qui voient
leurs voisins entretenus par leurs enfants qui exercent une activité rémunérée,
etc - les assemblées dominicales de laïcs (que nous appelions messe - pour le
Chrétien moyen, même en l’absence d’un prêtre - il y avait messe, et en parti¬
cipant à ces assemblées dominicales chrétiennes, il entend bien accomplir son
devoir dominical...) déjà éprouvées s’avèrent la solution d’avenir et peut-être
74, Meinrad P. Hegba .Emancipation d’Eglises sous tutelle. Essai sur l’èrepost-missionnaire.
Présence Africaine, Paris, 1976.
75. Efoé Julien Pénoukou, «Prêtres missionnaires et avenir des Églises africaines», in Con¬
cilium, 126,1977,pp. 71-77.
Religion, Culture et Politique 101
Les Africains auraient pu commencer à y acquérir plus tôt une formation ecclé¬
siastique approfondie, car l’Église ne deviendra africaine, ne pourra s’implanter
réellement dans 1 environnement socio-culturel, du reste en pleine transforma¬
tion, que si elle possède des cadres hautement qualifiés. Elle gagnerait à former
des cadres qui se sentent de plain pied dans la vie séculière moderne, aptes à
éduquer les chrétiens et à les aider dans leur engagement temporel d’hommes.
Un hiatus risque de se produire entre une jeunesse ou une élite moderne, for¬
mée dans des universités laïques, prompte à tout contester ou à tout remettre
en cause, en quête d’un système de développement économique et social
rapide, le plus souvent attirée par l’idéologie marxiste-léniniste, et le clergé.
Ce dernier passera pour réactionnaire, en tout cas dépassé, si au lieu du dia¬
logue, ou bien d’un engagement dans la vie sociale, il se contente de prêcher
pour la cité céleste. Notre propos n’est pas de disqualifier, ni de sous-estimer
la formation donnée aux prêtres et pasteurs africains mais l’analyse des
sociétés africaines contemporaines montre que les rapports des religions et
de la politique doivent se situer dans des perspectives nouvelles. Une véritable
nationalisation des religions chrétiennes implique, entre autres, une africanisa¬
tion de la théologie, «cette théologie qui répond à son exacte émytologie
science de Dieu, pensée et mise en système par le théologien, mais aussi vécue
par le peuple fidèle»76. Pour ce faire, la formation de cadres supérieurs en
matière religieuse, avec des spécialisations, s’impose : le cas échéant, elle devrait
se doubler d’une formation dans des disciplines profanes portant sur différents
secteurs de la vie sociale77. Le problème de l’africanisation des cadres se pose
également aux églises protestantes ; elles ont formé peu de pasteurs ; les com¬
munautés protestantes dans les pays francophones, comptent peu de cadres de
niveau supérieur ou universitaire. «Le niveau de culture générale se situait quel¬
que part entre le C.E.EJ>. et le Brevet»78. En revanche, le Nigéria,le Ghana et
le Kenya comptent d’éminents théologiens protestants.
Le second aspect de l’africanisation des églises chrétiennes, celui qui sensi¬
bilise les gouvernements africains, est l’établissement d’une hiérarchie au¬
tochtone. On considère en Afrique, comme une marque de maturité-et un sym¬
bole d’indépendance, la nomination à la tête des églises nationales d’évêques
africains. L’opinion publique estime que, de même que les gouverneurs des
colonies ou les représentants de la couronne britannique ont dû se retirer au
lendemain des Indépendances, de même les églises devaient confier la direction
des communautés religieuses à des Africains. Les États n’ont certes pas engagé
«une querelle des investitures», mais certains entendent contrôler l’organisa¬
tion des communautés religieuses, surtout catholiques, qui relèvent d’une
hiérarchie «étrangère» : «Il est normal et logique, déclare le Président Sekou
Touré, que les organisations de toute nature fonctionnant en République de
Guinée ne soient pas l’œuvre d’une institution, d’une nation, d’un groupe
étranger... Aucun responsable de l’Église catholique ne sera accrédité auprès
de nous, s’il n’est pas africain. Qu’il vienne de tel État africain que l’on voudra,
ce n’est pas question de racisme, mais nous entendons ne pas être provoqués».
Deux mobiles semblent inspirer l’attitude du gouvernement guinéen : d’une
part le désir de voir l’Église aux mains des guinéens, d’autre part, la volonté de
contrôler étroitement l’administration de l’Église de Guinée, comme toutes les
autres communautés religieuses afin qu’elle ne soit pas une autorité concur¬
rente du pouvoir d’État. C’est cette même préoccupation qui anime les déci¬
sions du Gouvernement camerounais ; l’État exerce, en effet, un contrôle
rigoureux sur les ressources, en particulier les ressources financières provenant
de l’étranger et destinées aux églises. De même, la peur de tout pouvoir concur¬
rentiel explique d’une part, les tensions entre État et Église au Zaïre, en Ougan¬
da et en Guinée équatoriale, d’autre part, la campagne de dénigrement déclen¬
chée contre Mgr Ndongmo accusé de complot tendant à s’emparer du pouvoir.
Aussi, le nord à dominante islamique et au surplus jaloux du pouvoir détenu
par le président Ahidjo, se souleva-t-il contre l’Église représentée par les popula¬
tions du sud ; églises et temples furent incendiés. Ainsi s’imbriquent des fac¬
teurs religieux, ethniques et régionalistes.
Cette même peur d’une autorité concurrentielle a conduit le Gouvernement
militaire révolutionnaire du Bénin à assigner à résidence le Cardinal Bernardin
Gantin, en juillet 1977, lors de la visite officielle qu’il fit dans son pays natal, le
Bénin, après qu’il a été élevé à la dignité cardinale. Il a été accueilli avec enthousias¬
me et ferveur par toutes les communautés religieuses, chrétiennes, musulmanes
et traditionnelles en chœur, illustrant avec éloquence,l’esprit d’œcuménisme qui
caractérise,dans le domaine religieux,les sociétés africaines. Même le Gouverne -
ment révolutionnaire marxiste-léniniste participa à la fête s’efforçant d’endi¬
guer le mouvement populaire. L’accueil des populations prit l’allure d’une
véritable démonstration, défiant les autorités qui s’évertuaient à lutter contre
«la féodalité», en particulier contre la religion et qui ont vu leur «appareil idéo¬
logique d’État» tenu en échec. Aussi, craignant d’être débordé,
le Gouvernement interdit-il au cardinal de célébrer les offices ou de prendre la
parole en public. Il fut en fait assigné à résidence, à l’Archevêché, à Cotonou.
Comme l’a dit un des responsables de la Révolution béninoise, «ce que nous
avons mis près de cinq ans à bâtir, lui vient le détruire en quelques minutes ;
c’est inadmissible». C’est la preuve que le marxisme-léninisme n’avait pas pris
dans les masses populaires et que les mesures vexatoires contre les «sorciers
et féticheurs» et les églises — réunions politiques aux heures des offices reli¬
gieux — menaces proférées contre les hommes de culte — n’avaient en rien
entamé la foi et la ferveur des citoyens mais au contraire les avaient renforcés
dans leurs croyances et pratiques religieuses. Pour beaucoup, la venue du
Cardinal Gantin était un signe, une bénédiction de Dieu. On s’attendait à ce
qu’il exerçât sa fonction tribunitienne de chef spirituel ; ce qu’il fit au grand
contentement des croyants mais si son message a conforté et galvanisé
le peuple, il a en revanche dérangé les Autorités. Et c’est ce qui
explique les mesures prises à son encontre. L’évènement eut pour
principal intérêt de révéler aux croyants leur propre force, et dessiller
les yeux des gouvernants qui croyaient que quelques slogans avaient pu
ébranler la foi et les croyances des populations ; bien au contraire,
comme l’attestent de nombreux témoignages, la lutte antireligieuse a
provoqué un renouveau profond de la religiosité spontanée dans le peu¬
ple et stimulé la ferveur des croyants ; les idées religieuses du peuple, sur¬
tout celles héritées des ancêtres,n’ont pas été entamées...
Religion, Culture et Politique 103
79. Mgr Tchidimbo, évêque de Conakry a été arrêté à Noël 1970 à la suite de «l’agression
portugaise du 22 novembre 1970 contre la Guinée». Il fut condamné lors du «grand procès
populaire de la cinquième colonne» du 29 juillet 1971 et libéré le 7 août 1979 ; il vit ac¬
tuellement en exil, entre Rome et la France.
104 Religion et colonisation - décolonisation
Et que dire des chefs musulmans ? L’Islam doit-il rester en Afrique noire
une religion sous-développée, pour analphabètes et ignares, dirigée par des féo¬
daux illettrés et demeurés au niveau du XVIIIe siècle ? L’Islam noir a pourtant
connu d’éminents docteurs de la loi, à Tombouctou notamment. Où sont donc
les successeurs et les héritiers du célèbre jurisconsulte et théologien Ahmed
Baba ? Les universités islamiques comme El Azhar (Caire), la Karawayn (Fès)
ou les Facultés de théologie comme celles de Tunis, Damas, Ryad etc, ne
devraient-elles pas s’ouvrir davantage aux Africains80, afin de former des hom¬
mes de religion et de loi capables de comprendre, de commenter et d’interpré¬
ter le Coran pour enraciner le Message de Mahomet dans la culture africaine et
l’ouvrir sur le monde moderne ? Le Collège Islamique ouvert à Tammanrasset
recrutant de jeunes africaines (10-12 ans), notamment du Niger et Mali, pour¬
rait constituer une pépinière de cadres autochtones pour l’Islam africain ; mais
l’enseignement étant uniquement dispensé en arabe, il y aurait lieu de craindre
le déracinement et l’acculturation de ces missionnaires, et témoins de l’Islam.
Le problème de l’africanisation culturelle de l’Islam reste posé, ne serait-ce
qu’au niveau de la langue. La coopération en la matière devrait se développer
en prenant en compte le patrimoine culturel négro-africain si l’Islam veut
devenir adulte et responsable en Afrique.
80. D’après des témoignages que nous avons recueillis dans le milieu islamisé, nombre
d’Africains ayant fait leurs études dans les pays arabes en reviennent anti-arabes, délais¬
sant meme la religion ou les pratiques religieuses !
CHAPITRE VI
RENAISSANCE CULTURELLE ET
NA TIONALISA TION DES RELIGIONS NOUVELLES
L’africanisation des églises d’Afrique ne porte pas seulement sur les change¬
ments de structures et sur l’indigénisation des cadres, elle implique une vérita¬
ble nationalisation du Christianisme et son enracinement dans les cultures et
la civilisation africaines. Or, nous assistons en Afrique, du moins sur le plan
théorique et idéologique, à une renaissance culturelle. Les Africains sont en
quête de leur identité culturelle, identité qu’ils entendent affirmer et dont ils
voudraient faire le fondement de toute leur action politique, économique et
sociale. En conséquence, la culture doit inspirer, animer toute l’idéologie na¬
tionale. La religion étant partie intégrante de la culture négro-africaine, elle
doit concourir à identifier, à affirmer et à promouvoir la personnalité de
l’homme africain. Ce «Kulturkampf», qui a nom Négritude, African Persona-
lity, Rénovation, Authenticité, Renouveau, etc., ne s’est pas jusqu’à présent
traduit dans les faits culturels, encore moins politiques. Il se présente le plus
souvent comme une revendication ou une pétition de principe. H possède une
forte puissance émotionnelle et une grande charge affective ; ce mouvement
de renaissance culturelle qui prend dans la jeunesse, peut s’avérer demain déter¬
minant dans les rapports de l’Afrique et du reste du monde, notamment avec
l’Europe. Au plan religieux, il a déjà servi de prétexte à des tensions entre
pouvoir politique et autorités religieuses, en particulier au Zaïre en 1972 et
au Togo : c’est le rejet des noms chrétiens, avec l’obligation de prendre des
«noms et postnoms exclusivement dans le patrimoine culturel zaïrois».
Section I
qui contrôle en fait les principales activités du pays, l’Église devant s’intégrer
dans les nouvelles structures étatiques créées pour mener à bien la politique
de construction nationale. Aux termes de la Constitution, toutes les institu¬
tions, et partant l’Église, sont subordonnées au parti unique, le Mouvement Po¬
pulaire de la Rébolution (MPR), dont Mobutu est «le père fondateur», et qui
contrôle toutes leurs activités. En tout état de cause, tout zaïrois laïc ou clerc,
sans distinction de religion, est d’office membre du MPR. Il fallait réduire l’au¬
tonomie de l’Église - le tiers de la population zaïroise est catholique - et la
soumettre au contrôle de l’État, ainsi allait-elle, pensait-on, cesser de constituer
une autorité concurrentielle et une alternative à l’autorité civile. La querelle
autour des prénoms étrangers, entendez chrétiens, apparaît dans ces conditions
comme un banc d’essai de la nouvelle politique gouvernementale. Apparem¬
ment affaire conjoncturelle, la question de l’imposition de prénoms africains
au moment du baptême, préoccupe à la vérité beaucoup de chrétiens africains
et éveille la sensibilité de la jeunesse. Le fait que l’exemple du Zaïre ait suscité
l’adoption de mesures similaires au Togo, un autre pays fortement christianisé,
est assez révélateur des tendances nationalistes dans le domaine religieux. Faute
de pouvoir s’attaquer à l’essentiel, les hommes politiques s’en prennent à un
élément important mais somme toute, secondaire, au regard de la foi ; c’est à
se demander si le fait de répudier des prénoms étrangers avec l’obligation de
prendre des prénoms et noms à consonnance africaine, n’est pas anti-démocra¬
tique, limitant arbitrairement la liberté du citoyen. Toujours est-il que cette
politique a, au regard du christianisme classique, posé problème, et a été par
ailleurs mal accueille par l’opinion publique tant zaïroise que togolaise.
