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HYPOCONDRIE

I - INTRODUCTION

L'hypocondrie a été décrite par Galien sous ce même nom, qui se


trouve être ainsi l'un des plus anciens du vocabulaire médical.
L'univers de l'hypocondriaque n'est nulle part mieux décrit que par
Molière dans Le malade imaginaire.

II - DEFINITION

A - Définition "classique":

L'hypocondrie est un état psychopathologique caractérisé par une


préoccupation exagérée et sans fondement apportée à la santé de soi-même,
avec introspection permanente et analyse des moindres signes fonctionnels.
Le sujet éprouve une anxiété importante à l'égard de sa santé. Les
sensations et les variations corporelles sont perçues et interprétées, de façon
erronée, comme dangereuses ou comme indiquants la présence d'une
maladie.
L'inquiétude hypocondriaque constitue une vive souffrance,
habituellement méconnue par l'entourage qui se contente d'une écoute
ennuyée et de doléances monotones.

B - Définition du DSM-IV

Le DSM-IV classe ce trouble parmi les troubles somatoformes, dont


les critères de diagnostic sont:
A - Préoccupation centrée sur la crainte ou l'idée d'être atteint
d'une maladie grave, fondée sur l'interprétation erronée par le sujet de
symptômes physiques.
B - La préoccupation persiste malgré un bilan médical approprié
et rassurant.
C - La croyance exposée dans le critère A ne revêt pas une
intensité délirante et ne se limite pas à une préoccupation centrée sur
l'apparence.
D - La préoccupation est à l'origine d'une souffrance
cliniquement significative ou d'une altération du fonctionnement social,
professionnel ou dans d'autres domaines importants.
E - La durée de la perturbation est d'au moins 6 mois.
F - La préoccupation n'est pas mieux expliquée par une anxiété
généralisée, un TOC, un trouble panique, un épisode dépressif majeur, une
angoisse de séparation ou un autre trouble somatoforme.

III - INTERET DE LA QUESTION

L'hypocondrie pose tout d'abord le problème de diagnostic positif.


En effet, il est impératif d'éliminer une organicité avant de poser ce
diagnostic. De nombreux cas ont été publiés d'hypocondrie révélatrice
d'affections viscérales ou d'affections du SNC.

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Les équivoques de la relation avec l'hypocondriaque peuvent
enseigner au psychiatre à rester avant tout médecin.
Autre problème posé par l'hypocondrie est la mise en échec de
l'équipe soignante. La multiplication des consultations, la résistance des
symptômes aux traitements symptomatiques et aux tentatives de réassurance
sont d'autant d'éléments en faveur de l'instauration d'un climat de suspicion
et d'irritation entre le médecin et son malade.
L'hypocondrie est aussi un trouble invalidant, en raison de la
multiplication des arrêts de travail et des hospitalisations itératives. A long
terme, et avec la diminution de l'intérêt pour le monde extérieur, elle peut
être à l'origine d'une désocialisation de l'individu.
Se pose aussi un problème d'ordre économique, à savoir la
multiplication des examens complémentaires parfois fort complexes et
coûteux qui ne serviront finalement qu'à entretenir le symptôme.

IV - DIAGNOSTIC ETIOLOGIQUE

L'hypocondrie ne constitue pas une pathologie à part entière. Il s'agit


d'un syndrome trans-nosographique qui se rencontre aussi bien dans le
registre névrotique que psychotique.
Il est classique d'opposer l'hypocondrie névrotique dont la névrose
hypocondriaque constitue un tableau spécifique, de l'hypocondrie
psychotique dominée quant à elle par l'hypocondrie délirante.

A - HYPOCONDRIE NEVROTIQUE

Il n'est pas d'organisation névrotique qui ne puisse s'enrichir d'une


composante hypocondriaque:
- Le phobique peut être nosophobe (classiquement, phobie d'avoir
le VIH, un cancer, une MST, une tumeur, une tuberculose,…).
- L'obsédé met l'anxiété à distance en instituant des rîtes
antiseptiques et surtout défécatoires, parfois très complexes.
- Dans l'hystérie, l'anxiété apparemment absente (la belle
indifférence) est annulée par la conversion somatique.

Mais la névrose hypocondriaque constitue la forme dominante et


typique. Elle constitue un tableau spécifique dominé par la mise en question
du corps.
L'anxiété est un élément essentiel du syndrome hypocondriaque.
Cette anxiété peut amener l'apparition de symptômes neurovégétatifs
(transpirations, palpitations, précordialgies, dyspnée,…) qui sont alors
interprétés comme des signes supplémentaires de maladie.
C'est une disposition morbide remontant à l'enfance et s'exacerbant
lors de l'adolescence avec l'avènement des transformations corporelles et
sexuelles.
Les connaissances et les expériences passées de maladies entraînent
la formation de croyances concernant les symptômes et les maladies. Les
événements survenants dans le cercle social de la personne et dans les média
contribuent aussi à la formation de ces croyances. Ces croyances sont la
source de distorsions de la pensée qui amènent à mal interpréter les

