Vous êtes sur la page 1sur 29

LE SURSAUT AFRICAIN DU NEW LABOUR : PRINCIPES, PROMESSES

ET RÉSULTATS

François Gaulme

De Boeck Supérieur | Afrique contemporaine

2003/3 - no 207
pages 71 à 97

ISSN 0002-0478

Article disponible en ligne à l'adresse:


--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
http://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2003-3-page-71.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


Pour citer cet article :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Gaulme François, « Le sursaut africain du New Labour : principes, promesses et résultats »,
Afrique contemporaine, 2003/3 no 207, p. 71-97. DOI : 10.3917/afco.207.0071
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.


© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des
conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre
établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que
ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en
France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
k¡? ·‒ \· ?\¢‒ ¦\ ‹? ·?m¡•?k\ ›·‒?Y?fi‒ ‹¦ fi¡ K?fi‒›«¡ ¡ ?¡ ?‒" · \
?
??
c¡?a›¡¦¤?t‹ ¡‒ "? ?`¢‒ fl·¡?¦›‹ ¡«fi›‒\ ‹¡?
QOORNR?L?‹›?QOV
fi\£¡ ?VP?Ÿ?XV
hrrm?OOOQLOSVW

LLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLL
`‒ ¦ ¡? fi›‹ ¡?¡‹? £‹¡?Ÿ? F\ ‒¡ ¡Y

⁄ fiYNN•••M¦\ ‒‹M ‹¢›N‒¡ ·¡L\¢‒ fl·¡L¦›‹ ¡«fi›‒\ ‹¡LQOORLRLfi\£¡LVPM⁄ «

LLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLL

LLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLL
o›·‒?¦ ¡‒?¦¡ ?\‒ ¦ ¡?Y
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


??Ak¡? ·‒ \· ?\¢‒ ¦\ ‹? ·?m¡•?k\ ›·‒?Y?fi‒ ‹¦ fi¡ K?fi‒›«¡ ¡ ?¡ ?‒" · \ AK?`¢‒ fl·¡?¦›‹ ¡«fi›‒\ ‹¡K??QOORNR?‹›?QOVK??fiM
VPLXVM

LLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLLL

c ‒ · ›‹?" ¡¦ ‒›‹ fl·¡?b\ ‒‹M ‹¢›?fi›·‒?c¡?a›¡¦¤?t‹ ¡‒ "M


Å?c¡?a›¡¦¤?t‹ ¡‒ "M?s›· ? ‒› ?‒" ¡‒ " ?fi›·‒? ›· ?fi\„ M

k\ ‒¡fi‒› ·¦ ›‹ ›· ‒¡fi‒" ¡‹ \ ›‹ ¡ ¦¡ \‒ ¦ ¡K ‹› \««¡‹ fi\‒ fi⁄› ›¦›fi ¡K ‹F¡ \· ›‒ "¡ fl·¡ \‹ ¡ « ¡ ¡


¦›‹ ›‹ £"‹"‒\ ¡ F· \ ›‹ · ¡ ›·K ¡ ¦\ "¦⁄"\‹ K ¡ ¦›‹ ›‹ £"‹"‒\ ¡ ¡ \ ¦¡‹¦¡ ›· ¦‒ ¡ fi\‒ › ‒¡
"\ ¡«¡‹ M s›· ¡ \· ‒¡ ‒¡fi‒› ·¦ ›‹ ›· ‒¡fi‒" ¡‹ \ ›‹K ¡‹ ›· ›· fi\‒ ¡K ›· fl·¡ fl·¡ ¢›‒«¡ ¡ ¡ fl·¡ fl·¡ «\‹ !‒¡ fl·¡
¦¡ › K ¡ ‹ ¡‒ ¡ \·¢ \¦¦›‒ fi‒"\ \ ¡ ¡ "¦‒ ¡ F" ¡·‒K ¡‹ ¡⁄›‒ ¡ ¦\ fi‒" · fi\‒ \ "£ \ ›‹ ¡‹ £·¡·‒ ¡‹
e‒\‹¦¡M h ¡ fi‒"¦ " fl·¡ ›‹ ›¦¤\£¡ \‹ ·‹¡ \ ¡ ¡ ›‹‹"¡ ¡ "£\ ¡«¡‹ ‹ ¡‒ M¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹
Le sursaut africain du New Labour

Le sursaut af ricain du
New Labour : principes,
promesses et résult at s

François Gaulme*

La politique africaine de la Grande-Bretagne fut longtemps presque


inexistante. Certains observateurs estimaient même que, depuis la fin
de la période coloniale, elle ne méritait pas d’être appelée "politique",
n’étant à vrai dire qu’une succession erratique de décisions prises au
jour le jour. Ce jugement sévère, que l’on entend de moins en moins
aujourd’hui, s’est longtemps justifié par le traitement très secondaire
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

des questions africaines à Londres (en dehors de graves crises comme

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


celle de la Rhodésie), avant qu’en 1997, d’une manière assez inatten-
due, le gouvernement du New Labour, dirigé par Tony Blair, ne
renouvelât profondément la problématique des relations entre la
Grande-Bretagne et l’Afrique en faisant de celle-ci le continent de
déploiement par excellence d’une aide au développement elle aussi
repensée et revigorée, qui s’appuyait sur une vision claire et détermi-
née des relations internationales.

L’intervention directe en Sierra Leone, impliquant à partir de mai


2000 une utilisation conjointe de l’outil militaire et des moyens d’as-
sistance civile, fut à la fois comme le modèle et l’application en gran-
deur réelle de cette nouvelle politique, portant des fruits dont la
maturité et la valeur intrinsèque commencent aujourd’hui à pouvoir
être évaluées à l’épreuve de la durée, mais aussi de la conjoncture
internationale et de son évolution1.

Naissance et principes d’une polit ique

La nouvelle politique africaine du gouvernement britannique s’ins-


crit en effet dans une ambition diplomatique globale et dans une cer-
taine conception du monde qui résulte de la convergence des idées

* Rédacteur en chef, Afrique contemporaine.

1) A ce sujet, voir infra la contribution d’Aline Lebœuf.

Afrique contemporaine - Automne 2003 71


Le sursaut africain du New Labour

traditionnelles de la gauche (l’Old Labour en termes d’identification


partisane) avec celle d’une "troisième voie" définie en 1997 par le New
Labour de Tony Blair, lors d’un dîner au restaurant le "Pont de la
Tour" à Londres avec le président américain Bill Clinton, lui-même
inspirateur des New Democrats (Cracknell 2003). Aujourd’hui, cette
formule n’est plus de mise, le Premier ministre britannique préfé-
rant, face aux critiques montantes depuis le printemps 2003, rappe-
ler plus fermement son engagement socialiste. Néanmoins, les
grandes lignes politiques du début de son premier mandat restent
valables, tout spécialement sur les principes généraux du renouveau
spectaculaire des relations entre la Grande-Bretagne et l’Afrique.

Entre Old et New labour


Dès la formation du premier cabinet Blair en mai 1997, l’inflexion
vers une relance de l’activité gouvernementale d’aide au développe-
ment était en effet perceptible, avec la promotion au rang de Secretary
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

of State, appartenant au Conseil des ministres (Cabinet Minister), de la

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


nouvelle responsable départementale de l’aide au développement,
Clare Short, issue quant à elle d’un courant de gauche beaucoup plus
traditionnel et proche des syndicats que celui que voulait animer le
Premier ministre. L’Overseas Development Administration (ODA), fonc-
tionnant plus avec les méthodes et les moyens d’une agence d’aide au
développement de type nord-américain ou scandinave qu’avec ceux
d’un département ministériel classique et rattachée hiérarchique-
ment au Foreign Office sans être contrôlée par celui-ci, devenait plei-
nement autonome sous le nom de Department for International
Development (DfID).

La ministre placée à sa tête, en s’élevant dans la hiérarchie politique


par rapport à la secrétaire d’Etat conservatrice qui l’avait précédée, la
dynamique Linda Chalker (1986-1997) qui avait déjà donné un cer-
tain lustre à l’ODA, devait confirmer par la suite son poids dans le
cabinet et dans la vie politique britannique. Après la guerre contre
l’Irak de mars-avril 2003, sa mésentente personnelle avec le Premier
ministre, qui n’avait cessé de s’affirmer avec des menaces répétées de
démission depuis la fin de 2001, à la suite de l’intervention interna-
tionale en Afghanistan, finit par devenir telle que son départ effectif,
le 13 mai 2003, ne surprit que par la date tardive de ce qui semblait
depuis longtemps inévitable. Clare Short fut immédiatement rem-
placée par une autre femme dont les origines et la carrière correspon-
daient peut-être encore mieux que les siennes à une telle fonction :
Valerie Amos, originaire de Guyana, était jusqu’à cette date secré-
taire d’Etat (au sens français du terme), plus précisément

72 Afrique contemporaine - Automne 2003


Le sursaut africain du New Labour

Parliamentary Under-Secretary of State au Foreign Office, en charge de


l’Afrique2. A ce titre, elle avait la responsabilité de suivre le Nouveau
partenariat pour le développement de l’Afrique (New Partnership for
Africa’s Development, Nepad) et avait su effectuer au début de 2003,
juste avant l’intervention américano-britannique en Irak, de délicates
missions diplomatiques pour défendre la position de Tony Blair dans
les pays africains alors membres du Conseil de sécurité de l’ONU.