D’aucuns se sont scandalisés à l’idée que l’on pût baptiser sous des prénoms
africains. L’énervement, les questions insidieuses posées aux Africains «occi¬
dentalisés», les explications plutôt embarrassées, données par bien des interlo¬
cuteurs européens pour justifier la position traditionnelle de l’Église en ma¬
tière d’onomastique chrétienne, relèvent moins d’une volonté de défendre la
Foi chrétienne que celle, à peine dissimulée, de sauvegarder une certaine forme
de civilisation, «La Seule et Unique», l’archétype : «la Civilisation occiden¬
tale». N’était-il pas établi et devenu normal qu’un Africain converti au christia¬
nisme se prénommât Pierre, Louis, Maurice, Paul, voire Napoléon ? Ne devait-il
pas s’identifier, jusque dans son être, à l’Occident chrétien, en empruntant les
prénoms, et parfois les patronymes des petits-fils des descendants de la «Fille
aînée de l’Église», cette France-Mère qui nous a portés sur les fonds baptis¬
maux ?
Bien avant la politique officielle zaïroise de l’Authenticité, en 1972, nombre
de jeunes Africains s’étaient rebellés contre l’aliénation culturelle que constitue
l’imposition obligatoire, d’un prénom chrétien, entendez européen, lors du
baptême. Et nous-mêmes, avions demandé à Mgr Sigismondi, lors du Congrès
des Étudiants Africains Catholiques qui s’est tenu au Collège de la Propagande,
à Rome, à Pâques 1957, pourquoi ne pouvait-on baptiser sous des noms afri¬
cains. Il nous fut répondu que rien ne s’y opposait mais qu’il valait mieux
recourir à des prénoms chrétiens, ceux portés par des Saints reconnus, canoni¬
sés par l’Église. En 1969, dans un article «Halte au Pédantisme chrétien», un
jeune gauchiste dahoméen, s’insurgeait mais avec justesse, contre l’imposition
de prénoms chrétiens, belle illustration à ses yeux de l’impérialisme culturel
européen, et d’aliénation de l’identité culturelle pour l’Africain : «que les
Églises chrétiennes aient partagé au début de l’expansion européenne le mépris
Religion, Politique et Culture 107
2. Nous devons ces indications à notre «honton», l’Abbé Alphonse Quenum, avec lequel
nous avons longuement abordé ces questions et qui nous a permis d’utiliser son étude iné¬
dite sur l’onomastique chrétienne.
3. F. Rapp, «Les croyances et les pratiques populaires à la fin du Moyen Age en Occident»
in Le Christianisme populaire, Les dossiers de l’histoire, B. Plongeron et Robert Pamet,
Centurion, Paris, 1976, p. 116.
108 Renaissance et nationalisation des religions nouvelles
place à ceux qu’avaient portés les membres de la Cour céleste, Pierre, Jeanne ou
Nicolas...». D y a lieu, pour l’Afrique, de faire des recherches renouvelées sur
les cultures africaines. En effet, pour le négro-africain, le nom sert à identifier
l’homme au plus intime de l’être. D’une manière générale, le nom est signifiant;
il évoque un événement important de la vie de la famille : il magnifie le Créa¬
teur, exprime la joie, l’espérance ; exprime et traduit un programme, il est révé¬
lateur du destin de l’enfant ; il rappelle un ancêtre ou un parent disparu. Même,
dans des régions comme l’Afrique de l’ouest, où l’on donne à l’enfant des noms
de jours, de semaines ou de mois, tous ces noms revêtent une signification. Sur
le plan ontologique, le nom est la personnification de l’être, de «l’en soi» si
bien que dans certaines coutumes africaines, quand on veut agir sur quelqu’un,
l’influencer ou lui nuire par la magie, il faut connaître son vrai nom, de même
que son jour de naissance. A côté de ce nom de naissance, le plus souvent
intime et secret, le négro-africain porte généralement des surnoms, d’autres
noms qu’il se donne ou qu’on lui attribue... Au regard de la tradition, les pré¬
noms des Africains christianisés apparaissent comme des surnoms, quelque
chose de plaqué, de superficiel. Cela est vrai quand on sait que les prénoms
sont, généralement, choisis au hasard, d’après le calendrier ou suivant les ins¬
pirations du curé ou du pasteur. On trouve en Afrique des prénoms qui ne sont
plus en usage en Europe même, et qui n’ont peut-être jamais été portés par des
saints : Melon, Cloud, Napoléon, Christophe, Véronique (veron, ikon, la vraie
image du Christ). Lorsque vous «chahutez» les vieux missionnaires qui collent
ces prénoms aux baptisés (le plus souvent des adultes), ils vous répondent, avec
beaucoup de calme et de candeur «il faut bien ; ainsi ces Saints oubliés et aban¬
donnés auront des fidèles pour les invoquer... !» Au fond, ils font une bonne
action ; en tout cas, l’intention est fort louable.
Mais, compte tenu des quelques indications données ci-dessus quant au
choix et à la collation de prénoms dans la société africaine, on devrait pouvoir
baptiser sous des prénoms tirés des cultures et civilisation africaines. Pour notre
part, nous avons toujours fait baptiser nos enfants sous deux prénoms : un afri¬
cain et un de saint (avant même la canonisation des Martyrs de l’Ouganda en
1964 ; les deux prénoms sont enregistrés dans le livret de catholicité comme
dans le livret de famille délivré par la mairie.) Cette pratique correspond du
reste aux dispositions du Droit Canon qui prescrit au Canon 761 : «les curés
veilleront à ce qu’un nom chrétien soit donné à celui qui est baptisé ; s’ils ne
peuvent l’obtenir, ils ajouteront au nom donné par les parents le nom d’un
saint et ils inscriront les deux noms au livre des baptêmes». Le nouveau rituel
du baptême publié par le Vatican, le 17 février 1972, laisse plus de choix aux
parents. La politique actuelle des Églises africaines correspond à celle-là même
qu’a adoptée l’épiscopat zaïrois au terme de son conflit avec Mobutu : «les
parents donnent à leurs enfants des noms de leur choix ; toutefois, ce nom
doit être, soit un nom qui se réfère à un mystère chrétien ou à une vertu chré¬
tienne, soit un nom autochtone qui n’est pas injurieux pour la foi, à condition
qu’il puisse être interprété dans un sens chrétien, soit le nom d’un saint qui a
témoigné le Christ par sa vie ou son sang» et, naturellement les noms de mar¬
tyrs de l’Ouganda...».
Cette revendication ne vaut pas pour les noms et prénoms musulmans ; en
effet, personne ne met en cause le port de prénoms et de noms musulmans
parce que l’Islam ne porte pas les stigmates de l’Occident colonisateur ; dans
les régions sahéliennes fortement islamisées depuis des générations, des famil-
Religion, Culture et Politique 109
les entières portent des noms et des prénoms musulmans. Il s’est opéré une
certaine africanisation de ces noms tant dans leur graphie que dans la pronon¬
ciation. Ils apparaissent moins comme des éléments d’emprunt ; ils ne semblent
pas aliénants ; apparemment, ils n’évoquent pas une culture ou une domination
étrangère. H peut être intéressant de noter combien les Africains qui font le
pèlerinage de La Mecque aiment, de retour au pays natal, à se faire appeler
«Hadj», un peu comme naguère en Europe, ceux qui ont pu se rendre à Saint
Jacques de Compostelle s’appelaient «Pèlerins», ou Romains s’ils avaient
effectué le pèlerinage à Rome. Femmes et hommes revenus de La Mecque
s’habillent à la manière des grands musulmans arabes. La volonté d’imitation
et d’identification est manifeste et grande... Dans la dialectique de la lutte anti¬
impérialiste, le nationalisme des chrétiens s’avère plus exigeant et plus dynami¬
que au plan culturel que celui des musulmans. Il est vrai que dans ses manifes¬
tations, l’impérialisme s’est avéré foncièrement européen, mais il en existe de
nos jours surtout, d’autres formes plus subtiles, et partant, aussi nocives, sinon
plus dangereuses. En tout cas, autant la question des prénoms chrétiens d’origi¬
ne étrangère préoccupe les Africains, même des Africains islamisés se mêlent
de la querelle alors même qu’ils gardent un silence pudique sur les noms musul¬
mans, autant le nationalisme des musulmans se montre peu chatouilleux quant
aux patronymes et prénoms d’origine arabe.
De même, la nationalisation des religions nouvelles, c’est-à-dire leur enraci¬
nement dans les cultures et civilisation africaines, ne pose vraiment problème
qu’au niveau du christianisme, surtout du catholicisme. Point n’est besoin ici
de s’attarder par exemple sur le port de la soutane et de l’habit par les prêtres
et les religieux ; cette querelle porte sur une question secondaire ; du reste,
que les civils qui s’encombrent de costume avec cravate, par 40 à l’ombre,
au Sahel ou sous les Tropiques, commencent par se libérer, en portant des
habits africains adaptés à l’environnement et au climat, et que le smoking
ne soit plus imposé en Afrique ni la grande toge des hommes de loi et des uni¬
versitaires...
CHAPITRE VII
Nous avons évoqué plus haut les efforts qui ont été déployés par les mis¬
sionnaires, depuis le XIXe siècle, pour traduire l’Évangile, pour produire des
livres de prières et des cantiques dans les langues africaines. Rien de tel n’a été
fait pour le Coran. Les intégristes musulmans prétendent que la religion ayant
été révélée dans la langue arabe, l’arabe est, et doit demeurer, la langue litur¬
gique «Langue arabe, langue du Coran, langue liturgique, langue du Verbe,
«écrit Mamadou Dia ; langue classique ou «lukha» n’est la langue maternelle
de personne, pas même du Prophète arabe qui, avant d’être moyen de culture,
d’expression, «instrument d’échanges temporels» est d’abord «recours au
transcendental» instrument de communication avec Dieu»1 .Cette exaltation de
la «langue du Verbe» et l’impérialisme culturel conscient ou inconscient de cer
tains Arabes ont empêché toute africanisation liturgique,essentiellement,quant
à la langue de prière,de l’Islam. Pour Hampaté Bâ, «l’arabe est une langue sacrée.
Elle n’est imposée que pour les prières surérogatoires quotidiennes, qui doivent
être dites par tous les croyants, dans la même langue ; toutes autres prières peu¬
vent se dire dans d’autres langues». En outre, nous dit Hampaté Bâ, «les lettres
arabes ont des valeurs numérales;le corps du musulman doit écrire géographique¬
ment le nom de Dieu; la langue arabe répond à un besoin d’unité rythmique et
mystique. L’arabe est une langue sacrée ; elle est restée permanente; il s’agit de la
langue coranique dite arabelittéraire,tandis que l’arabe parlé varie - variantes dia¬
lectales - d’un pays à l’autre. Pendant le Ramadan, dans la plupart des pays
d’Afrique, on lit, on traduit, on interprète le Coran dans les langues du|>ays ;
certains s’opposent à cette pratique, par conservatisme, par arabisme»2. Ces
entretiens confirment nos enquêtes sur le terrain, notamment les discussions
avec des traditionnalistes peul3. Il s’agissait pour nous, d’étudier les religions
telles qu’elles sont perçues et vécues en Afrique, en ayant présente à l’esprit
la position des docteurs de la loi. Certains de nos compagnons intellectuels
islamisés étaient scandalisés de nous voir demander si le Coran était et pouvait
être traduit en peul. Plus d’un a affirmé péremptoirement : «toi aussi, tu ne sais
donc pas que c’est interdit par le Coran?» ; Nos informateurs, quant à eux, moins
dogmatiques, nous assurèrent le plus naturellement du monde que le Coran
existe en peul. Il n’y a, en la matière, aucun interdit religieux. Ils sont, nous di¬
rent-ils, pour la plupart incompétents pour assurer la traduction et la transcrip¬
tion du Texte Révélé ; en outre, les moyens techniques et financiers font défaut.
Pendant le Ramadan disent-ils, des prêches se font dans les langues nationales...
Qu’il suffise de rappeler que le Coran a été traduit dans des langues autres
que l’Arabe, du vivant du Prophète et avec son approbation : «Salmân, écrit
Muhammad Hamidullah, se référa au Prophète, et c’est par son approbation
qu’il traduisit en persan, le premier chapitre du Coran» et de poursuivre :
«Dans ses cours faits au Caire, sur la géographie arabe, Guidi parle d’une tra¬
duction berbère en l’an 127 H»4.
Aujourd’hui, grâce à la Révolution culturelle déclenchée par Vatican II, la
messe se dit entièrement dans des langues autres que le latin. A Abomey, par
exemple, tous les offices se font intégralement en langue fon, ainsi tout le
monde comprend et participe. On ne va plus à la messe comme on se rend à un
spectacle. Ce changement profond chagrine plus d’un chrétien européen qui
s’interroge sur l’universalité de l’Église. Mais ne confond-on pas l’essentiel avec
la forme et les expressions. H m’arrive de me retrouver dans des pays anglo¬
phones, en Afrique centrale ou orientale, où des offices se disent en anglais,
lingala, kiswahili, Sango, etc. Ne parlant pas de langues b an tu, je ne puis parti¬
ciper mais en revanche, grâce à la pratique, je suis aisément l’office, le rituel
de la messe étant resté identique dans l’Église catholique ; pendant que la com¬
munauté récite le Credo ou le Pater en Ewondo ou en Kinyaruanda, moi je le
dis en fon, en yoruba ou en français suivant mon inspiration ; ainsi, je m’adres¬
se à Dieu dans ma langue et Lui m’entend ; à son tour, s’il me parle, Il le fait
dans ma langue. Dans ma civilisation fon, à Abomey, un vieux brocard dit :
«lorsque quelque chose vous tient à cœur, vous le dites dans la langue de votre
père ou de votre pays». Aussi, lors des cérémonies à la mémoire des rois du
Dan-Xomé, est-ce en adja et non en fon que se disent les paroles sacramentel¬
les, parce que la dynastie des Huégbadja est originaire de Tado, en pays adja.
Dieu ne comprendrait-il que le latin et l’arabe ? Et qui a créé les autres langues?
Qui a inventé la tour de Babel ? Et les Apôtres, lorsque, remplis de l’Esprit
Saint, à la Pentecôte, ils parlaient leur langue maternelle, ne se faisaient-ils
pas comprendre par chacun, dans sa propre langue ? «Si Dieu me parle, qu’H
me parle dans ma langue», Vatican II a raison. A son tour,le colonel Khadafi5
affirme à juste titre que l’Islam est une religion universelle, et, comme Khadafi
pense que l’Islam est le meilleur instrument de libération du monde, il estime
qu’il doit être accessible à tous les peuples et ouvert à toutes les civilisations
et cultures ; en conséquence, estime-t-il, le Coran doit être traduit dans toutes
les langues africaines. Aussi encourage-t-il la traduction du Coran dans diffé¬
rentes langues de l’Afrique noire. L’arabe cesse ainsi d’être le seul véhicule de
la Révélation.
