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Équipes d’accueil 739, Didaxis, et 3749, LIRDEF, Centre d’Études, de Documentation et de Recherches en Histoire de l’Éducation
de l’IUFM de Montpellier et Amis de la Mémoire pédagogique - Journée du 6 février2013
GAUCHER, Pierre,
professeur agrégé,
Maître de conférences IUFM-Montpellier 2.
RESUME :
L’histoire du manuel scolaire se conjugue d’une manière singulière en éducation
musicale. La discipline est conditionnée par des attributs théoriques, historiques et
artistiques. Des tensions successives se font jour entre le Conservatoire, la musicologie
et les acteurs de l’Education nationale. Les manuels révèlent une nette évolution entre
enseignement spécialisé traditionnel et courants pédagogiques originaux afin de
s’adapter aux contingences de l’école, à un public de plus en plus nombreux et
hétérogène. Entre solfège, méthodes actives, supports multimédias et réseaux internet, la
pédagogie musicale scolaire est de plus en maîtrisée.
TEXTE :
Les publications sur les manuels scolaires en éducation musicale sont rares et le
plus souvent lacunaires. Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas un chant que nous
déchiffrons, mais bien un champ de recherche quasi vierge que nous nous proposons de
défricher.
Le manuel se définit comme un outil imprimé ou virtuel, intentionnellement
structuré pour s’inscrire dans un processus d’apprentissage, en vue d’améliorer
l’efficacité pédagogique. Les manuels constituent un outil essentiel de médiation du
travail scolaire. Ils sont aussi un objet de recherche important. Laurence Bardin explique
que l’analyse des contenus cherche à découvrir « le caché, le latent et le non-apparent. »
(Bardin, 1977, p.9). Les manuels scolaires renseignent sur un élément qui est
intermédiaire entre la prescription (programmes officiels) et les pratiques effectives.
L’histoire de l’enseignement musical tergiverse et n’est pas linéaire. Les lois de
1833, dites lois Guizot, imposent la musique dans les écoles primaires supérieures,
avant que les lois Falloux (1850) ne la rendent à nouveau facultative. A quelques
exceptions près, dont la plus notoire est la « méthode Wilhem » qui s’installe dans les
écoles primaires parisiennes à compter de 1819 (Fijalkow, 2003), l’éducation musicale
est reléguée au rang d’auxiliaire. L’enseignement musical scolaire est présent sans
discontinuer depuis 1882.
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Séminaire d’études doctorales sur les manuels scolaires et journées Pierre Guibbert - Universités Montpellier 2 et 3 et IUFM - Montpellier 2
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académiques et une autre en « notation chiffrée » qui offre une alternative aux non
lecteurs.
Cette méthode est directement inspirée par Jean-Jacques Rousseau (1712-
1778). Le compositeur du célèbre intermède musical Le Devin du village (1752) est
aussi un enseignant autodidacte, théoricien de la musique et de l’éducation. Il rédige
plusieurs textes dont un Projet concernant de nouveaux signes pour la musique (1742)
lu par l’auteur à l’Académie des sciences qui rejette son système de notation. Par sa
volonté de rendre cet art accessible au plus grand nombre, Rousseau s’inscrit en
précurseur dans la démarche qualifiée aujourd’hui de démocratisation des pratiques
culturelles et artistiques.
La « notation chiffrée » de Rousseau est codifiée et nommée « méloplaste » par
Pierre Galin (1786-1821) en raison de l’intérêt qu’elle recèle pour l’intonation,
capacité à transposer à loisir une mélodie. Pierre Gastin décède avant de pouvoir
achever sa Méthode du méloplasme pour l’enseignement de la musique (1824), mais il
forme plusieurs disciples qui conçoivent la méthode Galin-Paris-Chevé qui suscite
autant d’intérêt que de controverses. Tandis que les programmes de 1882 laissent le
libre le choix des méthodes, les membres de la Commission de l’enseignement musical,
comprenant quelques fidèles de Galin, mentionnent toujours la « méthode galiniste ».
L’initiation à la méthode chiffrée est rendue obligatoire dans les écoles normales par
décret le 4 août 1905.
La vocation du manuel de Tiersot, sciemment accessible, n’est donc plus
seulement l’apprentissage du solfège, mais l’ouverture sur les musiques savantes et
traditionnelles à destination à la fois des lecteurs et des non lecteurs conventionnels.
L’attribution de l’ouvrage n’est pas précisée (maître ou élèves), mais son succès oblige
plusieurs rééditions.
