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LE MONDE DE MAIGRET – N° 5

VENDREDI 21 AOÛT 2020


76E ANNÉE – NO 23519 LA TÊTE
D’UN HOMME
3,00 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO EN VENTE UNIQUEMENT
EN FRANCE MÉTROPOLITAINE

Diplomatie : Macron sur tous les fronts
▶ Emmanuel Macron devait
recevoir Angela Merkel
▶ Du Liban au Mali en pas­
sant par le Niger, la Biélo­
▶ Pour résoudre la crise
en Biélorussie, M. Macron
▶ Au Mali, où le coup d’Etat
menace la stratégie fran­ 1 ÉDITORIAL
à Brégançon (Var), jeudi russie et la Turquie, le chef a soutenu auprès de çaise au Sahel, les militai­ MALI : UN AMER BILAN 
20 août, après un été de l’Etat a mis en scène sa Vladimir Poutine la res ont entamé des discus­
marqué par une succession méthode proactive en ma­ proposition européenne sions avec les manifestants POUR LA FRANCE
de crises internationales tière de politique extérieure d’une médiation de l’OSCE PAG ES 2, 3 E T 5 PAGE 26

LE MONDE DES LIVRES Etats­Unis
Barack Obama 
sonne l’alarme 
LA RENTRÉE  contre Trump
Lors de la convention
démocrate, Kamala Harris

LITTÉRAIRE
▶ 12 pages spéciales ▶ « Comédies françaises » 
a accepté mercredi
d’être candidate à la vice­
présidence des Etats­Unis.
Dans un discours histori­
que, Barack Obama a ins­
truit le procès de son suc­
cesseur, estimant que « la
sur les premières sorties ÉRIC REINHARDT  sur démocratie est en jeu »
et notre panorama les traces d’un fiasco PAGE 4
des essais français
▶ « Apeirogon » ▶ « Fin de combat »
COLUM MCCANN et KARL OVE KNAUSGAARD, Climat
les fragments du conflit vainqueur sur lui­même La « génération 
israélo­palestinien
▶ « La Petite Dernière »
▶ Une anthologie Greta » cherche 
de CHARLES BUKOWSKI
Rencontre avec à se réinventer
FATIMA DAAS, autrice ▶ Le feuilleton
Deux ans après avoir lancé
d’un premier roman de CAMILLE LAURENS un vaste mouvement de
marquant ▶ Une nouvelle
grèves scolaires, la Sué­
doise Greta Thurnberg
▶ « Une bête aux aguets »  chronique sur les poches devait rencontrer Angela
FLORENCE SEYVOS à la folie de VÉRONIQUE OVALDÉ Merkel jeudi, avec une
liste de revendications
PAGE 7

S U P PL É MEN T

L’été en séries Ecologie Barbara Pompili,  Russie


L’opposant Alexeï
ACCESSIBLE SUR
PA R C O U R S U P

une ministre sous surveillance Navalny à l’hôpital,


DU PONT DE après un possible
NEMOURS empoisonnement
Le Delaware, PAGE 5 Business development,
Human adventure
fief familial et
paradis fiscal Liban Intégrez une
PAGES 20 -21 Les riches tentent Grande école de commerce
de récupérer leurs
BAC+5
millions bloqués
PAGE 13
| PROGRAMME GRANDE ÉCOLE VISÉ
Conférant le Grade de Master
- Double diplôme en 5e année avec l’American Business School Paris
• Option Supply Chain achat management
Afrique du Sud • Option Digital marketing

Le Covid­19 BAC+3
Imaginaire animal accélère le rythme | BACHELOR ICD
06/2020 - DIRECTION MARKETING ET COMMUNICATION GROUPE IGS

- Diplôme visé Bac+3


Le satyre, un sacré Au ministère de la transition écologique, le 24 juillet.

bouc émissaire
GUILLAUME BINET/MYOP POUR « LE MONDE » des enterrements Business Development | Event Management

PAGE 6
PAG E 22 la ministre de la transition et les attaques des défenseurs de | BACHELOR HYBRIDE BUSINESS & TECHNOLOGY
écologique est en conflit avec l’environnement, qui lui repro­ ICD / EPF - Titre certifié inscrit au RNCP
les chasseurs, qui revendiquent chent son recul sur le glyphosate.
leur proximité avec Emmanuel Ce feu croisé intervient au mo­
Le médecin Macron et sont soutenus par ment où l’ancien parti de Bar­ Football
CANDIDATEZ DÈS MAINTENANT
au cinéma son collègue de la justice, Eric bara Pompili, Europe Ecologie­ Le Bayern élimine À LA PHASE COMPLÉMENTAIRE PARCOURSUP
Knock et ses drôles Dupond­Moretti.
Confrontée à de nombreux ar­
Les Verts, affiche, lors de ses
journées d’été, son ambition Lyon de la Ligue W W W. I C D - E C O L E S . C O M
de confrères bitrages, la ministre essuie les
critiques de sa propre majorité,
d’incarner une alternative forte
à Emmanuel Macron en 2022.
des champions I N S T I T U T I N T E R N AT I O N A L D U C O M M E R C E E T D U D É V E LO P P E M E N T - C R É É E N 1 9 8 0
E TA B L I S S E M E N T D ’ E N S E I G N E M E N T S U P É R I E U R T E C H N I Q U E P R I V É R E C O N N U PA R L’ E TAT - A S S O C I AT I O N LO I 1 9 0 1

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irritée par ses prises de distance, PAGE S 8-9 PAGE 14
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,20 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €, Guyane 3,50 €,
Hongrie 1 440 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
INTERNATIONAL
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2| VENDREDI 21 AOÛT 2020

Mali : militaires et manifestants discutent
Le colonel Goita prend la tête de la junte, alors que le coup d’Etat est dénoncé par la communauté internationale

bamako ­ correspondance

L
e flot d’hommes et de
femmes en treillis grandit
au fur et à mesure que l’on
roule. Mieux qu’une si­
gnalétique, le kaki devient une
source d’assurance que l’on est
sur la bonne voie. Puis arrivent les Le colonel
barrages, qui pavent la route jus­ Assimi
qu’à l’entrée du camp militaire Goita,
Soundiata­Keïta de Kati, à 15 kilo­ lors d’une
mètres de Bamako, la capitale du conférence
Mali. Les soldats y sont en ordre de presse au
dispersé, affichent une bonne hu­ ministère de
meur décontractée, mais fouillent la défense,
les coffres et contrôlent les identi­ à Bamako,
tés méticuleusement. le mercredi
Mercredi 19 août, pour la pre­ 19 août.
mière fois depuis leur apparition MALIK KONATE/AFP
pour une courte déclaration, la
nuit précédente, à la télévision
nationale, les responsables mili­
taires qui ont renversé le pouvoir
civil vont se présenter au cours
d’une conférence de presse dans
leur place forte, à Kati.
La veille, la porte de ce camp de
l’armée de terre avait été la desti­
nation finale du pouvoir du prési­
dent Ibrahim Boubacar Keïta, dit
« IBK », et de son premier ministre,
Boubou Cissé. Ces murs, entre les­
quels tout avait commencé le ma­
tin même (comme cela avait été le
cas lors du coup d’Etat de 2012),
abritent aujourd’hui le poste de
commandement du groupe d’offi­
ciers putschistes qui s’est donné le
nom de Comité national pour le
salut du peuple (CNSP).
L’atmosphère, dans l’enceinte,
semble légère. L’allée principale,
déserte, mène tout droit à l’état­ dique son ministre de l’économie bération « immédiate » du prési­ populaire qui a préparé le terrain général de la Coordination des
major, où se tiennent ceux dont et des finances. Les leaders du
Les leaders dent renversé et « souligné la né­ pour accueillir leur mouvement mouvements, associations et
tout le monde parle. Soldats, gen­ CNSP sont les héros de nombreux du CNSP cessité pressante de rétablir l’Etat dans la ferveur. Trois mois de ma­ sympathisants de l’imam Mah­
darmes, gradés et hommes du Maliens, mais ils devront convain­ de droit et d’aller vers un retour de nifestations avaient été encadrés moud Dicko, principale organisa­
rang sont ici mélangés. A quoi res­ cre le reste du monde de la nature
sont les héros l’ordre constitutionnel ». par le Mouvement du 5 juin­Ras­ tion du mouvement de contesta­
semblera la « transition politique de leurs intentions. Le colonel­ de nombreux Mais à Bamako, dans l’immé­ semblement des forces patrioti­ tion, avant de préciser que la décla­
civile » destinée à aboutir à des major Ismaël Wangué, porte­pa­ diat, s’ébauchent les premières ques (M5­RFP), une coalition d’ac­ ration des putschistes est « con­
élections, promise par le CNSP role du CNSP, égrène les priorités :
Maliens, mais mesures pour assurer la conti­ teurs religieux, politiques et de la forme à [leurs] revendications ».
dans la nuit de mardi à mercredi ? retour à l’ordre et reprise du tra­ ils devront nuité de l’Etat et éviter toute société civile, créée à l’appel de Toujours d’après notre source,
Pour l’instant, elle démarre sur un vail des fonctionnaires dès le len­ forme de chaos. La capitale est l’imam Mahmoud Dicko, person­ « les militaires ont besoin de la
exercice de communication, ré­ demain. Les militaires vont se ren­
convaincre le restée calme, tandis que militai­ nage influent qui a annoncé nouvelle génération et ils ne sou­
pété en boucle. « Il ne faut pas par­ dre, aussi, à une réunion collective reste du monde res du CNSP et fonctionnaires « souhaiter se retirer et laisser la haitent pas que ceux qui ont vu
ler de putsch », insiste un officier organisée au ministère de la dé­ mettaient en place des mécanis­ gestion de la suite aux politiques ». naître la démocratie en 1991 et qui
au milieu des mutins silencieux, fense et des anciens combattants, mes de fonctionnement de l’ad­ Cette coalition d’opposition ré­ ont déjà eu des postes reprennent
« ce que l’on a fait, c’est la démocra­ où sont conviés les secrétaires gé­ dessus [de tout], le Mali d’abord », ministration. « L’essentiel des dis­ clamait le départ du président le pouvoir ». Toutefois, selon Baba
tie, le peuple, par le peuple, pour le néraux de tous les ministères. déclare­t­il, entouré de militaires cussions a été de dégager les voies « IBK ». Elle s’est félicitée mercredi Dakono, chercheur au sein de
peuple », avance ce quarantenaire Au commencement de la ren­ armés. « Il était de mon devoir et les moyens permettant la conti­ du coup d’Etat, estimant qu’il l’Observatoire citoyen sur la gou­
sans donner son nom. contre, un homme, le colonel As­ d’(…) assurer la continuité des ser­ nuité du service publique dans la avait « parachevé » sa lutte. Et s’est vernance et la sécurité à Bamako,
simi Goita, s’assoit en bout de ta­ vices de l’Etat », explique­t­il au période délicate que l’on connaît », dite prête à fêter, vendredi, « la du chemin reste à faire avant
Le Mali d’abord ble. « Je suis le président du CNSP », sortir de la réunion. affirme Cheick Omar Maïga, en victoire du peuple malien », tout qu’une concertation permette la
Le moment est délicat. L’Union déclare­t­il simplement. La ré­ Le colonel Goita ne pourra tou­ poste au ministère de l’économie en prenant acte de « l’engagement nomination d’un président de
africaine a suspendu le Mali mer­ volte de la veille a désormais un tefois pas compter sur l’indul­ numérique et de la prospective, du CNSP d’ouvrir une transition transition : « Il existe à l’heure ac­
credi de ses instances et dénoncé nom, celui d’un commandant du gence de la communauté interna­ porte­parole des fonctionnaires. politique civile », a­t­elle indiqué tuelle des points de discorde sur la
le « changement institutionnel ». bataillon autonome des forces tionale, qui a unanimement con­ dans un communiqué. répartition des rôles entre les poli­
La Côte d’Ivoire voisine a non seu­ spéciales maliennes. « Le Mali se damné le putsch, réclamant le re­ « Ils ont besoin du peuple » Selon une source, le CNSP est en­ tiques et les militaires. » 
lement fermé ses frontières, mais trouve dans une situation de crise tour à l’ordre constitutionnel et la Les travaux du « jour d’après » ont tré en contact avec des membres paul lorgerie
aussi interrompu « toute relation sociopolitique, sécuritaire. Nous libération du président Keïta ar­ commencé dès l’annonce de la du M5­RFP, « car ils ont besoin du
économique et financière, tout flux n’avons plus le droit à l’erreur. rêté mardi par les militaires. Les démission d’« IBK ». Reste à pré­ peuple ». « Il y a en effet eu des con­
financier en direction du territoire Nous, en faisant cette intervention pays membres du Conseil de sé­ sent à parfaire la jonction avec les tacts interpersonnels », confirme
malien, jusqu’à nouvel ordre », in­ hier, nous avons mis le pays au­ curité de l’ONU ont demandé la li­ représentants de la contestation Issa Kaou N’Djim, coordinateur Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus

« IBK », le président qui « jouissait du pouvoir sans l’exercer »


Rares sont les voix qui expriment de la compassion pour le président déchu Ibrahim Boubacar Keïta, à la tête du pays depuis 2013

A quoi pouvait penser Ibra­


him Boubacar Keïta, dit
« IBK », dans le convoi qui
allait faire de lui un prisonnier, un
président déchu ? Imaginer un
« IBK » a été renversé par une ar­
mée qui, huit ans plus tôt, en 2012,
avait largement contribué à son
accession aux commandes en
poussant à la fuite son prédéces­
exprimer la moindre compas­
sion pour celui qui s’était fait
élire en 2013 sur la promesse, ja­
mais tenue, de redresser l’Etat
malien.
nier discours, où il a encore parlé
de l’affection et de la chaleur du
peuple malien, montre à quel
point il est déconnecté des réali­
tés », glisse, cinglant, son ancien
du général de Gaulle tout en étant
membre de l’Internationale so­
cialiste, Ibrahim Boubacar Keïta,
lors de son court passage dans
l’opposition, ne rechignait jamais
besoin d’un homme lige pour en­
dosser tous les actes qu’il ne vou­
lait pas assumer. “IBK” n’a pas hé­
sité à mater une révolte étudiante,
mais en réalité il est incapable de
dernier coup politique pour sau­ seur, Amadou Toumani Touré. De­ Après sept années d’« IBK » au ministre de la justice, Mamadou à raconter, avec l’accent du titi pa­ traiter et de disséquer les dos­
ver son pouvoir, en expliquant puis, la déliquescence de l’Etat ma­ pouvoir, l’Etat demeure un ba­ Ismaila Konaté, aujourd’hui pro­ risien en prime, ses années de ré­ siers », décrypte une bonne
aux « jeunes gens » que leur aven­ lien n’a fait que se renforcer. teau ivre, incapable de se réim­ che de l’opposition. volte estudiantine à la Sor­ source.
ture putschiste serait vouée à Comme un mauvais présage, planter dans le nord du pays, et Contesté par la rue depuis le bonne… Tout juste oubliait­il A Paris, qui fut son premier sou­
l’échec ? Essayer à tout prix de pré­ ces derniers mois, la fragilité de ayant abandonné le centre aux mois de juin, le président malien d’enlever de son poignet sa Rolex tien tout au long de sa présidence,
server l’intégrité de sa femme et son pouvoir semblait avoir mar­ groupes djihadistes et aux mili­ n’a jamais eu le contrôle sur ses d’or blanc sertie de diamants le locataire du palais de Koulouba
de leur fils Karim, devenus au fil qué ses traits. Son visage, barré ces communautaires. soldats. Ceux­ci ont donné le coup pour donner davantage de poids avait fini par exaspérer ses inter­
de sa présidence les incarnations d’un masque lors de sa dernière de grâce à sa présidence. « Il n’a à son récit. locuteurs. Il y a encore quelques
de la corruption, dénoncée tant allocution de chef d’Etat, s’était « Pas fait pour le job » toujours pas compris là où il a eu Cette image de dilettantisme et semaines, alors que la colère po­
par la rue de Bamako que par les émacié. « Il a été clairement con­ « Paresseux », « velléitaire », « indé­ tort », analyse une source fran­ d’indolence n’a jamais quitté pulaire enflammait Bamako,
partenaires internationaux ? Faire traint au départ mais je pense que cis », « faible », sont les qualifica­ çaise qui le connaît bien et consi­ « IBK » depuis son arrivée à la pré­ l’Elysée estimait qu’« “IBK” pos­
en sorte, comme il l’a indiqué c’est un soulagement pour lui », tifs qui reviennent dans la bouche dère que cet épilogue est « la chro­ sidence. Pourtant, quand Alpha sède toutes les cartes en main pour
dans sa déclaration de démission veut croire l’un de ses proches. des ministres, fonctionnaires et nique d’un désastre attendu ». Oumar Konaré, le président de résoudre la crise. Mais par procras­
diffusée nuitamment par la télévi­ La démission forcée d’« IBK » diplomates qui ont travaillé avec « “IBK” n’a jamais exercé le pou­ l’époque, le nomme en 1994 à la tination ou par calcul politique, il
sion nationale le mardi 18 août, amène de nouvelles incertitudes Ibrahim Boubacar Keïta. « Il n’était voir, il en jouissait », analyse cette tête du gouvernement, il ac­ refuse de les jouer ». Le voici sorti
qu’« aucun sang ne soit versé pour pour ce pays. Mais tant au niveau pas fait pour le job. Il est en fait per­ dernière sous couvert d’anony­ quiert vite le surnom de « Kanke­ d’un jeu devenu plus imprévisible
[s]on maintien aux affaires » ? local qu’international, rares sont suadé que le peuple le considère mat. Amoureux de la France et de letigui », « l’homme qui n’a que jamais. 
Comme une boucle qui se ferme, les voix qui viennent aujourd’hui comme un monarque et son der­ la langue française, admirateur qu’une parole ». « Konaré avait cyril bensimon
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VENDREDI 21 AOÛT 2020 international | 3

Un été de crises Le coup d’Etat


au Mali a mis
en question
diplomatiques la continuité
de la stratégie
antiterroriste
pour Macron française
dans le Sahel
De la visite au Liban aux réactions au putsch entre la Grèce et la Turquie. Mais
malien, l’Elysée a multiplié les interventions à l’Elysée, on estime que le grand
éclaircissement avec Ankara doit
avoir lieu au plus vite.
Peut­être faudra­t­il attendre

L
a politique étrangère n’a avec l’Allemagne, marqué par une l’élection américaine pour cela,
jamais fait gagner une évolution majeure de Berlin sur tant l’OTAN est paralysé sur le plan
élection présidentielle. En l’endettement européen, a permis de la réflexion politique. « Mort cé­
revanche, elle assoit la sta­ au bout de quatre­vingt­dix heu­ rébrale », disait le président fran­
ture d’un dirigeant en exercice. res d’âpres échanges de surmon­ çais en novembre 2019. Quelques
Elle confirme un style, à défaut ter les réticences, tactiques et idéo­ mois plus tôt, le 19 août, Emma­
d’une doctrine, mot guère prisé logiques, des pays dits « frugaux ». nuel Macron recevait Vladimir
dans la diplomatie du XXIe siècle. Le 4 août, l’explosion dans le port Poutine au fort de Brégançon,
De ce point de vue, l’été d’Emma­ de Beyrouth a poussé le Liban en pour mettre en scène de façon
nuel Macron aura été marqué par tête de ses priorités. Dans la sidéra­ spectaculaire – et contestée, en Eu­
une succession de crises. Aucune tion et la colère populaire régnant rope orientale – sa tentative de dia­
ne pouvait être négligée. sur place, le chef de l’Etat a vu une logue stratégique avec Moscou.
La dernière en date est le coup triple possibilité : raffermir le lien Un an plus tard, c’est la chancelière
d’Etat militaire au Mali, qui a acca­ affectif de la France avec ce pays, allemande Angela Merkel qui de­
paré le chef de l’Etat toute la jour­ mettre la pression sur les diri­ vait avoir les honneurs du lieu de
née du mardi 18 août, dans une geants locaux et, enfin, réaliser un Emmanuel villégiature, jeudi 20 août.
succession d’entretiens télépho­ coup spectaculaire dans la région. Macron,
niques. Rien ne vaut un contact di­ Cela compte en politique, lors­ au fort de Chercher une convergence
rect entre dirigeants, surtout dans qu’on a accumulé les déconvenues Brégançon, Entre les deux pays, la coordina­
les cas graves. Outre les tour­ en Libye, qu’on ne pèse pas en Sy­ le 9 août, tion en matière de politique étran­
ments d’un pays africain très pro­ rie et que les Etats­Unis menacent lors de la gère, au­delà des questions pure­
che de la France, cet événement de déstabiliser la lutte contre le dji­ visioconfé­ ment européennes, paraît sans
– qu’il a fermement dénoncé – a hadisme en Irak, en se retirant mi­ rence inter­ précédent. Il n’est plus question de
mis en question la continuité de la litairement. Ces jours­ci, le Moyen­ nationale se répartir les zones d’influence, à
stratégie antiterroriste dans le Sa­ Orient n’est pas une zone favora­ organisée l’ancienne, les Allemands veillant
hel. Soit un pilier de l’action inter­ ble pour l’influence française. en soutien sur les Balkans et la frange orien­
nationale d’Emmanuel Macron. D’où, d’ailleurs, l’importance de la au Liban. tale de l’Europe, la France sur l’Afri­
Certaines de ces crises estivales relation privilégiée entretenue LAURENCE GEAI que francophone et le Moyen­
se nouaient de longue date. avec les Emirats arabes unis. POUR « LE MONDE » Orient. A présent, Paris et Berlin
D’autres ont surgi de façon dra­ cherchent une convergence sur
matique dans l’actualité, telle l’at­ Echanges téléphoniques tous les sujets­clés. Même si, sur la
taque contre un convoi de tra­ En quelques heures, le président rée : l’organisation en trente­six veau à Beyrouth. Le prétexte sera d’Etats membres, son recrute­ Turquie ou la Libye, les méthodes
vailleurs humanitaires au Niger, décide donc de se rendre dans la heures, le 9 août, d’une conférence le centenaire de la naissance du Li­ ment de milliers de combattants et les options choisies peuvent
le 9 août, causant la mort de six capitale libanaise, où les détresses internationale en soutien au Li­ ban. Il s’agira aussi d’exprimer la syriens transférés en Libye. Cette parfois diverger.
Français. Dans la foulée, Emma­ s’ajoutent aux détresses. Ancien ban. Emmanuel Macron multiplie vigilance française et de rappeler fois, au­delà des condamnations Au programme de l’entretien
nuel Macron organisait un con­ ambassadeur à Beyrouth, Emma­ pour cela les échanges téléphoni­ les partis politiques libanais à verbales, Paris a décidé de façon entre le président français et la
seil de défense par visioconfé­ nuel Bonne, conseiller diplomati­ ques. Il s’entretient avec le prince leurs responsabilités, pour temporaire de renforcer sa pré­ chancelière allemande figurait en
rence, au fort de Brégançon (Var). que du président, et son adjointe héritier d’Arabie saoudite, Mo­ qu’émerge un « gouvernement de sence militaire en Méditerra­ bonne place la Biélorussie, autre
« On a pris l’habitude de fonction­ Alice Rufo sont alors en vacances. hammed Ben Salman, celui des mission », selon l’expression de née orientale. fièvre majeure de l’été. « L’Union
ner à distance avec le Covid », sou­ Comme le conseiller chargé de Emirats arabes unis, Mohammed l’Elysée. Sans jeu de neutralisation « Le président a la conviction que européenne doit continuer de se
ligne un conseiller du président. l’Afrique du Nord et du Moyen­ Ben Zayed Al­Nahyane, l’émir du et de blocage entre les acteurs. La la fermeté, la rapidité et les gestes mobiliser aux côtés des centaines
Unité légère, exécution immé­ Orient, Patrick Durel, ils rega­ Qatar, Tamim ben Hamad Al­ route est noueuse. symboliques sont ce qu’il manque de milliers de Biélorusses qui mani­
diate : tel est le mode d’action pri­ gnent vite la capitale, une fois Thani, ainsi qu’avec Vladimir Pou­ souvent à la politique extérieure festent pacifiquement pour le res­
vilégié par le chef de l’Etat. l’ampleur de l’explosion consta­ tine et le président iranien, Hassan Méthode proactive européenne, et qu’il faut l’incar­ pect de leurs droits, de leur liberté
Mais la première grande étape tée. Le déplacement du président Rohani. Sur le plan opérationnel, Cette méthode proactive s’est re­ ner, explique au Monde Clément et de leur souveraineté », a écrit
estivale a réclamé des trésors de est monté en à peine dix­huit heu­ la France est au rendez­vous. trouvée dans un autre dossier Beaune, le secrétaire d’Etat aux Emmanuel Macron sur Twitter. Le
patience. Emmanuel Macron s’est res, un défi pour une destination L’aide humanitaire en matériels très délicat, celui de la Turquie. affaires européennes. Face à la président français a aussi, sur ce
plongé dans les négociations en­ aussi complexe, en termes sécuri­ (nourriture, médicaments) et en Depuis plusieurs mois, la France Turquie, il s’agissait de marquer sujet, échangé avec de nombreux
tre Etats membres, pour arracher taires. Jean­Yves Le Drian, le mi­ effectifs (pompiers, médecins, essayait de susciter le débat à l’in­ un coup d’arrêt aux tests auxquels homologues, dont Vladmir Pou­
avec Angela Merkel un plan de nistre des affaires étrangères, ac­ etc.) s’organise très rapidement. térieur de l’UE comme au sein de Erdogan soumet les Européens et tine. Samedi 22 août, M. Macron
sauvetage de 750 milliards compagne le président. Le prochain rendez­vous, de l’OTAN sur les comportements de montrer que nous ne sommes devrait retrouver son bureau.
d’euros, à l’aube du 21 juillet. Ce Cette visite d’une journée est sui­ suivi, est fixé au 1er septembre. Em­ jugés inacceptables d’Ankara, ses pas faibles. » Paris soutient la ten­ C’est la rentrée. 
fruit d’un « travail de trois ans » vie d’une autre initiative accélé­ manuel Macron se rendra de nou­ forages illégaux dans les eaux tative de médiation allemande piotr smolar

L’Elysée veut éviter la déconnexion avec le quotidien des Français


Accaparé par l’international, Macron a laissé son premier ministre occuper la scène nationale, tout en surveillant le front sanitaire

U ne « mobilisation totale »
et « un état de veille per­
manent ». Lors du con­
seil des ministres du 29 juillet, le
dernier avant la pause estivale,
soleil », a même lancé le chef de
l’Etat à l’un de ses proches, ma­
nière de dire qu’il y travaille
autant qu’à Paris.
Jeudi 20 août, la chancelière alle­
mande Angela Merkel était atten­
due à Brégançon, pour annoncer
de nouvelles initiatives sur le plan
de relance européen. Le 6 août,
semaine, un rythme soutenu. « En
contre­plongée de l’immersion très
“terroir” de son premier ministre
dans les sujets nationaux, Emma­
nuel Macron s’est immergé dans les
conseil de défense sanitaire, en
visioconférence depuis Brégan­
çon. Aucune annonce n’a été faite
à son issue, si ce n’est la prolonga­
tion jusqu’au 31 octobre de l’inter­
de se rendre auprès des pêcheurs
du Guilvinec (Finistère) juste
avant un déplacement aux Etats­
Unis, afin de ne pas apparaître dé­
connecté de sa base électorale.
Emmanuel Macron avait passé la « Attitude miroir » Emmanuel Macron a même inter­ sujets internationaux. C’est une at­ diction des rassemblements de Cette donnée diplomatique
consigne aux membres du gou­ Les circonstances y sont pour rompu ses vacances pour se ren­ titude miroir de celle de son pre­ plus de 5 000 personnes. Mais « ce pourrait s’avérer cruciale en vue
vernement : pas question de goû­ beaucoup. L’explosion qui a ra­ dre dans la capitale libanaise, ra­ mier ministre », analyse l’ex­com­ conseil marquait la volonté de de la prochaine élection présiden­
ter aux plaisirs du farniente et de vagé Beyrouth, l’assassinat de six vagée deux jours plus tôt par l’ex­ municant de Nicolas Sarkozy, montrer que la vigilance est tou­ tielle. La France assurera en effet,
donner aux Français le sentiment humanitaires français au Niger, plosion d’un entrepôt qui abritait Franck Louvrier. « Il y a deux têtes jours en cours, rapporte une pro­ au premier semestre 2022, la pré­
d’un exécutif en roue libre en les tensions apparues entre la du nitrate d’ammonium. de l’exécutif, chacune a sa fonc­ che. Nous vivons un été avec une sidence de l’Union européenne
pleine crise sanitaire. Grèce et la Turquie en Méditerra­ Cet effet de loupe sur l’interna­ tion », balaye­t­on à l’Elysée. crise sanitaire inédite, une situa­ (UE). Un moment sur lequel les
« Le président nous a demandé née, le coup d’Etat au Mali ou en­ tional s’explique aussi par l’omni­ tion économique qui sera très diffi­ macronistes, qui se revendiquent
de ne pas nous éloigner et d’être core la contestation en Biélorus­ présence, partout en France, du Equilibre des préoccupations cile à la rentrée, il est normal que le comme les premiers des proeu­
sur le pont », résumait un ministre sie ont obligé le chef de l’Etat à nouveau premier ministre, Jean Certains reconnaissent néan­ président soit mobilisé ». ropéens, veulent capitaliser, à
qui aurait pourtant bien aimé descendre dans l’arène et à mul­ Castex, qui a cherché à se faire moins avoir en tête le risque in­ Lors de son quinquennat (2007­ l’instar de Nicolas Sarkozy en
souffler, après avoir successive­ tiplier les appels à ses homolo­ connaître. Depuis le dernier duit par ce tropisme diplomati­ 2012), Nicolas Sarkozy, pourtant 2008, lors du précédent mandat
ment vécu la crise des « gilets jau­ gues étrangers (Donald Trump, conseil des ministres, le chef que : celui d’apparaître décon­ friand des grands rendez­vous di­ français sur l’UE.
nes », les manifestations contre la Vladimir Poutine – à deux repri­ du gouvernement a réalisé en necté du quotidien des Français. plomatiques, avait déjà en tête cet « Le projet européen sera un des
réforme des retraites et l’épidémie ses –, Hassan Rohani…). moyenne deux déplacements par Pour preuve, ses conseillers ne équilibre entre préoccupations piliers de la reconstruction du
de Covid­19. manquent pas de rappeler que nationales et internationales. « Je pays. Tout ce qu’on lance politique­
Cette consigne, le chef de l’Etat M. Macron s’est rendu à Toulon, le me méfiais toujours de l’effet am­ ment avec le plan de relance doit
se l’est lui­même appliquée. De­
puis son arrivée, le 29 juillet, au
Macron et la crainte d’un reconfinement 4 août, pour annoncer le verse­
ment d’une « prime Covid » de
bivalent que provoquaient ces
voyages à l’étranger, écrit l’ex­chef
arriver à maturation au moment
de la présidence française [de
fort de Brégançon (Var), son lieu Dans des propos rapportés par Paris Match, le président de la 1 000 euros aux auxiliaires de vie. de l’Etat dans son dernier livre, l’UE] », souligne le député (La Ré­
de villégiature estival depuis République dit vouloir éviter un nouveau confinement généralisé, C’est aussi lui qui a demandé à la Le Temps des tempêtes (éd. de publique en marche) des Français
trois ans, Emmanuel Macron n’a alors que le nombre de cas de Covid-19 augmente à nouveau en ministre de la culture, Roselyne l’Observatoire, 23 euros). Certains de l’étranger Pieyre­Alexandre
pas quitté le devant de la scène, France. « Les Français ont une anxiété légitime, liée au virus, Bachelot, « d’accélérer » le travail Français étaient fiers, lorsque cela Anglade. « C’est un élément impor­
accaparé par une intense activité que l’on doit accepter. On vit en temps réel un phénomène épidémi- de consultation des acteurs de la se passait bien, de l’image que le tant pour le pays, moins pour les
diplomatique mais aussi par la que totalement neuf, analyse Emmanuel Macron. Nous avons des culture touchés par la crise due au pays pouvait renvoyer. D’autres Français, nuance Franck Louvrier.
préparation de ses dix­huit der­ stratégies très localisées, comme ce qui s’est passé en Mayenne, et Covid­19, fait savoir un macro­ trouvaient que j’aurais mieux fait Les préoccupations des Français,
niers mois de mandat, notam­ allant jusqu’à un reconfinement ciblé qu’on pourrait instaurer si la si- niste. « Il a des points réguliers avec de m’occuper des affaires intérieu­ ce sont la sécurité, la santé, l’écono­
ment le plan de relance, qui doit tuation l’imposait (…) On ne peut pas mettre le pays à l’arrêt, parce ses ministres, notamment sur le res plutôt que de me “promener” à mie. La popularité ne se fait pas sur
être détaillé lors du conseil des que les dommages collatéraux d’un confinement sont considérables. plan de relance », explique l’Elysée. l’extérieur de nos frontières. » les sujets internationaux. » 
ministres de rentrée, le 25 août. Le risque zéro n’existe jamais dans une société. Il faut répondre Le 11 août, M. Macron a égale­ L’ancien président raconte ainsi olivier faye
Brégançon, « c’est l’Elysée avec le à cette anxiété sans tomber dans la doctrine du risque zéro. » ment ostensiblement présidé un avoir choisi, en novembre 2007, et cédric pietralunga
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4 | international VENDREDI 21 AOÛT 2020

Kamala Harris face au poids de l’histoire


La sénatrice de Californie a accepté sa nomination comme candidate démocrate à la vice­présidence

san francisco ­ correspondante


Elle est la

T
out y était. Les icônes, les première
références, les héros de
la légende démocrate.
« femme
Dans son discours d’ac­ de couleur »
ceptation de la nomination dé­
mocrate pour la vice­présidence
à figurer
des Etats­Unis, Kamala Harris n’a sur le ticket
oublié personne : ni les pionniè­
res du suffrage féminin dont le
présidentiel
pays, Donald Trump y compris, d’un grand parti
célèbre actuellement la victoire,
consacrée il y a cent ans, par le
19e amendement à la Constitu­ tés contre le virus. « Il n’y a pas de
tion qui a donné le droit de vote vaccin contre le racisme. Il faut
aux femmes. Victoire imparfaite, qu’on se mette au travail. » Les
n’a­t­elle pas manqué de rappeler, louanges de Joe Biden. Et la pro­
car les Afro­Américaines ont en­ messe de « parler vrai » quoi qu’il
core dû attendre près d’un demi­ arrive. D’inclure tout le monde,
siècle pour pouvoir exercer réelle­ Blancs, Noirs, Latinos, popula­
ment leur droit. tions indigènes. Infirmiers, chauf­
Ni les « défricheuses » qui ont feurs routiers, fermiers, facteurs…
suivi, comme Hillary Clinton, la Tous les ingrédients y étaient
première à avoir brisé le « plafond d’un discours bien lissé, prononcé
de verre » de la candidature d’un avec la jubilation qu’elle commu­
grand parti à la Maison Blanche. nique dans cette campagne des
Hillary qui venait de s’adresser primaires, ce plaisir qui contraste
avant elle à la convention, en avec la déprime nationale d’être
blanc, en hommage aux suffragis­ au dernier rang de la lutte contre la
tes du début du XXe siècle, mais pandémie ou les diagnostics
alarmiste, implorant les électeurs tels que celui livré sur un ton
à ne pas répéter les erreurs de épouvanté par Elizabeth Warren :
2016. « Ces femmes nous ont ins­ « This crisis is bad. »
piré à reprendre le flambeau », a Tout y était peut­être sauf le
débuté Kamala Harris, devant un poids de l’histoire. Si elle a le senti­
podium classique de convention, ment de « faire l’histoire », Kamala
tranchant avec les vidéos des Harris n’en paraît pas écrasée. Et
autres intervenants, mais sans Des soutiens de Kamala Harris suivent la convention démocrate à la télévision, le 19 août, en Californie. MICHAEL SHORT/GETTY IMAGES/AFP elle déteste, dit­on, être interrogée
audience sinon un aréopage de sur cette question. Kamala Harris
drapeaux. est pourtant la première « femme
festant ensemble » pour les droits vous organisé par un ami. Les en­ tants de Black Lives matter, elle a de couleur » (selon l’expression en
Prédateur
« Il n’y a pas civiques. Sa naissance « à l’hôpital fants : ceux de son mari (l’avocat préféré mettre en avant la défense vigueur aux Etats­Unis), à figurer
La sénatrice de Californie était de vaccin contre Kaiser d’Oakland, en Californie », Doug Emhoff, 55 ans comme elle, des femmes, des enfants et des sur le ticket présidentiel d’un
l’oratrice la plus attendue de la a­t­elle pris soin de préciser à épousé en 2015), qui l’appellent victimes. « J’ai confronté les gangs grand parti. Elle pourrait avoir à
troisième journée de la conven­
le racisme. Il faut destination de ceux qui auraient « Momala ». Sa sœur : Maya, enga­ transnationaux, les plus grandes succéder à Joe Biden, qui, s’il est
tion, mercredi 19 août, une jour­ qu’on se mette des doutes. gée en politique elle aussi, et an­ banques. Je reconnais un préda­ élu le 3 novembre, aura 78 ans en
née presque entièrement occu­ De sa poussette, Kamala se sou­ cienne conseillère de la candidate teur quand j’en vois un ». entrant en fonctions le 20 janvier.
pée par les femmes : personnali­
au travail » vient avoir eu une initiation à la Clinton. Son beau­frère : Tony Et elle aura le pied à l’étrier pour la
tés du parti, comme Nancy Pelosi, KAMALA HARRIS lutte, « à ce que le grand John Lewis West, ancien adjoint au ministre Poids de l’histoire campagne de 2024 s’il ne se repré­
la première speaker du Congrès, candidate à la vice- a appelé “bonne perturbation” » de la justice sous Barack Obama et Tout y était. Le temps d’arrêt, dans sente pas, comme il l’a laissé en­
héroïnes ordinaires de la lutte présidence – hommage incontournable au aujourd’hui directeur des affaires un discours prononcé à bonne al­ tendre. L’enjeu était pour elle
contre les armes à feu. Ou l’extra­ compagnon de Martin Luther juridiques de Uber. Et des oncles lure, pour marquer la solennité du d’apparaître à la hauteur, d’autant
ordinaire Gabrielle Giffords, l’élue King disparu le 17 juillet. Et à avoir et tantes, « et Mme Shelton », l’insti­ moment : « J’accepte votre nomi­ que sa performance pendant les
de l’Arizona, grièvement blessée une maman venue d’Inde qui rê­ été élevée, sa sœur et elle, dans la tutrice d’Oakland, et les camara­ nation comme vice­président des primaires a été en dents de scie.
d’une balle dans la tête en 2011, vait de guérir le cancer, fit une tradition « des femmes noires for­ des de l’université noire Howard Etats­Unis ». Les attaques contre L’examen a été réussi, ont estimé
qui a tenu le discours le plus long brillante carrière de chercheuse tes », tout en étant « conscientes et University à Washington… Donald Trump, dont la « vacuité les commentateurs. Avant de pas­
qu’elle ait jamais réussi à pronon­ avant d’être vaincue par la mala­ fières de notre héritage indien » Puis la carrière : procureur à San nous donne le sentiment d’être ser immédiatement à la perfor­
cer depuis l’attentat, après en die ; un père étudiant à Berkeley La famille ? Assez éloignée des Francisco, puis à l’échelon de la seuls » ; dont « l’incompétence mance du jour, le discours véri­
avoir appris chaque mot, un à la lui aussi, et « ils sont tombés schémas traditionnels. « C’est Californie. « Top cop », dit­elle un nous effraie ». Les références au tablement historique : celui de
fois, avec ses thérapeutes. Tout y amoureux de la manière la plus Doug, mon mari, que j’ai rencontré jour. Devant une convention qui a « racisme structurel » de la société Barack Obama. 
était, les éléments de biographie : américaine qui soit : en mani­ dans un blind date », un rendez­ rendu hommage aux manifes­ américaine, illustré par les inégali­ corine lesnes

Obama sonne l’alarme contre Trump au nom de la démocratie


L’ex­président des Etats­Unis a lancé une charge véhémente contre son successeur lors de la convention d’investiture démocrate

washington ­ correspondant rêt à prendre ce travail au sérieux, mandat représentait un danger nemi” mais le moyen qui permet ne sommes pas un peuple fragile. que ceux­ci, la plupart d’entre
qu’il puisse finir par ressentir le existentiel pour les fondements de tenir les officiels responsables ; Notre force ne vient pas d’un sau­ vous ont déjà pris une décision.

J amais un ancien président


des Etats­Unis avant Barack
Obama n’avait instruit plus
terrible procès de son succes­
seur. Lorsqu’il a pris la parole,
poids de la charge et découvrir
une certaine vénération pour la
démocratie qui avait été placée
sous sa garde ».
« Mais il ne l’a jamais fait. Depuis
de la démocratie américaine.
Joe Biden et Kamala Harris, les
candidats au poste de président
et de vice­présidente, a­t­il af­
firmé, « croient que dans une dé­
que notre capacité à travailler en­
semble pour résoudre de gros pro­
blèmes comme une pandémie dé­
pend du respect des faits, de la
science et de la raison et qu’elle ne
veur autoproclamé promettant
que lui seul peut rétablir l’ordre »,
avait­il assuré.

Appel à la jeunesse
Mais peut­être ne savez­vous tou­
jours pas pour quel candidat vous
voterez, ou si vous voterez tout
simplement. Vous êtes peut­être
fatigué de la direction que nous
mercredi 19 août, au troisième près de quatre ans maintenant, il mocratie, le droit de vote est sacré doit pas consister à inventer n’im­ Barack Obama avait essuyé un prenons, mais vous ne voyez pas
soir de la convention d’investi­ n’a manifesté aucun intérêt pour et que nous devrions faciliter le porte quoi », a enchaîné l’ancien autre revers avec la mobilisation encore un chemin meilleur, ou
ture démocrate, des extraits de cette charge ; aucun intérêt à trou­ vote des citoyens, pas le rendre président dans un portrait dé­ insuffisante de la communauté vous n’en savez pas assez à propos
son discours dans lesquels il l’at­ ver un terrain d’entente ; aucun in­ plus difficile ». « Ils estiment que vastateur de l’administration afro­américaine dont il s’était de la personne qui pourrait nous y
taquait avaient déjà été rendus térêt à utiliser le pouvoir impres­ personne − y compris le président Trump. « Rien de tout cela ne de­ porté imprudemment garant. « Je conduire », a­t­il voulu espérer,
publics. Donald Trump y avait sionnant de sa fonction pour aider − n’est au­dessus de la loi et vrait être controversé (…). Ce sont considérerais comme une insulte avant de s’adresser tout particu­
immédiatement réagi, répétant qui que ce soit d’autre que lui­ qu’aucun fonctionnaire − y com­ des principes américains. Mais, en personnelle, une insulte à mon hé­ lièrement à la jeunesse, invitée à
une nouvelle fois que le premier même et ses amis ; aucun intérêt à pris le président − ne devrait utili­ ce moment, ce président et ceux ritage si cette communauté bais­ prendre en main son destin.
Afro­Américain à avoir occupé la traiter la présidence comme autre ser sa fonction pour s’enrichir ou qui le soutiennent ont montré sait sa garde et ne parvenait pas à « La démocratie n’a jamais été
présidence des Etats­Unis était chose qu’une émission de télé­réa­ enrichir ses fidèles », a­t­il pour­ qu’ils n’y croyaient pas », a jugé s’engager dans cette élection », censée être transactionnelle :
l’unique responsable de son élec­ lité de plus qu’il peut utiliser pour suivi sur un ton accusateur. « Ils Barack Obama. avait­il affirmé avant l’élection. “vous me donnez votre vote”, “je
tion, du fait du cortège d’échecs attirer l’attention dont il a be­ comprennent que les opposants Ce sentiment d’urgence justifié Il a sans doute mesuré les nom­ fais tout au mieux”. Elle nécessite
que ce président « mauvais » et soin », a assuré l’ancien président. politiques ne sont pas “antiaméri­ par la conviction que « la démocra­ breux risques de cette violente une citoyenneté active et infor­
« inefficace » avait laissé derrière « Donald Trump ne s’est pas élevé cains” simplement parce qu’ils ne tie est en jeu », désormais, a tran­ attaque que le mépris des nor­ mée. Je vous demande donc de
lui à l’en croire. Ce « carnage amé­ à la hauteur de la fonction parce sont pas d’accord avec vous ; ché avec le silence que Barack mes professé par Donald Trump croire en votre propre capacité à
ricain » dénoncé lors de sa presta­ qu’il ne le peut pas. Et les consé­ qu’une presse libre n’est pas “l’en­ Obama avait tant bien que mal res­ rend indispensable à ses yeux. En assumer votre propre responsabi­
tion de serment, en 2017. quences de cet échec sont graves », pecté depuis son départ de la Mai­ rompant avec l’usage qui veut lité en tant que citoyens, à faire en
La charge a été implacable et a­t­il poursuivi avant d’évoquer le son Blanche. L’ancien président, que les présidents se tiennent en sorte que les principes fondamen­
méthodique, portée par la flui­ sombre bilan de la crise sanitaire comme bien d’autres, avait sous­ dehors d’une mêlée politique de­ taux de notre démocratie perdu­
dité d’un orateur hors pair. Elle a créée par le Covid­19. « Donald Trump estimé Donald Trump lors de la venue un effroyable bourbier rent », a­t­il conclu dans un appel
visé tout d’abord un homme jugé convention démocrate de Phila­ sous la présidence de Donald à l’engagement déjà esquissé lors
incapable d’être au rendez­vous « Le droit de vote est sacré »
ne s’est pas élevé delphie qui avait couronné Hillary Trump, il prend en effet le risque des funérailles du militant des
de l’histoire. « Je ne m’attendais Barack Obama ne s’est pas limité à la hauteur Clinton, il y a quatre ans. « Il pro­ d’apparaître comme partie pre­ droits civiques John Lewis, mort à
pas à ce que mon successeur em­ à ce jugement cruel, comme va­ pose juste des slogans et il offre la nante d’un affaissement natio­ 80 ans le 17 juillet. « Le président et
brasse ma vision ni poursuive mes lidé en temps réel par des messa­
de la fonction peur. Il parie que s’il fait peur à suffi­ nal. Il sait sans doute également ceux qui l’entourent comptent sur
politiques, a convenu Barack ges courroucés publiés en lettres parce qu’il ne samment de gens, il pourra obtenir qu’il n’est pas sûr que son appel à votre cynisme », a­t­il averti, con­
Obama. J’espérais, pour le bien de capitales par Donald Trump sur juste assez de voix pour remporter la mobilisation, aussi dramati­ jurant les nouvelles générations
notre pays, que Donald Trump son compte Twitter. Il a en effet
le peut pas » cette élection. C’est un pari que que soit­il, soit entendu. « Je sais américaines de les démentir. 
pourrait montrer un certain inté­ tenté de démontrer qu’un second BARACK OBAMA Donald Trump perdra. Parce nous qu’en des temps aussi polarisés gilles paris
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VENDREDI 21 AOÛT 2020 international | 5

Biélorussie: l’UE espère une sortie Soupçons


d’empoisonnement de
de crise en dialoguant avec Poutine l’opposant russe Navalny
Moscou condamne « les ingérences inacceptables » dans les affaires du pays Le rival de Poutine a été hospitalisé d’urgence

D
ur à l’égard du régime et d’argent pour financer des plus avoir de dialogue dans les moscou ­ correspondant parlé d’une « réaction allergique ».
biélorusse, ouvert émeutes en Biélorussie ». Cette
Loukachenko mois qui viennent », reconnaît une Alexeï Navalny est un personnage
vis­à­vis de la Russie,
en espérant qu’elle
joue un rôle constructif dans la
crise : tel est le double mouve­
ment esquissé par les Européens.
propagande a pour objectif de
justifier par avance toute répres­
sion violente et d’apeurer les
franges les plus conservatrices de
la société. Elle vise aussi à sollici­
a donné l’ordre
de surveiller
les frontières
source diplomatique française.
Les Européens espèrent que la
Russie pourrait contraindre Lou­
kachenko à certains compromis,
à condition de ne pas braquer
L’ opposant russe Alexeï
Navalny a été hospitalisé
en urgence, jeudi 20 août
au matin, et se trouvait dans un
état grave dans un hôpital de la
à part sur la scène politique russe.
Depuis l’assassinat de Boris Nemt­
sov en 2015, il fait figure d’oppo­
sant numéro un à Vladimir Pou­
tine, si l’on exclut les partis repré­
Lors d’un sommet extraordinaire ter le soutien de Moscou face à un
contre « l’arrivée Moscou. Les sanctions, outil clas­ ville d’Omsk, en Sibérie. Incons­ sentés au Parlement, loyaux au
en visioconférence, mercredi prétendu complot occidental. de militants sique souvent employé par l’UE, cient, il a été placé sous respira­ pouvoir. Il n’a jamais pu obtenir
19 août, les chefs d’Etat et de gou­ Dans son entretien avec Emma­ ne relèvent pas, aux yeux des di­ teur artificiel. Selon sa porte­pa­ l’enregistrement d’un parti politi­
vernement de l’Union euro­ nuel Macron, Vladimir Poutine n’a
étrangers » plomates, d’une escalade, mais role, Kira Iarmich, il serait en­ que, malgré de multiples tentati­
péenne (UE) ont rejeté le résultat pas soutenu la réélection contes­ d’une réponse calibrée. « L’idée suite tombé dans le coma. Pour ves, et n’a pu se présenter qu’à une
de l’élection présidentielle du tée de Loukachenko. En revanche, qu’on devrait négocier en position son équipe, l’empoisonnement seule élection, en 2013 à la mairie
9 août. Ils ont confirmé leur vo­ il a confirmé la disponibilité des vu ce combat lors des étapes précé­ de faiblesse, sous prétexte que les ne fait guère de doute, après une de Moscou, où il avait obtenu 27 %
lonté d’adopter des sanctions no­ forces armées, sur le territoire dentes du développement de la si­ sanctions surexciteraient la Rus­ première tentative il y a un an. des suffrages. Ses candidats sont
minales contre « un grand nom­ russe, près de la frontière, dans tuation, après la fin de l’existence de sie, est un mal traditionnel euro­ « Nous supposons qu’Alexeï a été aussi régulièrement empêchés de
bre de responsables de la violence, l’hypothèse d’une détérioration l’Union soviétique. L’exemple ré­ péen », estime même un diplo­ empoisonné avec quelque chose se présenter aux élections.
de la répression et de la falsifica­ sécuritaire grave en Biélorussie. cent, évidemment, c’est l’Ukraine. » mate français de haut rang. de mélangé dans son thé. C’est la
tion des résultats électoraux ». Cette position d’attente du A Paris, on estime que cette com­ seule chose qu’il a bue depuis le Acharnement
Selon nos informations, à l’occa­ Kremlin rend d’autant plus sensi­ munication relève surtout de la Incitations et sanctions matin [à l’aéroport de Tomsk]. Les Face à ces interdictions, M. Na­
sion d’un entretien téléphonique ble l’hypothèse de provocations « dissuasion » et de la « posture ». En réalité, l’UE a toujours balancé, médecins disent que la toxine a valny appelle régulièrement à vo­
avec Vladimir Poutine, mardi éventuelles, calculées, destinées à Pour la France, le dossier biélo­ face à la Biélorussie, entre l’exas­ été absorbée plus rapidement par ter pour des candidats les mieux
18 août, Emmanuel Macron a pro­ compromettre l’image pacifique russe représente une épreuve re­ pération et la tentative de rappro­ le liquide chaud », a indiqué sur placés pour battre le pouvoir, une
posé au président russe la média­ des manifestants. Elle donne l’es­ doutable et imprévue de solidité, chement, les sanctions et les inci­ Twitter Mme Iarmich. tactique de plus en plus couron­
tion de l’Organisation pour la sé­ poir à la France d’une sortie de dans le dialogue stratégique en­ tations, le soutien à la société Des images diffusées par son née de succès. Il s’était rendu à
curité et la coopération en Europe crise négociée à Minsk, avec l’aide gagé avec la Russie. Il a été forma­ civile et les considérations géo­ équipe ont montré M. Navalny, Tomsk pour préparer les élections
(OSCE). « Il s’agit d’une maison de Moscou, à condition de ne pas lisé lors de la réception de Vladi­ politiques, liées à sa stratégie 44 ans, évacué sur une civière sur régionales du 13 septembre.
commune, où tout le monde est re­ donner l’impression qu’un projet mir Poutine au fort de Brégançon, avec la Russie. En 2008, l’UE avait le tarmac de l’aéroport d’Omsk. Lui et ses équipes déploient
présenté, notamment la Biélorussie d’intégration européenne ou au il y a un an, par Emmanuel interdit de visas Loukachenko et L’avion dans lequel il se trouvait, autant d’énergie à dénoncer la cor­
et la Russie », souligne une source sein de l’OTAN était promis à la Macron. Depuis, les avancées ont son entourage. En 2010, le chef de qui reliait Tomsk, en Sibérie occi­ ruption des élites politiques rus­
diplomatique française. L’OSCE Biélorussie. Mais l’empoisonne­ été très faibles, sur le conflit gelé la diplomatie polonaise, Radek dentale, à Moscou, a dû atterrir en ses, enquêtes fouillées à l’appui.
joue déjà un rôle important d’ob­ ment probable de l’opposant dans le Donbass ukrainien, l’accès Sikorski, et son homologue urgence après que l’état de santé Leurs vidéos totalisent des mil­
servation dans l’est de l’Ukraine. Alexeï Navalny, survenu jeudi ma­ aux réfugiés en Syrie, le désarme­ allemand Guido Westerwelle, du dirigeant de l’opposition se soit lions de vues. En 2017, une enquête
Vladimir Poutine n’aurait pas re­ tin, risque d’entraver cette démar­ ment ou les cyberactivités. s’étaient rendus à Minsk avec une subitement dégradé. Dans une sur les somptueux avoirs de l’ex­
jeté cette suggestion européenne, che en portant l’attention sur les Les groupes de travail constitués lourde incitation : 3 milliards autre vidéo, tournée à bord de premier ministre, Dmitri Medve­
mais réclamerait un délai pour y méthodes employées en Russie sur de nombreux sujets poursui­ d’euros d’aides diverses sur trois l’avion, on entend des râles de dev, avait provoqué d’importantes
réfléchir, selon cette même contre les voix critiques. vent leurs échanges. Dans le dos­ ans si la Biélorussie s’engageait douleur venant de sa place. manifestations dans les rues du
source. Une façon de gagner du sier ukrainien, une réunion des sur la voie d’une ouverture dé­ La police a été appelée sur les pays. Alexeï Navalny et ses équipes
temps, peut­être, sans se fermer « Enjeu géopolitique » conseillers diplomatiques des mocratique. lieux, à l’hôpital, et le plus proche font l’objet d’un acharnement de
d’option. Autre enseignement de De son côté, le compte rendu du pays du format Normandie Loukachenko n’avait pas dit oui, lieutenant d’Alexeï Navalny, la part des autorités. Lui ou son
cet entretien : Vladimir Poutine Kremlin après l’entretien entre les (Ukraine, Russie, France, Allema­ et il n’avait pas dit non. Une mé­ Leonid Volkov, a confirmé au Fonds de lutte contre la corruption
n’aurait pas condamné les mani­ deux chefs d’Etat a mentionné gne) devrait se tenir vers la fin thode de travail chez lui, pour na­ Monde qu’une plainte avait été ont fait l’objet de dizaines d’enquê­
festations d’ampleur, qui se pour­ une volonté partagée de régler au août, selon l’Elysée. La précédente, viguer entre Russie et UE. Mais au déposée au Comité d’enquête, à tes, pour des motifs divers. Cel­
suivent dans tout le pays depuis plus vite le problème posé en début juillet à Berlin, en présence soir même de l’élection présiden­ Moscou, pour des faits d’empoi­ les­ci donnent lieu à des perquisi­
l’élection présidentielle. Biélorussie. Mais il évoquait aussi du nouveau titulaire du dossier à tielle de 2010, la répression s’abat­ sonnement. Selon M. Volkov, les tions incessantes, au cours des­
De son côté, Alexandre Louka­ « le caractère inacceptable des ingé­ Moscou, Dmitri Kozak, avait été tit, après une campagne pourtant médecins tardent désormais à quelles le matériel du Fonds est
chenko, le dirigeant biélorusse, rences dans les affaires intérieures » très éprouvante et crispée. marquée par une tolérance inha­ transmettre les premiers résul­ saisi. Ses militants sont fréquem­
refuse toute forme d’ingérence de ce pays. Les autorités russes ont Si la Biélorussie devenait un nou­ bituelle pour l’opposition. L’UE dé­ tats d’analyse. ment frappés en province. Depuis
étrangère. Mercredi, il a donné choisi d’aiguiser leurs propos pu­ veau champ d’affrontement idéo­ cida alors d’adopter une longue En juillet 2019, tandis qu’il pur­ 2011, M. Navalny a passé 232 jours
pour ordre aux responsables de blics et de mettre en cause les trois logique et politique entre la Russie liste de sanctions contre des entre­ geait une courte peine de prison, en prison et 242 en résidence sur­
l’appareil sécuritaire de mettre Etats baltes et la Pologne. « L’enjeu et l’UE, la démarche d’Emmanuel prises et des responsables biélo­ Alexeï Navalny avait affirmé avoir veillée. Une enquête pénale lancée
fin aux « troubles » et de sur­ relève de la géopolitique, du com­ Macron en serait compromise. « Si russes. Elles n’eurent aucun effet été empoisonné par une « matière contre lui et son frère Oleg a abouti
veiller attentivement les frontiè­ bat pour l’espace post­soviétique, a les Russes devaient soutenir militai­ dissuasif. Elles furent levées chimique inconnue » et transféré à une condamnation de ce dernier
res contre « l’arrivée de militants précisé le chef de la diplomatie rement Loukachenko, de façon di­ en 2016. Les voici de nouveau.  vers un établissement hospitalier. à 3,5 années de prison. 
étrangers, d’armes, de munitions russe, Sergueï Lavrov. Nous avons recte ou indirecte, on ne pourrait piotr smolar Les autorités avaient de leur côté benoît vitkine

En Thaïlande, la répression s’organise Surexploitée, privatisée, polluée,


L’avocat Anon Nampa, l’une des figures des manifestations prodémocratie, a été arrêté l’eau est en danger.
Tour du monde des enjeux
en plus de 30 cartes
bangkok ­ correspondant particulière au sein d’un mouve­ royaume −, les autorités se ser­ sion du gouvernement, la disso­
en Asie du Sud­Est ment par ailleurs sans chef dési­ vent de lois sur la sédition ou lution de l’Assemblée nationale et et infographies dans notre hors-série.
gné. Et qui s’est épanoui au fil des d’autres réglementant la liberté la tenue de nouvelles élections.

