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Sommaire
Il y a dix ans, y a un siècle, y a une éternité
Le tournant des années 2000
Le rôle essentiel des associations et des lanceurs d’alerte
Les étapes-clefs
Les relais dans les médias et l’édition
La « validation » des institutions officielles
Cela signifiait donc bien qu’à ce moment-là, il n’y avait pas de crise des pesticides en
France. A l’évidence, les choses ont bien changé depuis. Comment en est-on arrivé
là en l’espace d’une décennie ? Quand et comment les choses ont-elles basculé ?
Les préoccupations en matière de santé en lien avec ces produits le sont tout
autant. Nathalie Jas, chargée de recherche à l’INRA, rappelle ainsi que
l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est inquiétée dès le début des années
1950 de leurs effets toxiques possibles sur la santé humaine en produisant un
rapport sur le sujet en 1953 (rapport du docteur J. M. Barnes), qui se veut
néanmoins rassurant. Elle mentionne aussi que la spécialité du « risque
chimique » en milieu professionnel agricole a été lancée en France en 1955 comme
spécialisation de médecine professionnelle agricole.
Dans les années 1990, les campagnes des ONG ou des syndicats agricoles
alternatifs qui critiquent les produits phytosanitaires tendaient alors à mettre
l’accent sur trois aspects spécifiques : (1) la surmortalité supposée des abeilles,
notamment liée aux insecticides de la famille des néonicotinoïdes, avec
d’importantes campagnes internationales menées contre des insecticides comme le
Gaucho et le Régent TS, (2) l’impact environnemental des pesticides sur l’eau, les
sols et l’air, ceux-ci étant alors souvent associés aux nitrates, (3) et plus
globalement, la critique du système de production agricole intensif, qualifié de
« productiviste », dont l’utilisation massive d’intrants chimiques de synthèse est
l’une des principales caractéristiques.
Source : IRSN, Baromètre IRSN 2017. Les pesticides étaient associés aux
nitrates jusqu’en 2001 et sont pris en compte seuls depuis 2004.
Le socle de la fusée est le « terrain » qui existe préalablement sur un sujet donné au
sein de l’opinion publique. Or, à cette époque-là, le terrain apparaissait plutôt
propice à la critique des pesticides compte tenu de l’existence de deux tendances
importantes. La première était l’inquiétude sous-jacente au sein du grand public qui
tendait de plus en plus à craindre un empoisonnement lent et insidieux, suite à
différentes crises qui l’ont durablement marqué (sang contaminé, amiante, vache
folle) ou à des controverses (OGM). La seconde tendance était sa défiance
croissante vis-à-vis des grands groupes privés (dont le symbole par excellence était
Monsanto), des processus de nature industrielle et de l’implication de la science et
de la technique dans la production agricole et alimentaire.
Le monde associatif et les lanceurs d’alerte ont alors travaillé ce « terrain », c’est le
second étage de la fusée, en redoublant d’efforts et d’inventivité pour alerter le
grand public. C’est tout particulièrement le cas de l’association Générations futures
qui, à partir du début des années 2000, multiplie les campagnes d’information et de
sensibilisation, publie enquêtes, rapports ou même bande dessinée (outre les
ouvrages publiés par François Veillerette, son co-fondateur, son porte-parole et sa
principale figure médiatique), édite un DVD, intente des actions en justice,
développe des actions de lobbying, lance des pétitions, diffuse des cartes
interactives, crée des prix et bien évidemment intervient dans les médias et
collabore à des émissions et à des documentaires.
Durant la décennie 2000, les associations et les lanceurs d’alerte réussissent alors
le tour de force de transformer progressivement la façon dont les pesticides étaient
communément perçus. Ce n’est plus seulement un sujet qui concerne l’agriculture
(et les agriculteurs), l’environnement ou les abeilles. C’est aussi un enjeu qui
concerne tout le monde parce qu’il a un impact sur la santé de l’ensemble des
consommateurs, via leur alimentation et les résidus de pesticides présents dans les
aliments. Ils sont donc parvenus à faire entrer cette question dans les sphères de
préoccupation quotidiennes des consommateurs, alors que jusqu’alors, c’était un
sujet technique assez éloigné de leur quotidien et de leurs préoccupations.
Au final, on voit bien que, progressivement, les associations et les lanceurs d’alerte
ont réussi à imposer leur manière de poser les problèmes : les pesticides ne
représentent plus seulement un danger pour les abeilles, mais aussi et surtout un
risque de cancer pour l’ensemble de la population. Et une fois qu’ils l’ont fait, il a été
plus facile pour eux d’imposer leurs façon de les résoudre : suppression des
pesticides les plus dangereux et réduction de l’usage de ces produits en général,
voire suppression de l’ensemble des pesticides.
