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MINISTÈRE DE L'INDUSTRIE ET DE LA RECHERCHE

BUREAU DE RECHERCHES GÉOLOGIQUES ET MINIÈRES

SERVICE GÉOLOGIQUE NATIONAL


B.P. 6009 - 45018 Orléans Cedex - Tél.: (38) 63.00.12

DE LA SUREXPLOITATION
DES NAPPES SOUTERRAINES
par

J. MARGAT

Département hydrogéologie
B.P. 6009 - 45018 Orléans Cedex - Tél.: (38) 63.00.12

77 SGN 023 HYD Janvier 1977


INTRODUCTION

Le regain d'intérêt qui s'est manifesté vis-à-vis des ressources en


eau souterraine, jugées à juste titre capables de contribuer efficacement à
résoudre les problèmes d'approvisionnement en eau notamment en période de sé-
cheresse, a également ravivé le souci d'éviter de les "surexploiter". Le risque
de "surexploitation" est souvent considéré et présenté comme un des principaux
obstacles qui s'opposent aux possibilités d'accroître l'exploitation des
nappes souterraines, notamment et surtout celles des aquifères profonds.

Exploite-t-on trop ou pas assez les eaux souterraines ?

Même en faisant la part - essentielle - des cas d'espèces, les idées


avancées à ce sujet montrent que des confusions sont encore entretenues dans
l'esprit de beaucoup de gestionnaires des ressources en eau, et a fortiori- dans
le public. En particulier on associe trop souvent et abusivement l'idée d'excès
d'exploitation, ou "surexploitation", à celle de rupture d'équilibre et de ris-
que d'épuisement d'une nappe. On confond aussi excès de prélèvement et baisse
excessive des niveaux d'une nappe.

Aussi a-t-il paru utile de clarifier cette question primordiale pour


la gestion des ressources en eau souterraine, en rappelant quelques notions fon-
damentales.

Cet essai s'adresse d'abord aux hydrogéologues, auxquels il appartient


d'éclairer les responsables de l'utilisation et de la protection des eaux sou-
terraines .

Que faut-il entendre par "surexploitation" d'une nappe ?

La surexploitation d'une nappe souterraine est communément comprise


comme une exploitation excessive par rapport à une exploitation considérée com-
me normale : on attribue à un excès diverses conséquences de l'exploitation pré-
judiciables aux exploitants eux-mêmes (diminution de rendement des ouvrages,
baisse progressive des niveaux) ou à des tiers.

La question se pose alors de savoir ce qui est "excessif" et ce qui


est "normal" dans l'exploitation d'une nappe souterraine. On tient généralement
pour normale une exploitation préservant l'équilibre de la nappe, et par consé-
quent la "surexploitation" serait d'abord une exploitation en régime de déséqui-
libre.

Mais faut-il toujours associer "exploitation non excessive" et "régime


d'équilibre" ? Autrement dit des exploitations en équilibre sont-elles toujours
possibles ? et toujours souhaitables ? (de plus à quel terme faut-il rapporter
l'équilibre ? ) .
En fait il faut dissocier les idées de déséquilibre et d'excès. Il
convient d'examiner d'une part l'opposition équilibre/déséquilibre, et d'autre
part les excès à incriminer : excès de prélèvement ou excès de baisse de niveaux,
en distinguant les aspects globaux de l'exploitation d'une nappe et ses aspects
locaux notamment la répartition des points de prélèvements.
1 - EQUILIBRE OU DESEQUILIBRE D'UNE NAPPE EXPLOITEE

L'équilibre d'une nappe exploitée est exprimé classiquement par l'é


quation du bilan d'eau :

Q = Q + Q (1)
a d P

avec Q alimentation (moyenne) : débit moyen global naturel de la nappe


Q^ débit sortant par les exutoires naturels
Q ' débit prélevé total.

NB : Ce bilan est établi- sur une durée assez longue pouv que les variations
de la réserve du système s 'annulent.

Rappelons que cet équilibre a un caractère global, car il est rapporté


à l'ensemble du système aquifère pris comme cadre spatial d'un bilan significatif.

Le déséquilibre associé à l'idée de "surexploitation" n'a donc qu'un


sens global (à l'échelle de l'aquifère) et à long terme (pour que les effets
des variations naturelles - saisonnières, interannuelles - des apports et des
débits sortant soient négligeables).

Une exploitation en régime de déséquilibre à long terme, se traduirait


par une décroissance persistante de la réserve, donc par une chute continue des
niveaux.

