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CRISTAL 6, Numéro 99 - 2010

2-910239-73-x, Ed. SFGP, Paris, France

Modélisation des cinétiques de fonte et de cristallisation du beurre de


cacao et application au procédé de tempérage « easy-temper ».
Mélanie Bécu a, Benoît Haut a, Frédéric Debaste a*
a
Transferts, Interfaces et Procédés (TIPs) – Unité de Génie Chimique (C.P. 165/67)
Facultés des Sciences Appliquées, Université Libre de Bruxelles, Av. F.D. Roosevelt, 50. B-1050
Bruxelles

Résumé
Le tempérage est une étape clé dans la production de chocolat pour obtenir un produit de qualité. Le
tempérage classique est un programme de température appliqué au chocolat afin d’induire la germination
de la forme cristalline souhaitée appelée forme V. Outre l’obtention de la forme souhaitée, le procédé vise
à offrir une période de latence avant la cristallisation qui permette la mise en œuvre du chocolat. Au cours
de travaux précédents, un nouveau procédé de tempérage par ensemencement appelé easy-temper a été
mis au point. Lors de ces travaux, un modèle mathématique permettant de prédire l’évolution de la
température dans un bol de chocolat mélangé manuellement pendant l’étape de fonte a été établi.
L’objectif est de modéliser l’étape de cristallisation sur base des germes issus de l’étape de fonte en vue
de la prédiction de conditions offrant la cristallisation voulue. Cette modélisation se base sur l’approche
développée par Le Révérend et al. (1966) qui simplifie la répartition des six formes cristallines du beurre
de cacao en deux groupes, les formes stables et désirées dans le chocolat (V et VI) et les formes instables
à éliminer (I à IV). Une cinétique de cristallisation est définie pour chaque groupe. Le modèle résultant
permet de modéliser l’ensemble du procédé d’ensemencement. En particulier, il est possible de prédire un
ordre de grandeur du temps nécessaire à la solidification du chocolat sur base des conditions initiales et
environnantes du procédé.
Mots-clés : tempérage, cinétique de cristallisation, transfert de chaleur.

1. Introduction
Le tempérage est une étape clé dans la production de chocolat pour obtenir un produit de qualité. Le
beurre de cacao peut cristalliser sous six formes différentes (notées de I à VI dans la nomenclature de
Wille et Lutton (1966)) mais seulement deux, les formes V et VI permettent d’obtenir un chocolat
brillant, croquant et résistant au blanchiment gras. Le tempérage classique est un programme de
température appliqué au chocolat afin d’induire la germination des formes cristallines souhaitées
(Seguine, 1991). Outre l’obtention, Le procédé vise à l’obtention de la forme souhaitée après une période
de latence qui permette la mise en œuvre du chocolat.
Au cours de travaux précédents, un nouveau procédé de tempérage par ensemencement à destination des
artisans chocolatiers appelé easy-temper a été mis au point. Ce procédé se base sur l’ajout de pastilles de
beurre de cacao au chocolat dans un bol agité manuellement. Dans un premier temps, ces pastilles fondent
partiellement avant de servir de germe. Lors de ces travaux, un modèle mathématique permettant de
prédire l’évolution de la température pendant l’étape de fonte a été établi (Debaste et al., 2008). Dans ce
modèle, la croissance cristalline n’est pas explicitement prise en compte, il ne permet donc pas de prédire
le temps d’induction permettant aux artisans de travailler le chocolat avant la cristallisation (Bettens et al.,
2009).
Le modèle développé par Avrami, initialement établi pour des métaux, est fréquemment utilisé pour
représenter la cristallisation des matières grasses (Le Révérend et al., 2009). Il s’agit d’un modèle
empirique, il ne permet donc qu’une interprétation limitée des phénomènes clés de la cristallisation. Ce
modèle exprime la quantité de matière cristallisée S suivant :

*
Auteur/s à qui la correspondance devrait être adressée : fdebaste@ulb.ac.be

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kt n
S a (1 e ) (1)
où a est le maximum de matière cristallisable, k est une constante cinétique qui dépend de la nucléation et
du taux de croissance cristalline, t est le temps et n est une constante, appelée exposant d’Avrami, qui
exprime la variation de la vitesse de croissance en fonction de la quantité de cristaux présents.
Le Révérend et al. (2009) ont développé un modèle basé sur l’équation d’Avrami couplé au transfert de
chaleur permettant de prédire la phase présente dans le système lors de la cristallisation du chocolat. Dans
ce travail, nous implémentons et appliquons ce modèle au procédé « easy temper ». Cela nous permet de
mettre en avant plusieurs forces et faiblesses de ce modèle et ainsi de proposer des pistes alternatives.