A près la carotte, le bâton :


trois meneurs de la
contestation étudiante
thaïlandaise ont été arrêtés à
Bangkok dans la soirée du mer­
semaines de manière « organi­
que », un peu sur le modèle des
manifestations hongkongaises.
Compte tenu de l’actuelle nature
du système de gouvernance
d’expression sur Internet. Lois « li­
berticides », accusent les activistes
prodémocratie. Ces derniers esti­
ment que la Thaïlande vit sous un
système de « dictature » déguisée.
Ils exigent également une nou­
velle Constitution, l’actuelle ayant
été promulguée par référendum
et sous régime militaire en 2017,
incluant certaines dispositions
credi 19 août. Trois autres, qui thaïlandais − un ancien régime « Nous rêvons d’une monarchie qui faussent par avance tout ré­
Hors-série
-sér
-série Septembre-octobre 2020
8,50 €
n’avaient pas encore été appré­ militaire rafistolé en démocratie qui puisse coexister avec la démo­ sultat électoral : les 250 membres
hendés en fin de matinée, jeudi parlementaire depuis les élections cratie », avait bravement répété du Sénat sont appointés par un

Atlasde l’eau
20 août, sont également sous le de 2019 −, il n’est pas surprenant l’avocat Anon Nampa, dimanche comité proche de l’armée et le
coup du même mandat d’arrêt que les autorités aient décidé 16 août, lors du plus grand ras­ poids que représentent les séna­
pour « sédition », « manifestation d’agiter le bâton. Quant à la semblement organisé depuis des teurs assure quasiment la victoire
interdite » et « violation » des ré­ carotte, elle avait pris la forme de années dans le Bangkok histori­ de partis soutenant le sys­
glementations en vigueur pour récents discours officiels donnant que. « Nous devons accomplir cela tème d’oligarchie militaro­mo­
« empêcher la dissémination du le sentiment qu’une certaine tolé­ dans notre génération », avait­il narchiste qui tient le pays.
coronavirus ». L’accusation de sé­ rance était de mise : le premier mi­ ajouté. Brièvement interpellé une Poussée par la crise économique
dition pourrait leur valoir, à elle nistre, Prayuth Chan­ocha, un an­ première fois après sa première provoquée par la pandémie de
seule, sept ans de prison. Ils doi­ cien général putschiste, avait no­ « sortie » du 3 août, il avait peu Covid­19, la contestation s’étend
vent comparaître jeudi devant la tamment affirmé, lors d’une allo­ après été relâché sous caution chez les plus jeunes. On assiste
cour. La police pourrait exiger de cution télévisée, que la jeunesse avec la promesse de ne plus parti­ ainsi à des scènes étonnantes,
prolonger leur détention de était « l’avenir » du pays. ciper à d’autres rassemblements. comme celle qui a été largement Une ressource rare, précieuse,
menacée par la pollution
douze jours, selon la presse Il avait immédiatement fait sa­ diffusée sur les réseaux sociaux, et les conflits... Tour du monde
thaïlandaise. « Dictature » déguisée voir qu’il ne tiendrait pas compte mercredi, quand plusieurs centai­ de l’eau et de ses enjeux en plus
de 30 cartes et infographies.
Le plus célèbre des six accusés Jusqu’à présent, le recours au de cette injonction. Le jeune avo­ nes d’élèves du secondaire se sont
est Anon Nampa, un avocat de crime de lèse­majesté, qui peut cat s’était fait connaître aupara­ rendues au siège du ministère de
34 ans devenu l’un des symboles valoir à tout contrevenant jusqu’à vant pour avoir défendu des mili­ l’éducation. Là, ils y ont rencontré
de la contestation depuis que, quinze ans de prison, n’a pas été tants accusés de crime de lèse­ le ministre, Natthaphon Thep­
En partenariat
sarcastiquement déguisé en un utilisé, le roi Rama X ayant, selon majesté suite au putsch de 2014. suwan, dont la bienveillance est al­ avec

personnage de la série « Harry le chef du gouvernement, recom­ En marge des demandes de ré­ lée jusqu’à accepter de dialoguer
Potter », il proposa, le 3 août, lors mandé de ne plus l’utiliser… forme de la monarchie, qui por­ avec eux. Mais quand il a essayé de
d’une manifestation, que soit ré­ Pour pallier la « mansuétude » tent essentiellement sur les droits prendre la parole, il a été verte­
formé le système monarchique.
En étant l’un des premiers à oser
de ce souverain désormais ouver­
tement contesté par une frange
et les devoirs d’un souverain à qui
il est reproché de disposer de pou­
ment prié de s’asseoir par terre
dans les derniers rangs. Le minis­
EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND
enfreindre les tabous protégeant importance de la jeunesse voirs bien plus étendus que ceux tre, sous les sifflets, a obéi. C’était DE JOURNAUX
l’institution suprême du pays, − même si l’institution monar­ offerts par la Constitution, les encore le temps de la carotte. 
Anon Nampa a acquis une aura chique reste très respectée dans le étudiants demandent la démis­ bruno philip
0123
6 | international VENDREDI 21 AOÛT 2020

Afrique du Sud :
colère et misère
au foyer
des femmes
« LA VIE SOUS COVID DANS LE TOWNSHIP D’ALEXANDRA » 3|4
Plus de 3500 personnes vivent dans
un bâtiment où rien ne fonctionne

REPORTAGE tristes, aux carreaux cassés. Il


tombe une lumière drue d’hiver
johannesburg ­
correspondant régional
austral, qui rend chaque détail
plus cruel. En contrebas, au pied

C
ette fois, elle est en co­ d’un escalier où les enfants chan­
lère. Violet serre les tent et dansent sur les marches
pans de son manteau cassées, s’étend une mare infecte,
gris comme pour tout droit sortie d’un égout percé.
étreindre quelque chose, faute de
cou à étrangler, et jette un œil « C’est ma récompense »
sombre sur le téléphone éteint, Un des garçons du voisinage, dont Une résidente de l’auberge Madala, dans le township d’Alexandra, dans la banlieue de Johannesburg. MARCO LONGARI/AFP
posé sur la table de son petit ap­ les pupilles comme des têtes
partement. Hier soir, à cause de d’épingle et le discours exagéré­
l’obscurité dans les couloirs, elle a ment enthousiaste témoignent d’histoire. Il y a eu les années de l’IFP (Parti Inkhata pour la liberté), d’argent. Cette soupe, c’est tout ce ment a brûlé à cause d’un branche­
trébuché sur un seau rempli d’eau d’un recours à des substances illi­ lutte contre le pouvoir blanc de soutenus par les services de sécu­ que je mangerai aujourd’hui. » ment électrique sauvage qui a pro­
ou d’autre chose, évité la chute cites, vient défendre un grandilo­ l’apartheid. Ce foyer était un bas­ rité du pouvoir blanc. Leurs af­ Le nouveau coronavirus n’est voqué un court­circuit. Cela fait
mais laissé tomber son précieux quent projet de rénovation. En tion du Congrès national africain frontements, quotidiens, avaient pas seulement à l’origine d’une deux ans, aucune réparation n’a
smartphone avec lequel elle réalité, du plan de 1,7 milliard de (ANC), et Violet figurait parmi ses transformé ces lieux en zones de épidémie de chômage. Il tue aussi. été entreprise, malgré les budgets
s’éclairait. L’appareil a atterri dans rands (85 millions d’euros) dont responsables clandestins. guerre. La guerre civile, du reste, a Thebogo est l’une des rares à le de maintenance (« 32 millions de
le seau, et ne fonctionne plus. tout le quartier avoisinant devait Elle s’illumine quand elle dit « la été à deux doigts de naître ici. Il y dire sans ambages : « Ma sœur est rands au niveau de la municipalité
En acheter un autre ? La ques­ bénéficier, on serait bien en peine lutte ». C’est aussi à son courage, à eut des dizaines de morts, mais de morte la semaine dernière, et per­ l’année dernière », précise Violet, la
tion, pour l’heure, ne se pose de trouver les traces. Dans le sa ténacité qu’elle a pu, lorsque ces morts, pas plus que de celles sonne ne veut reconnaître qu’elle combattante jamais vaincue).
même pas. Violet Mfobo a peut­ township d’Alexandra où vivent s’est effondré l’apartheid, se voir entraînées par le nouveau corona­ avait le Covid­19, malgré tous les Ses pas l’entraînent à présent
être 76 ans, mais elle ne s’habi­ plusieurs centaines de milliers de attribuer cette petite prise de virus, Violet ne veut entendre par­ symptômes. Sur le certificat de dé­ dans l’ex­cuisine collective. Des
tuera jamais à ce qui fait son quo­ personnes, le foyer de femmes, re­ guerre : l’ex­appartement des gar­ ler. « Des cas de Covid­19, ici, c’est cès, ils ont écrit qu’elle était décé­ dizaines de réchauds à gaz, des ta­
tidien dans le Hostel des femmes baptisé Helen Joseph, est le souve­ diens − deux pièces en rez­de­ certain qu’il y en a, avec les gens en­ dée d’une pneumonie. Toute la fa­ bles vissées au sol, des casiers
d’Alexandra, le foyer prévu pour nir à la fois d’un passé douloureux chaussée −, où elle habite depuis tassés dans les chambres, la distan­ mille était soulagée comme si grillagés pour y serrer ustensiles
2 875 personnes et où plus de et le signe de l’échec du présent. l’avènement de la démocratie, ciation est impossible. Mais… per­ c’était bien de mourir de pneumo­ et nourriture. Tout est à l’aban­
3 500 femmes et enfants vivent A l’intérieur, on a collé de petites avec sa cuisine, sa télévision, sa sonne ne connaît les chiffres, voilà. nie, et mal de mourir du Covid­19. » don, et à nouveau, tout ressemble
dans un univers dans lequel rien pancartes sur les portes des an­ chaîne hi­fi et une belle photogra­ C’est un secret. » Violet feint de ne pas entendre. à une prison. C’est là qu’une
ne semble jamais fonctionner : ciennes chambres, qui sont dé­ phie de sa mère. « C’est ma récom­ Elle sait tout de son hostel, mais il sainte colère la reprend, dont elle
ampoules volées, branchements sormais des logements d’une pense cet appartement, c’est à Une clinique neuve à l’abandon est hors de question de parler de la pèse chaque mot : « Du temps de
électriques sauvages, égouts qui pièce où vivent plusieurs person­ moi », dit­elle simplement. Dehors, à l’entrée du complexe, mort. Non que le sujet ne l’inté­ l’apartheid, nos oppresseurs ju­
refluent, eau polluée, vie impossi­ nes. Violet a emménagé ici il y a Près de la porte entrebâillée une distribution de soupe popu­ resse pas, mais à condition qu’on geaient bon de faire en sorte qu’on
ble. « Mais laissez­moi vous mon­ plus de trente ans, et règne sur ce pour les visiteurs, avec son auto­ laire vient de commencer. Des pe­ le rattache au combat de sa vie, ait au moins du gaz pour cuisiner
trer dans quoi nous vivons », dit­ navire en perdition. Elle en con­ collant « Si vous voulez me parler, tites filles s’approchent avec des contre les autorités municipales, sans prendre de risque. Dans les
elle, et déjà elle trotte sur ses élé­ naît chaque recoin, chaque pan adressez­vous à mon avocat », un récipients dans lesquels on verse dont la pire insulte à ses yeux s’of­ chambres, on avait à la fois l’eau
gantes bottes de daim. chariot de supermarché est rem­ une louche d’épais liquide fumant, fre justement devant la porte sous chaude et l’eau froide au robinet.
Devant la grande porte de ce bâ­ pli de bouteilles en plastique con­ et s’enfuient avec des cris d’oiseau. la forme d’une immense clinique Maintenant, comment dire, le gou­
timent construit en 1972, il y a un tenant le stock d’eau : les robinets Des femmes de tous âges sont neuve mais fermée, l’air déjà à vernement, c’est nous et, parce que
induna (« responsable », « chef »). Il Le foyer sont constamment à sec. dans la file d’attente. Thebogo, la l’abandon, et dont le montage fi­ c’est nous, tout va mal ? On dit que
prétend mettre en application l’in­ Sur la tourmente des années trentaine, mange sa soupe dans nancier a alimenté plusieurs dé­ nous devons être respectés, mais
terdiction de pénétrer dans l’en­
de femmes 1990, lorsque eut lieu la « guerre une tasse, assise sur un muret, tournements scandaleux. Les por­ personne ne nous respecte. » 
ceinte de l’immense structure, qui est le souvenir à des hostels », elle préfère passer sans quitter des yeux son petit éta­ tes de l’établissement demeurent jean­philippe rémy
ressemble à un établissement pé­ vite. Les bâtiments, conçus lage de produits de beauté Amway. closes, et nul ne sait si elles ouvri­
nitentiaire. Violet fait un geste de
la fois d’un passé comme de grands viviers de « Normalement, les femmes qui ront un jour, malgré les dizaines Prochain article Flics et voyous
la main et l’homme s’évanouit. Ici, douloureux main­d’œuvre, avaient été trans­ vont travailler me prennent une pe­ de millions de rands engloutis.
s’ouvre son domaine. Des cours formés en casernes de combat­ tite crème quand elles rentrent. A l’intérieur, dans les couloirs
avec du linge, des voitures, aban­
et de l’échec tants : d’un côté, les soutiens de Mais désormais, plus personne ne poussiéreux du foyer, ce n’est pas
données ou pas ; des murs sales et du présent l’ANC, de l’autre les militants de va travailler, et plus personne n’a mieux. Toute une aile d’un bâti­ Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus

Dans les cimetières, le rythme des enterrements s’accélère


De mai à août, l’Afrique du Sud a enregistré plus de 30 000 morts naturelles de plus que les années précédentes

johannesburg ­ correspondance sans équivoque : entre juin et ville, Reggie Moloi. A Soweto rance contractées afin de financer Pourtant, grâce à l’effet combiné de santé. « Certaines personnes
juillet, le nombre de personnes pourtant, l’un des districts les les enterrements : « Nous sommes de la distanciation sociale, du la­ décédées du Covid­19 ne sont pas

D ans le cimetière d’Oli­


fantsvlei, à Johannes­
burg, les chants qui ac­
compagnent les morts réson­
nent moins fort depuis l’arrivée
enterrées à Johannesburg a dou­
blé, alors que la province du Gau­
teng, dont fait partie la ville, deve­
nait l’épicentre de la pandémie
dans le pays.
plus sévèrement touchés, cer­
tains funérariums peinaient à
faire face à la demande au cœur
de la crise.
« Nous sommes passés de trente
littéralement devenus un institut
de crédit informel, nous ne pour­
rons pas tenir longtemps comme
ça », résumait Monageng Legae.
Pour le responsable des cimetiè­
vage des mains, du port du mas­
que et des restrictions de mouve­
ments, l’épidémie de grippe, qui
arrive d’ordinaire en avril avec le
début de l’hiver austral, est restée
enregistrées comme telles parce
qu’elles meurent chez elles ou à
l’hôpital sans avoir été diagnosti­
quées. Mais il y a aussi probable­
ment des gens qui ont subi indi­
de la pandémie. Les enterre­ Avec plus de 12 000 morts liées décès par mois à trente par se­ res de Johannesburg, « il y a, certes, invisible cette année. « Les cimetiè­ rectement l’impact de la pandé­
ments, qui rassemblaient tradi­ au Covid­19 pour près de 600 000 maine ! Un corps qui quitte le funé­ beaucoup d’enterrements, mais la res sont peut­être habitués à rece­ mie et du confinement : des pa­
tionnellement des foules de plus cas le 18 août, selon les chiffres of­ rarium y est immédiatement rem­ majorité n’est pas liée au Covid ». voir plus de morts à cette saison, tients souffrant de cancer ou de
de cent personnes, sont désor­ ficiels, l’Afrique du Sud affiche placé par un autre », expliquait fin Entre juin et juillet, le nombre de mais l’excès de mortalité observé crise cardiaque par exemple, qui
mais limités à une cinquantaine. pourtant l’un des taux de morta­ juillet Monageng Legae, responsa­ funérailles à Johannesburg est cette année dépasse largement le n’ont pas eu accès aux soins parce
Et quand le défunt a succombé au lité les plus faibles au monde. Cin­ ble de Sopema Funerals, dans le passé de 1 486 à 2 948, mais seule surplus des années passées », ba­ qu’ils n’ont pas voulu se rendre à
Covid­19, les cortèges sont sou­ quième pays le plus touché de la quartier d’Orlando West. Sa cham­ une fraction de ces décès est offi­ laie le spécialiste des maladies in­ l’hôpital de peur de contracter le
vent plus minces encore. De mé­ planète par la pandémie, il a mis bre froide peut accueillir 24 corps. ciellement liée au nouveau coro­ fectieuses Richard Lessells. virus, ou parce que les services
moire d’homme, on n’a pas sou­ en place une politique de dépista­ Pour éviter de se trouver à court de navirus : 112 en juin, 255 en juillet. De mai à août, l’Afrique du Sud a hospitaliers étaient perturbés »,
venir d’avoir connu funérailles ges massifs et semble a priori s’en place, il a loué un conteneur réfri­ « C’est la saison de la grippe en enregistré plus de 30 000 morts détaille Richard Lessells.
aussi discrètes. Pourtant, le sortir mieux que le Mexique géré capable d’accueillir 18 corps Afrique du Sud, et tous les malades naturelles de plus que les années Conscient du phénomène, le
calme d’Olifantsvlei est trom­ (57 000 morts), le Royaume­Uni supplémentaires : « Personne ne ne sont pas atteints du Covid­19 », précédentes sur la même période, ministre de la santé, Zweli Mkhize
peur. En toile de fond, le ballet in­ (41 000 morts) ou la France veut voir sa mère empilée sur quel­ tente de relativiser Reggie Moloi. d’après un rapport du South Afri­ encourage désormais les malades
cessant des pelleteuses rappelle (30 000 morts) notamment. qu’un d’autre », expliquait­il. can Medical Research Council, à retourner à l’hôpital et à se faire
que le cimetière tourne en réalité « Nous ne sommes pas comme chargé de traquer l’évolution de la diagnostiquer. En attendant, mal­
à plein régime. le Brésil, où des tombes sont creu­ Conteneur réfrigéré mortalité dans le pays. « Ces chif­ gré ce bilan incertain, les derniè­
A l’unisson, les ouvriers chargés sées en nombre uniquement pour Gérer le flux est d’autant plus déli­
« Nous sommes fres donnent l’image la plus pré­ res données indiquent que l’Afri­
de creuser les tombes répètent la le Covid­19. Le gouvernement cat que les délais de traitement ad­ passés cise de l’impact réel de l’épidémie », que du Sud pourrait avoir passé le
même histoire : « Ces derniers nous a demandé d’identifier des ministratif des décès ont été allon­ estime le professeur Lessells. plus dur. Le nombre de nouveaux
temps, c’est la folie, les funérailles espaces disponibles au cas où gés : « Le ministère de l’intérieur est
de 30 décès S’il ne fait aucun doute pour les cas journaliers diminue un peu
ont lieu par dizaines tous les jours, nous serions amenés à enterrer submergé ; il est arrivé qu’un corps par mois à experts que la surmortalité est partout, et la principale crainte
la situation est terrible depuis que les morts du Covid en masse, mais reste chez nous quinze jours en at­ attribuable à la pandémie, faute des autorités devient désormais
le “corona est arrivé” », dit l’un ce n’est pas le cas pour l’instant. Il tendant le certificat de décès. »
30 par semaine » d’analyses, rien ne permet pour de voir les chiffres repartir à la
d’eux. Comme les autres, sa hié­ n’y a pas d’enterrements de masse Faute d’attestation, il doit réguliè­ MONAGENG LEGAE l’instant de distinguer les victi­ hausse en cas de relâchement des
rarchie lui interdit de parler publi­ à Johannesburg », rassure ainsi le rement faire crédit aux familles responsable de mes directes du virus des décès mesures de précaution. 
quement, même si le constat est responsable des cimetières de la qui attendent les primes d’assu­ Sopema Funerals liés à son impact sur le système mathilde boussion
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VENDREDI 21 AOÛT 2020 planète | 7

La « génération climat » tente de se réinventer


Après deux ans de grèves scolaires, le mouvement lancé par Greta Thunberg maintient la pression sur les Etats

P
our les jeunes mobilisés
pour le climat, la date du
Ces deux
20 août revêt une double dernières
importance. D’abord,
parce qu’elle marque, jour pour
années,
jour, les deux ans de leur mouve­ l’humanité
ment « Fridays for Future » (« les
vendredis pour le futur »). Le
a continué
20 août 2018, une jeune Suédoise à émettre plus
alors inconnue, Greta Thunberg,
débutait une grève scolaire de­
de 80 milliards
vant le Parlement de Stockholm de tonnes de CO2
pour demander aux dirigeants
des actions urgentes contre le dé­
règlement climatique. Depuis, mes d’inégalités et protègent les
des millions d’étudiants, de ly­ plus vulnérables.
céens et de collégiens lui ont em­ « Les changements nécessaires
boîté le pas, boycottant massive­ pour sauver l’humanité peuvent
ment leurs cours pour descendre sembler très irréalistes. Mais il est
dans la rue. beaucoup plus irréaliste de croire
Ensuite, parce que l’égérie de la que notre société serait capable de
lutte contre le réchauffement de survivre au réchauffement clima­
la planète, accompagnée par trois tique que nous allons connaître,
autres figures de proue du mou­ ainsi qu’aux autres conséquences
vement, devait rencontrer, jeudi, écologiques désastreuses qui se­
la chancelière allemande Angela ront entraînées par le statu quo ac­
Merkel – dont le pays assure pen­ tuel », expliquent les activistes.
dant six mois la présidence du Pour les jeunes femmes, les diri­
Conseil de l’Union européenne geants se bercent d’illusions et
(UE) – avec une longue liste de re­ « perdent un temps précieux » en
vendications. Une manière de croyant que nous sommes sur la
montrer que malgré la crise sani­ bonne trajectoire pour réduire les
taire du Covid­19, la mobilisation émissions. « La seule solution est
inédite de la « génération climat » de changer de système », assè­
ne faiblit pas. nent­elles. Luisa Neubauer (avec le micro) et Greta Thunberg, lors de la manifestation « Fridays for Future », à Berlin, le 29 mars. F. BENSCH/REUTERS
Les quatre jeunes femmes, Greta
Thunberg, l’Allemande Luisa Neu­ « Champions de la Terre »
bauer, et les Belges Anuna de We­ Pour cela, l’Europe a un rôle à publiée le 19 août. Pendant ces qu’alors jamais manifesté. Lors nisé des conférences d’experts
ver et Adélaïde Charlier, se sont vu jouer, notamment du fait de sa deux années, l’humanité a conti­ des trois journées de grève inter­
Les militants sont sur Internet, manifesté locale­
accorder une audience de 1 h 30 responsabilité historique dans le nué à émettre plus de 80 mil­ nationale de 2019, ils étaient tant bien que mal ment en petits comités ou mené
avec la chancelière, à Berlin. Elles dérèglement climatique. « Avec le liards de tonnes de CO2 et les ca­ 1,8 million à défiler le 15 mars, des actions symboliques, à
doivent lui remettre une lettre Covid­19, le climat a été relégué au tastrophes (incendies, canicules, 2 millions le 24 mai et plus de
parvenus à l’image de militants allemands
ouverte, envoyée le 16 juillet second plan alors que c’est la plus ouragans, etc.) se sont multi­ 4 millions le 20 septembre, selon faire exister qui ont déposé des milliers de
aux vingt­sept chefs d’Etat et de grande crise à laquelle l’humanité pliées à travers le monde, entraî­ les chiffres des organisateurs. pancartes devant leur Parle­
gouvernement de l’UE et aux pré­ fait face, regrette Adélaïde Char­ nant la perte de nombreuses vies. « Fridays for future » a aussi aidé à
le mouvement ment.
sidents des institutions euro­ lier. Nous voulons nous assurer « Lorsqu’il faut agir, nous sommes la prise de conscience de l’ur­ pendant « Les mouvements sociaux ont
péennes, qui a recueilli 125 000 si­ que le climat reste la priorité d’An­ toujours dans un état de déni », gence climatique dans une partie des hauts et des bas, par cycles. Le
gnatures, dont celles de climatolo­ gela Merkel et que la relance ne écrivent les grévistes du climat de la population.
le confinement Covid­19 a, du moins temporaire­
gues, d’économistes, de militants marquera pas un retour à la nor­ dans le Guardian. ment, entraîné un bas, explique
ou encore de stars. male. » Selon les Nations unies (ONU), Maintenir la pression Joost de Moor, chercheur pos­
Dans leur tribune, les militantes Deux dossiers majeurs sont sur respecter l’accord de Paris sur le Les jeunes militants, dont le mou­ sité d’Uppsala (Suède), qui étudie tdoctorant à l’université de Stoc­
demandent aux dirigeants, la table de la chancelière : la relève climat implique que les pays tri­ vement se veut apolitique, sont le mouvement Fridays for future. kholm, qui travaille sur le militan­
comme elles en ont désormais de l’objectif européen de réduc­ plent leurs efforts afin de ne pas également parvenus à inscrire la Cependant, je ne vois pas encore tisme climatique. Mais le carac­
l’habitude, de traiter la crise cli­ tion des émissions d’ici à 2030 et dépasser 2 °C de hausse globale question climatique à l’agenda de politiques claires qui répondent tère générationnel de Fridays for
matique et écologique véritable­ les négociations qui se poursui­ des températures moyennes, et politique de nombreux pays. Le directement aux demandes de Fri­ future, qui fait que ses jeunes
ment comme une crise. Mais vent sur le budget européen pour les multiplient par cinq pour ne sujet s’est imposé lors des élec­ days for future. » De quoi pousser membres s’identifient comme
pour la première fois, elles listent la période 2021­2027, alors que le pas aller au­delà de 1,5 °C. Or, les tions européennes et américai­ les jeunes à maintenir la pression. ceux qui souffriront si la crise cli­
aussi des mesures précises à en­ Parlement réclame notamment Etats ne parviennent toujours pas nes et le Parlement européen a Il leur faut désormais se réinven­ matique reste non résolue, pour­
gager immédiatement. Parmi el­ des augmentations pour le climat. à s’entendre pour rehausser col­ déclaré l’urgence climatique et ter dans un monde bouleversé rait constituer une base solide
les : l’arrêt de tous les investisse­ La crise sanitaire, toutefois, lectivement leur ambition. environnementale l’an passé, de par le Covid­19. pour entraîner leur engagement à
ments et des subventions dans n’est pas la seule responsable du Pour autant, le mouvement même que certains pays et collec­ Si la pandémie leur a porté un long terme sur le sujet. »
les énergies fossiles, la reconnais­ retard de l’action climatique. De­ « Fridays for future », qui s’est vu tivités. coup, en les empêchant de défi­ La prochaine grève mondiale
sance d’un crime international puis 2018 et le début du mouve­ décerner par l’ONU le titre de « Ces jeunes ont eu accès à de ler toutes les semaines et en relé­ pour le climat, prévue le 25 sep­
d’écocide, la mise en place de bud­ ment « Fridays for future », « nous « champion de la Terre » en sep­ nombreux responsables politiques guant le climat au second plan, tembre à la fois dans les rues et en
gets carbone annuels contrai­ avons perdu deux nouvelles an­ tembre 2019, n’a pas été inutile. Il de premier plan, même si parfois les militants sont tant bien que ligne en fonction de la situation
gnants pour limiter les émissions nées cruciales en raison de l’inac­ a permis de mobiliser une partie ces derniers étaient surtout inté­ mal parvenus à faire exister le sanitaire, permettra de voir où en
de gaz à effet de serre ainsi que tion politique », condamnent de la jeunesse – même s’il s’agit ressés par faire des selfies avec mouvement pendant le confine­ est cette mobilisation de la jeu­
l’adoption de politiques climati­ Greta Thunberg et ses camarades surtout, pour l’Europe, de jeunes Greta Thunberg, note Katrin Uba, ment. Ils ont poursuivi la grève nesse mondiale. 
ques qui réduisent toutes les for­ dans une tribune au Guardian aisés et éduqués – qui n’avait jus­ professeure associée à l’univer­ en ligne chaque vendredi, orga­ audrey garric

Un élevage de canards du Sud­Ouest ciblé par l’association L214


Les militants de la cause animale dénoncent les souffrances subies par les palmipèdes reproducteurs et des atteintes à l’environnement

U n canard, échappé d’une


cage délabrée, avance
lentement, les pattes re­
couvertes par un flot d’excré­
ments. Autour de lui, des cada­
tout se déverse librement à l’exté­
rieur. C’est ahurissant ! »
Les images ont été tournées dé­
but août dans un bâtiment abri­
tant des canards de Barbarie. Le
Les déjections,
qui s’écoulent
à l’extérieur
véritable bombe sanitaire », met
en garde L214. L’association ap­
pelle également à la fermeture im­
médiate et définitive de l’exploita­
tion : « La situation semble totale­
ne disent avoir été alertés précé­
demment d’un risque potentiel
pour l’environnement près de
l’élevage de Lichos.
Le ministère de l’agriculture a
Après ces nouvelles révéla­
tions, l’association appelle le mi­
nistre de l’agriculture, Julien De­
normandie, à diligenter un audit
de l’ensemble des élevages de ca­
vres d’animaux en décomposi­ sperme de ces animaux est pré­ du bâtiment, font ment hors de contrôle. » Selon le fait savoir qu’il avait demandé à nards reproducteurs et des cou­
tion qui gisent dans leur cage ou levé régulièrement puis utilisé lanceur d’alerte, des vétérinaires la préfecture des Pyrénées­Atlan­ voirs de la filière de foie gras, et
sur le sol, dans un bâtiment tota­ pour inséminer des canes de Pé­
craindre un risque se sont pourtant rendus sur les tiques de diligenter une enquête d’en rendre publiques toutes les
lement insalubre. L’association kin. Les canards mulards mâles de pollution d’un lieux à au moins deux reprises à sur l’état de l’exploitation, et as­ conclusions, à l’image de ce qui
L214 a publié, jeudi 20 août, des issus de ces inséminations, qui l’époque où il travaillait dans l’éle­ sure qu’une inspection a été me­ avait été fait pour la filière des
images témoignant de la situa­ naissent dans un couvoir atte­
cours d’eau classé vage. Lors de leurs visites, les sala­ née sur place mercredi, qui con­ abattoirs d’animaux de bouche­
tion dans un élevage de canards nant, sont utilisés pour la produc­ Natura 2000 riés n’étaient pas présents. firme des « manquements à la ré­ rie, en 2016.
reproducteurs situé sur la com­ tion de foie gras. Jusqu’en 2015, ce L’association a porté plainte glementation en vigueur ». Le res­ L214 appelle à l’interdiction du
mune de Lichos, dans les Pyré­ couvoir de canetons mulards fai­ mercredi 19 août auprès du pro­ ponsable de l’élevage n’a, jusqu’à gavage des oies et des canards,
nées­Atlantiques. sait partie de ceux qui fournis­ les salariés. « On devait marcher cureur de la République de Pau présent, pas souhaité réagir. une pratique obligatoire pour
« Au départ, on a eu l’impression sent la filière Indication géogra­ sur des vers blancs pour nourrir les pour cruauté envers les animaux, En décembre 2019, l’associa­ produire du foie gras de canard
que le site était à l’abandon, expli­ phique protégée (IGP) « canard à animaux, j’ai failli être malade plu­ abandon, mais aussi atteinte à tion L214 avait déjà dénoncé les en France et qui ne subsiste que
que Brigitte Gothière, la direc­ foie gras du Sud­Ouest ». sieurs fois, raconte l’ancien em­ l’environnement. Les déjections, pratiques d’un producteur de dans une poignée de pays de
trice et porte­parole de l’associa­ ployé qui a alerté l’association. qui s’écoulent à l’extérieur du bâ­ foie gras qui jetait des canetons l’Union européenne. « La filière
tion. Les cages sont rouillées, Une « bombe sanitaire » Quand je trouvais des canards timent, font craindre un risque de vivants par centaines dans un foie gras met en avant la tradi­
complètement défoncées. Et puis Des canards blessés par le grillage morts, je les mettais dans un sac pollution du Saison, un cours bac d’équarrissage, où ils mou­ tion, le terroir… Mais quand on
on a vu apparaître des canards de leur petite cage, qui n’ont pas la pour les déposer dans un conte­ d’eau classé Natura 2000 et joux­ raient de faim et étaient étouffés voit ce qui se fait dans un élevage
encore en vie, dans un état pitoya­ place d’étendre leurs ailes… L’or­ neur, mais il n’y avait pas de con­ tant l’élevage. Ni le service dépar­ sous le poids de leurs congénè­ comme celui des Pyrénées­Atlan­
ble. Il y a des rats, des asticots qui ganisation de défense des ani­ gélateur. Il y avait une odeur… temental de l’Office français de la res. Le foie gras de cet établisse­ tiques ou quand l’on sait que les
grouillent et puis cette couche de maux dénonce des conditions de C’était l’horreur. » biodiversité ni le syndicat mixte ment de Dordogne, rattaché au canards mulards n’existent pas
merde partout sur le sol… Norma­ vie « effroyables » pour les palmi­ « Avec cette accumulation de dé­ des gaves d’Oloron, de Mauléon et lycée agricole de Périgueux, avait dans la nature, ça nous fait sou­
lement, il y a une fosse septique pèdes, mais aussi des conditions jections, de crasse et de cadavres en de leurs affluents, chargé de l’ani­ été médaillé d’or en 2019 au con­ rire », ajoute Brigitte Gothière. 
pour récupérer les déjections, là de travail « épouvantables » pour décomposition, cet élevage est une mation de la zone Natura 2000, cours général agricole. perrine mouterde
FRANCE
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8| VENDREDI 21 AOÛT 2020

ÉCOLOGIE

Barbara Pompili visée de toutes parts
Confrontée à de nombreux
arbitrages, la ministre
de la transition écologique
doit naviguer entre
des intérêts divergents

D
epuis qu’elle a été nommée
ministre de la transition
écologique, le 6 juillet, Bar­
bara Pompili découvre la du­
reté de son nouvel environ­
nement. Dans ce climat poli­
tique aride, elle se retrouve dans le collima­
teur de nombreux opposants aux intérêts
divergents. Les chasseurs bien sûr, mais aussi
les défenseurs de l’environnement qui pour­
fendent une action à leurs yeux trop timorée.
Certains députés de la majorité, enfin, offus­
qués de la promotion de cette ancienne collè­
gue qui s’est parfois montrée frondeuse à
l’égard de l’exécutif depuis 2017.
« Quand on est ministre de l’écologie, on est
sous le feu roulant des polémiques, quoi qu’on
fasse », résume François de Rugy, ami de Bar­
bara Pompili et ancien titulaire du poste. La
lessiveuse tourne d’autant plus vite que les
ambitions affichées en la matière par Emma­
nuel Macron, promoteur de « l’écologie du
mieux » face à « l’écologie du moins », doivent
se marier avec les contraintes économiques et
la crainte de braquer une partie de la société.
Mais l’écologiste de 45 ans ne s’attendait sans
doute pas à essuyer des tirs de la part d’un de
ses propres collègues du gouvernement. Dans
une courte préface d’à peine trois pages au li­
vre du président de la Fédération nationale des
chasseurs, Willy Schraen (Un chasseur en cam­
pagne, Gerfaut), écrite avant sa nomination à
la tête du ministère de la justice, Eric Dupond­
Moretti, s’en prend en effet aux « ayatollahs de Barbara Pompili,
l’écologie », ces « illuminés » et « intégristes » à l’Assemblée
qui, de l’actrice Brigitte Bardot au journaliste nationale, le 8 juillet.
Aymeric Caron, dénoncent depuis des années JEAN-CLAUDE COUTAUSSE
la pratique de la chasse. « Merci Willy, ce livre est POUR « LE MONDE »
un petit bijou. […] Il est fait pour que les chas­
seurs relèvent la tête. Enfin ! », écrit l’ancien avo­
cat. Selon son entourage, il ne faudrait voir
aucune malice dans ce coup éditorial : le livre,
retardé en raison du confinement, était déjà C’est précisément à cause de cela que l’été Ce recul passe d’autant plus mal que l’an­ Barbara Pompili, qui n’a pas répondu aux
sous presse depuis un mois et demi. Avant de Barbara Pompili paraît long comme un cienne militante d’Europe Ecologie­Les Verts sollicitations du Monde, était pourtant arri­
donc qu’il ne devienne garde des sceaux. jour sans pain. Au début du mois d’août, le (EELV) s’était battue ces trois dernières an­ vée aux affaires accompagnée d’une réputa­
gouvernement a ouvert la voie à une déroga­ nées en tant que députée pour pousser l’exé­ tion favorable, y compris chez les Verts. « Elle
VIRAGE À 180 DEGRÉS tion revenant sur l’interdiction de semences « QUAND ON EST  cutif à aller plus loin dans son action en fa­ est écologiste, j’ai envie de lui souhaiter bonne
Le hic, c’est que cette déclaration d’amour in­ enrobées de pesticides dits néonicotinoïdes. MINISTRE veur de l’environnement. Elle s’était par chance et bon vent », réagissait au moment de
tervient au moment où Barbara Pompili et Une mesure destinée à venir en aide aux exemple abstenue en 2019 au moment du sa nomination le secrétaire national d’EELV,
Willy Schraen s’affrontent au sujet de l’inter­ producteurs de betteraves, qui ne disposent DE L’ÉCOLOGIE, vote sur le CETA, traité de libre­échange entre Julien Bayou, tout en disant se faire « peu d’il­
diction de la chasse à la glu des oiseaux. L’en­ pas d’un traitement alternatif et dont les ren­ l’UE et le Canada, et s’était prononcée, un an lusions ». Aujourd’hui, le même dénonce de
cadrement de cette pratique, non conforme dements s’écroulent en raison de la prolifé­ ON EST SOUS LE FEU  plus tôt, en faveur d’un amendement « grands reculs ». « On calque sur l’écologie les
avec le droit de l’Union européenne (UE), doit ration de pucerons. contraire à l’avis du gouvernement pour ins­ vieux débats de la gauche : ceux qui se confron­
faire l’objet prochainement d’un arbitrage de Cette décision, « prise à l’Elysée » selon un
ROULANT crire dans la loi l’interdiction du glyphosate. tent aux réalités deviennent toujours peu ou
la part de l’exécutif. Une délégation de chas­ habitué du palais, contraint la ministre à un DES POLÉMIQUES,  « Aujourd’hui, elle envoie des éléments de lan­ prou des traîtres à la cause », déplore François
seurs a été reçue à ce sujet, le 7 août, à Mati­ virage à 180 degrés : en 2016, c’est elle qui, gage à tous les députés pour expliquer que le de Rugy. Le plan de relance de 100 milliards
gnon – à la demande d’Emmanuel Macron, alors secrétaire d’Etat sous François Hol­ QUOI QU’ON FASSE » pragmatisme c’est bien, pour qu’on lui vienne d’euros, qui sera présenté le 25 août par le gou­
selon Willy Schraen, qui revendique sa lande, avait décidé de bannir les néonicoti­ FRANÇOIS DE RUGY en aide dans les médias, s’agace un député de vernement, devrait permettre à la ministre de
« proximité » avec le chef de l’Etat. « Macron noïdes. Elle pourfendait alors toute logique député de Loire-Atlantique La République en marche (LRM). Moi, je n’irai retrouver quelques couleurs, avec une focale
est très clair sur le changement climatique, dérogatoire. « De la procrastination », raillait­ pas servir la soupe à Pompili, ce n’est pas sûr mise sur la sauvegarde du climat. « Entre
mais pour ce qui est des sujets liés au bien­être elle. Certains macronistes estiment qu’elle ne qu’elle trouve une majorité de députés pour 25 milliards et 30 milliards d’euros du plan de
animal, ce n’est pas encore sa culture, convient s’est pas assez battue contre cette dérogation, l’aider à renier ses propres engagements ! » La relance seront consacrés à l’écologie. Près de
un de ses interlocuteurs réguliers. Il est atten­ notamment pour préserver sa terre d’élec­ dérogation promise par le gouvernement, en 50 % des investissements seront verts. Nous
tif à la question de la ruralité depuis la révolte tion picarde, grande région de culture bette­ effet, doit d’abord passer par un texte de loi sommes en train de faire le premier plan de re­
des « gilets jaunes », au clivage rural urbain. ravière. « C’est elle qui a pris la décision. Elle a que les ministères de l’agriculture et de la tran­ lance aligné sur l’accord de Paris », se félicite
Il reste une tension forte autour du noyau agri­ demandé à ce qu’on vérifie quatorze fois qu’il sition écologique comptent présenter ensem­ l’eurodéputé macroniste Pascal Canfin.
culture et chasse. » n’y a pas d’alternative », assure son entourage. ble à l’automne devant les parlementaires.
« COLÈRE PRÉSIDENTIELLE »
Le compte y sera­t­il pour Barbara Pompili à
La ministre de la transition écologique dans le piège de la chasse à la glu l’approche de l’élection présidentielle de
2022 ? Lors des élections municipales à
Amiens, la quadragénaire figurait déjà sur
barbara pompili va­t­elle se retrouver prise au colle n’est pas une méthode sélective et donne trois pas tués, mais relâchés à la fin de la saison, et assu­ une liste dissidente de celle soutenue par
piège de la chasse à la glu ? Pendant l’été, cette prati­ mois au gouvernement pour répondre, faute de quoi rent que cette méthode n’a pas d’impact sur la bio­ LRM. Dans un entretien au Monde, le
que à laquelle s’adonnent moins de 6 000 personnes elle pourrait saisir la Cour de justice de l’UE. diversité. « Il reste une poignée de gens qui font ça 27 juillet, la transfuge d’EELV a par ailleurs
s’est retrouvée en bonne place dans la pile des dos­ en Provence­Alpes­Côte d’Azur ; en quoi ça dérange refusé de se prononcer sur un éventuel sou­
siers que la ministre de la transition écologique doit Avaler « une deuxième couleuvre » l’Europe et notre ministre ? », a fait mine de s’interro­ tien à Emmanuel Macron, à deux ans de
arbitrer. La chasse à la glu consiste à recouvrir de Quelques jours après ce rappel à l’ordre, Willy ger M. Schraen mardi. l’échéance. « Ma seule feuille de route, c’est de
colle des baguettes, appelées gluaux, fixées sur des Schraen, président de la Fédération nationale des Dans son ouvrage Un chasseur en campagne (Ger­ faire en sorte que, dans deux ans, le pays soit
branches d’arbre ou au sommet de grandes perches. chasseurs (FNC), a rencontré la ministre. A l’issue de faut, 235 p., 19,90 euros), il vante ses liens privilégiés sur la bonne voie pour faire face aux enjeux du
Les grives et merles noirs qui se posent sur ces pièges ce rendez­vous, il a fait savoir que la chasse à la glu se­ avec le président. Celui­ci pourrait­il trancher en fa­ réchauffement climatique et de la transition
sont décollés puis mis en cage : ils servent alors rait « la probable première victime politique de cette veur de la chasse à la glu ? Pour la ministre de la tran­ écologique », déclarait­elle.
d’appelant pour attirer, en chantant, d’autres nouvelle mandature », Barbara Pompili ne souhai­ sition écologique, fragilisée par la réintroduction des Une réponse qui aurait suscité, selon un di­
oiseaux tirés par les chasseurs. tant pas signer les arrêtés qui fixent chaque année néonicotinoïdes sur les cultures de betteraves, un tel rigeant de la majorité, la « colère présiden­
La France reste le dernier pays de l’Union euro­ des quotas pour cette chasse. arbitrage représenterait un désaveu. « Si elle devait si­ tielle ». « Elle vient de trouver le poste de nu­
péenne à autoriser dans cinq départements du Sud­ Après avoir menacé de manifester devant le fort de gner les arrêtés, elle avalerait une deuxième grosse méro trois du gouvernement, elle ne se rend
Est, à titre dérogatoire, cette chasse interdite par la di­ Brégançon (Var), où Emmanuel Macron passe ses va­ couleuvre, juge Yves Verilhac, directeur général de la pas compte de la chance qu’elle a eue, c’est plus
rective Oiseaux. Début juillet, dans le cadre d’une cances, les chasseurs ont été reçus par le cabinet du Ligue pour la protection des oiseaux. Sa marge de facile de gagner au loto ! Et deux semaines
procédure d’infraction ouverte il y a un an, la Com­ premier ministre le 7 août. Un rendez­vous dont ils manœuvre pour les deux ans qui restent serait alors après elle ose répondre ça ? », s’étrangle ce ma­
mission européenne a adressé à Paris un avis motivé sont sortis sans engagement ferme, mais où ils ont très réduite. » Selon l’entourage de Mme Pompili, l’ar­ croniste. On n’abdique pas l’honneur d’être
dans lequel elle lui demande de « réexaminer ses mé­ pu faire entendre leurs arguments. La FNC insiste sur bitrage devrait être rendu « d’ici à la fin de l’été ».  une cible, aurait dit Cyrano. 
thodes de capture d’oiseaux ». Elle souligne que la le fait que les oiseaux capturés aux gluaux ne sont perrine mouterde olivier faye
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VENDREDI 21 AOÛT 2020 france | 9

« C’est un projet politique global » : Europe


Ecologie­Les Verts tente d’opérer sa mue
Réunis pour leurs journée d’été, les Verts veulent incarner une alternative forte à Emmanuel Macron pour 2022

E n politique comme en foot­


ball, il s’agit souvent de
hausser son niveau de jeu.
De passer du statut d’équipe pro­
Ecologie­Les Verts reste un petit
parti. Formation dotée de quatre
salariés, sortie exsangue de la sé­
quence électorale de 2017, EELV
que et sociale… Les sujets où l’on
ne connaît pas (ou mal) les posi­
tions des écologistes sont nom­
breux. Ce qui peut dérouter l’élec­
« LE FAIT DE DIRE QUE 
LES ÉCOLOGISTES ONT 
Julien Bayou abonde : « Je récuse
les leçons de bonne gestion des
autres partis de droite ou sociaux­
démocrates. Il s’agit de faire con­
metteuse à celui de prétendante est plus un label politique qu’un torat, mais aussi les partenaires DES POINTS AVEUGLES,  naître nos propositions, pas de
au titre. C’est le cas d’Europe Ecolo­ parti de masse – les adhérents potentiels. « On ne sait pas ce mettre de l’eau dans notre vin. »
gie­Les Verts (EELV). Le parti écolo­ sont actuellement 10 000. qu’ils pensent de plein de sujets, ils C’EST UN RÉCIT QUI  Eva Sas, porte­parole d’EELV, ex­
giste, qui organise ses Journées Ses relais associatifs sont nom­ cherchent à être à un point d’équi­ perte en économie de profession,
d’été du 20 au 22 août à Pantin (Sei­ breux, sa proximité intellectuelle libre pour contenter tout le monde,
S’AUTOALIMENTE » confirme : « On a une pensée sur
ne­Saint­Denis), est sorti renforcé avec la CFDT lui offre une porte avance Alexis Corbière, député (La DAVID CORMAND tous ces sujets. Le problème est que
des deux derniers scrutins : les d’entrée vers une partie des tra­ France insoumise) de Seine­Saint­ député écologiste européen l’on ne nous tend pas les micros…
européennes de 2019, où la liste vailleurs, mais EELV ne peut en Denis. Nous, on a un programme, Notre conception économique a
emmenée par Yannick Jadot a re­ aucun cas compter sur ses pro­ essayons de voir ce qu’ils en pen­ une grille de lecture fondamentale­
cueilli 13,5 % des voix, et les muni­ pres forces pour construire une sent. On est favorables à entrer Pourtant, sur cette question, ment différente, elle s’inscrit dans la
cipales de mars et juin, où les Verts dynamique. Il lui manque des ca­ dans la discussion. » plusieurs sensibilités cohabi­ limite des ressources planétaires
ont remporté de nombreuses vic­ dres politiques et un solide Du côté d’EELV, on assure que tent au sein d’EELV entre Yannick quand les autres familles politiques
toires comme, entre autres, à Bor­ maillage territorial. tous les compartiments du jeu Jadot, dont les positions sur se basent sur la fiction des ressour­
deaux, Lyon, Poitiers, Strasbourg sont solides. « Le fait de dire que les la question sont celles de la gau­ ces illimitées qui alimenteraient
ou encore Tours. Candidature d’union écologistes ont des points aveugles, che républicaine, et d’autres une croissance qui ne peut pas être
A deux ans des échéances légis­ C’est en partie pour combler ces c’est un récit qui s’autoalimente. On comme Sandra Regol, la nu­ infinie. » Et d’insister : « Les irres­
latives et présidentielle de 2022, les lacunes que la formation a lancé le nous fait un procès en illégitimité. méro deux du parti, proche du ponsables sont les autres partis qui
Verts apparaissent donc en posi­ vaste chantier de la construction L’écologie politique est un para­ combat du nouvel antiracisme ne préparent pas le pays au choc fu­
tion de force pour incarner une al­ d’une maison commune de l’éco­ digme, différent de la droite et de la politique, incarné notamment tur en matière écologique. »
ternative au président sortant Em­ logie politique. Avec cinq autres gauche marxiste. On ne doit pas par le comité La Vérité pour Julien Bayou a conscience de
manuel Macron. Yannick Jadot, structures qui coorganisent les baisser les yeux, c’est une pensée Adama, formé à la suite de la l’ampleur de la tâche. Des conven­
qui entend bien être le candidat en Journées d’été (Génération.s ; complète, un projet politique glo­ mort en 2016, après son inter­ tions thématiques devraient être
sait quelque chose : « L’écologie est Génération écologie ; CAP 21 ; le bal », assure David Cormand. pellation par la police, d’Adama mises en place – pour l’instant
la matrice de la recomposition poli­ Mouvement des progressistes, Al­ L’ancien patron d‘EELV, aujour­ Traoré, 24 ans. sont évoqués les sujets de la
tique. Lors des dernières élections, liance écologiste indépendante), d’hui député européen, rédige VIe République, de l’éducation et
le logiciel écolo a porté toutes les EELV va lancer un appel commun d’ailleurs un livre pour définir ce « Choc futur » de l’Europe. Il insiste pour dire que
victoires vertes et de gauche. Nous pour les régionales. qu’est l’écologie politique. Selon La ligne de crête d’Europe Ecolo­ les Verts sont prêts, que les deux
voulons rassembler tous les huma­ Cette démarche doit, en théorie, lui, les écologistes ont été précur­ gie­Les Verts est étroite. Ils doi­ précédents projets pour les scru­
nistes et les forces de gauche qui se préfigurer une candidature seurs dans de nombreux domai­ vent à la fois apparaître crédibles tins présidentiels de 2012 et 2017
sont écologisées », déclare­t­il dans d’union pour la présidentielle de nes, comme la conquête de nou­ sur des sujets éloignés de leur étaient « complets ». Surtout, il
un entretien à Libération. 2022. « Cette dynamique unitaire veaux droits – le premier mariage zone de confort, tout en veillant veut prendre les élections les unes
Mais si les écolos veulent peser et de recomposition est le pendant homosexuel a été célébré à Bè­ à ne pas abandonner leur spéci­ après les autres. « On montera sur
dans la prochaine course à l’Ely­ de la décomposition de la majorité gles, en Gironde, par le maire ficité, pour ne pas la laisser à des sujets nationaux en temps
sée, ils doivent malgré tout opé­ présidentielle, qui se fait à cause écologiste Noël Mamère, en 2004, leurs adversaires. utile. Là, on est en priorité sur le
rer une mue. De parti de niche, des promesses non tenues en ma­ bien avant sa légalisation, « L’erreur serait d’arrêter de par­ projet pour les régionales. On ne
EELV doit devenir un parti de tière d’écologie », veut croire Ju­ en 2013 – et n’ont « jamais déraillé ler d’écologie. Il faut continuer à veut pas être dans l’incantation,
gouvernement, capable d’inter­ lien Bayou, le secrétaire national. sur les valeurs fondamentales », être fort sur ces thématiques car mais montrer ce qu’il se passerait si
venir sur tous les sujets, et pas Mais EELV va aussi devoir, dans notamment la laïcité. « On défend c’est une porte d’entrée à partir de une alliance, dont le moteur serait
seulement ceux qui ont trait à un second temps, dissiper le flou la loi [de séparation des Eglises et laquelle on peut décliner tous les l’écologie politique, arrivait au
l’environnement. doctrinal autour de questions de l’Etat] de 1905, on dénonce la sujets. Tout est lié à la question de pouvoir. » En politique comme en
Car les bons résultats d’EELV d’importance : conception de la tentative d’instrumentalisation l’écologie, notamment le modèle football, cela ne coûte rien de
cachent de multiples faiblesses. République, laïcité, lutte contre autour de la question de l’islam », économique », poursuit ainsi rêver plus grand. 
Structurelles, d’abord. Europe l’insécurité, politique économi­ précise l’eurodéputé. David Cormand. abel mestre

Emmanuelle Pierre­Marie, la seule maire verte de Paris


Elue à la tête du 12e arrondissement grâce aux socialistes, cette sociologue veut laisser sa marque sur le chantier de Bercy­Charenton

PORTRAIT Marie. Par la grâce d’un accord


politique, elle qui se préparait à
Christophe Girard comme ad­
joint à la culture malgré son appui
de l’ancien adjoint est un sym­
bole. « Politiquement, il n’est plus
ritime), elle vit dans des cités EDF.
« Mon père participait à la mise en
LE PROFIL

T out ça pour ça… Après le


premier tour des munici­
pales, en mars, Emma­
nuelle Pierre­Marie a eu un grand
coup de blues. Pendant des mois,
siéger comme simple conseillère
municipale se retrouve propulsée
à 49 ans à la tête d’un des plus gros
arrondissements de Paris. Victor
Hugo en fut lui aussi l’édile,
passé à l’écrivain Gabriel
Matzneff, visé par une enquête
pour viols sur mineurs.
Quelques heures plus tard, le
« M. Culture » de l’Hôtel de ville
possible de cautionner certains
comportements. Je suis ici pour dé­
fendre un projet de société et une
certaine éthique politique », as­
sure la maire du 12e.
place du cœur du réacteur, confie­
t­elle. Il a été irradié et s’est re­
trouvé gravement malade. » Au ly­
cée, elle découvre la sociologie.
Coup de foudre. A la fac de Caen,
elle qui ne sait pas faire les choses en 1848. Seule maire verte de Paris, démissionne. Anne Hidalgo voit A peine nommée, Mme Pierre­ lorsque, en première année, un
à moitié s’était consacrée à plein elle devait intervenir à ce titre le rouge. Comment les écologistes Marie a rendu la voiture avec prof leur assène : « 0,6 % d’entre
temps à la campagne parisienne, 20 août lors de l’ouverture des peuvent­ils attaquer ainsi chauffeur qui lui était attribuée. vous finiront sociologues », elle se
alternant tractages, meetings le Journées d’été des écologistes, à l’équipe socialiste qui vient de « Je ne me déplace qu’à vélo, et je jure de défier les statistiques et Emmanuelle Pierre-Marie
soir, happenings le matin… Cette Pantin (Seine­Saint­Denis). leur confier plusieurs postes­clés, n’ai plus de voiture depuis quinze d’être parmi ceux­là. Tête de liste Europe Ecologie-
fois­ci, les écologistes en étaient Immédiatement, l’opposition dont cette mairie du 12e ? « Sans ans », affirme­t­elle. A l’arrière du­ Les Verts dans le 12e arrondisse-
sûrs, ils allaient s’imposer. La va­ lui intente un procès en illégiti­ doute a­t­on bouleversé un sys­ dit vélo, elle transporte souvent Projets très contestés ment, Emmanuelle Pierre-Marie,
gue verte, pourtant, s’est brisée mité. Son arrivée par un « arrange­ tème d’un autre temps, mais il fal­ un « bio­seau » pour apporter son Promesse tenue. Quelques an­ 49 ans, est arrivée en quatrième
sur Paris. Dans le 12e arrondisse­ ment d’appareil » représente « une lait poser les fondamentaux dès le compost au point de collecte mu­ nées plus tard, après 900 pages position avec moins de 12 % des
ment, la liste menée par Emma­ véritable imposture », cinglent Ra­ départ, et nous avions prévenu nicipal. « Je peux être une carica­ sur le rôle du téléphone dans les voix lors du premier tour des
nuelle Pierre­Marie n’est arrivée chida Dati (Les Républicains) et ses plusieurs fois Anne Hidalgo », ré­ ture d’écolo ! », sourit celle qui, de­ modes de vie, la voici docteure élections municipales en mars.
qu’en quatrième position, avec amis. « Je suis une maire minori­ pond Emmanuelle Pierre­Marie. puis sa jeunesse, a toujours mis en sociologie. Enseignante­cher­ Elle est devenue maire d’arron-
moins de 12 % des suffrages, loin taire dans sa majorité, reconnaît Depuis, M. Girard s’est mis en re­ un bulletin vert dans l’urne. cheuse dans le laboratoire qui dissement, après le second tour
derrière celle du socialiste Emma­ l’intéressée. Je compte bien cepen­ trait de la vie politique après que Ces dernières années, elle s’est fut celui de Pierre Bourdieu. Puis fin juin, à l’issue d’un accord
nuel Grégoire (33, 39 %), bras droit dant embarquer toute l’équipe et le procureur de Paris a annoncé aussi mobilisée pour la création chargée d’études à l’agence d’ur­ avec Anne Hidalgo.
d’Anne Hidalgo. Piteux… « J’étais jouer collectif. Je suis un peu la l’ouverture d’une « enquête pour d’un petit supermarché coopéra­ banisme du Havre, avant celle de
très triste », se souvient cette éco­ louve de la meute. » examiner des soupçons de viol par tif, solidaire et autogéré. Les Paris, depuis 2010. Elle s’y inté­
logiste de toujours. personne ayant autorité ». Le cas 400 Coop ont fini par voir le jour resse aux invisibles des villes : les les dix prochaines années, la ZAC
Et puis, le 1er juillet, peu après L’affaire Girard en 2019 dans le 11e arrondisse­ sans­abri, les malades, les per­ de Bercy­Charenton. Avant l’élec­
avoir confirmé son succès au se­ Sacrée meute. Elle a le plein sou­ ment. Malgré la campagne, elle a sonnes en situation de handi­ tion, les écologistes n’avaient pas
cond tour, Emmanuel Grégoire tien des écologistes, notamment tenu la boutique trois heures par cap… Lors de la présidentielle de de mots assez durs contre les six
propose un café à Emmanuelle de leur chef de file à Paris, David « JE SUIS UNE MAIRE  mois, comme le veut la règle de ce 2012, les attaques contre la candi­ tours et les monceaux de béton
Pierre­Marie : « J’ai quelque chose à Belliard, dont elle est très proche. lieu qui repose uniquement sur date Eva Joly l’incitent à s’investir prévus sur place par les socialis­
te dire, c’est toi qui va devenir maire Mais ses alliés socialistes la tien­ MINORITAIRE DANS SA  quelques centaines de bénévoles. en politique. tes. Dans le cadre de leur alliance,
du 12e. » Lors des tractations avec nent à l’œil. Ils ont placé à ses cô­ La fibre verte est ancrée en elle En 2014, elle devient conseillère le PS a accepté de reprendre le
Anne Hidalgo, les Verts avaient tés, comme premier adjoint, un MAJORITÉ. JE COMPTE  depuis ses plus jeunes années. Ses du 12e arrondissement. Première chantier à zéro, en commençant
obtenu qu’un arrondissement des discrets piliers du Parti socia­ BIEN CEPENDANT  parents, socialistes, l’emmènent étape avant son arrivée inatten­ par interroger les habitants. Em­
leur revienne en cas de victoire liste (PS), Richard Bouigue, et le aux Fêtes de la rose. Aînée des due à la mairie en 2020. La voici à manuelle Pierre­Marie souhaite y
commune, pour compenser la premier conseil de Paris n’a pu EMBARQUER TOUTE  trois enfants, elle se montre plus présent en première ligne. L’ar­ créer un écoquartier emblémati­
perte de la seule mairie à leurs qu’aviver leurs craintes. Ce jeu­ sensible à l’écologie. Une réac­ rondissement qu’elle dirige n’est que, sans aucune tour, et avec un
couleurs depuis 2001, celle du 2e, di­là, Emmanuelle Pierre­Marie L’ÉQUIPE ET JOUER  tion, en partie, à ce qu’elle voit de pas seulement un des plus peu­ bois. Pas sûr que les socialistes
désormais intégrée au secteur Pa­ fait partie des quelques élues éco­ l’industrie nucléaire. Son père, plés, avec 145 000 habitants, c’est soient sur la même longueur
ris­Centre. Le sort est finalement logistes qui, brisant les traditions,
COLLECTIF » son grand­père, sa tante, son on­ aussi celui où se situent plusieurs d’onde. Les arbitrages s’annon­
tombé sur le 12e. Une sorte de manifestent devant l’Hôtel de EMMANUELLE PIERRE-MARIE cle travaillent chez EDF. A Chinon projets d’urbanisme très contes­ cent électriques. 
miracle pour Emmanuelle Pierre­ ville contre la reconduction de maire du 12e arrondissement (Indre­et­Loire), Paluel (Seine­Ma­ tés, dont le plus important pour denis cosnard
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10 | france VENDREDI 21 AOÛT 2020

