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Notice 23

Les interventions de la puissance


publique en matière économique

P armi les fonctions « régaliennes » de l’État, nul ne songerait a priori à inclure ses interventions
en matière économique. Et pourtant, quelle que soit la théorie économique que l’on veut
appliquer – libéralisme, économie sociale de marché, économie dirigée –, l’État est bien là, et
même omniprésent. Ce qui différencie ces formes de gouvernance, c’est le rôle exact de la
puissance publique sur l’économie et les moyens qu’elle utilise pour le remplir. Il n’est que de
penser à la politique monétaire pour se rendre compte que l’État a été présent et actif dans
l’administration de l’économie depuis l’apparition du monopole de battre monnaie.
Droit
administratif
et administration
l Une histoire en aller-retour collectivités locales ou des autres acteurs publics ou Notice 23
La forme et l’intensité des interventions de la puissance parapublics.
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publique dans l’économie n’ont cependant pas été iden- l Un droit aux confins des droits public et privé
tiques selon les époques. Contrairement à une opinion L’étude des moyens d’action de la puissance publique
répandue, l’État est depuis longtemps interventionniste. sur l’économie est marquée par le droit public, mais elle
Le colbertisme avait, parmi bien d’autres choses, ses ne peut se passer d’une connaissance de certains pans
fabriques et manufactures, comme les Gobelins, et ses du droit privé, l’approche libérale partant du principe
édits normalisant certaines productions, comme celui que ce sont les acteurs privés qui interagissent avant
– de plusieurs centaines de pages – pour les laines et tout. Le droit de la concurrence est marqué par cette
tissus de 1669. Le système des corporations, structures position : il est le jeu naturel des rapports privés entre
organisées et obligatoires pour tous les métiers, bénéfi- entreprises, mais il est aussi encadré par la puissance
ciant souvent de pouvoirs de sanction, montre aussi une publique notamment à travers le contrôle des concentra-
économie réglementée par des normes étatiques. tions économiques, des ententes et des abus de positions
C’est la Révolution qui apporte le libéralisme écono- dominantes.
mique comme politique, avec la déréglementation des On a pensé un temps que ce nouveau « droit écono-
métiers et la fin des privilèges des manufactures royales. mique » était une nouvelle branche qui se créait entre
Si l’on excepte des textes à vocation sociale sur le travail le droit public et le droit privé. Fallait-il passer du droit
et les grandes concessions, on peut dire que l’État libéral public économique au droit économique avec ses deux
perdure jusqu’à la Première Guerre mondiale. aspects public et privé ? Ce débat est aujourd’hui dépassé,
Les réformes du Front populaire sont plus symboli- la dichotomie entre le droit public et le droit privé reste
ques que fondamentales. En revanche, on trouve dans en vigueur, même si la matière économique est parfois
l’économie vichyssoise la forme la plus poussée d’éco- source de complexité. La doctrine utilise aujourd’hui
nomie réglementée antilibérale avec un Office central de plus volontiers le terme de « droit public des affaires »,
répartition de productions industrielles et des comités définition plus large qui comprend les phénomènes micro-
d’organisation par métiers. économiques et notamment les contrats, tout en restant
L’après-Seconde Guerre mondiale voit l’État contrôler un droit public avec sa spécificité. Ce rapprochement
les prix par des milliers d’arrêtés pris sur le fondement de des deux branches du droit se fait dans un mouvement
l’ordonnance du 30 juin 1945 et la mise en place d’une contradictoire : on assiste à une publicisation de l’action
planification nationale, ainsi qu’une première vague de économique des personnes privées qui sont de plus en
nationalisations. Face à la crise économique des années plus encadrées, mais aussi à une privatisation de l’action
1970 qui met fin aux « Trente glorieuses », la puissance des personnes publiques, de plus en plus considérées
publique continue d’utiliser la réglementation des prix et comme des acteurs économiques comme les autres.
le Plan, jusqu’en 1982, quand est décidée une deuxième l Une source communautaire essentielle
grande période de nationalisations. Le droit communautaire est essentiellement un droit
Le milieu des années 1980 est aussi une période de économique. Même si la Communauté européenne et
déréglementation dans les autres pays du monde (R. Rea- l’Union européenne ont succédé à la Communauté éco-
gan aux États-Unis, M. Thatcher au Royaume-Uni). Dans nomique européenne, l’Europe telle que nous la connais-
ce contexte, la question d’un renouvellement de l’inter- sons aujourd’hui a essentiellement des compétences
vention de la puissance publique en matière économique économiques. La politique monétaire de l’ensemble
apparaît comme nécessaire en France aussi, question des États de la zone euro appartient par exemple à la
renforcée à partir des années 1990 par le développement Banque centrale européenne ; cet élément central de la
d’un droit communautaire axé sur la concurrence. Ce souveraineté économique lui a été transmis par le traité
mouvement est à la source d’une nouvelle modification de Maastricht. L’objectif de création d’un marché unique
en profondeur de l’action de la puissance publique sur transcende tout le droit dérivé. On retrouve d’abord les
l’économie, que cette action soit le fait de l’État, des principes de libre circulation des marchandises ou des
capitaux, mais aussi toutes les politiques communes naissance du droit de propriété aux articles 2 et 17 de la
comme la politique agricole commune, la politique des Déclaration de 1789, ou de la liberté contractuelle2. Le
transports, la politique de l’environnement, la politique droit de propriété notamment, est reconnu non seulement
de R & D ou la politique commerciale. Ensuite, ce grand aux personnes privées (qu’il protège en limitant l’inter-
marché prévoit la normalisation des produits, des règles vention de l’État), mais aussi aux personnes publiques,
de concurrence propres à son champ d’action, ainsi ce qui a permis au Conseil constitutionnel de protéger
qu’une série de dispositions sur les aides. Enfin, le droit le capital de l’État en imposant des règles strictes pour
de la concurrence communautaire et ses implications l’évaluation des entreprises publiques à privatiser.
