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- Et c’est le cas. Ils n’ont donc aucune autre perception du visible que la
médiation des ombres, et nulle autre de ce qui est dit que celle des ondes.
Si même on suppose qu’ils inventent des moyens de discuter entre eux,
ils attribuent nécessairement le même nom à l’ombre qu’ils voient qu’à
l’objet, qu’ils ne voient pas, dont cette ombre est l’ombre ;
- Et, remarque Amantha, en un certain sens elles le sont : une ombre que
valide une expérience répétée n’est-elle pas plus « réelle » qu’une
soudaine poupée dont on ignore la provenance ?
- Merci, jeune fille. Ferais-tu comme lui ? Car notre anonyme, appliquant
sa pensée à ce qu’il voit, démontre que de la position apparente du soleil
dépendent les heures et les saisons, et qu’ainsi l’être-là du visible est
suspendu à cet astre, si bien qu’on peut dire : oui le soleil est le régent de
tous les objets dont nos anciens voisins, les spectateurs de la grande salle
fermée, ne voient que l’ombre d’une ombre. Evoquant ainsi sa première
demeure – l’écran, le projecteur, les images artificielles, ses compagnons
d’imposture -, notre évadé involontaire se réjouit d’en avoir été chassé et
prend en pitié tous ceux qui sont restés cloués sur leurs fauteuils de
visionnaires aveugles.
- Oh ! Socrate ! Je vous voit avec ravissement vous cacher, vous aussi,
derrière Homère, se moque Amantha.
- │le retour dans la caverne│Si nous imaginions, coupe Glauque redoutant une
querelle, que notre évadé, redescend réellement dans la caverne ?
- Il y sera forcé, dit gravement Socrate. En tout cas, s’il regagne sa place,
ce sont cette fois les ténèbres qui, après l’illumination solaire, l’aveuglent
soudain. Et si, avant même que ces yeux soient réaccoutumés à l’ombre,
il entre en compétition avec ses anciens voisins, qui n’ont jamais quitté
leur fauteuil, pour anticiper le devenir de ce qui est projeté sur l’écran, il
sera à coup sûr le comique de la rangée. On murmurera partout qu’il n’est
sorti et monté si haut que pour revenir myope et stupide. Conséquence
immédiate : plus personne n’aura la moindre envie de l’imiter. Et si,
hanté par le désir de partager avec eux l’Idée du soleil, l’Idée du Vrai
visible, il tente, lui de les détacher et de les conduire pour que, comme
lui, ils sachent ce que c’est que le jour nouveau, je crois qu’on s’emparera
de lui et qu’on le tuera.
- Vous y allez fort ! dit Glauque.
- C’est qu’un de ces devins minables dont se moquait hier soir ta sœur me
l’a annoncé : on me tuera moi Socrate, parce qu’à soixante-dix ans je
m’obstinerai encore à demander où est la sortie de ce monde obscur, où
est le vrai jour.
"Imaginez , dit Socrate, des prisonniers dans une caverne souterraine, qui
ont derrière eux un feu, et sont attachés d'une façon telle qu'ils ne puissent
voir sur le mur d'en face, que les ombres de marionnettes manipulées au-
dessus d'un mur situé dans leur dos".
Ils pensent qu'il n'y a rien d'autre à voir, que ces ombres sont réelles, car ils
ont toujours connu ce monde. Ils ne sont pas malheureux.
Les ombres sur le mur de la caverne sont nos opinions et nos préjugés, fondés
sur notre expérience sensible et sur la force de l'habitude (représentés dans
l'Allégorie par les chaînes qui entravent les prisonniers)
Le prisonnier qui n'était pas malheureux de son sort, qui n'avait pas connu
autre chose que la pénombre de la caverne, ne comprend pas ce qui lui
arrive, d'autant moins que ce "retournement" est douloureux et pénible. Ses
yeux n'étant pas habitués à contempler autre chose que l'obscurité, il est
ébloui et aveuglé par la moindre source de lumière. Cependant lorsque ces
yeux se seront habitués et qu'il pourra distinguer les formes des marionnettes,
il n'aura pas plus de repères, il saura pas plus ce qui est réel, si ce sont les
ombres de la caverne ou ces objets qui se présentent désormais à lui.
