1. Il faut noter aujourd’hui, qu’il y a une tendance à vouloir enfermer définitivement des indi-
vidus considérés (et pas uniquement jugés) comme structurellement dangereux.
2. Art. D.457 du code de procédure pénale: «Au sein des établissements pénitentiaires,
toutes dispositions sont prises pour assurer la formation professionnelle pour qui le souhaite
[…] Le détenu susceptible de profiter d’une formation professionnelle peut être transféré
dans l’établissement pénitentiaire où elle est assurée, à condition que sa situation pénale le
permette.»
2 INFIRMIER EN MILIEU CARCÉRAL
reste encore à faire pour aider les familles: il leur faut assumer
l’acte et la condamnation de leur proche et tenir leur place dans sa
vie et son devenir.
Infirmier diplômé d’État à la prison de Fresnes, membre de
l’Unité de Consultations et de Soins Ambulatoires (UCSA), je suis
l’un des interlocuteurs des détenus. Mon itinéraire professionnel ne
me préparait absolument pas à travailler en prison. J’ai en effet un
cursus exclusivement hospitalier, d’abord en médecine interne puis
en bloc opératoire. J’ai œuvré dans plusieurs établissements de
l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, avant de rejoindre le
CHU Bicêtre dans le Val de Marne en 2004. La découverte du
milieu carcéral, lieu de privation de liberté, de rétrécissements
d’horizons m’a paradoxalement ouvert des champs nouveaux sur le
plan professionnel et permis d’approfondir mon agir soignant. En
détention, nous recevons au poste infirmier les prisonniers pour des
soins prescrits ou une consultation. Nous délivrons les médica-
ments directement en cellule. C’est du point de vue de la santé que
nous sommes acteurs et témoins du monde carcéral. Ce livre
voudrait aider le lecteur à entrer dans la complexité des enjeux de la
prison. Il ne prétend pas en proposer une analyse exhaustive mais
invite à les découvrir à partir de situations concrètes.
1
6. Le milieu carcéral est un lieu privilégié pour la mise en œuvre d’une réelle politique de
santé publique. Pour une bonne partie de la population incarcérée, c’est un temps où est initié
pour la première fois un véritable parcours de soins. À travers les dépistages du VIH, des
hépatites B et C, de la syphilis, de la tuberculose d’une part, mais aussi du diabète, des mala-
dies cardio-vasculaires d’autre part, les détenus bénéficient d’une information, d’une
prévention, d’une éducation, d’un traitement, de moyens pour une prise en charge sanitaire
lors de leur retour dans la société civile. C’est en cela que l’on peut dire que la est réellement
une médecine de santé publique telle que la définit l’OMS: «La santé publique est la science
et l’art de prévenir les maladies, de prolonger la vie et d’améliorer la santé et la vitalité
mentale et physique des individus, par le moyen d’une action collective concertée visant à:
assainir le milieu; lutter contre les maladies; enseigner les règles d’hygiène personnelle;
organiser des services médicaux et infirmiers en vue d’un diagnostic précoce et du traitement
préventif des maladies; mettre en œuvre des mesures sociales propres à assurer à chaque
membre de la collectivité un niveau de vie compatible avec le maintien de la santé».
8 INFIRMIER EN MILIEU CARCÉRAL
UN PEU D’HISTOIRE
7. Décret n° 86-602 du 14 mars 1986 relatif à la lutte contre les maladies mentales et à l’orga-
nisation psychiatrique.
10 INFIRMIER EN MILIEU CARCÉRAL
8. Circulaire n° 96-739 du 05/12/1996 sur la lutte contre l’infection par le VIH en milieu
carcéral.
9. Rapport Chodorge.
10. Loi relative à la santé publique et à la protection sociale.
Organisation des soins et consultation infirmière 11
11. Une loi de 1991 impose une cellule aménagée pour 200 places et l’accessibilité totale aux
parties collectives. Mais ces obligations s’imposent aux établissements neufs.
12. Les personnes âgées incarcérées le sont souvent depuis de nombreuses années. Aux
problèmes inhérents à la vieillesse, s’ajoutent des facteurs aggravants liés à la longue incarcé-
ration: rapport au temps difficile, insuffisance des stimulations sensitives et intellectuelles,
pauvreté des relations sociales. Il est important de favoriser les activités d’éveil, le toucher et
la parole, de rééduquer les déficits d’autonomie, d’éviter l’aggravation d’une déficience
sensorielle.