Cette évolution n’est pas sans rappeler celle qu’a connue la langue liturgique
en Grande Moravie, au cours du Haut Moyen Age européen, et la position révo¬
lutionnaire prise alors par le Pape Jean VIII. En effet «... la liturgie était en
latin, langue étrangère... car, si la prédication se fait en langue vulgaire, la
liturgie doit utiliser le latin. Un pays connut une liturgie en langue nationale,
poré7 si l’Eucharistie ne devrait pas emprunter d’autres formes que les espèces
du pain et du vin. Certainement, mais de telles innovations impliquent de
sérieuses réflexions et des recherches patientes. L’essentiel, c’est la présence du
Christ et le partage. Les sociétés africaines connaissent des formes spécifiques
de communion, de repas sacrificiels et communautaires ; ce qui est important,
c’est la consécration puis le partage. Les espèces varient, dans un même pays
d’une région à l’autre, d’un pays à l’autre, mais l’essentiel s’avère toujours être
un repas pris en communauté, festif ou funéraire, même s’il n’y a pas immo¬
lation d’animaux. On offre de l’eau, de l’alcool ou de la kola, et chacun en
reçoit une part, même symbolique. Il suffit que l’eau, la boisson ou l’offrande
touche la langue. On a communié. Cela dit, ü ne semble pas que l’Eucharistie,
sous les espèces du pain et du vin, pose réellement problème, d’autant moins
que la Communion ne se donne en général que sous la seule espèce de pain.
De nos jours, le pain de blé a gagné les campagnes africaines ; il apparaît de
moins en moins comme un produit étranger ; en tout cas, on a plaisir à en con¬
sommer même s’il peut être considéré comme un aliment de luxe. Chez les fon
d’Abomey, n’offre-t-on pas parmi les 42 plats des repas sacrificiels commu¬
nautaires ou festifs offerts aux mânes des rois, du pain ? Personne ne s’en offus¬
que ; désormais, le pain fait partie du menu rituel pour les grandes cérémonies
«Ka Kpi Kplé...».
Par ailleurs, les pays frappés par la sécheresse ou connaissant la famine, ne
vivent-ils pas de pain ? Ne reçoivent-ils pas des organismes internationaux de
bienfaisance, de la farine de blé ? A défaut de blé, on peut utiliser d’autres pro¬
duits ; l’eau étant une boisson universelle, on peut l’adopter au lieu et place du
vin. Jésus-Christ a pris un repas familier, courant, dans son environnement na¬
turel ; les traditions de l’Église ont conduit à adopter la forme de l’hostie au
lieu du pain commun, h faudra trouver des espèces commodes et pratiques,
faciles à distribuer et à conserver... Qu’on prenne donc le temps de chercher,
de consulter les chrétiens eux-mêmes avant de proposer toutes autres formes
pour l’Eucharistie.
Quant à la polygamie, elle a constitué jusqu’à présent un obstacle dirimant
à l’expansion mais surtout à l’enracinement du Christianisme en Afrique. La
polygamie est un fait de civilisation. Il n’est pas aisé de le répudier et de l’éra¬
diquer aussi facilement que le voudraient les missionnaires et certains prêtres
africains intégristes, fortement marqués par le Christianisme occidental. On
peut épiloguer sur la polygamie, sur ses avantages et ses inconvénients compa¬
rés avec ceux de la monogamie. Point n’est besoin de s’attarder sur de telles
considérations ; il faut mal connaître les sociétés occidentales et certaines de
leurs mœurs et leurs législations — système des maîtresses, un consensus tacite
sur l’aventure sentimentale, le sort injuste fait aux enfants dits naturels et adul¬
térins, etc. — pour imposer la monogamie comme le modèle matrimonial par
excellence. Quoi qu’il en soit, la monogamie n’est pas l’une des conditions es¬
sentielles du Christianisme ; il n’y a pas de mariage chrétien spécifique, évangé¬
lique. En tout cas, elle n’apparaît pas comme telle dans la Bible ; ni dans l’An¬
cien ni dans le Nouveau Testament. Elle est loin d’être une vérité,une nécessité
d’évidence8.
Pour le négro-africain, l’enfant demeure la plus belle des bénédictions ;
procréer, laisser une postérité, voilà le but ultime du mariage. Et voilà qui
coïncide avec la doctrine fondamentale de l’Église puisque, aux termes du
Canon 1013, 1 du Code de 1917, on se marie «pour avoir des enfants» et le
Pape Pie XII ne déclarait-il pas dans son message aux sages-femmes, le 29
octobre 1951 : «La vérité est que le mariage comme institution naturelle,
en vertu de la volonté du Créateur, a pour fin première et intime non le per¬
fectionnement personnel des époux, mais la procréation et l’éducation de
la nouvelle vie. Les autres fins, tout en étant également voulues par la na¬
ture... lui sont essentiellement subordonnées», position que confirme la Cons¬
titution Gaudium et Spes (148 et suiv.) : «par sa nature même, l’institution
du mariage et l’amour conjugal sont ordonnées à la procréation et l’éducation
qui, tel un sommet, en constituent le couronnement». En Afrique, plus on a
d’enfants, plus on est heureux, comblé ; autant d’héritiers, autant de bras qui
contribuent au développement du patrimoine familial. Pour les Lon «Vi wê
nyi Hennu: l’enfant ou la progéniture, c’est ce qui fait le Henmu, le clan» ;
et le Yoruba change «O mon ni gni... O mon la cho..., O mon la chénidé»...
Pour les Bakiga, écrit Y.K. Bamunoba, la mort est inévitable et éternelle. Il
n’existe pas de paradis, ni de vie après la mort, ni de résurrection, sauf sous
la forme d’un esprit. Coupable d’avoir perdu le pouvoir de ressusciter, l’homme
doit accepter ce destin. Mais les Bakiga s’accrochent à la parcelle d’immortalité
que constituent les enfants, à la descendance qui continue la chaîne familiale...
Pour les Bakiga, la famille idéale se compose du mari, de plusieurs femmes et
de nombreux enfants. On se réjouit d’avoir aussi bien des filles que des garçons
pour assurer la reproduction. Mais, il faut surtout avoir des fils, faute de quoi
on estimera que le chef de famille a été brisé par la mort. De nombreux fils
font échec à la mort. A l’enterrement du chef de famille, on dit alors en mon¬
trant les fils : «Ogu tafwire ahurire» (cet homme n’est pas mort ; il est vivant).
C’est pourquoi le mariage n’est véritablement, en fait, acquis qu’à la naissance
d’enfants. Un mariage stérile est un désastre qui se termine soit par un divorce,
soit par un deuxième mariage qui crée un foyer polygame...»9. Voilà qui
explique en partie la polygamie. La stérilité d’un ménage conduit souvent les
parents à marier une autre femme à leur fils, comme si la fécondité était l’apa¬
nage du seul mâle. Par ailleurs, même de nos jours, les parents poussent les
jeunes ménages à avoir beaucoup d’enfants. D’aucuns sont intervenus, maintes
fois, pour calmer l’anxiété d’une vieille tante ou de tel membre du groupe fami¬
lial parce que tel frère n’avait eu que trois enfants ! Le négro-africain n’échappe
pas à ces récriminations même avec quatre enfants ! Le négro-africain estime
qu’il faut procréer autant que Dieu vous le permet et ne pas trop s’inquiéter de
l’avenir des enfants car Dieu y pourvoira - «nou éwanvou nadû ô amâû Wêdé» -
8. P. Grelot, Le couple humain dans l’Écriture, Cerf, Paris, 1962. Au moment où nous met¬
tons sous presse, nous venons d’avoir connaissance de l’ouvrage très enrichissant du Père
Michel Legrain : «Mariage chrétien, modèle unique ? Question venues d’Afrique», Ed. du
Chalet, Paris 1978. Nous partageons évidemment ses conclusions lorsqu’il écrit : «Le
mariage chrétien n 'est pas une réalité en soi qui planerait au-dessus des diverses cultures et
qu 'il s’agirait d'imposer à tous ceux qui se veulent du Christ. Il n’y a pas un mariage chré¬
tien, mais des chrétiens qui se marient et donnent signification chrétienne a leur mariage»,
p.103.
9. Bamunoba Y JC., La Mort dans la vie africaine, Présence Africaine, Unesco, Paris, 1979,
pp. 31-32.
116 Renaissance et nationalisation des religions nouvelles
littéralement «ce que le ver doit manger se trouve sur la feuille». Voilà qui
devrait poser problème au marxisme-léninisme qui considère la motivation éco¬
nomique comme la motivation fondamentale de l’homme et l’économie comme
la valeur suprême, à moins que l’on n’impute une nombreuse progéniture à la
mentalité capitaliste. C’est là une question qui interpelle les anthropologues
et spécialistes du développpement qui transposent dans les sociétés africaines
les concepts et paramètres de développement tels qu’ils ont été élaborés en
Europe... Quoi qu’il en soit, les jeunes générations qui sont aussi attachées que
les Anciens à la progéniture, sont amenées de plus en plus, pour des raisons de
confort, à limiter le nombre des enfants et à éviter autant que possible la poly¬
gamie, adoptant souvent la nouvelle mode des maîtresses.
En effet, de même qu’en Europe, la monogamie s’est imposée pour des rai¬
sons économiques, — le patrimoine à répartir entre les héritiers — et la coïnci¬
dence entre le droit civil et le droit économique, de même, elle entre progressi¬
vement dans les mœurs africaines, en particulier chez les jeunes générations oc¬
cidentalisées, sensibles au confort moderne, confrontées aux problèmes d’édu¬
cation et de promotion de leurs enfants, et partant forcées de limiter les nais¬
sances. Ainsi donc, les contraintes économiques et sociales peuvent conduire,
en Afrique, à la généralisation progressive de la monogamie. Celle-ci ne sera
pas extirpée par les sermons, véritables Philippiques, prêchés en méconnais¬
sance manifeste des réalités socio-culturelles africaines, ni par des mesures
vexatoires et souvent discriminatoires que prennent certains prêtres. En effet,
n’ont-ils pas, jusqu’à Vatican II, refusé la sépulture chrétienne à des chrétiens
fervents et assidus aux offices mais qui étaient restés polygames, et partant
étaient tenus éloignés de l’Eucharistie. On pousse encore l’absurde jusqu’à
exiger de pater familias de soixante-dix à quatre-vingts ans qu’ils répudient
leurs épouses aussi âgées qu’eux pour n’en garder qu’une, au nom de la loi
chrétienne. On méconnaît les problèmes humains que suscite une telle déci¬
sion : comment renvoyer des femmes régulièrement épousées suivant la cou¬
tume, et partant la légalité africaine, souvent mères de grands enfants, avec
de nombreux petits enfants ? Laquelle des épouses garder sans créer de la
zizanie dans la famille... et est-ce chrétien, charitable, de congédier, au soir de
leur vie, des êtres qui ont partagé toute votre existence ?... Non, il faut relire
l’Évangile ; l’essentiel c’est la foi et l’amour du prochain...
Au regard de la foi, nous faisons nôtre la conclusion de l’évêque anglican
Leslie Newbigin qui, au terme d’une longue réflexion, déclare être à présent
convaincu que la monogamie est ce que Dieu veut pour la famille humaine». U
écrit : «Mais, je suis tout aussi convaincu qu’un homme marié, selon les prati¬
ques traditionnelles et de bonne foi à plusieurs femmes, peut être vraiment
converti et avoir une connaissance personnelle de Dieu, en Jésus-Christ, comme
tous les enfants de Dieu, et que c’est cette connaissance qui lui permettra de
mettre de l’ordre dans sa vie de famille. Je suis sûr, par ailleurs, que cette mise
en ordre ne peut pas entraîner l’abandon de femmes que l’on a épousées en
toute loyauté et bonne foi, selon les coutumes et les lumières de la société dans
laquelle elles ont vécu»10.
10. L. Newbigin, Une religion pour un monde séculier, Casterman, 1967. On lira avec inté¬
rêt, sur une nouvelle problématique de la polygamie, les travaux de E. Hillman, «Perspecti¬
ves nouvelles sur la polygamie», in Concilium, n° 33, mars 1968, ainsi que l’étude de E.
Derven «La polygamie admise par la philosophie ?», in Revue du Clergé Africain, 1972, et
les travaux de B. Haring, Josef Fuchs...
Religion, Culture et Politique 117
11. Abbé Jean Amougou-Atangana (Université de Tübigen) : «Qui doit africaniser la théo¬
logie ? Afrique Nouvelle, n° 1175 du 12 au 18 février 1970. On lira avec intérêt l’ouvrage
de B. Adokonou : «jalons pour une théologie africaine, essai d’une herméneutique chré¬
tienne du Vodum dahoméen», Vient de paraître chez E. et P. Le Thielleux - Paris. 1980.
118 Renaissance et nationalisation des religions nouvelles
Elle doit informer toute la vie de l’homme comme la religion léguée par les
ancêtres, dans le domaine spirituel autant que matériel. Le Gel doit cesser de
faire oublier la Terre des hommes ; le Ciel doit, par sa puissance spirituelle —
toutes les forces, les puissances et principautés, les Anges et Archanges, les
esprits et forces de la nature, — contribuer à maîtriser le monde et amé¬
liorer la vie ici-bas. Voilà qui éloigne de la doctrine officielle du Christianisme
épuré et rationahsé qui n’entend rien avoir avec l’héritage culturel paën qui l’a
si longtemps nourri. Les Africains seraient plutôt portés vers un «animisme»
christianisé ou si l’on préfère un Christianisme mâtiné de magie, dans lequel
interviennent les puissances surnaturelles. Le culte de la vie — vie du corps et de
l’âme, ici-bas — constitue, il est vrai un élément de l’univers religieux du négro-
africain. Dieu a donné la vie à l’homme — père du monde, de l’univers, afin
qu’il vive sa vie pleinement. La religion ne saurait le frustrer de cet inestima¬
ble don du Créateur, en lui promettant une vie plus belle, après la mort, dans
l’au-delà. «Kû gnon, ma di gbé do hun», littéralement «la mort a beau être
belle, elle ne saurait être comme la vie». Comme l’écrit Mgr Ndongmo : «Si
la mission de l’Église est avant tout surnaturelle, elle ne peut pas évangéliser
dans les nuages, sans inclure dans sa vision la vie concrète des hommes, les
institutions et les structures, parce que ceux-ci peuvent ou promouvoir ou
paralyser la montée des enfants de Dieu»12. Et le président de la Tanzanie
socialiste, Julius K. Nyerere, catholique, de lui répondre comme un écho :
«Les représentants de l’Église ainsi que les organisations d’Église ont fréquem¬
ment agi comme si le développement de l’homme était une affaire strictement
personnelle, une affaire strictement interne qui pouvait être séparée de la
société et de l’économie dans lesquelles cet homme vit et gagne son pain...