Il y eut donc continuité de l’esprit d’une politique en dépit du chan-


gement de personne à la tête du DfID. Ceci était d’ailleurs d’autant
plus réalisable que l’administration, placée désormais sous les ordres
de la baronne Amos, se comportait toujours dans son activité quoti-
dienne, comme avant 1997, à la manière d’une agence de développe-
ment tout autant que d’un ministère. Ce facteur structurel ne contri-
bue pas, sur le long terme, à faciliter les relations du DfID avec le
Foreign and Commonwealth Office (FCO), responsable de la diplomatie
britannique, mais non de l’octroi de l’aide extérieure, alors que celle-
ci a pourtant un effet diplomatique évident et immédiat. Par ailleurs,
la structure n’est pas tout et la tête politique compte aussi. L’on
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


considère généralement à Londres que, si les budgets du DfID ont
spectaculairement augmenté ces dernières années, c’est aussi grâce
aux bonnes relations personnelles de Clare Short avec le chancelier de
l’Echiquier, Gordon Brown, satisfait de la manière dont le nouveau
ministère gérait la question de la "lutte contre la pauvreté dans les
pays pauvres", qui est devenue sa raison d’être officielle.
Parallèlement, c’est bien le Premier ministre en personne qui avait
cependant annoncé, dans son discours au sommet de la Terre le 2 sep-
tembre 2002 à Johannesburg, que l’aide britannique à l’Afrique pas-
serait à 1 milliard de livres sterling par an en 2006.

Le renouveau des relations entre la Grande-Bretagne et l’Afrique ne


saurait en effet être réduit à un choix individuel, fût-il celui du chef
du gouvernement lui-même, exprimé à la fois par des déclarations
répétées et avec l’entrée d’une ministre supplémentaire au conseil. La
traduction financière des options politiques envers l’Afrique et sur le
thème du développement était en effet définie en commun jusqu’en
mai 2003 par une sorte de "constellation" (pour reprendre le mot
d’un observateur local3) à trois têtes politiques : Tony Blair, Gordon
Brown et Clare Short. Le remaniement ministériel de mai 2003 et les
tensions au sein du Parti travailliste après la guerre contre l’Irak ont

2) Le 13 juin 2003 (soit un mois après le départ de Clare Short du DfID), la baronne Amos a été rem-
placée dans ces fonctions par Chris Mullin, député travailliste, ancien journaliste, qui présidait le Home
Affa irs Select Commitee depuis 2001.

3) Information personnelle, Londres, juillet 2003.

Afrique contemporaine - Automne 2003 73


Le sursaut africain du New Labour

modifié les termes de cet équilibre, la baronne Amos ne passant pas,


à la différence de Clare Short, pour une brownite – c’est-à-dire une par-
tisane de Brown contre Blair dans les affrontements internes du parti.
Mais ses principes n’ont pas disparu pour autant, avec une sorte de
consensus travailliste sur la politique de développement et les rela-
tions avec l’Afrique, domaine dans lesquels le Premier ministre est
resté sans conteste le plus fidèle à la tradition de sa formation.

Pour s’en assurer, il suffit de se référer à de très nombreuses affirma-


tions de Tony Blair depuis son installation à Downing Street. Citons
ici, à titre d’exemple, quelques formules de son discours de
Johannesburg : "L’Afrique est pour moi une passion. Fier de notre lea-
dership pour la remise de dette, fier des ressources supplémentaires
que nous allons dégager pour l’aide au développement, nous voulons
donner plus encore à l’avenir […]. Ceci implique d’approfondir notre
partenariat avec l’Afrique. Je puis vous annoncer qu’à compter de
2006 la Grande-Bretagne accordera 1 milliard de livres sterling par
an […]. Ce n’est pas de la charité, mais un investissement dans notre
avenir collectif.4"
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


Ce serait une erreur de penser que de telles formules n’expriment
qu’un penchant individuel à se préoccuper du sort de l’Afrique. Pour
se convaincre de ce que les choix du Premier ministre sont bien en
convergence sur ce point avec ceux de son parti, jusque dans les prin-
cipes les plus généraux de cette nouvelle orientation politique, il est
bon de se référer aux premières déclarations politiques d’un homme
qui, depuis, est devenu l’un des plus féroces adversaires de Tony Blair
au sein du Labour.

Robin Cook, démissionnaire avec fracas en mars 2003 au moment de


l’affaire d’Irak mais qui fut auparavant secrétaire au Foreign Office
dans le premier gouvernement New Labour, avait en effet défini, dès
son entrée en fonction, les exigences d’une nouvelle diplomatie
"éthique" proche du citoyen ordinaire, idée fondamentale d’un socia-
lisme voulant tenir compte de l’impact de la fin de l’URSS pour
renouveler son programme d’action. Le 12 mai 1997, le nouveau
ministre faisait une déclaration (statement) en forme de programme,
dans laquelle l’on trouvait notamment cette formule : "Notre poli-
tique étrangère doit avoir une dimension éthique et nous devons
encourager l’exigence d’autres peuples à obtenir ces critères démo-
cratiques [democratic rights] sur lesquels nous insistons pour nous-
mêmes." Bien qu’il ait tenu ensuite à minimiser lui-même la portée

4) Traduction de l’auteur. Texte original en anglais diffusé sur le site du FCO, <www.fco.gov.uk>.

74 Afrique contemporaine - Automne 2003


Le sursaut africain du New Labour

de cette phrase, une telle affirmation fournissait "un contenu éthique


à la politique étrangère et [admettait] que les intérêts nationaux ne
pouvaient simplement se définir par une étroite realpolitik"
(Wickham-Jones 2000, p. 3-4). Cette volonté d’offrir une image de
"bon citoyen international" était en contraste marqué avec toute une
tradition de "réalisme" diplomatique, reposant sur l’évaluation des
"intérêts" de la nation5, dans la droite ligne d’une vision à la
Castelreagh ("La Grande-Bretagne n’a que des intérêts"), rappelée
encore par le ministre conservateur Douglas Hurd en 1993 lorsqu’il
affirmait : "La politique étrangère britannique a pour objet de proté-
ger et de promouvoir les intérêts britanniques" (Buller et Harrison
2000).

La montée du DfID et les spectaculaires actions britanniques en


Afrique, heureuses ou malheureuses (intervention en Sierra Leone
mais aussi confrontation hasardeuse avec le Zimbabwe de Robert
Mugabe, comme on le verra in fine), s’expliquent donc, sur le fond,
par cette attitude entièrement nouvelle vis-à-vis de la scène interna-
tionale (pour comparer avec la période antérieure, l’on relira les ana-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


lyses de A. Rouvez [1994]). Elle rend compte également du souci de
mettre l’accent, en matière de coopération internationale, sur la
bonne gouvernance et sur la lutte contre la corruption. Certes, ces
deux thèmes sont devenus ces dernières années des priorités, au
moins verbales, dans les relations entre le Nord et le Sud. Mais la
nouvelle diplomatie "éthique" de la Grande-Bretagne, si contraire en
un sens à ses traditions de gouvernement, venait comme à l’avant-
garde d’un tel mouvement en rejoignant des préoccupations qui s’ex-
primaient plus ou moins clairement sur l’ensemble de la société bri-
tannique elle-même dans son évolution récente, d’une manière insti-
tutionnelle ou non. L’inflexion idéologique du New Labour rejoignait
ainsi celle de l’opinion dans une Grande-Bretagne moderne dominée
désormais par la prépondérance, morale et politique, d’une classe
moyenne urbaine plus large et plus ouverte sur le monde extérieur
qu’elle ne l’était jadis6.

5) Encore visible chez John Major, le souci classique et général des "intérêts" britanniques a fait place
dans les allocutions de son successeur à des développements plus précis sur l’avantage de telle ou telle
attitude pour le Royaume-Uni, dans des circonstances ou pour des buts spécifiques.

6) Ceci sans préjuger de l’apparition plus ou moins prochaine d’une cla ssless society en Grande-Bretagne
(voir Cannadine [2000], pour cette problématique particulière).

Afrique contemporaine - Automne 2003 75


Le sursaut africain du New Labour

Institutions, gouvernement et société civile


A cet égard, il convient de rappeler que la Grande-Bretagne se carac-
térise, comme d’autres pays d’Europe du Nord, par une vie institu-
tionnelle très spécifique, dont une part importante ne peut être rat-
tachée aux activités de gouvernement au sens des choix et des res-
ponsabilités proprement politiques. Une Constitution d’autant plus
complexe et difficile à interpréter qu’elle y demeure toujours non
écrite et donne à la monarchie, quoique fortement bridée dans l’ac-
tion politique depuis le XVIIIe siècle, ainsi qu’à l’Eglise officielle (the
established Church), dont l’influence effective dépasse en fait le spiri-
tuel, des fonctions dans la vie nationale qui sont toujours à mi-
chemin entre celles de la "société civile" et du "gouvernement" au
sens courant de ces mots en français. Or, dans les domaines de l’aide
au développement comme dans celui des relations avec l’Afrique, ce
secteur institutionnel non gouvernemental est loin d’être resté inac-
tif depuis la décolonisation de l’Empire britannique. Ses prises de
position sur ces sujets ont même parfois précédé celles du gouverne-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

ment, sans que l’on ait pu parler alors de diplomatie "éthique" en tant

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


que telle, comme dans les vues récentes du Parti travailliste.

Il faut souligner tout d’abord l’attachement de la famille royale au


Commonwealth depuis sa création, témoigné à de multiples reprises,
notamment par des voyages. La reine Elizabeth II, qui reste le chef
symbolique (Head of the Commonwealth) de cet ensemble encore assez
informel de nations (auquel se sont adjoints en 1995 deux nouveaux
pays africains, le Cameroun et le Mozambique7), préside avec un souci
permanent d’équilibre entre les différents Etats membres les som-
mets de l’organisation (Commonwealth Head of Government Meetings,
CHGM), qui se tiennent tous les deux ans et où le Premier ministre
de Grande-Bretagne n’est en réalité qu’un primus inter pares. Ceci a eu
des conséquences directes sur la politique africaine de la Grande-
Bretagne, Margareth Thatcher n’ayant pu après son arrivée à
Downing Street reconnaître le régime blanc de Ian Smith en
Rhodésie ni se rapprocher de l’Afrique du Sud de l’apartheid autant
qu’elle l’aurait souhaité alors, tout particulièrement au sommet de
Lusaka de juin 1979, du fait des pressions de la souveraine, inquiète
elle-même de tensions à ce sujet au sein du Commonwealth (Strober
2002, p. 363-375 ; Hargrove 1994, p. 176)8. Avant l’accession au
7) Bien que ce dernier n’ait jamais été une colonie ou un territoire sous mandat britannique.

