universitaires
de Lyon
Pierre Bourdieu | Patrick Champagne, Olivier Christin
Capital
p. 93-146
Texte intégral
1 Une approche très superficielle de l’œuvre de Pierre Bourdieu, confondant sans
doute le titre de ses ouvrages avec les concepts qu’il a spécifiquement forgés,
fait de lui le sociologue (ou le théoricien) de la « distinction » après avoir été
celui de la « reproduction » et, plus tard, celui de la « domination ». Son œuvre
serait censée faire la « théorie » de ces notions, le mot théorie étant pris ici
dans un sens quasi politique, c’est-à-dire comme construction intellectuelle
justifiant ou, à l’inverse, luttant contre, en tout cas prenant partie sur les
notions en question. Du même coup, certaines « objections » à son œuvre se
réduisent à contester les titres de ses livres (« il n’y a pas que de la
reproduction mais aussi du changement », « toutes les pratiques ne visent pas
à se distinguer car il y a aussi du désintéressement », « tout n’est pas réductible
à de la domination car il y a aussi de l’amour », etc1.). Il n’est donc pas inutile
de rappeler que ces notions ne sont pas des concepts spécifiques créés par
Bourdieu mais des réalités objectives qu’il se propose, après bien d’autres
sociologues – notamment Marx et Weber –, d’expliquer : pourquoi les
mécanismes de la reproduction sociale sont-ils si puissants ? quelles sont les
fonctions sociales que les pratiques culturelles remplissent ? pourquoi un
individu accepte-t-il apparemment librement d’obéir à un autre individu, sans
qu’il soit nécessaire d’user de la violence physique ?
2 Les malentendus sur l’œuvre de Pierre Bourdieu, déjà visibles lors de la
publication de La Reproduction en 1970, vont donc redoubler lorsque, en 1979,
il publie un livre de 670 pages ayant pour titre La Distinction. Le mot n’est pas
un concept scientifique intégré à un système explicatif global mais une simple
notion descriptive jouant sur le double sens de ce mot qui appartient au
registre du sens commun (être distinct, être différent d’une part et être
distingué, « avoir de la classe » d’autre part) afin d’attirer l’attention sur un
phénomène anthropologique (c’est-à-dire observable dans toutes les sociétés)
dont le sociologue se doit de rendre compte à partir d’outils théoriques et de
données observables dans sa société, à savoir le processus par lequel toutes les
sociétés fabriquent des hiérarchies sociales avec des différences naturelles (de
sexe, d’âge, d’ethnie, etc.) et, inversement, naturalisent des différences
socialement produites (la réussite scolaire, le goût, etc.) pour les légitimer. Le
sous-titre du livre, plus rarement cité par les commentateurs, donne pourtant
une idée plus exacte de l’ambition intellectuelle animant cet ouvrage : Critique
sociale du jugement renvoie, en effet, à Kant et à la question philosophique des
limites de la connaissance, mais revisitée par la démarche et les méthodes de la
sociologie. Il aurait donc été moins sommaire de dire que l’ambition de Pierre
Bourdieu était, dans le prolongement de la sociologie de Durkheim, celui des
Formes élémentaires de la vie religieuse2, de montrer que l’activité cognitive,
surtout lorsqu’elle s’applique à la société, n’est pas sans lien avec les structures
sociales de la société en question. Il existe, Marx le notait lui aussi, des limites
proprement sociales à la perception du monde social (« les limites du cerveau
du bourgeois ») qui ne peuvent être repoussées et dépassées qu’en en faisant
l’analyse.
DE L’HÉRITAGE CULTUREL…
6 L’analyse en termes de capital culturel telle qu’elle est mise en œuvre dans La
Distinction est le produit de toute une série de ruptures avec ce processus de
naturalisation que le monde social produit en permanence du seul fait de
l’existence d’une homologie tendancielle entre les structures mentales et les
structures sociales, les unes étant produites par les autres et contribuant du
même coup à engendrer une reproduction sans fin, qui n’exclut pas cependant
le changement ni même les crises lorsque, cas de figure fréquent, les structures
sociales et les structures mentales des agents ne coïncident pas exactement et
même entrent en contradiction. À la différence de l’ethnologie qui est
confrontée à l’altérité radicale, au problème que pose la saisie de conduites
dont le sens ne se donne pas immédiatement à l’observateur, de
comportements étranges parce qu’étrangers, et qui sont donc, pour le savant,
des conduites « à comprendre » et « à déchiffrer », le sociologue entretient
avec la société qu’il étudie, c’est-à-dire la sienne, une relation inverse
d’immédiate familiarité, ou de cela-va-de-soi comme disent les ethno-
phénoménologues, relation qui est le principal obstacle à l’analyse scientifique.
Ses lunettes, pour analyser le monde social, sont celles-là mêmes du monde
social qu’il étudie10. Mais, comme le note Bourdieu, le sociologue sait qu’il est
pris et compris dans le monde qu’il prend pour objet11. Il a pour objet ce « sens
commun » que le monde social produit en faisant « naturellement »
intérioriser, au cours du processus de socialisation, des schèmes de perception
du monde social qui sont, aux variations marginales près, identiques pour tous
les membres qui le composent et qui rendent possible le consensus, accord
minimal sur le sens, comme le dit l’étymologie du mot, sans lequel la vie
sociale ne serait pas possible. Cette rupture avec les évidences ordinaires, et
par là les plus inaperçues – évidences des enquêtés qui sont aussi celles de
l’enquêteur dans la mesure où il participe du même monde social – est
particulièrement radicale dans La Distinction.
7 Bourdieu va mener son analyse sur ce qui semble le moins scientifiquement
analysable parce que le plus impalpable, le plus personnel et le plus
irréductiblement individuel, et donc naturel, à savoir « le jugement de goût »
dont le sens commun dit justement qu’« il ne se discute pas ». Il est considéré
comme une propriété de la personne dans sa singularité la plus singulière. Par
définition, il est inexplicable ou pour le moins irréductible à une explication
qui se voudrait totale : s’il faut bien accorder, en effet, qu’il existe quelques
grandes régularités dans les pratiques culturelles – comment pourrait-on le
nier aujourd’hui lorsque l’on considère les enquêtes statistiques sur les
pratiques culturelles ? –, on s’empresse immédiatement d’ajouter que,
cependant, tout n’est pas explicable et qu’aucune science ne pourra jamais dire
pourquoi deux individus apparemment proches socialement n’ont pas
nécessairement les mêmes goûts.
8 La rupture opérée dans La Distinction consiste, par un chemin inverse, à
déconstruire ce que le monde social construit et, en quelque sorte, à « re-
culturaliser » un produit culturel qui est socialement donné à percevoir comme
« naturel ». Cette rupture ne s’est pas faite d’un coup, parce que cette façon de
voir a contre elle toute la force du monde social. Si la rupture avec ces
évidences est difficile à opérer pour le sociologue, elle ne l’est pas moins à faire
entendre à la société, le sociologue devant aussi prendre en compte la
résistance à l’objectivation sociologique qui n’est pas un des moindres
obstacles à la reconnaissance de la sociologie comme science.