Quand ceux qui sont victimes de la pauvreté et de l’oppression commencent
à se comporter comme des hommes et essaient d’en changer les conditions, les
représentants de l’Église se tiennent en retrait, restent en marge... si l’Église
n’est pas partie prenante de notre pauvreté, partie prenante de notre lutte
contre la pauvreté et l’injustice, alors elle ne fait pas partie de nous-mêmes»13.
Sans doute pourra-t-on rappeler les paroles de Jésus-Christ, «Ce n’est pas seule¬
ment de pain que l’homme vit mais de toute parole sortant de la bouche de
Dieu» (Ml 4.4), et en outre «... nous n’avons pas ici-bas de cité permanente,
mais nous sommes à la recherche de la cité future» (Epitre aux Hébreux, 13.
14) ! Mais pourrait-on rétorquer, qui donc a changé l’eau en vin, multiplié les
pains et les poissons, pour nourrir «ces gens qui ont faim» ! Mais laissons-là
cet aspect épineux de la question aux professionnels de la foi et aux théolo¬
giens.
En fait, l’africanisation du Christianisme et de l’Islam se pose sous deux
angles :
a) un enracinement et un développement dans le terreau culturel négro-africain
afin de cesser d’apparaître comme des religions étrangères, pour le Christia¬
nisme en tout cas ;
b) une source et une force de libération et d’épanouissement de l’homme
africain, et non point «l’opium», la cause des injustices sociales et de la
12. Mgr Ngongomo, évêque de Nkongsamba in «l’Église levain du monde», Lettre pastorale
publiée dans l’Essor des Jeunes, Yaoundé, 1er mars 1970.
13. J.K. Nyerere, «Adresse sur la pauvreté au chapitre des sœurs de Mryknoll» à Mary-
Knoll, New York, le 16 octobre 1971.
Religion, Culture et Politique 119
21 .Au titre des catégories socio-professionnelles, les corps religieux sont représentés à l’As¬
semblée Nationale Révolutionnaire du Bénin, élue le 20 novembre 1979 (Commissaires
du Peuple) 3 Animistes, 1 Catholique, 1 Musulman, 1 Protestant.
CHAPITRE VIII
Section I
1. Alfred G. Gerteiny dans son ouvrage : «Mauritania», Pall Mail Library of African
Affairs, 1967, rapporte qu’arrivant dans un hôtel avec un chauffeur noir, celui-ci s’est vu
refuser le repas. Il fut répondu à M. Gerteiny «We never serve food to slaves here», p. 153,
«nous ne servons jamais un esclave ici».
2.1b., «Indubitably, the Islamic qualification is impérative because Islam is the single
most important bond in Mauritania ethnie diversity and heterogeneous historical past»,
p. 146.
124 Le rôle sociologique des religions
3. R .P. Domas, Les sectes religieuses au Dahomey, in La Croix du Dahomey nos 323 du
30 juin 1968,325 du 4 août 1968.
Religion, Culture et Politique 125
Section II
il convient de souligner que les autorités militaires, dans leur recherche d'un
compromis, ont tendu la main aux églises chrétiennes. C’est ainsi qu’au lende¬
main du coup d’État du 25 mai 1969, le Président du Conseil Révolutionnaire,
le Général Nimeiry, au cours d’une visite à l’Évêque de Khartoum sollicita
d’approuver la nomination d’un nonce apostolique à Khartoum. Le Soudan
semble ainsi s’engager dans la voie de la laïcité, du moins de la neutralité de
l’État, solution qui paraît s’imposer si l’on veut sauvegarder l’unité du pays,
même si l’arabe est imposée comme langue officielle. La religion, on le voit,
sert de ciment lorsqu’il existe un consensus populaire ; elle joue le rôle de trait
d’union, par nature pour ainsi dire ; en l’absence de tout texte, de toute poli¬
tique délibérée elle apparaît comme une force centrifuge, lorsque n’étant pas
acceptée par toute la population de l’État elle s’ajoute à l’hétérogéniété
ethnique et régionale.
9. Ibidem,p.
10. A. Mabileau et J. Meyriat, Décolonisation et régimes, politiques en Afrique Noire,
1967, Paris, A. Colin, p. 32.
12. Maurice Glélé, Naissance d’un État Noir : Disparités dans le développement scolaire, pp.
34 et s.
13. M. Vincent Monteil, Problèmes d’éducation au Nigéria, Présence Africaine, 1er trimes¬
tre 1962,p.154.
14. Lire également de Mi1. Decraene, dans Le Monde du 15 janvier 1970, l’article : «Deux
tâches écrasantes pour l’avenir : la reconstruction et la réconciliation».
15. Nos informations sont tirées d’un article de Mgr Joseph Whelan C.S. Sp. ancien évêque
d’Owerri (expulsé du Nigéria, le 19-2-70 dans «l’Afrique Nouvelle», no 1184 du 16 au 22
avril 1970, p. 13. «La situation de l’Église au Nigéria, spécialement chez les Ibos».
130 Le rôle sociologique des religions
16. P. Decraene : Une constante du Nigéria : les antagonismes locaux et tribaux. Le Monde
du 14 janvier 1970 et divers articles dans les numéros des 15,16 et 17 janvier 1970.
17. S.G. Ikoku, «La sécession biafraise : mythes et réalités», .Revue Française d’études po¬
litiques, n° 49,janvier 1970, p. 56.
Religion, Culture et Politique 131
Ainsi donc, même si les missionnaires sont peu nombreux, l’avenir de l’Église
est assuré du fait de l’actuel clergé autochtone et du nombre croissant de sémi¬
naristes. L’Église qu’ils vont bâtir sur les anciennes fondations aura l’avantage
d’être à la mesure du génie et de la culture du peuple. Loin de s’effondrer, elle
atteindra au contraire des sommets plus élevés et mieux adaptés». La guerre
civile du Nigéria a donc eu pour substratum des facteurs essentiellement poli¬
tiques ; l’élément religieux même s’il a tendu à revêtir un aspect dynamique,
demeure secondaire. Est-ce à dire que le Nigéria ne connaisse point de tensions
religieuses ? Loin s’en faut. Du point de vue confessionnel, les rapports de force
se présentent comme suit : sur une population estimée à 56 millions de chré¬
tiens — soixante millions d’après la Revue Missi, de mars 1970 — la fédéra¬
tion du Nigéria compterait 20 millions de musulmans contre 10 millions de chré¬
tiens, le reste étant animiste. Selon Radio-Vatican (Le Monde du 17 janvier 1970)
le Biafra représentait un vingtième du territoire du Nigéria, mais avec 1,7million
de catholiques, regroupait les deux tiers du nombre total des fidèles de la Fédéra¬
tion. Le Biafra comportait six diocèses, avec 211 prêtres et 176 séminaristes.
Quant au Nigéria, sans le Biafra, il comporte seize diocèses avec 145 prêtres,
98 séminaristes et 769 000 catholiques. «Parmi les religions importées, le pro¬
testantisme vient en second heu, après l’Islam. Bien que numériquement faible,
le Christianisme n’en exerce pas moins sur le plan social une influence de tout
premier ordre, notamment sous l’angle de la scolarisation. En effet, près des
deux-tiers de l’enseignement primaire sont aux mains des missions chrétiennes.
A Kano, en plein pays musulman, écrit M. Vincent Monteil, le Councillor for
Education estime qu’il y a plus de «missions schools» que d’écoles publiques.
Sous l’impact de la colonisation le Christianisme semble avoir marqué la vie
publique du Nigéria. A la veille de l’indépendance, les Tiv s’étaient soulevés
dans le nord contre la prépondérance politique des Haoussa musulmans. On
déplora cinq cents victimes dont une cinquantaine de morts. Par ailleurs, les
sultans et musulmans du nord qui rêvent d’un État islamique, ont réagi dès
1961 puisqu’on pouvait lire dans le Daily Mail de Kano du 19 décembre 1961
«au Ghana où les musulmans sont minoritaires, la loi fondamentale — Status
Book — de 1908 réconnaît la loi musulmane pour le statut personnel et un con¬
seiller musulman siège avec les juges... L’Islam aurait dû être religion d’État au
Nigéria, alors qu’on dirait que c’est actuellement le Christianisme ! L’unité de
la fédération ne saurait se faire au détriment de la liberté et de la stabilité de
l’Islam». Il existe incontestablement un problème d’équilibre religieux au
Nigéria. La solution semble résider dans la formule de la neutralité religieuse au
niveau de la fédération comme le stipulait la constitution de 1960 ; chaque État
membre de la fédération, eu égard à ses composantes sociologiques pourra
opter, à l’instar des cantons suisses, qui, pour une religion d’État, qui, pour la
laïcité de l’État.
Nous venons d’analyser trois exemples de tensions politico-religieuses :dans
le premier cas, celui du Soudan, la dominante est religieuse, le maître-mot étant
l’unité nationale par la religion et la langue arabe. La religion apparaît comme
une fin ; dans le cas du Tchad et du Nigéria, le facteur religieux apparaît
comme secondaire, comme un épiphénomène, qui vient se combiner avec des
facteurs ethniques, économiques et politiques, la religion est un simple moyen.
Mais l’observation révèle que la religion peut constituer une force centrifuge
dans deux autres hypothèses :
132 Le rôle sociologique des religions
Section I
Pour ces partis la religion est une fin ; elle est l’alpha et l’omega de toute la
vie, privée et pubüque.
Au Soudan, avant la révolution du 25 mai 1969, en dehors du Parti National
Unioniste de M. Ismail El Azhari, deux grands partis fondés sur l’Islam se parta¬
geaient le pays et dominaient la scène politique : le Parti El Oumma et Parti
des Frères Musulmans. Au Nigéria enfin, on peut considérer le Northern
People Congress du Sardonna de Sokoto, feu Alhadji Ahmadu Bello, comme
l’expression politique de l’aristocratie musulmane du nord, désireuse de créer
un État théocratique musulman. En 1965, le Northern People Congress déte¬
nait 149 sièges sur les 319 de l’Assemblée Fédérale, et à l’Assemblée régionale
167 sièges contre 10 à l’opposition. Dans la région ouest, le NPCN avait comme
répondant le Muslim Congress of Nigeria. Le même élan religieux devait con¬
duire le Cheik Tidjane Sy,fils du premier Khalife Général de la Confrérie Tidjane,
à créer, à Dakar,en 1959, le Parti de la Solidarité Sénégalaise. Parti des féodali¬
tés religieuses en butte au parti gouvernemental, le PSS disparut très vite.
1. Document Spécial publié en supplément (n° 356) par le Journal Eu Croix du Dahomey
en 1969, à la suite du voyage du Saint-Père à Kampala, cf. chap. I, p. 21.
136 Interférence religion - parti politique
Section II
Nous classerons sous cette rubrique les partis politiques dont les dirigeants
et les membres se recrutent de préférence parmi les adeptes d’une même reli¬
gion. La religion apparaît comme un moyen, un état d’esprit. On distinguera les
partis à dominante catholique ou musulmane, et ceux à dominante protestante.
Section III
Nous désignons sous ce vocable des partis qui ne se réclament pas d’une
religion donnée. Islam, Christianisme ou «Animisme». Ce sont des partis qui
assument le fait reügieux africain, et qui s’opposent ainsi aux partis athées.
Ils sont l’expression de la jeune génération, celle sortie des universités. Les
options idéologiques jouent ici un rôle fondamental. L’idéologie conditionne
et inspire les nouvelles formations politiques. L’opposition se situe au plan
métaphysique, social et économique. Le Marxisme-Léninisme, nouvelle religion
d’importation qui s’infiltre en Afrique, sert de modèle, les options se font par
rapport à cette religion du XXe siècle. Alors qu’en septembre 1957 naît à
Thiès au Sénégal, le Parti Africain de l’Indépendance (PAI) qui s’affirme
marxiste-léniniste, le 25 août 1958, se crée, à Dakar, le Mouvement Africain
de Libération,spiritualiste.
3. J. Lefèvre, «Le Parti Social Démocrate de Madagascar», Le Mois en Afrique, avril 1969
n° 40. pp. 67 et s.
4. J. Lefèvre, ibidem, p. 80.
138 Interférence religion - parti politique
Section IV
En dehors des cas examinés ci-dessus, la plupart des partis politiques afri¬
cains, surtout s’ils sont dominants ou uniques, apparaissent comme des partis
laïcs par nature. Les partis politiques africains ne correspondent pas au Parti,
avant-garde peu nombreuse et consciente que voulait Lénine. Ils répondent
difficilement à la distinction fondamentale de parti de masse et de parti de
cadres. Ils se veulent partis de masse mais s’apparentent davantage au parti de
cadres. A la vérité, ils participent des deux. La principale fonction que s’assigne
le parti unique africain est la construction de l’unité nationale. Le parti unique,
pour servir de creuset à l’unité nationale, et permettre le rassemblement des diffé¬
rentes ethnies, doit tenir compte du pluralisme reügieux. Force lui est de prôner
et de pratiquer à tout le moins,la neutralité religieuse. Dans le cadre de l’organisa¬
tion partisane, les autorités politiques s’efforcent de tirer le meilleur parti des
forces religieuses, de se les concilier. A l’encadrement traditionnel par des chefs
coutumiers laïcs, qui contrairement à une opinion très répandue n’exercent
pas toujours des fonctions religieuses, se substitue l’encadrement de type
reügieux, à l’intérieur des sectes animistes ou des confréries. Prêtres et grands
marabouts, les chefs «fétichistes», directeurs de conscience de leurs «ouaiUes»,
s’érigent en agents électoraux, en tout cas orientent les votes de leurs fidèles.