Eric Dupond­
Moretti saisi
du cas de
Julian Assange
Une association souhaite que
le ministre de la justice offre l’asile
politique au fondateur de WikiLeaks

L
e ministre de la justice, C’était dans sa vie d’avocat, qu’il a
Eric Dupond­Moretti, a quittée depuis sa nomination au
été sollicité pour prendre gouvernement, le 6 juillet. Il avait
position sur la situation rencontré cet hiver M. Assange
de Julian Assange, le fondateur dans sa prison londonienne et
de WikiLeaks. L’association de dé­ venait d’intégrer, avec son associé
fense des détenus Robin des lois, Antoine Vey, l’équipe internatio­
elle­même en relation étroite nale d’avocats qui entoure cet Aus­
avec John Shipton, le père de tralien aujourd’hui âgé de 49 ans. Eric Dupond­Moretti (en veston noir), lors d’une conférence de presse sur Julian Assange, à Paris, le 20 février. FRANÇOIS GUILLOT/AFP
M. Assange, a déposé, lundi
17 août, au ministère de la justice, « Une triple opportunité »
un courrier à l’attention du garde Lors d’une conférence de presse cherche à « profiter d’une fenêtre chef de l’Etat peut accorder un tel La proposition de rencontre sera
des sceaux pour demander que organisée à Paris le 20 février dans
M. Dupond- de tir idéale avec une triple oppor­ statut. L’article 53­1 de la Constitu­ néanmoins « étudiée ». En juil­
« l’Etat français prenne l’initiative les locaux de Reporters sans fron­ Moretti a plaidé tunité, diplomatique, politique tion prévoit en particulier que « les let 2015, sollicité par Julian As­
de proposer à Julian Assange tières, en présence de John Ship­ et juridique », détaille l’avocat. autorités de la République ont tou­ sange au moyen d’une lettre
l’asile politique ». Selon cette ton et de Baltasar Garzon, l’ancien
en février pour « M. Assange a révélé l’envers du jours le droit de donner asile à tout ouverte publiée dans Le Monde
lettre, dont Le Monde a pu consul­ juge espagnol également membre un tel asile décor d’une Amérique va­t­en­ étranger persécuté en raison de son dans laquelle ce dernier affirmait
ter une copie, « les conditions poli­ de l’équipe de défense de M. As­ guerre relevant d’une époque action en faveur de la liberté ». que sa vie était « en danger », le
tiques et juridiques sont semble­ sange, M. Dupond­Moretti avait
politique, révolue, il ne représente plus le Sur le plan juridique, le compte président François Hollande
t­il réunies pour qu’un tel statut annoncé une initiative pour de­ notamment au même enjeu pour les Etats­Unis à rebours du Brexit est engagé. Le avait rejeté sa demande d’asile.
puisse bénéficier au prisonnier mander à la France de lui accorder d’aujourd’hui », observe­t­il. règlement de Dublin et le régime « La situation de M. Assange ne
politique le plus connu au monde l’asile politique. « Nous allons de­
nom de la liberté Hasard du calendrier, Donald européen de l’asile ne s’applique­ présente pas de danger immédiat.
actuellement ». mander à rencontrer le président de la presse Trump a annoncé samedi 15 août ront plus au Royaume­Uni au­ Il fait en outre l’objet d’un mandat
Arrêté par la police britannique de la République dans les jours qui lors d’une conférence de presse delà du 31 décembre. « Si un pays d’arrêt européen », avait justifié
en avril 2019 après avoir passé viennent, pour ne pas dire dans les qu’il allait « jeter un œil très européen accorde aujourd’hui l’Elysée. Ce mandat avait été émis
sept années reclus dans l’ambas­ heures qui viennent », avait notam­ le père de M. Assange a répondu, sérieusement » sur une possible l’asile à M. Assange, la protection par la Suède, pour une affaire dé­
sade d’Equateur à Londres, Julian ment déclaré celui qui est aujour­ mardi 18 août, n’avoir eu aucune grâce d’Edward Snowden. Le pré­ subsidiaire s’applique et les autori­ sormais classée sans suite.
Assange est incarcéré dans la d’hui ministre de la justice. nouvelle sur d’éventuelles sident américain avait pourtant tés britanniques ne pourront pas Au cas où Emmanuel Macron
prison de haute sécurité de « Les cent soixante quinze ans de démarches engagées en France qualifié quelques années plus tôt l’extrader, même si le tribunal de déciderait d’accorder un tel asile,
Belmarsh, destinée notamment prison qu’on lui promet aux Etats­ depuis les annonces du 20 février. de « traître total » cet ancien Londres l’ordonnait », explique Robin des lois cherche déjà le
aux terroristes. Une détention Unis sont une peine indigne, in­ L’actuel ministre de la justice employé du renseignement, éga­ Me Ludot. L’examen de la de­ moyen de sécuriser dans le temps
maintenue dans le cadre d’une supportable, contraire à l’idée que n’est bien sûr pas tenu par les lement inculpé pour espionnage. mande d’extradition par la Wool­ une décision politique réversible,
demande d’extradition des Etats­ l’on peut tous se faire des droits de positions qu’il a prises dans le wich Crown Court de Londres a comme l’a montré le précédent de
Unis, qui l’accusent d’espion­ l’homme », avait­il insisté. M. As­ passé pour le compte de ses Compte à rebours du Brexit commencé le 24 février par qua­ l’Italien Cesare Battisti, protégé
nage. Certains documents sange est poursuivi pour 18 chefs clients. Antoine Vey a racheté les Sur le plan politique, accorder tre jours d’audience. Il devait se sous François Mitterrand puis pro­
secrets révélés par WikiLeaks d’accusation aux Etats­Unis. parts de son ex­associé dans leur l’asile à M. Assange « serait pour le poursuivre en mai avec l’audition mis à l’extradition sous Jacques
en 2010 concernaient des bavu­ M. Dupond­Moretti avait souli­ cabinet et a repris ses clients. président de la République une des témoins, mais en raison de la Chirac. L’association a préparé une
res et des exactions de l’armée gné que l’Australien est légitime Emmanuel Ludot, avocat de initiative magnifique en faveur des crise liée au Covid­19, l’audience requête auprès du président du tri­
américaine en Aghanistan et en pour adresser une telle demande Robin des lois et signataire de la droits de l’homme qui serait saluée ne reprendra que le 7 septembre. bunal judiciaire de Créteil, dont
Irak pendant les guerres de à la France puisqu’il y a vécu de lettre au ministre de la justice, ne dans le monde entier », estime « Le garde des sceaux ne peut dépend le siège de l’Ofpra dans le
l’après­11 septembre 2001. 2007 à 2010 et que « son deuxième tire d’ailleurs pas argument de l’avocat de Robin des lois. Indé­ pas interférer dans des procédu­ Val­de­Marne, afin de permettre à
Il se trouve que M. Dupond­Mo­ enfant, toujours mineur, et la cette prise de parole publique de pendamment des procédures clas­ res de demande d’asile qui relè­ M. Assange de déposer une de­
retti a plaidé en février pour un tel maman de cet enfant sont de l’ex­ténor des cours d’assises. siques de demande d’asile devant vent de la responsabilité d’un or­ mande formelle d’asile sans être
asile politique, notamment au nationalité française et résident en L’association, emmenée par son l’Office français de protection des ganisme indépendant, l’Ofpra », présent sur le territoire. 
nom de la liberté de la presse. France ». Interrogé par Le Monde, délégué général François Korber, réfugiés et apatrides (Ofpra), le fait savoir le cabinet du ministre. jean­baptiste jacquin

J UST I C E
Perquisition chez Olivier
Dussopt
Université : les parcours personnalisés sont à la peine
Dans le cadre d’une enquête
du Parquet national financier Mis en place depuis 2018 et censé aider les étudiants les plus fragiles, ce dispositif n’a pas encore fait ses preuves
pour « corruption » et « prise
illégale d’intérêts », le domicile
d’Olivier Dussopt, ministre
délégué aux comptes publics,
a été perquisitionné mardi
18 août, a appris l’Agence Fran­
ce­Presse de sources concor­
dantes, confirmant une infor­
Q ue deviennent les « oui
si », ces étudiants
soumis à un parcours
adapté pour entrer à
l’université, en raison d’un
diants (soit 8,1 % du total) ont
bénéficié d’un accompagnement
personnalisé en 2018­2019. Parmi
eux, 35 % avaient opté pour un
allongement de la durée de leurs
roie (réseau national des respon­
sables orientation et insertion
des universités). Ils auraient
souhaité aller dans un BTS ou un
IUT, mais ces formations étant sa­
Les
redoublements
dans ces parcours
« Quand ils sont inscrits, nous
avons la responsabilité de les faire
réussir et en majorité, ceux qui se
réorientent le font au sein de
Rennes­I », résume Cécile Le­
mation de Mediapart. Il est niveau jugé insuffisant pour inté­ études – la première année de li­ turées, ils se retrouvent à la fac. » sont plus comte, vice­présidente à l’orien­
reproché à M. Dussopt d’avoir grer une formation classique ? cence en deux ans – et 65 % pour Ces étudiants sont « sans illu­ tation et la réussite. En faculté de
reçu deux lithographies en ca­ Depuis la loi relative à l’orienta­ des modules complémentaires sions », et il sera plus difficile de
fréquents, droit, des étudiants de master
deau en 2017, alors qu’il était tion et à la réussite des étudiants au cours de la première année. les « accrocher » à leurs études, de même que sont « triés sur le volet » pour être
maire d’Annonay, de la part de (loi ORE) de mars 2018, les néo­ Bilan : à la rentrée 2019, 39 % de poursuit M. Lhuissier. chacun les tuteurs de quatre ou
la Saur, une entreprise de ges­ bacheliers dont le dossier sur ces étudiants avaient quitté leur Pour eux, « l’objectif n’est pas
les réorientations cinq étudiants du parcours per­
tion de l’eau, qui était en négo­ Parcoursup a laissé apparaître de université (contre 29,4 % des étu­ d’atteindre la deuxième année l’année suivante sonnalisé. « Ils vont avec eux en
ciation avec la ville ardéchoise probables lacunes peuvent suivre diants sans accompagnement), de licence, mais d’avoir les moyens cours, à la bibliothèque universi­
pour un contrat. – (AFP.) des modules d’accompagnement et 33,4 % avaient redoublé leur d’obtenir ce qu’ils voulaient taire, pour leur montrer comment
ou opter pour un allongement de première année de licence (con­ l’année précédente, à savoir un la coordination des dispositifs travailler, leur apprendre à pren­
I M M I G RAT IO N leurs études. Un impératif qui a tre 20 %). Enfin, 4,9 % s’étaient BTS ou un IUT », analyse l’ensei­ d’accompagnement à la réussite. dre des notes », illustre­t­elle.
Le corps d’un migrant parfois été perçu comme une réorientés en interne, au sein de gnant en mathématiques dans la Si vous leur dites d’emblée : “Inscri­ En février, la Cour des comptes
retrouvé à Sangatte forme de stigmatisation. leur université (contre 5,4 %). filière AES (administration éco­ vez­vous au soutien”, c’est perdu. » s’est elle aussi penchée sur les
Le corps d’un homme a été Dans un rapport publié début nomique et sociale). Dix­sept dispositifs sont offerts premiers résultats de la loi ORE. A
retrouvé mercredi 19 août août, des inspecteurs généraux « En L1 par défaut » A l’inverse, le rapport montre à tous les étudiants de première propos des « oui si », elle notait
sur une plage de Sangatte (Pas­ de l’éducation, du sport et de la Seuls 22,7 % ont poursuivi leur que quelques universités se dis­ année, parfois en dédoublant les que « ces dispositifs semblent a
de­Calais), après le sauvetage recherche établissent que le « de­ formation en deuxième année, tinguent, enregistrant même de travaux dirigés, ce qui déroge aux priori efficaces dans certaines
d’un jeune migrant soudanais, venir » des étudiants inscrits dans alors qu’ils étaient 45,3 % parmi très bons résultats, comme Mont­ exigences fixées par la loi, l’ac­ formations, bien que les premiers
naufragé d’une embarcation ces parcours « diffère sensible­ les néobacheliers non accompa­ pellier­III­Paul­Valéry, où les « oui compagnement étant théori­ résultats soient très hétérogènes et
pneumatique, qui avait ment » de celui des autres. Les gnés. De quoi questionner l’ambi­ si » s’en sortent mieux que leurs quement réservé aux étudiants re­ peu exploitables ». La Cour poin­
déclaré son compagnon de redoublements y sont plus tion de donner une vraie chance camarades : 65,3 % d’entre eux pérés comme fragiles. « Nous tait en outre une gestion approxi­
voyage disparu. Ce corps serait fréquents, de même que les réo­ de réussite aux étudiants les plus ont été admis en deuxième année voulons remettre de l’humain dans mative des crédits de la part du
celui d’un homme de 28 ans, rientations l’année suivante. Un fragiles. « Enormément d’étu­ contre 36,6 % des étudiants clas­ leurs études, leur faire quitter l’en­ ministère de l’enseignement su­
indique Philippe Sabatier, le bilan des « oui si » en demi­teinte, diants arrivent en première année siques. « Ce qui fonctionne, c’est seignement de masse », ajoute périeur. Ainsi, trois universités
procureur adjoint de Boulo­ qui semblerait indiquer que le de licence par défaut, en particu­ que nous leur proposons plusieurs Mme Syssau­Vaccarella. La réussite (Lorraine, Paris­III et Poitiers)
gne­sur­Mer. Ce drame inter­ soutien et la remédiation ne suf­ lier dans les sciences humaines, options d’accompagnement et tient aussi au fait que « les ensei­ ayant déclaré n’avoir déployé
vient sur fond de recrudes­ fisent pas à favoriser la réussite explique Jean­François Lhuissier, que c’est à la carte, relate Arielle gnants se sont mis à découvrir leurs aucun dispositif « oui si » en 2018­
cence du nombre de en licence des étudiants fragiles. ancien vice­président chargé de Syssau­Vaccarella, professeure de étudiants et à s’adapter à eux ». 2019 ont pourtant bénéficié de
traversées clandestines de la Dans les vingt­huit universités la formation à l’université du Ha­ psychologie et codirectrice des A Rennes­I, les résultats sont 1,32 million d’euros à ce titre. 
Manche vers l’Angleterre. – (AFP.) visitées par la mission, 7 229 étu­ vre et ancien président de la Cour­ études, chargée du pilotage et de aussi meilleurs que la moyenne. soazig le nevé
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
VENDREDI 21 AOÛT 2020 | 11

E­commerce : La Poste mise sur l’Allemagne
L’opérateur postal veut prendre le contrôle d’Hermes, qui distribue 20 % des colis aux particuliers outre­Rhin

A
lors que des pans en­ « Les volumes des colis d’entre­ dial de la vente à distance, pour sitions. « Le secteur ne cesse de se
tiers de l’économie prise évoluent au rythme du pro­ distribuer les particuliers, s’est de­
Confronté à la consolider car le colis est un métier LES CHIFFRES
souffrent des consé­ duit intérieur brut, alors que ceux puis largement diversifiée et dé­ chute du courrier, d’infrastructures, qui nécessite de
quences de l’épidémie livrés aux consommateurs pro­ veloppée, essentiellement en Al­ constituer un réseau, avec des ca­
de Covid­19, il est un secteur, ce­ gressent de l’ordre de + 8 % à + 10 % lemagne et au Royaume Uni, mais
le groupe pacités de tri, des flottes de véhicu­
lui du colis, qui y a beaucoup ga­ par an », résume un consultant. aussi en France avec Mondial Re­ français tente les, l’automatisation, le suivi des 5,3 MILLIONS
gné. Depuis le printemps, il con­ lay. Otto, bousculé par la concur­ colis, etc. Les coûts sont colossaux, C’est le nombre de colis livrés
naît un pic d’activité, les consom­ Un secteur très concurrentiel rence des grands e­commerçants,
de profiter et plus il y a d’objets traités, plus par la filiale de La Poste, Geo-
mateurs s’étant massivement re­ La Poste en tire les conséquences. cherche aujourd’hui des ache­ de l’expansion l’entreprise est rentable, d’où la Post, par jour, soit 1,3 milliard
portés sur l’e­commerce dans les GeoPost, sa branche spécialisée teurs ou des partenaires pour ces course à la taille », explique Eric de colis par an dans le monde.
semaines suivant le début du dans les envois express et à l’in­ trois marchés.
du marché Ballot, professeur spécialiste de la
confinement. Selon une source ternational, principalement axée L’opération proposée par La du colis logistique à Mines ParisTech.
interne au sein du groupe La sur les entreprises, va se tourner Poste prévoit la création d’une « Soit on est gros et on peut jouer, + 30 %
Poste, le marché européen trai­ résolument vers le grand public. coentreprise avec Otto, contrôlée soit on est un acteur secondaire, C’est la progression, en avril et
tera finalement, en 2020, un mil­ Selon nos informations, cette der­ par GeoPost, rassemblant DPD, la 8 par an pour les Français), reste mais la sous­traitance n’est pas en mai lors du confinement, de
liard de paquets de plus que ce nière a déposé, début août, une filiale express que l’opérateur fran­ toutefois incontournable. La Poste payée très cher », ajoute­t­il. la livraison de colis par GeoPost-
qui avait été prévu avant la crise offre afin de prendre le contrôle çais détient déjà outre­Rhin, et sa s’est également intéressée un DPDgroup, et ce par rapport à
sanitaire (soit plus de 13 milliards d’Hermes en Allemagne. Il s’agit concurrente Hermes Allemagne. temps au rachat de l’activité bri­ « Chaos dans les villes » la même période en 2019.
sur l’année). L’évolution à l’hori­ du numéro deux de la livraison B Celle­ci perd de l’argent, en raison tannique Hermes, pour laquelle Cependant, La Poste ne joue pas
zon de 2030 a également été re­ to C, avec 20 % de parts, derrière des prix de livraison particulière­ elle a proposé près de 900 millions dans la cours des géants mon­
vue à la hausse, avec 3 milliards l’opérateur postal national Deuts­ ment bas facturés aux consomma­ d’euros, sans l’emporter. diaux de l’express que sont FedEx 68 %
de paquets échangés de plus que che Post DHL. teurs, dans un secteur très concur­ Cette opération s’inscrit dans ou UPS aux Etats­Unis, ou même C’est le taux de progression du
lors des estimations pré­Covid. La société Hermes, créée dans rentiel. L’Allemagne, premier mar­ une stratégie d’acquisitions me­ DHL en Allemagne, dotés de leurs marché européen du colis grand
Au niveau européen, on devrait les années 1970 par le groupe alle­ ché en Europe, avec plus de 20 colis née à bride abattue. En 2019, La propres capacités aériennes et ca­ public à horizon 2030, hors Ama-
alors recenser plus de 25 mil­ mand Otto, ex­numéro un mon­ par habitant par an (contre près de Poste prenait le contrôle de l’en­ pables de livrer de porte à porte zon. En 2030, Amazon Logistics
liards de colis. treprise familiale Bartolini, un en J + 1 ou J + 2 en passant les fron­ pourrait capter 28 % de l’ensem-
La pandémie a provoqué un leader en Italie. Puis rachetait les tières. Elle doit aussi compter dé­ ble de ce marché, selon une
autre changement important L’entreprise postale évite une perte entités colis du groupe Geis en Ré­ sormais avec Amazon, qui se dé­ source interne à La Poste.
pour les opérateurs du secteur : la publique tchèque et en Slovaquie. veloppe à vive allure dans la logis­
part envoyée par une entreprise à au premier semestre grâce à CNP Pourquoi une telle frénésie d’in­ tique pour transporter ses pro­
une autre entreprise (« B to B »), L’intégration de CNP Assurances a permis à La Poste de rester vestissements ? Le groupe fran­ pres paquets. Selon des La croissance par acquisition ne
qui bénéficie de marges conforta­ dans le vert au premier semestre 2020 et d’afficher un bénéfice çais, dont l’activité courrier chute estimations internes au groupe sera pas son seul défi. La crois­
bles, va stagner, alors que les volu­ net de 2,3 milliards d’euros, contre 474 millions au premier année après année, tente de lon­ postal français, 53 % de la crois­ sance galopante de ce marché, im­
mes de paquets destinés aux con­ semestre 2019. La comptabilisation des titres CNP Assurances a gue date d’équilibrer ses comptes sance du marché des colis à desti­ putable à l’essor du e­commerce,
sommateurs (« B to C »), aux prix apporté 3,6 milliards au résultat net alors que le groupe a été en profitant de l’expansion de cet nation des particuliers en Europe « va créer un chaos dans les villes,
serrés, vont connaître une crois­ fortement touché par le Covid-19. Au premier semestre, le confi- autre secteur. GeoPost­DPD a d’ici à 2030 devrait être captée par qui seront prises d’assaut par les ca­
sance exponentielle. Selon une nement a coûté 2,2 milliards d’euros à l’opérateur postal. Sans multiplié son chiffre d’affaires par Amazon Logistics. Mais GeoPost, mionnettes de livraison, prévient
estimation interne de l’opérateur le produit exceptionnel apporté par les titres de la compagnie dix en vingt ans. Cette branche re­ présent dans 23 pays en Europe, M. Ballot. Pour que ce ne soit pas in­
postal, dans dix ans, la part « en­ d’assurances, dont le groupe a pris le contrôle le 4 mars, présente désormais 30 % du chif­ revendique la place de numéro un vivable, La Poste devra investir
treprises » ne devrait plus repré­ La Poste accuserait une perte nette de 1,2 milliard d’euros. fre d’affaires de l’opérateur public. en Espagne et en Pologne, et de pour rationaliser le trafic et trouver
senter en Europe qu’un quart du La bonne santé des envois de colis est loin de compenser Mais pour rester dans la course, ce numéro deux en Allemagne, Ita­ des modes de circulation douce ». 
marché, contre 43 % en 2018. le plongeon des volumes de courriers transportés. – (AFP.) dernier doit poursuivre ses acqui­ lie, Royaume­Uni et Russie. véronique chocron

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0123
12 | économie & entreprise VENDREDI 21 AOÛT 2020

Apple franchit la barre En Alsace, la filière du


spectacle « fonctionne
des 2 000 milliards de dollars au jour le jour »
Minées par la crise liée au Covid­19, les sociétés
Grandes gagnantes de la crise due à l’épidémie de Covid­19, les entreprises du secteur s’efforcent de rester optimistes
technologiques tirent la Bourse américaine vers des records
strasbourg ­ correspondance mions. Avec la crise, la pression
new york ­ correspondant chose depuis deux ans. Elle a Apple a réussi liards). M. Cook a laissé dire au pré­ sur les prix s’est accentuée. Pour

S
eul le géant saoudien du
pétrole Aramco avait déjà
franchi brièvement ce
cap : l’entreprise informa­
simplement construit une des ma­
chines à cash les plus efficaces de
l’industrie technologique, qui a
une telle emprise sur la manière
dont les gens communiquent, se
à devenir
un marchand
de services, allant
sident qu’il était à l’origine d’une
création d’usine au Texas, alors
qu’elle existait depuis 2013 et évité
les tarifs douaniers dans la guerre
commerciale sino­américaine. Le
E n raison du Covid­19, la vie
s’est arrêtée dans le monde
du divertissement, et les
entreprises prestataires doivent
composer avec un avenir incer­
éviter de réduire son personnel,
M. Schweitzer a commencé par
tailler dans ses charges fixes, en
vidant l’entrepôt contenant les
éléments de décor amassés de­
tique américaine Apple a vu sa ca­ distraient et achètent qu’elle ne du stockage dans président l’a traité d’« ami » et l’a tain. La filière a été fauchée par la puis la création de la société,
pitalisation boursière dépasser s’appuie plus sur des innovations même nommé « Tim Apple ». crise sanitaire, en particulier en en 1982, et en ouvrant des discus­
les 2 000 milliards de dollars radicales pour faire prospérer ses
le cloud à la vente Le numéro un d’Apple a aussi su Alsace, où se concentrent les prin­ sions serrées avec le loueur de son
(1 688 milliards d’euros) pendant affaires. » Ce « pas grand­chose » d’applications fait preuve de souplesse vis­à­vis cipaux fabricants et loueurs d’ins­ parc de poids lourds.
la séance du 19 août. est décisif, comme l’explique le de Wall Street, acceptant de déjeu­ tallations scéniques. La situation n’est pas moins
Depuis que Tim Cook, 59 ans, a Wall Street Journal dans un por­ ner en 2013 avec le raider Carl Ainsi, le chiffre d’affaires du lea­ compliquée pour Aquatique
succédé en 2011 à son fondateur trait consacré à Tim Cook. A Steve deux ans, le téléphone représen­ Icahn et augmentant ses rachats der des spectacles aquatiques Show. Les seules commandes dé­
l’emblématique Steve Jobs, la va­ Jobs, l’homme produit, génial in­ tait 55 % des revenus de la firme. Il d’actions, qui ont atteint 360 mil­ Aquatique Show est tombé à zéro crochées depuis mars concernent
leur d’Apple, qui avait franchi le venteur du Mac et de l’iPhone, a est tombé à 44 %. Apple a réussi à liards de dollars en huit ans. L’af­ (contre 100 000 euros par jour en la Chine ; elles devraient permet­
cap du milliard en août 2018, a succédé celui qui savait bâtir un devenir un marchand de services, faire a contribué à faire venir l’in­ temps normal) ; le spécialiste des tre à la société d’atteindre cette
presque sextuplé. Le franchisse­ écosystème autour des produits. allant du stockage dans le cloud, vestisseur Warren Buffett. L’en­ installations scéniques Stacco, année la moitié de son chiffre
ment de ce seuil confirme en « C’est ce que les gens ne com­ facturé aux clients, à la vente d’ap­ treprise vaut trente­cinq fois ses lui, a vu une cinquantaine de d’affaires habituel (22,3 millions
pleine pandémie du Covid­19 la prennent pas : le changement gra­ plications tierces, moyennant un bénéfices, son plus haut niveau contrats s’évaporer. Quant à FL en 2018). Problème : l’entrée sur le
force extraordinaire des firmes duel est révolutionnaire pour Ap­ prélèvement prohibitif de 30 %, en depuis 2008, avant le lancement Structure, expert dans l’équipe­ territoire chinois est aujourd’hui
numériques américaines. L’entre­ ple », a confié au WSJ un ancien de passant par la musique et la vidéo. de l’iPhone. C’est deux fois plus ment de plateaux de télévision et soumise à quatorzaine. Confinés
prise, qui a réalisé depuis un an la maison, Chris Deaver. « Je savais qu’en août, lorsque la firme a fran­ de scènes de plein air, il se re­ dans leur hôtel depuis dix jours,
58 milliards de profits net pour un qu’il fallait surtout que je ne cher­ Miser sur la Chine chi le cap du milliard. Pourtant, trouve avec du matériel monté, les employés d’Aquatique Show
chiffre d’affaires de 274 milliards che pas à mimer Steve Jobs », dé­ Arrivé chez Apple en 1998, les incertitudes existent : une ag­ mais qui ne pourra être facturé, doivent encore attendre avant de
de dollars, vaut plus que toutes les clara en 2017 M. Cook, qui surprit M. Cook a toujours misé sur la gravation du conflit sino­améri­ car les événements associés ont pouvoir intervenir sur le chantier.
entreprises du CAC40 réunies. ses troupes en n’assistant pas à Chine, multipliant la production cain, où Apple a situé l’essentiel été annulés. Le PDG de la société, « On reste optimistes pour l’avenir,
Elle est suivie par Amazon et Mi­ toutes les réunions produits. Peu sur place (le fameux « conçu par de sa production et surtout les Richard Diefenbach, a pris sa re­ mais il faut que les grands événe­
crosoft (1 600 milliards de dollars de produits d’ailleurs : la smar­ Apple en Californie, assemblé en attaques antitrust, alors que traite le 1er juin 2020 et comptait ments prévus en 2021 soient main­
chacune), Google (1 000 milliards) twatch réalise certes un chiffre Chine » figurant au dos des M. Cook a été interrogé sévère­ vendre son entreprise – une opé­ tenus. On mettra au moins deux à
et Facebook (750 milliards). d’affaires supérieur à l’horlogerie iPhone) et réussi à vendre des ment par le Congrès, le 29 juillet, ration impossible vu le contexte. trois ans avant de retrouver un
suisse, les AirPods occupent la smartphones à 700 millions d’uti­ en compagnie de Mark Zucker­ Sur le site flambant neuf d’Euro­ rythme de croisière », estime son
Des explications techniques moitié du marché mondial des lisateurs, faisant de la Chine le se­ berg (Facebook), Jeff Bezos (Ama­ podium, les bureaux restent vides. président, Dominique Formhals.
Depuis le plus bas touché par la écouteurs, mais ensemble, ils ont cond marché d’Apple. Le patron, zon) et Sundar Pichai (Google). L’investissement de 1,5 million
Bourse en mars 2020, ces cinq en­ représenté 24,5 milliards de dol­ qui a gagné 125 millions de dollars La classe politique – républi­ d’euros que le fabricant de scènes Hésitations à emprunter
treprises, les Gafam, ont vu leur lars de ventes, moins que le record l’an dernier, a évité l’affrontement cains et démocrates – leur repro­ mobiles vient d’engager pour En attendant la reprise, les uns et
valeur en Bourse progresser de atteint par l’iPad (32 milliards), le avec Donald Trump. Il a rapatrié che leur pouvoir excessif, même doubler ses installations a pris du les autres se doivent de motiver
3 000 milliards, autant que les dernier produit de Steve Jobs. 250 milliards offshore, donnant à si le candidat démocrate à la pré­ retard. Quelques commandes re­ leur personnel, permanents
cinquante plus grosses capitalisa­ Mais Tim Cook a prouvé qu’Ap­ M. Trump une victoire lors de sa sidentielle Joe Biden et sa colis­ çues avant la pandémie sont en comme intermittents, souvent
tions américaines suivantes. Il y a ple était plus que l’iPhone, ce qui réforme fiscale de 2017 (en réalité, tière Kamala Harris n’ont jamais cours de fabrication, mais aucun résigné. FL Structure s’est ainsi
des explications techniques à lui permet d’éviter le destin d’un M. Cook a surtout fait une écono­ exigé leur démantèlement. Les nouveau contrat n’a été conclu de­ lancé dans la réalisation de colon­
cette envolée : la baisse des taux Nokia ou d’un BlackBerry. Il y a mie d’impôt de plus de 40 mil­ concurrents sont aussi exaspérés. puis mars. « Les mairies ont repris nes de distribution de gel hydroal­
d’intérêt par la Fed, la force de la Jeudi 13 août, Epic Games, le la publication d’appels d’offres, coolique, notamment pour sécu­
tech pendant la pandémie et la re­ créateur du jeu populaire Fortnite, mais le monde du spectacle reste en riser ses chantiers. « Ça ne rap­
cherche de valeurs sûres par les in­ Airbnb frappe à la porte de Wall Street a incité ses clients à acheter ses attente. Si cela devait perdurer au­ porte rien, mais au moins, les gens
vestisseurs, ce qui fait battre des produits en le payant directement delà de janvier [2021], cela devien­ voient qu’on essaie de faire quel­
records à la Bourse américaine en Airbnb a lancé officiellement mercredi 19 août son processus au lieu de passer par Facebook et drait très compliqué pour nous », que chose », note M. Diefenbach.
dépit de la récession. Les Gafam d’entrée en Bourse, après des mois de rumeurs et d’incertitude. La Google. Immédiatement déréfé­ juge le PDG, Koffi Atitso. Pour se renouveler, Stacco
représentent désormais le quart plate-forme de location de logements entre particuliers a déposé rencée des plates­formes de télé­ Le patron de Stacco, Raymond compte sur le lancement du Way
de l’indice de référence S&P 500 et un dossier confidentiel auprès du gendarme de la Bourse améri- chargement Apple Store et An­ Schweitzer, refuse, pour sa part, Control, un « crash­barrière » per­
expliquent largement sa hausse. caine, la SEC, signifiant le début d’une longue procédure d’introni- droid, Epic a attaqué Apple et Goo­ de se morfondre. Si la plupart de mettant de sécuriser les événe­
L’affaire suscite des commen­ sation. Le groupe californien n’a pas divulgué d’informations fi- gle en justice pour pratiques anti­ ses contrats d’été ont été reportés, ments de plein air. La société pro­
taires sceptiques du New York Ti­ nancières, ni précisé combien de titres seraient mis sur le marché. concurrentielles. Comme l’écrit le le festival Jazz de Narbonne a bien pose aussi une prestation de révi­
mes : « La progression rapide d’Ap­ Voici près d’un an, en septembre 2019, Airbnb avait fait part de WSJ, « la valorisation à 2 000 mil­ eu lieu. Avec la réouverture de sion des moteurs de scène. Enfin,
ple vers les 2 000 milliards de dol­ son intention de se faire coter courant 2020. Mais il a dû mettre liards d’Apple ne laisse aucune Disneyland Paris, le 15 juillet, la M. Schweitzer espère profiter du
lars est d’autant plus extraordi­ ses projets en suspens en raison de la pandémie de Covid-19, place à l’erreur ».  société a également réalisé une creux actuel pour lancer une ré­
naire qu’elle n’a pas fait grand­ qui a dévasté le secteur du tourisme au printemps. – (AFP.) arnaud leparmentier nouvelle installation, en un flexion sur le bilan environne­
temps très court. Là réside mental de la filière, « avec le déve­
d’ailleurs la difficulté : « On fonc­ loppement du tri, une réduction des
tionne vraiment au jour le jour », trajets routiers à vide et l’utilisation
souligne M. Schweitzer. de produits plus écologiques ».

L’Allemagne discute d’une réduction Septembre devait marquer la re­


prise du secteur, avec la tenue de
plusieurs événements, comme
Afin de tenir dans la durée, la
société a sollicité un prêt garanti
par l’Etat. Mais la plupart de ses
la Foire de Châlons. Mais celle­ci a consœurs hésitent au contraire à

du temps de travail dans l’industrie été annulée, alors que Stacco


commençait à charger ses ca­
emprunter. A l’image d’Europo­
dium, déjà endetté dans le cadre
de son investissement. « Plutôt
qu’un prêt, il faudrait donner du
Le syndicat IG Metall suggère d’instaurer la semaine de quatre jours pour éviter les licenciements temps long aux entreprises, fixer
Le spécialiste un horizon de deux ans pour
un retour à la normale, et geler
berlin ­ correspondance fets sur l’emploi pourraient être ZF et Bosch négocient donc ac­ rien d’autre que la prolongation
des installations nos charges d’ici là », estime
bien plus destructeurs que celle tuellement des réductions du de la crise, et donc une capitula­ scéniques M. Atitso. Pour défendre son idée,

P our sauver les emplois,


faut­il réduire durable­
ment le temps de travail ?
C’est ce que défend Jörg Hof­
mann, le président du syndicat
de 2009. Elle survient en effet
au moment où l’industrie alle­
mande est en pleine transition
technologique vers le numérique
et le moteur électrique. « La se­
temps de travail avec leurs sala­
riés. Jörg Hofmann suggère que
toutes les entreprises adoptent
les mêmes mesures, mais avec
une compensation salariale. « Il
tion devant elle ». Pourtant, le
gouvernement semble décidé à
tout mettre en œuvre pour gar­
der les salariés dans les entrepri­
ses le plus longtemps possible. Il
Stacco a vu
une cinquantaine
de contrats
il vient de créer un nouveau syn­
dicat, l’Union des distributeurs et
fabricants de matériel pour le
spectacle. Histoire de parler
d’une seule voix. 
IG Metall (2,3 millions de mem­ maine de quatre jours serait la ré­ faut que les salariés puissent se le devrait passer de douze à vingt­ s’évaporer nathalie stey
bres), qui redoute un automne ponse à la transition actuellement permettre », insiste­t­il. quatre mois le dispositif de chô­
dramatique pour les emplois en cours dans certaines branches mage partiel, a annoncé le minis­
dans l’industrie. La semaine de comme l’automobile », soutient Revenu universel tre des finances Olaf Scholz. Plu­
quatre jours pour tous pourrait M. Hofmann. La proposition est loin de faire sieurs fédérations industrielles,
permettre de « conserver les em­ l’unanimité au sein du patro­ comme celle des constructeurs TRANS PORT AUTO MO BILE
plois dans l’industrie au lieu de A court de liquidités nat. Les entreprises de taille de machines, ont salué l’initia­ Pas de licenciements Trump appelle au
les détruire, » défend­il. Le sujet IG Metall est convaincu que moyenne ne survivront pas, re­ tive, mais refusent toute idée de secs de pilotes chez boycottage de Goodyear
pourrait être au cœur des pro­ maintenir les employés en poste doutent en effet certains experts. compensation salariale. Lufthansa avant avril Donald Trump a appelé, mer­
chaines négociations salariales en réduisant leur temps de travail « L’économie allemande subit ac­ Le débat pourrait s’élargir da­ Le premier groupe aérien credi 19 août, à boycotter les
de la branche. est une méthode qui a fait ses tuellement un gigantesque choc vantage encore au revenu uni­ européen Lufthansa a an­ pneus Goodyear, après la di­
La semaine de quatre jours re­ preuves et qui est avantageuse de productivité », a déclaré le pré­ versel. L’institut économique de noncé mercredi la signature vulgation par un employé de
vient régulièrement dans le débat pour les entreprises. En 2010, les sident de la fédération patronale Berlin (DIW) a annoncé, mardi d’un accord avec ses pilotes règles internes jugeant « inac­
allemand. En 2018, un « droit à la mesures de chômage partiel BDA, Steffen Kampeter. « Une se­ 19 août, le lancement d’une pre­ renonçant à tous licencie­ ceptable » de porter des vête­
semaine de 28 heures » pendant avaient permis aux entreprises maine de quatre jours ne ferait mière étude de long terme sur les ments secs avant avril 2021 ments arborant le slogan du
deux ans avait été négocié par allemandes de se relever très rapi­ que renforcer ce choc », redoute­ effets de ce dispositif dont l’idée, en contrepartie de réductions président­candidat, ou de tout
IG Metall pour offrir plus de flexi­ dement, sans grosse destruction t­il, assurant que « la crise ne peut régulièrement discutée à gauche de coûts salariaux face autre parti . « N’achetez pas
bilité aux salariés de l’industrie, d’emplois, en profitant au bon être surmontée qu’avec davan­ comme à droite, a refait surface à la pandémie de Covid­19. de pneus Goodyear », a tweeté
notamment aux femmes. La se­ moment de la forte demande tage de travail et de sécurité depuis le déclenchement de la « Lufthansa a signé un accord Trump. La raison de son
maine de quatre jours avait sur­ asiatique de véhicules et biens pour les salariés ». pandémie de Covid­19. L’étude se de court terme avec le syndicat courroux : « Ils ont annoncé
tout été adoptée en 1994 chez d’équipement. Pour Michael Hüther, directeur propose d’observer pendant trois de pilote Vereinigung Cockpit une interdiction des casquettes
Volkswagen, lui permettant de Mais cette fois­ci, la crise pour­ de l’institut économique de Co­ ans le comportement de 120 réci­ (VC), pour mettre en place MAGA », l’acronyme de
sortir de l’ornière. Pour IG Metall, rait durer nettement plus long­ logne, proche du patronat, la se­ piendaires d’un revenu de des mesures visant à gérer « Make America great again »,
la mesure pourrait être utilisée temps et les entreprises se retrou­ maine de quatre jours avec com­ 1 200 euros par mois.  la crise », a indiqué le groupe slogan du président pour
dans la crise actuelle, dont les ef­ ver à court de liquidités. Daimler, pensation salariale « ne serait cécile boutelet dans un communiqué. sa réélection. – (AFP.)
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VENDREDI 21 AOÛT 2020 économie & entreprise | 13

ENQUÊTE

Les manœuvres
d’un Libanais
pour récupérer
ses millions
Plusieurs grandes fortunes cherchent
à tout prix à débloquer leurs avoirs placés
dans les banques libanaises. L’homme
d’affaires Nabih Nasser a choisi de passer
par la France pour contourner les mesures
informelles de contrôle des capitaux

C
e fut l’un des der­ pérer ses 20 millions de dollars, il
niers jours de est trop tard. Sa demande est refu­
calme avant la sée. Officiellement, cela n’a rien à
tempête. Vendredi voir avec un manque de liquidités.
4 octobre 2019, L’établissement bancaire liba­
l’économie liba­ nais dit avoir des doutes sur l’ori­
naise ne s’est pas encore effon­ gine des fonds et soupçonne le
drée, la révolte populaire n’a pas père de Nabih, Fadi Nasser, d’être
encore grondé, et Nabih Nasser le réel bénéficiaire du compte. En
croit encore posséder 20 millions septembre 2018, ce dernier a été
de dollars (16,8 millions d’euros placé sur liste noire par le Trésor
au cours actuel) sur son compte américain, qui lui reproche
de la Société générale de banque d’avoir livré du pétrole et du gaz
au Liban (SGBL). au régime syrien, par l’intermé­
Le jeune Beyrouthin, né en 1993, diaire de son entreprise Nasco Po­
en Bulgarie, a largement bénéfi­ lymers & Chemicals, et de son
cié de la fortune de ses parents. autre société, Sonex Investments,
Agé d’à peine 26 ans, il est déjà établie aux Emirats arabes unis.
l’un des dirigeants de la Nasco Po­ En mai 2019, la banque centrale
lymers & Chemicals, l’entreprise ordonne à la SGBL de convertir les voir une économie de la rente qui Richelieu, estimant « qu’il n’est en devises et l’or ». Les institutions
de son père. Il est aussi le direc­ dollars de M. Nasser en livres liba­ appauvrit les finances de l’Etat,
Les institutions nullement établi » que le compte financières se retrouvent donc
teur du club de football Bourj FC, naises pour échapper au risque de des transactions opaques et des financières de M. Nasser ferait l’objet d’une sans réserves de change suffi­
également détenu par son père, et sanctions américaines. inégalités criantes rendues en­ décision de gel des avoirs, et qu’il sante pour servir les déposants,
enfin promoteur immobilier Cette dernière va même au­ core plus insupportables après la
se retrouvent « n’est pas plus établi » que ce der­ qui réclament leurs dollars.
grâce au soutien de son géniteur. delà, en décidant de bloquer les double explosion dans le port de sans réserve nier ne s’est pas conformé aux « Seuls quelques “VIP”, bénéficiant
Ce jour d’octobre 2019, ses 20 mil­ fonds. « La SGBL n’a fait que suivre Beyrouth, le 4 août. obligations de déclaration de l’ori­ d’accointances avec les patrons de
lions de dollars lui donnent pour­ les instructions de son autorité de Dans le pays, 20 % des encours
de change gine des fonds. banque ont pu en douce faire sortir
tant du souci. tutelle », explique Martine Sa­ sont déposés sur seulement 0,1 % suffisante En revanche, la « crise financière de l’argent, vers la Suisse notam­
Dans la capitale de la nation du muelian, l’avocate de la banque. des comptes. « Ce cas est peut­être d’ampleur » qui frappe le Liban de­ ment », ajoute cette même source.
Cèdre, les dollars américains, « Des accusations infondées, pile le signe que les ultrariches, après
pour servir puis l’automne 2019 « fait crain­ Dans un entretien accordé au
dont on se sert comme d’une au moment où le secteur bancaire les pauvres et la classe moyenne, les déposants dre une crise bancaire interdisant quotidien britannique Financial
deuxième monnaie, sont de plus rencontrait des difficultés », s’in­ sont rattrapés par la crise, expli­ la restitution des dépôts », indique Times, le 13 juillet, l’ex­directeur
en plus difficiles à trouver. Le gou­ surge l’avocat libanais de Nabih que Lydia Assouad, doctorante à le jugement. Une « menace » pèse général du ministère des finances
verneur de la Banque du Liban, Nasser, Jade Kobeissi, qui accuse l’Ecole d’économie de Paris. Il est Un premier arrangement a donc sur le recouvrement des Alain Bifani estime que les ban­
Riad Salamé, est bien obligé d’ad­ la SGBL de collusion avec la Ban­ difficile pour eux de se nourrir sur d’ailleurs été proposé. En fé­ 20 millions de dollars de M. Nas­ quiers ont « passé clandestine­
mettre que la « demande en billets que du Liban, et de maquiller ses le dos de la bête, en l’occurrence vrier 2020, la banque libanaise se ser, « quand bien même la banque ment » jusqu’à 6 milliards de dol­
verts a augmenté », mais il en mi­ difficultés financières sous un l’économie libanaise, lorsque cel­ tourne à son tour vers la justice produit divers graphiques non lars hors du Liban depuis octobre.
nimise aussitôt l’importance. A la faux prétexte. le­ci est à terre et en crise. » hexagonale pour demander la le­ étayés par des documents pro­ Nabih Nasser tente, lui, d’em­
télévision, il explique que cette De fait, la SGBL n’a pas immédia­ vée des saisies, en orientant son bants censés établir sa bonne prunter une autre voie, en utili­
hausse est « peut­être » provoquée tement réagi aux soupçons pe­ SAISIES CONSERVATOIRES argumentaire sur l’origine opa­ santé financière ». sant la justice française. Sa situa­
« localement » par « les stations sant sur son client. Alors qu’elle C’est finalement en France que va que des fonds de Nabih Nasser. La SGBL, de laquelle la française tion ne provoquera pas d’empa­
d’essence, les boulangeries, les dit avoir reçu une mise en garde se déporter cette affaire libano­li­ Mais, à la veille de l’audience, la Société générale détient encore thie parmi le peuple libanais, qui
pharmacies, en raison de la dolla­ de la commission spéciale d’in­ banaise. Fin 2019, Me Kobeissi a SGBL adresse finalement un chè­ 17 % du capital, est­elle en si mau­ sombre dans la pauvreté.
risation » de l’économie au détri­ vestigation de l’institution moné­ cette idée : si la banque refuse de que à son client d’un montant de vaise posture que cela ? « Techni­ « M. Nasser prend le risque d’exer­
ment de la livre libanaise. taire libanaise dès le 8 mars 2019, rembourser ce qu’elle doit à son 32 milliards de livres, qui corres­ quement, les banques libanaises cer son droit », justifie Me Cham­
elle ne résiste pas à ouvrir, un client, pourquoi ne pas se tourner pond au solde de son compte ont fait faillite, elles n’ont plus de pey. Il n’est pas le seul. Les dollars
INÉGALITÉS CRIANTES mois et demi plus tard, un vers la France ? La SGBL y a ra­ d’épargne de 20 millions de dol­ capital, puisqu’elles sont détentri­ ont afflué de toute part ces der­
En réalité, c’est tout l’édifice éco­ compte où son client place cheté, en juillet 2018, la compa­ lars, mais convertis au taux de ces d’une dette que l’Etat ne peut nières années vers le Liban du fait
nomique du pays qui commence 20 millions de dollars rémunérés gnie financière Richelieu, petit change officiel de 1 507,50 livres plus payer, estime un banquier des taux d’intérêt irréels servis
à se fissurer. Les milliards de dol­ à un taux d’intérêt de 6,75 % sur groupe de gestion de patrimoine. pour un dollar, qui n’a de facto qui suit de près l’évolution du sec­ par ses banques. Chacun veut dé­
lars qui affluent pendant des dé­ six mois. La tactique fonctionne. En no­ plus cours. teur dans le pays. A un moment, sormais récupérer sa mise, les
cennies sur des comptes rémuné­ La SGBL voulait­elle éviter une vembre 2019, le juge de l’exécu­ Depuis la fin de l’été 2019, la li­ selon les standards d’audit inter­ grandes fortunes du Moyen­
rés à des taux d’intérêt de 12 %, hémorragie de dollars ou les tion du tribunal de grande ins­ vre a dévissé. Les banques du pays nationaux, il faudra qu’elles recon­ Orient comme les entreprises.
14 %, voire près de 20 %, pour atti­ fonds de Nabih Nasser étaient­ils tance de Paris autorise le jeune du Cèdre ne délivrent plus à leurs naissent cette perte. » Le négociant pétrolier IMMS a
rer justement des dollars, se réellement suspects ? Peut­être promoteur immobilier libanais à clients les dollars qu’ils ont dépo­ ainsi réglé à l’amiable un litige
transforment en une montagne les deux à la fois. Le litige qui op­ pratiquer des saisies conservatoi­ sés sur leurs comptes, mais des li­ TAUX D’INTÉRÊT IRRÉELS avec sa banque libanaise Bank­
de dettes difficile à rembourser pose M. Nasser à l’établissement res à hauteur de 20 millions de vres libanaises au taux de 3 500 li­ Les banques tiennent en impo­ med, concernant un dépôt d’un
par l’Etat. Celles­ci dépassent les bancaire résume à lui seul tous les dollars – le montant de sa créance vres pour un dollar. Et sur le mar­ sant à leurs clients des mesures milliard de dollars. Près de
150 % du produit intérieur brut, maux dont souffre le Liban, à sa­ – sur les actions de la filiale de la ché noir, il faut désormais informelles de contrôle des capi­ 300 millions de dollars de dépôts
l’un des niveaux les plus élevés banque privée. 7 000 livres pour obtenir un dol­ taux, sans qu’aucune loi les y des banques yéménites seraient
au monde, dont 40 % sont déte­ Toutefois, le conflit est loin d’être lar. Le chèque ne sera donc pas en­ autorise. Les retraits bancaires également bloqués au Liban, se­
nues par des banques particuliè­ terminé, car seule la justice liba­ caissé. Pas question pour le jeune des Libanais sont plafonnés de­ lon L’Orient­Le Jour. Les avocats
rement exposées. Le Liban se di­ Le pays du naise peut donner raison à l’une millionnaire beyrouthin « d’ac­ puis décembre 2019 et, depuis disposent désormais d’un point
rige alors tout droit vers le défaut ou l’autre partie. Mais la procé­ cepter quatre fois moins que la mars 2020, ceux­ci n’ont plus ac­ de pression efficace, en tapant sur
de paiement. Mardi 1er octo­
Cèdre souffre dure française offre là un levier ex­ somme déposée sur le compte », cès aux dollars. Une source pro­ les actifs des banques libanaises à
bre 2019, l’agence de notation d’une économie ceptionnel pour pousser la SGBL à souligne son avocat français, Vic­ che du gouvernement sortant ex­ l’étranger, qu’il s’agisse de filiales,
américaine Moody’s annonce la négocier avec son client. « Cette tor Champey. plique que l’« on recense d’immeubles ou de comptes ban­
« mise sous surveillance » de la
de la rente décision entache la réputation de La justice française va l’aider aujourd’hui de 130 à 140 milliards caires. « Des dossiers de clients li­
note souveraine. qui appauvrit la banque et complique une possi­ dans son bras de fer. Le 10 août, la de dépôts de dollars dans les ban­ banais m’arrivent tous les jours »,
Le 4 octobre, lorsque Nabih Nas­ ble vente de sa filiale, car une partie juge parisienne Cécile Tharasse ques libanaises, pour seulement 30 reconnaît Me Champey. 
ser se rend à l’agence Saint­Char­
les finances de l’argent devra être mise sous sé­ refuse de lever les saisies sur le ca­ à 35 milliards d’actifs en dollars à la julien bouissou
les de la banque SGBL pour récu­ de l’Etat questre », analyse Me Kobeissi. pital de la compagnie financière banque centrale, entre les réserves et véronique chocron
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VENDREDI 21 AOÛT 2020

Dur retour à la réalité pour l’Olympique lyonnais


Battu 3­0 par le Bayern en demi­finale de la Ligue des champions, l’OL ne sera pas européen la saison prochaine

lisbonne ­ envoyé spécial ouverture du score… bavaroise.