Organisation des soins et consultation infirmière 13
LA CONSULTATION INFIRMIÈRE
Elle constitue la base du soin. Chaque nouvel arrivant est reçu par
les infirmier(e)s. Un point est fait avec lui sur son état de santé
somatique et psychique. Cette consultation permet de vérifier la
compréhension par le détenu de ses traitements médicamenteux, de
planifier les pansements, injections et suivis de soins divers (TA,
pouls, poids, glycémie capillaire…). Elle permet également au
patient détenu de verbaliser le ressenti de son incarcération, ses
relations avec les autres détenus et les surveillants, d’évoquer
d’éventuels problèmes familiaux, d’exprimer ses attentes vis-à-vis
du service de soins. Cette verbalisation des émotions est d’autant
plus importante que le patient est incarcéré pour la première fois.
En effet, l’administration d’un médicament ne suffisant pas en soi,
le patient a besoin d’être écouté de façon active, d’avoir des
réponses aux questions qu’il se pose concernant son traitement, sa
maladie, son suivi et son accompagnement. Le temps d’écoute est
un moment de dialogue avec le patient qui permet à l’équipe infir-
mière de donner des informations complémentaires, de tisser une
relation de soin. Il s’agit également d’évaluer les capacités du
patient pour une réintégration sociale adaptée. Les services médi-
caux, par la qualité du temps consacrés à la consultation, sont
souvent perçus comme de rares lieux «humains» au sein des
prisons, lieux de réassurance masculine et lieux d’écoute.
Soigner et accompagner
14. Art.1 du décret de compétence n° 2002-194 du 11 février 2002 relatif aux actes profes-
sionnels et à l’exercice de la profession d’infirmier.
18 INFIRMIER EN MILIEU CARCÉRAL
Prévention et information
Éducation et responsabilisation
Le courrier
15. Des fiches avec des symboles sont mises à la disposition des patients ne sachant ni lire ni
écrire le français.
20 INFIRMIER EN MILIEU CARCÉRAL
16. Les certificats médicaux pour faire entrer par exemple des produits de soins par le parloir
doivent être contresignés par l’autorité pénitentiaire.
22 INFIRMIER EN MILIEU CARCÉRAL
Un rôle de médiation
En milieu pénitentiaire, l’infirmier(e), par son caractère neutre et
indépendant de l’administration pénitentiaire, peut être conduit à
tenir un rôle de médiation dans certains conflits impliquant des
détenus entre eux, ou bien entre un détenu et la structure
pénitentiaire.
Le rapport au corps
Il est lié à l’image que les femmes ont d’elles-mêmes. Leur appa-
rence, pour un certain nombre d’entre elles, est très importante. En
Organisation des soins et consultation infirmière 23
L’illettrisme
Le lien familial
17. Les femmes ayant des grossesses pathologiques sont directement transférées au sein de
l’unité mère-enfant de Fleury-Mérogis. Les femmes désirant effectuer une interruption
volontaire de grossesse (IVG) sont prises en charge par le planning familial du CHU Bicêtre
dont dépend l’UCSA de la maison d’arrêt des femmes de Fresnes.
24 INFIRMIER EN MILIEU CARCÉRAL
Des récits :
accompagner, soigner, réinsérer
Aujourd’hui 1er mai, jour férié, j’assure la garde avec une collègue.
11h20, je me rends au quartier disciplinaire (QD) pour y dispenser le
traitement médical prévu pour certains patients. Arrivé devant la porte
du QD, je sonne. Le judas s’ouvre. Des yeux m’identifient, puis le
judas se referme et enfin, la porte s’ouvre. Nous nous saluons, le
26 INFIRMIER EN MILIEU CARCÉRAL
«Je suppose qu’en détention, il faut faire des efforts pour vivre avec les
autres. Il faut faire des compromis avec son codétenu», dis-je en véri-
fiant le dosage de la seringue.
«C’est sûr! Mais moi, j’essaie d’être gentil pour me récupérer un
peu.»