2. Méthode
Afin de déterminer le temps d’induction de la cristallisation en fonction des conditions opératoires, nous
appliquons le modèle développé par Le Révérend et al. (2009) . Nous redéveloppons cependant une
expression différente pour les bilans thermiques, adaptée au procédé « easy temper ».
2.1 Changement de phase
Le chocolat peut cristalliser sous six formes cristallines différentes. Pour simplifier le système
d’équations, nous considérons deux types de forme cristalline, appelées stable et instable, et une phase
liquide appelée fondu (Le Révérend et al., 2009). La forme stable correspond aux cristaux recherchés
dans le procédé. La transformation des matières grasses d’une phase vers une autre sont représentées par
les six réactions schématisées à la figure 1. Il s’agit d’une réaction de fonte et d’une réaction de
croissance des cristaux existant pour chacune des formes solide, ainsi que d’une réaction de germination
de la forme instable et exprimées par les deux équations différentielles suivantes :
dXstable kfs. Xstable0 ,1. Xfondu kis . Xstable0 ,1. Xinstable ksf . Xstable
(2)
dτ Kfs
dXinstable knuc. Xfondu kfi. Xinstable0,1. Xfondu kis. Xstable0,1. Xinstable kif . Xinstable
(3)
d Kfs
Où Xstable, Xinstable et Xfondu sont les fractions massiques de cristaux stables, instables et fondus. kfs,
kis, ksf, knuc, kfi et kif sont les paramètres cinétiques, exprimées en s-1 (voir figure1). τ est le temps t
adimensionnalisé par le produit τ = t.Kfs. La fraction de matière fondu (et le bilan correspondant) se
déduit par l’expression
Xfondu 1 Xstable Xinstable (4)
Les Xi0,1 sont les termes relatifs au modèle d’Avrami exprimant que le taux de croissance cristalline est
fonction de la quantité de cristaux présents. Ces termes incluent indirectement l’influence de la surface
des cristaux sur la vitesse de croissance et de fonte. Cela illustre le caractère empirique du modèle qui
marque cet effet dans un terme dépendant du volume total de la phase et non de sa surface.
Les paramètres cinétiques kii, sont des fonctions sigmoïdes dépendantes de la température T et définies
par les lois suivantes :
Kii
pour kfset kfi
1 e (T Tii)
kii
Kii
pour ksf , kif et kis (5)
1 e (T Tii)
Knuc.(Tnuc T ) si (T Tnuc)
knuc
0 si (T Tnuc)
Les valeurs des Kii et Tii sont extraites des travaux de Le Révérend et al. (2009).

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Figure 1. Schéma des six réactions de transformation entre phases considérées et les constantes cinétiques
correspondantes.