9 La théorie du capital qui est construite dans La Distinction est l’aboutissement
des recherches menées, dès le début des années 1960, par Pierre Bourdieu et le
groupe de chercheurs qu’il a constitué et animé, sur le rôle du « facteur
culturel » dans l’élimination scolaire et sur les « pratiques culturelles » (les
usages sociaux de la photographie, la fréquentation des musées), ces deux
domaines ayant en commun d’être investis par des idéologies naturalisantes
particulièrement prégnantes, à savoir l’idéologie du don d’une part et
l’idéologie de l’excellence naturelle d’autre part. Pour mieux appréhender la
construction progressive de la notion de capital et apercevoir la mise en
relation complexe qu’elle implique dans sa forme la plus élaborée, il n’est sans
doute pas de meilleure méthode que de suivre, pas à pas, la genèse du concept
chez Bourdieu et sa mise en relation progressive avec d’autres concepts.
10 La première analyse du capital culturel – la notion n’est pas encore désignée
comme telle et n’a pas encore la complexité qu’elle acquerra par la suite – se
trouve, dès 1964, dans l’ouvrage intitulé Les Héritiers. Les étudiants et la
culture12 que Pierre Bourdieu cosigne avec Jean-Claude Passeron. Les auteurs
se proposent alors de rendre compte de l’élimination scolaire en mettant en
évidence le rôle joué par ce qu’ils appellent « l’héritage culturel ». L’idéologie
de la promotion par l’école et l’idéologie du don proposaient, comme toutes les
explications de type idéologique, une explication apparente, purement
tautologique, de la réussite scolaire : on réussit parce qu’on est doué pour
réussir, ce qui revient à invoquer un déterminisme biologique et donc à rejeter
a priori toute explication sociologique.
11 Les deux auteurs précisent que la sociologie ne nie pas le rôle éventuel de
déterminants d’ordre « biologique » ou « psychologique » mais qu’elle ne doit
pas abdiquer prématurément son droit à l’explication proprement sociologique
qui, selon le précepte durkheimien, consiste à référer un fait social à un autre
fait social. Mais la théorie de l’habitus va rendre en fait absurde la distinction
entre des facteurs purement sociaux et des facteurs purement biologiques (ou
psychologiques) dans la mesure où le processus de socialisation investit le
corps biologique et rend indissociable le social du biologique, l’inné de l’acquis.
12 Les rares miraculés issus des milieux populaires, loin de poser problème à
l’idéologie démocratique, confortaient le sens commun dans ses croyances. Le
fait que « des » enfants issus des milieux populaires pouvaient s’en sortir – il
ne fallait surtout pas les compter ni s’interroger sur ce qui pouvait les
distinguer de la plupart des enfants issus des classes populaires – n’était-il pas
la preuve que la réussite scolaire ne dépendait pas du milieu social ? Bourdieu
et Passeron vont opposer à ces représentations communes et dominantes les
données factuelles que permet de dégager la méthode statistique, et
notamment la construction des « probabilités objectives » de réussite scolaire
selon l’origine sociale (c’est-à-dire la statistique des chances, pour 100 enfants
issus d’un milieu social donné, d’accéder à l’université). La structure des
chances objectives de réussite scolaire selon le milieu social d’origine qui est
ainsi obtenue dévoile une corrélation impressionnante entre l’accès à
l’enseignement supérieur et l’origine sociale (pourtant grossièrement mesurée
par la catégorie socioprofessionnelle de l’INSEE), corrélation qui n’étonne plus
aujourd’hui, et est même devenue banale, mais qui, jusque dans les
années 1960, était déniée par l’idéologie du don (ce qui montre, au passage, la
force des représentations sociales, celles-ci pouvant donner, de la réalité, une
lecture quasiment inversée).
13 Comment rendre compte sociologiquement de ces inégalités sociales ? L’idée,
tombée dans le sens commun, selon laquelle les inégalités de réussite à l’école
résident dans l’existence de « handicaps culturels », risque de faire oublier que
l’explication par les inégalités devant la culture ne s’est pas imposée d’emblée
et qu’elle a dû être conquise contre l’idéologie naturalisante du don. L’inégale
réussite scolaire selon les milieux sociaux a d’abord conduit à rechercher une
explication dans l’inégalité des conditions matérielles propres aux diverses
classes sociales puisque mener à bien des études longues supposait de la part
des familles un investissement économique minimum : si les milieux
populaires ne poussaient pas leurs enfants dans les études, c’était surtout,
pensait-on, parce qu’ils n’en avaient pas les moyens matériels et parce que ces
familles devaient faire entrer leurs enfants le plus tôt possible dans la vie
active. Les causes seraient donc purement économiques. Bourdieu et Passeron
montrent, enquêtes à l’appui, que le facteur explicatif majeur réside dans les
inégalités culturelles et dans l’inégale maîtrise de la langue scolaire. « Tout
enseignement, écrivent-ils, et plus particulièrement l’enseignement de culture
(même scientifique), présuppose implicitement un corps de savoirs, de savoir-
faire et surtout de savoir-dire qui constitue le patrimoine des classes
cultivées13. » L’analyse des inégalités devant l’école doit donc prendre en
compte « la plus ou moins grande affinité entre les habitudes culturelles d’une
classe et les exigences du système d’enseignement ou les critères qui y
définissent la réussite14. » Autrement dit, les auteurs montrent que même si on
neutralisait le facteur économique, le système d’enseignement resterait
profondément inégalitaire par le seul jeu de sa logique propre qui est culturelle
et non matérielle ou économique.
14 Dans ces analyses, il n’est pas encore question de « capital culturel », ou alors
de manière marginale sans que l’expression signifie autre chose qu’« héritage
culturel ». Les concepts qui sont alors mobilisés sont « privilège culturel »,
« classes culturellement défavorisées », « culture savante », « culture
scolaire », « transmission de l’héritage culturel » ou encore « inégalités devant
la culture », autant d’expressions qui essaient d’appréhender le phénomène
mais qui le désignent plus qu’elles ne le construisent complètement. L’analyse
de Bourdieu reste cantonnée dans le cadre de la réflexion qu’il mène alors sur
le concept de culture dont la polysémie permet de comprendre, à un certain
niveau, la logique de l’élimination scolaire. En effet, dans son sens commun et
très ancien, « cultivé » s’oppose traditionnellement à « barbare » et à
« inculte ». On peut donc, en ce sens, être ou non « cultivé », puisque le mot
désigne une qualité socialement valorisée (« avoir de la culture »). Au cours du
e
siècle, la notion de culture a été redéfinie par les ethnologues, puis dans la
première moitié du e siècle par les sociologues, désignant alors la production
matérielle et intellectuelle de l’homme. La notion est alors opposée, sans
jugement de valeur, à « nature » (comme l’acquis s’oppose à l’inné) et désigne
donc toutes les manières de faire et de penser propres à un groupe social (en ce
sens, on peut dire qu’il existe par exemple une « culture ouvrière », une
« culture paysanne », etc., bien que ces classes ne soient pas « cultivées »).