Le Parti unique se prête en effet facilement au culte de la personnaüté et
apparaît comme un cadre favorable à la mobilisation en vue d’une «déifica¬
tion» du chef de l’État, chef du Parti. Les moyens mis en œuvre relèvent des
techniques modernes de manipulation psychologique des masses. On fait appel
aux croyances et à la sensibilité des masses populaires mais il s’agit là d’une
pratique courante qui n’est pas spéciale à l’Afrique, l’homme ayant besoin,
comme le dit Jacques EUul, d’être propagandé. Comme l’écrit Robert Mi¬
chels5 : «Le besoin d’être dirigées et guidées est très fort chez les masses, même
chez les masses organisées du parti communiste. Et ce besoin s’accompagne d’un
véritable culte pour les chefs qui sont considérés comme des héros... Au müieu
des ruines du vieux monde rural des masses, reste seule intacte la colonne
triomphale du besoin religieux. Les masses se comportent souvent à l’égard
de leurs chefs comme ce statuaire de la Grèce antique qui, après avoir modelé
5. Michels R., Les Partis Politiques. Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties,
Flammarion. 1971, pp. 52 et 63.
Religion, Culture et Politique 139
6. On peut lire dans les rues de Lomé, sur de grandes affiches, avec le portrait de Eyadéma,
entre autres ceci : «Je ne regrette rien, Eyadéma connaît ma valeur...».
140 Interférence religion - parti politique
1. M. L. Lô, Forces Politiques en Afrique Noire, PUF, 1966, p. 125 ; D.G. Levroff, La
République du Sénégal, LGDJ: 1966, pp. 72 et s. ; Chaüley et Autres, Azotes sur l’Islam en
Afrique Noire, CHEAM, 1962.
142 Les hommes politiques et les forces religieuses
3.0’Brien (D.C.), The Mourids of Sénégal : The political and économie organisation,
Oxford, Chaxendon Press, 1977. SY, S. Tidiane, La confrérie des Mourides, Présence
Africaine, Paris, 1963.
5. Jaba (L.), The Wahhabiyya, Islam Reform in West Africa, Northwestern University
Press, 1974.
Religion, Culture et Politique 143
Code Civil élaboré par le Gouvernement. Dans un document commun les chefs
marabouts écrivent : «Pour nous, Musulmans, nous nous devons de souligner
que rislam est régi depuis plus de 13 siècles par le Coran, Constitution su¬
prême, qui a tout prévu et n’a rien omis en matière de mariage,divorce, succes¬
sion et autres actes touchant à la société. Ses prescriptions immuables et irré¬
fragables, sont respectées et appliquées à travers le monde — sans la moindre
modification — par tous les érudits et des gouvernements qui ont été institués.
Nous nous étonnons de voir que, maintenant, au Sénégal, on veuille y apporter
des «innovations» pour ne pas dire des entorses, alors que les colonisateurs
avaient admis le Code Musulman et crée des juridictions spéciales pour les
islamisés». De même, au Nigéria, les Musulmans ont tenu lors de la mise au
point de la nouvelle Constitution en 1978 à institutionnaliser des cours de
justice islamique. Mais, malgré la grande agitation des tenants de la Sharia,
l’Assemblée Constituante, au nom de la laïcité rejeta l’idée de cours spécialisés.
Il fut admis que dans les Cours d’appel siégerait, en cas de besoin, un spécialiste
de droit musulman.
La Constitution du Nigéria institue une cour d’appel de la Sharia dans chaque
État fédéré, une Cour d’appel fédérale de la Sharia, et ce, au même niveau que
pour le droit coutumier, non islamique. Ainsi disposent les sections 219 et 223
de la Constitution : Section 219 (Juridiction) : «Subject to the provisions of
this constitution, the Fédéral Court of Appeal shall hâve juridiction, to the
exclusion of any other court of law in Nigeria, to tear and détermine appeals
from the Fédéral High Court of Appeal of a State», et Section 223 : Appeals
from Sharia Court of Appeal of State (1). An appeal shall lie from decisions of
the Sharian Court of Appeal of a State to the Fédéral Court of Appeal as of
right in any civil proceedings before the Sharia Court of Appeal with respect
to any question of Islamic personal law which the Sharia Court of Appeal is
competent to décidé».
Les Cours d’appel d’État pour la Sharia sont prévues et régies par les disposi¬
tions des sections 240 et 252 de la Constitution : «Part II, State Courts. B —
Sharia Court of Appeal of a State.
Section 240 (1) There shall be for any State that required it a Sharia court of
Appeal for that State
(2) The Sharia Court of Appeal of the State shall consist of :
a) a Grand Kadi of the Sharia Court of Appeal ; and
b) such number of kadis of the Sharia Court of Appeal as
may be prescribed by the House of Assembly of the State.
Section 242 (2) The Sharia Court of Appeal of a State shall, in addition to
such other juridiction as may be conferred upon it by the (2) Any right of
appeal to the Fédéral Court of Appeal from the decisions of a Sharia Court of
Appean conferred by this section.
a) shall be exercisable at the instance of a party there to or,
with the leave of the Sharia Court of Appeal or of the Fédéral Court of Appeal,
at the instance of any other person having an interest in the matter ; and
v) shall be exercised in accordance with any Act of the
National Assembly and rules of court for the time being in force regulating the
powers, practice and procedure of the Fédéral Court of Appeal.
Law of the State, exercise such appellate and supervisory juridiction in civil
proceedings involving questions of Islamic personal law which the court is compe¬
tent to décidé in accordance with the provisions of subsection (2) for this section.
144 Les hommes politiques et les forces religieuses
(2) For the purposes of subsections (1) of this section, the Sharia Court of
Appeal shall be competent to décidé.
(a) any question of Islande personal law regarding a marriage concluded in
accordance with that law, including a question relating to the validity or dis¬
solution of such a marriage or a question that dépends on such a marriage and
relating to family relationship or the guardianship of an infant ;
(b) where ail the parties to the proceedings are moslems, any question of
Islande personal law regarding a marriage, including the validity or dissolution
of that marriage, or regarding family relationship, a founding or the guardian¬
ship of an infant ;
(c) any question of Islande personal law regarding a wakf, gift, will or succes¬
sion where the endower, donor, testator or deceased person is a moslem ;
(d) any question of Islande personal law regarding an infant, prodigal or
person of unsound mind who is a moslem or the maintenance or guardianship
of a moslem who is physically or mentally infîrm ; or
(e) where ail the parties to the proceedings (whether or not they are moslems)
hâve requested the court that hears the case in the First instance to détermine
that case in accordance with Islande personnal law, any other question».
Ainsi la loi islamique, comme le droit coutumier, s \applique uniquement aux
questions relatives à l’état des personnes, en particulier au mariage et à la suc¬
cession (héritage et autres). Pour le reste c’est le droit moderne, de type euro¬
péen, laïc qui s impose.
’
n’assiste que rarement officiellement aux fêtes chrétiennes et jamais aux fêtes
«païennes»9. L’hommage spécial rendu à l’Islam semble donc un legs de la
colonisation mais en même temps il traduit la volonté des gouvernants africains
de se conciüer les communautés religieuses, véritables et puissants groupes de
pression.
Mais au-delà des groupements religieux, les Africains cherchent à se concilier
Dieu et les puissances surnaturelles. On constate d’une part, que dans maints
pays, des cérémonies religieuses sont organisées officiellement à la demande
du gouvernement à l’occasion des fêtes de l’Indépendance. Et l’on voit le gou¬
vernement en corps se transporter de la Cathédrale, à la Mosquée et au Temple
protestant. Un tel comportement n’aurait pas plu aux partisans de la laïcité à
la manière de Clémenceau ; on se rappelle que Clémenceau empêcha le Prési¬
dent Poincaré d’assister le 17 novembre 1918 au Te Deum chanté à Notre-
Dame par le Cardinal Amette pour célébrer l’armistice. Mais les temps ont
changé ! La pratique des différents gouvernements français qui se sont succédé
depuis lors tendrait à une interprétation plus large de la laïcité, semblable à
celle des États africains. Il est vrai qu’à la suite de la crise d’autorité qui a op¬
posé en février 1972 le Général Mobutu au Cardinal-Archevêque de Kinshasa
Son Exc. Mgr. Malula, le Bureau du Mouvement Populaire de la Révolution a
décidé, estimant que la République du Zaïre n’a pas de religion d’État, qu’«à
partir d’aujourd’hui aucune autorité Zaïroise étatique ou institutionnelle ne
sera autorisée à assister à une cérémonie de sacre, de quelque religion que ce
soit, en sa qualité d’autorité. De même, toute cérémonie rehgieuse doit être
rayée du programme officiel des manifestations étatiques»10. Réaction d’hu¬
meur ou nouvelle ligne politique délibérée et réfléchie ? Il s’agit plutôt d’une
politique incohérente pleine de contradictions. Ainsi, Mobutu, père de l’Au¬
thenticité, organise de grandioses funérailles pour son épouse. Il fait venir
des Moines de Solesmes pour préparer des chœurs et chanter le Requiem en
grégorien, comme s’il n’existait aucun rituel africain au pays de l’Authenticité,
ignorant les innovations faites en matière de liturgie par le Clergé Zaïrois...
En tout cas, les rapports du pouvoir poli tique avec les Autorités et Commu¬
nautés religieuses paraissent très complexes, contradictoires et très ondoyants,
en fonction des rapports de force et aussi de la personnaüté du Chef de l’État
et de ses humeurs. D une manière générale, les Autorités religieuses sont cour¬
tisées par le pouvoir d État mais en aucun cas elles ne doivent constituer dans
l’État une autorité concurrente ; pour les politiciens, elles devraient s’intégrer
à l’État et coopérer avec le Gouvernement et le Parti politique au pouvoir. Leur
allégeance ou leur neutralité bienveillante, à défaut d’un soutien incondition¬
nel, est un minimum exigé. Les hiérarchies chrétiennes l’ont compris en interdi¬
sant aux prêtres et aux pasteurs de briguer des mandats politiques.
De ce point de vue, les gouvernements ont peu à craindre des Imams et des
10. Rapporté par l’Hebdomadaire Catholique de l’Ouest africain (publié à Dakar) •Afrique
Nouvelle, n° 1279 du 10 mars 1972, pp. 10-11
Religion, Culture et Politique 147
artisans d’une véritable révolution et tenir en échec les hommes au pouvoir. Les
seuls concurrents valables en mesure de s <opposer au personnel politique civil
sont les membres du clergé catholique formés généralement à l’école française
ou anglaise. Ils constituent des rivaux potentiels. Allant au devant des inquié¬
tudes ou soupçons des hommes politiques, la hiérarchie catholique a donné
parfois des consignes précises au clergé. «Logique avec elle-même, l’Église
ne veut pas que ses prêtres ou ses religieux acceptent des mandats politiques
(Canon 193, para. 4 du Code de Droit canonique). Ce n’est donc que dans
des cas exceptionnels que des prêtres reçoivent de leur évêque la permis¬
sion d’accepter un mandat politique. Encore faut-il qu’ils apportent à le
rempür toute l’objectivité, tout le sens de la justice et de la charité qu’on
est en droit d’attendre d’un prêtre. Ce prêtre devrait apparaître de plus, de par
son comportement, comme le conseiller moral de l’organisme pohtique où il
siège.
L’Église ne défend pas à ses ministres d’avoir, en tant que citoyens privés,
leurs préférences politiques personnelles, mais elle leur prescrit de «se tenir
absolument en dehors de la lutte des partis, au-dessus de toute compétition
pohtique»12. Déjà le Concile de Trente avait déclaré : «Quelles que soient,en
effet, leurs opinions personnelles, les prêtres, les religieux et les religieuses doi¬
vent être les hommes de tous... L’Église défend de faire de la pohtique en chaire
(Concile de Trente, Sess. XXIV,règle N° 20). Les sujets de prédication doivent
être essentiellement sacrés (Canon 1374). En 1963, dans une lettre pastorale
collective du 27 juillet, les Archevêques et Évêques du Tanganyika ordonnaient
au clergé et aux religieux : «... Les membres du clergé et les rehgieux ne doivent
accepter aucune fonction pohtique, comme celle de membre d’un Conseil
de district. De toutes façons, ils n’accepteront jamais ces fonctions politiques
sans une permission expresse de l’Ordinaire du heu». Le Cardinal B. Gantin,
alors qu’il était archevêque de Cotonou, quant à lui, avait adopté une position
plus radicale. Il interdit formellement au clergé et aux rehgieux de briguer un
mandat pohtique ou de se mêler de pohtique partisane ou pohticienne. Cette dé¬
cision fut bien accueilhe, chacun s’en tenant à son domaine de spécialisation...
15. J.C. Froelich op. cit., p. 104. K. N’krumahAutobiographie, Présence Africaine, 1960,
Paris, Le Consciencisme, cf. : - épisode de sa vie où N’krumah trempe ses pieds nus dans
le sang d’une génisse qu’on vient d’immoler aux mânes des ancêtres ; - son pèlerinage sur
la tombe de Fanta Nadi, en Guinée ; - la marche des partisans de Ahomadegbe de Abo-
mey à Gana en 1964, pour remercier les Rois qui ont fait revenir Ahomadegbe au pouvoir.
s*,
CHAPITRE XI
D’une manière générale, avons-nous constaté dans l’analyse ci-dessus, que les
autorités politiques utilisent la religion comme facteur d’intégration nationale.
Les États laïcs comme ceux qui prônent la neutralité religieuse composent en
fait, par pragmatisme, avec toutes les communautés religieuses. Pas un seul chef
d’État qui nie et rejette la religiosité de l’Africain. A des degrés divers, les res¬
ponsables politiques assument le fait religieux. Ce dernier n’a pu manquer de
conditionner leur choix entre les voies modernes de développement, qu’il
s’agisse du développement économique ou de la scolarisation ; le fait religieux
a pu également contribuer à orienter la politique extérieure des États africains.
Section I
tend à concilier les nécessités techniques du progrès, la foi et les valeurs tradi¬
tionnelles africaines. Le débat religion et développement par son caractère
général dépasse les cadres de la présente étude,et a du reste fait l’objet d’études
savantes3.