2.2 Transfert de chaleur


Le procédé « easy temper » est conçu pour les artisans chocolatiers. Le chocolat est fondu et mélangé
dans un bol. Lorsque le chocolat a atteint une certaine température, des pastilles de beurre de cacao
cristallisées sous la forme V sont insérées. C’est à partir de ce moment là que nous allons modéliser les
transferts de chaleur. Nous supposons que, grâce au mélange, la température est uniforme au sein du bol.
Le bilan de chaleur exprimé de manière adimensionnelle par l’équation (6) prend en compte la chaleur
consommée par la fonte des cristaux, la chaleur libérée lors de la cristallisation et les pertes de chaleurs
vers l’extérieur.
Nous supposons dans ce bilan que les cristaux des formes stables fondent tous à une température unique
Ts consommant une chaleur latente ∆Hs. De même, les cristaux des formes instables fondent à une
température Ti en libérant une chaleur latente ∆Hi. Ces températures correspondent aux points de fusion
des formes IV et V du chocolat déterminés par Wille et Lutton (1966). Les capacités calorifiques des
formes cristallines et de la matière fondue sont assimilées aux capacités calorifiques du chocolat solide et
liquide évaluées par Le Révérend et al. (2009).
dXinstable dXstable
((Cpi * 1).(T * Ti * ) Hi * ). ((Cps * 1).(T * Ts * ) 1). kp* .(T * Text * )
dT * d d (6)
d ( Xfondu Xstable . Cps * Xinstable. Cpi *
Où Ti,s,ext* sont les températures, adimensionnalisées par le rapport Ti,s,ext*=Ti,s,ext.Cpf/∆Hs, Text est
la température ambiante, Cpi,s* sont les capacités calorifiques des formes instables et stables
adimensionnalisées par le rapport Cpi,s*=Cpi,s/Cpf et ∆Hi est la chaleur latente adimensionnalisée par le
rapport ∆Hi*=∆Hi/∆Hs.

3. Résultats et discussions
Les équations (2), (3), (4) et (5) sont résolues à l’aide des fonctions ODE du logiciel MATLAB.
L’évolution des fractions massiques des formes stables, instables et fondues, ainsi que l’évolution de la
température prédite par le modèle sont représentés à la figure 2. Les valeurs des paramètres utilisés sont
reprises dans le tableau 1. Les conditions initiales correspondent à l’instant d’ensemencement par 10% en
masse de formes stables.

1 2.5

0.8
Fractions massiques

0.6 Xstable
Xinstable
T*

2
Xfondu
0.4 T*

0.2

0 1.5
0 10 20 30 40 50 60

Figure (2). Courbes de température et de fraction massiques obtenues à l’aide du modèle.

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Les valeurs des capacités calorifiques, Cpi utilisées sont issues des travaux de Le Révérend et Al (2009).
Le coefficient de perte de chaleur, kp, est ajusté pour obtenir une correspondance entre le modèle et
l’expérience. Afin d’augmenter la précision du modèle, nous envisageons par la suite de déterminer les
capacités calorifiques, les enthalpies de fusion et le coefficient de perte propres à notre chocolat et à notre
procédé.
Sur la figure 2, dans un premier temps, nous observons une rapide fonte des cristaux stables initialement
présents accompagnée d’une chute de température. La fraction massique de cristaux stables n’atteint
jamais 0, ce qui signifie que des germes sont toujours présents. Ensuite, pendant un certain temps, la
fraction massique de fondu domine, ce qui veut dire que le chocolat reste liquide, c’est la phase de
latence. Finalement, la température, continuant de diminuer, la cristallisation de la forme stable
commence, jusqu’à une situation d’équilibre représentative d’un chocolat solide bien cristallisé. La
fraction massique d’instables reste égale à 0 car la température ne descend pas suffisamment que pour
induire la nucléation de cristaux instables.
La figure 3 montre le temps de latence (défini comme le temps entre l’ensemencement et le moment ou la
fraction massique de cristaux repasse au dessus de 1%) en fonction de la température du chocolat au
moment de l’ensemencement pour une température extérieure et un coefficient de perte fixés. Nous
observons que pour une température initiale trop faible, le temps de latence est quasiment nul, le chocolat
cristallise trop rapidement, il est sur-tempéré. Inversement, si la température initiale est trop élevée, le
temps de latence tend vers l’infini, le chocolat est sous tempéré. Le sous-tempérage et le surtempérage
sont en effet deux phénomènes fréquemment observés dans la pratique.

Table 1. Paramètres utilisés pour la modélisation.