«Comment ça, vous récupérer de quoi?»
«Dans ma vie, j’ai commis pas mal de saloperies et c’est pour ça que je
suis là. Mais finalement, ça été un bien pour moi». M. H. s’interrompt,
l’air grave, puis reprend: «C’est ici que j’ai redécouvert ma religion
juive. C’est étonnant, mais c’est comme ça. J’ai redécouvert ma foi
juive et maintenant, j’essaie de me racheter en aidant les autres comme
je peux.»
«C’est quoi, une rédemption dont vous parlez?»
Je regarde M. H., comme si je le voyais pour la première fois, lui,
d’ordinaire si avare de confidences, se livre enfin: «Le mot “rédemp-
tion” est un peu fort mais y’a de ça. Je cherche à changer de vie. La
maladie qui progresse, la prison où on passe beaucoup de temps à
ressasser ce qu’on a fait et ce qu’on n’a pas fait, eh bien, cela me
pousse à essayer de changer de vie. Je donne un peu de ce que je
“cantine 19” à ceux qui ont besoin, je soutiens le moral de l’un ou
l’autre. Ce n’est pas grand-chose mais pour moi c’est décapant. Bref,
faites moi l’injection car y’a mon codétenu qui attend que je lui écrive
un courrier.»
«Pas de problème. Je la fais de suite. On se revoit demain.»
Il nous arrive, au détour de consultations infirmières, de rencon-
trer des personnes dont le changement de vie est impressionnant.
On peut parler dans leur cas de «conversion» à certaines valeurs
qui requalifient leur vie en leur donnant un nouveau sens. Le choc
de l’incarcération provoque chez certains détenus une réelle prise
de conscience sur leur responsabilité d’homme, de mari et/ou de
père. Un homme, dont un enfant lui est né pendant son temps de
prison, nous dit son désir d’assumer son rôle de père une fois libre
et de commencer une vie nouvelle. Pour d’autres, c’est la longueur
de la peine qui les conduit à poser un autre regard sur ce qu’ils sont.
Pour d’autres encore, la découverte ou redécouverte de la foi reli-
gieuse 20 peut devenir, comme dans l’histoire de l’homme cité, une
véritable dynamique d’espérance permettant des projets nouveaux.
19. Achat personnel de denrées et de provisions vendues avec leurs prix et la date de livraison
en cellule.
20. «Chaque détenu doit pouvoir satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale, ou
spirituelle. Il peut à ce titre participer aux offices organisés par les personnes agréés à cet
effet.» Article D. 432 du Code de procédure pénale.
30 INFIRMIER EN MILIEU CARCÉRAL
Il est 10 heures 45, je monte dans les étages avec l’auxiliaire sanitaire
pour distribuer en cellule les traitements médicamenteux. Nous
sommes au troisième étage. L’AS ouvre une cellule. Je vérifie la
concordance entre les noms inscrits sur la porte et ceux notés sur mon
bordereau de pochette de médicaments. «Bonjour messieurs, je vous
apporte vos traitements.» Soudain, le détenu présent se jette sur moi en
hurlant: «Docteur, docteur! Emmenez-moi, je ne veux pas rester ici!
Je vous en supplie, sortez moi de là!»
L’AS s’interpose entre lui et moi pour me protéger, il tente de refermer
la porte que l’homme, plus pressant que jamais, retient.
«S’il vous plait! Restez!», clame-t-il.
Le comportement très agité de ce détenu m’inquiète. Aussi, je
demande à l’AS de rouvrir la porte et observe que son compagnon de
cellule est absent.
«Où est votre codétenu?»
21. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système
de santé.
Des récits : accompagner, soigner, réinsérer 33
«C’est plutôt nous, qui nous excusons. Avez-vous un suivi avec un psy
ici?»
«Non.»
«Je pense que c’est important que vous puissiez en parler à la psy de la
division afin d’évacuer votre traumatisme.»
«Non! Je ne veux pas en parler.»
«De toute façon, il faut que j’en réfère au chef de détention pour qu’il
vous change de cellule et d’étage. Nous devons impérativement éviter
que vous vous retrouviez dans la même cour que M. C.
«Surtout, il faut pas le dire! Après tout le monde va le savoir»,
souhaite le détenu.