En fait on a tort d'associer les notions d'excès d'exploitation et de


déséquilibre du bilan sans distinguer les types de nappes exploitées :

- Une nappe libre, alimentée par toute sa surface et à réserve varia-


ble, peut et généralement doit être exploitée en se souciant de ne pas rompre
son équilibre à long terme.

- Dans le cas d'une nappe captive, à faible alimentation et réserve


fixe, le maintien d'un équilibre n'a pas de sens : prévenir la "surexploitation"
est un faux problème.

Le souci d'éviter la surexploitation (globale) n'a donc de sens que


pour les nappes libres : par opposition à leur exploitation "normale " équilibrée,
conçue comme une prise sur un flux renouvelé - un captage -, la "surexploitation"
ajouterait un prélèvement sur un stock non renouvelé.
Il est impropre, de ce point de vue, de qualifier de "surexploitation",
même temporaire ou saisonnière , tout excédent instantané - ou compté durant
une courte durée - des prélèvements sur le débit global d'une nappe libre, c'est-
à-dire sur l'alimentation du système (presque toujours plus irrégulière et plus
variable), soit tout prélèvement qui déterminerait une baisse des niveaux plus
ample que la baisse naturelle.

Ces formules ont le tort de laisser entendre qu'une exploitation "nor-


male" ne devrait pas perturber sensiblement les variations naturelles de niveau
d'une nappe libre, donc que seuls les prélèvements ne provoquant que des rabat-
tements négligeables seraient normaux. Une méconnaissance encore trop répandue
des conditions qui régissent l'écoulement des eaux souterraines entretient mal-
heureusement certaines illusions, telles que l'assimilation avec les captages
d'eau de rivière...

Ainsi définie, la "surexploitation" globale d'un système aquifère est


exprimée souvent, mais incomplètement, par l'inéquation :

Qp > Q a (2)

En fait, le déséquilibre s'instaure dès que s'établit l'inéquation :

Qp > A Qd + A Q a (3)

A Q étant la diminution induite" du débit sortant du système

A Q étant l'accroissement induit" d'alimentation


l'une et l'autre étant évaluées à assez long terme.

Naturellement, A Q peut être nul (c'est en général le cas, sauf s'il


s'agit de système aquifère lié à un cours d'eau de débit assez grand Dar rapport
à l'alimentation naturelle du système), et A Q est nécessairement i Q¿ (égal à Q a )
ce qui peut conduire à l'inéquation (2), mais après une phase initiale de régime
de déséquilibre et de diminution de réserve.

En pratique, on considérera qu'une nappe est exploitée en déséquilibre


quand - et seulement quand - une part appréciable (sinon majeure) des quantités
d'eau prélevées provient durablement et continuellement de la réserve, donc quand
celle-ci tend à décroître indéfiniment au-delà de rémissions temporaires. Son
bilan à long terme est du type

Q - (Q + Q ) + A R = 0 (4)
a up

induits sous l'effet indirect des exploitations, notamment aux limites du sys-
tème aquifère.
A R, la différence de réser\e (ici une diminution), pouvant être un com-
posant du bilan du même ordre de grandeur que les prélèvements Q , tandis que les
composants Q et Q peuvent être faibles voire négligeables. "
cl Q

L'analogie avec le bilan financier et la distinction entre le budget


et la trésorerie, est commode pour faire comprendre ces notions aux non spécia-
listes :

L'alimentation et le débit d'une nappe sont assimilables au crédit et


au débit d'un compte, qui sont commandés par des ordres distincts et de fréquen-
ces différentes, et qui donnent lieu à des soldes positifs ou négatifs (établis
pour des durées définies : journalières, mensuelles...). La réserve équivaut à la
trésorerie.

Des soldes négatifs (crédit < débit) à court terme ne présentent pas
d'inconvénient tant que la trésorerie le permet. Seuls des soldes négatifs per-
sistant à long terme, qui risquent de "mettre le compte au rouge" (= épuisement
de la réserve), équivalent à une surexploitation.

Si la trésorerie est très grande il est possible et il n'est pas ris-


qué de tirer longtemps sur le compte en l'absence de crédit : s'en abstenir
équivaudrait à geler inutilement un avoir. Dans certains cas extrêmes la réser-
ve peut être suffisante pour assurer des débits utiles pendant une période re-
quise pour amortir des équipements d'exploitation (= cas des grandes nappes
captives).