en matière de gestion des grands services publics sont D’autres principes sont propres au droit public de l’éco-
en partie à l’origine de toutes les évolutions récentes nomie et leur interprétation a évolué en même temps que
des entreprises publiques. Que cela soit en créant un le rôle des personnes publiques dans l’économie. En se
droit directement applicable ou comme source du droit fondant sur le « décret d’Allarde », titre donné à une loi
interne, le droit communautaire est donc essentiel en des 2-17 mars 1791, le Conseil d’État avait dès 1935
droit public des affaires. reconnu l’existence de la liberté du commerce et de
L’intervention publique dans l’économie est aujourd’hui l’industrie [CE, Ass., 20 déc. 1935, Établissements Vezia, Leb. p. 1212 ;
marquée par la notion de régulation, l’État est un organi- CE, Ass., 22 juin 1951, Daudignac, Leb. p. 362]. La décision 16 du
sateur de l’économie, il en garantit les grands équilibres janvier 1982 [CC, déc. n° 81-132 DC, Privatisations] a pourtant
tout en laissant les acteurs libres. Cependant, cela n’em- reconnu un autre principe, la liberté d’entreprendre,
pêche pas les personnes publiques de conserver leurs comme principe constitutionnel.
Droit
administratif activités plus classiques, macro ou micro-économiques : L’agencement de ces deux principes a ouvert de nom-
et administration la puissance publique continue de diriger partiellement breuses controverses doctrinales. Certains estiment que,
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l’économie en la planifiant et en l’administrant par des malgré sa valeur, la liberté du commerce et de l’industrie
organes nationaux et locaux ; comme elle continue, mais est plus large que celle d’entreprendre qui se limite aux
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dans des conditions très largement modifiées, à agir droits de ceux qui entreprennent, d’autres le nient en se
sur des pans entiers de l’économie au travers de ses fondant principalement sur le fait que la seconde liberté
entreprises publiques. La puissance publique est ainsi est constitutionnellement reconnue. On a certes rattaché
régulatrice, directrice et entrepreneuse. à la liberté d’entreprendre des libertés propres aux chefs
d’entreprise : ouvrir et exploiter une entreprise, choisir
ses collaborateurs, ou réduire les effectifs afin d’anticiper
L’intervention par la régulation : les difficultés économiques [CC, déc. n° 88-244 DC, 20 juil. 1988 ;
déc. n° 2001-455 DC, 12 janv. 2002]. Mais il faut bien reconnaître
l’encadrement de l’économie qu’aujourd’hui, les jurisprudences du Conseil d’État ou
du Conseil constitutionnel attachent à l’une ou l’autre
La régulation, terme récent en droit, est un ensemble des conséquences similaires, toutes deux comprenant
de moyens d’actions, principalement des mesures de notamment la liberté de concurrence [CE, 1er avr. 1998, Union
police administrative, qui permettent à la puissance hospitalière privée], la liberté professionnelle ainsi que l’en-
publique d’intervenir sur le marché pour y garantir la semble des droits des entrepreneurs.
concurrence et lui imposer la prise en compte d’intérêts Le développement de ces principes peut conduire plus
publics extérieurs (égalité des citoyens, accessibilité, largement à reconnaître à la libre concurrence la qualité
continuité, développement durable…). La notion inclut d’objectif d’intérêt général, et, partant, à lui assurer tout
ainsi la quasi-totalité des interventions classiques de l’État. un régime juridique à vocation libérale.
Elle peut aussi être comprise dans un sens plus moderne,
lié au contexte de libéralisation de l’économie. On y verra
La réalité de l’objectif
alors la volonté de la puissance publique de délaisser les
moyens d’action directs sur l’économie (par exemple, le de libre concurrence
contrôle des prix ou les entreprises publiques) au profit Les pratiques anticoncurrentielles
de textes organisant l’économie, c’est-à-dire encadrant et leurs justifications
les opérateurs économiques tout en leur garantissant
un maximum de liberté. Cela ne veut pas dire moins de L’objectif de libre concurrence passe d’abord par la mise
textes, mais une autre façon d’envisager l’intervention en place d’un droit de la concurrence en France. Ce droit
publique dans l’économie. est double : un droit national pour sanctionner les atteintes
au seul marché interne (v. les art. L. 420-1 et s. du Code
de commerce) et un droit communautaire, principalement
Les principes libéraux
sous l’autorité de la Commission européenne (art. 81 à 89
et le droit public de l’économie TCE notamment), pour sanctionner ces mêmes atteintes
sur le marché européen. On distingue différentes formes
Le développement de l’intervention par la régulation a été d’atteintes qui sont reprises à chaque niveau.
parallèle à la reconnaissance et au développement de L’entente est un comportement qui consiste à ce que
principes libéraux au niveau constitutionnel. Un certain des opérateurs économiques se mettent d’accord ou
nombre de principes ont une fonction dans bien d’autres aient une pratique concertée pour se répartir le marché,
matières que le droit public de l’économie, mais ils en dans le temps ou dans l’espace, et éviter ainsi de se faire
forment un socle indispensable. Il en est ainsi de la recon- une réelle concurrence.

2. Celle-ci est reconnue comme principe issu de la liberté qui figure à l’article 4 de la Déclaration de 1789 : Conseil const., n° 2006-543 DC, 30 nov.
2006, Secteur de l’énergie.