8) Margaret Thatcher se préoccupait très peu de l’Afrique, ce dont témoignent a posteriori les réflexions
récentes de l’ancien Premier ministre sur sa propre politique étrangère, qui ne mentionnent pas l’Afrique
(Thatcher 2002). Quant à l’attitude d’Elizabeth II à propos de la réunion de Lusaka, Charles Hargrove
précise : "Margaret Thtacher considérait que le danger [de se rendre au sommet de Lusaka] était trop
grand pour la souveraine. Mais celle-ci lui fit comprendre que, en matière de Commonwealth, son chef
n’était pas tenu d’observer les conseils du Premier ministre de Grande-Bretagne."

76 Afrique contemporaine - Automne 2003


Le sursaut africain du New Labour

pouvoir du New Labour, le rôle de la monarchie dans le


Commonwealth a pu être un facteur revigorant pour la politique afri-
caine de la Grande-Bretagne. C’est ainsi qu’en avril 1995, la visite
officielle de six jours effectuée par la reine en Afrique du Sud confir-
ma la réintégration du pays dans le Commonwealth. Ce fut un suc-
cès considérable alors qu’aucun séjour royal n’y avait eu lieu depuis
le premier, effectué par le roi George VI et sa famille (dont la jeune
princesse Elizabeth) durant plusieurs semaines en 1947, l’année ayant
précédé la victoire électorale des créateurs de l’apartheid. Le rôle
d’Elizabeth II dans les relations avec l’Afrique ne se limite pas à ses
visites personnelles et aux sommets CHGM. La souveraine prononce
également chaque année une allocation officielle à l’occasion du
Commonwealth Day, célébré depuis 1977. Fait exceptionnel dans le
système politique britannique, ce message n’est pas préparé par
l’équipe ministérielle en place et demeure de la responsabilité per-
sonnelle du monarque.

Parallèlement à la monarchie, la confession anglicane (the Anglican


Communion), qui concerne environ 70 millions de personnes dans le
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


monde et appartient à l’Alliance mondiale des Eglises, ne dispose que
de 2 provinces en Grande-Bretagne même (avec les sièges archiépis-
copaux de Canterbury et York et 22 évêchés pour la Church of England
proprement dite), mais conserve, depuis l’époque coloniale, une
importante implantation en Afrique subsaharienne, avec 11 "pro-
vinces" dans cette zone, dont 3 seulement correspondent à des Etats
francophones : Burundi, Congo-Kinshasa et Rwanda. L’importance
politique récente de la confession anglicane au sud du Sahara y a été
illustrée notamment par le rôle politique de Desmond Tutu, l’un des
leaders de la lutte contre l’apartheid, aujourd’hui à la retraite mais
qui fut archevêque du Cap et métropolitain de la province d’Afrique
australe. Comme Primate of All England, l’archevêque de Canterbury,
"président" (President) de la confession anglicane, à ce titre une sorte
de primus inter pares lui aussi, réunit tous les dix ans depuis 1867 la
"conférence de Lambeth", synode aux dimensions mondiales de l’an-
glicanisme. A cette occasion comme à d’autres, s’exprime l’intérêt
significatif porté à l’Afrique par l’Eglise d’Angleterre. Celle-ci n’en-
tend aucunement oublier le monde noir ni le continent africain dans
ses préoccupations humanitaires autant que spirituelles. Symbole
visible et récent d’une telle volonté, les dix statues de "martyrs" chré-
tiens du XX e siècle installées en juillet 1998 dans les niches de la
façade de l’abbaye de Westminster comprennent celle de Martin
Luther King ainsi que de Manche Malesola, jeune noire sud-africaine
tuée par ses parents en 1928 pour être devenue chrétienne, et de
Janani Luwum, archevêque anglican d’Ouganda qui fut l’une des vic-
times d’Idi Amin Dada. Bien que politiquement neutre en théorie,

Afrique contemporaine - Automne 2003 77


Le sursaut africain du New Labour

comme celle de la monarchie, l’action de l’established Church peut elle


aussi avoir en fait des conséquences directes sur les relations bilaté-
rales avec l’Afrique. L’archevêque Carey, qui a quitté en 2003 le siège
de Canterbury où il avait été nommé par un Premier ministre conser-
vateur, John Major, avait ainsi effectué en mai 2000 une visite offi-
cielle (de consécration d’un évêque) au Soudan, au cours de laquelle
il n’avait pas hésité à se démarquer publiquement des autorités de
Khartoum sur la réconciliation nationale. En février 2001, au cours
d’un séjour au Nigeria, il avait tenu à obtenir des assurances des auto-
rités fédérales quant au traitement des chrétiens dans le nord du pays,
où la charia avait été imposée par plusieurs Etats. L’Eglise institu-
tionnelle peut à l’occasion critiquer d’une manière précise et infor-
mée la politique africaine du gouvernement britannique, avec un sens
aigu de l’importance de ces questions, ce dont témoignent régulière-
ment les comptes rendus des séances de la Chambre des lords9.

Inversement, la Church of England, jusque dans le cœur de sa vie


ecclésiale propre, est influencée, semble-t-il, par les Eglises de la
même confession en Afrique : l’attitude du chef des 17 millions
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


d’Anglicans du Nigeria, l’archevêque d’Abuja et primat Peter
Akinola, aurait ainsi contribué en juillet 2003 à persuader le nouvel
archevêque de Canterbury, Rowan Williams, de ne pas procéder,
contre ses intentions premières, à l’ordination d’un évêque ouverte-
ment homosexuel à Reading (comme le nota alors la presse nationa-
le et notamment The Economist [2003, p. 35). C’est dans cette
conjoncture que le chef de la Church of England, à peine installé, a
entrepris le 23 juillet 2003 une "visite pastorale" d’une semaine à la
communion anglicane d’Afrique de l’Ouest, qui devait le mener suc-
cessivement au Ghana, en Sierra Leone et en Gambie. Elle visait à cal-
mer les polémiques locales sur l’homosexualité, dans la perspective
d’un synode en septembre sur ce thème (rendu plus urgent encore par
les développements récents dans l’Eglise épiscopalienne américaine,
membre à part entière de la confession anglicane), tout en accordant
une attention prioritaire à une région que le prélat a décrite à son
départ de Lambeth Palace comme touchée par "la plupart des grandes
plaies de notre époque".

9) L’on notera particulièrement, dans des registres récents du Ha nsa rd ("registre") des lords, les débats
du 11 décembre 2002 sur les perspectives de paix en Angola, animés notamment par l’évêque de
Guilford, ou du 3 avril 2003 sur la situation au Congo et l’exploitation illégale des ressources de ce pays
avec l’intervention de l’évêque de Winchester. Lors du débat du 11 décembre 2002, l’évêque de Guilford
déclarait notamment à propos de la situation en Angola : "If I dare say so, the issues that it addresses
are rather more significant to human life in our contemporary world than the delicate problems of traf-
fic in London with which we dealt previously. We are dealing with vital issues this evening. […] I refer
briefly to the pivotal role the Churches can play in these matters in a fragile civil society. The Churches
represent 86 per cent of the people of Angola. I am anxious to stress that the extraordinary power of
faith and the commitment to peace and the common good that the Churches represent are among the
most important grassroots agents for developing a new opportunity in that country.

78 Afrique contemporaine - Automne 2003


Le sursaut africain du New Labour

Au delà de ces éléments institutionnels, l’Eglise anglicane et la famil-


le royale remplissent, parmi bien d’autres mais dans une position cor-
respondant à leur éminence au sein de l’establishment, une mission de
relais avec la société civile en patronnant des organisations non gou-
vernementales (ONG) dont le rôle est particulièrement important en
Grande-Bretagne dans les relations avec l’Afrique et les questions
humanitaires ou de développement en général.

L’on citera ici pour mémoire le nom d’ONG d’assistance humanitaire


ou d’aide au développement comme Oxfam ou encore Save the
Children Fund et Christian Aid, qui sont d’une taille et d’une enver-
gure financière sans rapport avec leurs équivalents français. Elles
reçoivent certes des subventions parfois importantes de la part des
pouvoirs publics, mais ce sont bien les dons privés, avec un système
complexe de relais et de manifestations diverses (dîners, concerts,
ventes exceptionnelles ou boutiques caritatives) qui sont profondé-
ment intégrés dans la vie quotidienne des Britanniques.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

La famille royale est proche de ces milieux, la princesse Anne étant

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


connue pour son implication dans Save the Chidren par exemple (voir
notamment le témoignage de Sir Oliver Wright, ancien ministre et
ambassadeur aux Etats-Unis [Strober 2002, p. 444]). L’Eglise angli-
cane l’est également, à travers des organismes comme Christian Aid
mais aussi dans son dialogue œcuménique avec d’autres confessions
ayant elles aussi leurs ONG caritatives, en Grande-Bretagne ou à
l’étranger.

Quant à la société civile proprement dite et à l’opinion, elles sont de


longue date sensibles en Grande-Bretagne aux aspects humanitaires
de la situation de l’Afrique, bien plus en réalité que ne l’étaient les
gouvernements successifs avant celui du New Labour. Il est significa-
tif que l’aide à cette région, jusque dans son évolution vers un systè-
me d’aide budgétaire aux "bons" régimes, classés comme les moins
corrompus, soit dans l’ensemble soutenue avec force par une opinion
britannique qui donne de généreuses contributions personnelles à
celle-ci lors d’initiatives fortement médiatisées comme le Red Nose
Day, dans lequel les médias jouent chaque année un rôle essentiel de
relais du type Téléthon.