L’élimination scolaire est alors expliquée dans le cadre de cette réflexion et
trouve son principe dans la proximité, ignorée comme telle, de la culture (au
sens ethnologique) des classes supérieures avec la culture reconnue et
positivement sanctionnée par le système d’enseignement. Autrement dit,
l’excellence scolaire (culture valorisée) est aussi la culture (au sens
ethnologique) d’un groupe social, celle de la classe justement dite « cultivée »
qui va, de ce fait, être désignée, selon une expression fréquente de nos auteurs,
comme la classe « culturellement favorisée ». L’école est censée transmettre
une culture à ceux qui, par la famille, la possèdent déjà. Bourdieu dénonce
l’essentialisme et le véritable « racisme de classe » qui, sous l’idéologie du don,
peut s’afficher sans jamais s’apparaître comme tel (« l’éducation, c’est inné »,
peut, par exemple, déclarer une enquêtée appartenant aux classes sociales
culturellement favorisées sans même apercevoir la contradiction dans les
termes de l’expression). Mais il réfute tout autant l’illusion populiste qui
conduit « à revendiquer la promotion, à l’ordre de la culture enseignée par
l’école, des cultures parallèles portées par les classes les plus défavorisées15 »,
estimant que certaines des aptitudes qu’exige l’école ne sont pas réductibles à
une culture de classe et définiront toujours la culture savante.
… AU CAPITAL CULTUREL
15 Mais reconnaître que la culture des classes sociales privilégiées est une culture
savante (propriétés intrinsèques à cette forme de savoir) dont l’acquisition peut
même être jugée universellement souhaitable, n’exclut pas le fait qu’elle puisse
aussi remplir des fonctions sociales conservatrices (propriétés externes). Cette
précision n’est pas inutile si l’on songe à tous les faux débats qui, lors de la
parution des Héritiers, se sont développés autour de cette question. Constater
empiriquement que la culture savante remplit des fonctions sociales n’est pas
porter un jugement sur la valeur en soi de cette culture et encore moins vouloir
sa « destruction » en tant que « culture de classe ». Cela n’implique ni
disqualification ni, inversement, valorisation, ni même – dans une sorte
d’œcuménisme culturel – l’affirmation d’une « égale dignité » de toutes les
cultures (au sens ethnologique). Le sociologue n’a pas à prendre position sur ce
point et doit se borner à constater l’existence de jugements proprement sociaux
sur les pratiques et les œuvres culturelles (au sens ethnographique). Il existe
bien évidemment entre les cultures des différences intrinsèques que le
sociologue n’ignore pas, mais qui ne doivent pas pour autant être confondues
avec l’existence de la hiérarchisation proprement sociale, variable selon les
sociétés, entre ces cultures. C’est ce fait social que Bourdieu prend en compte
avec la notion de capital culturel qui, à la différence de la notion d’héritage
culturel précédemment employée, rappelle que la culture n’est pas seulement
un patrimoine qui se transmet ; c’est aussi un bien qui a une valeur sociale
différentielle. Bourdieu, dans son analyse du système d’enseignement, ne se
borne pas à constater l’inégale réussite scolaire en fonction de l’origine sociale
des élèves ; il montre que cette inégale réussite, parce qu’elle est socialement
perçue comme la conséquence d’inégalités qui seraient naturelles, tend en fait
à légitimer les inégalités sociales, l’école donnant sa sanction à l’héritage
culturel, au don social (si l’on peut dire) traité comme don naturel. « Les
classes privilégiées, écrit-il, trouvent dans l’idéologie que l’on pourrait appeler
charismatique (puisqu’elle valorise la “grâce” ou le “don”) une légitimation de
leurs privilèges culturels qui sont ainsi transmués d’héritage social en grâce
individuelle ou en mérite personnel16. »
16 Les recherches sur les pratiques culturelles qui sont menées parallèlement aux
enquêtes sur le système d’enseignement vont apporter un certain nombre
d’éléments décisifs pour la construction ultérieure de la notion de capital.
L’enquête sur les usages sociaux de la photographie publiée en 1965 portait, en
effet, sur une pratique culturelle théoriquement intéressante en raison de la
position intermédiaire qu’elle occupe dans le champ des pratiques culturelles,
puisqu’elle n’est ni totalement légitime culturellement ni totalement illégitime,
mais située dans un entre-deux qui permet de saisir en quelque sorte in vivo le
processus même de légitimation culturelle. Cette enquête qui analyse, dans sa
diversité même, la pratique de la photographie depuis ses usages sociaux les
plus fonctionnels et les moins culturels au sens étroit (photographies de famille
et de vacances célébrant le groupe ou attestant d’une position sociale)
jusqu’aux virtuosités esthétisantes observables dans les clubs de photographie
d’art, permettait d’introduire une notion essentielle qui va s’inscrire dans
l’œuvre de Pierre Bourdieu, non sans susciter, là encore, certaines lectures
biaisées, à savoir la notion de légitimité (non pas dans son sens ordinaire mais
au sens que Max Weber lui a donné). Cette notion permet d’échapper aux
jugements de valeur inconscients que l’analyste risque toujours d’imposer, en
contrebande, dans ses analyses, tout en prenant acte du fait que, dans les
sociétés socialement hiérarchisées et inégalitaires, toutes les cultures ne se
valent pas socialement. La notion de légitimité ne signifie pas que le sociologue
évalue personnellement la valeur des pratiques et décrète si elles sont ou non
« légitimes ». Il se borne à constater et à enregistrer, comme un fait social, que
la société n’estime pas de la même manière toutes les pratiques et que cette
évaluation varie selon les sociétés et selon les époques.
17 Plus exactement, Bourdieu parle de pratiques culturelles « plus ou moins
légitimes », rappelant ainsi qu’il n’existe pas une frontière franche entre les
pratiques qui seraient en soi « légitimes » et celles qui ne le seraient pas mais
qu’il y a, en fait, un continuum entre le « très légitime » et « l’illégitime » et, en
outre, que la légitimité des pratiques n’est pas un absolu : qui juge, en effet,
« légitime » telle ou telle pratique ? Est-ce le groupe d’appartenance ou un
groupe socialement dominant qui impose à tous ses propres jugements de
valeur ? Y a-t-il une instance reconnue comme telle, et par tous, qui, tel Dieu,
puisse décréter ce qui est ou non légitime ? En fait, il existe, dans nos sociétés,
une lutte interminable pour la légitimité (c’est-à-dire pour la reconnaissance)
entre des instances en concurrence, comme on le verra dans le chapitre suivant
consacré au concept de champ. On voit en tout cas que la notion de légitimité,
qui n’est pas aussi sommaire que certains ont pu le penser, permet d’échapper
au couple infernal dans lequel tend à s’enfermer l’analyse des pratiques
culturelles, oscillant entre deux positions qui, comme disait Bachelard, font
« couple épistémologique » : l’une, que l’on peut appeler la position
« légitimiste », qui se borne à constater l’existence d’inégalités sociales devant
une culture qui est posée, en soi, comme désirable et supérieure (c’est-à-dire la
culture savante, dominante, cultivée, etc.) ; l’autre, que l’on peut dire
« populiste », qui, s’appuyant sur la tradition ethnologique, et notamment sur
certains textes de Lévi-Strauss17, professe un relativisme absolu qui prétend
élever toutes les cultures (au sens ethnologique), et notamment les cultures
populaires et socialement dominées, au même rang que « la » culture
dominante. Mais conférer, dans l’analyse, une égale valeur à toutes les cultures,
c’est oublier que le sociologue doit non pas faire état de ses souhaits ou de ses
préférences personnelles mais prendre acte de la réalité du monde social, c’est-
à-dire ici du fait qu’il existe, dans la société, des degrés de reconnaissance et de
considération proprement sociales qui hiérarchisent les individus et leurs
pratiques. Le sociologue doit enregistrer – ce qui ne signifie pas, Bourdieu
n’aura de cesse de le rappeler, approuver ou déplorer – le fait que tout ne se
vaut pas socialement. « Dans une société donnée, à un moment donné du
temps, écrit Pierre Bourdieu, toutes les significations culturelles […] ne sont
pas équivalentes en dignité et en valeur. […] Les différents systèmes
d’expression, depuis le théâtre jusqu’à la télévision, s’organisent objectivement
selon une hiérarchie indépendante des opinions individuelles qui définit la
légitimité culturelle et ses degrés18. » La situation de la photographie dans la
hiérarchie des légitimités, à mi-chemin entre les pratiques « vulgaires »
abandonnées apparemment à l’anarchie des goûts et des couleurs et les
pratiques culturelles nobles, explique l’ambiguïté des attitudes que cette
pratique suscite, celle-ci, comme le jazz, le cinéma ou la chanson, appartenant
à la sphère des pratiques culturelles non ou peu légitimes mais légitimables.