L’abus de position dominante est la situation dans Conseil de la concurrence qui va juger de ces atteintes des
laquelle une entreprise ou un groupe d’entreprises qui personnes publiques à la concurrence dans leur activité
ont une part importante de marché dans un secteur matérielle3. Ces activités industrielles et commerciales
déterminé adoptent certains comportements limitant des personnes publiques ont pendant longtemps été
la concurrence. La simple position dominante n’est pas limitées aux cas où il y avait une carence de l’initiative
condamnable, mais empêcher de nouveaux opérateurs privée, ou toute autre circonstance particulière de temps
économiques d’entrer sur ce marché ou d’y prendre et de lieu [CE, 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce en détail
des parts importantes grâce au bénéfice que l’on retire de Nevers, Leb. p. 583]. Sur ce point, la reconnaissance des
de cette position reste interdit. Les grandes entreprises principes libéraux au bénéfice des personnes publiques
gestionnaires de services publics nationaux bénéficient a, pour pour ainsi dire, inversé la situation.
de cette position et peuvent être conduites à en abuser Le Conseil d’État a précisé les conditions dans lesquel-
au moment de leur privatisation, lorsque la concurrence les les personnes publiques pouvaient agir sur l’économie
se forme. Ces « opérateurs historiques », comme on les [CE, Ass., 31 mai 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris, Leb. p.
nomme, ont été parfois condamnés par le Conseil de la 272]. Elles le peuvent pour les activités nécessaires à
concurrence pour de tels faits. la réalisation de leurs missions de service public et qui
Enfin, l’État et la Commission européenne contrôlent les justifient qu’elles bénéficient de prérogatives de puis-
concentrations économiques, situations dans lesquelles sance publique. Sinon, prendre en charge une activité
de grosses entreprises veulent fusionner ou d’autres économique indépendamment de ces missions ne peut
dans lequel une grande entreprise absorbe peu à peu se faire « que dans le respect tant de la liberté du com-
Droit
ses concurrents. Le risque est d’aboutir à une situation merce et de l’industrie que du droit de la concurrence ». administratif
quasi monopolistique, c’est-à-dire à la négation de la Autrement dit, les personnes publiques y sont autorisées et administration
concurrence. tant qu’elles ne portent pas atteinte à la législation sur la Notice 23
La régulation appartient bien en la matière à la puis- concurrence et qu’elles sont mises dans des situations
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sance publique, notamment à travers les autorités admi- égales aux opérateurs économiques privés. On est passé
nistratives indépendantes (v. Notice 9). La principale – le de la « libre concurrence » à l’« égale concurrence ». On
Conseil de la concurrence – a une compétence générale en a une preuve dans la possibilité qui leur a été offerte
en la matière, mais elle travaille souvent de concert avec de répondre, comme n’importe quelle personne privée4,
d’autres autorités sectorielles comme l’Autorité de régula- aux appels à la concurrence des autres pouvoirs adju-
tion des communications électroniques et des poste sou dicateurs dans les différents contrats de la commande
la Commission de régulation de l’énergie (v. Notice 9). publique.
Toutes les activités ne sont pas soumises au droit de Pour ce qui concerne leur activité de production
la concurrence. Dans un certain nombre d’hypothèses, normative, la solution a été plus lente. Ce n’est qu’en
elles sont justifiées par des intérêts extérieurs à la seule 1997 que l’on a clairement admis que l’ensemble des
concurrence. C’est le cas des exceptions de l’article L. actes administratifs devaient respecter non seulement
420-4 du Code de commerce ou des services d’intérêt les principes du droit de la concurrence, mais aussi, plus
économique généraux de l’article 86 § 2 TCE, ce qui généralement, les dispositions internes et communau-
regroupe des cas où la puissance publique est spé- taires sur les pratiques anticoncurrentielles [CE, Sect., 3 nov.
cialement forte et d’autres dans lesquels l’intérêt d’un 1997, Société Million et Marais, Leb. p. 406]. Cela signifie que si
service public doit primer sur celui de la concurrence. Ils un acte administratif est à l’origine d’une entente, d’une
constituent l’exception et non la règle. concentration économique illégale [CE, Sect., 9 avr. 1999, Société
« The Coca-Cola Company », Leb. p. 119] ou d’un abus automati-
La soumission des activités que de position dominante, alors le juge administratif va
et des actes de la puissance publique le considérer comme nul. C’est l’entrée du droit de la
au droit de la concurrence concurrence dans le bloc de légalité. Ce contrôle s’exerce
sur les actes administratifs unilatéraux et sur les actes
Le principe de concurrence a pris une importance par- détachables du contrat, mais aussi sur tous les actes
ticulière depuis une dizaine d’années, au point de s’ap- contractuels. Ainsi, c’est surtout dans le cadre de la
pliquer à toutes les personnes publiques et en principe commande publique que seront sanctionnés les contrats
dans toutes leurs activités : lorsqu’elles agissent en tant qui auront été source d’une entente ou d’un abus de
qu’opérateurs économiques ou dans leur fonction de position dominante, l’acheteur public devant lui-même
productrices de normes. vérifier ce point [CE, 5 juin 2007, Société Corsica Ferries, Lamy, coll.
Pour ce qui concerne leurs activités économiques, Territ., avril 2007]. La commande publique est en soi un droit
l’ordonnance de 1986 qui a modernisé le droit de la de la concurrence avec ses principes et ses procédures
concurrence prévoyait dans son article 53, aujourd’hui propres. Son développement est la marque de la pré-
codifié à l’article L. 410-1 du Code de commerce, que gnance de la concurrence sur notre droit public actuel5,
ce droit était applicable à « toute activité de production, les mesures de police elles-mêmes y étant soumises [CE,
de distribution et de services, y compris celles qui sont Avis, Sect., 22 nov. 2000 Société L & P Publicité ; CE, Sect., 10 mars 2006,
le fait des personnes publiques […] ». C’est d’ailleurs le Commune d’Houlgatte, Leb. p. 138].