Ce n'est qu'ensuite au terme d'un long apprentissage, une fois que ses yeux se
seront accoutumés à la luminosité, qu'il pourra regarder ces objets
directement, sous la lumière du soleil et pourra même tourner son regard vers
le soleil lui-même.
Il faut se souvenir ici que pour Platon, le but de la connaissance n'est pas la
connaissance en elle-même mais la justice et le bonheur qu'elle procure
concrètement.Tel est le sens de l'activité philosophique.
Interprétation de l'Allégorie
L'homme qui se met à penser y est décrit comme celui qui rompt avec les
liens de la conformité à l'expérience ordinaire et à l'opinion reçue.
La progression vers l'état éclairé (vers la vérité) y est décrite comme un voyage
de l'obscurité vers la lumière. Après avoir été délivré de ses liens, celui qui
remonte péniblement de la Caverne vers la surface doit fournir un effort
maximal qui n'est pas sans douleur. Ce voyage prend la forme d'une
conversion de l'individu dans tout son être, une conversion qu'il éprouve dans
son corps et qui le transforme en profondeur. En effet, celui qui se met à faire
usage de son esprit, fait quelque chose pour lui-mêmes. Il prend soin de lui-
même (ce qui est une des maximes socratiques : "Prends soin de toi").
• En parallèle, Platon dresse un tableau très pessimiste de ceux qui ne sont
pas éclairés par la philosophie. Impuissants et passifs, ils sont manipulés par
d'autres (les marionnettistes). Bien pire, ils sont habitués à cet état et ils
l'aiment ( link), résistant à tout effort qui viserait à les en libérer. Leur
satisfaction est une sorte de conscience aveugle de leur état car ils ne peuvent
même pas reconnaître la vérité de leur condition pour y réagir.
• Pour Platon ce qui est n'est pas ce qui nous apparaît. L'Être ne se
réduit pas à ce qui apparaît ou se qui se manifeste dans la
perception (to phainoménon).
L'apparence est "habitée" par l'être mais elle n'en est qu'une copie ou une
réalisation imparfaite et dégradée. Par exemple le cube de bois que je tiens
dans ma main n'est que la réalisation imparfaite de l'idée vraie du cube qui
permet d'appréhender tous les cubes existants. En effet, pour comprendre que
cet objet que je tiens dans ma main est un cube, j'ai besoin d'avoir l'Idée de
l'être du cube. Ainsi l'être du cube se réalise dans le cube en bois qui apparaît
dans ma main, mais ce cube de bois n'est qu'une des apparitions possibles de
l'être du cube, il n'est pas LE cube. De même l'artisan qui construit un lit doit
posséder une règle (l'Idée du lit) qui lui permet de diriger ses gestes.
• Ce qui définit l'Idée c'est donc sa validité générale. Ce qui implique
qu'elle doive être complètement indépendante du monde sensible, qu'elle ne
doivent rien à autre chose qu'elle même. Attention pour Platon (et c'est là la
difficulté) l'idée n'est pas une simple construction intellectuelle
conventionnelle et abstraite (comme par exemple les figures géométriques),
car dans ce cas elle ne serait encore qu'une "image" mentale du cube. L'idée
possède une réalité.
→ Dans la caverne, le prisonnier ne voit que des copies et des images. Il n'a
accès qu'à la forme la plus dégradée de l'être.
Rien nous dit Platon. Dans la région du monde visible, que nous soyons
dans la Caverne, ou à l'extérieur de la Caverne, nous appréhendons les choses
par l'intermédiaire de notre expérience sensible. Aussi rien ne nous garantit
que les objets que nous percevons aient plus de réalité que leurs ombres. Ici
Platon remet en question les fondements de l'évidence qui identifie
l'être et l'apparence.