Une conférence célèbre de Bourdieu intitulée « L’opinion publique n’existe
pas19 » fut l’objet d’une même lecture politiquement biaisée par les politologues
spécialisés dans les sondages d’opinion. Bourdieu dénonçait l’erreur qui, du
point de vue scientifique, était impliquée dans le simple fait d’additionner les
réponses aux questions d’opinion des enquêtés et de présenter « l’opinion
publique » sous la forme d’un pourcentage unique. Double erreur puisqu’on
additionne des « opinions » très hétérogènes et qu’en outre, on fait disparaître
les tensions et oppositions sous un pourcentage. Le sociologue constatait ainsi
que, dans la réalité, toutes les opinions ne se valent pas socialement parce que les
individus n’ont pas tous le même poids social. L’opinion d’un professeur
d’université sur le système d’enseignement, par exemple, n’a pas le même poids
social (ni la même force) que celle qui est extorquée, dans une enquête d’opinion,
à un ouvrier ou à un paysan sur ce sujet. C’est pourquoi les additionner a peut-
être un sens politique (c’est la logique du suffrage universel qui est au principe
du fonctionnement de nos démocraties), mais est un non-sens scientifique dès
lors qu’il s’agit de comprendre l’acte électoral et non simplement d’additionner
des bulletins pour savoir « qui a gagné ». Confondant logique politique et
approche scientifique, c’est-à-dire le droit (à exprimer une opinion quand on en
a une) et le fait, scientifiquement établi, que l’accès à l’opinion individuelle est
inégalement distribué dans la population, certains politologues accusèrent
Bourdieu de ne pas être « démocrate » puisque, découvrirent-ils à cette occasion,
les sondages reposent sur les même présupposés que le vote démocratique.
Bourdieu avait anticipé cette réaction des politologues en commençant sa
conférence en disant qu’il allait sans doute « heurter un sentiment naïvement
démocratique ». Rappelons simplement que contester la valeur scientifique à une
certaine pratique des sondages d’opinion, ce n’est pas contester la valeur
politique des dispositifs démocratiques20.
23 D’autres critiques, observant que les systèmes d’oppositions qui classent les
choses et, donc, les individus qui, à un moment donné dans une société
donnée, les consomment, n’étaient pas partout identiques (à Paris comme à
Nice, en France comme aux États-Unis, etc.), comme par exemple le fait que
certains individus appartenant aux classes populaires (et vivant près de la mer
notamment…) pouvaient préférer au ragoût de viande (mets en général plutôt
populaire), le poisson (dont Bourdieu, à partir de ses données empiriques, à la
fois françaises et datées, constatait qu’il était plutôt consommé par les classes
sociales aisées), croyaient également pouvoir invalider, ou du moins corriger,
la théorie (il faudrait peut-être rappeler à ces critiques qu’il y a poisson et
poisson, par exemple hareng, merlan ou sardine d’un côté et sole, turbot et
lotte de l’autre). Autre critique, plus récente32, la « redécouverte » qu’un même
individu réel, notamment selon qu’il est seul ou en groupe, puisse aimer à la
fois la musique d’opéra et le rap par exemple, c’est-à-dire des consommations
culturelles qui, à un moment donné du temps, sont socialement constituées
comme opposées à la fois en raison des groupes sociaux qui, tendanciellement,
les consomment (les classes cultivées s’opposant sous ce rapport aux jeunes
des banlieues issus de l’immigration) et par les propriétés intrinsèques de ces
formes musicales33. Ces objections ne font que retrouver le sens le plus
commun avec ses fausses évidences et constituent autant de régressions vers la
connaissance ordinaire. La précision des analyses empiriques qui sont faites
dans La Distinction, les pratiques et les œuvres culturelles qui sont
mentionnées, par rapport auxquelles chaque lecteur peut se situer et se sentir
interpellé dans ses comportements et ses goûts culturels, font que l’ouvrage se
prête particulièrement à ces lectures superficielles, anecdotiques voire ludiques
qui détruisent le travail de construction savant. « Le discours scientifique
appelle une lecture scientifique », rappelle, dans un autre ouvrage, Pierre
Bourdieu, c’est-à-dire une lecture qui ne doit pas être distraite et laissée aux
libres interprétations d’un texte traité comme simple prétexte. Le lecteur
scientifique doit être « capable de reproduire les opérations dont [le texte
scientifique] est lui-même le produit34. » Autrement dit, selon une autre
distinction chère à Bourdieu, le lecteur adéquat d’un texte scientifique doit
s’attacher davantage au modus operandi qu’à l’opus operatum35 ou, si l’on
préfère, à la manière de trouver plutôt qu’à ce qui est trouvé.
36 Le capital existe sous différentes formes qui toutes s’inscrivent dans les
logiques d’accumulation et de stabilisation. Si l’on considère par exemple le
capital culturel, Bourdieu montre qu’il peut exister sous trois formes
différentes48. Le capital culturel existe à l’état incorporé, c’est-à-dire sous la
forme de dispositions durables, dans l’habitus des individus. Il est le résultat
d’un processus d’acculturation. C’est la culture « vivante » si l’on veut, ou
incarnée (au sens où l’on dit de quelqu’un qu’il est « cultivé »). Le capital
culturel existe aussi à l’état objectivé sous la forme de biens matériels
permettant un processus d’accumulation. Ce sont les biens culturels tels que
par exemple des tableaux, des livres, etc. C’est une culture « morte »,
matérielle, qui peut avoir une dimension économique (le coût d’un livre ou
d’un tableau par exemple), mais qui suppose, pour être adéquatement
consommée et appropriée, c’est-à-dire pour devenir culture vivante, la
possession du code de déchiffrement des œuvres. Enfin, le capital culturel peut
exister sous une troisième forme, à l’état institutionnellement reconnu et
même garanti par l’État, comme c’est le cas du titre scolaire qui atteste
juridiquement de la possession d’un niveau de culture. Il en est de même des
autres espèces de capital. Ainsi, par exemple, le capital économique existe
également à l’état objectivé (les richesses économiques, les biens matériels et le
patrimoine possédé), mais aussi à l’état incorporé sous la forme du « sens des
affaires », de la « bosse du commerce », bref des dispositions ajustées au
système économique49. Il s’ensuit que, contrairement à une représentation
sociale sommaire, l’héritage ne se réduit jamais à une simple transmission de
biens matériels (voir la formule « il s’est juste donné la peine de naître »), mais
implique également un travail de socialisation spécifique visant à produire
l’héritier par la transmission de l’habitus adéquat (habitus cultivé pour le
capital culturel, habitus économique pour le capital économique, etc.), c’est-à-
dire la transmission, avec les biens objectivés, du mode d’emploi, en quelque
sorte, de ces biens.