3. L’appel étant porté devant la Cour d’appel de Paris. Le Conseil constitutionnel admet que des personnes publiques soient soumises, comme les
personnes privées dans la même situation, au juge judiciaire dans un but de « bonne administration de la justice » (n° 86-224 DC du 23 janvier 1987).
Ce bloc de compétence est pourtant mis à mal dans le cadre du contrôle des actes.
4. V. notamment l’art. 1er du Code des marchés publics qui fait référence aux « opérateurs publics ou privés », ainsi que : CE, Sect., 20 mai 1998,
Communauté de communes du Piémont de Barr, Leb. p. 202 ; CE, Avis, Sect., 8 nov. 2000, Société Jean-Louis Bernard consultants, Leb. p. 492.
5. Sur cette question, voir AJDA 2007, « Secteur public et concurrence : la convergence des droits. À propos des droits de la concurrence et de la
commande publique », p. 2420.
L’intervention par la direction : Des structures administratives spécialisées
planification et administration
de l’économie À ces ministères ou secrétariats d’État, il faut ajouter des
organes de représentation de certains intérêts ou groupes
sociaux. La référence historique aux corporations et le
La puissance publique a mis en place un certain nombre souvenir de l’État français ont conduit à limiter forte-
de structures dont l’objectif est de connaître, planifier et ment le pouvoir de ces institutions, souvent réduit à des
administrer l’économie. Ces structures permettent d’or- fonctions consultatives. Elles n’en sont pas moins des
ganiser une forme résiduelle de planification, ainsi que institutions de démocratie sociale. Il en est ainsi, dans la
des réglementations d’incitation et de contrôle comme Constitution, du Conseil économique, social et environne-
des aides ou des autorisations. mental ou, dans la loi, des chambres consulaires (cham-
bres de commerce et d’industrie, de l’agriculture ou des
métiers), aujourd’hui qualifiées d’établissements publics
L’administration de l’économie
nationaux. Les « offices », terme hérité de l’Ancien régime,
sont aujourd’hui des établissements publics corporatifs
L’administration – au sens d’institutions ou de structures à visée interventionniste. L’Office du blé de l’entre-deux
administratives – conserve en matière économique des guerres, devenu Office national interprofessionnel des
formes classiques, mais elle sait aussi développer en son céréales en 1953, est depuis 2006 un Office national
sein des structures adaptées aux exigences nouvelles interprofessionnel des grandes cultures qui regroupe
Droit
administratif en la matière. aussi les anciens offices des oléagineux et du sucre.
et administration On trouve également d’autres offices pour les plantes
Notice 23 Des structures ministérielles à parfum, aromatiques ou médicinales, les produits de
la mer et de l’aquaculture ou encore un Office national
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Le pouvoir réglementaire général appartient concurrem- interprofessionnel des fruits, des légumes, des vins et de
ment en France depuis 1958 au président de la Républi- l’horticulture depuis 2005. On assiste actuellement à une
que et au Premier ministre (v. Notice 5). Pour assurer leurs concentration des offices, aux rôles divers : promotion de
missions, ils sont assistés d’un ministère de l’économie la profession, participation aux évolutions règlementaires,
dont le titre, mouvant selon les gouvernements, mais analyses de la production et gestion des subventions
souvent long, est évocateur de ses nombreuses mis- nationales et communautaires et des quotas. Pour la
sions. Historiquement, à chaque fois que l’État a voulu réglementation de certaines professions, la puissance
prendre un rôle essentiel dans l’économie, des projets publique passe aussi par des ordres professionnels
de « grand ministère de l’économie » ont vu le jour. Ce (médecins, avocats…) qui ont à la fois des pouvoirs de
fut le cas notamment après la Première guerre mondiale réglementation, de sanction et de formation, tout en
et lors du Front populaire, mais cela n’est apparu qu’à participant aux grandes réformes de leur profession.
partir du gouvernement d’Edith Cresson (1991). Para- Les autorités administratives indépendantes (v.
doxalement, la période libérale actuelle ne remet pas en Notice 9), aux multiples missions, sont une catégorie
cause l’importance de ce ministère. Souvent assisté de de personnes publiques spécialement adaptées à la
trois à cinq secrétaires d’État, le ministre de l’Économie matière économique, notamment pour assurer le rôle
a hérité d’une agrégation des différentes compétences de régulateur que l’État entend jouer. Elles apportent la
économiques autour de l’ancien ministère du Budget : dépolitisation, la compétence technique et la réactivité
finances, emploi, PME, artisanat, industrie, commerce que n’ont pas les structures ministérielles classiques.
extérieur, sur le modèle initial du MITI japonais. En 2007,
le gouvernement Fillon a scindé en deux ce ministère
La planification en mutation
pour redonner au ministère du Budget, aux comptes
publics et à la fonction publique une autonomie. Du plan à la française
À ce grand ministère s’ajoutent des ministères secto- au Centre d’analyse stratégique
riels qui réglementent, eux aussi, les activités économi-
ques. Le plus classique est le ministère de l’Agriculture, La planification à la française, moribonde depuis 1998,
mais on peut aussi penser à des ministères qui parfois a définitivement été abandonnée avec la disparition du
disparaissent comme ceux de la ville ou de l’énergie, Commissariat général au plan et la naissance du Centre
ou d’autres qui naissent, par exemple ceux qui sont d’analyse stratégique (décret n° 2006-260 du 6 mars
chargés des nouvelles technologies de l’information et 2006). Les fonctions de ce Centre, directement rattaché
de la communication. au Premier ministre, sont d’effectuer des rapports et ana-
Les collectivités locales sont aussi, par elles-mêmes, lyses permettant au gouvernement de définir et de mettre
des structures classiques aux compétences économiques. en œuvre sa stratégie en matière économique et sociale,
Bien entendu, si ces compétences ne s’exercent que dans mais aussi en matière culturelle ou environnementale.
un cadre géographique limité, elles n’en sont pas moins Il est donc un organe national dont l’une des missions
importantes. Les structures intercommunales se voient officielles est de relayer les orientations communautaires
ainsi souvent transférer la compétence « développement établies dans le cadre de la stratégie de Lisbonne6.