Au contraire, une trésorerie minime, de l'ordre du crédit acquis à


court terme (cf. un "revenu mensuel"...), n'offre qu'une faible marge disponible
et oblige à limiter strictement les débits : l'exploitation d'une nappe à faible
réserve est étroitement tributaire des variations de son alimentation.
Prenons l'exemple d'une nappe libre théorique au
débit global moyen de 1 m / s , dont les apports annuels varie-
raient de 1 à 7, et les débits sortants naturels annuels de 1 à 2,
au cours d'une séquence décennale à bilan équilibré (fig.l).
Dans l'hypothèse idéale où on parviendrait à exploiter la to-
talité du débit de la nappe, par des prélèvements annuels in-
variables et égaux au débit moyen interannuel (soit 31,5 hm1-*/
a n ) , on voit que ces prélèvements seraient excédentaires sur
les apports 7 années sur 10, sans rompre l'équilibre au terme
décennal et sans entraîner de variations de réserve plus am-
ples qu'en régime naturel (les différences de réserve interan-
nuelles ne seraient jamais supérieures au volume d'eau moyen
annuel apporté ou débité).

Il en est de même en considérant des bilans mensuels:


pour 3 années dont une en équilibre, une à alimentation excé-
dentaire et une à déficit équivalent (fig.2). En régime natu-
rel, des bilans mensuels sont déficitaires (Q sortant > ali-
mentation) 5 à 8 mois par an. Dans la même hypothèse d'exploi-
tation totale du débit de la nappe (1 m / s en moyenne, variant
selon les mois de 2 à 4- hnr/mois), on voit que les prélève-
ments seraient également supérieurs à l'alimentation 5 à 8 mois
par an, selon les années, sans par définition provoquer de dé-
séquilibre, mais en accentuant un peu les variations de réser-
ve (qui restent toutefois de l'ordre du volume moyen annuel de
l'alimentation de la nappe).

Un taux de renouvellement annuel de l'ordre de l'unité


suffirait pour que cette nappe théorique assure une fonction
régulatrice maximale.
hm3 apports annuels

GO .

50 -

40.

30

20-

10 .
I
— PO
0
rO E

débits sortant annuels

hm 3 û R annuelles cumulées

_ 10 J

Hypothèse de prélèvements annuels égaux ( 1 m 3 / s =Q moyen de la nappe)


avec tarissement total des exutoires naturels)

hm3 excédents annuels des prélèvements sur les apports


30 -,

20-
10 .
max.
21,5
o

AR annuelle s cumulées
hm 3

max.
20.
29,5
10 .

OH

10 -

20-

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 années

fig. I - E x e m p l e the'orique d'exploitation totale à débit constant


d u n e nappe libre â alimentation et débits annuels
hm* apport» mtnsutlt

• 10 .

J
n
* • -
—i

31,3 hmVa
= 1 mV •
1
S O N O J F M A M J ' J A
1
—1 3l,5hmVan p -—
i '
r
1—i
48 h m V a n
a 1,5 m V«

S O N D J F M A ' M J J A

38 hm»/an
1
rJ
15 h (n"/T3n
= 0,5 m V i
S ' O N D ' J F M ' A M J

—•—'—1—,
n
_ 2 5 hm Von
JA

1
—1 1—'
-I- dibit» »ertant m»n»u»l»

Dm»

ARon = 0 A R on : -lOhm»

m*ntu»ll»i cumuli»»

Hypothis« d« pr«liv«m«nts annuils t'gaux (3l,Shm> = I m ' / t = débit moytn d« la nappt) av*c tari»t«m«nt
total d*t «xuloirts naturtls.

31,5 h m V o n 31,5 h m V a n 31,5 h m V a n

Qmoy«n : 2 , 6 hm'/moi»
km*

« -I

1 -

S 0 1
0xca'4tnf» m»n»u»(» d»s prél»r»m»nt» »ur l»% apport»

A R mmtuHI»» cumul»'»»
km'
itapp» »xploit»»

Bilmunnutl» Qp ' Qo Op • O a - 16,5 h m * O p • Q o * 16,5 hm»


ARon < 0 AR an « t 16,5 A R a m - 16,5
n
tur«xploitation"onnu«llt
I O m o y t n d « 0,5 m 3 / »

fig.2 - E x e m p l e t h é o r i q u e d e s bilans m e n s u e l s d ' u n e n a p p e libre e n r é g i m e naturel,


puis e n r e g i m e d ' e x p l o i t a t i o n totale
2 - NE PAS CONFONDRE EXPLOITATION INTENSIVE ET EXPLOITATION EXCESSIVE

Même si elle ne prélève en moyenne qu'une fraction de débit naturel


global moyen d'une nappe (par exemple 10 à 20 % ) , donc sans déterminer de
"surexploitation" dans le sens d'un déséquilibre, une exploitation d' eau sou-
terraine assez intensive a nécessairement pour effet normal de faire baisser
notablement les niveaux de la nappe sur une portion plus ou moins grande du
système (cela dépend beaucoup de la situation des ouvrages).