LE CAPITAL SYMBOLIQUE
37 Parmi les différentes espèces de capital distinguées par Bourdieu, le capital
symbolique occupe une place à part dans la construction théorique du
sociologue. La manière dont a été progressivement élaborée et précisée cette
notion est très révélatrice de sa façon de travailler et, à ce titre, mérite une
attention toute particulière. Bourdieu ne donnait jamais, comme dans un
dictionnaire, une définition unique, stricte et définitive des concepts qu’il créait
ou reprenait d’autres traditions théoriques. La logique pédagogique, avec ses
définitions préalables et ses plans d’exposition routiniers, n’est pas la logique
de la découverte. Comme l’avait montré Bachelard – et là encore Bourdieu se
reconnaissait dans l’analyse de ce philosophe des sciences –, il y a une
différence radicale entre la science en train de se faire et la science déjà faite.
Le travail de recherche n’avance pas par affirmations définitives mais
comporte des avancées et des reculs, des révisions et des retours en arrière, des
progrès qui impliquent bien souvent de nouveaux points aveugles, l’oubli
d’autres mécanismes plus cachés, une part de flou inévitable qui ne s’estompe
que peu à peu avec la multiplication des enquêtes et le recueil de nouvelles
données empiriques.
38 Un concept est avant tout un outil dont l’intérêt réside dans sa capacité
heuristique et qui, lorsque cela s’avère utile, peut être modifié et précisé dans
son contenu même. Cela explique à la fois le fait que Bourdieu, le plus souvent,
se servait des concepts plus qu’il ne les définissait, et que lorsqu’il les
définissait, il en multipliait les définitions afin de changer les points de vue à
partir desquels il les faisait travailler. C’est dire que l’analyse, plus scolastique
que scientifique, qui consiste à prendre tel ou tel concept, afin de comparer les
usages qui en sont faits, dans les œuvres de jeunesse comme dans les œuvres
de la maturité du sociologue, le plus souvent pour en pointer les
contradictions, les repentirs voire les incohérences – sans voir que tous ces
usages n’ont pas le même niveau d’élaboration et renvoient à des états
différents de la recherche et, par-là, de la construction théorique –, laisse
échapper l’essentiel, à savoir la logique du travail de recherche avec ses
repentirs et ses notes provisoires, ses hypothèses non encore vérifiées et ses
avancées décisives.
39 Le concept de capital symbolique, dans son élaboration même, est exemplaire
de la logique du travail de recherche de Bourdieu. Sa construction théorique,
très progressive, permet de saisir, dans toute son originalité, sa méthode, cette
espèce de capital étant la plus « bourdieusienne » de toutes les espèces de
capital qu’il a mobilisées pour construire sa théorie des classes sociales. En
effet, le capital économique trouve son origine chez les économistes, Bourdieu
en sociologisant toutefois l’usage. Le capital culturel n’a pas, lui non plus, été
totalement ignoré par certains théoriciens, notamment par K. J. Arrow et
surtout par Garry S. Becker sous l’appellation « capital humain » avec, il est
vrai, un sens fortement marqué par une lecture économiciste qui reste assez
éloignée de l’usage qu’en fait Bourdieu. Par contre, le capital symbolique est
une espèce particulière, théorisée peu à peu, dont le contenu est resté très
flottant pendant longtemps, Bourdieu la considérant comme une espèce de
capital « à part », qui n’était pas du même ordre que les autres.
40 Ce qui est important, dans la notion de « capital symbolique », c’est le mot
« symbolique », qui a fait l’objet d’usages variés. On trouve, en effet, chez
Bourdieu des expressions aussi diverses que « luttes symboliques », « formes
symboliques », « violence symbolique », « biens symboliques », « profit
symbolique », « pouvoir symbolique » ou encore, sans que la liste soit
exhaustive, « révolution symbolique ». Ces notions doivent être mises en
relation avec le concept d’habitus puisqu’elles cherchent à saisir les effets qui
résultent du fait que l’individu est socialisé, programmé, structuré
mentalement. Très tôt, Bourdieu va utiliser la notion de capital symbolique,
dès ses travaux algériens, pour analyser la logique de l’honneur chez les
Kabyles. Dans un article qui date de 196050, Bourdieu se propose d’étudier les
luttes symboliques (c’est-à-dire les luttes qui passent par les structures
mentales, par les catégories de perception et qui se distinguent des
affrontements physiques et guerriers) auxquelles se livrent les individus, les
familles et les groupes dans les sociétés traditionnelles. Il analyse notamment
la gestion des affronts, des défis et des réparations qui rythment la vie sociale
avec ses inévitables conflits de personnes et d’intérêts. Cette analyse est centrée
sur ce capital très fragile et très subtil qui fascine Bourdieu et qui est désigné
par des expressions courantes telles que « l’honorabilité », « le prestige », « le
crédit », « l’honneur », « la réputation ». Dès cette première étude, Bourdieu
observe que les individus ne se définissent pas seulement par leur capital
matériel (les biens économiques qu’ils possèdent) mais également par ce
capital immatériel qui, lui aussi, s’accumule, se dilapide et même se transmet, à
savoir la bonne (ou mauvaise) réputation, la notoriété, la considération d’un
individu par son groupe d’appartenance, c’est-à-dire ce regard, positif ou
négatif, qui est porté par la collectivité sur chacun de ses membres et qui est
fonction des catégories de perception propres au groupe considéré. Et il
observe déjà que ce capital immatériel est loin d’être purement « symbolique »
(au sens courant de non matériel voire dérisoire), dans la mesure où il tend à se
reconvertir en capital matériel, la notoriété et la bonne réputation étant au
principe d’un surcroît de richesse. Le capital symbolique vient en quelque sorte
redoubler les autres espèces de capital et s’inscrit dans une économie générale
des pratiques et de la circulation des biens matériels et immatériels.