économique », qui est par ailleurs l’un des objectifs assi- On retrouve là une idée proche du Plan tel qu’il avait
gnés aux collectivités par l’article L. 1111-2 CGCT. été conçu en 1947, et dont l’une des missions a été de

6. On appelle ainsi les mesures prises en application du Conseil européen de Lisbonne de 2000 visant à faire de l’économie de la connaissance
européenne la plus compétitive et la plus dynamique du monde en 2010.
mettre en œuvre le plan Marshall, afin de favoriser la pénales sont parfois prises en cas de non-respect de
reconstruction du pays et de son économie après la ces autorisations, comme, par exemple, pour l’exercice
crise des années 30 et la Seconde Guerre mondiale. Le illégal de la médecine (art. L. 4161-5 du code de la santé
plan « à la française » se distinguait du plan soviétique par publique notamment). Une bonne partie d’entre elles
son caractère incitatif et non pas contraignant. Cepen- sont cessibles à titre onéreux, après nouvel accord de
dant, après le XIe plan, en 1997, il tomba en désuétude la puissance publique10.
et fut remplacé par des contrats de Plan entre l’État et Sans vouloir en faire ici une liste exhaustive, on peut
les régions ou entre l’État et les grandes entreprises citer les « charges » comme il en existait sous l’Ancien
publiques. Ils ont eux-mêmes été abandonnés en 2006 Régime et dont certaines sont remises en causes dans
au profit de contrats de projets État-Régions, conclus leur esprit par l’Union européenne qui y voit des atteintes
pour sept ans et non plus quatre – durée des fonds euro- à la concurrence (notaires, huissiers, avocats aux conseils),
péens FEDER et FSE –, qui ont, eux aussi, pour objectif les professions créant un risque pour la santé (établisse-
de participer à la Stratégie de Lisbonne, en assurant ments de santé, officines pharmaceutiques, entreprises de
l’attractivité et la compétitivité du territoire, la cohésion traitement de déchets, assistants maternels et familiaux,
sociale et le développement durable7. établissements d’aquaculture ou pompes funèbres), ou
encore, dans un but de protection du consommateur,
La planification d’urbanisme diverses activités purement économiques (agences de
voyages, experts-comptables, établissements financiers,
aménageant le territoire
agents immobiliers, sociétés de ventes mobilières aux
Droit
À cette planification plus économique, il faut ajouter une enchères). Il faut y ajouter les autorisations données administratif
autre planification urbanistique qui participe du dévelop- par les autorités administratives indépendantes dans et administration
pement économique dans une optique d’aménagement du leurs domaines de compétence : autorisations d’émettre Notice 23
territoire. Après de grandes réalisations dans les années pour le CSA, autorisations de mises sur le marché de
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1970 (par exemple de désenclavement de la Bretagne), médicaments pour l’AFSSAPS ou licence téléphonique
le droit de l’urbanisme s’est concentré essentiellement 3G pour le CSA.
sur des espaces plus réduits ou sur le développement
généralisé de certains espaces comme le littoral ou la Les aides
montagne. Depuis quelques années cependant, on voit
l’État imposer les grandes orientations d’aménagement Les aides ont été pendant longtemps, et surtout depuis
du territoire et la localisation des grandes infrastructures 1945, un mode d’intervention puissant et normal de la
de transport par les directives territoriales d’aménage- puissance publique sur l’économie. Elles ont en effet
ment, ainsi que de grands projets grâce aux opérations un caractère incitatif fort, tout en respectant les libertés
d’intérêt national8 ou aux projets d’intérêt généraux. Ces économiques des opérateurs privés. Fortement utilisées
documents s’imposent ensuite aux autres documents aussi pour les entreprises publiques, elles palliaient le
d’urbanisme locaux par un rapport de compatibilité. manque de fonds propres et étaient facilement justifiées
par l’amélioration ou la préservation du service public.
La plupart d’entre elles s’inscrivaient dans le cadre de la
Les modalités d’administration
planification, qui les fondait juridiquement et les organi-
de l’économie sait, unilatéralement d’abord, dans les contrats de plan
Les autorisations ensuite.
On distingue traditionnellement deux types d’aides.
Les activités de police de l’économie permettent à la Les aides directes se traduisent financièrement par un
puissance publique d’interdire, d’autoriser sous condition apport de fonds (subvention ou prêt à taux faible) ou par
et de règlementer certaines activités. Les interdictions une baisse des charges (allégements fiscaux ou sociaux,
sont rares, car elles limitent par nature les libertés du comme dans les zones franches). D’autre part, on trouve
commerce et de l’industrie ou d’entreprendre9. Plus des aides indirectes, comme une vente de terrain à une
classiquement, l’exercice de certaines activités écono- entreprise par une collectivité locale à un prix symbolique
miques se fait après déclaration ou autorisation préalable. [CE, Sect., 3 nov. 1997, Commune de Fougerolles], la garantie d’un
Celles-ci peuvent être données par des personnes publi- prêt ou l’établissement d’un monopole.
ques (notamment les préfets, comme c’est le cas pour Deux évolutions se font fait jour depuis quelques
la licence 4) ou par des personnes privées auxquelles années. La première est la diversification des sources
on accorde ces prérogatives, comme c’est le cas pour d’aides, notamment avec le développement des aides
l’inscription sur un tableau, condition à l’exercice d’une locales et le cumul courant d’aides locales, nationales
profession comme médecin ou avocat. Des sanctions et européennes11. La seconde est l’hostilité du droit

7. Ce dernier point correspondant à la Stratégie de Göteborg adoptée par le Conseil européen de Göteborg des 15 et 16 juin 2001.