En somme la musicologie devance le Conservatoire en terme de réflexion
didactique et de pragmatisme. Mais il existe toujours un hiatus dans la conception
d’ouvrages, écrits par des professeurs spécialisés de haut niveau, ou des pionniers
universitaires n’ayant pour la plupart aucune expérience du terrain scolaire. La
confusion demeure bien souvent entre l’apprentissage du maître et de l’élève qui se
heurtent chacun à la barrière de la transcription musicale académique, sésame pour
accéder à un potentiel didactique exigeant. Quand bien même le niveau de formation est
ambitieux, le fossé est trop grand. Le terme « élémentaire » dans son acception
péjorative sied bien à cette école « primaire » si défaillante d’après les témoignages de
professionnels de la musique visiblement désemparés.
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Chevais est plébiscité par les enseignants. Il est le premier auteur de manuels à
appréhender et à approfondir la diversité et la complexité du champ des sciences en
éducation musicale. Il est aussi le premier pédagogue francophone de l’éducation
musicale scolaire à fonder une discipline explicitement et résolument
psychopédagogique, tradition dont se réclame Jean-Pierre Mialaret aujourd’hui. Il trace
les traits d’une authentique didactique musicale scolaire, science qui étudie les
conditions de la transmission des savoir, et la pédagogie, les modalités d’acquisition. Il
renverse le processus de transcription didactique : Pourquoi ? Pour qui ? Comment ?
Quoi ? Définir les savoirs enseignables, c’est justement l’objet des différents
programmes, des manuels et des méthodes.
Deux autres personnalités sont à signaler. L’une pour le premier degré, et l’autre
pour l’enseignement en collège, car la littérature musicale scolaire pour le lycée est
quasi inexistante faute de publics en nombre suffisant probablement.
Jacquotte Ribière-Raverlat n’est pas encore chargée de mission pour le
premier degré (à compter de 1992 seulement). Elle suit les traces de Maurice Chevais, et
de nombreux autres pédagogues français (Maurice Martenot) et étrangers (Jaques-
Dalcroze, Zoltan Kodály, Edgar Willems, Carl Orff…). Parmi ses publications, elle
tente notamment d’adapter la « méthode Kodály » en France après avoir travaillé à
Budapest directement aux côtés du compositeur, ethnomusicologue et pédagogue
hongrois. Kodály est un contemporain de Chevais. Son but est double : lutter contre
l’inculture et l’analphabétisme musical de son pays. Il cible les écoles maternelles et
élémentaires, fonde une nouvelle structure d’école « à section musicale » dans laquelle
les enfants reçoivent 45 minutes d’éducation musicale par jour. Kodaly est persuadé que
l’idée d’une pédagogie basée sur des racines culturelles est transposable, en tenant
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Supports plus nombreux, mais moins pertinents ? L’institution sent bien des
lacunes en matière éditoriale. La transition s’opère au tournant du vingt-et-unième
siècle. Tout juste nommé IGEN, Vincent Maestracci accompagne et encourage le
maillage national par une mise en réseau sans précédent via les nouveaux vecteurs
Educnet, puis Eduscol notamment. Il s’agit de favoriser la communication, le travail
coopératif et l’accès aux ressources didactiques mettant fin à une forme de
morcellement entre l’activité de chaque enseignant. Grâce à la souplesse des « machines
à enseigner », des supports fongibles dont le coût est souvent inférieur au prix de revient
d’un manuel, les enseignants s’approprient les outils en réalisant des montages
multiples, démarche apparentée à une forme de butinage par récupération. Le manuel
n’est plus un livre de référence, mais au mieux une banque de données. Au mieux, le
manuel n’est plus un livre magistral que l’on lit, mais un livre optionnel dans lequel on
lit. De sorte que le manuel est imité plus qu’utilisé par les enseignants, et largement
ignoré par les élèves en éducation musicale. La consultation se substitue à la lecture,
mode d’approche typique des réseaux informatisés. On passe en somme d’une méthode
à une méthodologie : « la période des grands pédagogues placés sur le devant de la
scène semble bel et bien terminée : chaque professeur peut devenir l’éditeur de ses
propres idées et innovations. » (Tripier-Mondancin, 2010, p.101).