Les étapes-clefs
En 2004, sont publiés deux ouvrages qui reprennent en grande partie cette
argumentation. Le médecin Geneviève Barbier et l’auteur Armand Farrachi font
paraître La Société cancérigène. Lutte-t-on vraiment contre le cancer ? (La
Martinière). Dans ce livre qui « dénonce, chiffres à l’appui, les silences des discours
officiels et les intérêts de bien des lobbies », les auteurs affirment qu’il ne faut pas
s’attaquer aux effets des cancers, mais plutôt à leurs causes sociales,
professionnelles et environnementales en expliquant que leurs principales sources
résident dans la pollution environnementale, l’usage de produits toxiques dans
l’alimentation et l’exposition des substances nocives dans son travail. Ils ont donc en
grande partie les pesticides en ligne de mire. Il est de même pour le cancérologue
Dominique Belpomme, qui publie cette même année Ces Maladies créées par
l’homme. Comment la dégradation de l’environnement met en péril notre santé
(Albin Michel, 2004). Pour lui, le doublement du nombre de décès provoqués par le
cancer depuis la Seconde Guerre mondiale est lié d’abord à la dégradation de notre
environnement. Il publiera les années suivantes d’autres ouvrages défendant la
même thèse : Guérir du cancer ou s’en protéger (Fayard, 2005) et Avant qu’il ne
soit trop tard (Fayard, 2007).
Ces initiatives n’ont pas encore un grand écho auprès de l’opinion publique, mais
elles conduisent néanmoins l’UIPP à lancer en 2005 une campagne intitulée
« Pesticides : on peut se poser des questions, on peut y répondre aussi » (cette
campagne a d’ailleurs été attaquée en justice par des associations de protection de
l’environnement qui la jugeaient « mensongère » et a fait l’objet de pas moins de six
procès).
Elles vont également donner la tonalité générale des « attaques » perpétrées contre
les pesticides dans les années qui suivent en privilégiant (1) des messages simples et
parlants – à l’instar des tests de mèches de cheveux effectués par GF en 2013 sur
des enfants dans des écoles se situant à proximité de champs, expérience
reproduite dans Cash Investigation de février 2016 –, (2) des messages de nature
anxiogène à connotation émotionnelle – résidus de produits phytosanitaires
présents dans le sang des cordons ombilicaux, le lait maternel ou chez le fœtus –,
qui ont un fort impact sur le public, comme l’ont prouvé de nombreuses recherches,
et (3) une logique de proximité par rapport aux intérêts et aux préoccupations des
consommateurs (innocuité des produits alimentaires).
On peut mentionner d’autres jalons importants dans cette entreprise critique des
associations et des lanceurs d’alerte. En mai 2006, Générations Futures lance une
campagne de sensibilisation sur « la présence des pesticides dans les aliments »,
avec notamment le lancement d’un site internet ( http://www.pesticides-non-
merci.com ), la diffusion de différents documents « sur la contamination des
aliments par les pesticides pour populariser ce problème », le lancement d’une
pétition pour le « zéro résidus de pesticides dans notre alimentation » ou encore
l’interpellation des candidats à l’élection présidentielle.
Sentant bien que le public est de plus en plus sensibilisé à cette question, les médias
généralistes commencent à mettre le sujet des pesticides à leur agenda dans la
seconde moitié des années 2000. C’est le troisième étage de la fusée.
Ce fut tout d’abord le cas de journalistes et/ou de médias militants. On peut penser,
par exemple, à Marie-Monique Robin, auteure de Notre poison quotidien. Les
responsabilité de l’industrie chimique dans l’épidémie des maladies chroniques ,
film diffusé sur Arte et livre publié en 2011 (La Découverte/Arte éditions), dans
lesquels elle s’intéresse « aux seules substances chimiques qui entrent en contact
avec la chaîne alimentaire, du champ du paysan (pesticides) à l’assiette du
consommateur (additifs et plastiques alimentaires) », soit « les molécules de
synthèse auxquelles nous sommes exposés, dans notre environnement ou notre
alimentation ». Le chapitre I s’intitule d’ailleurs « les pesticides sont des poisons ».