Prenons par exemple un souffle de vent. Il est possible que sous le même
souffle de vent l'un frissonne et l'autre pas. Si chaque homme possède sa
propre vérité, que dirons nous de ce souffle de vent ? Qu'il est froid ou qu'il
n'est pas froid ? Qu'il est froid pour celui qui frissonne et qu'il n'est pas froid
pour celui qui ne frissonne pas ? A moins que les chose puissent à la fois être
et n'être pas, nous voilà fasse à une contradiction.
http://www.aline-louangvannasy.org/article-l-allegorie-de-la-caverne-platon-
la-republique-lvii-111715935.html
liens :
ww.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-caverne-de-platon-ou-la-
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Ainsi l’illusion est totale : sensations visuelles et auditives les induisent en erreur
en leur faisant prendre des vessies pour des lanternes. L’écho sonore est la
copie illusoire de la voix, comme l’ombre est l’imitation fugace de l’objet. La seule
chose que perçoivent les captifs, c’est l’occurrence troublante de phénomènes
dont ils ignorent l’origine. Tout ce qu’ils appréhendent, c’est la succession plus ou
moins régulière de ces ombres fugitives. Dans la caverne, le faux-semblant
règne en maître : c’est le domaine flou de l’apparence, du chatoiement trompeur,
du clair-obscur perpétuel. Platon aurait-il prophétisé l’aliénation télévisuelle ?
Ensorcelée par l’écran, abreuvée de simulacres, la conscience abusée par sa
propre clôture prête une réalité à ce qui n’en a pas.
Cette existence captive évoque même une sorte d’envoûtement, la voûte de la
grotte figurant la clôture mentale des prisonniers. Or la caverne est le modèle
réduit d’un monde qui est le nôtre. « Ces étranges prisonniers sont semblables à
nous », dit Socrate. D’abord image statique, miroir glacé de notre aliénation
mentale, la caverne de Platon se met en mouvement. L’allégorie se fait mythe,
récit, fiction narrative. En effet, « que se passerait-il si l’un des prisonniers était
détaché ? » Cette hypothèse permet d’enchaîner la description de trois moments
successifs : la captivité, la libération et le retour.
Cet arrachement libérateur signifie aussi que le cheminement vers le vrai est une
violence exercée contre soi-même. Aucun mouvement spontané ne nous guidera
jamais vers la sortie, et pourtant il faut secouer ses chaînes si l’on veut
s’échapper de la prison. En outre, cette libération suppose un aveuglement
temporaire. Le captif à peine délié est doublement ébloui par le feu intérieur, puis
par le soleil extérieur. C’est la deuxième leçon : au fond, toute émancipation
suppose la traversée d’un aveuglement. Mais au terme de ce passage aveugle,
le captif libéré se donne une nouvelle façon de voir : la vision en plein jour
succède au tâtonnement dans la pénombre.
C’est la quatrième leçon : le monde dont la caverne est la métaphore, qui est le
monde de l’expérience concrète, n’est pas frappé d’irréalité, mais entaché d’une
sorte d’inconsistance cognitive. Si nous nous en tenons à la perception sensible,
nous ne saisissons aucun objet réel, mais un flux ininterrompu réfractaire à toute
détermination. C’est pourquoi l’expérience sensible est en défaut par rapport à la
vérité et source d’insatisfaction intellectuelle : non pas pour les captifs qui
s’accommodent de leur sort et prennent leur opinion pour le savoir, mais pour le
philosophe en quête de la vérité.
La visibilité de l’invisible
L’idée, ou la forme (eidos), est le nom que Platon donne à cette source
lumineuse. C’est ce qui ne change pas sous ce qui change. Non pas un autre
monde, encore moins un arrière-monde, mais ce qui fait que le monde est ce
qu’il est. Le cosmos n’est cosmos, monde ordonné, que parce qu’il y a un
principe d’ordre, l’eidos. Peut-on voir l’eidos ? Oui, avec les yeux de l’âme, c’est-
à-dire l’intelligence. A quoi sert l’image-récit de la caverne ? On le voit bien. Elle
nous invite à vivre une expérience bouleversante qui, en brisant notre prison
mentale, nous octroie la visibilité de l’invisible.