Si les cabinets successifs de Tony Blair ont fait preuve d’ailleurs d’un
engagement marqué envers l’Afrique, c’est sous l’influence des
ONG, mais aussi de certains universitaires impliqués dans la
réflexion sur le développement et sa pratique. Ainsi, l’on insistera sur
le rôle majeur, dans les influences qui ont conduit à la définition
d’une nouvelle politique dans ce domaine, de l’approche multidisci-

Afrique contemporaine - Automne 2003 79


Le sursaut africain du New Labour

plinaire du développement enseignée à l’université du Sussex par


l’Institute of Development Studies (IDS), créé en 1966 par le gouverne-
ment travailliste de Harold Wilson et dont Margareth Thatcher avait
recherché délibérément la disparition en le privant de crédits offi-
ciels. Peter Hain, qui fut secrétaire d’Etat à l’Afrique en 1997 et reste
connu comme ancien militant anti-apartheid, et Thabo Mbeki, l’ac-
tuel président sud-africain, ont fait leurs études dans cet établisse-
ment.

Le caractère de la politique africaine actuelle du Royaume-Uni s’ex-


plique en bref par ces facteurs personnels tout autant que par l’idéo-
logie imprégnant une partie du New Labour, émanation elle-même de
milieux restreints mais aussi de l’opinion en général10. La lutte des
Eglises contre l’apartheid durant presque un demi-siècle, l’affine-
ment des études développementalistes, l’implication directe dans
l’action humanitaire d’ONG puissantes financièrement et médiati-
quement parlant ont donc façonné l’approche actuelle des problèmes
africains par le gouvernement travailliste. Après la victoire électorale
de 1997, une phase de concertation entre les nouveaux milieux gou-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


vernementaux et la société civile britannique a été ouverte en 1997-
1998 dans la logique du premier "livre blanc" publié par le DfID.
Elle a conduit au Development Policy Forum, processus visant à confron-
ter individus et groupes de la société civile avec l’administration sur
les conceptions et les problèmes du développement, qui s’est achevé
par une réunion de niveau national à Birmingham en novembre
1998.

Au delà de ces initiatives de la période initiale du gouvernement


Blair, un témoignage du maintien de rapports étroits entre les déci-
sionnaires administratifs et la société civile se trouve dans certaines
carrières diplomatiques, le passage entre certaines grandes ONG et le
FCO s’effectuant facilement, parallèlement à la nomination dans cer-
tains pays africains d’ambassadeurs spécialistes du développement,
venus ou non du DfID11.

10) Dans la conduite des affaires propre à Tony Blair, les réactions éventuelles de l’opinion demeurent
très importantes dans le domaine africain comme pour le reste de la politique gouvernementale, dans la
mesure où, sur le modèle de son mentor Bill Clinton naguère, le Premier ministre britannique y est extrê-
mement sensible et prend ainsi plus appui sur ses conseillers en communication que sur la hiérarchie
du Parti travailliste, ce qui a conduit à une très vive tension politique interne au sein même du La bour
puis à la démission de son conseiller pour la communication (spin doctor) Alaster Campbell le 29 août
2003. Dans le domaine du développement, signalons également que ce souci de l’opinion n’est pas
propre au 10 Downing Street. Ainsi, le DfID (dans la suite de proccupations qui étaient déjà perceptibles
au sein de l’ODA) a commandé et publié une étude de la couverture télévisée britannique des pays en
développement (DfID 2000b).

11) Informations personnelles, Londres, 2001-2002.

80 Afrique contemporaine - Automne 2003


Le sursaut africain du New Labour

Les milieux d’affaires britanniques eux-mêmes, relativement peu pré-


sents sur l’Afrique en dehors de pays (Afrique australe et orientale,
Nigeria) et de secteurs déterminés (pétrole et mines, agro-industrie)
et qui ont tenté ces dernières années de mieux coordonner leur action
sur ce continent en créant la British African Business Association
(BABA) coiffant trois organismes patronaux distincts – un pour
l’Afrique australe, un autre pour l’Afrique orientale et le troisième
pour l’Afrique occidentale –, approuvèrent une orientation éthique
du New Labour qui se combinait en fait avec une attitude favorable
aux investissements étrangers en Afrique. Les relations entre ces
milieux patronaux et Clare Short et son ministère (vus par eux à l’ori-
gine comme trop proche des ONG) s’améliorèrent dès la publication
en 2000 du second "livre blanc" du DfID, sur la lutte contre la pau-
vreté, qui accordait un rôle incontournable à l’économie de marché.
Parallèlement, le patronat britannique adoptait une posture très
déterminée dans la lutte contre la corruption, ce qui satisfaisait à son
tour le gouvernement.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


Les choix et leurs conséquences
C’est sur cette base que, sur deux législatures dont la dernière doit
s’achever dans deux ans, les deux gouvernement successifs de Tony
Blair ont accompli une œuvre de renouveau de la politique africaine
dans laquelle l’on peut distinguer deux aspects essentiels et partielle-
ment liés l’un à l’autre : une relance de la coopération au développe-
ment dans ses objectifs comme dans ses buts ; des choix politiques
caractérisés principalement par le soutien prioritaire à la nouvelle
Afrique du Sud post-apartheid et à sa vision panafricaine exprimée
dans le Nepad ainsi que par la tentative de reconstruction de la Sierra
Leone et la confrontation directe avec Robert Mugabe au Zimbabwe.

Ce serait une erreur de placer ces choix sous la seule responsabilité du


Premier ministre. Même si ce dernier a pu être accusé d’autoritarisme
(en le qualifiant de bossy) par une experte en la matière, Margaret
Thatcher, et s’il s’est dès l’abord éloigné de la pratique consensuelle
des conseils des ministres (Hennessy 2000, p. 483-486), tradition-
nelle à Downing Street (attitude qui ne fera que s’accentuer avec le
temps), il ne fait aucun doute que c’est bien, comme évoqué plus haut
et selon la formule de l’un de nos interlocuteurs britanniques, une
"constellation", regroupant également de très fortes personnalités –
tels Gordon Brown et Clare Short –, qui a donné forme en commun à
ce renouveau politique. Les responsables successifs du Foreign Office,
Robin Cook puis Jack Straw, montrant en fait peu d’attirance envers

Afrique contemporaine - Automne 2003 81


Le sursaut africain du New Labour

l’Afrique, ont quant à eux généralement délégué les questions rela-


tives à ce continent à des secrétaires d’Etat plus sensibles personnelle-
ment à son sort, Peter Hain (de mai 1997 à janvier 2001) puis Valerie
Amos (de juin 2001 à mai 2003), cette dernière devenant la représen-
tante personnelle du Premier ministre pour le Nepad après le sommet
du G8 à Gènes en juillet 200112.

La rupture plus ou moins violente et plus ou moins nette entre les


trois étoiles de cette "constellation" en 2003, à propos de l’interven-
tion britannique en Irak aux côtés de George W. Bush et de ses suites,
constitue justement un drame majeur de la politique britannique qui
touche indirectement les relations avec l’Afrique.

En poursuivant cette logique, l’on pourrait même faire débuter une


seconde époque de la politique africaine du New Labour non pas en
juin 2001, avec la deuxième victoire électorale de Tony Blair et des
siens, mais en mai 2003, au moment du départ de Clare Short du
DfID. Ainsi, cette dernière, redevenue simple député, ne manque
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

guère d’occasions de critiquer directement ou indirectement les choix

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


effectués depuis son retrait du ministère, sur l’Irak et les questions
sociales bien sûr, mais aussi sur l’Afrique. C’est ainsi qu’elle s’est ren-
due en juin 2003 au Rwanda, pour une visite privée au cours de
laquelle elle a interviewé à la BBC le président Kagame, dont les
liens avec Londres s’étaient quelque peu distendus dernièrement avec
la démission de la ministre du Développement, qui fut toujours
parmi ses plus chauds partisans dans la capitale britannique.

Le DfID et la nouvelle priorité à l’Afrique


La création du DfID en mai 1997 fut une révolution dans les struc-
tures de l’aide au développement britannique. Elle en fut une aussi
par la priorité nouvelle accordée à l’Afrique par rapport à une tradi-
tion qui faisait des Etats de la péninsule indienne (Inde, Pakistan,
Bangladesh) les principaux bénéficiaires de l’appui financier de ce qui
était jusqu’alors l’ODA, assisté de la Commonwealth Development
Corporation (CDC), banque de développement publique que les tra-
vaillistes devaient privatiser et qui ne bénéficie plus de fonds du
ministère.

12) Il y a lieu de négliger les quelques mois passés comme Minister of Sta te a t the Foreign a nd
Commonwea lth Office par Brian Wilson, un Ecossais proche de Robin Cook mais peu au fait des réali-
tés africaines.

82 Afrique contemporaine - Automne 2003


Le sursaut africain du New Labour

La création du DfID correspondait à une volonté de se rapprocher de


l’objectif de 0,7 % du produit national brut (PNB) britannique
consacré à l’aide au développement, quoique celui-ci, pour l’exercice
budgétaire 2003-2004, n’ait encore été que de 0,33 %.
Parallèlement, alors que le total des allocations attribuées aux Etats
et aux régions dans l’ensemble du monde par le DfID au titre de l’ai-
de bilatérale britannique, encore à 736 millions de livres en 1997-
1998 – exercice budgétaire entamé le 1er avril ayant précédé l’arrivée
au pouvoir des travaillistes –, dépassaient ensuite 1 milliard de livres
dès 2000-2001 et s’approchaient de 1,5 milliard selon les prévisions
pour l’exercice 2003-2004. Cette augmentation, malgré tout limitée,
des programmes d’assistance bilatérale était encore beaucoup plus
spectaculaire pour l’Afrique subsaharienne ; ceux-ci ont plus que
doublé dans le même temps, passant de 297 millions de livres en
1997-1998 à 654,7 millions en 2002-2003 (estimations). L’Afrique
recevait désormais plus que l’Asie-Pacifique, l’autre grande région
bénéficiant en priorité de l’aide britannique, pour laquelle la pro-
gression simultanée des crédits bilatéraux du DfID n’était que de
256,1 à 443,3 millions (DfID 2000, p. 17-18 ; 2003, p. 124,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


tableau 1)13.