Ces baisses ne doivent pas être considérées comme des indices de


"surexploitation". D'importants rabattements sont en effet généralement néces-
saires dans les secteurs exploités pour que les influences des prélèvements at-
teignent les limites où des réductions de débit sortant pourront permettre
l'établissement d'un nouvel équilibre dynamique moyen.

Mais l'évolution jusqu'à ce régime rééquilibré peut être très longue,


surtout dans un système aquifère à nappe libre très étendu (elle peut durer des
dizaines d'années). De plus une croissance des prélèvements d'année en année dif-
férera d'autant ce rééquilibre.

En l'absence d'une définition précise du système aquifère exploité,


de ses conditions aux limites et de la connaissance de son alimentation, il peut
être difficile, sinon impossible, d'interpréter une baisse pluriannuelle régionale
des niveaux observés pour distinguer s'il s'agit d'une évolution transitoire vers
un nouvel équilibre dynamique, influencé par les prélèvements, ou d'une rupture
d'équilibre "définitive". Aussi, est-il normal qu'au cours des dernières décennies,
les baisses persistantes des niveaux constatées dans quelques secteurs fortement
exploités n'aient pas toujours été interprétées correctement et qu'elles aient
pu provoquer des inquiétudes. Il est cependant essentiel d'éliminer toute confu-
sion entre une exploitation intensive (et non excessive) d'un aquifère, qui peut
constituer un mode avantageux de mobilisation d'une partie des ressources en eau
renouvelables (si elle respecte diverses contraintes pratiques et économiques),
et une "surexploitation" réelle qui conduirait à un épuisement de la réserve et à
un affaiblissement durable des possibilités de captage des ressources renouvelables
(cf. fig. 3).

Grâce à la continuité des observations de niveau piézométrique


depuis le début du siècle en plusieurs points du Nord de la France,
on dispose d'exemples montrant que la croissance des exploitations
de la nappe de la craie dans plusieurs secteurs (nappe libre ou
nappe captive proche d'aire à surface libre), depuis les années
1945-50 surtout, a déterminé des rabattements importants croissant
jusque vers les années 60,p U i s que depuis cette époque les niveaux
influencés fluctuent par rapport à un niveau moyen interannuel
(cf. l'exemple des observations fournies par le piézomètre des
Hudions, fig. M-).
10

regime noturel regime influence'

transitoire
rééquilibre )

Effet d'une exploitation intensive ä débit Q constant

Effet d'une expl oitati on à dé bit Q croissant (rééquilibres différés)

Effet d'une surexploitation (à débit O constant) interannuelle

fi g _ 3 _ S c h é m a s d ' é v o l u t i o n s interannuelles d e s niveaux m o y e n s d e nappes


exploitées. _
11

fig.4
P I E Z 0 HE T R I E 2-1576
SGN/AflE S Q R Nord-Pas-de-CalOIt INDICE B . R . G . n . 0028-1X-0002 Echelles :
DESIGNATION Si 0001 hauteur».. I / I O O
059 nARCHIENNES t e m p i -, 0 , 3 m m /mois
LES HUD IONS SMERT

1952 1957 1962 1967 1972

NAPPE ART/02,,,,C,/-QC CRAIE 1 Forage initialement artésien Cote du toit de la craie = - 1 9 m


RESEAU Ri PROFONDEUR OUVRAGE 35.30m Débit initiol (1883)= 162 m V h Pénétration dans la craie aquifère:46m
COTE DU REPERE PIEZOflETRIäUE 18.22 m au niveau 1 8 , 7 6 m (NGF)
v
COTE DU SOL 16.52 m
12

L'observation régulière, mensuelle, du niveau au forage des Hudions


réalisé en 1883 (No. B.R.G.M. 28/1/2), sans aucune interruption depuis 1902,
fournit une chronique remarquable de l'évolution du niveau de la nappe de la
craie à Marchiennes, entre Douai et Valenciennes (vallée de la Scarpe).