But en pleine lucarne de Serge Le Munichois

P
our eux, ç’en est fini de Gnabry, qui inscrira un doublé en Serge Gnabry
l’été portugais. Fini des première période. Avant la tête de (à gauche)
matchs contre les Robert Lewandowski, à deux mi­ et le Lyonnais
meilleures équipes nutes de la fin, pour le troisième. Maxwel Cornet,
d’Europe. Fini de l’hymne de la Manquer une occasion contre le à Lisbonne,
Ligue des champions, dont l’air Bayern, quintuple champion le 19 août.
résonne toujours en préambule d’Europe, onze fois finaliste de MIGUEL A. LOPES/AFP
de chaque match, quand bien l’épreuve, c’est déjà trop. Et très ra­
même le Covid­19 empêche geant, surtout quand cela se re­
maintenant les spectateurs d’y produit en seconde période.
assister. Comme il y a dix ans, les Comme pour cette frappe de To­
Lyonnais s’arrêtent en demi­fi­ ko­Ekambi, détournée du pied
nales contre le Bayern Munich. droit de Neuer peu avant l’heure
Cette fois sur un match simple de jeu. L’un des Français de Mu­
et non aller­retour, en raison de nich, l’attaquant Kingsley Coman,
cette phase finale délocalisée : dé­ reconnaît à ses adversaires le mé­
faite (3­0), mercredi 19 août, au rite d’avoir accompli « un très bon
stade José­Alvalade de Lisbonne. match ». « 3­0, ce n’est pas forcé­
Exactement le même score que ment la physionomie du match,
pour la demie de la veille, conclue, concède­t­il sur RMC Sport, mais
à l’inverse, par la victoire d’un voilà, on a été efficaces et c’est ce
autre club français, le Paris­Saint­ qui a fait la différence. » Au vu du
Germain (PSG), sur un autre club début du match, l’entraîneur rho­
allemand, Leipzig. danien, Rudi Garcia, a plutôt « res­
Quel contraste, pourtant, d’un senti ça comme une injustice ».
3­0 à l’autre ! On voit mal quelle
espèce de regrets pourrait conce­ Trois joueurs « exceptionnels »
voir Leipzig, dominé de bout en Fini donc, pour l’OL, l’été des « ex­
bout. Dans le cas des joueurs de ploits ». C’était le terme choisi par
l’Olympique lyonnais (OL), en re­ Garcia en poste depuis cette sai­
vanche… « Ils nous ont fait du mal son à peine. Mot tout à fait perti­
dans la première phase du match, nent pour désigner l’élimination
reconnaît Hansi Flick, l’entraî­ d’un favori, la Juventus de Cris­
neur du Bayern, au micro de Sky tiano Ronaldo, en huitièmes de fi­
Allemagne, et nous avons tenu le nale. Un but à Turin avait suffi décrivait Pep Guardiola au soir de son prochaine, le club ne disputera d’avoir battu la Juventus et Man­
coup avec de la chance, il faut le malgré la défaite (2­1), le 7 août, au son élimination. L’entraîneur de aucune Coupe d’Europe. Une pre­
« Ce n’est pas chester City et de se replonger dans
dire comme ça. » Le PSG y trouvera sortir du confinement, à conser­ Manchester City a adressé en par­ mière depuis vingt­trois ans, facile d’avoir le championnat, convient Rudi
sans doute matière à espérer : ce ver l’avantage pris au mois de ticulier ses compliments à « trois d’autant plus regrettable qu’aucun Garcia. C’est là­dessus qu’il va fal­
Bayern a des failles. On aurait juré mars lors du match aller (1­0). Mot joueurs exceptionnels au milieu » : représentant français n’a disputé
battu la Juventus loir travailler sur le plan psycholo­
le contraire après son quart de fi­ tout aussi adéquat, sinon plus, Houssem Aouar, 22 ans, Bruno davantage de demi­finales euro­ et Manchester gique, pour panser les plaies de
nale contre le FC Barcelone (8­2). pour qualifier ensuite la victoire Guimaraes, même âge ; et péennes que l’OL sur les dix der­ cette demie et remobiliser les
A quoi cela tient, un match ? A en quarts contre Manchester City Maxence Caqueret, encore plus nières années : celles contre le
City et de se joueurs. » Pour Karl Toko­Ekambi,
ces occasions lyonnaises, pour (3­1), huit jours plus tard et, cette jeune de deux ans, trois petits Bayern en 2010 et cette semaine, replonger dans « peu importe l’adversaire en
commencer… Dès la 4e minute, ce fois, à Lisbonne. matchs en Ligue des champions. donc, mais aussi celle de 2017, en face » : « On sait qu’on ne va pas
tir de Memphis Depay dans le pe­ L’Europe entière aura fait plus Bien que sous contrat jus­ Ligue Europa, contre l’Ajax Ams­
le championnat » toujours jouer contre le Bayern
tit filet. Puis ce poteau, surtout, de ample connaissance avec « cette qu’en 2023, Aouar envisageait dès terdam. RUDI GARCIA donc je pense qu’il faut prendre les
Karl Toko­Ekambi (17e). Deux aler­ équipe de contre­attaque », une le printemps de quitter le club. Le entraîneur de l’OL adversaires dans le même sens et
tes aussitôt transformées en re­ équipe capable de « beaucoup quotidien L’Equipe s’attend main­ Quatre tickets toujours garder cet état d’esprit (…)
grets : dès l’action suivante, d’engagement et d’agressivité », tenant à son départ cet été, peut­ Cela s’explique, le Covid­19 ayant pour retrouver la Ligue des cham­
être pour l’Angleterre. C’est la li­ entraîné l’arrêt prématuré du a­t­il estimé dans un entretien au pions l’année prochaine. »
mite du modèle économique de championnat de France 2019­ quotidien Le Progrès, le 18 août, Le gardien Anthony Lopes
Des fan-zones pour la finale ? l’OL, où les cessions de contrats
rapportent gros… mais menacent
2020, et figé Lyon à une 7e place
non qualificative pour l’Europe,
après la qualification inédite de
deux formations de Ligue 1, cet
pense surtout à « cette mentalité,
cette même combativité, ce même
La ministre déléguée aux sports, Roxana Maracineanu, a créé la à chaque fois la pérennité du pro­ sans que le club puisse disputer été, dans le dernier carré. La sérieux, cette force qui nous a ser­
polémique mercredi, en évoquant mercredi la possibilité d’ouvrir jet sportif. Prenez l’équipe de la sai­ ses dix matchs restants. En juin, France est championne du monde vis pendant toute cette campa­
des fan-zones pour regarder la finale de la Ligue des champions son 2014­2015, brillante deuxième Jean­Michel Aulas a bien essayé [2018], nous avons huit stades de gne ». Lui aussi formé au club, il fi­
dimanche entre le PSG et le Bayern Munich. « C’est un événement du championnat de France : Sa­ de contester la décision devant le niveau international, des investis­ nit par ce message d’espoir : « Si
exceptionnel. Nous allons mettre en place des fan-zones, avec muel Umtiti joue désormais pour Conseil d’Etat. Sans succès pour le seurs étrangers. J’espère que nous on continue, on peut aller très loin
un encadrement spécifique. Le sport doit rester une fête, mais en le FC Barcelone, Alexandre Laca­ patron de l’OL, qui s’est trouvé en­ pourrons aboutir. » en championnat. » Depuis les sept
responsabilité (…). J’en appelle au civisme », a déclaré la ministre zette pour Arsenal, Nabil Fekir tre­temps un autre objet de re­ Pour l’heure, l’OL s’apprête sur­ titres consécutifs de 2002 à 2008,
sur BFM-TV avant la deuxième demi-finale entre les Bavarois et pour le Betis Seville. Et, bien sûr, vendication. A plus long terme, le tout à retrouver les réalités moins plus rien à signaler de ce côté, là
l’OL. Des propos qui ont provoqué un tollé à la Mairie de Paris, Corentin Tolisso, entré en jeu mer­ dirigeant milite pour l’obtention enthousiasmantes du quotidien : où le PSG, propriété du fonds sou­
qui a écarté la possibilité de tels rassemblements. « Il ne faut pas credi, pour le Bayern. de quatre tickets d’entrée en Ligue il commencera sa saison de L1 à verain du Qatar depuis 2011, reste
que ce soit la fête du Covid. Moi, je dis surtout au préfet de police : Pour les Lyonnais encore pré­ des champions chaque saison domicile contre Dijon, le 28 août, sur sept sacres nationaux sur les
“Interdisons ces rassemblements” », a vivement réagi sur BFM-Pa- sents, reste à négocier l’atterris­ pour les clubs français, au lieu de six jours après le début officiel de huit dernières saisons. 
ris Anne Souyris, adjointe à la maire de Paris chargée de la santé. sage de retour de Lisbonne. La sai­ trois. « C’est le moment ou jamais, la saison. « Ce n’est pas facile adrien pécout

Malgré la défaite, les supporteurs ont communié avec leur club


La fièvre du football a envahi les rues de la capitale des Gaules, rappelant aux Lyonnais les grands soirs européens de l’OL

lyon ­ correspondant péennes laissent espérer que l’OL s’était subitement délocalisé. leurs responsabilités. « Que la joie télé, le silence s’impose dans les Dans la cité à forte culture de
renoue avec sa glorieuse histoire. Sans oublier les slogans au voca­ puisse s’exprimer en pensant aux bars lyonnais. Mains sur les têtes, football, l’histoire de l’Olympique

U n parfum de Coupe du
monde a flotté dans les
rues de Lyon, mercredi
19 août au soir, à l’occasion du
match opposant l’Olympique
Plus haut, sur les pentes de la
Croix­Rousse, Mehdi fait défiler
sur son téléphone portable les
images de la soirée de samedi
15 août, quand l’OL a sorti Man­
bulaire cru. Tout y est. L’ambiance
est paradoxale. Le stade est vide
sur l’écran de télévision. La cla­
meur redouble à Lyon, comme si
le public voulait envoyer de bon­
autres », a souhaité le nouvel élu
écologiste, plutôt entendu mer­
credi soir. « Personne n’a le droit
de rester au bar, on est ferme là­
dessus », souligne le patron d’un
yeux écarquillés. Ainsi va le foot­
ball, parfois cruel et contre le
cours du jeu. « Le Bayern avait la
tête sous l’eau », estime Bixente Li­
zarazu à la télévision, en connais­
lyonnais semble se réveiller avec
cette soirée européenne. On lit le
passé du club sur le dos des sup­
porteurs : Coupet, Gourcuff, Ma­
louda, Fékir, Memphis… Maillots
lyonnais (OL) au Bayern Munich, chester City. « On n’a jamais nes ondes jusqu’à Lisbonne, où se café, près de l’opéra. Dehors, seur, ancien arrière du club bava­ blancs, bleus, noirs… On dirait
en demi­finale de la Ligue des connu de soirées aussi animées », déroule la rencontre. beaucoup de monde et peu de rois. Le défi s’annonce rude, les une revue générale à l’occasion
champions. Ferveur, chants, ten­ sourit le jeune homme. Les mesures sanitaires sont plu­ masques sur les visages. Les dis­ supporteurs le savent. « Si on ne d’un grand rendez­vous. Les sou­
sion, la fièvre du football a gagné tôt respectées. A l’intérieur des tances sont respectées tant bien marque pas tout de suite en début venirs des championnats rem­
les rues de la capitale des Gaules. De bonnes ondes établissements, les tables sont es­ que mal, mais sans scènes de de seconde mi­temps, ça va être portés reviennent, avec ses ima­
Sauf que le public lyonnais a, Dès les premières minutes du pacées, personne n’est debout, liesse exagérées. « Le vent em­ compliqué », commente Clément. ges des défilés de joueurs, sur le
cette fois, communié avec son match, la foule s’enflamme. Les beaucoup mettent leur masque porte le virus », plaisante Fanny, La suite donne raison à ce suppor­ bus décapotable fendant la foule.
club. Ce qui n’était plus arrivé de­ joueurs de Rudi Garcia tiennent la en se déplaçant. Le matin, le attablée dans les rues piétonnes teur qui n’a manqué aucun match A quelques minutes de la fin du
puis longtemps. dragée haute aux Munichois, et maire, Grégory Doucet, a de­ du quartier des Jacobins. européen cette année. match, le Bayern marque le troi­
« Franchement, ils nous font tous les espoirs sont permis. mandé aux Lyonnais de prendre A la 16e minute, le tir de l’atta­ sième but, synonyme de défaite
plaisir, on a un peu raté le cham­ Place des Terreaux, derrière la quant lyonnais Karl Toko­Ekambi Revue générale inéluctable. Les tables se vident
pionnat mais on arrive dans les mairie, des groupes vibrent au échoue sur le poteau. « Malédic­ Deuxième but encaissé à la rapidement, les groupes se dis­
phases finales en Coupe de France, rythme des actions, face aux bars tion du Bayern ! », lance un quin­ 33e minute. Le public veut pour­ persent. Pas de fête au pro­
Coupe de la Ligue, et là le top euro­ qui diffusent le match sur écrans « Malédiction quagénaire, en référence à la my­ tant y croire. Les chants s’intensi­ gramme. Quelques feux d’artifice
péen… Cette équipe recommence à géants. La rumeur enfle à chaque thique finale de 1976, lorsque fient. « Ils se battent jusqu’au bout, semblent dire que l’OL a néan­
nous faire rêver, pourvu que ça contre­attaque.
du Bayern ! », Saint­Etienne avait désespéré­ le Bayern, c’est le Bayern », soupire moins remporté une belle vic­
dure », confie Clément, 20 ans, de­ Le premier quart d’heure est lance un ment buté sur la barre transver­ un jeune homme, maillot blanc toire de prestige. On entend les
vant un bar de la Presqu’île, dans euphorique, lorsque l’OL semble sale des Munichois. « Ah oui, je de l’OL, debout sur une chaise, derniers chants, ceux des fêtards
le centre de Lyon. A ses côtés, en faire douter le géant bavarois. Les
quinquagénaire, crois que mon père m’a raconté verre de bière à la main. Pendant attardés. Pronostic pour la finale ?
attendant le coup d’envoi, Max chants de supporteurs se répon­ en référence ça », relève un garçon taquin. Une ce temps, les livreurs sillonnent la « On est pour Paris parce que c’est
égrène les meilleurs souvenirs de dent, d’un bar à l’autre, la rue en minute plus tard, les Bavarois ré­ ville à toute vitesse, s’accordant la France, mais il ne faut pas le
la saison : Turin, Manchester guise de tribunes, comme si le
à la mythique pliquent et marquent leur pre­ parfois un stop pour vérifier le dire ! », s’amuse un supporteur. 
City… Les dernières joutes euro­ stade de Décines – l’antre de l’OL – finale de 1976 mier but. Les filets tremblent à la score à travers les vitres. richard schittly
0123
VENDREDI 21 AOÛT 2020 carnet | 15
Paris. Irène Kaganski et Marc Adrien, Jacques et Marie Saffroy, Ses enfants,
Serge et Michèle Kaganski, Monique Saffroy, Son beau-fils, Remerciements
Sa famille, ses enfants, Ses huit petits-enfants
son gendre et sa belle-fille, Geneviève Saffroy,
Le Carnet a la douleur de faire part du décès de Judith, Vladimir et Jessica, Joachim, et leurs conjoints,
ses enfants,
Elsa, Natacha, Ses douze arrière-petits-enfants,
Sophie et Pierre-Emmanuel,
Mlle Yvette CONTINSOUZAS, ses petits-enfants, Ses six neveux et nièces
Merci de nous adresser ancienne directrice d’école, Léonor et Natalie, Perrine et Alexis, et leurs conjoints,
maire délégué honoraire ses arrière-petites-filles, Arthur, Ses petits et arrière-petits-neveux
vos demandes par mail de La Tourette, Les familles Silbermann,
ses petits-enfants, et nièces,
en précisant impérativement chevalier Liebermann, Satler, Adrien, Peinturier,
votre numéro de l’ordre des Palmes académiques, Shulz, Guillaume et Helena,
officier ses arrière-petits-enfants, ont la grande tristesse de faire part La Fondation AGES
de téléphone personnel, de l’ordre national du Mérite. ont le chagrin de faire part du décès du décès, de rend hommage
votre nom et prénom, de
La cérémonie civile aura lieu le ont la tristesse de faire part du retour à ses généreux donateurs.
adresse postale et votre Ruth SCHATZMAN,
vendredi 21 août 2020, au cimetière Henriette à Dieu de
éventuelle référence de La Tourette. KAGANSKI-SILBERMANN, Odessa 12 septembre1920 -
Briançon 10 août 2020, En désignant notre fondation,
d’abonnement.
Réunion à la mairie de La Tourette, survenu dans la quatre-vingt-dix- M me
Eliane SAFFROY, professeur de russe, reconnue d’utilité publique,
L’équipe du Carnet à 15 heures. septième année d’une vie vaillante comme bénéficiaire
et combattive.
reviendra vers vous Condoléances sur registre. le 13 août 2020, à Paris,
veuve de de leur patrimoine,
dans les meilleurs délais. La famille remercie Annie Evry SCHATZMAN ils contribuent à améliorer
à l’âge de cent deux ans. († 2010),
Fleurs naturelles uniquement. Tournayre, Maria Bandeira, le la vie quotidienne des personnes
docteur Franck Perruche et le a publié le Journal et
âgées dépendantes, souvent isolées
carnet@mpublicite.fr Pompes Funèbres Buisson Penaud, personnel de la résidence Tiers La cérémonie religieuse sera les lettres de B. Schatzman,
19200 Ussel. Temps. célébrée le samedi 22 août, à 9 h 30, pris dans la rafle des Notables, et vulnérables, et à soutenir
Tél. : 05 55 46 17 40. mort en déportation. leurs aidants à domicile et en ehpad.
Ses obsèques auront lieu ce en l’église Saint-Roch, à Parent (Puy-
AU CARNET DU «MONDE» vendredi 21 août, à 15 h 30, au de-Dôme), suivie de l’inhumation Leur mémoire restera à jamais
Denis Larghero, cimetière parisien de Bagneux. La crémation a eu lieu dans
dans le caveau de famille, à Parent, ancrée dans nos souvenirs.
maire de Meudon, l’intimité.
Décès vice-président du conseil Ni fleurs ni couronnes. aux côtés de son époux, Nous ne les oublierons jamais.
départemental des Hauts-de-Seine, Fondation AGES
Montpellier (Hérault). Un hommage lui sera rendu le
renekaganski@free.fr 75, allée Gluck - BP 2147
Hervé Marseille, skaganski@hotmail.com M. Gaston SAFFROY mardi 25 août, à 14 h 30, au cimetière
M Geneviève Balmès,
me
maire honoraire de Meudon, († 6 août 1985). parisien de Pantin. 68060 Mulhouse Cedex.
née Léger, sénateur des Hauts-de-Seine, www.fondation-ages.org/
son épouse, Élisabeth Ménager,
Dominique et Evelyne, son épouse, davidetclaire-schatzman@wanadoo.fr
Et le conseil municipal de Meudon, Une célébration en leur mémoire
Laure et Jean-Pierre, Anne Le Goff,
aura lieu ultérieurement, en l’église
anne.schatzman@gmail.com Communication diverse
Vincent et Isabelle, ont la tristesse d’annoncer la Sylvie Ménager et Marc Chanty,
ses enfants et leurs conjoints, disparition, de Jean-Luc et Jocelyne Ménager, Saint-Sulpice, à Paris 6e. Xavier Darcos,
Françoise et Joseph, Hélène, Christine Ménager et Anne Maitre, chancelier de l’Institut de France
ses sœurs et beau-frère, Henry WOLF, ses enfants, Renée,
maire de Meudon Et les membres de l’Institut,
Ses petits-enfants et leurs conjoints, Pierre-Yves et Sophie,
de 1983 à 1999, Olivier, Arnaud, son épouse,
Ses arrière-petits-enfants,
Ses neveux et nièces, ancien vice-président Raphaël, Audrey, Esther, Pierre, Claire et Nathalie, ont la tristesse de faire part de la
Parents, alliés et amis, du conseil départemental Emmanuel, Josué, Jérémie, ses enfants, disparition de leur confrère,
des Hauts-de-Seine, Claire,
commandeur ses petits-enfants, Chloé, Pénélope, Flore, Louna, Cyril
ont la douleur de faire part du décès
de la Légion d’honneur, Bernard et Françoise Ménager, et Alexis, Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
du Pierre-Yves TRÉMOIS,
Jacques Ménager et Francine ses petits-enfants, membre
docteur Pierre BALMÈS, survenue à l’âge de quatre-vingt- Ouvrier Bonaz,
treize ans. de l’Académie des beaux-arts. Les bénévoles de SOS Amitié
professeur honoraire ses frères et belles-sœurs,
à la Faculté de médecine ont l’immense tristesse de faire part écoutent
Ses obsèques ont eu lieu le mardi ont la tristesse de faire part du décès par téléphone et/ou par internet
de Montpellier, du décès de
18 août 2020, dans la stricte intimité de Ils adressent à sa famille leurs plus
ancien chef de service de médecine familiale, au cimetière de Trivaux, ceux qui souffrent de solitude,
interne au CHU de Nîmes, sincères condoléances.
à Meudon. Daniel MÉNAGER, Jean-Michel SAVÉANT, de mal-être et peuvent avoir
survenu à l’âge de quatre-vingt-cinq ancien élève professeur d’Université, des pensées suicidaires.
ans. Catherine Zins Fragner, de l’Ecole normale supérieure, Souvenir
sa compagne, professeur émérite
1976-2010. Nous recherchons des écoutants
Un hommage civil lui sera rendu Clea Fragner, de l’université Paris X Nanterre. survenu le 16 août 2020,
sa fille, bénévoles
le 21 août 2020, à 15 heures, au à Paris,
complexe funéraire de Grammont, à Sa famille, ses amis de Prague, survenu à son domicile, le 15 août Il y a dix ans, pour notre plus sur toute la France.
de Paris, d’ailleurs, 2020, à l’âge de quatre-vingt-trois à l’âge de quatre-vingt-six ans. grand chagrin, le ciel ne pouvait pas
Montpellier, dans l’intimité familiale L’écoute peut sauver des vies
en raison des contraintes sanitaires. ans attendre.
font part de la mort de et enrichir la vôtre !
Un hommage sera rendu à sa carrière La cérémonie funéraire se
professionnelle ultérieurement. Le culte d’action de grâce a eu Choix des heures d’écoute,
Tomáš FRAGNER, déroulera le jeudi 27 août, à 13 h 30, Inoubliable
lieu ce jeudi 20 août, au temple formation assurée.
L’inhumation aura lieu le jour- protestant, 1, route du Grand-Pont, au crématorium du cimetière du
survenue à Paris, le 16 août 2020. au Vésinet (Yvelines). Martin.
même, à 16 h 30, au cimetière Saint- Père-Lachaise, Paris 20e.
Lazare, à Montpellier. catherinezins@aol.com Élisabeth Ménager, Commémoration En IdF RDV sur
cleafragner@gmail.com 17, avenue Gabriel-Péri, Le président,
La famille tient à remercier les www.sosamitieidf.asso.fr
infirmiers et auxiliaires de vie qui 92500 Rueil-Malmaison. Le vice-président, L’association « Les Fils et Filles des En région RDV sur
l’ont entouré ces derniers mois, ainsi Hugo Martial, elisabeth.menager92@gmail.com Déportés Juifs de France »,
Les secrétaires perpétuels www.sos-amitie.com
que le personnel du centre Antonin son fils, Beate et Serge Klarsfeld,
Janine, Et les membres
Balmès pour la gentillesse et le Paris.
dévouement dont ils ont fait preuve sa mère, de l’Académie des sciences,
Christophe et Elisabeth, rappellent la rafle dite du XIe
jusque dans ses derniers instants. Mme Geneviève Potier de Courcy,
son frère et sa belle-sœur, arrondissement qui fut opérée du Société éditrice du « Monde » SA
née Lys, ont la tristesse de faire part de la Président du directoire, directeur de la publication
Stanislas, Thomas et Xavier, son épouse, 20 au 25 août 1941 par la police Louis Dreyfus
Suzanne Burlet Belouze, ses neveux disparition de leur confrère, française sous contrôle de militaires Directeur du « Monde », directeur délégué de la
son épouse, Odile, Hélène et Anne, publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Et toute sa famille, allemands. Cette rafle a entraîné
Anne, Gaëlle et Nicolas, ses filles, Directeur de la rédaction Luc Bronner
Ses collègues et amis, l’arrestation puis la déportation
sa fille et ses beaux-enfants, Mathilde, Héloïse, Eurydice, Paul, Directrice déléguée à l’organisation des rédactions
Adrien, Marie et Jean, de plus de 4 000 Juifs, tous des Françoise Tovo
Gabriel, Margot et Anouk, ont la douleur de faire part du décès Jean-Michel SAVÉANT, Direction adjointe de la rédaction
de ses petits-enfants, hommes, après leur internement Grégoire Allix, Philippe Broussard, Emmanuelle
ses petits-enfants
Sa famille directeur de recherche au CNRS, dans des conditions inhumaines Chevallereau, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin,
Et tous les parents Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot,
Mme Frédérique GOUDELIN, Et ses amis, professeur émérite dans le camp de Drancy qui fut
et amis qui l’ont aimé, Cécile Prieur, Emmanuel Davidenkoff (Evénements)
professeure de Lettres modernes, à l’université Paris-Diderot, désormais réservé aux Juifs. Parmi Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
ont la tristesse d’annoncer le décès Rédaction en chef numérique
ont la tristesse de faire part du décès de membre associé étranger les personnes arrêtées il y eut pour Hélène Bekmezian
de survenu le 14 août 2020, Rédaction en chef quotidien
la première fois un millier de Juifs Michel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws,
dans sa cinquantième année. de la National Academy of Sciences
M. François POTIER DE COURCY de nationalité française dont le Franck Nouchi (Débats et Idées)
Bernard BELOUZE, Ses obsèques auront lieu le lundi
des Etats-Unis, gouvernement de l’Etat Français à Directeur délégué aux relations avec les lecteurs
professeur retraité Gilles van Kote
24 août, à 14 heures, au crématorium La cérémonie aura lieu le vendredi Vichy ne demanda pas la libération Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
en classes préparatoires du cimetière « Les Jonjerolles », 21 août 2020, à 15 heures, en l’église ainsi que 45 avocats à la Cour d’appel Chef d’édition Sabine Ledoux
au lycée Louis-le-Grand 95, rue Marcel-Sembat, Villetaneuse de la Côte-Saint-André (Isère). Directrice du design Mélina Zerbib
puis au lycée du Parc. décédé le 16 août 2020, de Paris arrêtés spécialement sur Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
(Seine-Saint-Denis). ordre de la Gestapo. Photographie Nicolas Jimenez
Un office sera célébré à Paris à l’âge de quatre-vingt-six ans. Infographie Delphine Papin
La cérémonie d’au revoir aura lieu Cet avis tient lieu de faire-part et ultérieurement. Directrice des ressources humaines du groupe
le samedi 22 août 2020, à 10 heures, de remerciements. FFDJF, Emilie Conte
Ils adressent à sa famille leurs plus Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
au cimetière de Saint-Genis-les- Cet avis tient lieu de faire-part et 32, rue la Boétie, Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président,
Ollières (Rhône). hmartial42@gmail.com de remerciements. sincères condoléances. 75008 Paris. Sébastien Carganico, vice-président

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CULTURE
0123
16 | VENDREDI 21 AOÛT 2020

Photographier 
la danse 
au­delà 
des clichés
La majorité des photographes
spécialisés dans les images
de spectacles chorégraphiques
s’attachent à bousculer
les stéréotypes
« Ode à la chair » (juin 2015), pièce d’Emiko Agatsuma. Photo de Laurent Philippe. LAURENT PHILIPPE/DIVERGENCES

ENQUÊTE suffire pour parler de la danse mais


n’en montre qu’une petite partie. »
Angelin Preljocaj. « Il s’agit pour
moi de cerner la particularité ges­

C
lassique, contempo­ Bousculer les stéréotypes de­ tuelle d’un style avec un désir de fi­
raine, hip­hop… Les vient l’objectif de nombreux pho­ délité à l’œuvre, précise­t­il. Après
images de danse se tographes dont les univers singu­ toutes ces années, j’essaye d’échap­
bousculent sur Insta­ liers renvoient autant de visions per aux images déjà vues, d’attra­
gram. Emportés par ce flux, les miroitantes de la danse et du dan­ per des moments spéciaux, sou­
photographes spécialistes, peu seur. De l’œuvre saisie en direct vent difficiles à capter. Je me risque
nombreux sur le secteur du spec­ pendant les séances photos qui aussi à faire des plans rapprochés
tacle vivant, de plus en plus pré­ précèdent généralement la pre­ quitte à couper le corps pour avoir
sents sur les réseaux depuis la mière d’un spectacle aux projec­ l’expression des interprètes ou en­
crise sanitaire, tentent de faire tions fantasmées élaborées en core des prises de vue floues qui
exister leur profession et leur studio ou en extérieur, photogra­ ouvrent une appréhension plus
identité. « La danse est un maté­ phier la danse génère de multi­ abstraite du geste avec un résultat
riau visuel qui excite beaucoup de ples aventures visuelles. proche des arts visuels. »
monde car elle est mystérieuse et Avec 150 spectacles chorégraphi­ Comme Laurent Philippe,
difficile à saisir, commente Lau­ ques par an dans son escarcelle, Benoîte Fanton, qui se définit
rent Philippe, photographe de Laurent Philippe, qui travaille en comme photojournaliste et se re­
danse depuis 1987. Malheureuse­ direct pendant les représenta­ trouve souvent parmi la douzaine
ment, on trouve trop souvent des tions, se concentre sur la signa­ de photographes présents lors
clichés de corps en plein envol fai­ ture esthétique des artistes qui des filages photos, privilégie de­
sant appel à un imaginaire relati­ permet de distinguer une volute à puis ses débuts, en 2000, « la re­
vement convenu. Un seul geste, un la Pina Bausch d’un idéogramme transcription d’une pièce choré­
saut brillant, par exemple, semble selon le danseur et chorégraphe graphique dans son ensemble
avec des plans larges, des mo­
ments­clés de gestes “photogéni­
ques” comme les portés, ainsi que
des images recentrées sur les dan­
seurs mais avec l’envie de trouver
des moments de plénitude ». Et, Le danseur Nosfell (juin 2019), par Quentin Bertoux. QUENTIN BERTOUX/AGENCE VU
depuis quelques années, un désir
« de pénétrer davantage dans les
émotions des interprètes ». composer des tableaux dans les­ Après avoir réalisé, en 2014, pour
quels l’architecture et le geste for­
« Je cherche le festival Montpellier Danse, une
Tension corporelle ment un ensemble indissociable, à composer série intitulée Sortie de scène,
Cette porosité à l’instant nimbe résume­t­il. J’aime aussi que Korganow a choisi cette fois­ci
les clichés d’Agathe Poupeney, l’image raconte une histoire et que
des tableaux d’évoquer L’Instant d’avant. « Il
collaboratrice de l’Opéra national le mouvement ait une intensité. Il y dans lesquels s’agit de montrer ce moment qui
de Paris et de celui du Rhin. Celle a toujours un côté exploit car la précède l’entrée en scène où le corps
qui a démarré il y a vingt ans par performance est importante pour
l’architecture et est sous tension, précise­t­il. J’avais
des photos de cirque, puis de moi. Le danseur se situe entre l’ath­ le geste forment aussi envie de faire apparaître le
danseurs contemporains en répé­ lète et le super­héros. » Little Shao désordre de la jeunesse au cœur
titions, a trouvé l’endroit où poser tourne actuellement une vidéo
un ensemble d’un métier de discipline et de rigu­
son appareil : dans les studios. avec des interprètes de l’Opéra de indissociable » eur. » En petits groupes ou seuls,
« J’y ai plus de liberté que devant la Paris dont le résultat, carte postale vibrantes pastilles multicolores,
LITTLE SHAO
représentation d’un spectacle, pré­ kaléidoscopique de la capitale les danseurs lèvent un vent
photographe
cise­t­elle. J’aime observer le pro­ sous l’emprise de la danse, sera vi­ d’excitation joyeuse avant le grand
cessus créatif et entrer dans le dé­ sible sur Instagram, Facebook et saut sur le plateau.
tail de la construction émotion­ YouTube, en septembre. Plus que la danse, ce sont aussi
nelle d’une pièce. C’est très beau et Cette tension corporelle devient place ses obsessions pour le saut les danseurs qui focalisent l’atten­
témoigner, le plus souvent par des sculpturale chez Julien Benha­ et la chute dans la nature. « Le ca­ tion de Quentin Bertoux. Repéré
gros plans, de petits moments mou. Entre presse et publicité, dre du studio est trop étroit pour pour ses natures mortes, ce fer­
d’émotion, d’une main sur une également collaborateur de cer­ François, précise­t­il. Avec lui, je re­ vent de danse contemporaine
épaule, de regards entre les inter­ tains théâtres dont la Seine musi­ cherche une liberté physique et je depuis les années 1980 a participé
prètes, m’intéresse. Je préfère cela cale et l’Opéra national de Paris, ne me censure pas. Je vais à fond à différents jeux visibles sur le
au côté sensationnel que l’on peut portraitiste, il assiste pour la pre­ dans ce que j’aime, ce geste arrêté, compte Instagram de l’Echan­
donner de la danse. » mière fois à un ballet classique à exalté, qui montre la puissance du geur, Centre de développement
Bascule atmosphérique avec l’âge de 26 ans et trouve chez les corps mais sans agressivité. » chorégraphique des Hauts­de­
Little Shao qui aime transplanter danseurs ses complices de créa­ France. Pour Qui ? & Où ?, on doit
Joaquín Sorolla, Sortant le bateau, n.d., huile sur toile, 100 x 120 cm, Collection particulière ; ©Photographie Fernando Maquieira, 2019

le mouvement en extérieur. Passé tion. En studio, dans des lumières Un tour de magie deviner le nom du chorégraphe
par une école de commerce, ex­ tamisées, il les met en scène seul Celui qui prend le danseur comme sur le cliché et le lieu du shooting.
pert en communication digitale, ou en duo dans des poses insoli­ « un objet d’art » aime surtout tra­ On savoure surtout la touche
ambassadeur de Red Bull et de tes, soulignant les muscles tendus vailler « avec des interprètes classi­ délicate de cet artiste obsédé par
Nikon, mais aussi de Puma et Nike sous la peau nue. Une sensualité ques pour leurs silhouettes, leurs l’apesanteur. Sa façon de cadrer
Jordan, il s’est fait connaître par le érotique nimbe certains clichés. proportions physiques. » Il ajoute : l’interprète dans une nuée
hip­hop, qu’il pratique au début « Je suis effectivement influencé « Ils sont des modèles incroyables d’éventails ou de serpillières a
des années 2000. Parallèlement, par la sculpture, celle de Michel­ qui savent bouger et faire des cho­ tout d’un tour de magie. « On croit
depuis dix ans, il se passionne Ange, par exemple, raconte­t­il. Je ses précises toujours étonnantes. » que les objets sont suspendus à des
pour le ballet et a immortalisé La propose des thèmes aux interprè­ Ce point de vue est partagé par fils en Nylon, mais il y a en réalité
Bayadère, en 2015, par le Ballet de tes et nous cherchons ensemble. Je Grégoire Korganow, qui vient de quelqu’un qui lance, par exemple,
l’Opéra national de Paris. ne veux pas précisément provo­ signer l’identité visuelle de la sai­ près de 150 fois la pelote de laine
Sur son compte Instagram, il fait quer une émotion érotique mais son 2020­2021 du Théâtre national autour du danseur pendant que
cousiner ses clichés acrobatiques montrer la beauté charnelle avec de Chaillot. Il a travaillé avec des j’appuie à chaque fois sur le déclen­
fulgurants de breakdance avec toujours quelque chose de doux. La étudiants du Conservatoire natio­ cheur », raconte Quentin Bertoux,
#HotelDeCaumont Avec le
soutien de
des postures classiques. Il propose nudité, parfois présente dans mes nal supérieur de danse et de musi­ tout sourire. Ensuite, la technique
aux danseurs des séances en plein photos, permet de rendre le mou­ que de Paris et des danseurs ur­ fait le reste. « La photo est un art de
Paris pour faire surgir des images vement plus visible et plus radi­ bains. « Ils sont généreux, inventifs, la prestidigitation », confie­t­il. La
où découpes urbaines et corporel­ cal. » Avec François Alu, de l’Opéra ils cherchent et ouvrent des portes danse aussi. 
les s’entrecroisent. « Je cherche à national de Paris, Benhamou dé­ sur des états de grâce », dit­il. rosita boisseau
0123
VENDREDI 21 AOÛT 2020 culture | 17

«L’inspection du travail espère que le


MUS IQU E
Les concerts de rentrée
d’Alain Souchon
reportés, ceux
de -M- annulés

chantier de Notre­Dame se finira à temps» Alors que la ministre de


la culture, Roselyne Bachelot,
qui a reçu, mercredi 19 août,
des représentants du
Pour Barbara Chazelle, du comité de pilotage, les mesures de sécurité sont une nécessité spectacle vivant, se serait
engagée, selon Le Parisien,
à défendre « l’idée de la fin de
la distanciation physique dans
ENTRETIEN Sas de décontamination,
douches systématiques, double
« On ne fait pas de la personnalité de son compa­
gnon, Gérard Filoche, anti­
Passé une certaine hauteur,
qu’il s’agisse d’échafaudages ou
les salles de spectacle pour
les spectacles assis » – avec

L’
inspection du travail a­ vestiaire… Certains salariés différence entre macroniste convaincu qui, de grues, parce que vous montez port du masque obligatoire –,
t­elle joué un rôle dans chez les échafaudagistes, les avant un passage au Parti socia­ raide, le risque cardiaque est plusieurs concerts de rentrée
le ralentissement du cordistes, les charpentiers, se
un monument liste, a même donné son nom à avéré. A Notre­Dame comme prévus dans des grandes
chantier de reconstruc­ plaignent d’avoir à se doucher historique et un un « courant politique » au sein ailleurs, la réglementation est salles ont été reportés ou
tion de Notre­Dame de Paris ? C’est tant de fois dans une journée du mouvement trotskiste… unique. On ne fait pas de diffé­ annulés. Ainsi, les premières
l’un des débats qui continuent qu’ils en ont eu des problèmes
autre bâtiment » Je suis indignée quand j’entends rence entre un monument histo­ dates de la tournée d’Alain
d’agiter le milieu du patrimoine, de peau… En a­t­on trop fait ? ces attaques qui portent atteinte à rique et un autre bâtiment… Souchon (du 4 septembre au
confronté à des règles sanitaires et Le risque plomb, ce n’est pas sa vie privée et fleurent le 19 décembre) seront reportées,
de sécurité modernes. A chantier comme le feu, dont on ressent les un accident du travail ou des pa­ sexisme. Je le répète : l’interven­ Comment cela se passe­t­il dont les deux concerts
exceptionnel, exception de rè­ effets tout de suite : c’est un risque thologies à moyen ou long terme ! tion de Mme Rambaud n’a rien de aujourd’hui sur le chantier ? parisiens au Palais des sports,
gles ? Non, s’agace Barbara Cha­ invisible dont les effets sont à long Sur la cathédrale comme sur n’im­ politique. Elle ne fait que s’ap­ Depuis que l’Etablissement pu­ les 8 et 9 septembre. Les
zelle, qui, au comité de pilotage du terme, mais très graves. Le plomb porte quel bâtiment, les actions de puyer sur les faits et le droit. Sa blic est en place, les relations sont dix dates, en septembre et en
chantier, représente désormais les est cancérogène et reprotoxique, l’inspection du travail peuvent préoccupation, c’est la santé et la sereines. Nous sommes dans une octobre, de la tournée de ­M­
Directions régionales des entre­ il agit sur le système nerveux, le être mal vécues, mais nos inter­ sécurité au travail. démarche de dialogue. Et de péda­ sont pour leur part annulées.
prises, de la concurrence, de la sang, les reins, les fonctions repro­ ventions n’ont jamais été contes­ gogie. Le 11 mars, juste avant le
consommation, du travail et de ductives… Cela pèse quand même tées par les entreprises engagées Sauf qu’à Notre­Dame confinement, les entreprises et les Le festival de jazz de
l’emploi (Direccte) et, à ce titre, plus lourd que de se doucher ! sur le chantier. Aucune n’a utilisé tout est rapidement devenu salariés intervenant sur le chan­ Colmar reporté à 2021
Françoise Rambaud, l’inspectrice les possibilités juridiques qu’elles très politique… tier – une cinquantaine de person­ La 25e édition du festival
du travail qui a fait des risques de Mais là, il n’y a pas eu avaient de mettre en cause les pré­ La direction générale du travail, nes – ont été invités à une réunion de jazz de Colmar, prévue
plombémie et de la sécurité sur le de plombémie… conisations de l’inspectrice. la ministre nous fixent chaque où leur ont été expliqués les ris­ du 10 au 28 septembre, a été
chantier son cheval de bataille. En effet, les entreprises déclarent année des priorités. Dans cel­ ques invisibles, les prérogatives de reportée à 2021 en raison de
qu’il n’y a pas eu de plombémie Dès lors qu’elle devenait les­ci, on a aussi bien les chutes de l’inspection du travail, pourquoi l’épidémie de Covid­19,
Un an après l’incendie de chez elles. Mais le taux de pré­ une cible, l’administration hauteur dans les bâtiments que le on demande ceci et cela, non pour a annoncé mercredi 19 août la
Notre­Dame, des voix s’élèvent sence de poussières de plomb au n’aurait­elle pas dû protéger risque chimique. A Paris, vu l’état retarder le chantier, mais parce ville dans un communiqué.
pour critiquer les mesures sol, quand il y a eu les premiers Françoise Rambaud de la construction, nos agents ont qu’il y a encore des pics de pollu­ « L’évolution actuelle de la
demandées par l’inspection mesurages, était énorme. C’est en confiant le dossier toujours fait des contrôles sur les tion dessus, que ce soit dans les crise sanitaire ne nous permet
du travail. Au point que pourquoi il fallait agir rapidement. à un autre inspecteur ? interventions au plomb. Là, vu les barnums où sont stockés les dé­ pas, aujourd’hui, d’envisager
certains n’hésitent pas Le code du travail est fait de telle Ce serait la désavouer. Mme Ram­ volumes qui ont brûlé, c’est ex­ chets, lorsqu’on dégage certaines avec réalisme l’organisation
à imaginer, chez l’inspectrice sorte que l’employeur doit limiter baud est une inspectrice chevron­ ceptionnel. Or, il n’y a pas de déro­ parties pas encore explorées, ou de concerts au mois
qui en a la charge, un excès de au plus bas possible les risques. née, qui a le soutien de toute sa gation par rapport à ce bâtiment que l’on touche à l’échafaudage de septembre », relève­t­elle.
zèle, voire de l’acharnement… D’une part en évitant les procédés hiérarchie. Cela fait plus de dix historique… heureusement. – sur cette question, il y a un sys­ Néanmoins, le concert
Quel acharnement ? L’inspec­ qui libèrent encore plus de pous­ ans qu’elle est affectée à ce secteur tème d’aspiration qui est actuelle­ organisé à Sélestat (Bas­Rhin),
tion du travail ne fait que veiller à sière. D’autre part en protégeant géographique, qui couvre une Comme pour les ascenseurs ment en test… Soyez bien sûr que avec Angelo Debarre, est
l’effectivité du droit et à prévenir les salariés de toute inhalation. En­ partie du 4e arrondissement de imposés pour accéder aux tout le monde, chez nous, espère maintenu et programmé
les risques pour les personnes qui fin, en évitant qu’ils rapportent de Paris. Elle fait son travail, et le fait tours d’échafaudage, au­delà que ce chantier pourra se finir en le 24 septembre. Le Festival
travaillent. Sur ce chantier, nous la poussière à la maison et ne très bien. L’inspection du travail de 13,50 mètres du sol, et dont temps et en heure.  du film de Colmar, qui devait
n’avons engagé aucune procé­ contaminent ainsi leur entourage. peut être contestée, ou déplaire, la mise en place aurait égale­ propos recueillis par se dérouler en octobre, est
dure pénale ou administrative à D’où les sas, les douches… parce que la santé a un coût finan­ ment retardé le chantier ? laurent carpentier également annulé. (– AFP.)
l’encontre des entreprises. Le seul cier, la sécurité aussi, donc nous
procès­verbal concernait, à la mi­ Pourquoi alors est­ce devenu demandons des choses qui ont un
juillet, la conformité d’appareils conflictuel ? coût…
de levage. Et le seul arrêt de chan­ Cet enjeu invisible est lourd pour
tier a été le fait du maître les entreprises. Que ces mesures Ses détracteurs laissent
d’ouvrage – la Préfecture – lors­ puissent déplaire, c’est tout à fait entendre qu’elle ne serait pas
qu’il s’est avéré que le risque compréhensible. Mais imaginez dénuée d’arrière­pensées
plomb avait été mal évalué. ce que la presse écrirait si on avait politiques… Mettant en avant Une collection

LE MONDE DE

Un hommage aux producteurs


de l’âge d’or du cinéma français
La série documentaire de Florence Strauss en huit parties,
MAIGRET Georges Simenon
« Le Temps des nababs », est rassemblée dans un coffret LE LIVRE N°5

DVD Une attention au contraire les satisfaire. S’ils ne


peuvent être qualifiés de
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I l y a encore un demi­siècle, le
cinéma était une affaire de
risque. Comme le casino. On
misait. On gagnait ou on perdait.
Dans cet âge d’or (et d’argent), ces
trop poussée
aux aspects
financiers (même
coauteurs, ils en ont été pour
beaucoup des « accoucheurs ».
Forte de sa proximité avec le
sujet, Florence Strauss a pu avoir
accès à de nombreuses archives
joueurs portaient fièrement le
si c’est une partie et recueillir facilement les témoi­
nom de « producteurs ». Ceux du du sujet) finit gnages des survivants et de leurs
cinéma français étaient installés proches. Mais une attention trop
généralement sur les Champs­
par lasser un peu poussée aux aspects financiers
Elysées, où les salles de cinéma (même si c’est une partie du
s’alignaient de haut en bas et de sujet) finit par lasser un peu. Les
chaque côté de la « plus belle sorte prédestinée à leur rendre cet clés de répartition des coproduc­
avenue du monde ». Ils portaient hommage. « La douce nostalgie tions franco­italiennes du
des pardessus, des feutres à des sensations de mon adoles­ XXe siècle – et Dieu sait s’il y en
ruban, fumaient parfois le cigare cence est liée à la découverte de eut ! – ne sont pas toutes d’un
et déjeunaient au Fouquet’s nombreux classiques du cinéma grand intérêt.
comme à la cantine. français, raconte­t­elle. Souvent, je De la même façon, on regrette
Pierre Braunberger, Anatole pénétrais dans l’obscurité d’une que le découpage chronologique
Dauman, Robert et Raymond salle de quartier un après­midi et thématique n’ait pas été guidé
Hakim, Alexandre Mnouchkine, d’été et m’asseyais sur un strapon­ par un souci didactique. Perce par­
Henry Deutschmeister, Paul tin pour savourer Les Enfants du fois un peu d’agacement face à
Claudon, Jean­Pierre Rassam, paradis ou revoir A bout de souf­ une forme d’entre­soi. On aime­
Alain Poiré, Jacques Perrin, Serge fle. (…) Je notais aussi lors du géné­ rait s’attarder davantage sur un Sous la plume de Georges Simenon,plongez
Silberman, Albina du Boisrouvray, rique le nom d’un producteur dont personnage, son époque et un peu dans l’univers du commissaire Jules Maigret.
Pierre Cottrell, Christian Fechner, mon père – lui­même producteur – moins sur ses talons de chèques.
Mag Bodard ou Claude Berri ont me parlait parfois. C’est toujours Mais ces reproches n’enlèvent Chaque volume est accompagné d’un dossier
été les artisans de l’ombre des plus par le biais de la production que j’ai rien à la nécessité de ce coffret qui complet qui éclaire les thèmes, les personnages
grands succès ou des plus grands découvert l’histoire de la fabrica­ remet en pleine lumière des et le climat du roman.
scandales du cinéma français tion des films, et autant dire qu’elle hommes et des femmes qui préfé­
entre la seconde guerre mondiale n’a souvent rien à voir avec la raient marcher à l’ombre, même
et les années 1970, date à laquelle version des réalisateurs. » sur les Champs­Elysées.  Collection préfacée par John Simenon
la participation massive de la télé­ Souvent juifs, fuyant les persé­ philippe ridet
vision dans le financement des cutions, ces hommes ont su allier
films allait réduire leur rôle en un objectif financier (rentrer Le Temps des nababs www.lemondedemaigret.fr
même temps que leurs risques. dans leurs frais et faire des béné­ (Comment produisait­on avant
Florence Strauss, qui a imaginé fices) avec un coup de cœur artis­ la télévision ?), série
et réalisé ce documentaire en huit tique, voire moral : permettre à documentaire française
parties de 52 minutes chacune, est
elle­même petite­fille et fille de
un réalisateur d’aller au bout
d’une idée, d’un projet, d’une
de Florence Strauss (8 x 52 min),
1 coffret de 3 DVD
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producteur. Elle était en quelque œuvre. Tempérer ses caprices ou Le Pacte/Les Films d’ici.
18 | télévision 0123
VENDREDI 21 AOÛT 2020

« Dirty John », anatomie d’un divorce en zigzag VOTRE


SOIRÉE
TÉLÉ
La deuxième saison de la série souffre de facilités scénaristiques et d’une interprétation paresseuse

NETFLIX s’illustre plus que jamais la folie


À LA DEMANDE Amanda aveugle et narcissique de Betty) VENDREDI  21  AOÛT
SÉRIE Peet incarne ainsi que le jugement au tribunal
Betty. NETFLIX – situation classique mais traitée TF1

L
es deux saisons de Dirty banalement. Par ailleurs, la réali­ 21.05 Good Singers
John sont fondées sur des sation aurait pu éviter la navrante Jeu présenté par Jarry.
affaires criminelles réel­ facilité qu’est la récapitulation 23.30 Vendredi, tout est permis
les, qui ont en leur temps conclusive en courts flash­back. avec Arthur
défrayé la chronique, proposées à Enfin, une autre faiblesse est à Divertissement présenté par Arthur.
l’origine sous forme de podcasts rapporter à l’échec de Dirty John :
par le journaliste du Los Angeles « The Betty Broderick Story » : la France 2
Times Christopher Goffard. La qualité de jeu des deux acteurs 21.05 Le Poids des mensonges
deuxième, créée comme la principaux. Dans Dirty John : Téléfilm de Serge Meynard.
précédente par Alexandra Cun­ « The John Meehan Story », Connie Avec Sara Martins, Thierry Godard
ningham, vient d’arriver sur Net­ Britton et Eric Bana composaient (Fr., 2017, 95 min).
flix, qui en détient les droits hors des personnages crédibles et 22.40 Souviens-toi de nous
des Etats­Unis, où elle a été diffu­ complexes : la façade superficielle Téléfilm de Lorenzo Gabriele.
sée de mai à juillet par la chaîne de la première se fissurait à me­ Avec Aure Atika, Thierry Godard
USA Network. sure que la monstruosité mani­ (Fr., 2018, 95 min).
La saison 1, sous­titrée « The John pulatrice du second s’établissait.
Meehan Story » (2018), relatait l’en­ Dans cette saison 2, ni Christian France 3
trée dans la vie d’une femme (Con­ Slater, au jeu plat et mono­ 21.05 Nice Jazz Festival
nie Britton) d’un escroc sociopa­ chrome, ni Amanda Peet, qui con­ Présenté par André Manoukian
the aux apparences les plus trom­ fond hystérie vociférante et né­ et China Moses.
peusement séduisantes (Eric vrose obsessionnelle, ne parvien­ 23.40 Joe Dassin : le roman
Bana), et l’incapacité dans laquelle nent à apporter au récit de cette de sa vie
s’était trouvée la victime de se dé­ toire, jugulée par la progression Gianni Versace (2018), deuxième tait en marche l’inexorable méca­ funeste séparation la crédibilité Documentaire de Pascal Forneri
tacher de son emprise mortifère. d’un inéluctable et palpitant tour volet d’American Crime Story, de nisme du récit de cette emprise attendue. Une saison 3 sauvera­t­ (Fr., 2014, 115 min).
La saison 2, « The Betty Broderick d’écrou au long de huit épisodes Ryan Murphy, une anthologie cri­ toxique opérée par un pervers elle la mise ? Elle n’est à cette
Story », raconte la dislocation d’un qui se regardaient d’un trait. La minelle fondée elle aussi sur des narcissique. La saison 2 donne en heure pas confirmée.  Canal+
autre couple dont le mari (Chris­ deuxième saison propose en re­ faits réels au retentissement plus revanche l’impression que l’his­ renaud machart 20.45 Rugby
tian Slater) quitte sa femme vanche une narration en zigzag large encore. Mais, de ce lieu com­ toire est cette fois délayée et gre­ Lyon-Racing 92, match amical
(Amanda Peet) pour une jeune temporels, qui a pour caractéristi­ mun, Dirty John fait un cliché. vée de « remplissages » inutiles. Dirty John, saison 2 : « The Betty en direct.
secrétaire (Rachel Keller) et amène que de révéler dès le premier épi­ On se serait bien passé de l’in­ Broderick Story », série créée par 22.50 Killerman
l’épouse humiliée à se laisser sub­ sode le dénouement de l’histoire. « Remplissages » inutiles terminable expertise psychiatri­ Alexandra Cunningham. Avec Film de Malik Bader. Avec Liam
merger par des troubles obses­ Le procédé est un lieu commun Si les premiers épisodes de la sai­ que qui encombre l’épisode 4, des Amanda Peet, Christian Slater, Hemsworth, Emory Cohen
sionnels graves. narratif, au cinéma comme dans le son 1 pouvaient paraître léni­ scènes parallèles lassantes, d’une Rachel Keller, Lily Donoghue, (EU, 2019, 110 min).
La première saison suivait le domaine de la série, avec comme fiants, leur nécessité dramatique grande partie du dernier épisode Missi Pyle, Emily Bergl, Holley
cours chronologique de son his­ exemple récent L’Assassinat de prenait son sens alors que se met­ qui retrace le temps du procès (où Fain (EU, 2020, 8 × 41­47 min). France 5
20.50 Les Routes
de l’impossible
Madagascar, Sibérie, Congo :
les trajets de l’enfer. Magazine.

Les tourments de Mary Shelley, créatrice de Frankenstein 21.40 Les Routes de l’impossible
Ghana, business sur la piste.
Magazine.
L’autrice fait l’objet d’un passionnant documentaire nous plongeant au cœur de l’élite anglaise à l’aube du XIXe siècle Arte
20.55 Le Procès de l’innocence
Téléfilm de Hans Steinbichler.
HISTOIRE TV la première fois en France ce soir. Chambre des lords (travailliste). sert de référence aux progressistes égards. La « créature » sera l’incar­ Avec Peter Haber, Katharina Lorenz
VENDREDI 21 – 20 H 40 Cela valait la peine d’attendre. Une sommité habituée des pla­ anglais ; sa mère, Mary Wollstone­ nation de ces tourments. « Je suis (All., 2017, 90 min).
DOCUMENTAIRE Passionnant, mêlant lectures en teaux de télévision (à tel point craft, autre intellectuelle et pion­ l’ange déchu. Les tourments ont 22.25 Coldplay : A Head Full
anglais (sous­titrées) du livre écrit qu’il est à peine présenté dans le nière du féminisme. fait de moi un être abject. » of Dreams

U ne petite fille impres­


sionnée par les histoires
de son père sur les « chocs
électriques » capables de « redon­
ner vie » ; une intelligence pré­
par Mary Shelley (1797­1851),
en 1818, documents d’archives et
reconstitutions historiques, le
film permet de côtoyer l’élite
d’alors – intellectuels, scientifi­
documentaire), tout aussi curieux
que le spectateur de comprendre
comment cette « créature »
– Mary Shelley ne parle jamais de
« monstre » – a pu germer dans
Le défi de Lord Byron
Force, indépendance, amour li­
bre… Des principes de vie que
Mary Shelley mettra en pratique
Le succès sera planétaire. Parmi
les quelque 80 films tirés du Fran­
kenstein de Mary Shelley, le plus
fidèle serait la version frénétique
de Kenneth Branagh tournée
Documentaire de Mat Whitecross
(RU, 2018, 100 min).

M6
21.05 Bull
coce ; une Europe à la charnière du ques et philosophes – et de suivre l’esprit d’une jeune fille de 19 ans. toute sa vie au côté de son futur en 1993­1994. A voir pour prolon­ Série. Avec Michael Weatherly,
XIXe siècle, éprise de révolution, le cheminement torturé de leurs Une des clés se trouve dans le époux, Percy Bysshe Shelley, de ger le plaisir.  Freddy Rodriguez
de liberté et de découvertes scien­ réflexions, de leurs perversions. cadre familial, prestigieux mais ses enfants, de son ami Lord catherine pacary (EU, 2019).
tifiques. Tel est le substrat de Mary Dans le rôle du guide, Robert peu connu du public français : son Byron, à l’origine du défi qui va 22.50 Bull
Shelley, le génie derrière Franken­ Winston, scientifique, généticien père, William Godwin, philosophe pousser Mary à écrire. La jeune Mary Shelley, le génie derrière Série. Avec Michael Weatherly,
stein, un documentaire noir réa­ spécialisé dans la fécondation in dont l’Enquête sur la justice politi­ femme a déjà connu une exis­ Frankenstein, documentaire de Freddy Rodriguez
lisé il y a dix­sept ans, diffusé pour vitro, professeur siégeant à la que (1793, traduit en 2005, ACL) tence cauchemardesque à maints Marie Downes (RU, 2003, 60 min). (EU, 2017).