Cette nouvelle assistance financière au continent africain, qui doit


donc, selon Tony Blair (Blair 2002), passer à 1 milliard de livres en
2006, en augmentant de 50 % en moyenne pour l’ensemble des Etats
subsahariens par rapport à son niveau de 2002, reste en fait très
variable d’une année sur l’autre en faveur de tel ou tel pays. Elle n’est
pas dispensée véritablement en fonction de l’importance des liens
historiques avec la Grande-Bretagne ou du poids économique du
pays bénéficiaire bien que l’aire anglophone domine toujours d’une
manière écrasante dans les montants. Elle ressort de la logique de
lutte contre la pauvreté qui est restée constamment l’un des thèmes
dominant du discours ministériel de Clare Short comme de Gordon
Brown. Mais, plus précisément, c’est le retard – et surtout la volonté
– de développement (définie d’une manière qui reste qualitative et
toujours marquée par ce qui est considéré par le département comme
une "bonne" utilisation de l’aide) qui constitue le critère principal
d’allocation des crédits du DfID. L’Afrique australe, au sens étroit

13) Les comparaisons qui précèdent ont été faites exclusivement sur les programmes bilatéraux du DfID
(ou précédemment de l’ODA) par pays et régions, d’après les rapports annuels du ministère cités en réfé-
rence. Elles paraissaient le mieux s’adapter au propos poursuivi ici. Mais, en réalité, le plafond budgé-
taire global de ce département (Depa rtmenta l Expenditure Limits), défini par rapport à son secteur (a rea )
de responsabilité et incluant les contributions multilatérales britanniques, au titre de " Eliminating Poverty
in Poorer Countries & Conflict Prevention" selon les termes du rapport annuel pour 2003, dépasse à nou-
veau depuis 1998-1999 les 2 milliards de livres annuels, alors qu’il avait régressé à 1,9 milliard de livres
durant l’exercice budgétaire 1997-1998 (DfID 2000, p. 129, tableau 1), pour s’établir actuellement à 3,6
milliards (estimations 2002-2003). Il devrait passer à 4,5 milliards en 2005-2006 (DfID 2003, p. 125,
tableau 2).

Afrique contemporaine - Automne 2003 83


Le sursaut africain du New Labour

retenu par le ministère (Afrique du Sud, Botswana, Lesotho,


Namibie, Swaziland), quoique constituant le principal noyau – et de
loin – de force économique au sud du Sahara, est relativement peu
assistée en comparaison de son potentiel. Celle-ci l’est moins à elle
seule que l’un des Etats les plus pauvres du continent, le Malawi,
bénéficiant de 30,7 millions de livres en 1996-1997 (contre 30,4
pour toute l’Afrique australe), avant l’arrivée du New Labour au pou-
voir, puis de 52 millions en 2002-2003 (estimations, après un pic de
56 millions au titre de 2000-2001) contre 39,7 millions pour toute
l’Afrique australe lors du même exercice. Cette tendance devrait se
poursuivre dans les trois prochains exercices budgétaires, avec des
prévisions de 47 millions de livres en faveur du seul Malawi et 42
millions pour l’Afrique australe (DfID 2000, p. 131, tableau 5 ;
2003, p. 126, tableau 4 ; chiffres arrondis par nous).

Ces dernières années, les plus importants bénéficiaires de l’aide sur


programme du DfID étaient ainsi la Tanzanie (pour laquelle les allo-
cations annuelles, traditionnellement les plus hautes du continent –
au dessus de 60 millions de livres depuis 1999-2000 – devraient
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


même devenir les seules à dépasser les 100 millions de livres en
2005-2006), puis l’Ouganda (68,5 millions estimés pour 2002-
2003, contre 75 millions pour la Tanzanie) et le Ghana (chiffes assez
stables, autour de 60 millions), ainsi que le Malawi, précédemment
cité. Le Rwanda et la Sierra Leone reçoivent actuellement des mon-
tants annuels, de l’ordre de 30 à 40 millions de livres, qui demeurent
disproportionnés par rapport à leur taille géographique et à leur
importance économique, mais qui s’expliquent par une situation glo-
bale de post-conflit jusque dans les programmes bilatéraux par pays,
qui cependant demeurent distincts des crédits d’aide "humanitaire et
de prévention des conflits" (humanitarian and conflict prevention) gérée
par le DfID (l’enveloppe budgétaire globale, de l’ordre de 150 mil-
lions de livres en 2002-2003, devrait monter selon les prévisions au
delà des 300 millions en 2003-2004).

Parallèlement à ces remarquables efforts budgétaires du gouverne-


ment travailliste en faveur du développement africain (DfID 2000b,
2003), Clare Short décidait de mettre fin au système dit de l’aide
"liée", pratiqué encore par bien des bailleurs de fonds, en autorisant
ainsi l’allocation des crédits d’aide britannique à des biens et services
venus de tous les horizons.

Ces décisions étaient soutenues par une vision globale qui s’est expri-
mée principalement dans deux documents de synthèse : dès
novembre 1997, un premier "livre blanc" fut consacré au thème du
développement en général (DfID 1997), afin de mieux définir et

84 Afrique contemporaine - Automne 2003


Le sursaut africain du New Labour

d’une manière transparente les missions du nouveau ministère ; puis


un second parut en décembre 2000, traitant plus précisément de la
lutte contre la pauvreté dans une perspective de mondialisation (glo-
balization) acceptée comme telle (DfID 2000c).

Tout en demeurant typiques d’un engagement dans la tradition


"socialiste" – Clare Short se situant nettement à gauche du centrisme
de Tony Blair –, le vocabulaire ainsi que les idées d’un département
ministériel prolifique en documents de référence sont alors apparus
comme proches intellectuellement de ceux de la Banque mondiale,
avec une insistance, pour l’aspect social, sur la lutte contre la "pau-
vreté", les actions liées au "genre" (gender), et aussi l’idée que le déve-
loppement économique dépend de l’investissement privé, dans une
économie de marché libre. D’autre part, la ministre a pris en comp-
te, au delà du traitement technique de l’aide au développement, des
aspects plus proprement politiques avec une insistance sur le respect
des droits de l’homme mais aussi des jugements assez personnels (et
subjectifs pour ses adversaires) en faveur de tel ou tel gouvernement
africain. Enfin, c’est le DfID, et non le FCO ou le ministère des
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


Finances (HM Treasury), qui en vint à coordonner l’action intermi-
nistérielle britannique sur la dette, l’environnement ou le commerce.
Il le fait même au détriment de la Défense (Ministry of Defence, MoD)
pour le maintien de la paix et la prévention des conflits en Afrique,
dans la logique d’un programme, engagé en juin 1999, d’appui au
système de sécurité de Sierra Leone.

Plus récemment, Clare Short a fait de l’inégalité du commerce mon-


dial un de ses principaux thèmes polémiques, accusant tout particu-
lièrement les producteurs de sucre subventionnés des pays dévelop-
pés d’empêcher l’accès au marché international des producteurs du
Sud. Cette attitude a produit des déclarations officielles britanniques
qui n’ont pas favorisé les bonnes relations entre Londres et Paris à la
fin de 2002 et au début de 2003.

En réalité, la ministre s’est radicalisée dans les dernières années d’une


activité départementale qu’elle considérait comme essentiellement
offensive, dans un but général de lutte contre la pauvreté. A cet
égard, le heurt final avec Tony Blair était sans doute inévitable, crise
interne sur l’Irak ou non. Le départ de Clare Short du DfID a en fait
plus surpris par son caractère tardif que par un quelconque aspect
inattendu14.

14) Comme nous l’a dit un interlocuteur britannique au moment de la démission de C. Short, "there was
a writing on the wall" quant à l’avenir de sa participation au cabinet Blair.

Afrique contemporaine - Automne 2003 85


Le sursaut africain du New Labour

Sa forte personnalité à la direction d’un nouveau département minis-


tériel, doté d’un siège relativement éloigné – au 1 Palace Street
(contre Buckhingham Palace) – du carré administratif traditionnel de
Whitehall, et dont les effectifs de fonctionnaires avaient également
été renforcés par rapport à l’ancienne ODA15, lui avait aussi permis de
prendre la tête de la coordination interministérielle en Afrique, orga-
nisée en juillet 2000 sous la forme d’un Cabinet Sub-Commitee on
Conflict Prevention in Africa, regroupant le DfID, le FCO, le MoD, les
bureaux du Premier ministre (Cabinet Office) et les Finances et doté
d’un fonds d’intervention commun qui était de 50 millions de livres
(plus 90 millions pour les opérations de maintien de la paix) pour
l’année fiscale 2001-2002.

La ministre du Développement eut ainsi, d’une manière constante,


une influence déterminante sur la coopération militaire aussi bien
que civile de la Grande-Bretagne en Afrique (et notamment au
Rwanda, avec un soutien indéfectible au président Kagame, et en
Sierra Leone).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


C’est le département ministériel de la Défense qui restait cependant
le responsable direct de l’engagement militaire en Sierra Leone ainsi
que de divers programmes de formation technique en Afrique subsa-
harienne, assez comparables à ceux que la France maintenait de son
côté au sud du Sahara depuis les indépendances. Mais de telles
actions, devenues d’un caractère administratif assez routinier, furent
désormais beaucoup mieux encadrées dans une politique gouverne-
mentale globale envers l’Afrique avec l’action de la "constellation"
travailliste. C’est ainsi qu’en février 2001, la décision fut prise de
retirer l’équipe de formation installée depuis l’indépendance, en
1980, à Harare au Zimbabwe, compte tenu de la détérioration des
relations bilatérales.