La nappe de la craie est en ce point captive sous la couverture ter-


tiaire de 1'"Argile de Louvil" (toit de l'aquifère à - 19 m ) , mais la nappe est
libre à faible distance au S (environ 3 km).

Le niveau piézométrique initialement très proche du sol, subit jusque


vers 1930 de faibles fluctuations annuelles très régulières, effets d'une "onde
de recharge" propagée depuis la nappe libre dont la surface était localement
fixée par une condition de potentiel peu variable (aire d'émergence de "débor-
dement" formant une zone de marais).

A partir de 1940 et surtout de 1945, l'influence des importants prélè-


vements du SMERTS (syndicat des eaux de Roubaix-Tourcoing), ajoutée à d'autres
exploitations plus dispersées, détermine une baisse pluriannuelle très marquée
(13 m en 15 ans) qui se superpose aux fluctuations interannuelles elles-mêmes
d'amplitude croissante.

Depuis 1960 environ, des fluctuations interannuelles très amples (or-


dre de 10 m) s'observent, dues surtout au fait que le rabattement régional de
la surface piézométrique a, en grande partie, fait disparaître l'aire d'émer-
gence, ce qui permet la propagation sans obstacle des effets des variations de
la surface libre irrégulièrement alimentée au Sud, dans la partie captive obser-
vée. Mais ces fluctuations font varier le niveau par rapport à un état moyen
apparemment "stabilisé" pouvant indiquer qu'un régime d'équilibre dynamique in-
terannuel s'est instauré dans ce secteur.

3 - DANS QUELLE MESURE RISQUE-T-ON EN PRATIQUE DE ROMPRE L'EQUILIBRE


D'UNE NAPPUT"?

La possibilité pratique de "surexploiter" globalement un aquifère -


dans le sens d'épuiser progressivement sa réserve - est en fait très inégale
selon les types d'aquifères, leurs dimensions (extension, puissance) et surtout
leur caractère libre ou captif.

Il est en pratique très difficile de déséquilibrer durablement un aqui-


fère libre étendu, à alimentation assez fréquente comme c'est le cas de la plu-
part des grands systèmes aquifères libres du territoire français.

Le nombre d'ouvrages d'exploitation qu'il faudrait mettre en service


et répartir sur l'ensemble du système pour capter la quasi-totalité de son débit
serait généralement irréalisable et prohibitif. Il est rare, en pratique, de
pouvoir capter plus du tiers du débit moyen total d'une nappe libre de grande
étendue.

La plus sûre protection pratique contre les risques de "surexploitation"


est souvent le fait des productivités unitaires des ouvrages lorsqu'elles sont
passables ou médiocres par suite des caractéristiques locales de l'aquifère.
13

II en est sensiblement de même pour les aquifères semi-captifs où les


prélèvements déterminent assez rapidement des rééquilibres par drainance : en
les exploitant on utilise surtout leur fonction de drain pour capter l'eau de
couches aquifères sus (ou sous)-jacentes moins directement exploitables, et leur
débit propre n'entre guère en jeu. Mais pour ce faire on doit déterminer des
rabattements assez importants des niveaux piézométriques dans ces couches aqui-
fères drainantes : ces baisses de niveau ne doivent pas être interprétées comme
des symptômes de "surexploitation", même lorsqu'elles sont incomplètement stabi-
lisées. Ce sont au contraire des facteurs de rééquilibre.

Beaucoup de "nappes captives" exploitées dans les systèmes multicouches


des bassins sédimentaires sont dans ce cas : par exemple la "nappe du Soissonnais
du Nord de l'Ile-de-France ou la nappe des "Sables inférieurs éocènes" de la
Gironde.

A l'inverse, l'exploitation des grands réservoirs aquifères captifs


profonds, à ressources renouvelables négligeables, est toujours normalement en
régime de déséquilibre, c'est-à-dire qu'elle mobilise essentiellement leur réserve
élastique (par décompression). Il est vain dans ce cas de chercher à définir un
régime d'exploitation en équilibre (physiquement impossible) ; on a seulement le
choix entre diverses politiques d'exploitation pouvant faire croître plus ou moins
vite les rabattements (donc les coûts de production), en modérant plus ou moins
les prélèvements. Considérer les "déclins de pression" des aquifères captifs ex-
ploités comme des indices de "surexploitation" n'a donc pas de sens.