8. Art. R 121-4-1 du Code de l’urbanisme. La liste qui figure dans cet article comprend notamment La Défense, Fos-sur-Mer ou les aéroports pari-
siens.
9. La conception la fabrication et le commerce des armes chimique sont par exemple interdits depuis la loi n° 98-467 du 17 juin 1998
10. Certaines ont même pu être transmises par héritage comme le privilège des bouilleurs de cru accordé aux soldats de Napoléon qui dura jusqu’en
1959 en leur assurant la production gratuite de 1000° d’alcool. Ce privilège, appelé à disparaître en 2008 pour des motifs de santé publique, a été
à nouveau reconduit.
11. Conseil d’orientation pour l’emploi, Rapport au Premier ministre relatif aux aides publiques, 8 février 2006.
c­ommunautaire contre la multiplication des aides. L’Union Qu’est-ce qu’une entreprise
part en effet du principe que les aides favorisent leurs du secteur public ?
bénéficiaires au détriment de leurs concurrents. Elles ont
donc un fondement profondément anticoncurrentiel et Pas plus la notion d’entreprise publique que celle d’en-
doivent se limiter à des cas très précis. Les articles 87 treprise du secteur public n’ont fait l’objet d’une définition
à 89 TCE posent comme principe général l’interdiction communautaire, légale ou réglementaire. Sous cette
des aides d’État (y compris celles des collectivités et dénomination, on retrouve deux principales formes juri-
organismes parapublics), qui ne sont autorisées que diques : d’une part des établissements publics, locaux
pour aller au secours de secteurs en difficulté, favoriser ou nationaux, d’autre part des entreprises sous forme
la R & D, les PME, la protection de l’environnement ou de sociétés commerciales. Le doit communautaire fait
le patrimoine, ou lorsqu’elles correspondent à un com- référence aux « entreprises publiques » dans l’article 86
portement présumé d’un opérateur privé agissant en TCE, mais la Cour comme la Commission comprennent
économie de marché (pour les facilités de paiement ou cette expression de manière spécialement large, que
les renflouements des entreprises publiques, par exemple l’on peut synthétiser en disant qu’il s’agit de toute entité
[CJCE, 29 juin 1999, Déménagement Manutention SA, aff. C-256/97]). du secteur marchand sur laquelle les pouvoirs publics
Les aides aux entreprises publiques sont aujourd’hui exercent une influence déterminante. Pour le droit com-
presque toujours conditionnées à des restructurations et, munautaire, la forme juridique de cette entité ou son
à moyen terme, à une sortie du secteur public, comme caractère public ou privé n’a donc pas d’importance,
cela a été le cas pour Air France ou pour EDF pour lequel elle peut même être une régie de l’État [CJCE, 16 juin 1987,
Droit
administratif on a considéré que le statut d’établissement public impli- Commission c/ Italie, aff. 118/85].
et administration quait une garantie de l’État. Comme toutes les aides La recherche d’un secteur public apparaît en tout état
Notice 23
au-dessus d’un certain montant doivent être notifiées à de cause plus pertinente aujourd’hui que celle des dif-
la Commission qui doit les autoriser, on comprend qu’il y férentes entreprises publiques. D’abord, le critère de la
138
a là de quoi remettre en cause la plupart des entreprises majorité des membres des organes dirigeants se double
publiques sous la forme d’établissement public12. d’un véritable critère de contrôle qui peut être indépen-
dant de la composition de ces organes dirigeants. C’est
d’autant plus vrai que la majorité dans ces organes ne
signifie pas non plus qu’une ou des personnes publiques
L’intervention par l’action : détiennent la majorité du capital, comme on peut le voir
en cas d’action spécifique légalement imposée. Ensuite,
les entreprises du secteur public le secteur public regroupe aujourd’hui non seulement
les entreprises directement détenues ou contrôlées par
La puissance publique n’agit pas exclusivement sur l’éco- des personnes publiques, mais aussi les filiales et sous
nomie en utilisant ses procédés contraignants, elle peut filiales de celles-ci, parfois difficiles à identifier comme
aussi agir sur l’économie en étant elle-même actrice de telles du fait de leur capital fluctuant et des participations
la production des biens et services. Cela n’exclut pas croisées dont elles peuvent être issues13. Enfin, ce secteur
l’usage des procédés limitant la liberté des opérateurs, public ne saurait aujourd’hui être envisagé sans les EPL
notamment par la mise en place de monopoles, mais (entreprises publiques locales) qui regroupent les SEML
cela se fait normalement dans un but de service public (sociétés d’économie mixte locales), dont le statut a été
autre que la simple étatisation de l’économie. fixé par la loi du 7 juillet 1983 (v. art. L. 1521-1 et s. du
L’histoire du secteur public en France est consubs- CGCT), ainsi que les SPL (sociétés publiques locales)
tantielle à ce que l’on a appelé les « services publics dont la création récente est due notamment au refus de
à la française », elle en suit les développements et les voir qualifiés de in house les marchés conclus avec des
régressions. Ces ceux phases marquent en effet le déve- SEML du fait de la participation de personnes privées
loppement des entreprises publiques en France. D’abord, à leur capital14.