Gordon Brown et l’IFF


Quant au chancelier de l’Echiquier, dont les relations avec le Premier
ministre, jusque dans leur aspect le plus personnel, suscitent nombre
d’interrogations dans l’opinion et la presse britanniques, son influence,
15) L’ODA était auparavant installée dans Victoria Street, près de la gare du même nom et plus loin enco-
re du quartier gouvernemental et de son esprit spécifique. Dans les dernières années de cette institution
administrative, ses effectifs, en Grande-Bretagne et à l’étranger, de "fonctionnaires" (Civil Service full time
employees), distincts des "occasionnels" ( ca sua ls) qui furent toujours très peu nombreux (moins de 100,
statut supprimé à partir de 2002-2003), avaient été réduits de 1481 en 1994-1995 à 1007 en 1997-1998,
avant de remonter sous l’impulsion travailliste et dans le nouveau cadre du DfID à 1093 dès l’exercice
suivant (correspondant à la première année complète du ministère plein) pour atteindre 1620 en 2002-
2003 (estimations) puis un sommet prévisionnel de 1 754 pour les exercices 2004-2005 et 2005-2006
(DfID 2000, p. 130, tableau 4 ; DfID 2003, p. 131, tableau 7).

86 Afrique contemporaine - Automne 2003


Le sursaut africain du New Labour

non moins forte que celle de Clare Short et également caractéristique


d’un courant beaucoup plus traditionnel du Labour que les options et
les attitudes propres à Tony Blair, l’a conduit à patronner des actions
qui ne sont pas limitées au domaine intérieur qui est de son ressort
propre. Il a montré en effet, d’une manière constante depuis 1997, son
intérêt pour les questions de développement et pour la priorité à
l’Afrique à cet égard, n’hésitant pas, contre la tradition du Treasury, à
augmenter d’une manière spectaculaire (comme on l’a vu plus haut),
les crédits dans ce domaine, sous forme d’une allocation budgétaire
sans cesse accrue en faveur du DfID – la CDC privatisée perdant depuis
son rôle ancien dans les prêts au développement de l’Afrique. Cette
implication du ministre et de son département est allée aussi jusqu’à
une étroite collaboration avec le DfID sur la question du traitement de
la dette africaine en 1999, soulignée tout particulièrement dans un rap-
port annuel de ce dernier ministère (DfID 2000, p. 13).

Au delà de cette générosité financière et de cette attention perma-


nentes, Gordon Brown est allé plus loin, à titre personnel, en lançant
en commun avec Clare Short, le 23 janvier 2003, l’International
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


Finance Facility (IFF), visant à doubler le montant des ressources dis-
ponibles pour l’aide au développement d’ici à 2015. Il s’agirait de
compenser le manque de ressources pour atteindre les objectifs du
Millénaire fixés par l’ONU (voir DfID 2003, p. 13, encadré 1a) en
doublant le montant global de l’aide publique au développement
(APD), actuellement de l’ordre de 50 milliards de dollars par an. Le
système proposé associerait des engagements officiels fermes et
contraignants (legally binding pledges) sur 15 ans de la part des pays
donateurs en faveur de pays en développement bénéficiaires, devant
respecter par ailleurs des règles de bonne gestion (comme des arriérés
chroniques envers le Fonds monétaire international [FMI]). Les res-
sources seraient obtenues par les donateurs sur le marché internatio-
nal des capitaux en jouant de la cotation AAA de leurs institutions
financières et de la crédibilité politique de leur engagement en faveur
du développement pour obtenir de faibles taux d’intérêt. Comme, à
partir de 2015, le remboursement de ces emprunts devra être comp-
tabilisé dans l’aide au développement, il est évident que cette propo-
sition correspond à un pari du gouvernement britannique : à défaut
d’une nouvelle prise de conscience internationale de la nécessité
d’augmenter l’APD durablement et à terme, franchir le plus rapide-
ment possible le seuil éloignant définitivement de la pauvreté dans
les pays en développement par un effort financier massif mais qui
serait encore transitoire sur 15 ans, permettant cependant d’accom-
plir, dans les domaines de l’éducation et de la santé notamment, les
progrès décisifs en ce sens.

Afrique contemporaine - Automne 2003 87


Le sursaut africain du New Labour

Ces propositions, qui ont déjà reçu l’approbation de principe de diri-


geants étrangers ne partageant pas nécessairement l’option socialiste
du Labour (comme l’actuel gouvernement français, et notamment le
ministre des Finances Francis Mer, d’ailleurs ancien chef d’entrepri-
se), ne vont pas sans poser un certain nombre de questions quant à
leur mise en pratique (intégration dans les canaux actuels de l’APD)
ainsi que sur leur fondement intellectuel lui-même. Il est trop tôt
cependant pour prédire l’avenir d’une telle initiative, tout comme il
demeure hors de la portée d’un article général sur la politique afri-
caine de la Grande-Bretagne de juger avec précision de la valeur des
arguments pour et contre l’IFF. Toutefois, il ne fait pas de doute que,
si elle était effectivement appliquée, elle irait bien au delà, par son
impact sur l’aide au développement dans son ensemble, de celle pro-
posée dans une déclaration conjointe par Tony Blair et Jacques Chirac
en septembre 2002 lors du sommet de Johannesburg : apporter sur
trois ans 100 millions d’euros supplémentaires chacun, France et
Royaume-Uni, qui seront utilisés sur les marchés financiers afin de
mobiliser des financements privés en faveur de l’Afrique (Chirac et
Blair 2002).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


Les aspect s diplomat iques : succès et
échecs
Ce serait cependant une profonde erreur que de réduire la nouvelle
politique africaine du Royaume-Uni à une préoccupation exclusive
pour les questions de développement, vues dans une perspective de
lutte contre la pauvreté, augmentée certes d’un souci croissant de
prévention des conflits. Elle comprend, bien entendu, comme n’im-
porte quelle politique où que ce soit dans le monde, des aspects pro-
prement diplomatiques, qui relèvent de la vision internationale du
Premier ministre (incluant fortement l’Afrique chez Tony Blair, à la
différence de Margaret Thatcher et même de son prédécesseur direct
John Major), mais aussi de l’action toujours attentive et prudente du
Foreign Office.

Si ce dernier ne dispose pas des moyens financiers que possède par


exemple son équivalent français, le Quai d’Orsay (ayant même repris
le budget de l’ancien ministère de la Coopération depuis 1998) qui
lui permet de prolonger l’action diplomatique par des incitations
financières dans le domaine du développement, et si, de ce fait, le
DfID tend parfois à empiéter sur le domaine proprement politique
(ce qui ne facilitait pas les relations de part et d’autre de St James’
Park du temps de Clare Short) au détriment du FCO, celui-ci dispose

88 Afrique contemporaine - Automne 2003


Le sursaut africain du New Labour

néanmoins de 33 représentations diplomatiques en Afrique et a lui


aussi fait preuve d’une activité nettement renouvelée depuis la réin-
tégration de l’Afrique du Sud dans le concert africain avec la fin de
l’apartheid en 1994. La normalisation des relations avec ce pays, réin-
tégré rapidement dans le Commonwealth, fut alors suivie d’une
extension de cette communauté internationale au Cameroun et au
Mozambique (comme signalé précédemment), ainsi que du dévelop-
pement des liens diplomatiques avec l’Afrique francophone, ce dont
a témoigné par exemple l’ouverture d’un ambassade britannique à
Bamako, au Mali, en 2001.

Saint-Malo et le dialogue avec la France


Enfin, la Grande-Bretagne de Tony Blair décidait aussi de renouveler
l’esprit de l’"entente cordiale" avec la France dans le domaine subsa-
harien, un siècle environ après l’incident de Fachoda qui avait failli
conduire à la guerre entre les deux pays au moment de la formation
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

de leurs empires coloniaux modernes16. Dans la suite d’une amorce de

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


dialogue franco-britannique déjà engagé par John Major lors d’un
sommet bilatéral à Chequers, mais bien au delà de cette modeste ini-
tiative, les accords de Saint-Malo, en décembre 1998, ont défini le
cadre d’une politique africaine commune de Londres et de Paris.
Depuis cette date, les sommets franco-britanniques de Cahors (février
2001) et du Touquet (février 2003), ont confirmé, conformément aux
engagements pris, le dialogue des deux diplomaties (FCO, Quai
d’Orsay), ce qui, a priori, n’allait pas de soi. L’on notera tout particu-
lièrement une affirmation de la déclaration commune du Touquet
selon laquelle, dans l’esprit de Saint-Malo et de Cahors, "la coopéra-
tion franco-britannique dans les pays de l’Afrique subsaharienne peut
être une force motrice pour l’Union européenne" (Ministère des
Affaires étrangères 2003).

Ce rapprochement des deux principaux colonisateurs de l’Afrique aux


XIX e et XX e siècles s’est traduit par des visites ministérielles com-
munes dont le programme et le déroulement depuis 1999 n’ont pas
toujours été aussi aisés que prévu. En dépit des intentions déclarées,
les analyses de situation ont aussi différé parfois fortement dans les
deux capitales, sur des dossiers comme celui du Rwanda et de la
République démocratique du Congo (RDC) surtout jusqu’au départ
de Clare Short, ou encore de la Sierra Leone et de la Guinée (tout par-
ticulièrement en 2001) et du Zimbabwe (question récurrente en

16) Signalons que, par ailleurs, le centenaire de l’"entente cordiale" sera célébré officiellement en 2004.

Afrique contemporaine - Automne 2003 89


Le sursaut africain du New Labour

Grande-Bretagne, comme on le verra). Pourtant cette coopération


nouvelle et toujours prometteuse (en dépit du maintien de diffé-
rences culturelles sensibles entre les deux partenaires) a su résister à
l’alternance politique en France en 2002 comme à la crise internatio-
nale sur l’Irak du début 2003. Elle va bien au delà d’un dialogue nor-
mal et minimal entre membres de l’Union européenne et demeure
certainement un facteur de stabilisation sur un continent africain que
la fin de la polarisation Est-Ouest a très profondément perturbé tant
au niveau des équilibres nationaux internes que des relations inter-
nationales.