41 Une autre notion, celle de « violence symbolique », viendra par la suite
préciser cette première analyse des phénomènes d’ordre symbolique. Elle sera
particulièrement utilisée dans l’analyse du système d’enseignement pour
rendre compte de la logique qui est au principe de l’élimination scolaire et
surtout de son acceptation par les exclus. Les développements, en 1970, dans
La Reproduction, de cette notion peuvent paraître a priori sans rapport avec
l’étude sur la logique de l’honneur dans les sociétés traditionnelles. En quoi, en
effet, la violence symbolique, définie comme « pouvoir d’imposer des
significations […] comme légitimes en dissimulant les rapports de force qui
sont au fondement de sa force51 », a-t-elle à voir avec l’honorabilité ou le
prestige ? S’appuyant sur Max Weber, Bourdieu s’interroge sur la contribution
spécifique que les représentations légitimes apportent au maintien de l’ordre,
sur le fait qu’un ordre social ne peut exister que s’il est reconnu comme
légitime, y compris et surtout par ceux qui occupent les positions les plus
dominées. C’est ce qui va le conduire à ajouter à la définition wébérienne bien
connue de l’État – instance qui revendique avec succès le monopole de la
violence physique légitime – le fait que c’est une instance qui revendique
également avec succès le monopole de la violence symbolique légitime52. Dans
les Méditations pascaliennes, il reviendra sur cette question qui touche à la
production de la croyance sur le monde social, notamment sur le fait que celui-
ci soit perçu par tous (ou presque) comme « naturel » ou comme « normal »
(sauf bien sûr dans les situations révolutionnaires, mais Bourdieu note que les
mécanismes de reproduction sont l’ordinaire des sociétés et la révolution
l’exception) et aussi sur le fait que les dominés collaborent, sans le savoir et
sans le vouloir, à leur propre domination. Dans un développement consacré
précisément au pouvoir symbolique, il citera le texte suivant de David Hume,
un texte qui avait retenu très tôt son attention et qu’il commentait dès la fin
des années 1960 : « Rien n’est plus surprenant pour ceux qui considèrent les
affaires humaines avec un œil philosophique que de voir la facilité avec laquelle
la majorité est gouvernée par la minorité et d’observer la soumission implicite
avec laquelle les hommes révoquent leurs propres sentiments et passions en
faveur de leurs dirigeants. Quand nous nous demandons par quels moyens
cette chose étonnante est réalisée, nous trouvons que, comme la force est
toujours du côté des gouvernés, les gouvernants n’ont pour les soutenir que
l’opinion53 ». La réponse que Bourdieu donne à ce paradoxe touche au
fondement même des sociétés et a à voir avec les mécanismes par lesquels
s’engendre la croyance. Elle s’inscrit à l’intérieur de sa théorie du social et
s’appuie là encore sur le fait que le monde social existe dans l’objectivité des
choses et dans la subjectivité des représentations. Les sociétés sont structurées
mais également les corps et les cerveaux des individus qui les composent. La
socialisation des individus est intériorisation, acculturation, intégration à
l’ordre du monde auquel ils participent, apprenant sans même le savoir à se
comporter et à penser comme le monde social l’exige. Dans La Domination
masculine, Bourdieu revient sur ce point : « Lorsque les dominés appliquent à
ce qui les domine des schèmes qui sont le produit de la domination, ou, en
d’autres termes, lorsque leurs pensées et leurs perceptions sont structurées
conformément aux structures mêmes de la relation de domination qui leur est
imposée, leurs actes de connaissance sont, inévitablement, des actes de
reconnaissance, de soumission. » Mais il ajoute que, si une domination n’est
pas éternelle (la reproduction n’excluant pas le changement), la lutte se livre
principalement au niveau des catégories de pensée : « Pour étroite que soit la
correspondance entre les réalités ou les processus du monde naturel et les
principes de vision et de division qui leur sont appliqués, il y a toujours place
pour une lutte cognitive à propos du sens des choses du monde54 ».
42 L’individu ne choisit pas sa société : elle lui préexiste, s’impose à lui,
s’incorpore à lui et, si l’on peut dire, s’individualise en lui. Les conséquences de
ce constat sur le problème, très débattu dans les années 1960, des classes
sociales, sont radicales. Alors que marxistes et sociologues empiristes
s’opposaient sur la question de l’existence des classes sociales et sur leur
nombre55, Bourdieu, dans La Distinction notamment, montre que ces deux
approches, loin d’être exclusives, pointent chacune un aspect de la réalité que
le sociologue doit prendre en compte. Les groupes sociaux existent dans
l’objectivité des distributions des propriétés matérielles (répartition des
individus selon le sexe, l’âge, les revenus, les pratiques culturelles, etc., que les
enquêtes statistiques peuvent saisir) mais aussi dans les classements et les
représentations produits par les agents sociaux sur la base de leur
connaissance pratique des distributions des propriétés matérielles (les cadres
de perception du monde et notamment les couples d’opposition tels que
grand/petit, haut/bas, bien/mal, noble/ignoble, etc., que saisissent plutôt les
enquêtes d’opinion, l’observation ethnographique et les entretiens
sociologiques approfondis). Ces deux modes d’existence ne sont pas
indépendants l’un de l’autre dans la mesure où la représentation que les
individus se font de l’espace social et de leur position dans cet espace est elle-
même produite par la structure de cet espace, les individus étant plus ou moins
ajustés à la structure sociale qui les a produits.
43 « Toute différence reconnue, acceptée comme légitime, écrit Bourdieu,
fonctionne par là même comme un capital symbolique procurant un profit de
distinction56. » Le capital symbolique est donc le produit d’une relation entre
d’une part des propriétés distinctes et distinctives et d’autre part la
reconnaissance de ces propriétés par les agents sociaux. Il n’est pas de
propriété ou de pratique qui ne puisse être affectée d’une valeur distinctive et
exprimer par là une position sociale. Mais si tout peut devenir symbole de
distinction et fonctionner comme signe de reconnaissance sociale, cela ne
signifie pas pour autant que cela soit le fruit du hasard. Ce sont les rapports de
force qui tendent à se retraduire en rapport de sens (d’où l’expression
« violence symbolique »), les perceptions dominantes étant celles des groupes
sociaux dominants. L’analyse du monde social doit ainsi prendre en compte le
fait qu’il ne peut être réduit à une pure physique sociale parce qu’il est l’objet
de représentations sociales qui font également partie de la réalité sociale et
contribuent à la faire. Il s’ensuit que changer le regard sur le monde – l’un des
enjeux symboliques de la lutte politique étant précisément d’imposer une
certaine vision sur l’état de la société afin de le conserver ou de le transformer
–, c’est changer la réalité sociale. Ainsi, s’il y a du « symbolique », c’est parce
que les agents sociaux ont des représentations sociales du monde, de leur
monde et de leur position dans ce monde et parce qu’ils distinguent dans ce
monde des propriétés et des pratiques classées en « bonnes » ou
« mauvaises », en « légitimes » ou non, qui peuvent être constituées en style de
vie, contribuant à le naturaliser et à le faire accepter.
44 Bourdieu reviendra, dans ses derniers écrits, sur cette espèce de capital, à la
fois insaisissable et essentielle. Dans les Méditations pascaliennes, il écrit : « le
monde social est donc à la fois le produit et l’enjeu de luttes symboliques,
inséparablement cognitives et politiques, pour la connaissance et la
reconnaissance, dans lesquelles chacun poursuit non seulement l’imposition
d’une représentation avantageuse de soi […], mais aussi le pouvoir d’imposer
comme légitimes les principes de construction de la réalité sociale les plus
favorables à son être social […] ainsi qu’à l’accumulation d’un capital
symbolique de reconnaissance57. » Et plus loin encore, il précise que « les
rapports de force symboliques sont des rapports de force qui s’instaurent et se
perpétuent par l’intermédiaire de la connaissance et de la reconnaissance » et
que la domination symbolique s’institue, il n’aura cessé de le répéter, lorsque
« les dominés ont en commun avec les dominants les schèmes de perception et
d’appréciation selon lesquels ils sont perçus par eux et selon lesquels ils les
perçoivent58. » Ce n’est sans doute pas un hasard si les dernières pages de ce
livre tardif si particulier, dans lequel Bourdieu jette une sorte de regard sur
l’ensemble de son œuvre pour en dégager les lignes majeures, sont encore
consacrées au capital symbolique, identifié cette fois à l’importance sociale et
aux raisons de vivre, à la hiérarchie des dignités et indignités qui n’est pas
totalement superposable à la hiérarchie des richesses et des pouvoirs, à toutes
ces formes de l’être perçu qui font l’être social connu, visible, admiré, cité,
invité, aimé, etc.