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eurtrie pendant la se­ Rouen Normandie Tourisme
conde guerre mondiale, & Congrès.
Rouen a néanmoins
réussi à préserver son pa­ Y ALL ER
trimoine historique exceptionnel, de Depuis Paris, plusieurs trains
la flèche de son incomparable cathé­ par jour au départ de Paris­
drale, immortalisée de multiples fois Saint­Lazare (1 heure 20), de­
par Claude Monet, à ses deux mille mai­ puis Lyon, train direct en
sons à pans de bois toujours debout, 3 heures 50. Par la route
elle est classée parmi les plus belles vil­ (135 kilomètres), compter
les et pays d’art et d’histoire. Une his­ 2 heures au départ de Paris
toire que l’on pourra poursuivre jusqu’à par l’autoroute A13.
l’abbaye de Jumièges, à une demi­heure
de la « ville aux cent clochers ». SE LO GE R
Le Vieux Carré Charmant
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11 heures Compter les moutons des principaux sites touristi­
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cathédrale pour l’animation de la rue ville. Cent vingt­cinq cham­
piétonne du Gros­Horloge (2). Non, ce normande se conjugue à tous les temps bres, à partir de 135 euros la
n’est pas une faute : si le Gros­Horloge nuit pour deux personnes en
est masculin, c’est simplement parce chambre standard.
que le mot « horloge » était de ce genre All.accor.com et
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qu’au XVIe siècle.
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Musée
ville depuis le XIIIe siècle, rappelant des beaux-arts menus à emporter à 25 euros.
l’importance de la laine dans la région. Panorama XXL Le jeune chef Olivier da Silva
4
4
Pour jouer, mais sans vous endormir, 77 fait surtout une cuisine du
essayez de compter la cinquantaine marché. Lodas.fr et
de moutons dissimulés dans ce 3 ROU EN tél. : 02­35­73­83­24.
rc

Vieux
d’A

chef­d’œuvre Renaissance qui enjambe Place Le Café Victor Avec son célè­
Se du Vieux Centre
in
ne

une rue aux gros pavés. e Marché bre canard à la presse, mais
2
an

Historial aussi une très bonne cuisine


Je

11 h 45 Jeanne au bûcher Gros- Jeanne d’Arc normande et des plateaux de


e

Horloge
Ru

En continuant d’arpenter la rue du 1 6


6 fruits de mer. Hotel­dieppe.fr/
Gros­Horloge, on arrive sur la place Cathédrale victor­cafe­brasserie/ et
du Vieux­Marché (3). C’est l’ancien 55 tél. : 02­35­71­96­00.
« ventre » de Rouen, où se tenait le mar­ Aître Saint-Maclou Le Ströke Très belle terrasse
ché jusqu’à la fin des années 1970. ROU E N sur les quais de Seine, idéale
C’est ici aussi que Jeanne d’Arc fut brû­ pour bruncher. Ouvert dès
lée, le 30 mai 1431, à l’emplacement 9 heures du matin.
aujourd’hui marqué d’une grande Strokerestaurant.fr et
croix. A proximité se trouvent les tél. : 06­31­76­69­34.
vestiges de l’église Saint­Sauveur, où L’Auberge des ruines
fut baptisé Corneille, mais l’œil est sur­ I le A Jumièges. Auberge­des­rui­
tout attiré par une immense église 200 m Lacroix nes.fr et tél. : 02­35­37­24­05.
contemporaine, Sainte­Jeanne­d’Arc, la
bien nommée.
Il faut y entrer, pour découvrir son toit
qui épouse la forme d’une coque de na­ 600 tableaux et dessins, dont 55 Sisley, 17 h 30 En version XXL belle abbaye Saint­Pierre de Jumièges cultive l’art d’accommoder et de subli­
vire renversée, et la nef qui accueille 20 Monet, mais aussi des chefs­d’œuvre Depuis quelques années, les quais de (8), située au cœur du parc naturel des mer les plantes sauvages. Sûrement
treize magnifiques verrières Renais­ de Renoir, Toulouse­Lautrec et Pissarro. Seine ont opéré un lifting « branché », boucles de la Seine normande. La visite l’héritage de ces années où il travaillait
sance – elles proviennent de l’ancienne En 1909, il voulut faire une donation de devenant un des lieux préférés des peut commencer par une belle pro­ avec le chef Marc Veyrat, apôtre des
église Saint­Vincent et sont l’œuvre des 250 tableaux à la ville. Mais, alors en Rouennais pour boire un verre ou menade dans le parc paysager à l’an­ plantes. Trois fois par semaine, il ar­
plus grands maîtres verriers du procédure de divorce, sa future ex­ dîner (essayez le Stroke, avec une vue glaise de 15 hectares puis s’attarder sur pente ainsi les prairies alentour, y com­
XVIe siècle. Pour continuer de baigner épouse, s’estimant spoliée, obtint que à tomber). Sur la rive droite, un im­ les magnifiques vestiges de l’abbaye. pris celles de l’abbaye, pour y trouver de
dans l’histoire, on déjeune gastrono­ la collection soit vendue aux enchères. mense cylindre bleu de près de 25 mè­ Cet important centre monastique du la ciboulette sauvage, des cardamines
mique, dans la plus vieille auberge de François Depeaux ne put en racheter tres de haut intrigue. On pousse la Moyen Age est devenu au fil des ans des prés, des violettes ou du pissenlit
France (1345), La Couronne, pour un qu’une cinquantaine qu’il offrit porte pour découvrir un lieu unique en un vestige très prisé des artistes ro­ sauvage. L’office du tourisme de Rouen
repas à la française – vous êtes plutôt comme prévu au musée. France : le Panorama XXL (7). En se te­ mantiques au XIXe siècle, et il est diffi­ propose d’ailleurs de le suivre lors
canard à la rouennaise ou croquants de nant au centre du cylindre, on décou­ cile de rester insensible devant ce qui d’une cueillette dans le domaine.
pieds­de­mouton ? 15 h 30 Aître à part vre autour de nous sur 360 degrés un est sûrement l’une des plus belles rui­ Du végétal à l’assiette…
A priori, la perspective d’aller visiter un tableau géant et sonorisé. L’effet est lit­ nes de France, avec ses deux tours de
14 heures Le magnat au musée ancien cimetière­charnier ne fait pas téralement bluffant, d’autant plus qu’il façade carrées, hautes de 46 mètres, qui 14 h 30 La route des fruits à vélo
Direction le Musée des beaux­arts de rêver, mais il faut pourtant aller voir est possible d’admirer l’œuvre du haut encadrent un porche élancé donnant Pour continuer de découvrir la cam­
Rouen (4), l’un des premiers musées de l’aître Saint­Maclou (5), qui a rouvert d’une tour de 15 mètres. Cet été, place à sur la nef à ciel ouvert de l’abbatiale. pagne rouennaise, on enfourche un
France par la richesse de ses collections, ses portes le 18 juillet. Un ossuaire qui l’artiste allemand d’origine iranienne A faire : louer une tablette à l’accueil vélo pour une (courte) randonnée sur la
qui couvrent toutes les époques du XVIe remonte à une épidémie de peste noire, Yadegar Asisi, dont l’œuvre rend hom­ pour, grâce à la réalité virtuelle, décou­ route des fruits, qui sillonne les dif­
au XXe siècle : du Caravage à Rubens, de au XIVe siècle, et dont l’architecture est mage à la « cathédrale de Monet » dans vrir l’édifice et ses silhouettes, au gré férents vergers des environs de Jumiè­
Velazquez à Modigliani. Mais, surtout, remarquable, tout comme le décor le cadre du festival Normandie impres­ des destructions, des guerres et des ges. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir
la plus importante collection impres­ macabre qui court tout au long de la sionniste. différentes époques. A noter que l’on les particuliers devant leur maison
sionniste hors de Paris. toiture et des colombages. Puis on peut pique­niquer dans le parc, si l’on vendre le produit de leur cueillette se­
L’événement de cet été sera l’ouver­ poursuit la plongée historique jusqu’à Jour 2 est suffisamment éloigné du site. lon le principe de la vente à la barrière.
ture, à partir du 11 juillet, de l’exposition l’Historial Jeanne d’Arc (6), installé dans 9 heures Les vestiges du jour Le kilo de cerises napoléon à 5 euros
consacrée à la collection de François le magnifique palais de l’Archevêché, Après une journée urbaine, il ne faut 12 h 30 Déjeuner à Jumièges vaut bien l’effort produit à vélo, électri­
Depeaux, un magnat du charbon, mort pour découvrir les secrets du procès en pas hésiter à « sortir » de Rouen pour Christophe Mauduit, le chef normand que, tout de même ! 
en 1920, qui avait accumulé près de réhabilitation de l’héroïne. découvrir, à une demi­heure, la très de l’Auberge des ruines, à Jumièges, françois bostnavaron
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L’été en séries 0123
VENDREDI 21 AOÛT 2020

Les gardiens
du paradis
fiscal ÉTAT DE NEW YORK

PENNSYLVANIE

ÉTATS-UNIS
New York
NEW
DU PONT DE NEMOURS, UNE JERSEY

SAGA FRANCO­AMÉRICAINE 4 | 6 Wilmington
Wilmington
MARYLAND

Le clan du Pont a contribué, Washington


DELAWARE

au fil des siècles, à transformer VIRGINIE OCÉAN


le Delaware, son fief du nord-est des ATLANTIQUE

Etats-Unis, en royaume du capitalisme CAROLINE


familial. Avec la bénédiction DU NORD
100 km
de l’Etat fédéral, à Washington Rehoboth Beach (Delaware), photo du projet « The Heavens » sur les paradis fiscaux (2012­2015). G. GALIMBERTI & P. WOODS

C’
est l’une des pièces les C’est au sujet de l’esclavage que l’influence Au tournant du XIXe siècle, plusieurs fa­ que sénateur. Contrairement à M. Kowalko,
plus précieuses du Hagley du protestantisme sera la plus nette. Dès milles d’esclavagistes, fuyant les révoltes qui « il s’est toujours montré très prudent
Museum – un talisman 1767, Pierre Samuel s’attache à en démontrer ébranlent l’île française de Saint­Domingue, vis­à­vis de DuPont : il ne l’a jamais attaqué
que la fondation familiale l’inutilité économique. Selon lui, un esclave trouvent refuge dans le Delaware. « Lorsqu’il frontalement, de même qu’il ne s’est jamais
n’exhume que pour quel­ ne travaillera jamais aussi bien qu’un indi­ faudra recruter des employés pour sa fabrique élevé contre le grand capital », relève le jour­
ques privilégiés. Le mu­ vidu stimulé par une rémunération ; c’est un de poudre à canon, Eleuthère Irénée puisera naliste Gerard Colby. Et pour cause : de 1972 à
sée qui gère les archives du clan du Pont, dans système non seulement inhumain, mais dans ce vivier de compatriotes, poursuit 1996, Joe Biden a vécu dans deux luxueuses
le Delaware, dans le nord­est des Etats­Unis, inefficace. Du reste, la propriété – le premier Gerard Colby. De là vient, en partie, la culture demeures habitées, avant lui, par des géné­
dispose parmi ses collections d’un étrange ta­ des droits de l’homme selon Pierre Samuel – du secret et de l’entre­soi qui distinguera sa rations de du Pont. Visiter les centaines de
bleau : il montre le patriarche de la dynastie, ne commence­t­elle pas par celle de son pro­ firme du reste des entreprises américaines. » châteaux érigés par le clan fut même, à une
Pierre Samuel du Pont de Nemours (1739­ pre corps ? A la traite, il faut substituer le libre A l’image de Pierre Samuel, mort en 1817, la époque, son principal hobby. « Mon samedi
1817), initiant ses enfants à un rite ésotérique. commerce entre la métropole et ses colo­ dynastie fait montre d’une grande ambiva­ idéal consistait à sauter dans ma Corvette (…)
La scène se passe le 7 septembre 1784, à Pa­ nies, prône­t­il, à rebours de l’opinion domi­ L’AMBIGUÏTÉ  lence sur la question noire. Lors de la guerre et à explorer les alentours de Wilmington, à la
ris. L’économiste français vient d’enterrer sa nante. « Comme du Pont, beaucoup de pion­ de Sécession (1861­1865), elle tergiverse avant recherche de maisons à vendre », confesse
première épouse. En signe de deuil, il fait prê­ niers de la lutte contre l’esclavage, en Angle­ DES DU PONT  de fournir sa poudre au camp abolitionniste, Joe Biden dans son autobiographie parue
ter serment à son fils cadet, Eleuthère Irénée, terre puis en France, sont protestants, souli­ mené par Abraham Lincoln. De même, les en 2007, deux ans avant qu’il ne devienne le
sous les yeux de l’aîné, Victor Marie : « Je l’at­ gne l’historien Marcel Dorigny, spécialiste du SUR LA QUESTION  émissions produites par du Pont pour la ra­ vice­président de Barack Obama.
tends dans un fauteuil, le chapeau sur la tête, sujet. Les huguenots y sont d’autant plus sen­ dio et la télévision, entre 1935 et 1961, ne met­
l’épée au côté, le cordon sur l’habit, un coussin sibles qu’ils ont fait l’expérience de la minorité
NOIRE  tront que très rarement en valeur des figures « THE COMPANY STATE »
à mes pieds, le buste de sa mère à ma gauche, et de la discrimination. » EST « RACCORD »  afro­américaines. Une ambiguïté « raccord » Surnommé « The First State », parce qu’il fut
l’épée et le chapeau du jeune homme à la Ces principes, Pierre Samuel les écorne avec celle du fief des du Pont, le Delaware : le premier Etat à ratifier la Constitution,
droite sur un siège… », décrira Pierre Samuel sitôt qu’il met le pied en Amérique. Le AVEC CELLE  « C’est un Etat intermédiaire, le plus “sudiste” en 1787, le Delaware dispose d’un autre sobri­
dans sa riche correspondance. Les deux frè­ 21 juin 1800, il offre à sa famille deux escla­ des Etats du Nord », soutient l’historien Pap quet, un brin persifleur : « The Company
res se saluent avec leur épée. Après quoi ré­ ves, assignées à des tâches domestiques : DE LEUR FIEF,  Ndiaye, auteur d’un livre sur la firme fa­ State » – soit « l’Etat­entreprise ». Cette appel­
sonne l’oracle paternel : « Que le Ciel bénisse « Une nègre appelée Jeen et une enfant appe­ « LE PLUS “SUDISTE”  miliale, Du Nylon et des bombes (2001, Belin). lation, il la doit en premier lieu à sa juridic­
vos travaux et votre postérité ! Puisse chaque lée Lydia », stipule le contrat. « Il semble qu’el­ Le Delaware est ainsi l’un des derniers Etats à tion commerciale établie en 1792. Ici, les so­
génération de vos descendants s’appliquer les soient restées jusqu’à leur mort au service DES ÉTATS DU NORD »,  ratifier, en 1901, les trois amendements ciétés sont soumises aux arbitrages, non pas
sans cesse à rendre meilleure qu’elle­même des du Pont, précise le journaliste américain consacrant l’abolition de l’esclavage ; ce sera de jurys populaires comme dans la plupart
celle qui devra lui succéder… » L’augure ne tar­ Gerard Colby, auteur d’un ouvrage sur la dy­ SELON L’HISTORIEN  le dernier à bannir, en 1972, la pratique con­ des Etats, mais de juges spécialisés. De dossier
dera pas à se vérifier. En 1802, Eleuthère Iré­ nastie, Behind the Nylon Curtain, paru en 1974 PAP NDIAYE sistant à fouetter en public un condamné en dossier, ces derniers ont acquis la réputa­
née fonde près de la ville de Wilmington, (réédité en 2014 chez Forbidden Bookshelf, – un châtiment majoritairement infligé, tion d’être plus sensibles que les citoyens
dans le Delaware, une fabrique de poudre à non traduit). Pierre Samuel a­t­il suivi l’exem­ dans les faits, aux Afro­Américains. lambda aux intérêts des entrepreneurs.
canon. La firme – orthographiée DuPont, ple de son ami Jefferson qui, en dépit de posi­ Avec le temps, la législation a été rendue
sans espace – sera bientôt le principal four­ tions courageuses, possédait des centaines UNE FISCALITÉ FAVORABLE À LA FIRME plus attractive encore pour les sociétés. Qui
nisseur de l’armée américaine. d’esclaves ? C’est probable. Le rôle des immi­ En 1919, de graves émeutes raciales éclatent à retrouve­t­on derrière ces appels du pied ?
Il faut dire que, pour placer l’entreprise sous grés français, tout juste débarqués des An­ Wilmington, la ville la plus peuplée du De­ Les du Pont, bien sûr. En 1897, sous l’impul­
les meilleurs auspices, Pierre Samuel a solli­ tilles, ne doit pas non plus être négligé. » laware. Rebelote en 1968, où les troubles sus­ sion du politicien Henry Algernon du Pont
cité l’aide de ses amis, de part et d’autre de citent l’adoption d’un dispositif exception­ (1838­1926), le Delaware se dote d’une nou­
l’Atlantique. La plupart sont francs­maçons – nel : soutenu par le PDG de DuPont, le gou­ velle constitution : « Elle simplifie la création
à commencer par le président des Etats­Unis verneur démocrate fait occuper la ville par d’entreprises et de holdings », détaille Gerard
de l’époque, Thomas Jefferson. Pierre Samuel l’armée. Elle ne s’en ira que dix mois plus Colby. En 1913, le manageur Francis Irénée du
a­t­il, comme eux, fait partie d’une loge ? tard, à la suite de l’élection de son successeur Pont (1873­1942) publie un influent traité de
« C’est possible… Nous ne disposons d’aucune républicain, un ancien employé de… DuPont. fiscalité : « Son idée­phare consiste à ramener
preuve, seulement d’un faisceau d’indices, C’est que, en l’espace de quelques décen­ l’imposition des sociétés à un taux unique »,
tempère Alain Queruel, auteur du livre Les du nies, le petit Etat est passé sous l’emprise de poursuit M. Colby. En 1981, Pierre Samuel du
Pont de Nemours (Editions de la Bisquine, son entreprise reine. Grâce aux profits accu­ Pont IV, alors gouverneur républicain de
2019), ainsi que de plusieurs ouvrages sur la mulés pendant la première guerre mondiale, l’Etat, fait passer une farandole de réformes :
franc­maçonnerie. En revanche, l’apparte­ DuPont s’est transformée en mastodonte de « Elles facilitent l’émission de cartes de crédit
nance de son fils Victor Marie est avérée. » la chimie, durant la première moitié du depuis le Delaware, entre autres cadeaux fis­
XXe siècle. Devenue le principal employeur caux distribués aux entreprises – notamment
INFLUENCES HUGUENOTES du Delaware, la firme familiale en a investi aux banques », surenchérit le journaliste.
Pour nombre de huguenots, ainsi qu’on les leviers d’influence, plaçant ses hommes Le résultat est édifiant : en 2018, il y avait
appelle les protestants en France, les loges au cœur de l’administration locale, et ses plus de firmes enregistrées dans le Delaware
servent de refuge, au XVIIIe siècle ; ils peu­ fonds au capital de plusieurs banques et jour­ (1,3 million) que d’habitants (980 000). Cette
vent s’y retrouver entre fidèles, à l’abri du naux régionaux. Au point que les destins étroite bande de terre, 5 000 km2 à peine, hé­
secret. Pierre Samuel est issu de cette dis­ respectifs de l’Etat et de la compagnie sont berge 67 % des 500 entreprises américaines
crète communauté religieuse, encore mar­ difficiles, aujourd’hui, à démêler : « Le De­ les plus prospères. « Nous avons constitué
quée par les persécutions dont elle a été la laware a façonné DuPont, autant que DuPont une société en moins de trente minutes, sans
cible. Si l’incidence de la franc­maçonnerie a façonné le Delaware, résume le politicien montrer de documents d’identité. La plupart
sur son parcours reste à démontrer, ses démocrate John Kowalko, qui siège à la des bureaux d’inscription sont ouverts jus­
origines huguenotes, elles, le nourriront Chambre des représentants locale depuis qu’à 22 h 30, certains jusqu’à minuit. » Ainsi
sans équivoque. « Avec le temps, du Pont s’est 2006. Ici, il y a toujours eu un consensus bi­ parle Paolo Woods. Entre 2012 et 2015, avec
forgé une religion personnelle, fondée sur la partisan sur la nécessité d’une fiscalité et son compère Gabriele Galimberti, ce photo­
transmigration des âmes, développe l’his­ d’une juridiction favorables aux entreprises graphe italien a écumé les paradis fiscaux,
torien Martin Giraudeau. La réincarnation – et à DuPont en premier lieu. Dans ma lutte du Panama aux îles Caïmans, dans le cadre
en un être supérieur, le chien par exemple, contre les effets néfastes des multinationales du projet « The Heavens ». Leur ambition ?
entérine la réussite des individus. Cette sur notre économie, je suis très isolé. » Donner à voir les havres les plus opaques de
croyance n’est pas très éloignée de ce qu’écrira Le candidat démocrate à la prochaine pré­ la haute finance. « Le Delaware offre les mê­
le sociologue Max Weber, en 1904, sur l’éthi­ sidentielle, Joe Biden, a représenté le De­ mes garanties que tout paradis fiscal digne de
que protestante et l’esprit du capitalisme. » Pierre Samuel du Pont de Nemours (1739­1817). SELVA/LEEMAGE laware à Washington, de 1973 à 2009, en tant ce nom : l’absence de paperasse, la discrétion,
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VENDREDI 21 AOÛT 2020

L’été en séries | 21

Joe Biden en 1974. Sénateur du Delaware de 1973 à 2009, il a habité d’anciennes demeures des du Pont. BETTMANN ARCHIVE

Portrait de Lammot du Pont Copeland, par Salvador Dali. Huile sur toile,
1965. COLLECTION PRIVÉE MUSÉE GALA DALI/ADAGP

ayant travaillé sur le dossier. Pendant long­ son hôtel, sa salle de théâtre, son siège so­
temps, les sociétés victimes d’espionnage in­ cial… Ne reste qu’une population très pauvre,
dustriel ont rechigné à faire appel à nous, car essentiellement afro­américaine, ravagée
elles craignaient de partager des documents par la drogue et la prostitution. »
sensibles et d’apparaître vulnérables. DuPont En 2015, en pleine restructuration, l’entre­
est l’une des premières à avoir collaboré avec le prise obtient une ristourne fiscale contre la
FBI, dans la plus grande transparence, pour promesse de maintenir ses activités dans le
sauver son savoir­faire et ses emplois ; bien Delaware. Elle en profite pour transférer son
d’autres, depuis, l’ont imitée. » siège loin du centre­ville paupérisé de Wil­
Echaudée par ces antécédents, DuPont sera mington, tout près des mille et un châteaux
aux premières loges lorsqu’il s’agira de ren­ du clan. Si la famille du Pont continue de sié­
forcer la protection de ses innovations. « Au ger au conseil d’administration, elle n’est
sein des groupes d’influence de la filière chimi­ plus majoritaire, depuis les années 1970, au
que, ses lobbyistes ont inspiré la rédaction, capital de l’entreprise. Sa préoccupation ma­
en 2016, d’une loi fédérale, le Defend Trade Se­ jeure ? Ne pas dilapider son patrimoine – le
Le groupe américain Devo (en 1977) et ses tenues de chantier, la plupart en fibre DuPont. EBET ROBERTS DALLE APRF crets Act, et de son pendant européen, la direc­ clan reste, avec 12,7 milliards d’euros parta­
tive du secret des affaires, témoigne Martin gés entre 3 500 membres, la quinzième fa­
Pigeon, qui enquête, au sein de l’association mille la plus riche des Etats­Unis. En 2000,
Corporate Europe Observatory, sur le rôle des la moitié d’entre eux se sont retrouvés chez
la certitude de ne pas être taxé sur les gains Deux ans plus tôt, en 1989, c’est le FBI qui vo­ lobbys. Ces textes facilitent l’ouverture de l’actuel patriarche, Irénée du Pont Jr, pour cé­
réalisés en dehors des frontières de l’Etat…, lait au secours de DuPont, menacée d’extor­ poursuites contre les employés ayant trahi les lébrer le bicentenaire de leur arrivée aux
énumère Paolo Woods. Cela en toute légalité sion par cinq anciens employés latino­améri­ secrets de leurs employeurs – sans que ces “se­ Etats­Unis : « On nous fantasme comme une
et pour un montant dérisoire. » cains. Dans une usine argentine de la firme, le crets”, au demeurant, soient clairement défi­ aristocratie, mais nous sommes juste les fils
Il n’y a pas qu’avec le Delaware que les commando dérobe des documents détaillant nis. » « Rien n’est aussi fanatiquement dé­ de gens qui ont réussi en bossant dur, décla­
du Pont ont fait coïncider leurs intérêts : un le procédé de confection du Lycra, l’une des fendu par la bureaucratie » que le secret, car il rait­il à cette occasion au Washington Post.
pacte informel les lie, de même, à l’Etat fédé­ fibres emblématiques de DuPont. Les com­ est source de pouvoir, écrit le sociologue Max Une bande de types ordinaires, en somme. »
ral. Certes, le clan a parfois défié la Maison ploteurs réclament dix millions de dollars, Weber en 1914. Un siècle plus tard, l’Améri­
Blanche, notamment durant l’entre­deux­ sans quoi les informations seront transmises cain Gerald Casale, leader du groupe de musi­ « DÉSENVOÛTER » L’HÉRITIER ANTISYSTÈME
guerres. Mais l’élaboration de la bombe ato­ à un industriel du textile italien. L’intrigue que new wave Devo, tient un discours simi­ Ordinaires ? Pour le Philadelphia Inquirer,
mique rétablit la confiance, à partir de 1942 : s’arrête sur un parking de Genève, en Suisse, laire : « Le capitalisme est une religion occulte. le journaliste Bill Ordine a couvert plusieurs
DuPont participe loyalement au projet Man­ où des agents du FBI les appréhendent, après Comme toutes les religions, sa hiérarchie s’ap­ faits divers impliquant des héritiers du Pont.
hattan, sans exiger la moindre rétribution. leur avoir fait miroiter un pactole. puie sur des rituels : poignée de main secrète, « A chaque fois, dit­il, la famille se déchirait
Cette collaboration incite la firme à abandon­ Au tournant du millénaire, l’entrepreneur signe discret de reconnaissance… » Dans son sur des questions d’argent, de manière très
ner ses méthodes les plus archaïques. Jusque Walter Liew s’attaque avec plus de sang­froid tout premier vidéoclip, en 1976, Devo inter­ spectaculaire. » Ainsi de Lewis du Pont
dans les années 1930, DuPont n’usait­elle pas aux techniques de fabrication du dioxyde de prétait la chanson Secret Agent Man, confes­ Smith. Dans les années 1980, le jeune
d’indicateurs privés pour espionner, à l’occa­ titane, dont DuPont est passée maître. Sur­  « DEPUIS QU’ELLE  sion ambiguë d’un limier du FBI. homme verse des centaines de milliers de
sion, ses ouvriers ou ses concurrents ? Mieux nommée « l’ultrablanc », pour son intensité Les rockeurs portaient déjà les tenues de dollars à un mouvement politique margi­
vaut, se ravisent les manageurs, se tourner exceptionnelle, cette substance colore quan­ A INVESTI DANS  chantier qui firent leur réputation scénique nal, mené par le bateleur antisystème
vers Washington : ses législateurs et ses tité de produits : biscuits, cosmétiques, équi­ dans les années 1980. Leur matériau de pré­ Lyndon LaRouche. En 1992, inquiet de voir
agents du renseignement serviront plus sû­ pement électroménager… Pour le groupe chi­ LA CHIMIE ET  dilection ? Le Tyvek, une fibre mise au point partir en fumée la fortune familiale, son
rement la cause familiale. mique, l’or blanc est une manne à dollars, qui par… DuPont. « Cette firme s’est infiltrée dans père rassemble une équipe hétéroclite, cons­
attise les convoitises depuis les années 1940.
L’AUTOMOBILE,  mon cerveau dès la naissance, se souvient tituée de gros bras et d’un « dépro­
D’EFFICACES LOBBYISTES Celles de Walter Liew, en particulier. Né en IL Y A UN SIÈCLE,  Gerald Casale. Après­guerre, DuPont était sy­ grammeur », chargé de ramener le fils à la
Pour rallier la capitale fédérale à ses vues, la Malaisie, fils de paysans chinois, cet excellent nonyme de modernité, leurs produits m’ont raison. Leur plan : kidnapper l’héritier, puis
firme emploie les services de juristes pres­ élève s’arrache à la misère par les études. Emi­ DUPONT  toujours habillé et inspiré. C’est la forme la lui laver le cerveau au cours d’un voyage en
tigieux. Le plus efficace de ces lobbyistes, gré aux Etats­Unis, il décroche un diplôme plus aboutie du capitalisme. Hélas, ce système yacht, autour du pôle Nord. Las, l’un des
Clark Clifford (1906­1998), est resté célèbre scientifique, puis la nationalité américaine. S’EST TOUJOURS  dévore aujourd’hui la démocratie. » membres du commando, pris de remords,
pour son passage au secrétariat à la défense, COMPORTÉE  finira par prévenir le FBI, qui tuera dans
en pleine guerre du Vietnam. Au début des LE VOL DE « L’ULTRABLANC » WILMINGTON, « VILLE FANTÔME » l’œuf l’opération.
années 1960, cet avocat déploie des trésors Là, il ouvre une société de conseil. C’est sous COMME UN FONDS  Si DuPont s’est longtemps illustrée par son Que penserait Pierre Samuel de cette en­
d’urbanité pour assurer aux du Pont plus de cette casquette que Walter Liew approche plu­ appétit, l’entreprise suit aujourd’hui un ré­ treprise de désenvoûtement ? Qu’à défaut
2 milliards de dollars de déductions fiscales. sieurs ingénieurs de DuPont, de 1997 à 2011 : SPÉCULATIF » gime draconien, commencé au début des d’être devenus « meilleurs » de génération en
L’allégement porte sur la vente des parts que « Certains étaient à la retraite, d’autres traver­ JOSEPH DISTEFANO, années 1990. « Depuis qu’elle a investi dans la génération, comme l’espérait l’économiste
détenait DuPont au capital du constructeur saient des drames familiaux : tous avaient journaliste au chimie et l’automobile, il y a un siècle, DuPont français, les du Pont ont été vernis par le dieu
automobile General Motors, exigée en 1957 accumulé du ressentiment contre DuPont, « Philadelphia Inquirer » s’est toujours comportée comme un fonds Argent. Et que cette bénédiction se révèle, à
par la Cour suprême, au nom de la loi anti­ explique le journaliste américain Del Quentin spéculatif, analyse Joseph DiStefano, journa­ bien des égards, une malédiction. En 1965,
trust. Par la suite, plusieurs enquêtes journa­ Wilber, qui a suivi l’affaire pour l’agence de liste au quotidien régional The Philadelphia Salvador Dali exécute le portrait de Lammot
listiques donnent la mesure de l’imbrication presse Bloomberg. Liew les a couverts d’atten­ Inquirer. En quête de croissance, elle s’est du Pont Copeland (1905­1983), le dernier
des relations entre la famille, la firme et l’Etat tions : cadeaux de Noël, virements bancaires… aventurée dans l’industrie pharmaceutique, du Pont à avoir dirigé l’entreprise familiale.
fédéral. En 1984, la presse révèle que la CIA a Mis en confiance, les ingénieurs lui ont livré de le pétrole… Puis, au tournant du millénaire, Sur la toile, point de regard bienveillant,
fourni des avions aux rebelles nicara­ précieuses informations, qu’il a transmises à DuPont s’est débarrassé de ces activités, ainsi comme celui que posait autrefois Pierre Sa­
guayens ; ils sortaient des hangars de Sum­ des firmes chinoises. » Jusqu’à ce qu’une lettre que de ses divisions les moins rentables : muel sur sa progéniture. C’est une tout autre
mit Aviation, la société de maintenance de anonyme alerte DuPont en août 2010. L’entre­ textile, peintures… Ce faisant, elle obéit à une cérémonie, baignée de lumière et d’occul­
Richard Chichester du Pont Jr (1937­1986). prise se tourne alors vers le FBI, qui file M. logique financière des plus banales. » Avec tisme, que peint l’artiste surréaliste : cerné
En 1991, l’Agence internationale de l’énergie Liew puis l’arrête dix mois plus tard. « Nous quelles conséquences ? Paolo Woods a été par un paysage désertique, le patron jette un
atomique trouve des matériaux conçus par avons découvert qu’il répondait, en fin de frappé par les inégalités qui déchirent le De­ coup d’œil oblique, sous le ciel menaçant. 
DuPont dans les installations nucléaires ira­ compte, à des directives étatiques : dès le début laware – un petit coin d’enfer au cœur du pa­ aureliano tonet
kiennes – avant d’être l’ennemi numéro un, des années 1990, la Chine avait fait de l’obten­ radis fiscal : « Wilmington est une ville fan­
le dictateur Saddam Hussein (1937­2006) a tion de l’ultrablanc une priorité, indique au tôme, assure le photographe. Dans le centre, Prochain article Gloire et déboires
longtemps été un allié de Washington. Monde Kevin Phelan, l’un des agents du FBI DuPont a déserté ses immeubles historiques : d’un géant de la chimie
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L’été en séries 0123
VENDREDI 21 AOÛT 2020

DIANE OBOMSAWIN

Le satyre, sacré
C’
est long, deux mille seront mis à l’index. En 1857, le redoutable
six cents ans de procureur impérial Ernest Pinard cen­
mauvaise réputation. sure, dès leur parution, Les Fleurs du mal

bouc émissaire
De tous les êtres mi­ de Baudelaire, car les poèmes sont jugés
homme mi­bête, le trop « charnels ». De même, Manet va
satyre – « ça tire » en­ faire scandale, en 1863, avec son Olympia,
tendent volontiers les lacaniens – est une toile moderne éloignée de toute réfé­
perçu comme le plus abject. A côté de lui, rence mythologique où une demi­mon­
le féroce centaure et la sirène, terreur des daine, allongée nue sur son lit, regarde le

L’IMAGINAIRE ANIMAL 4 | 6  Divinitémi-homme mi-bouc, servant de


marins, paraissent presque sympathi­ spectateur. Deux ans plus tôt, pourtant,
ques. Si le faune est plutôt latin, le satyre, en 1861, le très académique Alexandre
lui, est grec. En réalité, on confond sou­
vent les deux divinités libidineuses con­ catharsis aux fureurs humaines réprimées par la morale, cette créature Cabanel avait exposé avec succès son ta­
bleau Nymphe enlevée par un faune, une
damnées par les dieux de l’Olympe à vi­
vre dans les bois et les montagnes, tant
au sang chaud traîne depuis des siècles une sulfureuse réputation. Au point quasi­scène de viol. Les critiques s’étaient
alors montrés enthousiastes.
leurs frasques les rendent indignes des
honneurs célestes.
de rejaillir lors du mouvement #metoo pour qualifier Harvey Weinstein Ami de Baudelaire, un autre artiste, et
pas des moindres, s’attire aussi les fou­
Les premières représentations du sa­ dres des moralisateurs : Auguste Rodin.
tyre, qui le montrent avec les jambes, les Scandalisés par l’érotisme de ses dessins
oreilles et la queue d’un cheval, date­ et la sensualité de ses bronzes, ses détrac­
raient du VIe siècle avant notre ère. Tou­ teurs le surnomment « l’apôtre du vice ».
jours en érection, la créature au visage pestilentiel » et un « satyre vindicatif » tres de haut pour 19 tonnes de calcaire, rait­il pas ce sentiment de dégoût envers Une statuette va faire de lui un satyre.
camus est d’une laideur repoussante. Le toujours à la recherche de nouvelles toise d’un air narquois les visiteurs. Assis l’hypocrisie bourgeoise ? « Depuis la
faune, son alter ego, dessiné avec une proies. Le site The Daily Beast, fondé par sur son socle, œil vif et main sous le men­ Renaissance, beaucoup d’artistes se sont RODIN CARICATURÉ
tête cornue et des pattes de caprin ve­ une ancienne journaliste du très sérieux ton, il pourrait incarner une version sar­ emparé de l’univers mythique du satyre, Il faut se rendre au Musée Rodin, à Meu­
lues, bondit sans arrêt et joue de la flûte ; New Yorker, raconte de son côté com­ castique du Penseur de Rodin – dont Paul modèle de paganisme joyeux qui autorise don (Hauts­de­Seine), pour découvrir la
de quoi, là encore, faire sourire les psy­ ment Weinstein avait organisé son busi­ Dardé (1888­1963) fut,, pendant une brève à rêver sur ce que le monde chrétien rend petite composition en plâtre, remisée
chanalystes. ness afin de pouvoir assouvir à tout mo­ période l’un des apprentis. Mais à quoi en principe impensable et diabolique », dans les sous­sols de la propriété où le
Au fil du temps, les images du faune et ment son appétit sexuel. « Ses chauffeurs pense ce faune ? A prospos de quoi ricane­ avance François Lissarrague, directeur sculpteur vécut de 1893 jusqu’à sa mort,
du satyre s’entremêlent, mais leur répu­ à Manhattan et à Los Angeles étaient te­ t­il ? Les critiques s’interrogent encore. d’études à l’Ecole des hautes études en en 1917. De loin, l’artiste vêtu d’une redin­
tation, elle, ne varie guère. L’un et l’autre nus de disposer en permanence dans leur sciences sociales (Ehess) et auteur de La gote et d’un chapeau haut de forme sem­
sont d’affreux lubriques désormais cari­ voiture de préservatifs et d’injections con­ « PAGANISME JOYEUX » Cité des satyres, une anthropologie ludi­ ble en tenue de soirée. Mais de près, on
caturés en bouc, un animal dont l’odeur tre les troubles de l’érection », détaille, en Le sculpteur occitan avait un tempéra­ que (éd. Ehess, 2013). s’aperçoit que des oreilles pointues sor­
nauséabonde est appelée « eau de mâle » février 2018, la longue enquête du site ment anarchiste bien trempé. Engagé « Certes, ces êtres hybrides peuvent tout à tent de son couvre­chef et que ses jam­
par les scientifiques. Dans son ouvrage américain. Le prédateur ne voulait jamais comme brancardier pendant la guerre de fait symboliser les violences faites aux bes sont en réalité des pattes de bouc. « Ce
Bestiaires du Moyen Age (Seuil, 2011), être pris au dépourvu. 1914­1918, l’homme a été profondément femmes, mais pas seulement. Ils sont aussi travail est de Charles Léandre, un artiste
l’historien Michel Pastoureau rappelle Harvey Weinstein, mi­homme, mi­ marqué par les corps atrocement mutilés les récepteurs des pulsions humaines. normand qui réalisait beaucoup de cari­
ce que disaient du fougueux quadru­ bouc ? « Comment ne pas faire ce paral­ qu’il a dû transporter jusqu’aux hôpi­ N’oubliez pas que leur monde décalé est catures pour les journaux, révèle Chloé
pède les zoologistes de l’époque médié­ lèle à la lumière des œuvres de nombreux taux. Après la guerre, il conçoit surtout bâti sur le sexe, le vin et la musique. Cet Ariot, conservatrice au Musée Rodin, res­
vale : « Comme toutes les créatures à sang artistes inspirés par le thème des faunes des monuments funéraires à la gloire des imaginaire permet d’exprimer l’indicible », ponsable des sculptures. Nous avons ac­
chaud, le bouc est porté au plaisir charnel et des satyres, convient Ivonne Papin­ jeunes soldats sacrifiés. Que vient donc analyse le spécialiste. Dans la Grèce anti­ quis cette œuvre en 1983 et ne l’avons
et semble incapable de retenue ni de répit. Drastik, conservatrice en chef du patri­ faire Le Grand Faune au milieu de ce re­ que, les satyres multiplient les grosses montrée qu’une seule fois au public,
(…) Alors qu’un bélier se contente de moine et directrice du Musée de Lodève, gistre ? Auteur et éditeur de l’ouvrage blagues de banquet qui moquent les ex­ en 1990, à l’occasion d’une manifestation
trente ou quarante brebis, le bouc a be­ petite ville de l’Hérault près de Montpel­ Paul Dardé, sculpteur dessinateur de l’âme cès de la société athénienne et aident à consacrée à Rodin et la caricature. »
soin d’au moins cent chèvres pour satis­ lier. Du XVIIe au XIXe siècle, beaucoup de humaine (1992), Christian Puech rap­ s’en distancer. Les insolents se font, par Depuis, elle sommeille dans les réser­
faire ses appétits sexuels, parfois deux tableaux et de sculptures mettent en porte que l’artiste de Lodève, interrogé exemple, la guerre à coups d’énormes ves. Si elle était exposée, l’image ne pour­
cents et même davantage. » Ainsi est scène les rapports de domination exercés en 1920 par des journalistes sur l’énigma­ phallus, ridiculisant les puissants géné­ rait­elle pas enflammer les réseaux
donc le satyre mi­homme, mi­bouc : in­ par les satyres sur les nymphes. #metoo tique statue, aurait répondu : « Mon raux de la cité grecque dont personne ne sociaux en cette période #metoo où la
satiable. Son animalité obscène n’arrête et #balancetonporc font écho, je crois, à faune ricane, et son rire est méprisant savait vraiment s’ils étaient des patriotes parole se libère enfin ? « Attention au
pas de rejaillir du passé, elle est même ces compositions anciennes. » pour les hommes. » ou des mercenaires. quiproquo, s’enflamme Véronique
d’une navrante actualité. Le satyre, si En juillet 2018, l’historienne de l’art or­ Allergique à la ville et aux mondanités, Thème esthétique récurrent, la fête Mattiussi, chef du service de la recherche
loin mais aussi si proche… ganisait à Lodève l’exposition « Faune, Dardé, de plus en plus radical, ne sup­ dionysiaque, avec son cortège exubé­ au Musée Rodin. Rodin n’est pas Harvey
fais­moi peur ! », la première à rassem­ portait plus les normes sociales et la rant de satyres et de nymphes ivres jus­ Weinstein. Même Camille Claudel,
DOMINATEUR AVEC LES NYMPHES bler en France autant de créations – près bien­pensance. Son faune n’incarne­ qu’à l’extase, sert, elle, de vitrine aux fu­ l’amour de sa vie, qui l’a accusé de tous les
Début octobre 2017, l’affaire Weinstein de 160, dont beaucoup de Picasso – con­ reurs humaines réprimées par la mo­ maux, y compris d’avoir volé La Joconde,
éclate aux Etats­Unis. Le producteur, no­ sacrées à l’univers des pervers antiques. rale. Une catharsis. Jusqu’au milieu du n’a jamais évoqué de rapports de domina­
tamment, de Pulp Fiction et de The Artist La tempête Weinstein secouait alors vio­ « CES ÊTRES HYBRIDES  XIXe siècle, « les artistes prenaient pré­ tion au sein de leur relation. D’ailleurs, les
est accusé par un grand nombre d’actri­ lemment le monde du spectacle, du texte de la mythologie pour dessiner, modèles du sculpteur évoluaient en toute
ces d’agressions sexuelles. Deux semai­ sport et de la politique. « Une incroyable PEUVENT TOUT À FAIT  peindre ou sculpter des hommes et des liberté dans son atelier où l’artiste a ex­
nes plus tard, le mouvement #metoo est coïncidence, explique­t­elle aujourd’hui. femmes nus aux positions lascives, dé­ ploré sans retenue le corps féminin. »
lancé pour encourager la prise de parole Notre projet avait été lancé trois ans SYMBOLISER LES  taille Sara Vitacca, historienne de l’art et Si Charles Léandre s’amuse à caricatu­
des femmes partout dans le monde. En auparavant dans l’idée de saluer la mé­ VIOLENCES FAITES AUX  pensionnaire de la Villa Médicis, à rer Rodin ainsi, c’est plutôt pour souli­
France, #balancetonporc devient un cri moire de notre gloire locale, Paul Dardé. Rome. Ces œuvres étaient d’ailleurs sa­ gner combien l’art licencieux du génie
de ralliement pour les victimes harce­ Sa sculpture d’un faune est un FEMMES, MAIS ILS SONT  luées lors du Salon, une ancienne mani­ est condamné par la société pudibonde
lées. Dans un même élan, la presse inter­ chef­d’œuvre monumental pour lequel il festation officielle organisée chaque an­ du XIXe siècle. Encore une affaire de
nationale crie au satyre, multipliant les a reçu en 1920 le Prix national des arts, AUSSI LES RÉCEPTEURS DES  née à Paris jusqu’en 1880 et agréée par mauvaise réputation. Juste un dernier
analogies entre Harvey Weinstein et qui récompense le meilleur artiste de l’an­ l’Académie des beaux­arts. Représenter point pour finir. Satyre n’a pas de fémi­
l’hybride scandaleux. née, toutes disciplines confondues. »
PULSIONS HUMAINES » une femme de la société réelle était en re­ nin. Le mot « satyresse » n’existe pas. 
Le New York Times, dans un article pu­ Les journaux de l’époque rendent alors FRANÇOIS LISSARRAGUE vanche assimilé à du voyeurisme. » marie­béatrice baudet
blié le 14 octobre 2017, insiste sur l’aspect hommage à ce « nouveau Michel­Ange ». A directeur d’études à l’Ecole des Les créateurs qui, après 1850, décident
rebutant de Weinstein, un « magnat l’entrée du musée, Le Grand Faune , 4 mè­ hautes études en sciences sociales de transgresser ces règles de bienséance Prochain article La sirène
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L’été en séries | 23

KNOCK ET SES CONFRÈRES COMIQUES


LE MÉDECIN AU CINÉMA 4 | 6  Sur le mode parodique, les blouses blanches endossent l’habit du gredin, parfois grotesque, et pourfendeur de l’o rdre établi

E
n France, le canon du comique plus sûres raisons de se réjouir. Michel
médical se trouve, évidemment, Galabru y incarne Léon Galipeau, généra­
chez Molière, qui cloue au pilori liste flaubertien qui s’engage dans l’achat
de l’infatuation, de la superche­ d’un viager dont le débirentier (Michel
rie et du ridicule la profession, réduite en Serrault), un patient qu’il tient pour
son siècle, il est vrai, à la saignée et au condamné, finit par enterrer toutes les
clystère. Il ne fut sans doute ni le premier générations de la famille Galipeau.
(Rabelais et Montaigne ont tourné en Les ressorts du comique transalpin, no­
dérision avant lui la gent médicale) ni le tamment en ce moment fécond que fut
dernier (Flaubert l’épinglera au fronton l’âge d’or de la comédie italienne, repo­
du crétinisme bourgeois dans Bouvard sent davantage sur la veulerie, la lâcheté,
et Pécuchet et Madame Bovary). Mais Le la compromission généralisée, l’incivi­
Médecin malgré lui et Le Malade imagi­ lité. C’est à cette sauce que Luigi Zampa
naire ont gravé dans la mémoire collec­ accommode son « dottore » dans Le
tive la forme de la satire médicale à la Médecin de la mutuelle (1968). Le pur gé­
française. Au théâtre, c’est Jules Romains nie d’Alberto Sordi s’épanouit dans ce
qui ravive cet esprit farcesque, en 1923, personnage de médecin récemment con­
avec Knock ou le Triomphe de la méde­ ventionné, qui comprend vite qu’il végé­
cine. Louis Jouvet – qui met en scène la tera sans clientèle. Il convoite donc,
pièce et interprète le rôle principal – est parmi d’autres concurrents à l’affût, la
l’homme par qui la fable s’éternisera, femme d’un confrère à l’agonie, fort d’un
grâce au cinéma. fichier de deux mille patients. Laissant
Le docteur Knock, aigrefin doté d’une tomber la vieille peau une fois le fichier
vertigineuse assurance, arrive au village acquis, il fait florès et augmente encore la
de Saint­Maurice pour y prendre la suc­ cadence. Un acquis social est ainsi dé­
cession du docteur Parpalaid, autre tourné, avec le sourire, en principe dé­
gredin qui lui vend assez cher une clien­ chaîné du rendement maximal.
tèle inexistante. Qu’à cela ne tienne, l’im­ Aux Etats­Unis, la mémoire collective
posteur, tenant que « tout homme bien s’écrivant au cinéma, c’est dans le cinéma
portant est un malade qui s’ignore », finira hollywoodien lui­même que puise une
par en convaincre tout le village, passé, part du comique médical. Cela donne
selon son expression, à « l’âge médical ». deux des plus célèbres parodies de l’his­
Satire de la modernité américaine et de toire du cinéma, Docteur Jerry et Mister
ses méthodes de marketing « décérébran­ Love (The Nutty Professor, 1963), de Jerry
tes » en même temps que dénonciation Lewis, et Frankenstein Junior (Young
précoce d’une médecine du rendement, Frankenstein, 1974), de Mel Brooks. Le pre­
Knock flatte la fibre française et connaît mier voit non plus un médecin mais un
un beau succès au cinéma. Quatre brillant professeur de chimie (Julius
versions se succéderont à travers les âges, Kelp), d’une laideur et d’une maladresse
tour à tour dirigées par René Hervil (1925), stratosphériques, se transformer la nuit
Roger Goupillières et Louis Jouvet (1933), venue en playboy vulgaire et décérébré
Guy Lefranc (1951) et Lorraine Lévy (2017). sous le nom de Buddy Love.
Il revient à cette dernière le triste privi­ Le second imagine l’honorable profes­
lège d’enterrer le mythe en expédiant seur Frederick Frankenstein (prononcé JESSY DESHAIS
Omar Sy dans un village du Vercors des « Frankenstine »), interprété par Gene
années 1950, pour tenter vainement d’y Wilder, petit­fils du sinistre Victor,
renouveler la drôlerie du rôle sous les rattrapé par la manie familiale, se lancer
auspices de la question des origines. frénétiquement dans la fabrication d’un parodique. Ce penchant pour la esprit, s’amuse cruellement d’un exem­ une charge contre l’ordre établi qui an­
monstre qui s’avère une crème. subversion vaut aussi pour The Great ple où l’inventeur exténué rend l’âme nonce le nouvel Hollywood.
Penchant pour la subversion Ces deux films, mettant cul par­dessus Moment (1944), du merveilleux Preston incognito au moment où sa trouvaille Le second est une découpe au scalpel de
Rien n’atteindra plus, en France, le niveau tête leurs modèles respectifs, partagent Sturges. Le film ne saurait être pour conquiert le monde de la médecine. la bourgeoisie de Dallas vue à travers
de Knock dans ce registre cinématogra­ le goût de la citation et de l’emphatisa­ autant considéré comme une parodie, l’agitation dérisoire et débilitante de son
phique. Pour preuve, deux films qui tour­ tion absurde qui constituent le genre pas plus que son héros ne saurait être Dysfonctionnements de la société corpus féminin, lui­même ausculté inti­
nent à la farce navrante ou au comique, considéré comme un médecin. Il vaut On le sait, en matière de comédie, la mé­ mement par le personnage central du
pour le coup involontaire, avec deux des toutefois le détour dans la mesure où il chanceté paie davantage que la gen­ film, un gynécologue (Richard Gere),
plus populaires acteurs nationaux dans se réfère bel et bien aux canons du bio­ tillesse. A la fantaisie usante d’un Docteur dont la vie prospère de notable local est
des rôles de médecin. Le premier de ces pic médical, et où son héros, tout den­ Dolittle qui parle aux animaux (sept en train de voler en éclats.
nanars se nomme Docteur Popaul (1972), EN FRANCE, LE CANON tiste qu’il soit, a puissamment contribué films entre 1968 et 2020), on préférera la Le médecin, considéré comme le miroir
film alimentaire comme en cuisinait à l’histoire de la médecine. pointe d’un Robert Altman dans MASH des dysfonctionnements de la société, est
Claude Chabrol, qui voit Jean­Paul DU COMIQUE MÉDICAL Voici donc illustrées – sur le mode de (1970) et dans Docteur T et les femmes aussi l’angle d’attaque de La Mort de
Belmondo, directeur paraplégique d’une l’échec constant – les riches heures de (2000). Le premier met en scène un trio Dante Lazarescu (2006), du Roumain
clinique, se remémorer ses frasques
SE TROUVE, ÉVIDEMMENT,  William Thomas Green Morton (Joel de chirurgiens militaires (Elliott Gould, Cristi Puiu. Un pauvre diable, fort mal en
amoureuses sur un mode pseudo­gri­ CHEZ MOLIÈRE, QUI CLOUE  McCrea), qui inventa ce grand soulage­ Donald Sutherland et Tom Skerritt) dans point, est traîné toute la nuit d’un hôpital
vois. Pierre Granier­Deferre, dans Le ment pour l’humanité qu’est l’anesthé­ un hôpital de campagne de l’armée amé­ à l’autre, dans un système qui ne veut pas
Toubib (1979), ne craint pas, quant à lui, de LA PROFESSION AU PILORI  sie par inhalation et n’en tira pour sa ricaine durant la guerre de Corée. Sur une de lui. Traité pire qu’un chien, il finit par
mettre Alain Delon dans la peau d’un mé­ peine que mépris, jalousie et humilia­ bande musicale Flower Power de Johnny rendre l’âme dans l’indifférence géné­
decin durant une troisième guerre mon­ DE L’INFATUATION, tion de la part de ses pairs, indifférence Mandel (inoubliable Suicide Is Painless), rale. Beau comme Ionesco. 
diale qui laisse perplexe. DE LA SUPERCHERIE de ses contemporains et ruine de sa dans une ambiance infantile de colonie jacques mandelbaum
A tout prendre, on trouvera dans le déli­ famille. Reprenant au biopic l’idée du de vacances dévolue au sexe et au sport,
cieux Viager (1972), de Pierre Tchernia, de ET DU RIDICULE « seul contre tous », Sturges, mauvais le film est une satire antimilitariste et Prochain article Les réalistes

L’ALBUM QUI M’A FAIT AIMER… LE BIG BAND


Comme d’autres de ma géné­ bop… Tout cela dans mes « Duke » Ellington. Des noms de swing, de cohésion dans des années 1920, Jimmie
ration, nés à la fin des années années lycée, puis à l’entrée familiers, mais peu écoutés, le jeu d’ensemble – l’effectif Lunceford, Cab Calloway,
1950, c’est par le rock que à l’université. comme Louis Armstrong des deux big bands, rappe­ l’éphémère orchestre
je suis venu au jazz. Avec L’attention au passé plus ou Sidney Bechet qui me lons­le –, des parties solistes afro­cubain de Dizzy Gillespie,
des groupes et interprètes qui lointain du jazz viendra vers semblent trop « vieux jazz ». courtes, une énergie joyeuse. les formations menées par
citaient des noms de musi­ la fin des années 1980. Et La pochette annonce « 2 Great Tempo rapide ou mouvement Benny Goodman, Woody
ciens dans des entretiens, passera surtout par la forme Orchestras ». Les deux orches­ plus lent, tout ce qui suit, jus­ Herman, Les Brown – mal vu,
dont la musique pouvait fondatrice du big band, avec tres des maîtres du big band qu’à Jumpin’at the Woodside, trop commercial –, celles des
refléter une influence du ses cinq saxophones, quatre réunis par le producteur Teo de Basie, est du même ordre. batteurs Buddy Rich et Gene
genre. Des grands du jazz, trombones, quatre trompet­ Macero, pour une séance Certains des groupes de rock Krupa, le superbe Thad Jone/
Miles Davis a été le premier, tes et la rythmique piano, qui débuta dans l’après­midi basique ayant mes faveurs Mel Lewis Orchestra…
approché par sa période contrebasse et batterie. du 6 juillet 1961 et se termina semblent alors bien raplapla. Et encore maintenant, même
électrique de 1968­1975. Le grand orchestre, je l’appré­ à l’aube, le 7 juillet. La plongée dans l’imposante si le big band est peu inspiré,
« FIRST TIME ! » Ce qui mena aux musiciens cie alors lorsque c’est le fan­ discographie d’Ellington banal, il aura droit quand
(1962) qui avaient joué avec lui alors, tasque Arkestra de Sun Ra, Une énergie joyeuse devient nécessaire. De sa même à un satisfecit,
dont Herbie Hancock, le que Coltrane (Africa Brass) s’y Des dix compositions enre­ période jungle des débuts aux avec peu de recul critique.
COUNT BASIE ET Weather Report de Joe essaie, que Mingus, Gil Evans, gistrées, huit ont été conser­ grandes suites, ses explora­ Juste par amour de la
DUKE ELLINGTON Zawinul et Wayne Shorter, George Russell ou Carla Bley vées pour l’album commer­ tions de nombreuses sources machine à swing. 
le Mahavishnu Orchestra sont aux commandes. cialisé début 1962. Quatre musicales. Et celle de Basie, sylvain siclier
de John McLaughlin. Et vite, Ce déclic pour le big band du répertoire de l’orchestre moins variée, mais dans un
John Coltrane, Roland Kirk, classique est venu avec First d’Ellington, quatre de celui de allant swing permanent. Edition originale vinyle
Charles Mingus, Thelonious Time ! The Count Meets The Basie. L’entrée dans l’album Puis, de fil en aiguille, tout ce Columbia Records.
Monk, Sonny Rollins, la scène Duke. Le comte, c’est William donne le ton. Battle Royal, qui relève du big band classi­ Régulièrement réédité
free américaine et euro­ James « Count » Basie, et le composition d’Ellington et de que. Fletcher Henderson, qui dont une version en CD
péenne, remontant jusqu’au duc, c’est Edward Kennedy Billy Strayhorn, un sommet en pose les bases, au début avec des inédits en 1999.
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HUIT CHEFS
POUR LA PLANÈTE
UN JOUR, UN FESTIN 4 | 6
Le 30 novembre 2015, au Bourget, 157 chefs d’Etat et de gouvernement participent au déjeuner d’ouverture
de la COP21, la conférence de Paris sur les changements climatiques. Un banquet diplomatique record
CELIA CALLOIS

EN 1940,
LE LOBBYING
DÉFAITISTE DE
LA COMTESSE
SEXE ET POUVOIR

Emportée par le fracas de la débâcle


de juin 1940, Hélène de Portes traverse
rarement les récits qu’a inspirés
cette période sombre. Cette grande
bourgeoise, compagne du président
du Conseil Paul Reynaud, s’activa
en coulisses pour plaider la cause
d’un armistice rapide avec l’Allemagne.
Ce qui valut à ce personnage de roman
d’être frappé d’infamie par tous ceux
qui s’opposaient à l’arrivée au pouvoir
du maréchal Pétain.
La comtesse de Portes, née Rebuffel
en 1902, est la fille d’un richissime
entrepreneur marseillais. Séparée
de son mari, elle s’affiche depuis 1930
aux côtés de Paul Reynaud, de
vingt­quatre ans son aîné. Ce couple
fusionnel prévoit de se marier, mais,
en mars 1940, l’accession à la tête
du gouvernement du député de Paris, STÉPHANE OIRY
figure de la droite modérée et
très critique à l’égard des accords

S’
de Munich, impose de remettre il existait un « Guinness mier ministre de François Mitterrand, Alléno choisit, avec sa « soupe Freneuse nant des porcelaines de Sèvres, des ver­
le projet à plus tard. Book » du multilatéralisme, désormais président du Conseil consti­ moderne », de sublimer la simplicité de res en cristal Baccarat et de l’argenterie
Rapidement, la présence envahissante ce déjeuner y figurerait en tutionnel. « Il fallait un déjeuner qui navets de la banlieue parisienne, dont convoyés spécialement depuis l’Ely­
de cette petite brune au verbe haut bonne place. Le 30 novem­ fasse écho à l’excellence environnemen­ une extraction à froid est montée avec sée. « En cuisine, on a failli faire tomber
indispose beaucoup de monde. Hélène bre 2015, pas moins de 157 chefs d’Etat tale et à l’excellence gastronomique une purée de ce légume et servi avec un une échelle sur laquelle reposaient des
de Portes filtre les contacts avec le et de gouvernement – 76 présidents, française, sans ostentation. » Une « gas­ navet vapeur, « mariné dans de l’iode ». dizaines d’assiettes valant chacune plu­
président du Conseil, d’où le sobriquet 7 souverains régnants et 5 princes héri­ trono­diplomatie » que cet admirateur A ses côtés, une saint­jacques de la baie sieurs milliers d’euros », frissonne en­
de « porte d’à côté » qu’elle ne tarde pas tiers, 60 premiers ministres et 9 vice­ de Talleyrand avait choisi d’étendre de Seine, cuite en coquille, surmontée core Guy Krenzer.
à endosser, et assiste aux réunions de présidents – ont été accueillis, au Bour­ aux deux semaines du sommet. d’une gelée chaude de fleurs cultivées à L’immense délégation a évidem­
cabinet. « Ne dites rien de confidentiel à get (Seine­Saint­Denis), lors du déjeu­ « J’avais assisté à une COP où nous avi­ Courances (Essonne). ment du retard et donne des sueurs
Reynaud au téléphone : la dame est ner d’ouverture de la conférence de Pa­ ons été malades la moitié du temps. Et il En ambassadeur du Nord, Gauthier froides au chef du protocole, Laurent
toujours là et répète partout ce qu’elle a ris sur les changements climatiques. est compliqué de négocier quand vous décide de célébrer la volaille de Licques, Stefanini. « Quelques chefs d’Etat en
entendu », fait savoir à Roosevelt Un banquet diplomatique record. Et un avez la turista. J’avais donc dit à ceux qui « à la chair tendre, au goût de noisette ». avaient profité pour privilégier une ren­
l’ambassadeur des Etats­Unis à Paris. souvenir inoubliable pour les huit s’occupaient des repas des négocia­ Piqué à l’ail doux fumé d’Arleux, le su­ contre bilatérale, raconte celui qui est
chefs à la baguette de ce repas de la teurs : “Faites simple mais très bon !” » prême cuit à basse température est désormais ambassadeur de France à
« Monsieur le Maréchal » COP21, devant à la fois porter haut les servi avec une crème de brocolis grillé Monaco. Le président Erdogan, par
Surtout, l’impétueuse Hélène se fait couleurs de la France et celles de l’envi­ Vertus diététiques et gustatives et du blé, préparé comme un risotto, exemple, avait raté le déjeuner. » Cer­
l’avocate empressée, et pas seulement ronnement. Qu’ils aient imaginé le S’il consulte le chef du ministère et ce­ coloré au vert d’épinard. Un chroma­ tains se regardent en chiens de faïence,
auprès de son cher Paul, d’un accord menu (Yannick Alléno, Alexandre Gau­ lui de l’Elysée, M. Fabius s’occupe per­ tisme prolongé avec la garniture con­ d’autres échangent plus cordialement,
avec l’Allemagne. « Je ne pense pas que thier, Nicolas Masse, Marc Veyrat et sonnellement du casting du déjeuner çue par Nicolas Masse : « confit de cé­ tels Barack Obama et François Hol­
son rôle dans l’encouragement des Christelle Brua), ou coordonné ce ras­ d’ouverture. Peu avant le sommet, il leri farci, crème d’épinards persillée ». lande devisant à propos de Lindbergh,
éléments défaitistes pendant les derniers semblement hors du commun avait assisté au dîner de lancement du Chacune de ces propositions est vali­ dont le Spirit of St. Louis avait atterri au
jours de Reynaud comme président (Thierry Charrier, chef du Quai d’Orsay, guide Gault & Millau. « Chef de l’an­ dée par Thierry Charrier, Guillaume Bourget, en 1927. Une fois tout ce beau
du Conseil doive être sous­estimé. Elle a Guillaume Gomez, chef de l’Elysée, Guy née » de cette édition 2015, Alexandre Gomez et Guy Krenzer, après une série monde placé, le repas est prévu pour
passé une heure pleurant dans mon Krenzer, chef de la maison Lenôtre). Gauthier, jeune patron de La Gre­ de tests effectués à Plaisir (Yvelines), durer à peine plus d’une heure.
bureau pour [m’]inciter [à convaincre] « Ce genre de conférence ne peut fonc­ nouillère, à la Madelaine­sous­Mon­ dans les laboratoires du traiteur Lenô­ « Nous étions pressés par le temps, rap­
Reynaud à demander un armistice », tionner sans volonté au plus haut ni­ treuil (Pas­de­Calais), tape dans l’œil du tre. Car si c’est un métier d’imaginer pelle Guy Krenzer, et Veyrat avait prévu
témoigne un diplomate américain cité veau politique, assure aujourd’hui Lau­ patron du Quai d’Orsay. « Je le trouve à des recettes, c’en est un autre de repro­ un montage compliqué sur de gros ron­
par l’historien William Shirer. rent Fabius, alors ministre des affaires la fois très créatif et sensible à une cui­ duire et de servir celles­ci au même mo­ dins de bois. On s’est un moment de­
Lorsque Pétain, nommé le 18 mai 1940 étrangères, sous la présidence duquel sine végétale, inspirée par son potager et ment, depuis une cuisine éphémère, à mandé si on n’allait pas sauter le fro­
numéro deux du gouvernement, se déroulait la COP21. J’avais estimé que son jardin », s’enthousiasme le minis­ 157 grands de ce monde. Double mage. » Plutôt que d’affronter une des
se présente au domicile du président la présence de ces chefs d’Etat était in­ tre, qui propose au cuisinier de s’occu­ meilleur ouvrier de France, expert des colères légendaires du Haut­Savoyard,
du Conseil, Hélène de Portes l’accueille dispensable à l’ouverture de la confé­ per du plat principal. réceptions, Guy Krenzer doit orches­ tout le monde met finalement la main
avec enthousiasme et le supplie : rence, pour qu’ils envoient un message Yannick Alléno, chef trois macarons trer la logistique. Maîtres des cérémo­ à la pâte pour présenter son « organic
« Monsieur le Maréchal, empêchez à leurs négociateurs : “Faites ce que du restaurant Ledoyen, à Paris, est nies officielles, Charrier et Gomez du Mont­Blanc », constitué d’œufs de
Paul de faire des bêtises ! » vous voulez, mais dans deux semaines, chargé de l’entrée ; Nicolas Masse, dou­ veillent à la précision du protocole. « La truite, d’une gelée de légumes et son
Elle est moins avenante avec Charles il faut que ce soit un succès.” » ble étoilé aux Sources de Caudalie, à rigueur du timing est essentielle, insiste souffle de tussilage (une plante au goût
de Gaulle, sous­secrétaire d’Etat Pendant des mois, l’équipe diploma­ Martillac (Gironde), s’occupe de la gar­ Guillaume Gomez. Pas question d’en­ d’artichaut), d’un petit reblochon à la
à la guerre, qui le lui rend bien. tique s’affaire pour convaincre la pla­ niture ; Christelle Brua, alors chef pâtis­ voyer un maître d’hôtel raconter une myrrhe odorante et d’une salade de
« C’était une dinde, comme toutes nète de se rassembler. « Evidemment, sière du Pré­Catelan (Paris), devenue “blagounette” ou offrir le champagne cueillette. « Heureusement que nous
les femmes qui font de la politique », les choses se décoincent un peu quand depuis celle de l’Elysée, cisèle le dessert. pour faire patienter une table. » l’avons maintenu, se félicite Thierry
lâchera­t­il en 1964, dans un entretien vous avez l’accord des présidents améri­ Une distribution complétée, pour le Quand arrive le grand jour, la tension Charrier, le chef du Quai d’Orsay, car cet
avec l’historien Henri Amouroux. cain et chinois, remarque l’ancien pre­ fromage, par le Haut­Savoyard Marc est palpable. Après les attentats du ensemble, servi sur ce morceau de bois,
Cet intense lobbying brouille l’image Veyrat. Même si, peu avant le sommet, 13 novembre, des mesures de sécurité très décalé après la porcelaine de Sèvres,
de Reynaud qui, plus indécis que prévu, l’homme au chapeau noir met l’équipe encore plus drastiques s’imposent. Ac­ était l’un des plus beaux du repas. »
se veut hostile à la capitulation mais doit « IL FALLAIT  dans l’embarras : il est poursuivi pour compagnés chacun d’un membre de Une fois dégusté le paris­brest aux
composer avec la profonde division infraction au code de l’environnement leur brigade (au lieu des cinq prévus à clémentines corses de Christelle Brua,
de son gouvernement. Finalement, DES INGRÉDIENTS  pour avoir défriché un bois et asséché l’origine), les chefs se retrouvent à les chefs peuvent enfin se faire applau­
il démissionne le 16 juin et laisse une zone humide sans autorisation. 4 h 30 du matin, au Quai d’Orsay, pour dir par l’auguste assemblée. Plus tard, à
le champ libre à Pétain. Le couple, TOLÉRÉS PAR TOUTES  Pour l’élaboration des plats, « il fallait filer en bus en empruntant le périphé­ la nuit tombée, alors qu’ils attendent
replié à Bordeaux, décide de fuir LES RELIGIONS ET  des ingrédients tolérés par toutes les reli­ rique, fermé à la circulation. « Aucun leur bus du retour, Alexandre Gauthier
l’avance allemande, mais le 28 juin, gions, rappelle Alexandre Gauthier, oubli d’ingrédient ou de matériel n’était croit voir « un buisson bouger »…
entre Frontignan et Sète, leur Renault EN PHASE AVEC LES  mais aussi le plus possible en phase avec permis, se souvient Guy Krenzer, car « C’était un membre des commandos,
Juvaquatre percute un platane. les préoccupations écologiques ». Cha­ impossible, une fois sur place, de partir dans sa tenue de camouflage. » Lui
Le conducteur est légèrement blessé. PRÉOCCUPATIONS  cun privilégiera des produits issus de en récupérer. » Dans le bâtiment de l’aé­ aussi pliait bagage. 
Hélène de Portes est tuée sur le coup. son territoire, et des apprêts aux vertus roport, le faste républicain se met en stéphane davet
Selon la légende, son amant fit mouler
ÉCOLOGIQUES » diététiques autant que gustatives. En­ œuvre. « C’est fabuleux de voir ce que la
l’une de ses mains et l’un de ses seins. ALEXANDRE GAUTHIER fant de Puteaux (Hauts­de­Seine), mili­ France est capable d’offrir à ses hôtes », Prochain article 1815 : La cuisine
jean­michel normand chef cuisinier tant du locavorisme francilien, Yannick s’émeut Yannick Alléno en se souve­ diplomatique de Talleyrand
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VENDREDI 21 AOÛT 2020

L’été des idées | 25

ENTRETIEN

A
Tournon­d’Agenais (Lot­et­Ga­
ronne), une bonne quarantaine
d’utopistes réalistes font vivre
Tera : un projet de développe­
ment territorial, qui, depuis
2014, vise à créer un « écosys­
tème coopératif » destiné à relocaliser la
production et à la valoriser en monnaie
citoyenne locale. Composé de jeunes em­
ployés dans l’humanitaire, d’étudiants en
sciences ayant bifurqué et voulant « don­
ner du sens » à leur vie, mais aussi d’an­
ciens chercheurs ou entrepreneurs recon­
vertis dans l’économie sociale et solidaire,
Tera n’est pas une communauté fermée,
mais une « entreprise à but communal »
qui souhaiterait essaimer au niveau na­
tional. Rencontre avec deux de ses mem­
bres, Frédéric Bosqué, l’un des fondateurs,
et Marie­Hélène Muller, spécialiste en gé­
nétique des populations.