Plus que des annonces comme celle de Johannesburg évoquée plus


haut, l’un des effets le plus visibles d’une telle convergence, quoique
à vrai dire indirect par rapport à l’esprit et à la lettre de Saint-Malo,
se situe certainement dans le souci partagé de contenir avec des
moyens militaires appropriés l’anarchie qui gagnait ces derniers
temps en Afrique de l’Ouest : à l’engagement britannique en Sierra
Leone depuis mai 2000 a répondu de la part de la France son déploie-
ment en Côte d’Ivoire à partir de septembre 2002. A cet égard, l’at-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


titude des deux capitales européennes diffère profondément de l’es-
prit dans lequel ces problèmes sont toujours abordés à Washington,
comme on l’a vu dernièrement à propos du Liberia.

Portée et limites d’une implication politique


En termes d’impact sur les enjeux politiques intérieurs, à l’arrivée au
pouvoir de Tony Blair, le Royaume-Uni avait les coudées franches
pour relancer ses relations bilatérales avec l’Afrique. En dépit des ten-
tations de M. Thatcher, la lutte anti-apartheid avait été maintenue
sans faiblesse, conformément aux vœux de l’opinion, des Eglises et
des milieux universitaires. La solidarité avec le Commonwealth avait
aussi survécu, largement grâce à la monarchie, et le passage au pou-
voir du général Abacha au Nigeria avait permis de consolider une
alliance contre lui entre Commonwealth "blanc" (Australie, Canada,
Nouvelle-Zélande) et "noir", au moment de ses pires excès répressifs
en 1995.

90 Afrique contemporaine - Automne 2003


Le sursaut africain du New Labour

Plus tard, les scandales politico-financiers auxquels furent confrontés


les travaillistes concernèrent la communauté indienne de Grande-
Bretagne (affaire Hinduja17) et non pas, comme en France avec par
exemple l’affaire Elf, des milieux africains. La fourniture clandestine
d’armes au gouvernement sierra-léonais en 1998 au su du Foreign
Office (en violation de l’embargo voté à la demande du Royaume-Uni
à l’ONU), épisode connu sous le nom d’affaire Sandline, embarrassa
certes considérablement Robin Cook (voir notamment Hirsch 2001,
p. 67), qui n’hésita pas à attribuer la responsabilité de ces erreurs aux
seuls diplomates. Ce serait, selon une analyse devenue courante à
Londres, pour échapper au reproche justifié d’envoyer des merce-
naires afin de soutenir ses alliés en Sierra Leone que Tony Blair aurait
décidé de dépêcher des forces spéciales dans ce pays lorsqu’en mai
2000 des Casques bleus à peine débarqués furent pris en otage par les
rebelles du Revolutionary United Front (RUF)18.

Néanmoins, cette mesure, prise par le Premier ministre durant un


bref "congé de paternité" qu’il s’était attribué, fut très efficace dans
ses effets immédiats et devint comme le symbole de la volonté de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


redressement de l’Afrique manifestée à Londres. En dépit des craintes
initiales de l’opinion intérieure et internationale, cette intervention
globale, à la fois militaire, administrative et de développement socio-
économique, dont l’administration britannique devait tirer ensuite
des leçons précises sous forme de documents internes19, eut un impact
indéniable en faveur d’un nouvel interventionnisme européen en
Afrique. Il est, en effet, permis de se demander si elle n’influença pas
la réaction française à la nouvelle tentative de renversement du régi-
me en Côte d’Ivoire en septembre 2002 aussi bien que la décision de
l’Union européenne d’intervenir militairement en juin 2003 en Ituri
(RDC) pour stopper la perpétuation des massacres à Bunia.

Quant à la dégradation des relations bilatérales avec le Zimbabwe


depuis 1997, l’opinion et la presse britannique n’en tiennent guère
rigueur aux travaillistes. Ils reprochent au contraire une certaine mol-
lesse envers Robert Mugabe, présenté généralement comme le type

17) En 2001, Peter Mandelson, secrétaire d'Etat à l'Irlande du Nord, fut poussé à la démission, soupçon-
né d'avoir aidé le milliardaire indien Srichand Hinduja à obtenir un passeport britannique en échange
d'une enveloppe de 1 million de livres (1,4 million d'euros) pour le Parti travailliste. Le scandale Hinduja
a entraîné également le renvoi du secrétaire d'Etat à l'immigration, Mike O'Brien, en 2001. Keith Vaz, un
autre secrétaire d'Etat impliqué dans l'affaire Hinduja, fut renvoyé après la réélection triomphale de Tony
Blair la même année.

18) Observation personnelle faite à de multiples reprises.

19) A la fois une note de bilan à diffusion restreinte par le FCO en 2002 et de très nombreux documents,
dont des enquêtes de consultants, de la part du DfID.

Afrique contemporaine - Automne 2003 91


Le sursaut africain du New Labour

même du dictateur africain impitoyable et irréaliste20, et ceci en dépit


de déclarations régulièrement très dures à Londres, de la part des dif-
férents ministres (notamment P. Hain et C. Short) contre le régime
d’Harare, puis des tentatives réelles (qui devaient échouer courant
2002) pour persuader le président zimbabwéen de céder le pouvoir.

Cependant, cette confrontation stérile avec le Zimbabwe demeure


sans conteste le principal échec de la nouvelle politique africaine du
Royaume-Uni. Celui-ci fut manifeste le 2 septembre 2002 à
Johannesburg, lorsque, du haut de la tribune officielle du sommet de
laTerre, le président Mugabe apostropha Tony Blair assis dans la salle
parmi les autres participants pour lui dire de "garder sa Grande-
Bretagne et de lui laisser son Zimbabwe". Au delà de cet incident
diplomatique sans précédent (qui devait d’ailleurs laisser impassible
le Premier ministre britannique), la véritable limite de cette poli-
tique se situe dans l’impossibilité où se trouva le New Labour d’obte-
nir une condamnation ferme de Robert Mugabe par les chefs d’Etat
africains du Commonwealth, en tout premier lieu d’Afrique du Sud
et du Nigeria.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


En dépit des pressions récurrentes des Britanniques, l’on se trouva
ainsi dans une situation contrastant fortement avec celle de l’union
contre le général Abacha naguère. Cela donne à réfléchir sur l’effica-
cité d’une attitude trop déterminée et passionnelle, ne laissant guère
de place à une écoute des autres, travers exprimé à nouveau tout au
long de l’affaire irakienne par le Premier ministre travailliste et son
entourage proche. Au delà, c’est même toute la politique du Labour
envers l’Afrique qui serait remise en question, selon une analyse
récente de spécialistes des relations internationales soulignant "les
limites de l’engagement" (Taylor et Williams 2002).

Ce jugement sévère ne doit pas faire oublier les succès ni, plus encore,
l’originalité de la nouvelle politique britannique en Afrique subsaha-
rienne. Quoique la guerre contre l’Irak et sa phase préparatoire ait
confirmé, à la fin de 2002 et au début de 2003, dans les domaines
politique, diplomatique ou même médiatique, l’ambition actuelle
exprimée par certains de constitution d’une "anglosphère", qui serait
un nouveau Commonwealth, fonctionnant sur un mode de réseau
(network) plus que d’alliance politique classique entre Etats et repo-
sant historiquement sur une forme commune de civilisation (Bennett
2002), il convient de souligner nettement que la politique africaine

20) Un "despote" selon l’ éditorial de l’hebdomadaire dominical de gauche l’Observer du 25 février 2001,
par exemple, appelant alors le gouvernement britannique à contribuer à son renversement rapide.

92 Afrique contemporaine - Automne 2003


Le sursaut africain du New Labour

du New Labour, malgré ses liens idéologiques avec les ambitions des
New Democrats américains, s’est dégagée très sensiblement, sur des
points importants (interventions militaires, alliance privilégiée avec
la France, souci du cadre étatique en Afrique par exemple) de celle
qui fut poursuivie par Bill Clinton. L’on pourrait même se demander
si l’augmentation de l’APD américaine, décidée contre toute attente
par le président George W. Bush, aurait effectivement eu lieu sans le
notable précédent britannique.

Malgré la vision unipolaire du monde défendue par son Premier


ministre, en aucun cas ces dernières années la Grande-Bretagne ne
s’est comportée en Afrique (à la différence de l’impression qu’elle a
parfois donné sur l’Irak) comme une simple exécutante des volontés
américaines, tout en demeurant bien sûr influencée par ces dernières
(dans les négociations sur la Sierre Leone notamment ; voir
Châtaigner 2001, Hirsch 2001). La politique africaine est sans doute
ainsi l’un des domaines dans lesquels Tony Blair est demeuré
constamment le plus sincère dans sa volonté personnelle, sans cesse
proclamée, d’installer la position britannique à mi-chemin de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


l’Europe et de l’Amérique, et de servir d’intermédiaire constant dans
la compréhension mutuelle de part et d’autre de l’Atlantique.

Simultanément, le gouvernement travailliste a su insuffler au sein de


l’administration britannique un esprit nouveau dans la prise en
compte et l’analyse des réalités africaines. Le principal résultat en est
certainement la prise de conscience rapide de l’impact des conflits au
sud du Sahara durant la dernière décennie et de la nécessité d’une
approche régionale (et non pas simplement nationale), même dans le
cas de guerres civiles. Dans ses aspects pratiques et pour ainsi dire
curatifs, le New Labour a su faire partager progressivement aussi à ses
partenaires internationaux l’idée que cette approche globale (allant
de l’appui économique et des préoccupations sociologiques ou diplo-
matiques au traitement direct des questions militaires) exigeait
d’être menée avec vigueur par un pays leader. Enfin, dans l’organisa-
tion intérieure, cet effort a été effectué d’une manière extrêmement
efficace sur le principe, novateur lui aussi, d’une coopération inter-
ministérielle constante21.

21) Le meilleur exemple en est la note de cadrage de 2001 sur les "causes des conflits en Afrique" (DfID,
FCO, MoD 2001) dont le texte n’a pas vieilli.