En résumé, la "surexploitation" est difficile à pratiquer et relative-


ment rare dans les aquifères libres étendus. Elle est davantage possible dans les
aquifères libres de faible extension à limites étanches (beaucoup d'aquifères al-
luviaux limités par des cours d'eau à berges colmatées peuvent être dans ce cas :
leur contrôle est le plus nécessaire).

Une exploitation en régime de déséquilibre - qu'il ne faut pas qualifier


"surexploitation" - est au contraire normale et en général inévitable dans les
aquifères captifs, où il serait absurde de la proscrire et de vouloir s'en prému-
nir.

4 - DISTINGUER "PROTECTION DES RESSOURCES" EN EAU SOUTERRAINE RENOUVELABLES


ET CONSERVATION DES PRODUCTIVITES DES OUVRÄSES"

Des baisses accentuées de niveau, même si elles ne sont pas le fait de


prélèvements excessifs globalement (c'est-à-dire sans "surexploitation" de l'aqui-
fère), peuvent, néanmoins, causer des préjudices aux exploitants en affaiblissant
les productivités unitaires des ouvrages.

Ce sont en fait ces baisses de rendement des ouvrages qui sont ressenties
en premier lieu et qui ont conduit à juger des exploitations comme excessives,
mais, cette fois, à l'échelle d'un secteur plus ou moins localisé d'un aquifère.
Cette "surexploitation locale", bien distincte de la notion de "surexploitation
globale" d'un système aquifère, est la conséquence d'une mauvaise disposition des
ouvrages, essentiellement d'une trop forte concentration locale qui amplifie les
interférences entre les ouvrages. Elle est indépendante du "taux d'exploitation"
global de l'aquifère : en effet le prélèvement d'une fraction minime (par exemple
5 à 10 %) du débit global d'un aquifère peut évidemment déterminer des baisses
de niveaux locales excessives s'il est trop concentré. Un aquifère captif, à forte
14

diffusivité", est de ce point de vue, beaucoup plus sensible aux effets récipro-
ques des ouvrages qu'un aquifère libre.

NB : Plutôt que de "surexploitation" locale, il serait -plus juste de parler


ici tout simplement de mauvaise exploitation, ou "mésexploitation".

La diminution des débits de production unitaires des ouvrages trop


rapprochés peut se traduire par une faible croissance, voire un plafonnement
du débit total prélevé dans un secteur limité, ce qui "immunise" d'ailleurs,
dans une certaine mesure un aquifère contre le risque de "surexploitation"
globale.

On a effectivement observé, dans différents pays où des forages ont


proliféré dans des secteurs peu étendus, que la multiplication du nombre de
forages productifs n'a pas entraîné une croissance proportionnelle des débits
totaux exploités, et s'est surtout traduite par une décroissance des productions
de chaque ouvrage.

En France, dans la région bordelaise, par exemple, où la nappe captive


des "Sables inférieurs" éocènes est intensément exploitée, le débit de production
total a régulièrement décru entre 1890 (plus de 100 000 m 3 /j soit près de
1,2 m 3 /s) et les années 1950, alors que le nombre de forages en service triplait
et que leur production unitaire moyenne était divisée par 4 (cet affaiblissement
de production est, il est vrai, à attribuer aussi au vieillissement des ouvrages,
aux contraintes des équipements et aux régimes d'exploitation). Actuellement
(1975) plus de 120 forages, presque tous exploités par pompage n'ont accru que
de 25 % la production totale des 25 forages jaillissants de 1890. Les débits
pompés surpassent largement les débits jaillissants depuis 1965 (cf. tableau
ci-contre et fig. 5 ) . Le passage du jaillissement au pompage accroît certes les
coûts unitaires de production d'eau, mais il est bénéfique - remarquons-le -
du point de vue de la bonne utilisation de l'eau car il évite le gaspillage
(les forages jaillissants étant rarement fermés bien que l'eau ne soit pas uti-
lisée en continu). Ce changement de régime d'exploitation est une cause de di-
minution de production moyenne par forage, mais elle résulte d'une meilleure
exploitation (dans le temps) qui corrige en partie les effets d'une trop forte
concentration des ouvrages (dans l'espace).