Qu’est­ce qui vous a amenés à monter


le projet Tera ?
Frédéric Bosqué : On peut réparer les
gens, mais ce n’est pas suffisant, on doit
aussi changer la société. Après avoir subi
de plein fouet le krach financier de 2000
avec ma start­up, j’ai monté une entre­
prise d’insertion pour handicapés. Paral­
lèlement, pendant vingt ans, j’ai milité ÉMILIE SETO
pour l’instauration d’un revenu de base

LA NOUVELLE ÉCONOMIE DU PARTAGE


inconditionnel, et cocréé le « sol violette »
– du nom de la monnaie de la Révolution
française, le sol, contre­garantie par les
biens de l’Eglise –, la monnaie citoyenne
de Toulouse, la première à avoir été pen­
sée en partenariat avec une municipalité.
En 2013, j’ai fait un premier tour de
France à vélo – deux autres allaient sui­ LA FRANCE DES OASIS 4 | 6   Changer la société par la production locale, F. B. : Il est similaire à celui d’une entre­
vre – pour aller voir de près une quaran­ prise qui fait appel à du capital afin de dé­
taine d’initiatives citoyennes respectueu­
le revenu de base et l’économie sociale, c’est le but de plusieurs gager progressivement un excédent brut
ses des humains et de la nature, qui ne initiatives françaises. Dans le Lot­et­Garonne, le projet Tera d’exploitation : c’est une entreprise à but
font jamais la « une » des médias. J’ai pris communal. Dès que les premières activi­
conscience que la révolution des com­
se veut un « écosystème coopératif ». Rencontre avec deux tés (maraîchage, boulangerie…) seront
muns s’était déjà produite. C’est un peu de ses membres, Frédéric Bosqué et Marie­Hélène Muller rentables, les détenteurs de ces projets
comme les glands dans une forêt, ils sont abonderont un fonds de dotation avec
là, partout, mais on ne les voit pas. Je crois une partie de leurs recettes. Ils verseront
que les héros sont à la campagne, mais une forme d’impôt volontaire. Ce fonds
que leur travail n’est pas reconnu à sa neuve­sur­Lot en 2010, contre­garantie cette somme, ils peuvent payer en de dotation financera de nouveaux éco­
juste valeur par le système marchand. par une production durable locale et gé­ abeilles une centaine de prestataires : lieux et des revenus d’autonomie à des
A l’issue de ce périple, j’ai eu envie de rée par l’association Agir pour le vivant, principalement pour acheter des pro­ personnes dont l’activité n’est pas forcé­
réunir toutes ces initiatives isolées, de celle­ci est complémentaire de l’euro : une duits alimentaires, mais aussi aller au ci­ ment monétisée par le marché, comme
leur apporter la culture d’entreprise qui
leur fait défaut et d’y greffer le meilleur
abeille égale un euro. Nous ne sommes
pas contre la monnaie unique euro­
NOTRE MODÈLE néma de Monsempron­Libos, régler un
ostéopathe ou un loyer (deux propriétai­
du service à la personne ou de l’accompa­
gnement des personnes âgées. Le modèle,
de la social­démocratie. Je crois profondé­ péenne. Mais une fois qu’elle a circulé REPOSE SUR LA res ont accepté de jouer le jeu). De qui s’équilibrerait avec une cinquantaine
ment, comme le stipule l’article premier 2,5 fois, elle sert les transactions financiè­ même, la commune de Lacapelle­Caba­ de personnes, vise aussi, à terme, à repro­
de la Déclaration des droits de l’homme res et non plus la sphère économique RÉAPPROPRIATION nac paie une partie du salaire de son se­ duire en petit les services de l’Etat.
et du citoyen, que « les distinctions socia­ réelle. La monnaie locale, qui permet de crétaire de mairie en abeilles. Des écolieux nous sollicitent pour dupli­
les ne peuvent être fondées que sur l’uti­ payer des prestataires locaux respec­
DE LA PRODUCTION L’idée est d’élargir ce système au secteur quer ce modèle. Mais nous sommes en
lité commune ». Cette phrase signifie tueux de critères durables, est échangée ET LA MISE EN ŒUVRE de l’énergie, aux voitures partagées. Ou phase d’expérimentation. Nous ne savons
qu’il faudrait valoriser celles et ceux dont entre six et douze fois avant de nourrir les encore à l’écoconstruction, qui nécessite pas encore si ce dispositif peut fonction­
les actions, activités, travaux ou métiers échanges du monde de la finance. Cette D’UN REVENU beaucoup d’investissements et injecte ner. Tout dépend du niveau de production
sont les plus utiles à la société. Or, ce n’est mécanique qui, selon nos objectifs, doit donc beaucoup de monnaie dans le terri­ qui pourra être atteint sans lien de subor­
pas le cas aujourd’hui, alors que ce sont monter en puissance d’ici à dix ans, valo­
DE BASE RÉMUNÉRÉ toire. Pour accroître le volume des échan­ dination, et de la manière dont les person­
ces principes qui font réellement société. rise ceux qui agissent pour le commun et EN “ABEILLES”, ges et mieux les tracer, une plate­forme nes réinjecteront volontairement une
assure une revitalisation du territoire. numérique a été élaborée, et nous espé­ partie de leurs excédents au pot commun.
Marie­Hélène Muller : Chercheuse en C’est un facteur de cohésion sociale. LA MONNAIE rons interconnecter les monnaies locales
génétique des populations à l’Institut na­ pour créer de vrais territoires de valeurs M­H. F. : Même si cela ne va pas assez
tional de recherche agronomique de M.­H. M. : Aujourd’hui, grâce à des fon­ CITOYENNE LOCALE et « sortir du bocal ». Il s’agit par exemple vite, qu’il y a parfois du découragement,
Montpellier, je me suis retrouvée dans dations privées comme Zoein et au FRÉDÉRIC BOSQUÉ de pouvoir payer en abeilles à Bordeaux, j’ai de quoi être optimiste. Grégor, qui as­
une impasse. Comprendre par la science financement participatif, cinq membres grâce à un système de compensation en­ sure des formations de permaculture, a
le monde et ses problèmes ne suffit pas. de Tera – un maraîcher, un composteur, tre les monnaies. Il y a plus de 80 mon­ décidé, spontanément, de réaffecter 10 %
Le rythme de la recherche n’était pas un cuisinier et deux personnes tra­ naies locales en France. Certaines, de ses revenus à l’écosystème. Il aide no­
adapté à mon besoin de concret et d’ac­ vaillant dans les fonctions supports (ges­ comme l’eusko au pays basque, ont un tamment Julie à acheter du matériel
tion. J’ai été marquée par une phrase de tion et secrétariat) – bénéficient ou ont stock qui dépasse le million d’unités. On pour son activité de transformation de
Noam Chomsky, qui dit en substance que bénéficié d’un revenu d’autonomie de pourra alors s’appuyer sur un vrai levier produits alimentaires. Nous sommes
la linguistique est plus intéressante que la 896 euros par mois. Tous sont payés en pour faire évoluer le système financier. bien un écosystème coopératif. 
politique, mais que si plus personne ne abeilles à hauteur de 85 %, grâce à un propos recueillis par nicolas truong
fait de politique, on ne pourra plus étu­ système assuré par Co­actions, une Votre modèle repose, pour le mo­
dier la linguistique. Je connaissais les éco­ coopérative d’entrepreneurs solidaires. ment, sur des subventions privées. Prochain article Réinventer des rituels
lieux, les nouvelles formes de gouver­ Le montage est totalement légal. Avec Comment le rendre pérenne ? pour se retrouver
nance, la communication non violente,
mais je n’y avais pas associé la dimension

Le monde de la ressourcerie contre la civilisation du tout-jetable


économique, qui est souvent le point
aveugle des oasis.
Après un engagement dans l’associa­
tion Artisans du monde, consacrée au
commerce équitable, j’ai rejoint le mou­
vement des monnaies locales. J’y ai ren­ Les oasis cherchent à cultiver la marchés à prix libres mais aussi elle est devenue, aux yeux de rêve d’un « territoire à zéro dé­ Lyon servent à la décoration.
contré Frédéric, que j’ai suivi dès son pre­ sobriété, et rompre avec la civi­ de nombreuses ressourceries, beaucoup, un modèle de l’éco­ chet ». Les clients viennent­ils « On peut tous devenir brico­
mier tour de France. Frappée par la ri­ lisation du déchet. « Il est possi­ qui réemploient des objets et nomie circulaire – elle a notam­ pour faire des économies ? Pré­ leurs », soutient encore l’uto­
chesse des nouvelles formes de vie qui ble de vivre sur les reliquats de la leur donnent une seconde vie. ment créé six emplois. « Les server l’environnement ? Au piste Sébastien Pichot. Ainsi la
s’inventaient partout, mais aussi par la société industrielle », assure une Située au Vigan (Gard) et gérée jours d’ouverture, entre 150 et fond, peu importe la raison. commune de Trémargat (Cô­
pauvreté et la désespérance de certains membre du quartier libre des par l’association d’éducation 200 personnes passent à la res­ Avec de tels lieux, « on peut tes­d’Armor), souvent présentée
territoires que nous traversions, j’ai eu Lentillères, à Dijon. « On recher­ populaire Rd’évolution, dont sourcerie, des chiffres à rappro­ faire des bonnes affaires et du comme un laboratoire démo­
envie d’inventer et d’expérimenter un che la simplicité volontaire », Elise Gruntz, Sébastien Pichot cher de ceux de la fréquentation bien à la planète », poursuit Uto. cratique et écologique, a racheté
autre système économique. renchérissent Marie et Alexan­ et Antoine Rabourdin sont les de la boulangerie ou du super­ une friche industrielle qui ac­
dre, de l’éco­hameau Goshen, piliers administratifs, la res­ marché », se félicite Sébastien « Tous bricoleurs » cueillera un atelier de bricolage
Comment fonctionne votre installés à la ferme de la Chaux, sourcerie du Pont est à cet Pichot – dit Uto –, vice­prési­ Il y a 150 ressourceries en participatif. La ressourcerie,
« écosystème coopératif » ? à La Bussière­sur­Ouche égard exemplaire. Hébergée dent du Réseau national des France et leur philosophie irri­ cette « réanimation des objets
F. B. : Il repose d’abord sur la réappro­ (Côte­d’Or). Les oasis ont dans une ancienne usine textile ressourceries, qui « préfère le gue toute la galaxie des oasis, mourants », selon l’anthropolo­
priation de la production, la mise en inventé des formes de vie qui qui lui permet de stocker quan­ réemploi solidaire au recy­ comme au moulinage de Chi­ gue Stéphanie Messal, est déci­
œuvre de circuits de distribution et d’un coûtent peu (une frange de ses tité de jouets, meubles ou vais­ clage ». Car recycler, c’est « tout rols (Ardèche), où des éléments dément bien plus qu’une
revenu de base rémunéré en « abeilles », habitants touche d’ailleurs les selle, mais aussi de réparer des cramer » pour à nouveau du décor d’une mise en scène mode : un mode de vie. 
la monnaie citoyenne locale. Créée à Ville­ minima sociaux). Avec des vélos, des tables ou des chaises, fabriquer des objets, alors qu’il de Don Giovanni, à l’Opéra de n. t.
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Alexandre Kateb MALI : UN AMER 


BILAN POUR 
Trois priorités LA FRANCE redressement de la nation, ébranlée
en 2012, déjà, par un coup d’Etat militaire,
L’entreprise est évidemment hasardeuse,
compte tenu de l’extrême faiblesse du sys­

pour reconstruire
alors que les djihadistes occupaient le nord tème politique malien. Elle est particulière­
du pays. Mais, en fait de redressement, c’est ment délicate pour la France, qui doit éviter
à la poursuite de l’effondrement du Mali d’apparaître comme l’ancienne puissance
qu’a présidé « IBK », incapable de maintenir coloniale cherchant encore à tirer les ficel­

le Liban
un cap, de reconstruire un Etat, de maîtri­ les, mais qui ne veut surtout pas risquer de
ser la corruption et même de tenir les com­ compromettre, dans cette séquence vola­
mandes de son pays devenu un bateau ivre. tile, les acquis de sept ans de lutte contre le
Amer, le bilan l’est aussi pour la France. terrorisme.
Engagées depuis sept ans dans la lutte con­ C’est pour ces raisons que, dès le début de
tre le terrorisme islamiste au Sahel, les la mutinerie à Bamako, Paris s’est tourné
L’économiste libanais appelle à des réformes troupes françaises cherchent à passer le re­ vers ses alliés étrangers, en Afrique, au sein
profondes d’une économie minée par
la dette publique, la fragilité de ses banques
et une crise énergétique récurrente
L e moins que l’on puisse dire est que la
chute d’« IBK » n’aura suscité aucun
regret à Paris. Acculé à la démission
mardi 18 août par un coup d’Etat militaire,
Ibrahim Boubacar Keïta, président du Mali
lais aux forces locales, sans trouver les
structures de pouvoir politique suffisam­
ment solides pour le faire. L’Elysée rappelle
aujourd’hui qu’au sommet du G5 Sahel de
Nouakchott en juin, Emmanuel Macron
de l’UE et à l’ONU, afin de consolider l’enga­
gement européen et international au Sahel.
On veut croire, à l’Eysée, que les Européens
ont un intérêt commun à rester engagés au
Mali et dans la région, où la France a eu tout
depuis 2013, avait perdu le contrôle du pays était « fortement intervenu » auprès du pré­ le mal du monde à les entraîner à ses côtés
depuis la vague de contestation qui a se­ sident malien pour lui demander de régler ces dernières années, et le sujet figure évi­

A
coué le pays après les élections législatives les problèmes liés à la contestation des demment au menu des entretiens du prési­
lors que le Liban s’en­ de mars­avril. La visite à Bamako, fin juillet, élections législatives. En vain. dent Macron avec la chancelière Angela
fonce dans l’instabilité et de cinq chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest ve­ Si Paris ne pleurera pas « IBK », l’avenir Merkel, jeudi, à Brégançon.
que la défiance vis­à­vis nus tenter d’aider leur collègue malien à n’est pas assuré pour autant. La France ap­ La France a raison de ne pas vouloir assu­
de la classe politique est à trouver une solution – et sans doute in­ pelle de ses vœux un « retour au pouvoir civil mer seule le rôle de pompier au Mali : la
son paroxysme, il importe de se quiets d’un possible effet de contagion – et à l’Etat de droit » au Mali, que les militaires déstabilisation de la région est un danger
projeter à long terme et de défi­ IL IMPORTE DE TIRER s’était soldée par un échec. Les jours putschistes affirment vouloir aussi. Elle va pour l’Europe comme pour l’Afrique. Mais
nir un programme pour assurer
la reconstruction des infras­
LES LEÇONS DE LA d’« IBK », dès lors, paraissaient comptés.
Les Maliens peuvent légitimement avoir
tenter de favoriser, dans les jours qui vien­
nent, un dialogue politique entre ses parte­
elle ne pourra pas non plus éviter de dres­
ser un bilan lucide de son propre engage­
tructures détruites et le redécol­ RECONSTRUCTION le sentiment d’un immense gâchis. L’élec­ naires sahéliens et les différents acteurs à ment militaire et de sa stratégie contre­ter­
lage économique du pays. tion triomphale d’Ibrahim Boubacar Keïta, Bamako pour trouver la voie d’une issue ci­ roriste qui, au fil des années, produit aussi
En effet, si la crise que connaît le ENGAGÉE DANS il y a sept ans, avait fait naître l’espoir d’un vile et démocratique à cette nouvelle crise. des effets politiques pervers. 
Liban depuis des années passe
bien par une refondation politi­
LES ANNÉES 1990,
que, sans une refondation du mo­ AU LENDEMAIN
dèle économique, de vieux dé­
mons tels que la corruption, la D’UNE GUERRE

Jean-Loup Amselle On peut craindre que


prévarication et le clientélisme
pourraient resurgir, au risque de CIVILE DE
faire achopper la transition vers QUINZE ANS
un nouveau contrat politique et

les militaires maliens gardent le pouvoir


social. En l’absence de perspec­
tives économiques, les espoirs de
changement, notamment chez les aux anciens titres – notamment
jeunes générations, pourraient cé­ les eurobonds en devises – des
der la place au désenchantement. nouveaux à échéance plus lon­
La menace d’une implosion de gue assortie d’une période de
l’Etat libanais est réelle. Pour évi­ grâce, et dont le rendement serait Après le coup d’Etat du 18 août, l’anthropologue s’interroge sur l’avenir du mouvement de
ter cela, il faut lancer très rapide­ indexé aux performances écono­
ment un programme de recons­ miques futures. contestation populaire qui avait émergé en juin à Bamako et dans les grandes villes du Mali
truction fondé sur les meilleures La deuxième priorité est l’as­
pratiques internationales. Il im­ sainissement d’un secteur ban­

L
porte de tirer les leçons de la re­ caire hypertrophié, dont les ac­
construction engagée dans les tifs représentent entre trois et e coup d’Etat militaire qui vient le Mali avait atteint un régime démo­ année n’ont pas arrangé les choses puis­
années 1990, au lendemain quatre fois le PIB libanais. Pen­ de se produire au Mali laisse pla­ cratique de croisière, en dépit des ru­ que, outre l’enlèvement du chef de l’op­
d’une guerre civile de quinze ans. dant des décennies, les banques ner le doute sur la poursuite du meurs faisant état de l’implication de la position Soumaïla Cissé, elles ont abouti
ont été au cœur du modèle éco­ fort mouvement de contestation couche dirigeante et des cadres supé­ à l’élection contestée d’un certain nom­
Le dernier mot aux habitants nomique du pays, recyclant l’ar­ populaire qui a pris, ces dernières se­ rieurs de l’armée malienne dans la cor­ bre de députés proches du pouvoir.
Une des critiques adressées à ce gent de la diaspora et des inves­ maines, l’allure d’une véritable révolu­ ruption et le trafic de drogue, et de l’im­ Bref, un cocktail explosif qui a conduit
programme, alors porté par l’an­ tisseurs étrangers dans l’immo­ tion. En dépit des déclarations du « Co­ possibilité pour Amadou Toumani à la formation de la coalition hétéroclite
cien premier ministre Rafic Hariri bilier et le commerce. mité national pour le salut du peuple », Touré de faire évoluer le code de la fa­ du Mouvement du 5 juin­Rassemble­
[tué dans un attentat en 2005], est Le secteur bancaire a aussi per­ on peut craindre en effet, comme dans mille vers les valeurs occidentales. ment des forces patriotiques du Mali
la collusion entre les intérêts pu­ mis de financer l’Etat et de main­ d’autres précédents africains, que ces Cette situation, jointe à la prise de (M5­RFP) et des manifestations popu­
blics et privés. La société [foncière tenir la valeur de la devise natio­ militaires ne prennent goût au pouvoir contrôle du Nord, en 2012, par le Mou­ laires qui ont suivi. Ces manifestations
privée] Solidere a gentrifié Bey­ nale à un niveau surévalué. Toute­ et « oublient » de le rendre aux civils. vement national de libération de ont rassemblé plusieurs milliers de per­
routh en faisant de sa reconstruc­ fois, le pays a pâti des « printemps Quoi qu’il en soit, ce coup d’Etat, l’Azawad, entraîna le coup d’Etat mené sonnes, celle du 10 juillet faisant l’objet
tion un commerce lucratif tout arabes » de 2011 et du contre­choc désavoué par l’ensemble de la « com­ par l’officier Amadou Haya Sanogo, lui­ d’une répression féroce. Depuis cette
en bénéficiant de garanties publi­ pétrolier de 2014, qui s’est traduit munauté internationale », s’inscrit dans même à la tête d’une coalition hétéro­ date, le pouvoir, sous l’injonction de la
ques. Afin d’éviter ces dérives, la par un assèchement des pétro­ une longue tradition de pessimisme à clite de marxistes et de nationalistes Communauté économique des Etats de
reconstruction devra donner le dollars. A partir de 2018, les acro­ l’égard du Mali. s’opposant au démantèlement du pays. l’Afrique de l’ouest (Cedeao), a tenté de
dernier mot aux habitants sur les baties financières de la Banque Ce pays, en effet, depuis l’indépen­ Le coup d’Etat ayant échoué, le prési­ sauver les meubles.
choix urbanistiques. Les projets du Liban (BDL) n’ont plus réussi à dance en 1960, ne cesse d’inquiéter les dent provisoire Dioncounda Traoré fit Il reste que ces manifestations et
sélectionnés devront obéir à des dissimuler la fragilité du système. grandes puissances, notamment la appel à François Hollande pour que l’ar­ l’existence du mouvement M5­RFP ont
critères de mixité sociale et de Les banques ont alors déclaré un France qui a tout fait pour renverser le mée française intervienne au Mali et montré qu’une véritable révolution est
soutenabilité environnementale, moratoire sur les retraits en dol­ régime socialiste de Modibo Keïta. Le stoppe l’avancée vers le sud­ouest du à l’œuvre au Mali, révolution qui s’arti­
sans oublier la connectivité lars, afin d’endiguer l’hémorragie coup d’Etat du général Moussa Traoré, regroupement djihadiste. cule sur une alliance politique entre
technologique. financière. L’assainissement du en 1968, et la mise en place d’un sys­ une mouvance marxiste et nationaliste
Il faut également s’attaquer à système bancaire passe par un tème libéral ont quelque peu atténué Corruption « démocratisée » et une autre dite « islamiste », à condi­
trois problèmes : la restructura­ fonds doté de 25 à 30 milliards de ces inquiétudes, en dépit de la corrup­ L’opération Serval aboutit à la restaura­ tion de ne pas s’arc­bouter sur le carac­
tion de l’immense dette publi­ dollars. Les banques qui ne pour­ tion qui, à l’époque, prospérait autour tion d’un pouvoir civil au Mali sur l’en­ tère supposément « wahhabite » de
que, l’assainissement du secteur ront être sauvées devront être fu­ de la famille présidentielle et qui favo­ semble du territoire, à l’élimination Mahmoud Dicko.
bancaire et la résolution de la sionnées ou liquidées. risa à son tour l’éclosion d’un mouve­ temporaire des djihadistes et à l’élection Cette forte opposition populaire, pré­
crise énergétique. Tout d’abord, il ment social aboutissant à l’avènement triomphale d’Ibrahim Boubacar Keïta, sente surtout à Bamako et dans quel­
faut engager la restructuration Energie : s’accorder avec Israël de la démocratie, en 1991, et l’arrivée au en 2013, avec l’appui des leaders musul­ ques autres grandes villes, s’enracine
d’une dette publique qui repré­ Enfin, il est nécessaire de résou­ pouvoir d’Alpha Oumar Konaré. mans. Depuis, le pouvoir du président dans une population profondément
sente plus de 180 % du produit in­ dre la crise énergétique qui Autour des années 1990­2000, le Mali était en quelque sorte tenu en otage par musulmane qui suit Mahmoud Dicko
térieur brut (PIB). Le Liban a dû se empoisonne la vie des Libanais et devint ainsi un modèle de régime dé­ l’alliance, a priori contre­nature, entre le parce que lui­même et son mouve­
résoudre en mars à faire défaut entrave l’économie. En raison mocratique, surclassant le Sénégal qui « wahhabite » Mahmoud Dicko et le ment traduisent l’apparition d’un is­
sur sa dette, pour la première fois d’un manque chronique d’in­ jusque­là faisait l’unanimité de la com­ « soufi » Bouyé Haïdara qui, après l’avoir lam véritablement malien, loin des
de son histoire. Le déficit public vestissements, la production na­ munauté internationale. L’alternance soutenu, l’abandonnèrent lors de la fantasmes occidentaux et notamment
représente plus de 10 % du PIB, tionale d’électricité assure au­ démocratique réussie avec Amadou campagne présidentielle de 2018. français qui présentent son leader
soit autant que le service de la jourd’hui à peine la moitié des be­ Toumani Touré, en 2002, a conforté les Depuis, les affaires se sont gâtées entre comme inféodé à l’Arabie saoudite.
dette publique. Il est impossible soins du pays. Les subventions à puissances occidentales dans l’idée que le pouvoir, la société civile et les mouve­ L’avenir dira si cette révolution
de restaurer la viabilité des Electricité du Liban sont la pre­ ments religieux musulmans, en raison pourra se poursuivre et produire les
comptes sans imposer un mora­ mière source du déficit public de l’opposition au président, suspecté changements tant attendus par une
toire sur le service de la dette. après le service de la dette. Plu­ pêle­mêle de vouloir accroître son pou­ population qui, semble­t­il, a accompa­
Une solution consisterait à créer sieurs réformes du secteur ont voir en modifiant la Constitution, d’en­ gné avec ferveur la prise de pouvoir par
une caisse d’amortissement pilo­ été élaborées mais aucune n’a pu courager la pratique de l’homosexualité les militaires et la chute du pouvoir
tée par le Fonds monétaire inter­ être mise en œuvre. et l’enseignement de la théorie du genre, d’Ibrahim Boubacar Keïta qui en est la
national (FMI), en substituant L’exploitation des gisements de de vouloir abolir la pratique de l’excision, conséquence immédiate. 
gaz naturel découverts au large UNE VÉRITABLE etc. Tous ces projets de réformes ont ac­
des côtes permettrait d’alléger la cru l’audience des leaders religieux mu­
facture énergétique. Mais, pour RÉVOLUTION EST À sulmans opposés à la France, comme
cela, le Liban doit trouver un ac­ Mahmoud Dicko et Bouyé Haïdara.
cord avec Israël. Une médiation
L’ŒUVRE. REPOSANT A cela s’ajoute la corruption, qui s’est
Alexandre Kateb est des Etats­Unis a achoppé en rai­ SUR UNE ALLIANCE « démocratisée » depuis 1991, mais qui, Jean-Loup Amselle est anthropo-
maître de conférences son de désaccords sur le tracé des semble­t­il, s’est resserrée autour de la logue, directeur d’études émérite
à Sciences Po et auteur de frontières maritimes et de résis­ ENTRE MARXISTES famille présidentielle depuis un certain à l’EHESS, auteur de « Islams africains.
« Les Economies arabes en tances à la normalisation des rela­ temps. Autre raison de l’ire des nationa­ La préférence soufie » (Le Bord
mouvement. Un nouveau tions avec l’Etat hébreu. Le Liban NATIONALISTES listes maliens : le pouvoir, à travers l’ac­ de l’eau, 2017), et de « En quête
modèle de développement devra se doter d’une vision straté­ ET UNE MOUVANCE cord d’Alger de 2015, aurait accepté d’ac­ d’Afrique(s). Universalisme et pensée
pour la région MENA » gique et faire preuve de pragma­ corder son autonomie à l’Azawad. Les décoloniale » (Albin Michel, 2018),
(De Boeck Supérieur, 2019) tisme. Il en va de sa survie.  DITE « ISLAMISTE » dernières élections législatives de cette avec Souleymane Bachir Diagne
2
C’EST
D’ACTUALITÉ
v RENTRÉE LITTÉRAIRE
Les éditeurs entre
prudence et sérénité

3
MOTS DE PASSE
v Karl Ove
Knausgaard,
vainqueur
sur lui-même

Colum McCann
recolle les morceaux
du Proche­Orient 4|5
LITTÉRATURE
v Florence Seyvos,
Francesca Serra,
Brit Bennett,
« Apeirogon » : sous ce titre Pilar Quintana

emprunté à la géométrie,
l’écrivain irlando­américain
agence, en 1 001 fragments,
la tragédie du conflit israélo­
palestinien. Monumental Florence Seyvos.

6|7
PANORAMA
v Tour d’horizon
des essais à paraître
cet automne

8
HISTOIRE
D’UN LIVRE
v « Comédies
françaises »,
d’Eric Reinhardt

9
ESSAIS
Colum McCann, à Paris, en 2018. PATRICE NORMAND/LEEXTRA v Laurent Jenny
raconte son ouverture
au visible dans
Vingt­deux ans plus tard, alors qu’il est Rami Elhanan. Je suis le père d’Abir. Je suis hommes : les vignes du monastère de « Le Désir de voir »
traduit en 40 langues et couvert d’hon­ le père de Smadar. » Comme si tout dé­ Crémisan, la flamme du Saint­Sépulcre,
neurs – dont le National Book Award coulait de là. Comme si ces vérités, répé­ une oliveraie arrachée au bulldozer, le
pour Et que le vaste monde poursuive sa tées à l’infini, étaient les seules, peut­ goût du Coca­Cola en prison et, surtout,

florence noiville
course folle (Belfond, 2009) –, McCann,
55 ans, réussit encore à nous éblouir.
Apeirogon est son grand œuvre de la ma­
être, qui permettent encore d’avancer.
Pas à pas, à travers l’inextricable.
Ni simplisme ni angélisme chez
surtout, les oiseaux, omniprésents. Des
millions de migrateurs qui « survolent les
collines de Beit Jala depuis la nuit des
10
CHRONIQUES

R
entrée littéraire 1998. turité. En géométrie, ce mot dérivé du McCann. Ce qui l’en préserve, c’est juste­ temps » et qui, un peu comme McCann, v LE FEUILLETON
Même excitation, même grec (apeiron : être sans limite) désigne ment l’architecture « apeirogonique » de voient de très haut « les colonies israélien­ Camille Laurens
perplexité au pied des mon­ une figure au nombre infini de côtés. son livre. Un hyper, un archi­roman. nes, les immeubles palestiniens, les jardins a aimé « Sublime
tagnes d’ouvrages. Chez les Une forme que l’écrivain transpose har­ Explosé en exactement mille et un frag­ de toits, les casernes, les barrières, les royaume »,
étrangers, un titre attire diment en littérature pour tenter de sai­ ments. Brisures de réel, lambeaux re­ checkpoints… » de Yaa Gyasi
l’œil, Les Saisons de la nuit, sir les mille et une facettes d’un sujet cueillis après une déflagration. S’ouvrant Steven Spielberg a acheté les droits
chez Belfond. L’auteur est irlandais. non moins complexe et incernable : la d’Apeirogon. On est curieux de voir com­
Colum McCann. Inconnu en France. Il a tragédie sans fin du conflit israélo­ ment il traitera ce collage géant. Sur le
publié, déjà – un premier roman, Le palestinien. S’ouvrant sur les papier, le livre ressemble à une gigantes­
Chant du coyote (Marval, 1996) –, mais est Au cœur du livre, deux hommes, deux collines de Jérusalem que installation. Une grotte à l’intérieur
passé largement inaperçu. Son livre est pères, Rami et Bassam. L’un est israélien, de mots, de sons, de témoignages vrais,
un choc. On le déguste avec éblouisse­ l’autre palestinien. Tous deux ont perdu et se terminant de graffitis, de photographies… Sans
ment et gratitude. L’impression d’avoir, leur fille. Smadar avait 13 ans lorsqu’elle sur celles de Jéricho, jugement ni parti pris, Apeirogon est une
comme on dit, « inventé un trésor ». est morte dans un attentat­suicide à expérimentation littéraire unique. Un
Mais ce Colum McCann, qui est­il Jérusalem. Abir, 10 ans, a reçu une balle
le livre oscille entre monument au fronton duquel pourrait
donc ? On le rencontre à Manhattan, dans la nuque alors qu’elle achetait des hideur et beauté, être écrit : « La seule vengeance consiste à
dans les tunnels de Riverside Park, chez
les SDF dont il a fait ses héros. Drôle
d’endroit pour faire la connaissance d’un
bonbons. Avant cela, ces hommes
étaient amis. Des amis improbables que
le deuil va rapprocher encore. Unissant
flirte avec la poésie
et la non­fiction
faire la paix. » McCann en sait quelque
chose, lui qui a vécu les déchirements
irlandais. A la fin du livre, Yigal et Araab,
12
RENCONTRE
jeune Dublinois venu tenter sa chance à leurs peines, ils décident d’« exploiter la les fils de Rami et Bassam, poursuivent la v Fatima Daas :
New York après avoir traversé l’Amérique force du malheur » et d’aller témoigner mission de leurs pères, côte à côte sur « Le roman, c’est
à vélo. A l’époque déjà, l’homme a tout ensemble de par le monde. « Non pas en sur les collines de Jérusalem et se termi­ une scène de Tel­Aviv. « Nous ne parlons quand on n’est bien
vu, tout lu, et quelque chose n’en finit pas hommes de paix – le mot même de paix nant sur celles de Jéricho, le livre plonge pas de la paix, nous la faisons », dit l’un nulle part »
de résonner dans ses pages. Une empa­ était gênant parfois », mais en hommes dans tous les domaines. Il mélange poli­ d’eux. Chacun évoque la sœur de l’autre.
thie viscérale. Un art très inhabituel d’ha­ résolus à s’attaquer à « toutes les ignoran­ tique, religion, histoire, musique, orni­ Smadar et Abir. Abir et Smadar. « Pronon­
biter les vies des autres, de sentir avec ces, y compris la leur ». Dans les conféren­ thologie, géopolitique, géographie…, os­ cer leurs prénoms ensemble est notre
leurs narines, de respirer par les pores de ces, on les interroge sur les accords cille entre hideur et beauté, flirte avec la simple, notre unique vérité. » 
leur peau. Une prose impeccable, cristal­ d’Oslo, le droit au retour, le colonialisme, poésie et la non­fiction, se déploie en cer­
line, profonde. Bref, il est évident que ce l’impérialisme, l’ONU. « Un pays, deux cles de plus en plus larges pour absorber apeirogon,
McCann, dont le nom ne dit encore rien à pays, trois, huit ? » Eux commencent in­ tout ce qui, de près ou de loin, de l’infini­ de Colum McCann,
personne, ne va pas tarder à émerger en variablement leurs discours par : « Mon ment grand à l’infiniment petit, nous ap­ traduit de l’anglais par Clément Baude,
pleine lumière. nom est Bassam Aramin. Mon nom est prend quelque chose sur cette terre et ses Belfond, 512 p., 23 €, numérique 14 €.

Cahier du « Monde » No 23519 daté Vendredi 21 août 2020 ­ Ne peut être vendu séparément
2 | C’est d’actualité 0123
Vendredi 21 août 2020

Véronique Ovaldé, chroniqueuse Bon début Annie Ernaux


C’est « les mains dans les poches » que Véronique Ovaldé Les droits de Ce qu’il faut de nuit, en actes
succède à Mathias Enard pour livrer le journal de ses Le Monde dévoilera le (la) lauréat(e) de son prix littéraire, de Laurent Petitmangin, paru le
lectures en petit format pour « Le Monde des livres » (lire pour la huitième fois, le mercredi 9 septembre, 20 août à la Manufacture de livres, Les actes du colloque « Annie
page 10). La romancière et éditrice (chez Albin Michel) qu’on retrouvera le lendemain dans le supplément. ont déjà été vendus dans sept Ernaux : les écritures à l’œuvre », qui
construit depuis vingt ans une œuvre où se côtoient pays et sont en option pour une s’est tenu à l’université de Picardie
la fantaisie, le suspense et l’humour, du Sommeil des Dix livres sont en lice : Du côté des Indiens, d’Isabelle Carré, adaptation audiovisuelle. Ce en mars 2017, sont désormais
poissons (Seuil, 2000) à Personne n’a peur des gens qui Grasset ; Saturne, de Sarah Chiche, Seuil ; La Petite Dernière, premier roman d’un quinquagé- en ligne sur le site Fabula.org.
sourient (Flammarion, 2019), en passant par Et mon cœur de Fatima Daas, Notabilia ; Les Démons, de Simon Liberati, Stock ; naire originaire de Metz dissèque Un ensemble de contributions qui
transparent (L’Olivier, 2008) ou encore Des vies d’oiseaux Comédies françaises, d’Eric Reinhardt, Gallimard ; Le Pont de la relation d’un père célibataire et étudient notamment la poétique de
LAURENT SEKZIK

(L’Olivier, 2011). Avec cette chronique, il s’agira autant Bezons, de Jean Rolin, P.O.L ; Le Sanctuaire, de Laurine Roux, de ses deux fils, leurs choix de vie la liturgie dans La Honte (Gallimard,
pour elle de partager ses enthousiasmes que de donner Le Sonneur ; Elle a menti pour les ailes, de Francesca Serra, et leurs convictions divergentes au 1997), la cinématographie,
aux lecteurs une idée de la manière dont une écrivaine Anne Carrière ; Une bête aux aguets, de Florence Seyvos, fil du temps. ou encore les usages de la lettre
peut se nourrir de ce qu’elle lit. L’Olivier ; L’Enfant céleste, de Maud Simonnot, L’Observatoire dans la prose de l’écrivaine.

AGENDA

Dans une situation difficile, les éditeurs oscillent entre prudence et sérénité  Du 28 au 30 août :
L’Intime Festival,
à Namur (Belgique)

Une rentrée imprévisible et «hors­sol» Les lectures se tiendront cette


année à l’église Saint­Loup et la
cathédrale Saint­Aubain. En
ouverture, Catherine Salée
proposera celle d’Avant que
j’oublie, d’Anne Pauly (Verdier,
2019), et Reda Kateb celle
ÉDITION d’Entre eux, de Richard Ford
(L’Olivier, 2017). Parmi les invi­
tés figure Philippe Jaenada, qui
lira des extraits de La Petite
Femelle (Julliard, 2015). Quant à
zoé courtois Robert McLiam Wilson, en
résidence à Namur jusqu’en

A
quoi peut­on s’attendre pour novembre, il racontera son
cette rentrée littéraire ? Ne le entreprise en cours : collecter
demandez pas aux patronnes des récits de soignants, des
et patrons des maisons familles endeuillées, des forces
d’édition françaises : ils vous répondront de l’ordre, des employés des
qu’ils n’en savent rien. Ainsi d’Olivier pompes funèbres, des caissiè­
Nora, PDG de Grasset, qui qualifie cette res, des éboueurs, des pen­
rentrée de « hors­sol ». « L’ensemble des sionnaires des maisons de
capteurs dont nous bénéficions habituel­ repos afin de garder trace de la
lement (les premiers retours des libraires, crise sanitaire.
des journalistes et des membres des jurys) Intime­festival.be
n’émettent que des signaux faibles et
tardifs. » Même constat de son confrère  Du 11 au 20 septembre :
Manuel Carcassonne, chez Stock : « C’est Le Livre sur la place,
sûr, nous voyons moins clair dans cette à Nancy (Meurthe­et­
rentrée que d’habitude. » Ou à L’Olivier : Moselle)
« D’habitude, en juin, on a déjà une idée de Cette 42e édition, présidée par
ce qu’il en est », convient la directrice Leïla Slimani, propose près de
adjointe Nathalie Zberro. cent débats et entretiens. La
En avril, au plus fort de la crise sanitaire, programmation est éclectique,
le monde littéraire s’est fait peur. Dans qui fait se côtoyer Guillaume
les maisons d’édition, on s’interrogeait : Musso et Emmanuel Carrère,
comment, avec la fermeture des librai­ Joël Dicker et Erri De Luca,
ries, le télétravail des journalistes, l’en­ Amélie Nothomb et Camille
combrement des bureaux de poste, Laurens, Sarah Chiche et
allait­on parvenir à faire recevoir et lire La librairie L’Humeur vagabonde, à Paris 18e. SIMONE PEROLARI POUR « LE MONDE » Franck Thilliez. Une table
l’ensemble des nouveautés ? Pis, com­ ronde sur le thème des « Com­
ment les libraires et les journalistes bats ordinaires » réunira, le
– quand la rentrée littéraire se fait tou­ 12 septembre à 15 heures, au Pa­
jours à l’ombre de quelques colosses – rentrée déjà resserrée avait été bouclée riaux : “Est­ce que ce livre­là peut trouver en place (c’est­à­dire le nombre d’exem­ lais du gouverneur, Pierre Du­
allaient­ils réunir le temps, les moyens et avant le confinement, ou de Flamma­ ses lecteurs à tel moment de l’état du plaires commandés en amont par les li­ crozet (Le Grand Vertige, Actes
l’envie nécessaires pour faire des décou­ rion. Sa relative frugalité, explique sa monde ?”, rappelle Anna Pavlowitch. De­ brairies) sont atteints, et même parfois Sud), Thomas Flahaut (Les
vertes parmi les livres les plus fragiles ? présidente, Anna Pavlowitch, « est puis la pandémie, l’état du monde a dépassés ; les librairies ont enregistré des Nuits d’été, L’Olivier) et Alice
Mues par ces préoccupations, et quoi­ davantage la continuité d’une politique changé, et nous pensons que cela inter­ ventes record depuis la sortie du confine­ Zeniter (Comme un empire
que leurs programmes de la rentrée aient éditoriale de recentrement que [la maison roge les lecteurs. » En conséquence, l’édi­ ment (Le Monde du 7 août). Evidemment, dans un empire, Flammarion).
déjà été établis, les maisons d’édition les s’efforce] de mener depuis quelques teur a renforcé la présence dans son il convient de rester prudent. Sabine Lelivresurlaplace.nancy.fr
plus prolifiques ont alors pris des disposi­ programme des livres qui évoquent des Wiespeser témoigne d’une « certaine ten­
tions d’allégement du menu de septem­ problématiques sociales. La part de la sion économique » : « Je n’ai publié qu’un  Du 17 au 20 septembre :
bre. Ce sont les premiers romans qui ont Les premiers romans non­fiction a augmenté de plus de 20 %. livre en cinq mois, alors que je fais habi­ Les Rencontres de
surtout été concernés. Pour ceux d’entre de langue française seront Quant à Sabine Wespieser, patronne de la tuellement 80 % à 90 % de mon chiffre Chaminadour, à Guéret
eux qui sont écrits en langue française, ils maison qui porte son nom, elle a re­ d’affaires sur les nouveautés. » (Creuse)
seront environ 20 % de moins que l’an
environ 20 % de moins que poussé l’un des trois titres prévus pour la Et, au­delà de la seule rentrée, le calen­ La romancière Geniève Brisac
passé : la publication professionnelle l’an passé : la publication rentrée, « en accord avec son autrice », drier littéraire restera durablement per­ réunit des écrivains (Agnès
Livres Hebdo en compte 65, contre 82 professionnelle « Livres parce qu’il « ne rencontrait pas aussi im­ turbé. La suppression des salons (et des Desarthe, Pierre Michon, Flo­
en 2019 (rapporté à 2,4 % de livres en médiatement que les deux autres les pré­ recettes qu’ils permettent) fait dire à rence Seyvos, Cécile Wajsbrot,
moins par rapport à l’an passé – 511 con­ Hebdo » en compte 65, occupations de ce moment si particulier ». Gilles Haéri, président d’Albin Michel, Mathieu Larnaudie, Jakuta
tre 524). « Notre crainte, justifie Antoine contre 82 en 2019 Comme bon nombre de recalés de cette que, aussi optimiste qu’on puisse être, Alikavazovic, Olivier Rolin…) et
Gallimard, président des éditions du rentrée d’automne, celui­ci paraîtra en « la crise ne se fera pas totalement des chercheurs de diverses
même nom et du groupe Madrigall, était janvier, pour la rentrée d’hiver. oublier ». Simon Philippe Turcot, de la générations pour évoquer la
que les romans très attendus étouffent ces années, qu’une conséquence de la Malgré ces aménagements, la plupart maison québécoise La Peuplade, souli­ figure et l’œuvre de Virginia
nouvelles voix. En conséquence, nous pandémie ». des éditeurs abordent les mois à venir se­ gne, lui, le fait qu’« avec la disparition de Woolf. Au programme de cette
avons reporté nos six premiers romans à Plus remarquable, l’épidémie a parfois reinement. Avec enthousiasme, même, l’événementiel littéraire, tout repose en­ 15e édition : conférences, tables
janvier. » D’autres maisons s’efforçaient, réorienté les directions éditoriales. Tel a car certains indicateurs sont encoura­ core davantage sur la librairie ». D’où l’es­ rondes, lectures et projections
dès avant le Covid­19, de limiter leur offre justement été le cas chez Flammarion : geants. Des premiers romans sont déjà poir, plus que jamais, que les Français de films.
d’automne. Ainsi de L’Olivier, dont la « Une question guide nos choix édito­ en réimpression ; les objectifs de mises continuent de voir en elle un refuge.  Chaminadour.com

UN E CO L L ECTION « LE MONDE » Victor Hugo, l’édition Hetzel

« Les Misérables », tome II


L’heure a sonné. La bataille de 60 000 morts sur le champ de une religion et une humanité infé­ Premier Empire qui, après avoir critique, une méditative solitude,
Waterloo trébuche dans un che­ bataille. rieures, et c’est vers la société favorisé le progrès, lui a fait obs­ sont les voies que Victor Hugo
min creux. Le fossé détrempé De ce terrible constat, Victor d’en haut, vers l’humanité d’en tacle. Et s’il a cru voir dans la instille, défend et trace au fil
d’Ohain met la Grande Armée en Hugo dessine le monde après haut et vers la religion d’en haut victoire de Wellington au Mont­ de son récit. La foi qu’il dépeint
déroute et l’empire en péril. Ainsi Napoléon où, finalement, rien ne que je tends ; société sans roi, Saint­Jean l’augure de temps ne s’embarrasse ni de rite ni de
s’annonce la fin des ambitions change par la seule gouvernance humanité sans frontières, religion nouveaux, il déchante en mesu­ dogme. Elle nourrit l’élan et l’em­
napoléoniennes, compromises des hommes. Cosette en incarne sans livre… Si le radical, c’est rant les forces réactionnaires en pathie qui rendent l’homme plus
par l’imprévu surgi d’une nature l’innocente héritière l’idéal, oui, je suis radical. » puissance. Mais, viscéralement grand. Sous sa plume, l’histoire
toute­puissante. Le deuxième et victime. Mais elle porte en elle attaché à l’humain, Hugo relit la de l’humanité peut bien
tome des Misérables entre dans la résiliente énergie de ceux qui Une active espérance grande histoire à l’aune des peti­ basculer, seul compte ce que l’on
l’histoire et le fracas de la guerre. n’y sont pour rien et que l’on A l’effroyable machinerie de la tes gens, du soldat Thénardier construit pour et avec l’autre. 
Fantassins, cuirassiers, artilleurs, minore. A Lamartine, Hugo misère, imbriquée telle une irré­ au courageux Jean Valjean qui, christophe averty
empêchés et retardés, vivent confiera sans détour le fond de pressible constante dans une bien que traqué, ne se détourne
l’apocalypse de la défaite. Sou­ sa pensée historique : « Oui, une humanité sans mémoire, Hugo jamais de son but humaniste et « les misérables », tome ii,
dain l’hubris du génie militaire société qui admet la misère, oui, oppose l’intelligence d’une active généreux envers Cosette, quitte à de Victor Hugo,
s’effondre pour ne semer que une religion qui admet l’enfer, oui, espérance. Malgré son admira­ se compromettre. une collection « Le Monde »,
désolation et douleur. Quelque une humanité qui admet la tion pour Napoléon Ier, il a pres­ Tordre son destin, acquérir en vente chez les marchands
180 000 combattants laisseront guerre me semblent une société, senti l’inéluctable disparition du recul et sagesse par une réflexion de journaux, 9,99 €.
0123
Vendredi 21 août 2020
Mots de passe | 3

Vérité
S’il juge le plus sévèrement son récit à
l’aune de la morale, le narrateur reprend
sans cesse le risque d’écrire au nom d’une
poétique de la vérité. Une poétique qui
nils c. ahl hante Mon combat depuis la première
page. Une vérité du moindre détail, de­

P
resque dix ans après sa puis le plus petit mouvement du visage,
parution originale en la moindre cigarette, jusqu’à la révélation
Norvège, Mon combat, le de ce qui gêne, de ce qu’on cache. Il faut y
grand œuvre autobiogra­ voir probablement une manière de saisir
phique de Karl Ove Knausgaard, le temps, un temps qu’il ne s’agit pas
achève enfin de paraître en fran­ d’avoir perdu ou de retrouver, ici.
çais. Aux longs fleuves (plus de Mais, avec Fin de combat, la vérité de­
4 800 pages sur 6 tomes), les lar­ vient chose publique, la vérité est lue.
ges embouchures, voire les del­ Cela change tout. C’est l’enjeu à la fois des
tas : plus de 1 400 pages pour cet attaques médiatiques et des menaces de
ultime volume qui se décline en procès de l’oncle du narrateur, l’origine
trois parties bien distinctes (dont aussi de la déception de sa première
un véritable essai entre deux femme (il lui avait demandé de ne pas lire
épaisses tranches de roman) – et certains passages, qu’elle découvrirait
un sentiment presque de désola­ après coup) et de la longue dépression de
tion pour conclure. En dépit d’un Linda dans la troisième partie. La vérité
final joyeux de quelques pages, fonctionne comme une obligation poéti­
beaucoup d’anxiété en effet, de que mais se révèle désastreuse dès qu’elle
culpabilité aussi, dans ce monu­ quitte la sphère intime, et les atermoie­
ment d’écriture à vif et sur le vif. ments du narrateur sont à ce titre inten­
Quand s’ouvre ce sixième vo­ sément ambivalents – mais d’une rare
lume, la difficulté du narrateur à franchise : « La vérité, c’est que lorsque je
concilier vie de famille et écriture me suis attelé à l’écriture de ce roman, je
est plus irréductible que jamais : à n’avais rien à perdre. C’est pour ça que je
l’automne 2009, le premier tome l’ai écrit. » Livre de vérité, vérité du livre,
de Mon combat est sur le point de Mon combat a tout changé, y compris
paraître, les épreuves circulent, pour son auteur et sa famille, comme ce
déclenchant une violente réac­ dernier tome le reconnaît : « Moi non plus
tion en chaîne. Une réaction qui je ne suis plus le même qu’à mes débuts.
surprend son auteur, presque dé­ Enfin, je suis sûrement le même, mais mes
semparé, partagé entre la culpabi­ relations ont changé. » Et le montre : l’écri­
lité et le besoin d’aller jusqu’au vain est devenu personnage public, écrire
bout d’une aventure littéraire est devenu une responsabilité. Et une
alors qu’il est encore au cœur de autre ambivalence d’apparaître : il faut
sa rédaction (puisqu’il met à ce l’assumer, publiquement.
moment une dernière main au Karl Ove Knausgaard, à Paris, en 2017. STÉPHANIE LACOMBE/PINK/SAIF IMAGES
troisième tome).
On le devine au bout de quel­
ques pages, cette coda qui prend
Nom

Karl Ove
le temps, bien intitulée Fin de
combat, est l’occasion pour la nar­ A ce titre, il est beaucoup question du nom, de ce que cela veut dire. On
ration d’un retour sur elle­même. nomme beaucoup dans Fin de combat. De manière quelque peu anec­
Une manière de revisiter le projet dotique, pour un lecteur norvégien, c’est ainsi toute la scène littéraire
dans son ensemble, de mettre en nationale (et un peu plus que cela, puisque journalistes, artistes, et
perspective, d’organiser ses diffé­ d’autres personnalités sont citées) qui défile dans ce texte – où les lectu­