Nous manquons cruellement d’analyses des manuels, mais surtout de leurs
usages en France. Jérôme A. Schumacher décrit l’ambiguïté de l’outil en Suisse. Il
évoque des décalages importants entre la norme d’un manuel de référence commun à
l’ensemble des écoles primaires et destiné à asseoir la légitimité de l’éducation
musicale, et la très grande disparité de l’utilisation qui en est faite. Alors que les
manuels sont imposés en Suisse comme « moyens officiels », près d’un enseignant sur
cinq n’utilise pas, ou ne connaît tout simplement pas le support de référence. Les
manuels ne sont pas seuls garants d’une mise en œuvre effective de qualité dans les
classes. Ils ne sont dépositaires que de leur potentiel. Aucun manuel ne remplacera
jamais la curiosité et l’exigence intellectuelle dans la recherche et dans l’appropriation
personnelle.
La question de la compétence professionnelle est donc centrale. Selon le niveau
de formation, les enseignants sont plus ou moins dépendants, rejetant les aspects
technicistes ou au contraire généralistes des manuels. Les enseignants du primaire
aspirent à être accompagnés, faute de quoi ils renoncent le plus souvent. La
problématique est inverse dans le secondaire où les professeurs bénéficient d’une solide
formation universitaire et professionnelle. La littérature scolaire, considérée comme un
indicateur des pratiques de classes et un outil d’étude des savoirs enseignés, est
particulièrement éloquente en éducation musicale qui ne bénéficie plus de « manuel de
chevet ».
La structuration de l’éducation musicale scolaire, la multiplication progressive
des supports pédagogiques, l’avènement des nouvelles technologies donnent une image
de plus en plus floue du manuel. Son évolution s’apparente au passage de la machine-
outil à l’accessoire dans toutes ses acceptions. Le modèle du manuel traditionnel est
largement concurrencé (Deceuninck, 2012). La commodité des réseaux est bien réelle.
Le web mondialisé engendre une modification profonde du rapport entre l’usager et les
ressources. Le manuel en tant que « moyens d’enseignement » présente enfin l’avantage
de mettre sur le même plan les différents médias envisageables pour l’enseignement.
Entre tableau noir et tableau numérique, il n’y a plus d’exclusive.
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En guise de conclusion
Ce récit est l’histoire d’une consanguinité entre pères fondateurs. Les auteurs de
manuels ont en commun une certaine maturité. Nous pouvons aussi faire le constat que
les orientations scolaires parisiennes irriguent la France entière, à la notable exception
de Jean-Pierre Blaise qui n’a d’ailleurs jamais réussi à imposer son manuel au plan
national.
Des pères, mais aussi des frères ou des demi-frères. L’histoire est marquée par
des luttes fratricides qui ouvrent la période d’adolescence de l’enseignement musical
scolaire. L’avènement de la musicologie universitaire après la Seconde Guerre mondiale
est un élément qui favorise la formation des enseignants. Par son dessein à la fois
technique et culturel, la musicologie apparaît comme un partenaire, élément
intermédiaire « pacificateur » entre le Conservatoire et l’Education nationale.
Nous sommes les petits-enfants de cette « famille recomposée ». La période de
mue est achevée. Longtemps l’apanage de sommités hexogènes, dont beaucoup sont des
« collecteurs » par nature proches du terrain, l’Education nationale s’est dorénavant
largement emparée de ses propres outils de production didactiques. L’enseignement
musical à l’école a enfin acquis sa légitimité.
Le dix-neuvième siècle est marqué par la prédominance du solfège. La théorie
occupe une place prépondérante et précède la pratique. La musique « force les murs de
l’école » avant de s’adapter. L’instruction musicale cède la place à l’éducation
musicale. La tendance générale est une évolution d’un savoir savant (Conservatoire et
musicologie) vers des savoirs faire (pédagogies actives et Education nationale)
répondant aux finalités de la discipline qui est un vecteur de communication (savoirs-
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être). Pour le dire simplement, la musique est un moyen et non une fin en soi. Elle est
un instrument d’éducation et non une éducation à l’instrument.
Le manuel en tant que tel est d’un apport incertain et provisoire surtout. Maurice
Chevais ou Zoltan Kodaly insistent sur le risque de figer les pratiques. Commode dans
un premier temps, le manuel peut parfois se montrer impérieux. Plus grave encore, il
peut inhiber les initiatives, voire détourner ceux qui auraient pu alimenter la réflexion
par facilité d’usage et confort. Dans les méandres d’une hétérogénéité des ressources et
d’une surinformation mal maîtrisée, les enseignants ne bénéficient plus actuellement
d’un manuel commun en France en éducation musicale. Les principaux acteurs
(hiérarchie, éditeurs…) tentent bien régulièrement de proposer un outil commun,
physique et/ou virtuel. Mais sans réelle garantie tant sur le fond que sur la forme
puisque les enseignants sont prescripteurs du choix de leurs moyens pédagogiques. Au
demeurant, la documentation musicale des enseignants dépasse largement le seul cadre
des manuels scolaires. Les ressources sont multiples, à commencer par auditives,
vocales, instrumentales et musicologiques. Les apports et les influences multiples se
croisent.