«Voulez-vous porter plainte? Le médecin va sûrement vouloir vous
envoyer dans l’Unité médico-judiciaire de Créteil pour faire un constat
du viol.»
«Non, je veux tout oublier! Je veux changer de cellule, c’est tout.
Après, je me débrouille.»
«Est-ce qu’il vous a blessé lors du viol?»
«Après j’ai saigné quand je suis allé aux toilettes.»
«Savez-vous s’il a mis un préservatif?»
«J’en sais rien!»
«Avez-vous fait des prises de sang récemment? Je vais prendre votre
dossier.»
Je vérifie l’état sérologique de M. I. et C. Heureusement, ils sont séro-
négatifs tous les deux. Je rejoins ensuite M. I. et lui indique: «Vous
êtes séronégatif au niveau du VIH et des hépatites, mais il est indispen-
sable de refaire les examens sanguins, lesquels seront reconduits dans
trois mois.»
«Et l’autre, il est comment?» me demande t-il.
«Je ne peux pas vous le dire mais s’il y a quoi que ce soit, on agira en
conséquence! Rassurez-vous! Je vais vous prendre un rendez-vous
avec le médecin généraliste et alerter la psychiatre, elle vous prescrira
un anxiolytique, vous en avez besoin. Il faut également que je vois le
chef pour votre changement de cellule. Allez maintenant en salle
d’attente.»
Pour la première fois, M. I. affiche une expression soulagée. J’évoque
la situation avec mes collègues infirmières, nous sommes rarement
confrontés à ce genre de problème. Au nom du secret partagé, nous
décidons d’en parler au chef de détention afin qu’une solution sûre soit
mise en œuvre.
M. I. a été changé le jour même de division, et ensuite transféré 22 dans
une autre prison. M. C., quant à lui, a toujours nié les faits.
22. Voir le chapitre «en savoir plus» pour le transfèrement des détenus.
Des récits : accompagner, soigner, réinsérer 35
23. Certaines substances prohibées peuvent entrer parfois clandestinement en prison par les
parloirs.
24. «En vue de faciliter le reclassement familial des détenus à leur libération, il doit être
particulièrement veillé au maintien et à l'amélioration de leurs relations avec leurs
proches…» Article D. 402 du Code de procédure pénale.
36 INFIRMIER EN MILIEU CARCÉRAL
25. Voir le chapitre «en savoir plus» concernant les degrés de sanction.
38 INFIRMIER EN MILIEU CARCÉRAL
28. «Des activités socioculturelles sont organisées dans chaque établissement pénitentiaire.
Elles ont notamment pour objet de développer les moyens d'expression, les connaissances et
les aptitudes des détenus… » Article D. 440 du Code de procédure pénale.
40 INFIRMIER EN MILIEU CARCÉRAL
la vie des détenus. En prison, les relations entre détenus sont struc-
turées par groupe et sous-groupes qui s’établissent naturellement
par nationalités, cultures, religions mais également profils de délin-
quances. Il existe des manières particulières de se saluer
qu’utilisent certains détenus pour se reconnaître, les islamistes qui
se distinguent par leur barbe. Il y a un règlement intérieur 29, une
discipline, des termes juridiques et pénaux à connaître. Même s’il
existe un livret sur l’organisation de la prison remis à tous les
nouveaux entrants, ces codes et ces langages ne sont pas forcément
accessibles d’emblée. On le voit pour cet homme âgé, la vie en
prison relève du cauchemar tant elle est incompréhensible. Tout le
monde renvoie vers tout le monde, ce qui signifie en réalité que rien
ne fait sens et signe pour lui. Il y a une nécessité impérieuse pour
certains détenus d’être resitués dans une histoire, un parcours, un
horizon, aidés à rationaliser un environnement qu’ils jugent hostile.