Knausgaard,
rentes polarités, ses différents res, présentations, opérations de promotion, prennent une place cer­
centres de gravité. taine. Avec un léger doute, parfois, car on a le sentiment que le narra­
teur ne veut surtout pas se fâcher…
Plus essentiellement, cependant, la question du nom est le cœur bat­
Boucle tant du texte, le lien entre les trois parties – le cœur du conflit, aussi, qui

vainqueur
De digressions en détours, parfois oppose l’auteur à sa famille, laquelle ne veut pas voir écrit le nom du
sans autre fil apparent que la père. Et il résiste, proteste, car la nomination a toujours quelque chose
chronologie familiale, Mon com­ d’une opération « magique » : le nom est ce qu’il nomme… A moins qu’il
bat finit donc par se rencontrer ne s’agisse d’une opération « criminelle », plutôt, en tout état de cause :
lui­même, dans le passé, au mo­ « La seule chose inhabituelle dans mon roman, c’est que ces événements
ment où il se matérialise dans les ordinaires sont associés à des noms réels, et décrits comme propres à des

sur lui-même
librairies norvégiennes. En sui­ personnes particulières. (…) Dans un roman, le nom fonctionne comme
vant un mouvement narratif as­ un visage. » Et de faire mine de s’excuser encore, ici, comme si la culpa­
sez comparable, toutes choses bilité guidait le mouvement de la narration : d’avoir donné les noms,
égales par ailleurs, à celui d’A la re­ montré les visages de ceux qui n’avaient rien demandé. Ce mouvement
cherche du temps perdu – dont il de la narration devient presque poétique dans la troisième partie de Fin
était beaucoup question dans le de combat, l’écriture tournant toujours autour de cette culpabilité ren­
premier tome (La Mort d’un père, forcée par la dépression de Linda. Comme une obsession rare, belle
dans son honnêteté impuissante. 
Denoël, 2012). Quelques jours
avant la mise en vente, après avoir L’écrivain norvégien signe « Fin de combat »,
lu les épreuves, l’oncle du narra­
teur écrit à son neveu qu’il ne lais­ dernier tome de son colossal roman
sera pas salir son patronyme. Il
exige des coupes, des rectifica­
autobiographique, « Mon combat ».
tions. L’affaire prend une certaine
ampleur, à l’époque, en Norvège,
L’auteur y revisite son projet Ultimes ambivalences narratives
mais Fin de combat l’envisage sur­
tout du point de vue du person­
et ses conséquences. Mise en perspective KARL OVE KNAUSGAARD EST UN
IRRÉSISTIBLE ÉCRIVAIN DE LA
du père, les ambitions artistiques contra­
riées, les difficultés matérielles… Poin­
nage Karl Ove, de sa panique, de DIGRESSION. Le genre autobiographi­ tant l’omniprésence de la première (je,
son angoisse, sans tomber dans la que, l’écriture presque automatique de nous) et de la troisième personne (ils, les
chronique judiciaire. Mon combat y invitent fortement, cer­ juifs) dans Mein Kampf, à l’exclusion de
Alors que certaines scènes sont Père tes, mais toute sa virtuosité se révèle la deuxième, le narrateur s’interroge éga­
parfois à la limite de la tragi­co­ A cet égard, la figure du père, telle qu’elle se dégage de cet ultime vo­ quand il joue avec le statut de sa nar­ lement sur le rapport entre le mal et la
médie, la gravité finit par s’invi­ lume, est particulièrement troublante. Le combat contre le père, c’est ration, son genre, qui semble osciller grammaire…. Entre autres mille choses.
ter. Mon combat rompt avec l’idée l’origine même de l’écriture de ce monument autobiographique. Un jusqu’au point de devenir presque Dire que cette partie du roman a laissé
de l’autobiographie qui soigne, combat contre la violence de cet homme, notamment dans le premier indéfinissable. certains critiques perplexes, en Norvège
qui soulage : « Ce roman a fait du tome, alors que le narrateur a lui­même de jeunes enfants. A ce mo­ Dans Fin de combat, il en va un peu ou ailleurs, est un euphémisme. On
mal à tous ceux qui me sont pro­ ment­là, c’est comme si un géniteur en compensait un autre : Karl Ove différemment, la partie centrale, intitu­ peut néanmoins considérer qu’il s’agit
ches, il m’a fait du mal à moi », re­ est aimant, attentif, il s’occupe de ses enfants autant que possible. On lée « Le Nom et le Nombre », se présen­ là du stade ultime de l’ambivalence nar­
connaîtra finalement le narra­ retrouve d’ailleurs ces passages toujours touchants dans Fin de combat, tant comme un essai enchâssé. La rative de Mon combat : le narrateur, Karl
teur. La terrible dépression de sa quand, entre une heure d’écriture, une analyse de Joyce et une relecture question du nom, de la nomination, y Ove, écrit exactement ce qu’il pense.
femme Linda, déclenchée par sa de Zweig, le narrateur lit Laban, le petit fantôme à ses enfants… est envisagée d’une autre manière, Pour le meilleur et pour le plus difficile.
lecture du texte (elle finit hospita­ Mais avec le livre qui paraît à l’automne 2009, la violence ressurgit. complémentaire à ce qu’il est dit Sans épargner personne, ni lui ni
lisée), est au cœur de la troisième Certes, son propre père est bel et bien mort, cette fois, comme Karl Ove ailleurs. Deux passages retiennent nous.  n. c. a.
et dernière partie du sixième s’en rend compte pendant un festival littéraire à Odda, dans l’ouest de la l’attention : une analyse remarquable
tome, écrite au fil de l’eau, à l’été Norvège : « Et ce fut là, sur cette scène à Odda, que je compris pour la pre­ d’un poème de Paul Celan et une lec­ fin de combat. mon combat, livre vi
2011, par moments presque sous mière fois ce que signifiait la mort de papa. » Mais dans ce sixième tome, ture commentée de Mein Kampf, (Min kamp. Sjette bok),
la forme d’un journal. L’équilibre rongé par la culpabilité (« Qu’est­ce qui m’avait pris d’écrire cela ? »), une d’Adolf Hitler (1925­1926). Une manière de Karl Ove Knausgaard,
entre ironie et gravité finit par violence en chasse une autre. Comme un écho. Au sortir d’une lecture, de revenir sur le titre du cycle roma­ traduit du norvégien par Christine Berlioz,
s’effacer au profit de quelque il réalise soudain : « Je leur avais jeté Vanja, Heidi et John en pâture. » Plus nesque lui­même ? Pas seulement, Laila Flink Thullesen, Jean­Baptiste
chose d’assez noir. Comme si Fin tard, à la toute fin du livre, le ton est encore plus définitif : « Dans quel­ puisque la chose dure 400 pages et Coursaud et Marie­Pierre Fiquet,
de combat revisitait en mineur ques années, quand ils seront assez grands pour le lire, [ce roman] fera du trace un drôle de parallèle entre Denoël, « Denoël & d’ailleurs », 1 408 p., 32 €,
Mon combat dans son ensemble. mal à mes enfants. » l’auteur et Adolf Hitler : la violence numérique 23 €.
4 | Littérature | Critiques 0123
Vendredi 21 août 2020

L’écrivaine a mis au centre de son œuvre l’enfance, ses ombres et ses lumières. Précaire culture
Il y a quelque chose de pourri
A nouveau dans « Une bête aux aguets », avec Anna, pour qui le réel s’est fracturé à la Tannerie. Des odeurs d’égouts
envahissent les recoins de cette

Florence Seyvos, à la folie


nouvelle institution culturelle.
A ces remugles, Jeanne, jeune
Bretonne embauchée (en CDD)
comme « accueillante », prête
d’abord peu attention, tant elle est
impressionnée par cet « univers
coloré » et par ses nouveaux collè­
gues, en particulier son chef, Ju­
lien. Ancrant son quatrième livre
dans notre époque, à travers l’évo­
cation des mouvements Nuit de­
bout et contre la loi travail, Celia
Levi a écrit un roman d’apprentis­
sage dans la pure tradition du
xavier houssin XIXe siècle. Mais c’est de la préca­
rité autant que de la violence des

E
lle s’était reconnue dans échanges en milieu tempéré que
le tableau. Et il ne s’agis­ son ingénue héroïne va faire l’ex­
sait pas de ressemblance, périence. Elle va découvrir qu’une
de visage, d’attitude. entreprise culturelle n’en est pas
Non. Le trouble était d’autant moins une entreprise, avec la bru­
plus grand que c’était la toile tout talité et l’hypocrisie des rapports
entière qui semblait la refléter. que cela sous­tend, peu importent
Qui dévoilait son âme, ses pen­ les discours de façade. Entre
sées. Et qui la trahissait. Anna Flaubert, Rohmer et feu la Revue
avait passé l’après­midi avec perpendiculaire (qui voulait forer
Ariel, son amoureux. Près du lit l’époque, notamment à
traînait un livre d’art qu’elle travers le monde du travail), l’écri­
s’était mis à feuilleter. Elle y avait vaine signe un
retrouvé cette Annonciation roman dont l’im­
attribuée, peut­être, à Léonard de peccable classi­
Vinci, qu’il lui avait montré lors cisme et le calme
d’une visite au Louvre. Elle se apparent dissimu­
souvenait qu’il lui avait fait re­ lent une colère
marquer les traits communs en­ brûlante. 
tre la Vierge et l’archange. « Pres­ raphaëlle leyris
que jumeaux », avait­il dit.  La Tannerie,
Mais quelques pages plus loin, de Celia Levi,
elle était tombée sur la reproduc­ Tristram, 384 p., 21,90 €.
tion d’une autre Annonciation.
Celle de Lorenzo Lotto, un peintre
vénitien du XVIe siècle. Là, Marie Florence Seyvos, à Paris, en 2015. PATRICE NORMAND/OPALE/LEEMAGE
offrait une attitude étonnam­ Luberon, terre antique
ment différente des autres repré­
sentations qu’elle avait pu voir. revanches. Ça se bous­ L’œuvre entière de Flo­ au souvenir, à l’idée d’un avant, Le primo­romancier Olivier Mak­
Les yeux effarés, elle ouvrait les cule, ça s’agite, ça se rence Seyvos est dévolue à d’un ailleurs où ils peuvent Bouchard a le sens de l’esthétisme.
mains comme pour une oraison, calme soudain. Le pire, le l’enfance. Elle en a une trouver refuge. Prenez le superbe tableau qui inau­
mais ses paumes semblaient tout meilleur. La magie noire, connaissance intime. Elle Florence Seyvos a aussi beau­ gure Le Dit du mistral : dans les re­
à la fois repousser et accueillir et puis la blanche. la prend au sérieux. Elle coup écrit pour la jeunesse. Avec liefs ocre du Luberon, la terre d’un
l’étrange et effrayante grâce Depuis qu’elle a failli comprend ce qu’envelop­ la même attention. Clarisse, la verger s’ouvre tout à coup à la fa­
qu’était venu lui révéler le messa­ mourir d’une rougeole pent les silences et les ri­ petite fille de La Tempête (L’Ecole veur d’un orage. D’antiques tes­
ger de Dieu. Au plein milieu, tra­ mal soignée à 12 ans, res, connaît la gravité des des loisirs, 2002), n’a pas peur de sons de poterie et le visage sibyllin
versant la scène, un chat hérissé Anna vit à côté d’elle­ regards clairs et celle des l’ouragan qui va détruire sa d’une femme gravé dans le calcaire
s’enfuyait. Anna avait refermé le même. Les décors, les fronts étonnés. Gratia maison. Son lit se transforme en surgissent alors de sous un ceri­
livre avec angoisse. « Il ne fallait gens filent et elle se voit marcher. (L’Olivier, 1992), son premier radeau où elle vogue avec ses sier. Mais l’esthète ne manque pas
pas qu’Ariel regarde ce tableau. S’il Seule, et curieusement dédou­ texte, était un conte un peu cruel parents. Elle aussi joue à faire de sens pratique. Pour ses person­
le regardait, il me verrait. Il saurait blée. Elle entend des voix et lit où disparaissaient des enfants semblant. nages – le propriétaire du terrain et
qui j’étais vraiment. Et il se détour­ dans les pensées. Une force dou­ mal vieillis. Affaire de jours qui Les lecteurs de Lewis Carroll, son voisin –, il est exclu de préve­
nerait de moi. » loureuse l’habite. Qui a pris pos­ s’écoulent, d’années qui filent. ceux qui savent que son pays des nir la mairie et d’attirer l’attention.
session d’elle à peine la fièvre Trop vite, qui sait ? Avec Les merveilles tient davantage d’un Pis, de se risquer à perdre les ceri­
tombée. Comme si la maladie Apparitions (L’Olivier, 1995), elle effrayant jeu de piste que d’une siers ! Commencent alors pour les
Depuis qu’elle a failli l’avait rendue fragile, poreuse. s’aventurait plus loin encore promenade enchantée, se trou­ deux hommes de laborieuses
mourir d’une rougeole « La réalité s’était fracturée et me dans les bizarreries du refus de veront une foule fouilles sauvages. Olivier Mak­Bou­
laissait entrevoir un gouffre, une grandir. Tout son propos est là. Ça d’affinités avec Une une bête aux aguets, chard loge son fantaisiste et
mal soignée à 12 ans, fente entre deux pans de rideau. a beau être le temps du passage, bête aux aguets. A de Florence Seyvos, convaincant premier roman dans
Anna vit à côté d’elle­ Par moments, la lumière venait de ça ne passe pas. Et rien n’y fait. Ni défaut de boissons L’Olivier, 140 p., 17 €, un Sud illisible à force d’être pétri
même. Les décors, les derrière le rideau et les personnes l’âge ni la raison. La très jeune magiques et de gâ­ numérique 12 €. de littérature. Lui tire le meilleur
autour de moi ressemblaient alors fille de L’Abandon (L’Olivier, 2002) teaux qui font rape­ parti de ce dense feuilletage narra­
gens filent et elle se à des ombres. J’étais presque tou­ ne peut vivre l’amour absolu qu’à tisser (ou… grandir), Anna avale tif et, à mesure que la fouille pro­
voit marcher. Seule, et jours sur le qui­vive, j’avais peur, je la condition qu’il soit inaccessi­ les pilules blanches et bleues qui gresse, met au jour ce qui connecte
curieusement dédoublée ne savais pas exactement de quoi, ble. Il lui faut rêver, mais surtout sont censées la protéger des dan­ ces histoires.
mais je m’attendais à être atta­ pas vivre. Devenir adulte ? Il en gers de l’existence. Et la mainte­ Comme la langue
quée (…). Derrière le rideau quel­ est qui ne le sont jamais vrai­ nir dans une inoffensive paren­ provençale, dont il
que chose me guettait, une bête ment. Ils se sont endurcis, ont ca­ thèse. « Si tu n’étais pas folle, tu ne fait un très bel – et
Une bête aux aguets, le nouveau invisible animée de la plus pure paraçonné leurs émotions gami­ serais pas venue ici », dit à Alice le aujourd’hui assez
roman de Florence Seyvos, est sauvagerie, qui un jour bondirait nes comme dans Le Garçon incas­ Chat du Cheshire. Et Anna, suivie rare – usage. 
une singulière histoire de lisières. pour me déchirer le visage. » Alors sable (L’Olivier, 2013). Ou se sont par ses voix, de répondre en zoé courtois
De pas de côté. De chemins em­ elle fait semblant. Avec sa mère, accrochés, comme Suzanne et écho : « Cela ne m’effrayait pas. Je  Le Dit du mistral,
broussaillés. S’y mêlent des ter­ avec sa meilleure amie, Christine, Thomas, le frère et la sœur de La me disais, c’est donc ça, quand d’Olivier Mak­
reurs et des rêves légers, d’indi­ avec ce garçon qu’elle aime. Elle Sainte Famille (L’Olivier, 2016), à on devient fou, ça commence Bouchard, Le Tripode,
cibles chagrins, d’incroyables joue à exister. une part fugitive de douceur, comme ça. »  360 p., 19 €.

Disparition d’une jeune fille connectée


Une sale affaire de harcèlement sur les réseaux sociaux. « Elle a menti pour les ailes », premier roman puissant de Francesca Serra

tout ce que vous faites semblant d’être, Quand on voit Garance Sollogoub, l’hé­ sa meilleure amie. Jusqu’à ce qu’une ly­ D’une extrême méticulosité dans la
mérite désormais d’être consigné dans la roïne du roman, « telle qu’elle est », on dé­ céenne très en vue la « follow » sur Insta­ description du processus ayant conduit
banque mémorielle mondiale » ne pourra couvre une jeune fille à « l’énergie super­ gram et l’invite à la soirée qu’elle donne au harcèlement et à la disparition de
être qu’admiratif face à la puissance ro­ ficielle », « ni idiote ni très intelligente, vo­ pour Halloween. Quelques chapitres Garance, le roman de Francesca Serra
manesque d’Elle a menti pour les ailes, et à latile, amusante parfois, singulière par plus tard, en mai 2016, « l’air est lourd, les connaît sans doute quelques longueurs.
florence bouchy sa capacité à décrire au plus près la vie tu­ éclairs intermittents, banale dans ses am­ corps sont serrés et solidaires » dans la Mais la justesse de son regard est à ce
multueuse d’une bande de lycéens vivant bitions et ses désirs… Un tourbillon de cour du lycée : Garance a disparu. Fugue, prix : c’est cette générosité à l’égard des

S
ans doute faudrait­il demander dans une petite station balnéaire du sud­ troubles sans importance, de vie sans enlèvement, suicide, nul ne le sait. Le adolescents, cette empathie – qui n’exclut
aux adolescents et jeunes adul­ est de la France. Tout en explicitant, voire conscience », une jeune fille de son épo­ roman alterne les chapitres relatant les pas l’analyse et le jugement en creux –
tes d’aujourd’hui s’ils se re­ en décodant leurs comportements, sans que, constamment connectée aux ré­ événements ayant eu lieu depuis la fête qui lui permet d’éviter les clichés et de
connaissent dans le premier faire preuve de condescendance à leur seaux sociaux mais qui, contrai­ d’Halloween et ceux qui retra­ proposer ce coup de sonde remarquable,
roman de Francesca Serra. Et si la ro­ égard ni de didactisme envers le lecteur. rement aux clichés liés aux récits cent l’enquête menée par les ins­ à la fois captivant et sensible, dans l’esprit
mancière, presque quadragénaire, a bien Si les milléniaux peuvent être considérés d’adolescence, « ne cherche pas à pecteurs de police auprès des du temps. Et d’oser introduire une langue
su rendre sensible l’état d’esprit de la gé­ comme « la première génération à faire exister plus que ça ». camarades de classe de Garance, contemporaine, oralisée, sans que le pro­
nération Z, née au début des années quotidiennement le récit d’elle­même », ils A l’ouverture du roman, en sep­ dont les comptes Instagram, cédé paraisse artificiel ou freine la lec­
2000, qui n’a pas connu le monde sans ont trouvé avec Francesca Serra la plume tembre 2015, elle est surtout « une Facebook ou Snapchat sont ana­ ture : un travail d’orfèvre et d’équilibriste
Internet et a construit sa sociabilité sur alerte et aiguisée capable de donner une beauté rare » qui ne semble pas lysés pour comprendre ce que qui révèle une autrice talentueuse. 
les réseaux sociaux. cohérence et un souffle – presque épi­ en avoir vraiment conscience. Et tous s’évertuent à cacher : Ga­
Mais quiconque a côtoyé ou observé, que – à ces vies en apparence désor­ une adolescente raisonnable assi­ rance a été victime de harcèle­ elle a menti pour les ailes,
sans toujours la comprendre, cette géné­ données et fragmentées, pas encore due à ses cours de danse, parta­ ment sur les réseaux sociaux, et de Francesca Serra,
ration pour qui « tout ce que vous êtes, conscientes d’être en quête de sens. geant fous rires et passions avec aucun adulte ne s’en est douté. Anne Carrière, 470 p., 21 €.
0123
Vendredi 21 août 2020
Critiques | Littérature | 5
Gorki, disciple de Zola
La Russie à la fin du XIXe siècle. Un
cordonnier, violent et ivrogne, et
son épouse abrutie et battue. Ba­
garres et cuites se succèdent sur
fond de misère sans nom quand
survient une épidémie de choléra
zoé courtois qui change tout. Presque contre
leur gré, les époux se trouvent im­

D
es peaux suffisamment pliqués dans les soins des malades
diaphanes pour que le bleu à l’hôpital, et le monde qui, jus­
des veines en perce la transpa­ qu’ici, se limitait au sinistre sous­
rence, et des cheveux clairs à sol leur servant de logis et d’atelier
peine perturbés par une discrète ondula­ s’ouvre et se délite. Une « socialisa­
tion. Voilà l’idéal de beauté poursuivi de­ tion » inattendue qui transformera
puis des années par les membres de la à jamais le destin de chacun d’eux.
communauté noire de Mallard, en Loui­ Dans ce récit paru en 1897, l’auteur,
siane, dans le sud profond des Etats­ Maxime Gorki, (1868­1936) est en­
Unis. Et, à force de temps et d’unions core loin du parangon du « réa­
avec plus blanc qu’eux, ils y sont parve­ lisme socialiste » qu’il deviendra
nus. Jusqu’à ce que l’une des jumelles sous le régime soviétique. Ici, c’est
Vignes, lesquelles avaient fugué qua­ encore un écrivain naturaliste qui
torze ans plus tôt pour La Nouvelle­ parle, un disciple de Zola. Il connaît
Orléans, reparaisse en ville, en serrant bien le milieu qu’il dépeint, dont il
contre elle une enfant « noir­bleu ». est lui­même issu. Malgré le mili­
A Mallard, les gens crient au gâchis, à la tantisme appuyé, la condamnation
provocation : Desiree Vignes n’en a cure. peu nuancée du « régime tsariste
Elle a le cœur brisé. Non tant parce que aliénant », on retiendra la peinture
« personne ne lui avait dit que la colère puissante des conditions de vie du
d’un homme marquerait plus facilement prolétariat russe à l’aube du
sa peau » que le soleil de Louisiane (d’où XXe siècle. Une « tranche de vie »
son retour déconfit), mais parce que, peu que le maître français lui­même
après leur arrivée à La Nouvelle­Orléans, MYLÈNE BLANC/PLAINPICTURE n’aurait certaine­
sa sœur jumelle Stella est « devenue blan­ ment pas
che » et s’est volatilisée. Ont suivi pour désavouée. 
Desiree (puis sa fille, Jude, une fois elena balzamo
celle­ci devenue étudiante) près de trente  Les Epoux Orlov
ans de recherche dans l’espoir de retrou­
ver la jumelle égarée, cette « autre moitié En Louisiane, les destins de jumelles si peu noires qu’elles (Souprougui Orlovy),
de Maxime Gorki,
de soi ». Stella, elle, a tiré un trait sur Mal­
lard et Desiree. Elle aussi a eu une fille, peuvent passer pour blanches. « L’Autre Moitié de soi », de traduit du russe
par Claude Momal,
Kennedy, qu’elle a élevée en lui disant Allia, 128 p., 7 €,
que l’« on ne joue pas avec les Négros ». Et, Brit Bennett, grand roman sur l’identité afro­américaine numérique 4 €.
bien entendu, elle n’a jamais avoué à qui
que ce soit qu’elle n’était pas, selon les
critères raciaux américains, blanche.
Aux Etats­Unis, ce deuxième roman de
Brit Bennett (après Le Cœur battant de
nos mères, Autrement, 2017) connaît
La couleur des peaux et des cœurs Une vie unique
Shlomo, nonagénaire, perd la mé­
d’ores et déjà un succès phénoménal. moire. A son chevet, sa fille Noga
Tandis que la chaîne HBO s’en est offert consigne ses dernières semaines,
les droits en vue d’une minisérie dont fait historique, le « passe blanc » (en Mallard, « ils n’aiment que les Nègres de l’essayiste sur le colorisme, Bennett y entre agissements absurdes et
son autrice sera productrice exécutive, créole, depuis traduit par « white pas­ blancs. Tu t’y plairais », résume Jude à sa puise matière pour évoquer les mécani­ brefs retours à la raison. Elle s’ef­
L’Autre Moitié de soi caracole en tête des sing » dans les milieux militants lo­ cousine Kennedy. ques politiques à l’œuvre dans les rela­ force de retracer la vie de ce père
ventes. Il est aussi en cours de traduction caux). L’expression désignait, dès avant Si on parle aujourd’hui de « colorisme » tions amoureuses mixtes. Notamment timide et profondément humain,
dans une quinzaine de pays. Les raisons la guerre de Sécession, des métis de pour désigner ces discriminations à celle de Kennedy et de son petit ami haï­ exilé de Bulgarie à Tel­Aviv à 18 ans
de cet engouement ? Pour commencer, la Louisiane qui pouvaient, et tâchaient de, l’intérieur d’une même communauté, le tien, lequel est prénommé… Frantz. pour échapper aux nazis, avant
passer pour blancs. thème, avant le roman de Brit Bennett, Mais il est ailleurs, le coup de maître de d’être enrôlé dans les différentes
La principale Ce qui était à l’origine une stratégie de n’a guère été abordé aussi frontalement Brit Bennett : dans sa capacité à rendre guerres entre Israël et ses voisins.
survie, entretenue pour éviter les lyn­ dans la littérature contemporaine améri­ compte de ce caractère ambivalent et En choisissant de raconter cette
référence de l’autrice chages, est devenu pour certains, alors caine. La principale référence de l’autrice morcelé des identités. Ambivalent, histoire autobiographique à la troi­
en matière que des décennies de racisme avaient en la matière est du reste française : d’abord, parce que chacun de ses person­ sième personne, avec une bonne
fini par leur faire intégrer les discours l’essai Peaux noires, masques blancs, de nages se dédouble (les jumelles Vignes, dose d’humour doux­amer, Noga
de « colorisme » de stigmatisation, une véritable pré­ l’intellectuel martiniquais Frantz Fanon certes, mais aussi Kennedy, aussi blonde Albalach révèle la force des liens
est française : l’essai férence. Autrement dit, comme à (Seuil, 1952). En sus du regard précieux que sa cousine Jude est noire). Morcelé, qui depuis toujours unissent les
de 1952 « Peaux noires, ensuite, parce que toutes se blessent im­ protagonistes. Tels une leçon de
manquablement à mesure qu’elles per­ piano, à laquelle l’homme accom­
masques blancs », EXTRAIT dent ou choisissent d’abandonner une pagnait sa fille chaque semaine, ou
de l’intellectuel partie d’elles­mêmes. La romancière, en son soutien inconditionnel mais
martiniquais « Etre un autre pendant quelques heures, c’était amusant. remarquable styliste, ne fait entrer la gé­ inquiet lorsqu’elle décida d’aban­
Héroïque, même. Qui n’avait pas envie de rouler les Blancs mellité dans son écriture que pour la donner la finance pour une
Frantz Fanon pour changer ? Mais le passe blanc était un mystère. On ne tronquer, et donner à sentir l’immensité carrière d’éditrice. De ce récit d’une
rencontrait jamais quelqu’un qui avait franchi la ligne de de cette perte. Pourtant, tandis qu’elle ci­ disparition annoncée, la roman­
couleur de manière définitive, pas plus qu’on ne rencontrait sèle des échos qui, par­delà les pages et la cière tire un émouvant chapelet
magie de cet énergique et étonnant pa­ quelqu’un qui s’était fait passer pour mort avec succès ; pour solitude de chacune, changent leurs mo­ d’instantanés
ge­turner, que l’on lit goulûment. Sa ca­ réussir, il fallait que l’imposture demeure insoupçonnable. nologues intérieurs en conversation, l’on d’une vie
pacité à émouvoir, les personnages véri­ Desiree n’avait connu que ceux qui avaient échoué : ceux croit voir se renouer quelque chose de aussi anonyme
tablement attachants et peu répandus qui avaient eu le mal du pays, qui avaient été démasqués ou cette sororité disparue.  qu’unique.  ar. s.
en littérature – comme Thérèse devenue qui en avaient eu assez de mentir. Mais Stella était devenue  Le Vieil Homme.
Reese, le petit ami de Jude. Mais aussi, blanche depuis des années maintenant, presque la moitié l’autre moitié de soi Des adieux (Ha’ish
sans doute, la résonance de ce roman de sa vie. Quand on jouait un rôle aussi longtemps, ça cessait (The Vanishing Half), hazaken. Pridah),
chez ceux qu’inquiète l’état de leur pays. peut­être d’être un rôle. A force de prétendre qu’on était blanc, de Brit Bennett, de Noga Albalach,
Il y a d’abord ce cadre romanesque in­ on le devenait. » traduit de l’anglais (Etats­Unis) traduit de l’hébreu par
vraisemblable, presque dystopique. Sauf par Karine Lalechère, Rosie Pinhas­Delpuech,
que Brit Bennett l’a bâti à partir d’un l’autre moitié de soi, page 105 Autrement, 480 p., 22,90 €, numérique 15 €. Do, 124 p., 16 €.

Face à la main qui, tour à tour, frappe ou caresse


Avec « La Chienne », la Colombienne Pilar Quintana livre un texte saisissant sur les angoisses et la révolte d’une femme acculée

l’océan et la jungle, non loin déverser rageusement ses frus­ [Damaris] rentrait du village et petite fille, a une part de respon­ lecteur sur une ligne de crête per­
des fastueuses maisons des trations sur elle. qu’elle n’était pas en haut de l’esca­ sabilité ou du moins de culpa­ manente entre le danger qui rôde
« Blancs ». Damaris a 40 ans, Dans ce conte qui rappelle l’at­ lier à l’attendre, la queue battante, bilité – l’issue (inattendue) du et le sentiment d’apaisement. La
« l’âge auquel les femmes se dessè­ mosphère des romans de son quand elle préparait du poisson et roman montrera à quel point romancière – qui a raconté, par
chent », et elle ne se console pas compatriote Gabriel Garcia Mar­ qu’elle n’était pas là à la regarder l’adulte en porte encore le poids, ailleurs, comment les violences
ariane singer de n’avoir pu être mère. Ses rela­ quez (1927­2014), Pilar Quintana avec insistance, quand elle jetait plus de trente ans après les faits. conjugales dont elle a jadis été
tions avec son mari, au terme fait de la petite chienne le révéla­ les restes sans garder le meilleur Mais le tour de force du roman, victime ont nourri ce roman –

J
usqu’où peut mener le désir d’années de tentatives vaines teur des manques et traumatis­ pour elle ou quand elle buvait son aussi bref qu’intense, est sa pein­ exprime à la perfection ce senti­
d’enfant contrarié ? C’est la pour tomber enceinte, sont des mes de ce foyer incomplet. Se café le matin et n’avait personne à ture d’une violence sourde, prête ment de sidération face à la main
question qu’explore avec plus distantes. Lorsque sa voisine concentrant sur l’évolution des qui caresser la tête. » à éclater à tout moment, dont qui, tour à tour, frappe ou caresse.
une force stupéfiante cherche à se débarrasser de la relations entre l’animal et sa maî­ l’acuité offre un saisissant Et signe ici un texte puissant sur
l’autrice colombienne Pilar dernière portée de sa chienne, tresse, le livre exprime la puis­ Une violence sourde contraste avec la présence bien­ la révolte d’une femme qui ne se
Quintana, née en 1972 à Cali, dans elle adopte un de ses chiots sur sance d’un amour quasi filial. Sans misérabilisme, par touches veillante de l’animal domestique. résout pas à la souffrance. 
La Chienne, son premier roman un coup de tête. Damaris va s’at­ C’est dans les moments répétés successives, Pilar Quintana met D’où vient la menace ? De la
traduit en français, best­seller tacher à la bête, une femelle, où Chirli disparaît de la maison, aussi au jour, à travers la présence jungle, « terrible », avec ses bêtes la chienne
dans son pays. Elle y met en scène comme à un nourrisson, lui don­ comme le ferait un adolescent du chiot, les drames vécus par sa redoutables ? Des éléments, (La perra),
un couple d’habitants défavori­ ner le nom dont elle aurait bap­ choisissant de vivre sa propre vie, maîtresse au long de sa vie : en prompts à se déchaîner ? Du de Pilar Quintana,
sés de la côte pacifique colom­ tisé sa propre fille – Chirli, que la romancière décrit le mieux premier lieu, la mort accidentelle mari, Rogelio, le fruste ? Ou de traduit de l’espagnol (Colombie)
bienne, Damaris et Rogelio. Le « comme Miss Colombie » –, et le désespoir et les angoisses d’un enfant, fils des propriétaires Damaris elle­même, avec ses par Laurence Debril,
mari est pêcheur, ils vivent dans développer avec elle une relation d’une mère. « [La chienne] lui d’une grande maison voisine, rancœurs tapies ? Quintana, d’un Calmann­Lévy, 128 p., 17 €,
un cabanon, sur une falaise entre d’abord fusionnelle, avant de manquait constamment. Quand dans laquelle Damaris, alors trait simple et direct, laisse le numérique 12 €.
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Vendredi 21 août 2020

Rentrée des
idées: au-delà
du Covid-19
La pandémie en cours fera bien sûr l’objet
de nombreuses parutions cet automne.
Mais la curiosité dans tous les domaines,
histoire, écologie, sociologie, philosophie,
sciences… pourra aussi être amplement
satisfaite. Tour d’horizon

florent georgesco

L
a pandémie de Covid­19,
après nous avoir cloués sur
place pendant deux mois,
allait­elle figer la vie intellec­
tuelle ? La production massive
d’essais de circonstance qui a
suivi le confinement pouvait le laisser
craindre, tant l’obsession, le sujet hégé­
monique, envahissant, peuvent mettre
en péril la vitalité de la pensée. Par bon­
heur, il n’en est rien : les essais qui seront
publiés entre la fin août et novembre
partent au contraire en tous sens, dans
un beau témoignage de la variété des
formes, des méthodes, des angles, des
partis pris qui irriguent la réflexion
individuelle et collective.
Plusieurs livres, bien sûr, tentent d’ana­ avec Serge Morand, qui fait aussi paraître au rendez­vous. Figurent ainsi à leur pro­ et Friedrich Nietzsche. Vies, œuvres, frag­
lyser la situation sanitaire. Ils sont même L’Homme, la faune sauvage et la peste gramme pas moins de quatre livres si­ ments, de Jean­Luc Bourgeois (L’Eclat),
nombreux. Mais ils apportent précisé­ (Fayard). Au demeurant, les sujets éco­ gnificatifs, historiques, militants ou phi­ ou encore La Rencontre, une philosophie,
ment une démonstration de cette diver­ logiques dépassent très largement le losophiques : Ivan Illich. L’homme qui a li­ de Charles Pépin (Allary), et Une philoso­
sité. Tempête parfaite. Chronique d’une champ de nos inquiétudes virologiques. béré l’avenir, de Jean­Michel Djian, La Fin phie de la solitude (Allia), de l’écrivain et
pandémie annoncée, du microbiologiste C’est, en l’occurrence, une tendance forte de la mégamachine, de Fabian Scheidler, philosophe britannique John Cowper
Philippe Sansonetti (Seuil), ou La Vague, et quasi obsessionnelle de l’édition de Les Révoltes du ciel. Une histoire du chan­ Powys (1872­1963).
du pédiatre Renaud Piarroux (CNRS Edi­ non­fiction depuis plusieurs années. gement climatique, XVe­XXe siècle, de Passant du contraste ou de la contra­
tions), font le point sur les aspects médi­ Comme toujours, quand un sujet Jean­Baptiste Fressoz et Fabien Locher, et diction à la continuité, les livres, parfois,
caux. D’autres abordent les questions so­ prend une telle place, il y aura du tri à l’« anthologie d’écologie politique » con­ concourent à des ensembles imprévus,
ciales – Signaux d’alerte, de Frédéric Keck faire entre ce qui renouvelle et ce qui, sacrée à André Gorz (1923­2007), Leur comme on le voit avec la double appari­
(Desclée de Brouwer), Ce qui vient… de­ déjà, répète. Mais le dynamisme, en la écologie et la nôtre. tion de Jeanne d’Arc, dans la biographie
main, de Stéphane Paoli (Les Liens qui matière, est incontestable, et il est possi­ Pour autant, les sujets les plus récur­ que lui consacre Valérie Toureille (Perrin)
libèrent), ou le collectif Dessine­moi un ble de s’en réjouir. Citons, pour l’heure, rents côtoient partout les plus inatten­ et sous la plume de Philippe Contamine,
pangolin. L’après­crise (Au diable vau­ La Cité écologique. Pour un éco­républica­ dus ; à l’urgence sociale ou politique ré­ auteur de Jeanne d’Arc et son époque.
vert) – ou tentent une approche philoso­ nisme (La Découverte), de Serge Audier pond une nécessité d’une autre nature, Essais sur le XVe siècle français (Cerf).
phique, tel Jean­Luc Nancy dans Un trop (collaborateur du « Monde des livres ») ; moteur des travaux d’une vie ou Quant à elle, l’histoire immédiate réunit,
humain virus (Bayard). Maurice Genevoix, l’écologiste de demain, d’un moment. Toujours au Seuil, Alain par exemple, la grande enquête de Denis
de Jacques Tassin (Odile Jacob) ; Etre la ri­ Schnapp racontera Une histoire univer­ Peschanski, Laura Nattiez et Francis Eus­
vière, de Sacha Bourgeois­Gironde (PUF) ; selle des ruines. Des origines aux Lumiè­ tache, 13­Novembre (Odile Jacob), et le
Incontournable écologie L’Invention du colonialisme vert. Pour en res, et Georges Vigarello, Une histoire de Journal d’un rescapé du Bataclan. Etre his­
L’analyse environnementale de la crise finir avec le mythe de l’Eden africain, de la fatigue. Du Moyen Age à nos jours. torien et victime d’attentat, de Christophe
est également présente. On la retrouve Guillaume Blanc (Flammarion) ; ou en­ Krzysztof Pomian publie le premier Naudin (Libertalia).
dans La Fabrique des pandémies. Préser­ core Chicago, métropole de la nature, de tome du Musée, une histoire mondiale, Il en est cependant des essais comme
ver la biodiversité, un impératif pour la William Gonon (Zones sensibles). qui en comptera trois (Du trésor au mu­ de la littérature : pas de rentrée sans « tê­
santé planétaire (La Découverte), de Ma­ Les éditions du Seuil, fidèles à leur en­ sée, Gallimard). Olivier Ansart dénonce tes d’affiche », ou du moins sans livres
rie­Monique Robin, en collaboration gagement ancien dans ce domaine, sont « l’imposture du bushido dans le Japon précédés par leur réputation ou par l’im­
moderne », sous­titre de Paraître et pré­ portance intemporelle de leur sujet. C’est
tendre (Les Belles Lettres). à l’évidence le cas du Churchill, d’Andrew
Roberts (Perrin), qui fut un événement
Résultats scientifiques Le particulier et l’universel
au Royaume­Uni, ou d’une autre biogra­
phie britannique, Louis XIV, roi du
METTRE À LA PORTÉE DU PUBLIC même fait, Bill Bryson vient à votre D’autres tentent de renouveler les Philosophie, histoire, théorie littéraire, monde, de Philip Mansel (Passés compo­
les savoirs scientifiques à la fois les secours avec Une histoire du corps approches, à l’instar de Julien Bobroff psychologie : dans tous les domaines se sés), comme de la nouvelle enquête, par­
plus variés, les plus rigoureuse­ humain à l’usage de ses occupants (La Quantique autrement, Flamma­ mélangent les sujets universels et les ticulièrement attendue, de Philippe
ment établis (espérons­le) et les (Payot), comme Evelyne Heyer, qui rion), et de varier les angles, comme questions particulières, ou les manières Sands, La Filière. Chronique de la fuite
plus attrayants possible est une publie L’Odyssée des gènes ou, pour en témoignent La Science en pays particulières d’aborder l’universel. Se re­ d’un haut dignitaire nazi (Albin Michel).
mission dont l’édition française peu que vous poussiez cette curiosité d’islam, de Faouzia Charfi (Bayard), ou trouvent ainsi côte à côte dans cette bi­ Mais aussi, à des titres divers, de
s’acquitte avec une vigueur que jusqu’aux frontières de la vie, Sté­ La Symphonie neuronale. Pourquoi la bliothèque de hasard Américanisation. Peut­on dissocier l’œuvre de l’auteur ?, de
cette rentrée ne dément pas. Vous phane Charpier dans La Science de la musique est indispensable au cerveau, Une histoire mondiale (XVIIIe­XXIe siècle), Gisèle Sapiro (Seuil), de Français, on ne
ne savez rien sur ce que vous avez résurrection (l’un et l’autre chez d’Emmanuel Bigand et Barbara Till­ de Ludovic Tournès (Fayard), et Histoire vous a rien caché, de François Azouvi
sous les pieds ou au­dessus de la Flammarion). mann (HumenSciences). Enfin, plu­ des citoyens du monde. Un idéal en (Gallimard), du troisième tome de la sé­
tête ? Underland. Voyage au centre Les plus grands scientifiques se sieurs auteurs questionnent les rela­ action de 1945 à nos jours, de Michel rie « Mondes en guerre », coordonnée
de la Terre, de Robert Macfarlane livrent aussi à l’exercice, tels le Prix tions de la science et de la société. On Auvray (Imago), Les Jardins de France. par Hervé Drévillon, Guerres mondiales
(Les Arènes), et Etoiles. Une histoire Nobel de physique Serge Haroche peut notamment citer Arnaud Saint­ Une histoire du Moyen Age à nos jours, de et impériales, 1870­1945 (Passés compo­
de l’Univers en cent astres, de Flo­ dans La Lumière révélée. De la lunette Martin (Science, Anamosa), ainsi Jean Vassort (Perrin), et La Vie sociale des sés), sous la direction d’André Loez (colla­
rian Freistetter (Flammarion), de­ de Galilée à l’étrangeté quantique et qu’Elena Pasquinelli et Mathieu Fa­ choses. L’animisme et les objets, de Moni­ borateur du « Monde des livres »), du
vraient pouvoir vous éclairer. Si le neurologue Lionel Naccache dans rina (L’Art de faire confiance. Pour un que David­Ménard (Le Bord de l’eau), Da­ Pacte des diables. Une histoire de l’alliance
vous n’avez qu’une idée vague sur Le Cinéma intérieur et la conscience nouveau contrat entre la science et les mia, une biographie de la chanteuse réa­ Staline et Hitler, de Roger Moorhouse
la manière dont vous êtes vous­ (Odile Jacob dans les deux cas). citoyens, Odile Jacob).  liste par Francesco Rapazzini (Bartillat), (Buchet­Chastel), d’Hitler, les « Protocoles
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Derrière le rideau de fer


L’HISTOIRE DU BLOC SOVIÉTI­ (Fayard), de Maurice Thorez, se­
QUE est l’objet de nombreuses crétaire général stalino­compati­
recherches dans le monde an­ ble du Parti communiste fran­
glophone et à l’est de l’Europe. çais de 1930 à 1964, les auteurs
Même si seule une petite par­ français ne seront cependant pas
tie de cette production est tra­ totalement en reste. Bernard Le­
duite, cela nous vaut de décou­ comte fait ainsi paraître KGB. La
vrir, chaque année, plusieurs véritable histoire des services se­
livres passionnants. Tel sera crets soviétiques (Perrin), et Jean­
peut­être à nouveau le cas, en Jacques Marie, en novembre,
cette rentrée, avec ceux que Vivre dans la Russie de Lénine
deux auteurs britanniques (Vendémiaire). De plus, trois re­
consacrent à des sujets tours sur l’histoire de l’Allema­
connexes, Un espion parfait. gne de l’Est, aux angles, métho­
Richard Sorge, le maître agent des et points de vue contrastés,
de Staline, d’Owen Matthews pourront alimenter le débat : les
(Perrin), et Agent Sonya. La plus souvenirs du dramaturge Gérald
grande espionne de la Russie so­ Sibleyras (Une blouse serrée à la
viétique, de Ben Macintyre (De taille, De Fallois), La RDA après la
Fallois). Il faudra aussi regarder RDA. Des Allemands de l’Est ra­
de près un essai au titre provo­ content, d’Agnès Arp et Elisa
cant, Pourquoi les femmes ont Goudin­Steinmann (Nouveau
une meilleure vie sexuelle sous Monde), et le nouveau livre d’un
le socialisme, de l’Américaine des meilleurs spécialistes fran­
Kristen Ghodsee (Lux). çais de la dictature est­alle­
Outre une curiosité histo­ mande : 24 heures de la vie en
rique, le Journal 1952­1964 RDA, d’Emmanuel Droit (PUF). 

Savoirs animaux
DES SINGES, DES CHIENS, des Quelle que soit leur discipline,
kangourous, des larves, des les auteurs de cette bibliothèque
chevaux… La ménagerie de la bestiale partagent une même in­
YASMINE GATEAU rentrée est particulièrement terrogation sur les places respec­
fournie. Et les approches des tives de l’animal et de l’homme
formes de la vie animale, parti­ dans la nature, qu’ils réfléchis­
culièrement variées. Théologie, sent à l’importance du monde
avec Xavier Loppinet qui, dans équestre dans les civilisations
Mon chien me conduira­t­il au humaines (le classique Le Cheval
paradis ? (Cerf), analyse la rela­ dans la vie quotidienne, de Ber­
des sages de Sion » et « Mein Kampf », de L’Emancipation. Essais de philosophie po­ courant de curiosité, de goût du savoir tion avec nos animaux domes­ nadette Lizet, enfin réédité par
Pierre­André Taguieff (PUF), ou du Ma­ litique, de Vincent Peillon (PUF), Le Nou­ et de la pensée qui porte cette rentrée ne tiques à la lumière de « l’amitié CNRS Editions), cherchent se­
gasin du monde. La mondialisation par veau Nom de l’amour, de Belinda Can­ serait pas aussi puissant s’il ne rencon­ cosmique ». Philosophie des cours auprès des bêtes (Sauver
les objets du XVIIIe siècle à nos jours, di­ none (Stock), Sidération et résistance, de trait aussi, comme chaque année désor­ métamorphoses du vivant, l’homme par l’animal, de Geor­
rigé par Pierre Singaravélou et Sylvain Frédéric Worms (Desclée de Brouwer), mais, le souffle de l’émancipation fémi­ avec Le Livre des larves, de ges Chapouthier, chez Odile Ja­
Venayre (Fayard). Afropea. Utopie post­occidentale et post­ niste, qui traverse plus de livres qu’on ne Marion Zilio (PUF). Ethologie, cob en novembre), les observent
Citons aussi les souvenirs de deux his­ raciste, de Léonora Miano (Grasset), Un peut en citer. Tout de même, La Puis­ bien sûr, avec l’un des maîtres réfléchir (Comment pensent les
toriens, Jours anciens, de Michel Winock coupable presque parfait. La construction sance des mères. Pour un nouveau sujet contemporains de la discipline, animaux, de Loïc Bollache, Hu­
(Gallimard), et Le Rocher de Süsten. Mé­ du bouc émissaire blanc, de Pascal Bruc­ révolutionnaire, de Fatima Ouassak, Nos Frans de Waal, qui publie Pri­ menSciences) ou, comme le fait
moires 1942­1982, de Jean­Noël Jeanne­ kner (chez le même éditeur), Sept jours. mères. Huguette, Christiane et tant mates et philosophes (Le Pom­ la philosophe Joëlle Zask dans
ney (Seuil), ceux de deux éditeurs, La Vie 17­23 juin 1789, la France entre en révolu­ d’autres, une histoire de l’émancipation mier), une réflexion sur la mo­ Zoocities. Des animaux sauvages
comme un livre. Mémoires d’un éditeur tion, d’Emmanuel de Waresquiel (Tallan­ féminine, de Christine Détrez et Karen ralité des primates, humains dans la ville (Premier Parallèle),
engagé, d’Olivier Bétourné (Philippe dier), Sur les gens ordinaires, de Christo­ Bastide (eux aussi à La Découverte), ou non. Ou philosophie en­ enquêtent sur les kangourous
Rey), et Singulier pluriel. Conversations, phe Guilluy (Flammarion), La Planète ca­ Rage Against the Machisme, de Mathilde core, avec l’Essai de métaphysi­ qui arpentent les rues austra­
de Maurice Olender (Seuil), ou encore les tholique, une géographie culturelle, de Larrère (Le Détour), Pour un féminisme que animale, de Charles­Martin liennes, ou les coyotes, celles
mémoires posthumes de la grande Jean­Robert Pitte (Tallandier), Ci­gît universel, de Martine Storti (Seuil), ou le Fréville (CNRS Editions). de New York. 
philosophe hongroise Agnes Heller, La l’amer. Guérir du ressentiment, de Cyn­ nouvel essai de Marie­Jo Bonnet, La Ma­
Valeur du hasard. Ma vie (Rivages). thia Fleury (Gallimard), ou Contretemps, ternité symbolique. Etre mère autrement
Sans oublier les deux derniers tomes de Patrick Boucheron (Seuil). (Albin Michel), devraient notamment
des Ecrits politiques, de Cornelius Casto­ faire parler d’eux.
riadis, Ecologie et politique et Sur la dyna­ Seront­ils, eux et tous les autres, à la
mique du capitalisme et autres textes Emancipation féministe hauteur des attentes ? Les promesses de Vies anonymes
(Sandre), Vivement le socialisme ! Chroni­ « Ne nous libérez pas, on s’en charge » : le la rentrée, on le voit, abondent, sous les
ques 2016­2020, de Thomas Piketty slogan claque sur la couverture du livre formes les plus diverses, parfois les plus QU’EST­IL ARRIVÉ À JEANNE Botany Bay. La fondation de
(Seuil), La Musique ou la vie, de Claude coécrit par Bibia Pavard, Florence Ro­ enthousiasmantes. Reste à savoir si elles BARRET quand, en 1767, la l’Australie coloniale).
Hagège (Odile Jacob), Bouleversement. chefort et Michelle Zancarini­Fournel. seront tenues. « Le Monde des livres » jeune paysanne s’est embar­ L’enquête sur des vies anony­
Les nations face aux crises et au change­ Sous­titre : Une histoire des féminismes s’efforcera d’apporter des réponses du­ quée clandestinement sur un mes est un art de répondre aux
ment, de Jared Diamond (Gallimard), de 1789 à nos jours (La Découverte). Le rant la saison qui s’ouvre.  navire de Bougainville, habillée questions que vous ne pouviez
en garçon ? Réponses multiples vous poser, de vous intéresser
dans L’Aventurière de l’Etoile, de soudain à de parfaits inconnus.
Christel Mouchard (Tallandier). Que nous disent sur nos civilisa­
De nouveaux « Espaces libres » Qu’est­il passé par la tête de tions, nos sociétés, ou les socié­
Jean­Marie Bladier pour tés les plus éloignées, les trajec­
DANS L’ÉDITION DE SCIENCES par l’orientaliste Jean Herbert (1897­ s’ouvre à toutes les disciplines, entre qu’en 1905 il découpe celle toires individuelles ? Que dit
HUMAINES, le format poche est 1980) qui, en 1946, avait fondé la reprises de classiques et nouvelles d’un camarade ? Philippe Artiè­ chacun sur tous ? Les lecteurs ne
un instrument indispensable pour collection grand format « Spirituali­ éditions d’essais récents. Philo­ res exhume la confession du manqueront pas d’occasion d’y
la circulation des savoirs. Bonne tés vivantes », elle en était le prolon­ sophie : Pourquoi lire les philosophes jeune criminel dans Un sémi­ réfléchir en cette rentrée, où la
nouvelle : ce secteur montre en ce gement, et demeurait spécialisée arabes, d’Ali Benmakhlouf, ou Et si nariste assassin (CNRS Edi­ micro­histoire est très présente,
moment une belle vitalité. Pour dans les écrits spirituels de toute Platon revenait…, de Roger­Pol Droit. tions). Autre exhumation : celle comme en témoignent aussi
preuve, la création d’une nouvelle obédience – comme l’écrit Psychologie : Père­fille, de Didier des mémoires d’un aventurier Marie Bryck et ses frères. Une his­
collection de non­fiction au Pom­ aujourd’hui l’éditeur dans la pla­ Lauru, Empathie et manipulations, écossais, William Lockerby, qui toire de survie et de destin dans la
mier, « Les pionniers de l’écolo­ quette de la collection, « tout beat­ de Serge Tisseron… Sciences : Biodi­ raconte comment, en 1808, il a France du choléra, de Laurence
gie » (lire, page 10, la chronique de nik en route vers l’Orient se souvient versité, de Patrick Blandin, ou Le Vi­ été abandonné sur les îles Giordano (Payot), Anna Madgi­
Roger­Pol Droit), et le développe­ de ces petits livres à tranche jaune ». vant comme modèle, de Gauthier Fidji : son texte s’appelle Le gine Jay Kingsley. Princesse en
ment d’une autre, plus ancienne, Septembre 2020 représente donc, Chapelle et Michèle Decoust. Et tou­ Santal et les Cannibales et il est Afrique, esclave en Floride, de Da­
mais entièrement renouvelée, dans son histoire, une révolution, le jours, bien sûr, religions, avec en publié aux éditions Anacharsis, niel L. Schafer (Albin Michel), ou
« Espaces libres », chez Albin Mi­ passage de l’édition sectorielle à particulier la traduction du Coran à qui font aussi paraître les sou­ Les Quatre Saisons d’Angélique.
chel. Celle­ci, à vrai dire, est bien l’édition généraliste. « Espaces laquelle l’islamologue Jacques Ber­ venirs de l’officier de marine Correspondance d’une paysanne
connue des lecteurs : 299 titres y libres » qui, pour marquer le coup, que (1910­1995) consacra une grande Watkin Tench sur la colonisa­ pendant la Révolution française,
ont paru depuis 1974. Mais, créée publie douze titres en même temps, partie de sa vie.  tion de l’Océanie (Expédition à de Fulgence Delleaux (Bayard). 
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Vendredi 21 août 2020

Sur les traces d’un fiasco français Dans le cocon familial


Loin de puiser dans l’observation im­
médiate du réel, comme son métier
de journaliste pourrait l’y inciter, et
C’est en apprenant qu’Internet a failli être une invention hexagonale qu’Eric tout aussi loin de céder aux tenta­
tions de l’autofiction, Adrien Borne
Reinhardt s’est lancé dans l’écriture du réjouissant « Comédies françaises » transporte le lecteur, pour son pre­
mier roman, dans le monde des ma­
gnaneries. A travers le récit alterné de
deux générations d’une famille dont
le patriarche terrifiant a choisi, contre
l’avis de tous, de maintenir l’activité
de son entreprise d’élevage de vers à
soie, le romancier tisse avec une ap­
parente facilité les fils du destin mau­
raphaëlle leyris dit de ces hommes et de ces femmes.
Mettant en parallèle le départ à la