L'historique de l'exploitation des nappes captives ou semi-captives


de 1'Eocène moyen et supérieur, dans la même région d'Aquitaine occidentale
montre la même tendance : entre 1870 et 1955, le débit moyen produit par forage
aurait chuté des 2/3 (passant de 15 à 5 m 3 / h ) , pour une production globale qui
a à peu près doublé entre 1900 et la période récente (1960-68) en atteignant
environ 22 000 m 3 /j (0,25 m 3 /s) fournis par 185 ouvrages (B. MOUSSIE, thèse 1972).

C'est-à-dire à forte aptitude a propager des influences rapidement et à lon-


gue distance.
15

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Evolution s de niveaux pie'zom étriqué s

fig.5. Exploitation d e la n a p p e c a p t i v e d e s S a b l e s inférieurs e o c é n e s


dans le département de la Gironde.

( SGR/Aquitaine et thèse R. B E L L E G A R D E , 1972)


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Exemple d'évolution de la production régionale et des productions uni-


taires moyennes des forages dans une aire d'exploitation intensive de nappe cap-
tive.

Nappe captive des Sables inférieurs éocènes d'Aquitaine occidentale


(département de la Gironde)".

Débit de pro-
duction 1Lotal

Année % du débit total Nombre de forages Production


m 3 /j m 3 /s fourni par des puits productifs unitaire
jaillissants (à q :> 100 m 3 / j ) moyenne par
ou environ 1 1/s forage (1/s)

1880 8 000 0,1 100 =; 20


(début approxi-
matif de l'ex-
ploitation)

1890 104 000 1,2 99 25 48

1900 97 000 1,1 98 40 27

1925 77 000 0,9 95 environ 50 18

1950 75 000 0,9 60 70 13

1960 85 000 1,0 40 environ 85 12

1970 112 000 1,3 7 110 12

1974 131 000 1,5 123 (fin 12


74)

:c
d'après R. BELLEGARDE (thèse 1973) et documentation du SGR Aquitaine
Service géologique national

::ÎÎ 1959 : extension à la Gironde du décret-loi du 8/8/1935

Ce sont très généralement ces baisses accentuées et progressives des n i -


veaux dynamiques, accroissant les coûts de production (tout particulièrement lors-
que cesse le jaillissement de puits artésiens qu'il faut équiper de pompes...)
et/ou diminuant les "rendements" des puits, qui ont, à juste titre, inquiété les
exploitants et qui ont motivé dans le passé - en France comme en d'autres pays -
les premières mesures réglementaires visant à "protéger les nappes souterraines".
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Les arguments avancés pour justifier ces mesures étaient la nécessité


de prévenir et d'empêcher "l'épuisement" des nappes souterraines, donc de les
protéger contre un risque présumé de surexploitation des ressources (sans
d'ailleurs opérer de distinction entre les ressources renouvelables ou non).
Cf. par exemple 1'"exposé des motifs" présentant le projet du décret—loi du
8 août 1935 sur la "protection des eaux souterraines" de la région pari; renne :

"... les nouveaux développements de la technique et l'augmentation


considérable qui en a été la conséquence, du nombre des forages à grande pro-
fondeur établis sans aucune règle, ont fait apparaître la nécessité d'une ré-
glementation analogue à celle qui existe pour les eaux superficielles et, depuis
plus d'un siècle,.pour les mines. Il s'agit d'empêcher, principalement dans la
région parisienne, où la question se pose d'une manière plus pressante qu'ail-
leurs, un véritable gaspillage3 à la fois quantitatif par l'épuisement des nap-
pes souterraines profondes", et qualitatif par l'utilisatvon peu satisfaisante
de ces eaux et qui risque à très bref délai3 de compromettre gravement la conser-
vation d'une richesse des plus précieuse, qu'il importe de sauvegarder".
• •*
Pierre LAVAL3 Léon BERARD, Joseph PAGANON, Laurent EYNAC
(Rapport au Président de la République française, 8 août 1935).

Ces arguments révélaient une certaine méconnaissance des conditions


physiques des problèmes que l'on voulait résoudre : tout en se donnant pour
objectif de protéger et de conserver des ressources, ces mesures réglementaires,
étendues depuis à plusieurs reprises en France à d'autres secteurs (1958, 1959,
1960, 1961, 1973) selon des modalités d'application adaptées à chaque cas, ont
surtout servi et servent en fait, à conserver les productions unitaires des
ouvrages à une valeur plus ou moins proche de leur productivité initiale -
autrement dit à protéger dans une certaine mesure les droits acquis des exploi-
tant "premiers installés" contre des risques de préjudice.