Il faut prendre en compte chacun dans sa singularité. Cela demande
du temps et de la délicatesse mais c’est l’enjeu même du soin. La
vie carcérale est faite d’une quantité de petites servitudes, de
soumissions, de silences qui entraînent le détenu vers une perte de
repères, de maitrise de son existence telle que s’y installe une petite
mort intérieure. En maison d’arrêt, nul ne peut par exemple se
déplacer d’un lieu à un autre sans la permission du surveillant, il est
interdit de mettre ses mains dans les poches lorsque l’on se déplace
dans les coursives, un détenu ne peut stationner trop longtemps
devant une porte ou dans un couloir, ni discuter avec un autre sans
autorisation. Pourtant, le service médical et tous les intervenants, y
compris la Pénitentiaire, tentent à travers l’ensemble des activités
proposées d’y remédier. Mais c’est pour ainsi dire la nature même
de l’incarcération, qui est privation de liberté, que de générer
malheureusement cette souffrance dépersonnalisante.
LA PRISON ASSUMÉE
DE LA DIFFICULTÉ D’ACCOMPAGNER
difficile à vivre pour les soignants que nous sommes. En effet, leur
posture dans leur demande de soins lorsqu’elle existe est souvent
sur le registre de la victimisation comme un patient pédophile que
nous recevions tous les deux jours pour un suivi de tension arté-
rielle et qui chaque fois accusait publiquement le service médical de
négligence à son égard. Même si l’éthique soignante suppose de
réinventer à chaque rencontre une manière de regarder la personne
en face de soi, il y a des profils psychologiques que l’on reconnaît
presque immédiatement, dès la première consultation. Notre rôle,
au-delà d’assurer leur suivi médical et infirmier au quotidien, est
souvent de les protéger de la violence des autres détenus et de faire
en sorte qu’ils soient respectés par les autres patients là où nous le
pouvons, dans l’espace de l’infirmerie. Une particularité apparaît de
plus en plus nettement aujourd’hui, c’est l’âge souvent élevé des
pédophiles. Les plaintes pouvant être déposées jusqu’à 10 ans après
la majorité de la victime, cela permet de mettre en accusation des
personnes de plus de 70 ans. Ce qui pose le problème de la prise en
charge de détenus âgés. Y a-t-il alors un réel travail sur soi qui peut
être mis en œuvre? Le suivi thérapeutique est peu évaluable et la
récidive demeure malheureusement toujours un risque. La question
de centres de rétention pour pédophile en attente d’une éventuelle
récidive est une problématique d’ordre sociétale et non d’abord
médicale. A-t-on le droit d’enfermer définitivement quelqu’un
parce qu’il est estimé dangereux pour la société? Y a-t-il là un
risque pour cette société de dérive totalitaire? Proposer, comme il
semble en être question aujourd’hui, à un collège d’experts en droit
et en médecine de juger l’avenir d’un sortant de prison au vu de ce
qu’il a commis, fut-il pédophile, me parait profondément irréaliste.
Même s’il existe des critères de dangerosité (récidive d’enlève-
ment, de viol, de meurtre, non reconnaissance de ses actes, de la
loi…), sur quoi peut reposer l’analyse, l’expertise médicale pour
porter un jugement définitif? Il est en effet dans la nature même de
la psychiatrie de ne pas être une science exacte. C’est une médecine
dont le rôle est d’essayer d’ouvrir des possibilités à des malades et
non de les stigmatiser en en faisant des êtres irrécupérables. Le
politique signe ainsi son renoncement aux stratégies de réinsertion
mise en œuvre ses dernières décennies. Il serait en effet plus inté-
ressant d’ouvrir des lieux spécialisés où le détenu dangereux
pourrait y purger sa peine et y être soigné et non d’attendre les
derniers mois de l’incarcération pour se poser la question de
l’avenir du détenu particulièrement dangereux.
Des récits : accompagner, soigner, réinsérer 47
DE L’INSOUTENABLE CONFRONTATION
Il est 9h15, il ne nous reste plus que trois patients à voir pour effectuer
deux prélèvements et retirer un Holter tension à un détenu. M. H. surgit
alors dans le poste de soins.
«C’est le surveillant d’étage 33 qui m’a envoyé ici.», déclare-t-il l’air
hébété, presque en état de choc.
On lui propose de s’asseoir pour nous expliquer son problème.
«Non! Je ne peux pas m’asseoir. Ca va pas! Ils sont venus cette nuit
pour me tabasser. J’étais dans ma cellule et vers une heure du matin,
y’a le premier surveillant et deux matons qui sont entrés, ils m’ont
plaqué au sol et frappé à coups de pieds et coups de poings.»