En ce qui concerne l’Église catholique, on sait que deux tendances s’opposent,
l’intégrisme conservateur et l’église dynamique, celle du Pape Jean XXIII et des
Encycüques «Mater et Magister», «Popularum Progressio».
Le Christianisme est incompatible avec le socialisme scientifique, matérialiste
et athée, voire anti-chrétien mais dans la mesure oû le socialisme ne s’assimile
pas à l’athéisme, le Christianisme et l’Islam peuvent conduire au socialisme.
Comme l’écrit l’ancien aumônier des étudiants catholiques de Dakar, le Révé¬
rend Père Cosmao : «Si, par socialisme, on entend, à la lumière froide de la
raison, une ligne d’action qui, sans noyer la personne dans la masse anonyme
et malléable à l’envie, prend en considération la dimension sociale de la vie
humaine et vise à aménager la société, non seulement par la conversion de tous
ses membres mais, par une pensée orientée sur les ensembles, les structures, les
institutions, les mentalités, alors les chrétiens peuvent être socialistes au nom
de la fidélité au réel».
Pour l’Abbé D. Kanouté (du Mali) : «La solution consiste à moderniser le
collectivisme traditionnel, dans le respect de nos valeurs humaines et spiri¬
tuelles, en s’inspirant de la technique des autres». Et de poursuivre : «Vous
pouvez les (idées socialistes) confronter à la doctrine sociale de l’Église Je ne
vois pas de difficulté. Car l’Église n’est pas gardienne des structures, elle est
gardienne des valeurs».
De même, la doctrine de l’Islam s’oppose à l’athéisme du marxisme, les
Soviétiques estiment que l’Islam est anti-social. D’après l’Éncyclopédie sovié¬
tique, édition 1953 «l’Islam a été appelé à justifier l’inégalité sociale et éco¬
nomique ainsi que la stabilisation des régimes d’exploitation». Quant au panis¬
lamisme, il est défini comme «une doctrine politico-religieuse, réactionnaire,
prêchant l’union de tous les musulmans pour la résistance à l’offensive de
l’Occident chrétien».
Une dernière question, en matière économique a retenu l’attention des socio¬
logues et des hommes politiques. Il s’agit du problème des dépenses somptuai¬
res, des sommes brûlées lors des mariages mais surtout des décès. Au Togo,
l’association «Développement des Peuples» jugeant les cérémonies familiales
trop onéreuses a préconisé de les réduire ; le résultat fut mince. Au Dahomey
c’est le gouvernement du Général Soglo qui prit en 1967 une ordonnance
(N 11 PR/M .J.L. du 5 mai 1967 — J.O.RJ3. 15 mai 1967 p. 343) pour inter¬
dire les dépenses excessives à l’occasion des cérémonies familiales. En voici
les dispositions essentielles :
«Art 1er - Les cérémonies familiales qui accompagnent ou suivent les nais-
8.S.H. Nivosu, in Church and State in Education, Evans Brothers, Ltd. Londres, 1966.
Religion, Culture et Politique 159
Contribution Contribution
privée publique
1961 1964 1961 1964
Congo (Brazza) 14,0% 5,0% 61,5 %
Côte d’ivoire 1,6% 1,7% 87,0% 86,0%
Madagascar 29,4% 27,2% 7,5% 5,5%
Niger 3,5 % 1,6% 26,5 % 51,5 %
Sénégal 4,2% 2,7% 40,5 % 55,0%
10. Les statistiques de 1TJNESCO sont établies par questionnaire auprès des États-Membres.
Les lacunes proviennent de la non-réponse des dits États. En tout état de cause, ces statis¬
tiques prouvent la part importante qu’occupe même en 1970 l’enseignement privé dans la
plupart des États Africains. On lira avec intérêt dans cet Annuaire l’état comparé des éta¬
blissements publics et privés par État ainsi que le nombre d’élèves.
Religion, Culture et Politique 161
11. Pour le financement de l’enseignement en Afrique, on lira avec intérêt l’ouvrage de MM.
J. Hallak et R. Poignard : «Les Aspects financiers de l’enseignement dans les pays africains
d’expression française», Unesco, Institut International de planification de l’éducation.
En dehors de ces pays qui ont nationalisé l’enseignement, tous les autres
s’accommodent de la liberté de l’enseignement privé. La plupart des États ont
adopté des lois nationales sur l’enseignement privé, certains continuent, dans
la zone francophone, à appliquer les textes coloniaux tels que le décret du
14 février 1922, l’arrêté général du 26 mars 1932 portant règlement de l’ensei¬
gnement privé en A.O.F., et l’arrêt no 3178/IP du 12 juillet 1948 soumettant
au régime de la déclaration et de l’autorisation administrative certains établis¬
sements d’enseignement privé13.
Quoi qu’il soit on relève que la majorité des États africains accordent encore
une place importante à l’enseignement privé, moins par option idéologique que
par pragmatisme ou réalisme. Un pays comme le Cameroun, laïc, avec un chef
d’État musulman, n’hésite pas, pour remédier à la pénurie de cadres, à engager
dans l’enseignement, en qualité de contractuel, des prêtres. On en trouve
comme chef ou directeur de service. Si les hommes au pouvoir ne se placent
pas sur le terrain idéologique, la jeune génération, celle des Universités, situe
d’emblée le problème de l’enseignement sur le terrain des principes. Elle opte
pour la laïcité de l’enseignement et la suppression de tout enseignement privé.
C’est dans ce sens que se sont prononcés les étudiants catholiques africains au
cours de leur VIIIe Congrès, en 196314 «Les étudiants Catholiques Africains,
réunis en leur VIIIe Congrès à Waremme (Liège, Belgique), du 5 au 10 avril
1963 :
— Après avoir étudié le rôle exceptionnel de l’Enseignement pour le dévelop¬
pement de l’Afrique ;
— Réaffirmant leur attachement aux libertés fondamentales de l’homme
dont la première est la liberté de conscience ;
— Considérant que, pour jouer efficacement le rôle ci-dessus, l’Enseignement
doit permettre à tous les citoyens qu’il forme d’œuvrer à la réalisation de ce
développement dont le chemin passe nécessairement par une réelle intégration
nationale dans laquelle l’Enseignement a sa place de choix ;
— Considérant que le brassage des mentalités et l’éclatement des frontières
tribales se fait principalement et plus profondément grâce à l’École — en rai¬
son de l’éveil des esprits et des consciences qu’elle promeut ;
— Considérant que l’École africaine ne peut pas efficacement remplir cette
fonction si elle est abandonnée à l’initiative arbitraire souvent constatée des
individus et des groupements privés ;
-Considérant d’autre part qu’une authentique politique scolaire d’intégra¬
tion n’est véritablement réalisable que dans un État qui, en éduquant les ci¬
toyens en vue de l’intérêt général, ne saurait faire fi des authentiques valeurs
de la personne humaine ;
Section II
16. Doudou Thiam : «Les fondements idéologiques de la politique internationale dans les
Etats indépendants d Afrique Noire» - Le Mois en Afrique, n° 37, janvier 1969 et du même
auteur, La Politique Etrangère des États Africains, PUF, 1963.
Religion, Culture et Politique 165
ii) Le Hadj, c’est le pèlerinage prescrit par le Coran, «obligatoire» qui com¬
prend des cérémonies rituelles à La Mecque et en d’autres lieux, notamment
dans la vallée de Minà où le pèlerin lapide (de 7 cailloux) une stèle de pierre
noire, désignant Satan (Cheytane), puis offre un mouton à Dieu... Une telle
obligation n’existe pas dans le Christianisme.
C’est pourquoi, alors que les chrétiens ne se rendent que de façon sporadi¬
que en pèlerinage à Rome et dans les lieux saints européens (Lourdes, Fatima
notamment), et en Terre Sainte, on assiste tous les ans à des départs massifs de
Musulmans africains pour La Mecque. On estime que par an, 350 pèlerins par¬
tent par avion de l’Ouganda (province de Buganda), 3000 du Nigéria,2000 du
Sénégal. La Compagnie Air-Afrique a transporté successivement en 1968,
4670 pèlerins,en 1969,4351 et en 1970,5356,soit par pays :
PÈLERINAGE A LA MECQUE
Pour les années 1973 et 1974, les chiffres, pour le continent africain, sont
les suivants :
1393/1973 1394/1974
Année Total Total
Hommes Femmes Hommes Femmes
Totaux. 123 790 97 988 221 778 180 607 157 104 346 711
Source : Ministère des Finances et de l’Économie, Service des Statistiques : Résultats glo¬
baux concernant le pèlerinage de 1394 (1974), 25 p (Riad 1974).
21. Birks 1.S., A cross the Savonnas to Mecca, Lagos, C. Hurst and Company, 1978.
22. S. Bernus, op. cit., p. 206.
Religion, Culture et Politique 169
La presse mondiale devrait s y intéresser, non sous l’angle des rites et des tradi¬
tions, mais en le considérant comme un congrès politique périodique qui réuni¬
rait chaque année les dirigeants des États islamiques, les hommes d’opinion, les
ulémas, les écrivains, les négociants, les rois de l’industrie, ainsi que la jeunesse,
en vue d’étudier les grandes lignes d’une politique commune à toutes les na¬
tions musulmanes23». Il s’agit là d’un grand rêve ; on peut se demander quelles
sont les nations musulmanes ; qu’ont en commun en matière d’options politi¬
ques, les pays africains fortement islamisés comme le Sénégal, le Mali, la Guinée,
le Niger et le Nigéria ? Peut-on exciper d \une doctrine politique et économique,
même sociale de l’Islam ?'2A. Les différents systèmes politiques et socio-écono¬
miques des pays d’Afrique du nord et du Proche-Orient conduisent à beaucoup
de circonspection. Sans doute,en 1977-78,une communauté de 700 millions de
musulmans pourrait compter sur l’échiquier international. Mais que représentent
réellement les soixante millions de musulmans d’Afrique noire, d’une part à
l’échelon continental par rapport à la population totale, d’autre part au regard
des cent-dix millions d’Arabes musulmans (les pays arabes ne représentent que le
sixième environ des musulmans du monde), des 150 millions d’indonésiens,
des 25 millions de musulmans chinois et 50 millions de soviétiques musul¬
mans ? Quoiqu’il en soit, le rêve de Nasser lui a survécu ; grâce à l’opiniâtreté
du roi Fayçal, il se traduit par la création de la Ligue musulmane mondiale,
de la Conférence islamique des Ministres des Affaires étrangères et par le déve¬
loppement de la coopération économique, mais surtout financière entre les
États musulmans, notamment ceux du Proche Orient, d’Afrique du nord et
d’Afrique noire.
La question se pose de savoir quels sont les rapports entre le panafricanisme et
le panislamisme et leurs influences politiques. Panafricanisme et Panislamisme
constituent deux pôles d’attraction distincts ;ils présentent des intérêts différents ;
ce sont deux modes de pensée et d’action qui coexistent, se chevauchent par¬
fois et se retrouvent dans un mouvement plus vaste encore,le mouvement afro-
asiatique, voire le non-alignement. Le panafricanisme s’actualise dans des orga¬
nisations comme l’OCAM et l’OUA ; il débouche sur des réalisations plus ou
moins concrètes ; il sensibilise davantage l’opinion que le panislamisme de plus
en plus interprété comme un panarabisme d’autant que faisant preuve d une
maladresse rare, les Arabes n’hésitent pas devant l’effort des Africains à pro¬
mouvoir et à développer leurs langues nationales comme véhicule de culture et
instrument d’éducation permanente à déclarer «que parlez-vous de langues na¬
tionales alors qu’il y existe déjà une langue africaine : 1 arabe...» ! C est nier la
spécificité des cultures négro-africaines, dénier tout droit à la différence et à
l’identité culturelle. Ce ne serait rien de moins que «mépris et néo-colonialisme
aux petits pieds» comme d’aucuns se plaisent à le souligner.
Le panislamisme peut permettre des rassemblements comme la conférence
23. G. Nasser, Egypt’s Liberation. The Philosophy of the Révolution, Washington DC.,
1955, p. 112, souligné par nous.
24. Le Président Sékou Touré répond de façon affirmative dans l’Afrique en marche -
Révolution et Religion» 1. «... Non ! l’Islam n’est pas l’opium des Peuples ! L Islam procla¬
me la vraie Révolution, une Révolution multiforme, globale au service du bohneur socio
27. Israël et l’Afrique, Le Mois en Afrique, août 1967, n° 20. On y trouvera la liste des
postes diplomatiques et consulaires israéliens en Afrique, ainsi que les dates des accords de
coopération technique. «Israël s’infiltre en Afrique», in Jeune Afrique noire, n° 405 du
21 avril 1970 ; d’après cet article de Jeune Afrique, «entre 1960 et 1966, Israël a signé 33
accords bilatéraux de coopération avec les pays du Tiers-Monde, dont 20 avec les pays
d’Afrique noire et Madagascar. Selon les statistiques officielles, 1815 experts israéliens ont
réalisé de 1950 à 1966, 3500 projets de coopération, dont plus de deux-tiers dans les pays
africains. Le nombre de missions d’experts israéliens envoyés en Afrique a été multiplié par
seize entre 1956 et 1966, passant de 25 à 406. Les chiffres relatifs à la formation des
cadres étrangers en Israël même soulignent également la part prioritaire réservée à l’Afri¬
que : entre 1958 et 1966,9074 stagiaires, venus de 90 pays différents, ont reçu une forma¬
tion en Israël. Sur ce total, 4482, soit près de la moitié, sont des Africains.
Religion, Culture et Politique 171
occupât par la force, une partie du territoire d’un autre. C’est dans ce climat que
s’est tenu le sommet des chefs d’État (à Addis-Abeba, 27-29 mai 1973) qui con¬
fondant apartheid, colonialisme, impérialisme et sionisme, condamna aussi bien
le Portugal, l’Afrique du sud, la Rhodésie qu'Israël. Cette prise de position qui
isola Israël sur le plan diplomatique, rapprocha pour un moment les Arabes et
les Africains qui en profitèrent pour resserrer et développer leur solidarité :
réunis à Alger, en septembre 1973, les non-alignés suivirent le courant ; la
VIIIe session extraordinaire des Ministres des Affaires étrangères de l’OUA
(19-22 novembre 1973) et le VIe sommet arabe d’Alger (26-28 novembre
1973) renforcèrent la solidarité africano-arabe. La plupart des pays africains y
compris le Sénégal et la Côte d’ivoire, mais à l’exception du Malawi,du Leso¬
tho, du Swaziland et de (l’Ile) Maurice, avaient, fin 1973,rompu leurs relations
diplomatiques avec Israël. Le président Albert Bernard Bongo passa même à
l’Islam sous le nom de Omar El Hadj Bongo !