trois grandes phases de nationalisations se sont succédé : La place centrale de ces entreprises locales et de
1936-1937 sous le Front populaire, 1944-1946 après la second rang montre combien le secteur des entreprises
Seconde Guerre mondiale, 1982-1983 avec le retour de publiques est important en quantité et en valeur, mais
la gauche au pouvoir. L’année 1986 marque en revanche aussi dans quelle mesure il manque de cohérence et
un renversement clair de tendance avec deux phases de d’unité. Cette lacune a longtemps empêché une véritable
privatisations en 1986 et 1993, puis une lente et quasi politique industrielle de l’État. Un décret du 9 septembre
constante période de privatisations, au gré de ce que 2004 a instauré une Agence des participations de l’État,
pouvaient absorber les marchés, depuis. service à compétence nationale. Mais on ne voit pas

12. M. Lombard, « L’établissement public industriel et commercial est-il condamné ? », AJDA 2006 p. 79.
13. Le Conseil d’État estime qu’une entreprise appartient au secteur public, au sens de l’article 34 de la Constitution, quand la majorité, au moins,
de son capital appartient à une ou plusieurs personnes publiques ou à d’autres entreprises du secteur public (CE, Ass., 22 déc. 1982, Comité central
d’entreprise de la SFENA, Leb. p. 435).
14. CJCE, 18 nov 1999, Teckal Srl c. Comune di Viano, aff. C-107/98, dont on retrouve les éléments à l’article 3-1° du Code des marchés publics de
2006 et dans l’arrêt CE, 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence. Ce refus conduit les collectivités territoriales à passer des contrats de la com-
mande publique formalisés avec les SEML alors qu’elles ne sont parfois que des démembrements de cette collectivité. Le recours à des sociétés à
capital entièrement public permet de rentrer dans la définition des marchés in house.
aujourd’hui d’effet probant de son action, si ce n’est de contrôle interne, d’autant que les contrôles étatiques
une meilleure connaissance des entreprises qui y sont de tutelle ont été, dans ces affaires, déficients.
comprises et un suivi de la valeur des participations de Différents rapports remis pendant les années 2000
l’État sur les marchés financiers. ont conduit à vouloir modifier cette gouvernance et ces
contrôles des entreprises publiques. L’OCDE15 et les
directives communautaires relatives à la transparence
La gouvernance des entreprises
des relations financières entre les États membres et les
publiques entreprises publiques sont d’ailleurs allées dans le même
Différents statuts impliquent sens. Les orientations actuelles sont à une remise en
différentes gouvernances cause partielle de la loi de 1983 pour rendre du pouvoir
aux conseils d’administration, une plus grande distinction
Le droit des entreprises publiques est d’abord le droit entre État actionnaire et État régulateur, notamment pour
privé, principalement le droit commercial, plus largement le calcul des charges de service public, et un dévelop-
le droit des affaires, mais aussi le droit du travail ou des pement des pouvoirs de l’agence des participations de
contrats. Le droit public n’est pourtant pas absent, mais l’État comme nouvelle forme de tutelle16. Il faut ajouter
son importance dépend du statut de l’entreprise ou de une réforme plus généralisée du décret du 9 août 1953
textes spéciaux. qui organise la tutelle administrative, et du décret du 26
Lorsque ces entreprises sont des établissements mai 1955 qui concerne la tutelle économique et financière
publics industriels et commerciaux, elles sont créées des contrôleurs d’État.
Droit
par une loi si elles sont, à elles seules, une catégorie administratif
d’établissement public (RATP, RFF ou SNCF par exem- et administration
ple), ou par un acte réglementaire national ou local. Ces Les formes de la libéralisation
Notice 23
actes constitutifs mettent en place des organes de direc-
139
tion : le plus souvent, sur le modèle d’un décret du 15 Le mouvement de privatisation initié en 1986 ne trouve
décembre 1934, un conseil, un directeur et un chef de la pas sa source unique dans une idéologie libérale. Un
comptabilité générale. Le statut d’établissement public des problèmes majeurs des entreprises publiques est
implique de surcroît la soumission à certaines règles de leur manque de fonds propres et d’investisseurs qui
droit public : insaisissabilité des biens, entrée d’une par- ne leur permet pas de se développer comme le ferait
tie de ceux-ci dans le domaine public ou inapplicabilité une entreprise privée. Le recours à des privatisations
des procédures collectives, ce qui signifie impossibilité partielles compense imparfaitement ce défaut puisqu’il
pratique de faire faillite. permet de trouver un peu de cette souplesse. Pour don-
Les entreprises publiques sous forme de sociétés ner un ordre d’idée, sur les 99 Md € qu’ont rapporté les
commerciales sont, elles aussi, de statuts divers. Les privatisations entre 1986 et 2006, 23 Md ont remboursé
entreprises locales sont le plus souvent des SEM sou- la dette de l’État17, 74 Md ayant été réinvestis dans
mises à un régime légal, les SEM nationales (c’est-à-dire les entreprises publiques. Aujourd’hui, la valorisation
simplement celles dont le capital est partagé avec des des entreprises dans lesquelles l’État détient des par-
personnes privées) étant soumises au seul droit spécial ticipations et qui sont cotées en bourse est d’environ
de toutes les entreprises publiques, comme les sociétés 150 Md € (ADP, Air France KLM, EADS, EDF, FT, GDF,
à capitaux uniquement publics. Renault, Safran, Thalès18), de futures ventes partielles
et le rôle des actionnaires privés devraient permettre
Mutation du droit commun des entreprises des investissements suffisants, et si tel n’est pas le cas,
ces entreprises sortiront du secteur public en effectuant
publiques
des augmentations de capital.