P
eut­on mettre le doigt guerre d’un fils, en 1914, et d’un autre
sur les moments où un au service militaire, en 1936, Mémoire
destin bifurque, les évé­ de soie dévoile progressivement les
nements qui dévient le secrets d’une famille rugueuse, où
cours des choses ? Cette question l’on parle peu et ne se manifeste que
est récurrente dans les livres peu d’affection. Un livret de famille
d’Eric Reinhardt – dans le mer­ glissé au dernier moment dans un sac
veilleux Cendrillon (Stock, 2007), par sa mère conduit le jeune Emile à
plusieurs avatars figuraient par relire son passé et
exemple les existences que l’écri­ celui de ses parents
vain aurait pu mener si… On re­ sous un nouveau
trouve cette interrogation dans jour. Et le lecteur à
Comédies françaises, dont le pro­ tourner les pages
tagoniste est un jeune homme avec avidité. 
traquant les « instants décisifs ». florence bouchy
Parmi lesquels celui où la France  Mémoire de soie,
est passée à côté de la possibilité d’Adrien Borne,
de devancer les Etats­Unis dans la JC Lattès, 252 p., 19 €,
création d’Internet. numérique 14 €.
Si un « instant décisif » a bien
mené à l’écriture de Comédies
françaises, il s’est produit le
25 mars 2013. Dans Libération, Eric Fuite en avant
Reinhardt lit un article sur la re­
mise d’une récompense par la Une bête traquée jusque dans son
reine d’Angleterre à un Français propre terrier. C’est ce que sa vie de
nommé Louis Pouzin et à quatre couple a fait de l’héroïne : « Elle de­
autres pionniers d’Internet – l’un vrait savoir partir. C’est plus facile de
britannique, les autres américains. rester : peur, lapin couché. » Un jour
Louis Pouzin avait conçu la trans­ pourtant, le lapin apeuré détale et,
mission de données électroniques L’industriel et lobbyiste Ambroise Roux, à l’hôtel Matignon, en 1974. Il est l’homme qui a poussé l’Internet français dans une impasse. enfin libéré, disparaît dans la nature.
par paquets, le datagramme, avant RUE DES ARCHIVES/AGIP S’ensuit le récit sensible et délicat de
que ne soit interrompu, en 1975, le cette fuite en avant. Tout y est
programme de recherche auquel il brouillard et confusion onirique,
participait. L’écrivain est frappé de mence par rencontrer Louis Pou­ comme si, à choisir, Lou Darsan pré­
découvrir ce pan français de l’his­ zin (une fois) et Maurice Allègre férait que les mots fassent impres­
toire, présentée comme améri­ (trois). Tous deux évoquent Am­ EXTRAIT sion plutôt que signification – ils
caine, d’Internet. Surtout, il est tra­ broise Roux (1921­1999), indus­ peuvent pourtant faire les deux.
versé par « une intuition de roman­ triel et lobbyiste, qui convainquit « J’exagère, je caricature ? Moi j’exagère, moi je caricature ??!!, écrivait Voilà par exemple la primo­roman­
cier » : « Je me suis dit qu’une per­ le président Valéry Giscard d’Es­ Dimitri à toute vitesse dans son carnet à spirales, au soleil, en terrasse cière qui, quand son héroïne sub­
sonne, à un moment, forcément, taing, entre autres, de renoncer de L’Apollo, éclatant d’un rire énorme, faisant se retourner trois garçons mergée par l’angoisse tente de re­
avait dit non à l’invention de Louis au projet européen « Unidata » à la table d’à côté. C’est moi qui exagère, c’est moi qui caricature ?! C’est prendre ses esprits, ménage dans
Pouzin, et juré de l’identifier », ra­ dont relevaient les recherches de la meilleure de l’année celle­là ! moi ??!! Et 1974 ? Et Louis Pouzin ? Et le da­ son texte quelques grandes inspira­
Pouzin. Le voilà donc, le « rouage tagramme ? Et Internet ? Hein ? Et c’est moi qui caricature ? hurlait Dimitri, tions. Les longs et massifs paragra­
déterminant dans cette calami­ en furie, penché sur son carnet à spirales, la pointe de son stylo galopant phes s’aèrent en quelques phrases
Ambroise Roux (1921­1999), teuse erreur de la France », dont voracement sur le quadrillage du papier, Dimitri adjoignant au silence simples. Et vont même jusqu’à s’or­
industriel et puissant Reinhardt avait pressenti l’exis­ religieux de l’écriture la force propagatoire de la parole (en l’occurrence de donner en listes à puces, avant que la
tence. Sans vouloir désigner un la vocifération), comme si sa plume était un porte­voix accidentellement terreur ne revienne et n’engloutisse
lobbyiste, convainquit le « bouc émissaire », il se dit qu’à tra­ relié à ses cordes vocales. ces fragiles tentatives. Roman remar­
président Giscard d’Estaing vers cette histoire, il va pouvoir C’EST MOI QUI CARICATURE ???!!! » quable par son
de renoncer au projet « renouer avec la veine mordante audace formelle,
et sarcastique de [ses] premiers ro­ comédies françaises, page 255 L’Arrachée belle se
européen « Unidata » : voilà mans » (Le Moral des ménages, fait le probant mi­
la « calamiteuse erreur » Existence, Stock, 2002, 2004…). roir de nos désor­
Cette envie de dresser un portrait en 1965). Entre 2016 et 2017, il a voir un coup de foudre pour une dres intérieurs. 
« au vitriol » d’Ambroise Roux écrit ce qu’il envisageait initiale­ femme croisée à plusieurs repri­ zoé courtois
conte­t­il, joint par « Le Monde des n’exclut pas de mener en amont ment comme une partie de son ses. Mais l’auteur se sent « mal à  L’Arrachée belle,
livres ». Quelques recherches, d’un une « enquête » sur lui, en interro­ projet : l’évocation du cancer de l’aise », se pose beaucoup de ques­ de Lou Darsan,
« site de geeks » à un autre, l’amè­ geant des personnes l’ayant fré­ son épouse, dix ans plus tôt. Rapi­ tions sur la possibilité d’évoquer La Contre Allée, 160 p.,
nent à découvrir un autre person­ quenté de près, comme le journa­ dement, ces pages auxquelles il aujourd’hui un garçon qui aborde 15 €, numérique 11 €.
nage, Maurice Allègre, délégué liste Pierre Péan (1938­2019), ou le n’aurait « pas osé » s’atteler s’il les filles dans la rue… Adrian de­
général à l’informatique dans les haut fonctionnaire devenu pa­ avait d’emblée pensé en faire un vient Carlotta : « D’un seul coup,
années 1970 : « Il avait fait tout son tron de Renault Louis Schweitzer. livre à part deviennent La Cham­ elle a donné au texte une rapidité,
possible pour imposer aux pou­ Par quel biais restituer le savoir bre des époux (Gallimard, 2017). une énergie, qui m’ont beaucoup Une passion illicite
voirs publics de suivre et développer accumulé ? Si le travail littéraire Au moment de se remettre à son plu. » Mais alors qu’il est « à la
l’idée de Louis Pouzin. » pour « sculpter » cette ma­ « roman du datagramme », saisi moitié de [son] livre », cet obses­ Harcelé puis incarcéré pour son op­
En vain. tière est fondamental, la par une envie de « déplacement », sionnel de la précision s’interroge position à la guerre Iran­Irak (1980­
Le temps de terminer question des personnages il s’inspire (avec son autorisation) sur sa légitimité à se glisser dans 1988), interdit de publication, l’écri­
puis d’accompagner son ne l’est pas moins (« C’est d’un ami, né en 1989, dans lequel la peau d’une jeune lesbienne, ce vain iranien Ghazi Rabihavi s’exile à
roman L’Amour et les forêts central, chez lui », note Lu­ il voit un symbole de la jeunesse qu’il sait des lieux qu’elle peut fré­ Londres en 1995. C’est là que paraît,
(Gallimard, 2014), et Eric dovic Escande). Eric Rein­ d’aujourd’hui « mobile, pas du quenter. Il décide de retransfor­ en persan, Les Garçons de l’amour,
Reinhardt se lance, début hardt éprouve « une tout sédentaire ». Il en tire d’abord mer son personnage en garçon, l’histoire tragique de deux jeunes
2015, dans « l’énorme pro­ grande lassitude » à l’idée un personnage nommé Adrian, Dimitri, mais un garçon qui serait hommes coupables de s’aimer pas­
jet » dont il a parlé sans le de recourir à un person­ auquel il confie l’enquête sur le sorti « hybridé » de sa « phase Car­ sionnément (en Iran, une loi, tou­
détailler à son éditeur, Lu­ nage qui lui ressemblerait datagramme, et la « deuxième li­ lotta » et en garderait la liberté. jours en vigueur, punit de mort l’ho­
dovic Escande. Il com­ et aurait son âge (il est né gne romanesque » du texte, à sa­ Des moments décisifs pour mosexualité). Conté avec retenue et
l’écriture du roman, il y en eut sobriété, cet amour illicite fait se
bien d’autres, au fil du travail déchaîner la fureur familiale et so­
de construction comme du polis­ ciale, au point que la fuite constitue
Les visionnaires empêchés sage de la langue. L’un des der­
niers a eu lieu le 24 décembre :
l’unique salut. Alors que la révolu­
tion islamique est en marche et que
ON L’APPREND DÈS déployer, de faire preuve de pédagogie de son matériau documentaire autant un peu déprimé que deux amis la guerre avec l’Irak bat son plein, les
LA PREMIÈRE PAGE : mais sans lourdeur – et avance pour­ que de son intrigue sentimentale, l’aient conjuré de renoncer au ti­ deux garçons vont errer dans un
Dimitri Marguerite tant à toute allure. Eric Reinhardt fait un usage virevol­ tre qu’il envisageait (et ne nous Iran en proie à la confusion et aux
est mort, dans sa Avec Dimitri, on suit un garçon tant. Sa langue souple, rieuse (avec son dévoilera pas), Eric Reinhardt vi­ violences débridées. Ils connaîtront
27e année. Quel en­ brillant et insaisissable, libre dans ses art consommé de rapporter les dis­ site une exposition au Palais de l’ostracisme, l’humiliation, la prison.
chevêtrement de choix amoureux et sexuels comme cours) s’adapte à tous les changements Tokyo, à Paris, et tombe en arrêt Et nous offriront une poignante
circonstances, de dans sa manière de mener son exis­ de ton et de tempo que l’auteur im­ devant un tableau de la Française histoire d’amour,
décisions, d’effets tence professionnelle, qui court après pulse à son roman pour en décupler Nina Childress intitulé Comédie de mort
du hasard a mené une femme croisée à plusieurs repri­ l’intérêt esthétique et la drôlerie. Mais française : « J’ai été jaloux de ce et d’exil. 
le jeune homme sur la route de ses dans des lieux éloignés, et se pas­ aussi pour faire le compte des forces, titre. » Dans l’« ivresse » de la soirée eglal errera
Bretagne où il a perdu la vie dans un sionne pour l’histoire de l’invention occultes ou visibles, grandes et petites, de Noël, il comprend que le pluriel  Les Garçons de
accident de voiture ? C’est ce que va d’Internet. Et plus précisément pour la qui agissent les individus et les conviendrait mieux à son roman, l’amour (Pesaran­e
s’attacher à restituer Comédies fran­ manière dont la France est passée à sociétés.  r. l. à cet entrecroisement d’histoires, Esheq), de Ghazi
çaises, au fil de ses presque 500 pa­ côté de la possibilité de l’inventer ce récit « un peu cruel et maso­ Rabihavi, traduit du
ges à la vivacité remarquable, qui – avec l’intention de venger, par un comédies françaises, chiste » d’un ratage français. Qui persan par Christophe
prend le temps – de présenter ses livre, les visionnaires empêchés d’Eric Reinhardt, est, pour ce qui le concerne, une Balaÿ, Serge Safran,
personnages, de les laisser se Ce pourrait être austère, raide, mais, Gallimard, 478 p., 22 €, numérique 16 €. réjouissante réussite.  422 p., 23,90 €.
0123
Vendredi 21 août 2020
Critiques | Essais | 9
Pour Lavie !
Avant sa mort, le 7 juillet 2020,
Jean­Claude Lavie a pu corriger les
épreuves de ce petit livre qui réunit
david zerbib huit essais et en choisir le titre. Il
s’agit pour lui de ce qui spécifie la

P
armi les images qui ont psychanalyse : saisir le sexe à tra­
saisi l’attention de Lau­ vers des paroles. Résistant à 23 ans,
rent Jenny, il en est une psychanalyste à 33, trapéziste
que l’on garde particuliè­ trente ans plus tard, Lavie a tou­
rement à l’esprit, comme l’allégo­ jours su faire des récits extrava­
rie de ce qui se joue dans son gants dont il faut décrypter la
nouveau livre, Le Désir de voir. Il signification comme dans un ta­
s’agit d’une œuvre de l’artiste co­ bleau de Magritte. On trouvera
lombien Oscar Muñoz intitulée donc ici un savant mélange de gen­
Linea del destino (2006). Dans res : l’histoire d’un homme qui lui
cette vidéo en noir et blanc, on propose un modèle de thérapie
voit la main de l’artiste retenir en universelle ; une réflexion sur la
son creux un liquide, à la surface « Trajet lumière », « chair mère qui ne sera jamais une
duquel vient se refléter son vi­ sténopé, 2018 : chère mère » ; et, pour finir, une
sage. Mais immanquablement la « Un événement déclaration sortie tout droit d’un
matière de ce reflet s’écoule entre visuel film de Stanley Kubrick : « Nous al­
les plis de la naissance des doigts, extraordinaire », lons bientôt devoir partager un es­
déformant cet autoportrait fra­ selon l’auteur pace quantique (…). Jusqu’à mainte­
gile, qui bientôt disparaît. de l’image et nant, être ailleurs était impossible
Ainsi, un bain de matière en auteur du « Désir parce qu’on était toujours ici. » Dé­
flux fait tenir le visible entre ap­ de voir ». sormais, « on peut être ailleurs tout
parition et disparition. Là se tient LAURENT JENNY en étant ici. On sera donc toujours
aussi celui qui voit, c’est­à­dire ici, c’est­à­dire toujours ailleurs ».
celui qui retient le temps néces­ Au milieu de ces envolées, Lavie
saire à la vision. Dans ce jeu sur réaffirme sa conception de la cure :
le processus de « révélation » de parler de Freud – c’est­à­dire du
l’image, au sens de la technique « sexe dans la bouche » –, c’est par­
de développement photographi­ ler de soi en atten­
que et d’une nouvelle connais­ dant qu’un autre
sance incarnée dans la durée parle. De la haute
d’un geste singulier, on reconnaît voltige !  élisabeth
une dynamique essentielle de roudinesco
cet essai.  Le Sexe dans la
Comme dans une autobiogra­
phie du regard, le professeur
L’essayiste et romancier signe «Le Désir de voir», bouche, de Jean­Claude
Lavie, PUF, « Petite
émérite de littérature à l’univer­
sité de Genève y retrace certaines
réflexion sur la transformation du regard par l’œuvre d’art bibliothèque de
psychanalyse »,
étapes de son « désir de plonger 128 p., 14 €.
dans le visible », alors même que
son esprit, par goût et profes­
sion, était tout entier porté vers
le lisible. Spécialiste des avant­
Laurent Jenny Démythifier l’histoire

demande à voir
gardes littéraires, théoricien du
style et auteur lui­même de ro­ Et nous sûmes que nous ne sa­
mans, Laurent Jenny raconte vions rien. Il y a des degrés, bien
comment la « clé » qui lui a per­ sûr. Mais peu de lecteurs pourront
mis de « commencer à voir » a été se vanter, face à ce volume – qui re­
trouvée dans le travail d’Henri prend en un seul les deux tomes
Michaux (1899­1984). parus en 2015 et 2017 –, de ne s’être
Le chemin de l’écrivain­peintre jamais fait piéger par telle ou telle
lui a montré le passage du signe idée reçue sur la seconde guerre
écrit au mouvement tracé dans conservera pas de pinceau à la toujours démêler, à arpenter », ne tiques et sociaux de l’intersubjec­ mondiale, ici méticuleusement dé­
l’espace. Les expériences sous main – c’est plutôt un appareil relève ni de l’apparition immé­ tivité. Mais comme toutes les ap­ montée. Si personne de sérieux ne
mescaline liées à certaines pro­ photographique qui l’accompa­ diate, ni d’une transcendance qui proches qui, depuis au moins le prétend plus que le régime de
ductions de Michaux incitèrent gne –, mais il entendra long­ nous amènerait au­delà des ap­ philosophe américain John Vichy a protégé les juifs français, la
même à l’époque Laurent Jenny à temps retentir comme un « coup parences. Voir est au contraire un Dewey (1859­1952), renvoient l’art mise à jour que proposent la qua­
mener, avec des amis, une expéri­ de gong qui [lui] ouvre le visible ». processus d’espacement, de dila­ à l’expérience plutôt qu’à des dé­ rantaine d’historiens réunis par
mentation sous LSD, où de L’ouverture du visible n’a ce­ tation, de délais, de retards et bats sur des critères de jugement, Jean Lopez et Olivier Wieviorka
pendant rien à voir, si l’on ose d’écarts. Fondamentalement, ces c’est à une culture de l’attention démontre que nous devons tous
dire, avec des visions que la processus relèvent de la tension, que nous invite ce livre. rester modestes. La défaite de 1940
Inscrivant la question perception ordinaire ne pourrait propre au visible, entre ce qui Par cette extension de la sensi­ était­elle inéluctable ? Hitler,
esthétique sur le plan atteindre, sauf à en appeler au s’affirme et ce qui s’efface. bilité, ce que les œuvres nous en 1941, a­t­il devancé une attaque
travail du rêve ou à des stratégies Ce sont les œuvres d’art qui donnent à voir, c’est tout le reste, de Staline ? Les cheminots ont­ils
de l’expérience psychédéliques. Suivant la criti­ nous l’apprennent, montre l’au­ autrement dit, la vie. été des acteurs majeurs de la Libé­
personnelle, l’auteur que adressée par Paul Valéry à teur de La Vie esthétique. Stases et Relatant ses propres le désir de voir, ration ? Le métier d’historien
l’encontre des surréalistes et de flux (Verdier, 2013). En particulier expériences photo­ de Laurent Jenny, consiste parfois à dire non. C’est
tend à en éloigner leur complaisance aux visions dans la dramaturgie du noir et graphiques, Laurent L’Atelier contemporain, même un des moments où il se
les enjeux critiques oniriques, l’auteur fait ici l’apolo­ blanc, comme dans les fusains Jenny met donc à 168 p., 20 €. montre le plus sa­
et sociaux de gie d’un certain type d’attention d’Alexandre Hollan ou les photo­ l’œuvre son propre re­ lutaire.  florent
consciente. « L’un des critères de la graphies de Degas, mais aussi gard. « Cet été, écrit­il, j’ai remar­ georgesco
l’intersubjectivité conscience dans la vie “réelle” », dans les déplacements du regard qué qu’il se produisait dans ma  Les Mythes de
remarque­t­il, c’est qu’elle est provoqués par le Tintoret ou Hu­ chambre, vers 10 h 20 du matin, un la seconde guerre
« constamment doublée d’un halo bert Robert, ou encore le « désar­ événement visuel extraordinaire mondiale, sous
grandes feuilles et de l’encre de pensées ou d’images qui nous rimage de l’espace » qui se produit qui ne durait pas plus de deux ou la direction de Jean
étaient mises à disposition pour éloignent de la présence brute dans la peinture moderne, Pierre trois minutes. » Il est ici question Lopez et Olivier
recueillir le fruit d’une créativité des choses, l’enrobent d’autre Bonnard en tête. Inscrivant la d’un rayon de lumière, d’une Wieviorka,
hallucinée qui ne manquerait pas chose qu’elle ». question esthétique sur le plan de poignée d’armoire, et d’une « fu­ Perrin/Guerres
de libérer la vision et le geste. De Ainsi, voir, c’est­à­dire « affron­ l’expérience personnelle, l’auteur sée d’ombre » qui s’élance dans & Histoire, 522 p., 25 €,
ce moment, Laurent Jenny ne ter la confusion du voir – le voir à tend à en éloigner les enjeux cri­ le blanc.  numérique 18 €.

Le docteur Péguy au chevet du monde malade


« De la grippe », « Encore de la grippe », « Toujours de la grippe » : réunis en un volume, trois essais de 1900 révèlent un grand moraliste

gile, le jeune Péguy – il n’a que 27 ans et (qui prétendait n’écrire « que pour les lec­ damnation de certains, il défend une tuite : celle de classiques que, élève stu­
vient de créer les Cahiers, contre l’avis de teurs intelligents et éclairés »), Péguy s’at­ communion socialiste, seule à même, dieux, il avait néanmoins méconnus,
ses anciens maîtres, effrayés par son tache au présent, certain que celui­ci « en parce qu’elle n’abandonnerait aucun mais qu’il peut enfin « lire d’homme à
manque de pragmatisme et de discipline vaut la peine ». Soutier des Cahiers, aux­ homme au seuil de la cité, d’accomplir ce homme, sincèrement ».
socialiste – se fait tour à tour philosophe, quels il sacrifiera toute son existence jus­ qu’il nomme la « révolution de la santé ». De la grippe… constitue l’un de ces clas­
jean­louis jeannelle révolutionnaire et moraliste. qu’à sa mort au front, il se saisit de tout Cette révolution, l’avènement s’en siques qu’à notre tour il nous faut « lire
Ceux qui pensent trouver dans ce petit prétexte, même celui d’une maladie, afin trouve retardé par la décomposition en patiemment ». Comme Eric Thiers le note

E
n détournant Danton et son ap­ volume des lumières sur la pandémie de dialoguer, certes « à l’abandon », mais cours du dreyfusisme (dont il tirera un très justement dans sa préface, on y dé­
pel à sauver la patrie (« Il nous actuelle seront bien déroutés. Qui est cet toujours de l’essentiel, c’est­à­dire de ce bilan amer en 1910 dans Notre jeunesse). couvrira un Péguy digne successeur des
faut de l’audace, encore de étrange « docteur moraliste révolution­ « monde malade ». Péguy est bien forcé de l’admettre : tout moralistes du XVIIe siècle, et redonnant
l’audace, toujours de l’audace ») naire » venu rendre visite à notre malade dans le monde, en particulier les récents sens à une vieille maxime de Térence :
pour évoquer une récente grippe, Char­ et relisant avec lui la Prière pour deman­ Maladies collectives massacres d’Arméniens (1894­1896) dans « Je suis homme, et rien de ce qui est inhu­
les Péguy (1873­1914) n’a pas choisi de der à Dieu le bon usage des maladies, de Car Pascal ou Renan ne sont nullement l’Empire ottoman ou ce « champ d’hor­ main ne m’est concitoyen. » Un moraliste,
s’apitoyer sur son sort. Certes, les trois li­ Pascal, ou les Dialogues philosophiques un détour. En examinant les scrupules reurs, de sadismes et d’exploitations cri­ autrement dit, soucieux de tous les
vraisons des Cahiers de la quinzaine ici écrits par Renan après la défaite contre la du chrétien, que la maladie rapproche de minelles » auquel la France et l’Angleterre « damnés de la terre ». 
réunies : « De la grippe », « Encore de la Prusse et la Commune ? Pourquoi débat­ Dieu mais dont le devoir est de se soigner, ont réduit l’Afrique, montre que l’huma­
grippe », « Toujours de la grippe », parues tent­ils de l’affaire Dreyfus, dont beau­ ou le coût idéologique et social du positi­ nité présente est sérieusement malade. de la grippe, encore de la grippe,
entre février et avril 1900, ont pour pré­ coup voudraient préserver l’idéal à tra­ visme élitiste de Renan, c’est aux mala­ Dès lors, ces trois livraisons de 1900 toujours de la grippe,
texte la maladie qui l’a touché. Mais, vers les universités populaires ? Qu’im­ dies collectives que Péguy s’intéresse en auraient pu s’intituler : « Du bon usage de Charles Péguy,
passé l’étonnement, voire la vexation, porte, en réalité. Laissez­vous porter : priorité. Face à la communion chré­ des maladies ». Alité, le gérant des Ca­ préface d’Eric Thiers,
que chacun éprouve à se découvrir fra­ loin des hauteurs étouffantes de Renan tienne, imparfaite en ce qu’elle admet la hiers goûte l’intérêt d’une lecture gra­ Bartillat, 168 p., 14 €.
10 | Chroniques 0123
Vendredi 21 août 2020

LE FEUILLETON
CAMILLE LAURENS maternelle qui la rabroue : « Les Noires ne
peuvent pas être des princesses » ; c’est LES MAINS DANS
une patiente de sa mère, aide­soignante, LES POCHES
Des souris et des femmes
qui ne l’appelle que « la négresse » ; c’est
son père, « accusé de vol à trois reprises en VÉRONIQUE OVALDÉ
quatre mois » au supermarché. Plus tard,
quand elle sort avec un surfeur « blond
paille », elle se sent ajoutée à « une liste de IL Y A CHEZ LES NOUVELLISTES AMÉRI­
sujets exotiques qu’il avait envie de tester, CAINES quelque chose de discrètement
comme la cuisine coréenne dans nos menaçant. J’aime savourer l’intranquil­
assiettes ». Même la discrimination posi­ lité qu’elles instillent. On dit que les lec­
tive n’échappe pas à sa lucidité pleine teurs français ne sont pas friands de nou­
d’humour : « C’est étonnant de voir à quel velles. On prévient toujours les aspirants
point on vous trouve sympa quand vous écrivains que ce sera difficile de publier
êtes la seule personne noire dans une s’ils se contentent d’écrire des nouvelles.
pièce, même quand vous n’avez rien de Il faudrait au lecteur le temps de s’im­
vraiment sympa. » merger ; dans le roman, il prend ses aises,
Intériorisant les critiques, la narratrice il prend ses marques. Etc. Sauf que. Les
a très tôt voulu conquérir excellence et nouvelles sont autant de fenêtres sur
contrôle de soi – « devenir aussi irrépro­ l’immeuble d’en face – observer et inven­
chable que Jésus » – pour casser, dit­elle, ter la vie de ses voisins est une activité
« ma petite pierre vibrante de haine de délicieusement récréative, je ne vous
moi­même ». Cette maîtrise se retrouve apprends rien.
dans la conduite du récit, qui zigzague
souplement entre les époques et les dif­ JE SUIS UNE CHERCHEUSE DE NOUVEL­
férents registres. Le génie comique d’une LISTES. ET QUAND JE SUIS TOMBÉE SUR
scène au temple, où le pasteur « baptise » ROBIN MACARTHUR j’ai compris que
tout le premier rang avec sa sueur, j’étais chez moi. Ici, il y a des filles qui fu­
alterne avec la rigueur d’une réflexion ment du tabac éventé dans des coupés
sur les neurosciences ; une image hila­ violets définitivement immobilisés – le
rante ou un souvenir heureux viennent moteur a explosé –, des souris ont élu do­
illuminer « le sentiment du rien » qui im­ micile dans le rem­
prègne une histoire irradiée par un bourrage des sièges,
noyau mélancolique. La figure de Nana, les vaches ont pres­
le fils et frère adoré, condense en effet que toutes quitté les
la tendresse bouleversante du roman. étables, il ne reste à
Footballeur promis à une grande car­ l’horizon que des
rière, il se blesse et, soigné à l’oxycodone, granges rectangulai­
un opioïde, devient toxicomane. Dès res désertées et des
lors, le chagrin dévaste la famille, vouée machines en panne,
au mépris – « ces gens­là » –, et Gifty re­ les gens mangent
tient la leçon : « Le fait que j’aurais tou­ trop et mal, ils sont
jours quelque chose à prouver et que rien malades du cœur,
STEFANIA INFANTE
d’assez éclatant ne suffirait à le prouver. » vivent de Bud, de
Si ses études lui ont appris ce qu’est sandwiches au
DANS SUBLIME ROYAUME, deuxième ro­ fille. C’est elle qui, désormais implantée l’« inscape », « cette chose insaisissable qui beurre de cacahuète et d’aide sociale
man de Yaa Gyasi, Gifty, la narratrice est en Californie, revient sur un passé mar­ fait l’unicité d’une personne ou d’un ob­ (pour ce que cela vaut outre­Atlantique),
une jeune chercheuse en neurosciences qué par de multiples humiliations et dé­ jet », elle admet aussi qu’elle a « non pas et ils espèrent que leur chat, avec son
dont les collègues suscitent parfois l’aga­ vasté par un drame dont sa mère ne s’est ronronnement millimétré, guérira leur
cement : « Je ne voulais pas, explique­t­ jamais remise. Celle­ci, dépressive, aban­ Une image hilarante palpitant malade. Ce n’est pas gai au pre­
elle, être considérée comme une femme donnée depuis longtemps par son mari mier abord, j’en conviens. Mais c’est une
s’intéressant à la science, une femme retourné au Ghana, a emménagé chez ou un souvenir heureux manière élégante de s’accommoder de
noire s’intéressant à la science, je voulais Gifty, et la cohabitation des deux fem­ viennent illuminer notre nature périssable. « Et les rivières,
être considérée comme une scientifique, mes forme le fil rouge du roman : « A qui à l’aube ressemblaient à des veines,
un point c’est tout. » Disons donc avant nous deux, nous étions une expérience,
« le sentiment du rien » ont maintenant l’air de rivières charriant
toute chose que Yaa Gyasi est une remar­ l’osmose mère­fille. La question était et qui imprègne « Sublime leurs eaux froides vers un lieu plus vaste,
quable écrivaine. Ceux qui ont lu No demeure : est­ce que ça irait entre nous ? » royaume », de Yaa Gyasi, encore à déterminer, où je me sentirai
home, son premier roman, best­seller Tout semble en effet les opposer. La chez moi. »
publié en France en 2017, le sa­ mère, pieuse pentecôtiste, a fait de la reli­
histoire irradiée par
sublime royaume vent déjà. Dans cette fresque gion son baume, alors que Gifty écrivait un noyau mélancolique CHEZ ROBIN MACARTHUR ON EST DANS
(Transcendent Kingdom), nourrie d’histoire qui s’étendait déjà dans son journal d’enfant : « Cher LE VERMONT, CHEZ LAUREN GROFF ON
de Yaa Gyasi, sur trois siècles, la romancière Dieu, pourriez­vous me montrer que vous EST EN FLORIDE. Des paysages radicale­
traduit de l’anglais (Etats­ afro­américaine, née au Ghana existez vraiment ? », et n’aime rien tant un seul, mais des millions de moi », dont la ment différents et une même maladie
Unis) par Anne Damour, en 1989, retraçait puissamment que rester seule dans son laboratoire tension crée son être ambigu et mobile, humaine : croître, prospérer, et savoir que
Calmann­Lévy, 374 p., à travers ses personnages l’his­ avec ses souris, dont le cerveau est pour entre tradition et avenir, science et foi. cela ne mène pas à grand­chose. Toujours
20,90 €, numérique 15 €. toire de l’esclavage et de la sé­ elle ce que l’âme est pour les chrétiens. La Sous une lampe de luminothérapie, elle la même histoire : être humain est un pri­
grégation, jusqu’aux violences mère – nom de code : le Mamba noir – a peut se croire revenue « à l’endroit où vilège et une damnation.
policières commises contre des Noirs toujours souhaité préserver sa « gha­ [ses] ancêtres avaient puisé ce besoin de Lauren Groff semble se demander si
que l’actualité ne cesse de remettre néité », que ce soit dans la cuisine ou le chaleur – sur une plage au Ghana, juste nos maisons tièdes ne sont pas plus dan­
tragiquement en lumière. respect des croyances ancestrales, tandis au­dessus de l’équateur ». Et, bien que la gereuses que les rues obscures. Chez elle,
Si Sublime royaume est plus intimiste, que la fille, diplômée de Harvard, a chercheuse redoute de ressembler à sa les gens ont une sale
le cercle familial où il se déroule ne se d’autres ambitions : « Je me sentais aussi mère, elle va au temple : « Je reste assise tendance à mélanger
prête pas moins aux interrogations sur ghanéenne qu’une apple pie, mais com­ dans un silence béni, et je me souviens. la vodka, l’aspirine et
la souffrance de l’immigration et les dif­ ment le dire à ma mère ? » J’essaye de mettre de l’ordre, de trouver un les baignoires, cer­
ficultés d’avoir la peau noire aux Etats­ Pour autant, elle n’est pas dupe du my­ sens. » Dans la beauté ardente et résis­ taines femmes ven­
Unis. Les parents de Gifty, ayant jadis ga­ the du melting­pot, tant le quotidien a tante du roman de Yaa Gyasi, où passent dent un de leurs
gné à « la loterie de la carte verte », ont été, dès l’enfance, assailli par ce racisme des échos de James Baldwin et de Toni ovaires pour se payer
quitté le Ghana avec leur fils Nana, pour ordinaire qui finit par modeler toute Morrison, sous « la grâce rédemptrice » un voyage en Europe
s’installer en Alabama, où naîtra leur l’existence. C’est un élève de l’école de la littérature, nous faisons de même.  avec leur amant,
des grandes sœurs
consolent des petites
illustre solitaire dont la tête do­ en un sens toujours la même, sœurs qui consolent
FIGURES LIBRES mine l’Europe » les quatre pre­ comme réalité rencontrée, et tou­ des grandes sœurs,
miers chapitres de son livre, ma­ jours autre, comme objet de dis­ on choisira toujours
ROGER-POL gnifiant « le grand ermite », invo­ cours, de savoir et de rêverie. Une d’aimer malgré les
DROIT quant ses secrets, le mystère de réflexion que permet de poursui­ souffrances liées à l’amour. « Pendant des
cette présence où se juxtaposent vre la nouvelle collection des édi­ années, je n’avais été bonne que dans les
proximité et lointain, insurmon­ tions du Pommier, dont le Miche­ domaines qui m’intéressaient, or tout ce

Michelet et nous table étrangeté.

Question de sensibilité,
let est un des quatre premiers vo­
lumes. Les trois autres, à des titres
divers, ne sont pas moins intéres­
qui m’intéressait, c’était mes livres et mes
enfants, aussi le reste de la vie s’était­il en
quelque sorte éloigné de moi petit à pe­

face au mont Blanc d’époque, d’écologie,


Dans cette prose généreuse et
surannée, ce qui intéresse le plus
n’est pas directement la monta­
sants, puisqu’on y trouve une bro­
chette de géants : le naturaliste
Buffon et ses animaux sauvages,
le géographe libertaire Elisée Re­
tit. » La Floride est un drôle d’endroit : des
serpents corail logent dans la cuvette des
toilettes, des araignées venimeuses sont
gentiment tapies dans vos armoires, la
NÉ SOUS LA RÉVOLUTION, Montagne, publié en 1868, à la fin gne, mais plutôt l’histoire des re­ clus en Sierra Nevada, le génial jungle envahit tout et les ténèbres guet­
en 1798, mort en 1874, sous la de sa vie. C’est un tort. gards sur la nature. Précisément, Alexander von Humboldt explo­ tent, affamées, prenant de multiples for­
IIIe République, Jules Michelet in­ Aujourd’hui réédité, ce texte la rencontre troublante de l’in­ rant steppes et déserts. mes. Lauren Groff est une sorcière très
carne à lui seul le XIXe siècle, dans étonnant vaut d’être découvert. temporel et des circonstances. La collection s’intitule « Les mal intentionnée ; elle est du genre à
ce qu’il a de meilleur comme d’in­ Après plusieurs saisons de mar­ Les lieux que décrit le texte exis­ pionniers de l’écologie », et sa fré­ offrir des brosses à dents aux enfants
suffisant. Elu au Collège de France che, de col en col, avec sa femme, tent encore, les noms sont les mê­ quentation est à recommander, quand ils sonnent chez elle à Halloween.
PHOTOS PHILIPPE MATSAS, LAURENT SEKZIK, BRUNO LEVY

en 1838, destitué par l’Empire aux alentours de Chamonix, mes, les paysages aussi. Le mont d’autant plus que les volumes Pour ces deux­là, l’attention poin­
en 1852, le « pape de l’histoire » est la montagne, en Engadine, au Léman, Blanc qu’a contemplé Michelet sont d’un prix fort abordable. tilleuse au monde semble un exercice de
l’auteur d’une œuvre colossale, de Jules Michelet, dans les Pyrénées, l’histo­ semble à peu près identique à ce­ Toutefois, ces auteurs et leurs tex­ survie ; chacune de leurs nouvelles a
avec pour piliers Histoire de préface d’Antoine rien célèbre la montagne, lui que nous voyons – du moins tes ne me semblent pas attirants quelque chose d’élégiaque, comme une
France et Histoire de la Révolution de Baecque, tour à tour « initiation », de loin. Pourtant, presque rien de parce qu’ils seraient pionniers de antique et belle maison qui s’écroulerait
française. Mais s’en détachent Le Pommier, « médecine », « société », ce que dit ce grand auteur ne peut quoi que ce soit. A mon humble au ralenti et avec dignité. 
également bien des titres isolés et « Les pionniers « religion »… Mais d’abord être dit aujourd’hui. Affaire de avis, c’est l’inverse. Il faut les lire
qui se lisent encore, comme La de l’écologie », énigme, physiquement style, de rhétorique, de voca­ comme des témoins de discours  Le Cœur sauvage (Half Wild), de Robin
Sorcière ou La Bible de l’humanité. 266 p., 12 €, éprouvée. De tous les som­ bulaire – sans doute. Mais pas disparus ou en voie de dispa­ MacArthur, traduit de l’anglais (Etats­Unis)
En revanche, on connaît bien peu numérique 8,50 €. mets approchés ou entre­ seulement. Question avant tout rition. Des vestiges d’autres re­ par France Camus­Pichon, Livre de poche,
la série de livres qu’il consacra à la vus, décrits ou magnifiés au de sensibilité, d’époque, d’écolo­ gards et discours sur la nature que 240 p., 7,40 €, numérique 8 €.
nature et qui furent des succès en cours de ces périples, se détache le gie, de changement de regard. les nôtres. Pas des précurseurs,  Floride (Florida), de Lauren Groff, traduit
leur temps, L’Oiseau, L’Insecte, La mont Blanc. Il sidère l’historien­ Ce qu’incite à méditer cette lec­ mais des dinosaures. Jurassic de l’anglais (Etats­unis) par Carine Chichereau,
Mer… Et l’on ignore tout à fait La marcheur, qui consacre à « cet ture, c’est donc que la nature est Park plutôt que le Futuroscope.  Points, 312 p., 7,50 €, numérique 16 €.
0123
Vendredi 21 août 2020
Mélange des genres | 11
On reprend volontiers une lampée de bonne prose signée JEUNESSE
de l’auteur de « Women ». L’anthologie « Sur l’alcool » y invite

Charles Bukowski, cul sec !


ANTHOLOGIE

macha séry
Clémentine Beauvais prend soin

P
arce qu’il ne met pas d’eau dans
son vin et de baratin dans sa A en croire la première page, Age tendre, le nouveau roman de
prose, tout, après Charles Clémentine Beauvais, aurait dû en compter trente. Valentin
Bukowski (1920­1994), paraît Lemonnier, le narrateur, le sait puisqu’il mentionne, sous
affadi, trop lustré. « Je ne pense pas que « Rapport de Service Civique Obligatoire » : « Longueur : 378 pa­
l’alcool détruise les écrivains, confiait cet ges (j’ai dépassé). » Le lecteur plonge dans un (long) rapport de
éternel boit­sans­soif à un journaliste, stage ! Clémentine Beauvais, qui a déjà livré plusieurs romans
en 1984. Je pense qu’ils sont détruits par pour les adolescents, aime les expériences littéraires : dans
l’autosatisfaction, leur enflure d’ego. Ils Songe à la douceur (Sarbacane, 2016), elle revisitait Eugène
manquent d’endurance pour la simple et Onéguine, le classique d’Alexandre Pouchkine (1833), écrivant
bonne raison qu’ils ont eu très peu de cho­ en vers et osant les calligrammes.
ses à endurer – ils ont du souffle, à leur dé­ Voici le roman « rapport de stage­journal intime », un texte
but. » Lui a enduré beaucoup de choses : loufoque et dense mais qui, sous une forme singulière, laisse
un père violent, une mère indifférente, la émerger une véritable intrigue. La présidente de la Républi­
guerre, les emplois harassants dans un que a instauré le service civique obligatoire. Entre le collège et
abattoir, des entrepôts, à la poste. « Si je le lycée, les adolescents plongent dans un milieu profession­
n’avais pas été un ivrogne, ça fait sans nel inconnu loin de chez eux. Valentin quitte son Albi (Tarn)
doute un bail que je me serais suicidé. Tu pour Boulogne­sur­Mer (Pas­de­Calais) et une unité de soin
sais, trimer à l’usine, le boulot de huit réservée aux patients âgés à la mémoire émiettée. Ils y sont
heures. Les taudis, la rue. Tu te casses le dorlotés dans un décor reconstituant les détails de la vie
cul pour un job infect. Tu rentres chez toi d’antan. Mais Valentin patauge dans les références et promet
le soir, t’es claqué. » à une patiente la venue de la jeune Françoise Hardy. Va­t­il
Après Sur l’écriture et Tempête pour les Charles Bukowski fait le plein (1996). CHRIS FELVER/GETTY IMAGES réussir à trouver un sosie ? C’est l’un des enjeux du livre. Il y
morts et les vivants (Au diable vauvert, en a d’autres, comme celui d’essayer de comprendre le mys­
2017 et 2019), Sur l’alcool est la troisième tère d’une jeune médecin.
anthologie conçue par l’Américain Abel La romancière s’offre un jeu littéraire à la mesure de sa fantai­
Debritto. Elle combine des poèmes, des continuera à lever le coude, en dosant Williams, Ernest Hemingway, Norman sie. Elle multiplie les niveaux de narration : notes a posteriori
lettres, de nouvelles autobiographiques mieux sa consommation quotidienne. Mailer, John Cheever, Raymond Carver, de Valentin sur son rapport, retranscription de dialogues,
parues outre­Atlantique – tous inédits en John Fante, etc. – a donné lieu à plusieurs tableaux… L’ensemble est ludique, même s’il frise parfois la
France, à l’exception d’extraits du Postier, Défier le hasard essais. En ce qui concerne Bukowski, il saturation. Sa façon de singer le vocabulaire administratif est
de Women et de Mémoires d’un vieux dé­ Pas plus repentant que tempérant, n’est pas possible de tirer de généralités souvent drôle et cette comédie égratigne au passage quelques
gueulasse – et couvre la quasi­intégralité Bukowski a toujours assumé son statut sur le sujet : « Je n’écris pas toujours avec travers de notre époque : le manque d’audace pour s’occuper
d’une carrière littéraire s’étirant de 1961 de pochetron. C’était une manière un coup dans le nez. J’écris sobre, bourré, des personnes âgées, l’absurdité administrative et quelques
à 1992. C’est un recueil tragi­comique, ni sur l’alcool, pour lui, disait­il, de bifurquer en pleine forme, dans un sale état. Il n’y a excès de zèle de l’éducation nationale.  raphaële botte
sublime ni sordide. Certes, il y a des épi­ (On Drinking), vers des sentiers buissonniers, de pas de formule miracle pour moi » (Lon­  Age tendre, de Clémentine Beauvais,
sodes qui s’achèvent dans le caniveau, de Charles défier le hasard. « La picole, c’est don Magazine, décembre 1974). Sarbacane, « Exprim’», 392 p., 17 €, numérique 12 €. Dès 14 ans.
des rixes suivies de points de suture, des Bukowski, un truc intense. Ça vous extrait de Il y a mille bienfaits à lire Bukowski.
lectures publiques qui virent à la beuve­ édité par Abel la normalité du quotidien, ça vous C’est que le scénariste de Barfly, film ins­
rie et un mariage à la défonce, des nuits Debritto, traduit fait oublier le côté répétitif des cho­ piré de ses boires et déboires (Barbet
passées en cellule. Après dix ans de de l’anglais (Etats­ ses. Ça vous fait quitter votre corps Schroeder, 1987), manifeste à chaque
cuites ininterrompues, scotché sur un Unis) par Romain et votre esprit pour vous jeter phrase une intransigeante honnêteté. Il
tabouret de bar, Bukowski, qui a com­ Monnery, contre le mur. » Une forme d’art débarrasse le style des faux cols. A une
mencé à boire à l’âge de 16 ans, manque Au diable vauvert, ou de suicide selon lui, mais aussi éditrice disposée à le publier, mais qui
de mourir. A l’hôpital, il est relégué chez 360 p., 20 €, une manière de se démultiplier et s’étonne que le personnage principal de
les moribonds et les infirmières ne don­ numérique 13 €. de renaître à chaque fois. sa nouvelle se soit mis à boire – un point
nent pas cher de sa peau. Une question L’effet corrosif ou créatif de faible à corriger, estime­t­elle –, il rétor­
d’heures au pire, de jours au mieux. l’alcool sur les écrivains américains que avant de raccrocher : « Oubliez tout
« Buk » en sortira sur ses deux pieds et – Francis Scott Fitzgerald, Tennessee ça et renvoyez­moi la nouvelle. » 

BANDE DESSINÉE

L’histoire à vol d’oiseau


L’ascension et la chute des humains contées par
une corneille. « Kra », de John Crowley, démiurgique « Twilight », reboot
En 2005, la romance, imaginée par l’Américaine Stephenie
Meyer, entre un vampire centenaire d’apparence juvénile
FANTASY d’une vénérable corneille dont et une adolescente de 17 ans a donné lieu à un phénomène
on épouse la vision aérienne, les de société. Soit Twilight (2005­2008), une quadrilogie vendue
fringales de charniers, la vie à 160 millions d’exemplaires à travers le monde, des longs­
communautaire et amoureuse, métrages à succès portés par des interprètes charismatiques
les rivalités claniques, les com­ (Robert Pattinson et Kirsten Stewart dans les rôles d’Edward
françois angelier bats dans la jungle céleste et, Cullen et de Bella Swan), et une communauté de fans baptisés
surtout, l’analyse d’un monde « Twihards ».

S
i l’Occident les a souvent humain énigmatique, car illisible Etait­il difficile de ne pas prolonger le filon ? Voici Midnight
confinés aux rôles de et anonyme. Sun, le contrechamp de Fascination, le volume liminaire de la
croassantes vigies des Mais le lecteur suit également, saga, revisité du point de vue du vampire. Un projet fomenté
DARGAUD gibets et de becqueteurs par l’œil de Dar Duchesne, l’émer­ de longue date auquel l’autrice avait renoncé en 2008, après
de charognes, les autres cultures, gence de la société humaine, de la la fuite des premiers chapitres sur Internet. Stephenie Meyer
amérindiennes et sibériennes sauvagerie des temps archaïques a manifestement changé d’avis : en témoigne ce bavard, très
Son nom est Parker notamment, ont su parer les
corbeaux et les corneilles de
au Moyen Age, des colons améri­
cains aux mutations technologi­
bavard, volet de 800 pages.
L’histoire de Midnight Sun est identique à celle contée dans
pouvoirs démiurgiques ou initia­ ques contemporaines : un long Fascination. Même intrigue, mêmes situations, mêmes dialo­
CRÉÉ EN 1962 PAR DONALD WESTLAKE (sous le pseudonyme tiques, agissant sur le cours des déroulé historique et religieux gues entre des tourtereaux qui retissent la trame de l’amour
de Richard Stark), Parker, le truand sans pitié ni scrupule, a été planètes, la vie de la matière ou que Crowley le bien nommé (crow contrarié entre deux jeunes gens de clans opposés. Toutefois,
incarné par de nombreux acteurs au cinéma : Lee Mavin, l’ordre des sociétés. signifiant « corneille » en anglais) la romancière approfondit les affres de la conscience du sé­
Robert Duvall et Mel Gibson, entre autres, ont prêté leurs traits Un triple filon mythologique truffe de citations littéraires et de ducteur au teint pâle, ses relations avec ses sœurs. Elle donne
au plus taciturne des durs à cuire, sans toutefois avoir le droit magnifié tout au long de Kra, de clins d’œil (Hitchcock). aussi à entendre les pensées – dénuées d’intérêt – qu’il perçoit
de porter son patronyme (dépourvu de tout prénom). L’auteur l’Américain John Crowley, révéré Kra est un monument d’archi­ chez ses condisciples humains.
de comics Darwyn Cooke a, lui, obtenu ce privilège, directe­ par Neil Gaiman ou Michael tecture et de poésie mythique Avec Twilight, Stephenie Meyer n’a pas modernisé le mythe
ment auprès de Westlake, à condition de ne pas réaliser un Chabon. Avec ce roman, superbe­ signé par un écrivain pour qui, des suceurs de sang,
livre isolé mais une série reprenant plusieurs titres. ment traduit, le maître conteur comme l’écrit le préfacier Patrick contrairement à Entretien
Publiés aux Etats­Unis entre 2009 et 2013, les quatre livres fait de Dar Duchesne, la première Gyger, « les littérateurs sont des avec un vampire, d’Anne
adaptés par le dessinateur canadien – dont le roman initial, corneille de l’histoire à porter un médiums ».  Rice (JC Lattès, 1978). Les

Comme une fleur, devenu Le Chasseur – sont enfin disponibles nom, à la fois une conscience Elle a lui a conféré une
en français et réunis dans un superbe pavé de 600 pages. Très à universelle et le témoin des gran­ kra. dimension bucolique et
l’aise avec l’esthétique américaine des sixties, Cooke fait assaut des mutations de l’Ymr, la réalité dar duchesne dans rajeuni les protagonistes, recherchent de
d’inventions graphiques et de cadrages audacieux pour donner
chair à cette ordure de Parker, et magnifier la prose au scalpel
humaine, et du Kra, le « royaume
des corneilles ».
les ruines de l’ymr
(Ka. Dar Oakley
qui vont en cours de bio­
logie et cancanent sur le nouveaux
de Westlake. Mort en 2008, ce dernier n’aura rien vu du
résultat. Darwyn Cooke est décédé, lui, prématurément,
en 2016, non sans avoir reçu moult prix pour cette épatante
Son témoignage, décentré,
transmis à l’un des ultimes sur­
vivants d’une Terre ravagée et
in the Ruin of Ymr),
de John Crowley,
traduit de l’anglais (Etats­Unis)
bal de fin d’année.  m. s.
 Midnight Sun,
de Stephenie Meyer, traduit
auteurs
Envoyez vos manuscrits :
Éditions Amalthée
adaptation.  frédéric potet anéantie par un enchaînement de par Patrick Couton, de l’anglais (Etats­Unis) 8-10 rue Louis Marin, 44200 Nantes
 Parker, de Darwyn Cooke, traduit de l’anglais (Etats­Unis) catastrophes industrielles et cli­ L’Atalante, « La dentelle du par Luc Rigoureau, Hachette
Tél. 02 40 75 60 78
par Tonino Benacquista, Matz, Doug Headline et Nicolas Richard. matiques, nous fait d’abord par­ cygne », 512 p., 25,90 €, Romans, 806 p., 19,90 €, www.editions-amalthee.com
Dargaud, 602 p., 45 €. tager l’être­au­monde fascinant numérique 10 €. numérique 15 €. Dès 13 ans.
12 | Rencontre 0123
Vendredi 21 août 2020

Fatima Daas

« Le roman,
c’est quand
on n’est bien
nulle part »
Née dans la banlieue de Paris au sein d’une famille
musulmane, la jeune autrice signe « La Petite
Dernière », son premier livre, roman d’apprentissage
lesbien autant que corps­à­corps avec Dieu

jean birnbaum Parcours

L’
éditeur de Fatima Daas
présente son livre comme 1995 Fatima Daas naît à Saint­
un « premier roman » et il a Germain­en­Laye (Yvelines).
raison. La chose est assez
rare pour être signalée : ici, 2003 Sa famille s’installe
cette appellation ne relève à Clichy­sous­Bois Fatima Daas, à Paris, le 17 juin. RÉMY ARTIGES POUR « LE MONDE »
pas de la simple stratégie marketing. La (Seine­Saint­Denis).
Petite Dernière, premier ouvrage signé
par cette femme de 25 ans, est bel et bien 2008 Elle se rend pour
un roman, autrement dit un texte à peu la première fois en Algérie, là, que ça cachait quelque chose… A mes militante. Par exemple, elle ne suit guère
près indéfinissable, une histoire qui fait où ses parents et ses sœurs yeux, tous les pères sont pourris. Mais pas les débats sur la PMA. L’homoparentalité
retentir une langue étrange et dont sont nés. que. » Du reste, Fatima Daas dresse un suscite même, chez elle, une intraitable EXTRAIT
l’étrangeté, justement, importe. Comme portrait nuancé de son propre père, Ah­ réprobation : « Je considère l’homosexua­
toutes les autres, cette rentrée littéraire med, qui bat ses trois filles à coups de lité comme un péché. Je ne sais pas pour­ « Je m’appelle Fatima Daas.
propose des centaines de romans effica­ ceinture, fait de toute tendresse un ta­ quoi, j’ignore si c’est dans les textes, je ne Je suis française d’origine
cement rédigés, très ficelés, où tout ce ce que j’avais trouvé pour dire ce que je ne bou, impose violence et silence – mais crois pas que le Coran en dise quelque algérienne.
qui est dit est dit, pas plus. Seuls une poi­ pouvais pas dire ailleurs. » pas que. A sa manière, elle continue de chose de précis, mais, à mes yeux, c’est un Mes parents et mes sœurs
gnée donnent à lire davantage, une prose L’adolescente ignore encore qu’elle est lui obéir, ne serait­ce qu’en se gardant de péché. A partir de là, l’homoparentalité sont nés en Algérie.
déraisonnable, hors de laquelle certaines entrée en littérature. Mais elle com­ décrire la moindre scène de sexe. Si La est doublement un péché », tranche­t­elle. Je suis née en France.
choses ne peuvent se nommer ni certai­ mence à en admettre la possibilité, puis­ Petite Dernière se lit comme un roman De cette conviction, Fatima Daas parle Mon père disait souvent que
nes vies se réfugier. que des professeurs lui font confiance et d’apprentissage lesbien, l’extase s’y peu avec ses amoureuses. Les rares fois les mots c’est “du cinéma”,
Or Fatima Daas ne sait pas où se mettre. qu’elle­même s’inscrit bientôt à l’atelier trouve moins dans les ébats sexuels que où il en est question, elles lui disent dou­ il n’y a que les actes qui
Née dans la banlieue de Paris, au sein d’écriture animé par le romancier Tan­ dans le corps­à­corps avec Dieu. Plutôt cement : « Ça doit être compliqué ta vie. » comptent.
d’une famille musulmane venue d’Algé­ guy Viel, dans son lycée de Clichy­sous­ que le cliché du cuni, l’événement du Co­ Et de fait, Fatima Daas traverse ses Il disait smata, qui signifie
rie, elle a vite senti qu’elle désirait les Bois (Seine­Saint­Denis). Depuis, des ran : « La pudeur de mon roman s’inscrit contradictions, les maintient à vif, elle “insister jusqu’à provoquer le
années ont passé et le pre­ dans tout un contexte culturel. Mais, de n’a pas l’intention de se réconcilier avec dégoût”, quand il voyait à la
Il suffit de discuter un peu avec mier livre qu’elle signe à pré­
sent, elle l’appelle volontiers
toute façon, ce que je voulais livrer d’in­
time, c’est surtout les moments de prière
elle­même. A l’instant même où elle se
proclame pécheresse, elle jure de se con­
télé deux personnes se dire
“je t’aime”. (…)
l’écrivaine pour comprendre « roman » : « En tout cas ce où je sens la présence réelle de Dieu en vertir à l’islam, encore et encore ; deve­ Quand mes sœurs arrivaient
que ses rencontres amoureuses n’est pas de la poésie, résume­ moi, parce que la relation avec Lui est nue lesbienne, elle continue de se dire à convaincre notre père de
t­elle. J’ai bricolé jusqu’à ra­ beaucoup plus forte que celle que je peux « homophobe » ; tout en rompant avec nous laisser regarder
n’ont pas métamorphosé la conter une histoire à la pre­ avoir avec une fille. C’est au­delà de tout. » ses parents, elle demeure fidèle à leur ju­ Charmed à la télé (parce
croyante en militante mière personne. Mais en vrai Le roman se trouve porté par cette évi­ gement. « Au début, bien sûr, tu cherches qu’il n’y en avait qu’une de
je ne sais pas trop ce que c’est. dence d’un texte sacré qui embrase la vie à lever la culpabilité. Et puis tu comprends télévision, qui se trouvait
L’autre jour, ma sœur m’a de­ tout en la disciplinant. Les versets brû­ que ce serait trop facile », dit­elle. Refuser dans la chambre de mes
filles. En discutant avec elle, aujourd’hui, mandé si je ne pensais pas que tous les lants auxquels il n’est jamais question de la facilité, assumer la complication, voilà parents), il suffisait que la
dans un appartement parisien prêté par écrivains étaient fous. Oui, ça doit être un renoncer. Et jusqu’à ces interdits impos­ qui donne chair au roman. Pas plus main d’un homme frôle celle
une amie, on comprend que cette orien­ truc lié au corps. Le roman, c’est ça, c’est sibles à congédier. La Petite Dernière n’est qu’Ahmed n’est bon père, Fatima n’est d’une femme pour que mon
tation du désir a coïncidé avec la décou­ quand on n’est bien nulle part, quand per­ pas le récit édifiant d’une lesbienne­des­ bonne fille ou bonne sœur, et le texte se père dise khmaj et change
verte de l’écriture. Dès l’âge de 14 ans, sonne n’est bon dans rien. » cités qui passerait d’Allah à Despentes. déploie sur cette défaillance généralisée. de chaîne illico presto.
quand d’autres s’abîment dans YouTube Surtout pas le père, que la jeune autrice Page après page, son autrice continue Fatima Daas se sent à côté de la plaque, à Khmaj, ça veut dire
ou Instagram, Fatima Daas s’est mise à envisage, partout et toujours, comme un d’affirmer que l’homosexualité est un côté de tout, c’est pour cela qu’elle se “pourriture”. »
tracer des mots sur les pages d’un carnet. bourreau en puissance : « Pendant ma péché : « Je m’appelle Fatima Daas. Je suis tient dans l’écriture. Nul effet de style ici,
« Je racontais mes journées, parfois il y dernière année au lycée, j’ai gardé les en­ censée porter un nom pacifique. Je crois à peine des phrases, simplement une la petite dernière,
avait des débuts d’histoire, confie­t­elle. fants du proviseur. Il était tendre avec ses que j’ai sali mon prénom », écrit la jeune manière de mener, à même la page, ce page 101
Je ne savais pas trop ce que je faisais, je me filles, ça m’a étonnée, j’ai pensé : “Tiens, femme. Et il suffit de l’écouter pour com­ qu’elle appelle sa « double vie » : « J’essaie
sentais juste complètement bizarre, pas cela existe ?” Plus tard, je me suis dit qu’il prendre que ses rencontres amoureuses de ne plus croire aux signes. J’essaie de ne
dans le bon corps, à la bonne place, et c’est avait dû être comme ça parce que j’étais n’ont pas métamorphosé la croyante en plus voir de signes partout. Je crois que je
suis superstitieuse. Je crois que c’est inter­ homme semble avoir l’habitude. Fatima
dit de l’être. » Daas aussi. Elle ne commente pas. A cet
Il y a quelque temps, autour de la socio­ instant, sa réserve n’a rien à voir avec de
Ne renoncer à rien logue Salima Amari, autrice de Lesbiennes l’indifférence ou de la lâcheté, mais elle
de l’immigration (Le Croquant, 2018), Fa­ touche directement à ce qui fait la réus­
CHAQUE CHAPITRE DE LA slameuse, la jeune autrice blanche aux uns ou aux autres, tima Daas a rencontré des jeunes femmes site de son livre : mêler les mots « islam »,
PETITE DERNIÈRE commence scande les mille et une maniè­ et ce geste impossible l’oblige à qui connaissent le même déchirement. « banlieue », « lesbienne »… sans faire
par une profération d’iden­ res qu’elle a d’être soi. Française, se tenir dans l’espace de la litté­ Pour la première fois, elle a pu partager jouir les imbéciles de tel ou tel camp. Fa­
tité : « Je m’appelle Fatima. Je musulmane, fille de ses parents, rature, à inventer une langue son expérience avec d’autres. « C’était un tima Daas cultive l’équivoque et n’a nulle
porte le nom d’un personnage lesbienne, d’origine algérienne, qui n’a rien de spectaculaire, moment hyperfort. Mais le petit groupe intention de devenir idéologue. « Je ne
symbolique en islam », ou bien habitante de Clichy, asthmati­ sinon la force vulnérable, ryth­ qu’on formait s’est cassé en deux, car beau­ crois pas avoir mon mot à dire sur tout,
« Je m’appelle Fatima Daas. que, née en 1995, chtarbée, mée, hardie, avec laquelle elle coup de filles ne voulaient plus entendre peut­être même pas sur beaucoup de
Mon père s’appelle Ahmed. pieuse, étudiante en philoso­ tient ensemble l’affront au père parler de l’islam », raconte­t­elle. choses », dit­elle en souriant. A l’avenir,
Ahmad : digne d’éloges. Ma phie, voleuse, apeurée, homo­ et la fidélité à ses commande­ Au même moment, on sonne à la porte pourtant, nombreux sont ceux qui vou­
mère, Kamar, la lune », ou phobe, sœur de ses sœurs, habi­ ments, la foi héritée et le désir de l’appartement. Déboule un ami, un dront la pousser à commenter n’importe
encore « Je m’appelle Fatima tuée du RER, pécheresse… interdit.  j. bi. brin essoufflé, qui vient de se faire agres­ quel fait d’actualité, à signer telle ou telle
Daas. Je porte le nom d’une Dès le début du livre, Fatima ser au métro Marx­Dormoy. Après l’avoir tribune bâclée. Elle en a déjà pleine cons­
Clichoise qui fait plus de trois Daas énonce tous les éléments la petite dernière, traité de « sale pédé », quelqu’un a ba­ cience. Saura­t­elle résister, là encore, à la
changements pour aller à qui rendent sa vie invivable. de Fatima Daas, lancé une glace au chocolat sur ses bas­ facilité ? Tiendra­t­elle bon sur son souci
l’université. » Elle ne veut renoncer à rien, pas Notabilia, 188 p., 16 €, kets blanches toutes neuves. Un peu cho­ de la nuance, son désir de littérature ?
A la manière d’une douce question de montrer patte numérique 13 €. qué, mais toujours blagueur, le jeune Plût à Dieu. 

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