Afrique contemporaine - Automne 2003 93


Le sursaut africain du New Labour

L’épreuve de la durée et du renouvellement

L’application de cette politique parfois spectaculairement efficace,


comme en Sierra Leone en 2000-2001, se trouve maintenant confron-
tée à l’épreuve de la durée : comment, au delà des interventions
conjoncturelles et sans faux semblants médiatiques ni expériences
trop limitées dans l’espace pour demeurer pleinement valables,
contribuer à l’émergence d’une stabilité durable au sud du Sahara ?
Comment se comporter en ancienne puissance coloniale à nouveau
consciente de ses responsabilités, mais voulant cependant travailler
dans un cadre sans cesse actualisé de solidarité internationale, en
authentique partenariat avec des Africains22 ? Comment résister
d’autre part à la crise interne du New Labour, celle-ci ne pouvant épar-
gner par miracle la politique africaine et conduisant à s’interroger sur
la sincérité d’un Premier ministre que l’on découvre dominé par le
souci de son image et qui, au delà des déclarations passionnelles, s’est
assez peu rendu en fin de compte au sud du Sahara ?
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


Ces interrogations générales induisent aussi des remarques plus pré-
cises : dans le traitement du problème sierra-léonais, par exemple,
l’identification de la "corruption" comme la cause fondamentale de la
crise traversée par le pays n’est-elle pas une simplification à l’extrême
de la problématique locale par la classe politique et l’administration
britanniques ? C’est ce que conduisent à penser les résultats de tra-
vaux universitaires récents comme ceux de Paul Richards et
Marianne Ferme en anthropologie, ou encore de Christopher
Clapham et Stephen Ellis en politologie. Au Rwanda également, le
soutien politique et financier au président Kagame pose inévitable-
ment la question de la nature autoritaire et militairement répressive
de son régime, que les ONG britanniques ne sont pas les dernières à
soulever aujourd’hui. Que devient dans de telles conditions la valeur
effective de l’engagement "éthique" du Labour en matière de relations
internationales ? Avec le temps, le gouvernement de Tony Blair n’a-
t-il pas tenu de moins en moins compte de la sensibilité de la société
civile britannique ? En ce qui concerne le dialogue avec le
Commonwealth, ne se trouve-t-on pas une fois de plus en Grande-
Bretagne dans une situation où le gouvernement (et non pas les ins-
titutions et notamment la souveraine) a fini par négliger de consoli-
der des liens, qu’il tenait sans doute pour acquis, avec les membres

22) Voir à ce sujet les réflexions de Simon Maxwell et Karin Christiansen, soulignant notamment les
efforts britanniques au Rwanda, avec l’approche "innovative" d’un memora ndum of understa nding signé
par le DfID, prévoyant "a review of action by both sides" de la part d’un consultant extérieur (Maxwell
et Christiansen 2002, p. 489). Sur la question de l’intervention des anciennes puissances coloniales et de
la souveraineté des Etat, l’on consultera le long article, à perspective historique, de Daniel Philpott (2001-
2002).

94 Afrique contemporaine - Automne 2003


Le sursaut africain du New Labour

africains de cette institution, ce qui l’a conduit directement à une


confrontation larvée avec ces derniers ? Enfin, dans la pratique même
de la politique d’aide au développement, les travaillistes n’accordent-
ils pas désormais trop aisément des crédits à des Etats dont la répu-
tation de "bonne gouvernance" mériterait d’être examinée plus atten-
tivement ? La privatisation et le rôle nouveau de la CDC n’ont-ils pas
privé désormais le système de coopération britannique des capacités
techniques pour lancer ou maintenir des programmes de développe-
ment dans des domaines très spécifiques comme l’agriculture par
exemple23 ? Ne faudrait-il pas innover aussi sur ce point et les grandes
visions, indispensables en soi, ne doivent-elle pas accorder une place
au réalisme quotidien dans cette tâche multiforme et de longue halei-
ne qu’est en réalité l’effort international d’aide au développement ?

Telles sont en bref les questions multiples qui se posent dès mainte-
nant à Londres sur l’avenir de la politique africaine du Royaume-Uni
et ses soubassements. Il est clair qu’une marche presque automatique
derrière les succès les plus nets du premier mandat travailliste ne suf-
fira pas à y répondre et que l’imagination sera nécessaire à nouveau,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


dans une conjoncture internationale devenue bien différente de celle
de 1997.

Référ ences bibliographiques


Bennet, J. (2002), "America and the West. The Emerging Anglosphere", Orbis,
vol. 46, n° 1, hiver, p. 111-126.
Blair, T. (2002), Discours au sommet de Johannesburg (PM's speech to WSSD in
South Africa), 2 septembre, Londres, 10 Downing Street.
Buller, J. et V. Harrison (2000), "New Labour as a “Good International Citizen” :
Normative theory and UK foreign policy", p. 77-89, dans R. Little et M.
Wickham-Jones (dir.), New Labour’s Foreign Policy. A new moral crusade ?,
Manchester/New York, Manchester University Press.
Cannadine, D. (2000), Class in Britain, Londres, Penguin Books (1 ere édition,
1998, New Haven/Londres, Yale University Press).
Châtaigner, J.-M., 2001, "Le Conseil de sécurité de l’ONU et la Sierra Leone :
d’une crise à l’autre (mai 1997-mai 2000)", Afrique contemporaine, n° 198, avril-
juin, p. 29-50.

23) Cette dernière interrogation a été spontanément exprimée à l’auteur par des interlocuteurs britan-
niques en janvier 2003 à Londres.

Afrique contemporaine - Automne 2003 95


Le sursaut africain du New Labour

Chirac, J. et T. Blair (2002), Déclaration de Monsieur Jacques Chirac, président de la


République, et de Monsieur Tony Blair, Premier ministre du Royaume-Uni de Grande-
Bretagne et d’Irlande du Nord, sur les financements innovants au service du développement
durable, Johannesburg, 2 septembre, disponible sur <www.elysee.fr>.
Cook, R. (1997), British Foreign Policy, déclaration du 12 mai, Londres, FCO.
Cracknell, D. (2003), "Lost on the Third Way to Nowhere", The Sunday Times, 13
juillet, p. 12-13.
DfID (1997), Eliminating World Poverty : A Challenge for the 21st Century. White
Paper on International Development, Londres, Sationery Office, novembre.
DfID (2000a), Departmental Report 2000, Londres, Sationery Office, avril.
DfID (2000b), Viewing the World. A Study on British television coverage of developing
countries, Londres, Sationery Office, juillet.
DfID (2000c), Eliminating World Poverty : Making Globalization Work for the Poor.
White Paper on International Development, Londres, Sationery Office, décembre .
DfID (2003), Departmental Report 2003, Londres, Department for International
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

Development, Sationery Office, avril

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


DfID, FCO, MoD (2001), The Causes of Conflict in Africa. Consultation document,
Londres, Sationery Office, mars.
The Economist (2003), "Unholy Orders. The anti-gay lobby has got the
Archbishop of Canterbury rattled", 12-18 juillet, p. 35.
Gaulme, F. (1998), "Les nouvelle orientations de l’aide publique au développe-
ment", Afrique contemporaine, n° 188, octobre-décembre, p. 101-118.
Gaulme, F. (2001), Intervenir en Afrique ? Le dilemme franco-britannique, Paris, Ifri,
"Note de l’Ifri", n° 34, octobre.
Hargrove, C. (1994), La Reine. Le mythe et la réalité, Paris, Perrin.
Hennessy, P. (2000), The Prime Minister. The Office and its Holders since 1945,
Londres, Allen Lane/Penguin Press.
Hirsch, J. (2001), Sierra Leone : Diamonds and the Struggle for Democracy, Boulder,
Lynne Rienner, International Peace Academy Occasionnal Paper.
The House of Lords Daily Hansard (2002), Londres, 11 décembre.
The House of Lords Daily Hansard (2003), Londres, 3 avril.
Maxwell, S. et K. Christiansen (2002), "“Negociation as Simultaneous
Equation” : Building a new partnership with Africa", International Affairs,
n° 78/7, p. 477-491.
Ministère des Affaires étrangères (2003), "Décalaration sur la coopération franco-
britannique en Afrique", Déclarations officielles, Sommet franco-britannique, Paris,
4 février.

96 Afrique contemporaine - Automne 2003


Le sursaut africain du New Labour

Philpott, D. (2001-2002), "Liberalism, Power, and Authority in International


Relations : On the Origins of Colonial Independence and Internationally
Sanctionned Intervention", Security Studies, vol. 11, n° 2, hiver, p. 117-163.
Rouvez, A. (1994), Disconsolate Empires. French, British and Belgian Military
Involvment in Post-Colonial Sub-Saharan Africa, Lanham, University Press of
America.
Schraeder, P. (2001), "“Forget the Rethoric and Boost the Geopolitics” :
Emerging trends in the Bush administration’s policy towards Africa", African
Affairs, vol. 100, n° (400), juillet, p. 144-157.
Schraeder, P. (2001), "“Finie la rhétorique, vive la géopolitique” : première ten-
dances de la politique africaine de l’administration Bush (2001)", Politique
africaine, n° 82, juin, p. 133-150.
Strober, D. et G. (2002), The Monarchy. An Oral History of Elizabeth II, Londres,
Hutchinson.
Taylor, I. et P. Williams (2002), "The Limits of Engagement : British Foreign
policy and the crisis in Zimbabwe", International Affairs, vol. 78, n° 3, p. 547-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur

565.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.134.23 - 07/01/2014 14h47. © De Boeck Supérieur


Wickham-Jones, M. (2000), "Labour’s Trajectory in Foreign Affairs : The moral
crusade of a pivotal power ?", dans R. Little et M. Wickham-Jones (dir.), New
Labour’s Foreign Policy. A new moral crusade ?, Manchester/New York, Manchester
University Press, p. 3-32.
Thatcher, M. (2002), Statecraft. Strategies of a Changing World, Londres, Harper
Collins.

Afrique contemporaine - Automne 2003 97

Vous aimerez peut-être aussi