Ce droit commun est marqué par la loi n° 83-675 du Il faut cependant reconnaître que ces entreprises sont
26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur aussi des grandes entreprises stratégiques, pour des
public, plusieurs fois modifiée. Elle organise les entre- raisons militaires, économiques, ou tout simplement pour
prises publiques de plus de 200 salariés autour d’un l’aménagement du territoire. Les lois de privatisation ont
conseil regroupant trois catégories d’administrateurs : des donc prévu la possibilité pour l’État de constituer des
représentants de l’État, nommés par décret, des person- « noyaux durs », c’est-à-dire des groupes d’actionnaires
nalités qualifiées intéressantes pour leurs compétences stables afin de renforcer l’entreprise nouvellement privati-
ou par leur caractère représentatif des consommateurs sée ou dont le capital a été ouvert, ainsi que de garder des
ou usagers, et des élus des salariés. Face à des action- « actions spécifiques » ou golden shares qui lui donnent
naires qui n’en sont pas, il faut bien reconnaître que le des pouvoirs supérieurs aux autres actionnaires et empê-
PDG est le plus souvent tout-puissant et les affaires du chent les minorités de blocage. Il faut aussi ajouter les
Crédit Lyonnais ou les pertes financières abyssales de difficultés du financement des retraites ou des salaires des
la SNCF, ainsi que l’endettement de France Télécom en éventuels fonctionnaires de ces entreprises privatisées
2003 trouvent en partie leur source dans cette absence qui empêchent l’État de se désengager totalement.

15. L’OCDE a publié en 2005 des Lignes directrices sur le gouvernement d’entreprise des entreprises publiques.
16. J.-Y. Chérot, « L’avenir des entreprises publiques nationales dans le contexte des réformes sur le gouvernement d’entreprise », DA, avr. 2006 p. 5.
17. Dont 13 Md en 2006. Aujourd’hui, la dette s’élève à plus de 1 220 Md €.
18. Source : Agence des participations de l’État. Rappelons que les recettes fiscales 2008 sont d’environ 350 Md €.
Certains domaines économiques se voient par ailleurs obligeant à des investissements particuliers notamment).
marqués par des formes particulières de privatisation. Ces compensations peuvent prendre deux formes : soit
Il s’agit d’abord des secteurs en réseaux (eau, électri- la mise en place d’un marché réservé à celui ou ceux des
cité, gaz, ferroviaire, télécommunications) qui doivent opérateurs chargés de la mission de service public (par
naturellement éviter que les opérateurs économiques ne exemple les lettres de moins de 20 g pour La Poste) ou
soient obligés de créer un nouveau réseau pour que la des compensations financières versées par l’État ou les
concurrence s’instaure. La séparation entre gestionnaire autres opérateurs. Le droit communautaire a ouvert ces
de réseau et opérateurs sur ces réseaux s’impose donc, possibilités sur le fondement de l’article 86 § 2 TCE19, et
le premier gérant l’adaptation et l’extension du réseau, les si quatre conditions sont remplies, ces compensations
seconds prestant effectivement le service aux usagers. ne sont pas qualifiées d’aides illégales20.
Cette distinction peut se faire de manière comptable en Réguler, administrer, gérer, ces trois fonctions de la
laissant l’opérateur historique gérer le réseau (France puissance publique sont bien souvent exercées sur les
Télécom) ou en créant un nouveau gestionnaire, même mêmes secteurs et en parallèle : l’ouverture à la concur-
s’il a un rôle limité tant qu’une concurrence effective rence modifie le statut ou l’usage des entreprises du
n’est pas imposée (RFF, RTE). Par ailleurs, les entrepri- secteur public, il oblige à une régulation de leurs activités
ses gestionnaires de grands services publics se voient et à des anticipations et une réglementation appropriée.
autorisées à bénéficier de compensations de service L’interdépendance de ces fonctions montre le caractère
public afin de combler les pertes financières occasion- mouvant et actuel de l’intervention de la puissance publi-
nées par les missions de service public qui leur sont que en matière économique.
Droit
administratif imposées (obligation de desservir certaines parties du
et administration territoire national non rentables, continuité du service Grégory Kalflèche
Notice 23

140

19. Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général sont soumises aux règles du traité mais « dans les limites où
l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ». Voir CJCE, 19
mai 1993, Paul Corbeau, et 27 avril 1994, Commune d’Almelo.
20. CJCE, 24 juillet 2003, Altmark Trans GmbH, aff. C-280/00 et CJCE, 7 sept. 2006, Laboratoires Boiron, aff. C-526/04

Les principales entreprises du secteur public


Transports RATP EP (1948)
SNCF EP (1983)
Infrastructures ADP SA (2005) cotée (2006)
de transports Groupes autoroutiers (ATMB et SFTRF) SA (1956 et 1962)
Ports autonomes (Bordeaux, Dunkerque, Le Havre, Marseille, EP (1965)
Nantes, Paris, Rouen
RFF EP (1997)
Énergie Areva SA (2006)
Charbonnages de France EP dissout 31 déc. 2007
EDF SA (2004) cotée (2005)
Gaz de France SA (2004) cotée (2005)
Armement et Défense Conseil International (DCI) SA (1972)
aéronautique DCNS SA (DCN 2003) (DCNS 2007)
EADS SA cotée (2000)
GIAT-Industries Nexter SA 99,99% État (1990)
Safran (ex-Snecma + ex-Sagem) SA cotée (2005)
SNPE (ex-Service des poudres) SA 99,99% État (1971)
Thales SA cotée à action spécifique (1997)
Médias Arte-France SA (1986)
France Télévisions SA 100% État (1986)
RFI SA 100% État (1986)
Radio France SA 100% État (1986)
Communications France Télécom SA (1996) cotée (1997) (exploitant public 1991)
La Poste Exploitant public (1990)
Autres La Française des jeux SA (1978)
Imprimerie nationale SA 100% État (1993)
Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB) SA (2005, auparavant GIP 1994)
Semmaris (Rungis) SA (1965)

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