«Qu’est ce que vous nous racontez là! Avez-vous été blessé?»
Nous lui retirons sa chemise salie par quelques traces de semelles de
chaussures.
«J’ai eu super peur. Ils étaient complètement saouls. Ils avaient des
regards de fous. J’ai cru qu’ils allaient me tuer.»
DE L’AMBIGUÏTÉ DE LA MÉDIATISATION
Il est 11h45, nous discutons entre infirmiers d’un petit souci que nous
occasionne un patient sourd, lorsqu’un homme, M. A., âgé d’une ving-
taine d’années, entre dans le poste de soins. Il nous interpelle.
«Pardon! J’ai besoin de voir une personne, médecin ou autre mais le
plus gradé, car j’ai un problème grave avec la pénitentiaire.»
Mes deux collègues se dispersent et j’entame un entretien avec ce
jeune majeur: «De quoi s’agit-il?»
«Je suis harcelé par les surveillants à cause de mon affaire. Tout le
monde est au courant du délit que j’ai commis. Vous comprenez! Je
suis là pour une affaire hyper médiatisée. Je suis passé à la télé. Y’a eu
une émission sur mon affaire. Même à Fleury, la presse me poursuivait
sans relâche. Si cela continue, je vais péter un câble. Il faut faire
quelque chose, car j’ai trop la pression.» M. A. soupire, se tient la tête,
l’air exténué, semble prendre la pose, joue, surjoue de son charme.
Des récits : accompagner, soigner, réinsérer 59
35. Voir le chapitre «pour en savoir plus» indiquant les différents degrés d’escorte.
Des récits : accompagner, soigner, réinsérer 61
À L’ÉPREUVE DE L’INTERCULTURALITÉ
En savoir plus
QUELQUES CHIFFRES
TRAVAILLER EN PRISON
LE SECRET PROFESSIONNEL
Ce qui est dit à l’équipe soignante par le détenu dans le cadre des
entretiens relève du secret médical 36. Le dossier médical de chacun des
détenus n’est consulté que par les soignants et le détenu lui-même.
Cette garantie est primordiale pour qu’une confiance s’installe et
qu’ainsi un dialogue vrai puisse émerger entre soignant et soigné. Pour
36. Article 4 du décret du 16 février 1993 relatif aux règles professionnelles des infirmiers et
infirmières: «Le secret professionnel s’impose à tout infirmier ou infirmière et à tout
étudiant infirmier dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre non seulement ce
qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, lu, entendu, constaté ou compris».
En savoir plus 73
LE SECRET PARTAGÉ
• Lecture.
• Télévision (chaque cellule possède une télévision).
• Tâches ménagères.
• Travail (rémunéré).
• Enseignement et formation.
• Musculation et sport.
• Promenades.
• Une douche trois fois par semaine.
LE RÈGLEMENT INTÉRIEUR
37. Article D. 255 du cade de procédure pénitentiaire: dans chaque établissement pénitenti-
aire, un règlement intérieur détermine le contenu du régime propre de l’établissement. Le
règlement intérieur est établi par le chef d’établissement, en lien avec le Service de probation
et d’insertion pénitentiaire.
En savoir plus 75
LE TRANSFÈREMENT
40. La pratique sportive est un lieu où s’extériorise une grande part des frustrations des
détenus. La violence y est manifeste d’où de nombreux accidents.
80 INFIRMIER EN MILIEU CARCÉRAL
L’urgence psychiatrique
41. Contrôle à l’entrée, plusieurs grilles et SAS doivent être franchis pour parvenir en
détention.
42. Circulaire Nor Jus ko 440J55C relative à l’organisation des escortes pénitentiaires faisant
l’objet d’une consultation ou hospitalisation. L’escorte (agents pénitentiaires, policiers ou
gendarmes accompagnant le détenu) peut être de niveau 1 (escorte normale) à 3 (escorte
renforcée) en fonction de la dangerosité du patient détenu.
Conclusion
LEXIQUE ET ABRÉVIATIONS
Bibliographie
OUVRAGES DE RÉFÉRENCE
ÉTUDES
SITES WEB
www.oip.org
Prison. eu. org
Imprimé en Belgique