Mais c’est aussi le cas de médias plus généralistes, notamment la presse santé, qui
reprennent les thématiques et même le vocabulaire véhiculés par les groupes
contestataires, comme, par exemple, le terme « pesticides » ou l’expression
« pesticide tueur d’abeille ». Le cas le plus emblématique a été bien évidemment
l’émission de Cash Investigation de février 2016. D’ailleurs, un nombre record de
recherches du terme « pesticides » sur le moteur de recherche Google a été observé
ce même mois.
Il en a été de même dans l’édition avec une multiplication, dans la période récente,
des ouvrages à charge contre les pesticides, avec, par exemple, en 2018, la parution
d’un ouvrage co-écrit par Jérôme Douzelet et Gilles-Eric Séralini sur Le goût des
pesticides dans le vin (Actes Sud).
Enfin, le dernier étage de la fusée est peut-être le plus important. Il est incarné par
différentes institutions qui, de façon plus ou moins contrainte ou plus ou moins
suiviste et opportuniste, contribuent à « valider » une partie de ces critiques. Les
consommateurs sont, en effet, inquiets par les messages qu’ils entendent de la part
des organisations de la société civile et qui sont répercutés dans les médias et
l’édition. Mais, à partir du moment où une partie du contenu de ces messages est
plus ou moins repris à leur compte par ces instances officielles, cela ne peut que
renforcer ces inquiétudes.
Ces validateurs sont en premier lieu la justice et la MSA. Des tribunaux ont ainsi
reconnu le caractère professionnel de maladies de certains agriculteurs, comme ce
fut le cas pour Paul François en 2008. Ils ont pu également juger des affaires
opposant des agriculteurs victimes aux entreprises agrochimiques, à l’instar du
même Paul François qui a attaqué Monsanto en justice. Or, en 2012, le TGI de Lyon
a condamné l’entreprise en première instance.
Les seconds types de validateurs sont les politiques, en particulier ceux qui
appartiennent à des partis de gouvernement, et les gouvernements. On peut voir à
ce propos que les premiers ont évolué dans leur vocabulaire et dans leurs
propositions depuis une quinzaine d'années. Ils parlent de plus en plus de pesticides
et moins de produits phytosanitaires. Ensuite, alors qu’ils revendiquaient plutôt un
usage raisonnée jusqu’au début des années 2000, certains vont commencer à
militer en faveur d’une réduction des usages dans la seconde moitié de cette
décennie. Ce fut notamment le cas de Ségolène Royal qui, dans son programme
présidentiel de 2007, ne parlait pas de produits phytosanitaires, mais de pesticides,
et pas d’usage raisonnée, mais proposait plutôt de « mettre en œuvre un
programme national de réduction de l’utilisation des pesticides ».
Les gouvernements ont eux aussi conforté et validé à leur manière certaines des
critiques exprimées par les associations. Nicolas Sarkozy, alors président de la
République, dans une Lettre de mission adressée en juillet 2007 à Michel Barnier,
alors ministre de l’Agriculture et de la Pêche, affirmait ainsi : « Avec le ministre
d’Etat, ministre de l’Ecologie, du développement et de l’aménagement durables,
vous engagerez donc les concertations et les actions nécessaires pour, notamment,
continuer à mieux utiliser la ressource en eau et réduire significativement
l’utilisation d’engrais et de pesticides ». Dans son discours prononcé lors de la
restitution des conclusions du Grenelle de l’environnement sur les engagements de
la France pour le développement durable le 25 octobre 2007, celui-ci indiquait
également : « Il est grand temps de prendre au sérieux l’usage croissant de
produits pesticides, dont nos agriculteurs sont les premières victimes. Je demande
à Michel Barnier de me proposer avant un an un plan pour réduire de 50 % l’usage
des pesticides, dont la dangerosité est connue, si possible dans les dix ans qui
viennent ». Cela débouchera, en septembre 2008, sur l’annonce par le
gouvernement d’un plan visant à réduire « si possible » de moitié l’usage des
pesticides en France d’ici 2018 (plan Ecophyto 2018). On peut penser également
aux municipalités qui ont banni l'usage des phytos pour l'entretien des espaces
verts.
Au final, les messages anxiogènes des associations relayés par les médias avec une
forme de « validation » par des institutions officielles ont bien évidemment renforcé
les inquiétudes exprimées par une grande partie de l’opinion publique à propos des
pesticides. La faute en incombe aussi en partie au monde agricole qui n’a sans doute
pas su réagir à temps et de façon efficace, alors qu’on pouvait largement anticiper
ce qui est en train de se produire comme en témoigne, par exemple, la campagne
menée par l’UIPP dès 2005…
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