45 La réflexion sur le capital s’est ainsi élargie bien au-delà du capital culturel qui
a été à l’origine de la construction théorique. Restait à connecter le concept de
capital, déjà connecté au concept d’habitus, au concept de champ. Bourdieu,
après d’autres, observe que le monde social se différencie en espaces sociaux
relativement autonomes, ayant leurs normes propres et leur culture spécifique,
c’est-à-dire leur type particulier de capital, chaque champ sélectionnant,
parmi les propriétés sociales et naturelles que peuvent posséder les individus,
celles qui sont des atouts pour jouer dans chacun de ces espaces de jeu. Les
champs politique, religieux, académique, économique, scientifique, etc., se
sont ainsi construits à partir, ou autour, de la constitution d’espèces de capital
particulières, propres à chaque champ. Après la théorie de l’habitus qui
considérait le social à partir de son incorporation individuelle, après la théorie
du capital qui prenait en compte les processus de hiérarchisation sociale et de
légitimation, Bourdieu va élaborer une théorie plus globale intégrant les
concepts d’habitus et de capital à celui de champ.
Notes
1. Sur cette réduction, on se reportera à « Où sont les terroristes ? », Esprit, no 11-12,
novembre-décembre 1980, p. 253-258 (repris dans Interventions. 1961-2001. Science sociale
et action politique, textes choisis et présentés par Franck Poupeau et Thierry Discepolo,
Marseille, Agone, 2002, p. 106-116) et à La Domination masculine, op. cit. (notamment le
post-scriptum sur la domination et l’amour). Dans les Méditations pascaliennes, il déplorera
explicitement que La Distinction, « à partir sans doute du seul titre », ait donné lieu, à tort, à
une interprétation selon laquelle « la recherche de la distinction serait le principe de toutes les
conduites humaines » (p. 195 de l’édition de poche). Voir aussi Robert Boyer,
« L’anthropologie économique de Pierre Bourdieu », Actes de la recherche en sciences sociales,
no 150, 2003, p. 65-78.
2. Émile Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Alcan, 1912 pour la
première édition.
3. La structure même du Métier de sociologue s’inspire très explicitement du rationalisme
appliqué de Bachelard.
4. Sur la critique de la scolastique marxiste, voir « La lecture de Marx ou quelques remarques
critiques à propos de “Quelques critiques à propos de Lire Le Capital” », Actes de la recherche
en sciences sociales, n ° 5-6, 1975, p. 65-79, revu et repris sous le titre « Le discours
d’importance. Quelques réflexions sociologiques sur “Quelques critiques à propos de Lire Le
Capital” », dans Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982, p. 207-226, puis dans Langage et
pouvoir symbolique, op. cit., p. 379-396. Voir aussi Méditations pascaliennes, op. cit., et
Esquisse pour une auto-analyse, op. cit.
5. La plupart des grands ouvrages de Bourdieu reprennent en partie, mais en leur faisant subir
une épreuve de mise en cohérence, des articles écrits antérieurement, qui sont en fait autant de
mises en forme provisoires des résultats de ses enquêtes empiriques, des contributions
partielles, bref des moments datés dans un processus d’analyse de grande ampleur et de longue
durée.
6. Voir (avec Monique de Saint-Martin), « Les catégories de l’entendement professoral », Actes
de la recherche en sciences sociales, no 3, 1976, p. 68-93, repris et développé dans La Noblesse
d’État. Grandes écoles et esprit de corps, op. cit., p. 17-98 (« Les formes scolaires de
classification »).
7. L’année de publication du livre (1989) n’est pas fortuite, Bourdieu ayant voulu marquer, à sa
manière, la célébration du bicentenaire de la Révolution française : Bourdieu voulait montrer
que, loin de mettre un terme aux privilèges, la Révolution en avait engendré d’autres, plus
subtils parce que plus inaperçus ou plus légitimes, l’école en particulier, qui est au principe de
la constitution d’une nouvelle noblesse reposant sur les titres scolaires garantis par l’État.
8. (avec Alain Darbel), L’Amour de l’art. Les musées d’art européens et leur public, Paris,
Minuit, « Le sens commun », 1966 (nouvelle édition augmentée en 1969).
9. La Distinction, op. cit., p. 545.
10. Dans les trois cours du Collège de France consacrés à la sociologie de l’État, Bourdieu
revient longuement sur cet obstacle : comment étudier l’État avec une pensée d’État ? Voir sur
ce point Sur l’État, op. cit.
11. On renvoie sur ce problème spécifique à la sociologie au dernier cours de Bourdieu au
Collège de France, publié sous le titre Science de la science et réflexivité, op. cit., notamment
p. 221.
12. (avec Jean-Claude Passeron), Les Héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, Minuit, « Le
sens commun », 1964. Jusqu’à La Reproduction en 1970, Jean-Claude Passeron collaborera
avec Pierre Bourdieu dans l’analyse du système d’enseignement. Les Héritiers, sur les 190
pages du livre, ne comporte pas moins de 60 pages d’annexes (soit près du tiers de l’ouvrage)
dans lesquelles sont présentées en partie les nombreuses enquêtes et les statistiques sur
lesquelles s’appuient les analyses du livre. Pour une présentation synthétique des thèses du
livre, voir l’article de Pierre Bourdieu, « La transmission de l’héritage culturel », dans Darras,
Le Partage des bénéfices. Expansion et inégalité en France, Paris, Minuit, « Le sens
commun », 1966, p. 383-420.
13. (avec Jean-Claude Passeron), Les Héritiers, op. cit., p. 36.
14. Ibid., p. 37.
15. Ibid., p. 110. La distinction, dès Les Héritiers, entre « culture bourgeoise » et « culture
savante », c’est-à-dire entre les propriétés intrinsèques d’une culture et ses usages sociaux, est
essentielle parce qu’elle permettra ultérieurement de construire la notion de capital culturel
proprement dite.
16. Ibid., p. 106.
17. En particulier sa conférence prononcée à l’UNESCO et reproduite dans Race et histoire,
Paris, Denoël, 1961, dans laquelle l’ethnologue montre que toutes les cultures possèdent un
génie propre qui interdit au savant de les hiérarchiser. Mais le fait que le chercheur ne doive
pas hiérarchiser les sociétés ne signifie pas que les sociétés ne soient pas, entre elles, dans des
relations de domination, et donc qu’il n’existe pas, dans la réalité, de hiérarchisation entre les
sociétés et, à l’intérieur d’une même société, entre les groupes qui la composent.
18. Un art moyen, op. cit., p. 134-135.
19. Texte paru d’abord dans Les Temps modernes, no 318, janvier 1973, p. 1292-1309, repris
dans Questions de sociologie, Paris, Minuit, « Documents », 1980, p. 222-235.
20. Voir aussi sur ce point Patrick Champagne, « De la doxa à l’orthodoxie politologique »,
Actes de la recherche en sciences sociales, no 101-102, 1994, p. 23-24.
21. L’Amour de l’art, op. cit. Cet ouvrage, sur les 250 pages qu’il comporte au total, ne compte
pas moins de 50 pages d’appendices livrant le matériel des enquêtes.