Apprendre par soi-même est aussi apprendre sur soi-même. Les nouvelles
modalités de mutualisation que sont les TIC favorisent comme jamais une transversalité
non hiérarchique. Les « réseaux informatiques » sont des moyens pour renforcer les
« réseaux humains ». Il n’y a plus de « bible » ni de Messie, mais des « écritures » à
interpréter.
Au final, l’avenir du manuel scolaire réside vraisemblablement dans la
conception d’ouvrages qui confieraient à l’enseignant un rôle de guide plutôt que de
savant. Il ne s’agit plus de progressions linéaires, mais de supports avec des entrées
diverses en fonction des besoins (réservoir pédagogique). Les TIC, dont les points
forts sont l’interactivité et la mutualisation, sont particulièrement appropriées pour cela.
L’histoire dévoile que l’on passe de la méthode à la méthodologie, puis à une autonomie
mutualisée via les réseaux. Du livre du maître au livre des maîtres. Des manuels aux
ressources. Le mythe de Pygmalion et de son amour exclusif est, au moins en partie,
révolu.
Références bibliographiques
Corpus
Blaise, Jean-Pierre, André, Dominique et Audard, Yves. (1990). Musicollège,
Editions Van de Velde.
Blaise, Jean-Pierre, André, Dominique et Audard, Yves. (1993). Objectif, Editions
Van de Velde.
Chailley, Jacques. (1978). Les chansons de l’école, Leduc.
Chevais, Maurice. (1937-1943). Education musicale de l’enfance (quatre volumes),
Leduc.
Chevais, Maurice. (1938). Enseignement musical du second degré, Leduc.
Chevais, Maurice. (1949). Abécédaire musical, Leduc.
Gedalge, André. (1920). L’Enseignement de la Musique par l'éducation de l'oreille,
Librairie Gedalge.
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Ouvrages
Alten, Michèle. (1995). La musique à l’école, de Jules Ferry à nos jours, EAP.
Bardin, Laurence. (1977). L’analyse de contenu, PUF.
Buisson, Ferdinand. (1887). Dictionnaire de la pédagogie (tome 2), Hachette et cie.
Choppin, Alain. (1992). Les manuels scolaires : histoire et actualité, Hachette.
Deceuninck, Julien. (2012). Les outils éducatifs à l’école. Du manuel au réseau,
L’Harmattan.
Delahaye, Michel, Pistone, Danielle. (1982). Musique et musicologie dans les
Universités françaises, Champion.
Favre, Georges. (1980). Histoire de l’éducation musicale, La pensée universelle.
Fijalkow, Claire. (2003). Deux siècles de musique à l’école. Chroniques de
l'exception parisienne 1819-2002, L’Harmattan.
L’éducation musicale en France : histoire et méthodes. (ed. Danielle Pistone). (1983).
PUF.
L'éducation musicale scolaire : une évolution à évaluer (ed. Pierre Gaucher). (2006).
Tréma (n°25).
Manuels scolaires, regards croisés (direction : Eric Bruillard). (2005), SCEREN
CRDP Basse-Normandie.
Maurice Chevais (1880-1943). Un grand pédagogue de la musique (ed. Claire
Fijalkow). (2005). L’Harmattan.
Mialaret, Jean-Pierre. (1996). Recherches francophones en sciences de l’éducation
musicale et en didactique de la musique. Repères bibliographiques (volume 1),
Observatoire musical français, Université Paris-Sorbonne Paris IV.
Ribière-Raverlat, Jacquotte. (1967). L’éducation musicale en Hongrie, Leduc.
Rousseau, Jean-Jacques. (1979). Ecrits sur la musique, Stock / musique.
Schumacher, Jérôme A. (2003). « Méthodes : le moyen d’enseignement suisse
romand ’A vous la musique’ – ce qu’en disent les auteurs et ce qu’en disent les
enseignants », Apprendre et enseigner la musique : représentations croisées (ed.
Françoise Regnard et Evelyn Cramer), L’Harmattan, p.161-181.
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