Dans le cas particulier de la Gironde (1959), l'objectif explicite de


la réglementation était bien toutefois de prévenir les effets aux limites de
l'aquifère (sables éocènes) d'abaissements de niveau trop prononcés : ces effets
pouvant entraîner une invasion d'eau salée à partir de l'estuaire de la Gironde,
le préjudice à empêcher résulterait dans ce cas de l'altération de la qualité
de l'eau.

Il est naturellement légitime que la puissance publique se soucie


de prévenir les préjudices affectant collectivement tous les exploitants d'un
secteur où une "surexploitation locale" se développerait sans contrôle, et
d'empêcher le gaspillage économique qui résulterait d'un suréquipement local
(excès d'investissement) et d'un "surcoût" régional d'exploitation d'une ressource
parfois sans accroissement notable de la production.

Toutefois, les mesures conservatoires prises et appliquées à cette


fin ne doivent pas être confondues avec la recherche d'un optimum économique
dans le taux d'exploitation globale d'un système aquifère. Une "protection des
eaux souterraines" mal comprise pourrait, dans certains cas, conduire à une
sous-exploitation évidente de ressources, particulièrement dans le cas des
nappes captives.

" Souligné par nous


Il n'est pas sans intérêt, à ce propos, de noter que dans son article
premier, le décret loi du 8 août 1935 définit explicitement comme finalité
"l'intérêt public qui s'attache à la conservation et à l'utilisation rationnelle
des ressources en eaux souterraines". Les deux objectifs de conservation et de
rationalité d'utilisation ne sont sans doute pas aussi aisément conjugables que
ne le pensait le législateur. Mais, du moins le second n'est pas exclu, bien que
le premier ait pu prendre le pas dans un sens parfois restrictif.
19

CONCLUSION

Fixer un "plafond" global aux prélèvements dans une nappe souterraine


afin de prévenir sa "surexploitation" est souvent un problème mal posé. Ce qu'il
faut éviter c'est moins d'exploiter trop une nappe souterraine que de l'exploi-
ter mal. Dans le cas des nappes libres ou semi-captives les conséquences préju-
diciables d'une exploitation mal gérée - trop concentrée dans l'espace ou dans
le temps - apparaissent en effet bien avant que la somme des prélèvements appro-
che du débit moyen global de la nappe et ce n'est généralement pas un excès glo-
bal de prélèvement rompant l'équilibre du système qu'il faut alors incriminer.

Dans le cas des nappes captives profondes la recherche d'un équilibre


n'a pas de sens et il s'agit seulement de programmer au mieux l'économie de
1'exploitation de ressources non renouvelables. '

Surexploiter une nappe doit donc prendre un sens plus complexe que
celui d'en tirer plus d'eau qu'elle n'en peut fournir et d'épuiser sa réserve :
c'est l'exploiter en déterminant des effets qui ne respectent pas l'une ou
l'autre des contraintes imposées. Définir ces contraintes - et leur flexibilité
éventuelle - importe plus en définitive qu'évaluer seulement le débit global
d'une nappe souterraine pour optimiser son exploitation .
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UN POINT DE VUE

"Un autre aspect en matière d'exploitation des eaux souterraines, et


qu'il convient de souligner fortement, est la notion de l'eau souterrain envi-
sagée comme réservoir. L'eau emmagasinée dans les réservoirs de surface s'y
trouve évidemment pour être utilisée selon les besoins et pour être renouvelée
ultérieurement quand le ruissellement en fournira en surplus. En revanche, on
entend souvent pousser des cris d'horreur lorsque le niveau de la nappe souter-
raine baisse, et réclamer des mesures immédiatement pour prévenir toute nouvelle
baisse. L'abaissement du niveau piézométrique pendant les années de forte plu-
viosité peut faire naître des craintes, mais si l'on considère l'eau souterraine
en tant que réservoir, on doit s'attendre à son épuisement lors des années de
faible pluviosité et à sa reconstitution pendant les périodes de fortes précipi-
tations. S'il en va autrement, c'est que l'on n'utilise pas avec le maximum d'ef-
ficacité l'eau souterraine dont on dispose."

R.K. LINSLEY

(extrait de "Quelques aspects du rôle des précipitations et des cours d'eau de


surface dans la recharge des nappes aquifères" (Colloque d'Ankara sur l'hydro-
logie de la zone aride - 1952 - UNESCO - Paris 1953 ) ) .

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