22. Pierre Bourdieu s’appuie notamment sur les travaux d’Erwin Panofsky, en particulier ses
Essais d’iconologie, Paris, Gallimard, 1981.
23. L’Amour de l’art, op. cit., p. 79.
24. On comprend que la sociologie – du moins cette sociologie-là – soit prise dans la lutte
politique (au sens large) puisqu’elle travaille à mettre au jour le processus de légitimation, et
donc participe à un travail de dé-légitimation du monde social tel qu’il se donne et se
reproduit.
25. Voir sur ce point La Distinction, op. cit., p. 145-185. Voir aussi (avec Patrick Champagne),
« Les exclus de l’intérieur », dans La Misère du monde, op. cit., p. 913-923 de l’édition de
poche.
26. La Noblesse d’État, op. cit., p. 7.
27. Voir, sur ce point, outre la partie consacrée dans La Misère du monde au système
d’enseignement, Franck Poupeau, Une sociologie d’État. L’école et ses experts en France,
Paris, Raisons d’agir, 2003.
28. Repris dans Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, op. cit.
29. « Variations et invariants. Éléments pour une histoire structurale du champ des grandes
écoles », Actes de la recherche en sciences sociales, no 70, 1987, p. 3. Voir aussi « La science et
l’actualité », Actes de la recherche en sciences sociales, no 61, 1986, p. 2-3.
30. Surtout s’agissant de propositions d’une telle généralité et d’un tel substantialisme :
derrière un collectif tel que « les classes supérieures », il faudrait au moins distinguer la
diversité des fractions de classes et des trajectoires sociales des individus qui, à un moment,
sont statistiquement regroupés dans cette catégorie.
31. Voir par exemple Bernard Lahire, La Culture des individus : dissonances individuelles et
distinction de soi, Paris, La Découverte, 2004.
32. Bernard Lahire, ibid.
33. Il est étonnant de constater que ces « critiques » n’imaginent même pas que non seulement
ces objections de sens commun n’ont pas échappé à Bourdieu, mais que les analyses qu’il
propose se sont construites contre ces banalités qui alimentent les discussions de café du
commerce.
34. Homo academicus, op. cit., p. 35. Sur tous ces points, voir le chapitre 1 (« Un “livre à
brûler” ? »), notamment p. 34-52.
35. Voir par exemple dans l’Esquisse d’une théorie de la pratique, op. cit.
36. Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse
de la connaissance objective, Paris, Vrin, 1965 (pour la quatrième édition). Cet ouvrage qui
analyse les obstacles à la formation de l’esprit scientifique était considéré par Bourdieu comme
une œuvre indispensable, les mêmes « erreurs de jeunesse » affectant les sciences
« commençantes ». Sa lecture demeure essentielle aujourd’hui, la sociologie, à la différence des
sciences de la nature, étant non seulement une science encore jeune mais menacée en outre en
permanence de régression.
37. « Espace social et genèse des classes », Actes de la recherche en sciences sociales, no 52-53,
1984, p. 3-12. Ce texte, repris dans Langage et pouvoir symbolique, op. cit., est l’exposé le plus
synthétique et le plus clair de la théorie des classes développée dans La Distinction. Il peut être
considéré comme une bonne introduction à l’ouvrage.
38. « Les hommes se croient libres parce qu’ils ont conscience de leurs volitions et de leur
appétit, et qu’ils ne pensent pas, même en rêve, aux causes qui les disposent à désirer et à
vouloir parce qu’ils les ignorent » (Baruch Spinoza, Éthique, appendice de la première partie).
39. Sur la critique de l’individualisme, voir Méditations pascaliennes, op. cit., p. 224-227 de
l’édition de poche.
40. Esquisse pour une auto-analyse, op. cit. Signalons que c’est bien à tort, également, que
certains ont cru voir dans La Misère du monde un simple recueil d’entretiens, d’histoires de vie
ou de biographies individuelles. Il s’agit d’individus choisis en raison de la position qu’ils
occupent dans un espace social préalablement analysé par un travail d’enquête qui était
engagé, le plus souvent, depuis plusieurs années. La Misère du monde supposait
préalablement La Distinction. En toute rigueur, les deux ouvrages ne font qu’un.
41. (avec Jean-Claude Passeron), La Reproduction, op. cit., p. 260.
42. On comprend mieux pourquoi il ne faut pas confondre la classe construite selon Bourdieu
avec les catégories socioprofessionnelles de l’INSEE, aussi détaillées soient-elles.
43. Précisons ici que cette structure en chiasme des deux espèces de capital n’est qu’un état à
un moment historique précis, la distribution du capital économique et du capital culturel
pouvant prendre d’autres formes. D’ailleurs, en France, actuellement, cette structure en
chiasme tend à s’atténuer, les fractions riches en capital économique étant de plus en plus
riches en capital culturel. Voir sur ce point Julien Duval, Critique de la raison journalistique.
Les transformations de la presse économique en France, Paris, Le Seuil, 2004, notamment
p. 225-234.
44. Sur ce point et sur ce qui suit, on se reportera, pour une analyse détaillée, à La Distinction,
op. cit., p. 109-138.
45. Sur la relation entre les générations en milieu paysan, voir Patrick Champagne, L’Héritage
refusé. La crise de la reproduction sociale de la paysannerie française (1950-2000), Paris, Le
Seuil, « Points-Essais », 2002, p. 121-200.
46. La Distinction, op. cit., p. 127.
47. On ne peut, sur ce point, que renvoyer à la conclusion de La Distinction intitulée « Classes
et classements », op. cit., p. 543-564.
48. « Les trois états du capital culturel », Actes de la recherche en sciences sociales, no 30,
1979, p. 3-6.
49. Les différents états du capital économique sont particulièrement visibles lorsque les
structures économiques objectives changent et entrent en conflit avec le capital économique
incorporé dans les individus. Voir sur ce point Esquisses algériennes, op. cit., et Patrick
Champagne, L’Héritage refusé, op. cit., p. 277-326.
50. « Le sens de l’honneur », dans Esquisse d’une théorie de la pratique, op. cit., p. 19-60 de
l’édition de poche.
51. (avec Jean-Claude (avec Jean-Claude Passeron), La Reproduction, op. cit., p. 18.
52. Sur ce point, voir Sur l’État, op. cit., notamment p. 314-318.
53. David Hume, cité dans Méditations pascaliennes, op. cit., p. 257 de l’édition de poche.
54. La Domination masculine, op. cit., p. 27 de l’édition de poche.
55. Aujourd’hui, sous l’effet en partie des changements d’humeur idéologique induits par
l’effondrement du communisme et en partie du marxisme, le débat non moins académique
tournerait autour des rapports entre individu et société, thématique qui a remplacé celle des
classes sociales.
56. « Capital symbolique et classes sociales », L’Arc, no 72, 1978, p. 16.
57. Méditations pascaliennes, op. cit., p. 270 de l’édition de poche.
58. Ibid., p. 286. Notons que même l’exercice de la violence physique suppose la violence
symbolique dans la mesure où le recours à la force physique est mis en œuvre par des sujets
sociaux qui doivent donc trouver normal de l’exercer. Dans les situations de crise, les
responsables politiques en difficulté ne sont jamais sûrs d’être obéis par les forces de
répression ou, a fortiori, par les forces militaires.