L’attitude officielle des grandes puissances, des pays occidentaux en parti¬
culier à l’égard d’Israël après la guerre d’Octobre 1973, facilitera la décision
africaine de boycott d’Israël. Mais, deux ans après, cette sanction-avertissement
au gouvernement israélien, le 10 novembre 1975, la plupart des pays africains,
notamment RCA, Côte d’ivoire, Liberia, Madagascar, Swaziland votèrent
contre le projet de résolution arabe assimilant «le sionisme à une forme de
racisme et de discrimination raciale», le Gabon, le Togo, la Haute-Volta, le
Botswana, l’Éthiopie, le Ghana, le Kenya, le Zaïre, la Zambie, etc., se réfugiè¬
rent dans l’abstention ! Il semble que des promesses d’aide financière n’aient
pas été tenues et que des pressions amicales de grandes puissances aient amené
certains gouvernements à nuancer leur position quant à l’assimilation du
sionisme au racisme. Mais cela ne compromit pas la coopération afro-arabe. A
titre de réciprocité, les Africains avaient exigé des Arabes certains engagements.
En effet, au sixième sommet arabe d’Alger (25-28 novembre 1973), les pays
arabes ont été invités à rompre leurs relations diplomatiques et commerciales
avec Pretoria, Salisbury et Lisbonne et à maintenir l’embargo pétrolier à leur
égard. En outre, il a été demandé d’accroître l’aide aux mouvements de libéra¬
tion, de prendre des dispositions particulières en vue de l’approvisionnement
normal des pays africains en pétrole et en produits pétroliers, à un tarif préfé¬
rentiel, d’apporter une aide spéciale aux pays du Sahel touchés par la séche¬
resse. En fait, il faut attendre mai 1976 pour voir la 7e conférence islamique
des Ministres des affaires étrangères adopter une résolution condamnant la dis¬
crimination et la ségrégation raciales en Afrique du sud, au Zimbabwe et en
Namibie. En revanche, l’Afrique noire n’a pas été inondée de pétrodollars
comme beaucoup l’espéraient.
L’aide des pays musulmans arabes à l’Afrique s’est orientée en priorité vers
la construction de mosquées (avec habitation et salaire pour l’imam, avantages
qui ne manquent pas de susciter des appétits, et partant des rivalités et la sur¬
enchère...) et d’écoles coraniques. Mettant l’accent sur l’aide au développement
la 9e Conférence islamique de Dakar d’avril 1978 a souligné avec force que «les
peuples ne vivent pas que de sourates : ils ont besoin de pain, d ’écoles, d 'usines
et d’hôpitaux...».
De la guerre d’octobre 1973 à 1977, l’Afrique noire a reçu une aide d’envi¬
ron 5 milliards de francs français, à travers différents organismes financiers et
institutions tels que la Banque arabe pour le développement économique, le
Fonds spécial arabe pour l’Afrique et le Fonds arabe d’assistance technique à
172 Les influences de la religion sur les options politiques
28. En 1978-79.
Religion, Culture et Politique 173
28. «Stratégie soviétique», in Revue africaine. Une étude mensuelle des tendances et des
événements en Afrique, septembre 1969, pp. 15 et s.
174 Les influences de la religion sur les options politiques
que dans le discours, de même la solidarité commence à jouer entre pays mu¬
sulmans; rien de tel pour les chrétiens. Certes les églises chrétiennes s’efforcent
de susciter un esprit de soÜdarité avec les églises d’Afrique grâce à l’action en
faveur des «pays de la faim» qui se traduit par des réalisations de caractère
social : puits, dispensaires, centres d’enseignement ménager. Mais cette «au¬
mône» généreuse, du reste fort appréciée et utile — «donner un poisson à son
frère qui a faim, c’est bien, mais lui apprendre à pêcher, c’est mieux» - ne
saurait se substituer à la Charité, à la Fraternité et partant, à la solidarité de
destin que le message évangélique porte et exige...
Par ailleurs, l’anti-communisme mort, et même vivant, n’est plus un ar¬
ticle d’exportation. Peut-être le ressaisissement et le renouveau viendront-ils
de la conquête du nouveau message islamique en Afrique ? L’Afrique est
devenue la terre privilégiée du prosélytisme religieux ou idéologique, islamique
ou communiste, le zèle missionnaire chrétien étant désormais l’apanage des
églises américaines dérivées du Christianisme : Témoins de Jéhovah, Christia¬
nisme Céleste30, etc... dont les envoyés sillonnent la brousse africaine.
«Depuis la décolonisation et en dépit des expériences de type socialiste qui
ont suivi, note Marie Christine Aulas, l’Islam continue d’être subtilement utili¬
sé par l’impérialisme. Naguère récupéré par les puissances coloniales, il 1 est à
son tour par les gouvernements en place,soit à des fins internes, soit à des fins
internationales, comme en témoignent les rapports entre certaines capitales
arabes et le continent africain» . Les observations sur le christianisme euro¬
péen n’entament pas son puissant attrait sur l’Afrique. La déchristianisation,
«le laxisme et la permissivité des mœurs» qui caractérisent, de nos jours, les so¬
ciétés européennes, ne sont perceptibles qu’a nous autres qui vivons en Europe ,
encore convient-il de ne pas exagérer ces dérèglements. En effet, bon nombre
d’Européens, par leur foi et leur exemple de vie, apparaissent comme de vi¬
vants témoins du Christ. Nous autres, des «pays de mission», sommes édifiés
et confortés dans notre foi, par la fidélité à l’Evangile de ceux, nombreux, qui
se dévouent pour répandre la Bonne Nouvelle et instaurer plus de justice et de
paix dans le monde. Il reste que le christianisme européen doit cesser d être
individuaüste et tourné vers l’étranger ; il lui faut être missionnaire
ici-même, en Europe, d’abord... En Afrique, en tout cas, propagateurs de
l’Islam et du Christianisme s’efforcent d’exploiter le sentiment profondé¬
ment religieux de l’Africain ; pour les uns, la religion s’avère désormais le pavil¬
lon sous lequel s’abrite l’exploitation ou le néocoloniaÜsme ;même le commu¬
nisme, après ses déboires en Afrique surseoit à prôner l’athéisme. Mais les
Africains ne sont pas dupes ; des intellectuels vous disent : «musulmans, oui,
mais pas arabes, pas néo-colonies arabes» ; «chrétiens, oui, pas européens et pas
néo-colonisés» ; l’histoire des chrétiens d’Afrique depuis environ cinquante ans
le prouve, du reste, la stratégie étant un christianisme enraciné dans la civili¬
sation négro-africaine et qui rejette l’aliénation culturelle et combat le néo¬
colonialisme. Des uns et des autres, les Africains réclament plus de respect, de
la dignité de l’homme négro -africain, d’égalité et de justice sociale, dans un
nouvel ordre économique et culturel international qui respecte la vie humaine
et donne la primauté à l’Homme. L’avenir de la religion - Islam, Christianisme,
Communisme - en Afrique est à ce prix.
30. En novembre 1974, le gouvernement de Kérékou décide que pour être membre du
Bureau Politique National, il ne faut «appartenir ni à une secte religieuse telle que Rose-
croix, La Franc-maçonnerie, la Théosophie, le Christianisme céleste, les Témoins de
Jéhovah, etc... ni à une religion dirigée ou téléguidée par des puissances étrangères.
CHAPITRE XII
VUES PROSPECTIVES
Avant de pousser plus loin nos recherches, il convient de dégager les princi¬
paux traits des relations entre religion et politique, plus précisément entre les
communautés religieuses et l’État dans les pays indépendants d’Afrique noire.
1. J.L. Alibert consacre quelques pages (293 à 299) aux étudiants, in «Les forces politi¬
ques en Afrique noire».
Religion, Culture et Politique 179
2. Tam-Tam, d’après le dernier numéro. Nouvelle série n°3de 1969, est lue par environ
10 000 personnes ; mais la revue compte moins d’abonnés.
Religion, Culture et Politique 181
au sein de la FEANF, que ses mots d’ordre font passer pour une association
communiste. Comme le note Alibert, la FEANF se caractérise par «un extré¬
misme de pensée». Ses maîtres-mots sont : lutte anti-impérialiste, et pour la
libération totale des peuples colonisés ; rupture de tout lien d’allégeance avec
les anciennes puissances coloniales ; établissement du socialisme en Afrique,
etc... Très séduite par les pays communistes, la FEANF est affiliée à l’Union
internationale des Étudiants, d’obédience communiste ; elle opte volontiers
pour les méthodes révolutionnaires. Les tendances gauchistes de la FEANF
auraient pu rebuter les étudiants chrétiens ou musulmans ; il n’en est rien. La
FEANF est un «melting-pot», un forum que prennent d’assaut ou par tacti¬
que des groupuscules organisés. Il en résulte que la fédération est tantôt dirigée
par des étudiants qui se veulent farouchement marxistes-léninistes, tantôt révo¬
lutionnaires mais profondément attachés à leur religion ; ainsi les responsables
furent-ils successivement musulmans, chrétiens ou athées. On ne peut donc pas
établir une corrélation entre religion et associations d’étudiants, ou, plus préci¬
sément, entre la confession religieuse des étudiants africains et leur comporte¬
ment au sein de la Fédération des Étudiants d’Afrique noire en France. En revan¬
che, nous avons déjà relevé, sur le plan des partis politiques, une influence de la
composante religieuse sur l’attitude des jeunes cadres. En effet, ce sont les
options religieuses qui inspirèrent la création du MLN face au PAI marxiste-
léniniste et partant athée. Mais les associations confessionnelles d’étudiants
n’ont encore, nulle part en Afrique, débouché sur la formation soit de partis
confessionnels, c’est-à-dire fondés sur la religion, soit de partis d’inspiration
religieuse. La tendance générale serait l’organisation de partis laïcs, excluant
toute référence à la religion, du moins pratiquant la neutralité religieuse ; le
cas échéant, le fait religieux est reconnu, comme dans le MLN, mais on ne
saurait généraliser à partir d’un cas unique, encore qu’il soit très significatif.
En tout cas, il est symptomatique que les deux formations politiques créées par
les jeunes élites africaine soit l’une fondée sur le marxiste-léniniste, l’autre
contre l’athéisme ; en fait, le clivage s’opère sur une base idéologique, le pro¬
gramme de libération nationale demeure sensiblement le même, inspiré par les
mots d’ordre de la FEANF ; l’opposition apparaît fondamentale sur la stratégie
rehgieuse. Peut-on déduire de ces observations la problématique des rapports
futurs entre reÜgion et poütique, notamment entre État et Égüse ?
autorités religieuses peut ne pas coïncider avec celle des jeunes cadres. Dans ces
conditions, une partie de l’élite s’en prendra aux autorités confessionnelles et,
par là, à la religion. Parmi ces autorités religieuses, celle qui se prête le plus à
ces situations conflictuelles est incontestablement le clergé catholique, pour la
triple raison qu’il est le mieux organisé et le plus instruit, formé à l’occidentale,
et qu’il tente d’établir chez ses ouailles une corrélation entre religion et poli¬
tique. Il ne faudrait pas non plus oublier la propension facile à confondre,
même de nos jours, Christianisme et Europe occidentale et, partant, Christianis¬
me et impérialisme. Le Christianisme est taxé de conservatisme et accusé de
pactiser avec les gouvernements ou l’ordre établi. Aussi, certains jeunes,
passionnés de marxisme-léninisme, fulminent-ils de violentes critiques et diatri¬
bes contre la religion et le clergé. Il ne faudrait pourtant pas confondre 1 atti¬
tude d’une partie du clergé, voire de la hiérarchie, avec les positions doctrinales
de l’Église.
Si l’on adopte le marxisme-léninisme, on ne peut que combattre la reügion,
car il s’agit de deux doctrines antinomiques... «Le marxisme, écrit Lénine,est
un matérialisme... A ce titre, il est aussi implacablement hostile à la religion
que le matérialisme des encyclopédistes du XVIIIe siècle ou le matérialisme de
Feuerbach... Nous devons combattre la religion ; c’est l’ABC de tout le matéria¬
lisme et, partant, du marxisme». En effet, tout bon marxiste qui connaît son
catéchisme sait que «La religion, c’est le soupir de la créature accablée par le
malheur ; c’est le cœur d’un monde sans cœur ; c’est l’esprit d’un monde sans
esprit ; c’est l’opium du peuple»4 5. Développant cette idée de Marx, Lénine
écrit : «La reügion est l’opium du peuple». Cette sentence de Marx constitue la
pierre angulaire de toute la conception marxiste en matière de religion. Le
marxisme considère toujours les reügions et les égüses, les organisations reÜ-
gieuses de toute sorte existant actuellement comme des «organes de réaction
bourgeoise servant à défendre l’exploitation et à intoxiquer la classe ouvrière»
Peut-on dire qu’en Afrique noire, la reügion soit un facteur d’aliénation ou
d’exploitation ? Il s’en faut, mais la peur des esprits, l’attachement généraüsé
à la magie, constitue sans aucun doute un facteur d aüénation car il inhibe
l’homme. Quoi qu’il en soit, il ne paraît pas indiqué, en cette phase de cons¬
truction nationale, de s’engager dans une guerre de reügion. En admet¬
tant même la stratégie marxiste qui vise à la suppression de la reügion, en extir¬
pant ses racines sociales, la tactique n’est-eüe pas d’éviter toute déclaration de
guerre à la reügion et de regrouper, dans une première phase au moins, toutes
les forces progressistes de la nation ? «Il faut savoir lutter contre la reügion,
écrit Lénine ; or, pour cela, il faut expliquer d’une façon matérialiste la source
de la foi et de la reügion des masses. On ne doit pas confiner la lutte contre la
reügion dans une prédication idéologique abstraite ;on ne doit pas ly réduire ,
il faut üer cette lutte à la pratique concrète du mouvement de classe visant à
faire disparaître les racines sociales de la religion». U serait dangereux et cri¬
minel, et ce serait se prêter au jeu de l’impérialisme, d’opposer croyants et in¬
croyants, dans une Afrique profondément croyante et non moins éprise de liberté
et impatiente d’un développement économique et social conséquent.^ Les
dirigeants du Bénin ont bien pris conscience de cette réalité puisqu’apres
6. Henri Maurier (Père Blanc), Essai d ’une théologie du paganisme. Préface de Jean Danié-
lou, S.J. Ed. de l’Orante, 1965.