Paramètre Symbol Valeur
Enthalpie de fusion du stable ∆Hs 22000 J. kg-1 Le Révérend et al, 2009
Enthalpie de fusion de l’instable ∆Hi 19000 J. kg-1 Le Révérend et al, 2009
Capacité calorifique chocolat liquide Cpf 1500 J. kg-1. °C-1 Le Révérend et al, 2009
Capacité calorifique chocolat solide Cps, Cpi 2000 J. kg-1. °C-1 Le Révérend et al, 2009
stable et instable
Température de fusion du stable Ts 33.8 °C Wille et Lutton, 1966
Température de fusion de l’instable Ti 27.5 °C Wille et Lutton, 1966
Coefficient de perte de chaleur kp 4 J. °C-1.s-1 Paramètre ajustable
Température ambiante Text 22 °C
Fraction initiale de stable Xstable 10%
Fraction initiale d’instable Xinstable 0
Température initiale du chocolat T 35°C

25

20
Temps de latence (min)

15

10

0
30 35 25 40 45 50
Température initiale du chocolat (°C)
Figure (3). Temps de latence en fonction de la température initiale du chocolat prédit par le modèle.

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Les temps des latences calculés pour différentes températures initiales du chocolat ont un ordre de
grandeur raisonnable. A l’aide de ce modèle, nous parvenons donc à prédire les phénomènes observés au
cours du procédé « easy temper ». Afin d’améliorer ce modèle et obtenir des informations quantitatives,
nous envisageons d’ajuster les paramètres à notre chocolat. Cependant, ce modèle ne permet pas une
interprétation physique des cinétiques de cristallisation. Il est essentiellement empirique et présente des
limites. La figure 4 nous montre un exemple de ces limites. Elle représente l’évolution des fractions
massiques des formes stables, instables et fondue en fonction de la température du chocolat, prédites par
le modèle dans des conditions stationnaires. Lorsque la température augmente, nous observons une
transition progressive de l’état solide vers l’état fondu. Ceci est réaliste car le chocolat n’a pas une
température de fusion précise mais bien une gamme de température de fusion. Néanmoins, cela ne reflète
pas forcément la réalité. Ces conditions stationnaires prédites par le modèle devront être validées au
travers d’analyses calorimétriques différentielles.

0.8
Fractions massiques

0.6
Xstable
Xinstable
0.4 Xfondu

0.2

0
18 20
22 24 26 28
Température (°C)
Figure 4. Courbes d’équilibre des fractions massiques en fonction de la température

4. Conclusions et perspectives
Nous avons appliqué une version modifiée du modèle simple de cristallisation du chocolat développé par
Le Révérend et al. (2009), basé sur le modèle empirique d’Avrami, au procédé de tempérage par
ensemencement « easy temper ». Ce modèle permet de prédire qualitativement les différents phénomènes
observés lors de ce procédé. Un ajustement plus précis des valeurs des différents paramètres permettrait
son application pour des prédictions quantitatives. Cependant, le modèle utilisé est essentiellement
empirique et il masque certains phénomènes physiques clés de la cristallisation dans des constantes
cinétique, limitant ainsi le pouvoir d’extrapolation du modèle. De ce fait, les développements ultérieurs de
ce modèle porteront sur la modification des équations cinétiques de manière à prendre en compte
explicitement les phénomènes clés de cristallisation, par exemple en exprimant les cinétiques de fusion et
de croissance au travers de modèles à cœur rétrécissant, comme proposé pour la fonte dans nos travaux
antérieurs (Bettens et al., 2009))..
Références
Bettens D., Y. Kegelaers, B. Haut, V. Halloin et F. Debaste, 2009, Modeling temperature in chocolate mass to predict
tempering quality, European Journal of Lipid Science and Technology 111(3), 891–902.
Debaste F., Y. Kegelaers, S. Liégeois, H. Ben Amor et V. Halloin, 2008, Contribution to the modelling of chocolate
tempering process, Journal of Food Engineering 88, 568–575.
Le Révérend B. J. D., P. J. Fryer et S. Bakalis, 2009, Modelling crystallization and melting kinetics of cocoa butter in
chocolate and application to confectionery manufacturing, Soft Matter 5, 891–902.
Seguine, E.S., 1991, Tempering – The Inside Story. The Manufacturing Confectioner, 117-125.
Wille R. L. et E. S. Lutton, 1966, Polymorphism of Cocoa Butter, The Journal of the American Oil Chemists'
Society 43, 491-496.

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Remerciements
Mélanie Bécu remercie le Fonds de la Recherche pour l’Industrie et l’Agriculture (bourse FRIA – F.R.S.-
F.N.R.S.) pour son soutien financier.

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