7. C. Calame-Griaule in Culture et humanisme chez les Dogons, Aspects de la Culture noire
Fayard, 1958, p. 9.
Religion, Culture et Politique 185
11. Lire : 1) dans Les Informations Catholiques Internationales, n° 179 du 1er nov. 1962,
la lettre envoyée au St Siège par dix prêtres angolais ; 2) Présence africaine, 3e trimestre
1962, n° spécial «Angola» ; 3) Les Informations Catholiques internationales n° 186 du
15 novembre 1963.
12. M. Glélé, op. cit., pp. 306-9.
13. Gaudium et Spes, n° 42, para. 2.
société, accomplir sans entrave sa mission parmi les hommes, porter un juge¬
ment moral, même en des matières qui touchent le domaine politique, quand
les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l’exigent, en uti¬
lisant tous les moyens, et ceux-là seulement qui sont conformes à l’Évangile et
en harmonie avec le bien de tous, selon la diversité des temps et des situa¬
tions» 15. Le Clergé africain a évidemment fait sienne cette doctrine, expression
renouvelée de la théorie du pouvoir directif de l’Église catholique que prônaient
Dante dans «La Monarchie» et Fénelon dans «Dissertation sur l’autorité du
Souverain Pontife». Alors que les RJ. Boganda (République Centrafricaine),
Fulbert Youlou (Congo-Brazzaville), Moise Durand (Dahomey) participèrent
directement au pouvoir, le sentiment prévaut que le clergé africain répugne à
se mêler des affaires politiques. Il refuse de s’inféoder à un parti poütique, et
par son indépendance, se réserve le droit de se prononcer sur l’évolution politi¬
que, économique et sociale de l’État. Devant l’émiettement des forces politi¬
ques au Dahomey, la division et l’inorganisation des syndicats et de la jeunesse,
et l’effritement rapide de l’unité de l’Armée, le clergé apparaît comme la seule
force organisée, susceptible de prendre les rênes du pouvoir. Telle était l’une
des hypothèses que nous avions envisagées en 1967, au terme de nos recherches
sur le Dahomey : «Peut-être, écrivions-nous, sera-t-il (le clergé) le dernier re¬
cours pour donner une conscience et un chef au Dahomey»16.
Il ne s’agissait du reste que d’un constat et d’une hypothèse de travail décou¬
lant de l’analyse des organisations et forces sociales et politiques et des rapports
de force sur le terrain au Dahomey. Il n’était pas et il ne saurait être question
de susciter un quelconque cléricalisme. A la vérité, pour nous, les chefs reli¬
gieux, chrétiens, musulmans, traditionnalistes, devraient jouer le rôle d’éveilleurs
de conscience, de guides et de gardiens de certaines valeurs de civilisation,en fai¬
sant de façon ponctuelle mais périodique, des déclarations de principe sur des
questions qui agitent ou préoccupent les populations. On aimerait davatange les
entendre défendre les droits de l’homme, la justice sociale, le respect de la vie hu¬
maine... rappeler des valeurs morales et éthiques dans la tourmente sociale et po¬
litique quel que soit le régime en place. C’est cette attitude qu’adopta le clergé
dahoméen.
Dans la nouvelle crise que traversait le Dahomey en 1970, le clergé accusé de
soutenir un des nombreux candidats à la magistrature suprême, organisa un
symposium au Centre «Développement et Culture de Cotonou», le 19 février
1970, pour dissiper les malentendus. Il refusa de franchir le Rubicon comme
pouvait sembler l’y inviter notre hypothèse car «le clergé n’a pas pour mission
l’exercice du pouvoir poütique». Mais il proclama son droit absolu, et sa résolu¬
tion de se prononcer sur les affaires pubüques et de critiquer l’action des autorités
gouvernementales queües qu’elles soient. «Les prêtres sont des citoyens, tenus
de faire leur devoir civique et par leur état, d’exposer en dehors de toute consi¬
dération de parti la doctrine catholique sur les questions sociales et le bien com¬
mun en général». Et l’Abbé Robert Sastre12 de préciser, sous le titre «Nous par¬
lerons» : «Nous devons parler car notre mission est une mission spirituelle au ser¬
vice de la vérité. Et seule la vérité rend übre. Nous parlerons car il s’agit d’éclairer
les consciences. Les maux dont souffre notre pays sont 1 ignorance et la peur.
15. Gaudium et Spes, n° 75 S5. Et Lettre de Paul VI au Cardinal Roy, évêque de Montréal,
en date du 14 mai 1971, demandant un engagement du chrétien dans la politique pour
bâtir un monde plusjuste et une démocratie nouvelle.
16. M. Glélé, op. cit., p. 309.
17. Aujourd’hui évêque de Lokossa (Province du Mono, au Bénin).
188 Vues prospectives
au moment même où il stigmatise les forces «rétrogrades», il porte sur lui des
talismans protecteurs confectionnés par les «charlatans», et ce, à prix d’or, à
telle enseigne que certains diseurs de bonne aventure et des maîtresde la Reli¬
gion traditionnelle s’enrichissent, et voient s’accroître leur pouvoir de négo¬
ciation et de résistance dans la vie publique. C’est une manière de revanche de
cette classe que tendent à déposséder, par nature, les représentants des religions
nouvelles. Les sages, ceux-là qui ont la connaissance profonde et intime et qui
communient avec l’invisible, reprennent ainsi du poil de la bête, courtisés qu’ils
sont par la bourgeoisie bureaucratique et militaire, aux prises avec le pouvoir
d’État. On sait que tel chef d’État envoie des émissaires en Inde, avec des
milliers de francs, pour rechercher les plus grands mystiques et acquérir des
talismans «extra» qui garantissent la pérennité du régime. La question se pose
de savoir si, par delà la magie,la Religion traditionnelle africaine ne pourrait pas
redevenir la religion commune, et structurer la vie quotidienne et le pouvoir ?
L’adoption de l’Islam ou du Christianisme ne constitue-t-elle pas un reniement
de l’identité culturelle négro-africaine ? L’écrivain togolais R.A. Armatoe,
écrivait au XIXe siècle «Notre Dieu est noir ; noir d’une éternelle noirceur ;
avec de grandes lèvres voluptueuses, cheveux crépus et yeux brun clair ; car à
son image, nous sommes faits ; notre Dieu est noir...». C’était les premiers cris
de la Négritude. Edward Blyden3, américain noir,fils de deux esclaves togolais,
revenu en Afrique s’installer comme pasteur,puis professeur, revendiquait pour
le nègre, le droit à une perception différente et spécifique de Dieu. Dans son
principal ouvrage publié à Londres en 1886 «Christianity, Islam and the Negro
Race», il écrit : «Chaque race a son génie et le génie d’une race trouve une
expression dans ses institutions ; tuer ces institutions, c’est tuer le génie, c’est
commettre un crime terrible, odieux. Chaque race voit à sa façon un aspect dif¬
férent du Tout-Puissant. Les Hébreux n’auraient pu concevoir ou servir Dieu
sur les terres des Égyptiens. Le Nègre non plus ne le peut sous l’hégémonie
anglo-saxonne». Et l’auteur de poursuivre : «Toute race est dotée de talents
propres, et Dieu est on ne peut plus attentif à l’individualité, la liberté et l’indé¬
pendance de chacun. Dans la musique de l’univers, chacun apporte une note
différente mais nécessaire a la grande symphonie. Il y a nombre de notes qui
n’ont pas encore été jouées et la plus faible de toutes est celle qui ne peut être
jouée ici que par le Nègre, mais lui seul est à même de la faire entendre. Quand
il arrivera à la jouer, dans sa plénitude et sa perfection, elle sera accueillie avec
joie par l’univers...». C’est dans cette perspective que Joseph Booth,l’auteur de
«Africa for the African - L’Afrique aux Africains !» et John Chilembwe créè¬
rent en 1897, à Blantyre, «The African Christian Union». Ils entendaient lutter
pour 1 indépendance de l’Afrique et la création d’une nation-unie africaine
chrétienne «a United Christian African Nation». Ainsi, grâce aux échanges
entre les Noirs américains et les populations de l’Afrique australe et orientale,
s’épanouirent des églises noires telles que «The African Methodist Episcopal
Zion Church» ; «Tembu National Church» de Nekemia Tile, «The Ethiopian
Church, de Magena Makone». Mais à la vérité,on n’assiste pas à une restauration
ou à une valorisation systématique des cultes traditionnels. Sans doute le
Nigéria connaît-il le développement de communautés religieuses organisées et
structurées, fondées sur la religion ancestrale comme l’Église du Fâ, ou les
3. E.W. Blyden, Christianity, Islam and the Negro Race, 1887, Edinburgh, University Press
Religion, Culture et Politique 191
4. Deive Carlos Esteban, Vodu y Magia en Santo Domingo, Meseo del Hombro Dominica-
no, Santo Domingo, 1975.
5. Shepperson G. et Price T,,Independent Africa, John Chilembwe and the origins, setting
and significance of the Nyassaland Native Rising of 1915,Edinburgh, 1958 ; McCraken J.,
Religion and Politics in Northern Ngoniland, 1881-1904 in the Early History of Malawi,
Evanston, 1972 ; Meebelo H., Reaction to Colonialism, Manchester, 1971 ; Joseph P.E.,
Les sociétés secrètes des hommes-léopards en Afrique noire, Fayot, 1965.
6. Holt P.M., TheMahdist State in theSudan (1181-1898),Oxford,Clarendon, Press, 1970.
192 Conclusion
vu, les sociétés africaines contemporaines. Il est hors de cause que le Christia¬
nisme avec sa prudence sur le plan politique puisse être mobilisateur ; les adep¬
tes de la Religion traditionnelle faute d’une hiérarchie au plan national, handica¬
pés par le manque de savoir moderne, ne pourraient animer que des révoltes
localisées, encore faut-il que l’essentiel à leurs yeux, comme la destruction de
leurs divinités, les sacrilèges ou des atteintes graves à la vie humaine au sein de
leurs communautés, soit atteint ou sérieusement ébranlé. Il s’agit alors pour
eux d’une question de vie ou de mort. Quant aux chefs musulmans tels que les
émirs et sultans du nord-Nigéria, les lamidos du nord-Cameroun, ou les mou-
rides du Sénégal, véritables féodalités, ils ne contrôlent qu’une région avec une
rivalité entre les confréries, et, faute d’une éducation de type moderne pour ne
pas dire occidental, (pratiquer l’anglais, le français, le portugais) ils ne sont
pas en mesure de proposer une idéologie ou une mystique qui mobilise et
engage toutes les populations, du moins le personnel politique d’un État. Le
«cléricalisme islamique» même conforté par le Panislamisme de plus en plus
entreprenant risque, en Afrique noire, d’être tenu en échec d’une part par la ré¬
sistance des autres communautés confessionnelles et les groupements inspirés
et animés par d’autres courants de pensée comme le marxisme-léninisme,
d’autre part par la volonté du négro-africain d’affirmer son idendité culturelle et
son autonomie, et de rejeter tout impérialisme. La Religion traditionnelle, dans
toutes ses forces et expressions, apparaît comme le dernier rempart, la source
de vie. Ces forces religieuses avec lesquelles le pouvoir d’État doit compter en
attendant de soumettre tout le monde à sa seule autorité, domestiquant ou
neutralisant tous les îlots de résistance ou d’autonomie,si elles peuvent mettre
en difficulté les gouvernements ne paraissent pas en mesure de constituer pour
eux une véritable alternative du pouvoir. La sagesse négro-africaine commande
en matière de religion, une grande tolérance, un esprit et une pratique de l’œcu¬
ménisme attestés à travers l’histoire. Que le pouvoir politique respecte ce patri¬
moine culturel précieux et inestimable, et partant, garantisse la liberté de
pensée et la pratique de la religion, en bref, une véritable laïcité, et les rapports
Politique et Religion s établiront sous les meilleures conditions possibles pour
le seul bénéfice de lhomme qui est l’essentiel.
Au regard de nos traditions culturelles, et sur le plan des relations inter¬
personnelles, l’Afrique gagnerait à rester tolérante, œcuménique, rejetant tout
fanatisme. Dans nombre de pays, des familles se partagent entre tenants de la
Religion traditionnelle, musulmane et chrétienne ; tel cardinal n’est-il pas de
famille musulmane ? Nous avons eu une tante maternelle qui s’est convertie
à l’Islam ; pour qu’elle ne fût pas seule, on décida l’un de nos oncles alors pro¬
testant à la rejoindre dans l’Islam... Nous avons nous-mêmes grandi dans une
famille fondamentalement attachée à la Religion traditionnelle, au culte des
ancêtres. Nous avons été initié aux Vaudû éthniques et familiaux. Nous avons
appris à servir la messe, comme enfant de chœur, dans un couvent «Egungun»1 ;
les femmes ne pouvant entrer dans ce couvent, l’oncle Germain qui nous ensei¬
gnait «Ad Deum...», nous y enfermait, nous assénant des coups de chicoche.
Les mamans ne pouvaient venir à la rescousse ! Et puis curieusement, notre
maison jouxtant la mosquée du village où tous les matins un de nos oncles
«Babasango», comme muezzin appelait les musulmans à la prière. Et les mati¬
nales nous berçaient «Laa Ilaaha, illaa illaaha...». Et nous jeûnions avec nos
parents, allions avec eux à «ldi» et fêtions les grandes commémorations islami¬
ques avec eux... Aujourd’hui encore, nous trouvons normal de contribuer à la
1. «Egungun» : revenants ; culte des morts chez les yoruba ; les femmes n’ont pas accès au
couvent des Egungun.
Conclusion 193
■
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