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changements corporels et les informations fournies par les proches et le
médecin.
La névrose hypocondriaque implique une régression narcissique
perceptible à la fois dans la rencontre avec le malade et dans l'exploration de
son histoire.
Ce patient difficile associe l'exigence de cure à la conviction
d'incurabilité. La multiplication des examens complémentaires et leurs
résultats négatifs, loin de rassurer le patient, confirment ses craintes et
contribuent à amplifier ses symptômes. La mise en échec de l'équipe
soignante est constante.
Un tel patient suscite chez son médecin soit une agressivité contre-
transférentielle, soit une complaisance abusive. Le psychiatre, pour éviter
ces deux situations, doit réduire son intervention à une psychothérapie
d'écoute et à une chimiothérapie mesurée dont il doit garder l'initiative et
maîtriser la prescription.
L'évolution se fait vers la chronicité invalidante et désocialisante.
Les changements de médecins, la multiplication des examens
complémentaires, l'expérimentation d'un nombre important de substances
pharmaceutiques rendent la thérapeutique incohérente.
Les plaintes incessantes épuisent la patience de l'entourage qui finit
par ne plus écouter ses jérémiades. Ce rejet et le repli sur soi qui s'en suit
réduit le champ des activités à une existence recluse.
Parfois, on peut observer des comportements agressifs, des conduites
suicidaires, une quérulence et une hétéro-agressivité à l'égard des médecins.
L'homicide reste exceptionnel.

B - HYPOCONDRIE PSYCHOTIQUE

Le thème hypocondriaque peut se manifester dans toutes les


psychoses, mais il domine dans les mélancolies, les schizophrénies, les
délires paranoïaques et les états démentiels.

 Ce thème délirant peut revêtir plusieurs formes


cliniques :
1 - la nosophobie délirante
C'est la conviction délirante d'être atteint d'une maladie. Elle est
souvent associée à des idées d'incurabilité.
2 - l'hypocondriaque persécuteur
Délire où le sujet déclare avoir été mal soigné et d'être convaincu
d'avoir gardé des séquelles.
Les chirurgiens et les psychiatres sont souvent les victimes de ce
genre de patients. Ils sont vécus comme des persécuteurs et peuvent se faire
poursuivre par ces patients (scandales, procès, meurtres) en cas de
systématisation importante (délires paranoïaques).
3 - transformations, métamorphoses
Sensations de changement de consistance ou de forme, sensations de
transformation d'organes.
Ce thème est souvent fondé sur des interprétations, des illusions ou
des hallucinations cénesthésiques. Des idées délirantes de persécution
peuvent apparaître secondairement.

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4 - habitation, possession
Sentiment d'être possédé par une puissance diabolique, animale ou
autre.
5 - idées de négation
- négation d'organes : "je n'ai plus d'œsophage, d'intestins"
- négation de la personne, de son identité: "je n'existe pas"
- négation des facultés, de la pensée, des sentiments
- négation du monde extérieur : "choses ou personnes mortes"
Les idées de négation ne sont pas spécifiques d'une pathologie bien
précise. Dans les mélancolies délirantes, elles font partie du syndrome de
Cotard.
Le syndrome de Cotard, spécifique et caractéristique de la
mélancolie délirante, correspond à l'association :

 d'idées de négation : organes, personnes, monde extérieur


 d'idées d'immortalité; Ils sont éternels pour souffrir
éternellement. Ces idées alternent avec l'idée qu'ils sont déjà morts (mort
vécue).
 Idées d'énormité: la taille est gigantesque, la tête va jusqu'aux
étoiles, les organes sont monstrueux.
 Des idées de damnation, de persécution justifiée, de possession.
Le patient donne l'image d'un "cadavre condamné à la damnation
éternelle".

 L'hypocondrie peut être rencontrée dans de multiples


psychoses :

1 - la mélancolie délirante
L'hypocondrie mélancolique s'observe surtout dans les formes
délirantes. Elle proclame alors, la ruine somatique, l'imminence de mort, le
châtiment corporel, la culpabilité.
Les thèmes de négation d'organes, de mort vécue, d'immortalité
douloureuse s'associent parfois pour constituer le syndrome de Cotard.
Le risque suicidaire est particulièrement important dans ces formes
hypocondriaques de la mélancolie.

2 - les schizophrénies
L'hypocondrie n'est pas rare au début de la Sx. Elle fait alors partie
des modes d'entrée pseudonévrotique (dysmorphophobie avec signe du
miroir, dépersonnalisation).
A la phase d'état, elle s'intègre à la thématique délirante des formes
paranoïdes. En outre, certains syndromes d'influence avec hallucinations
psychomotrices donnent la parole à des voix proférées par les organes
intérieurs : Sd de possession, d'habitation interne, de démonopathie et de
zoopathie interne.

3 - les délires paranoïaques

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En matière de délire paranoïaque, le thème hypocondriaque est
retrouvé essentiellement dans la sinistrose. Un fait réel est souvent à
l'origine de la revendication. Dont la tonalité psychotique se manifeste par
l'hypersthénie passionnelle et la prédominance dans les préoccupations du
sujet, de l'auteur du préjudice.
Il faut insister sur la dangerosité des hypocondriaques
revendicateurs.
4 - les états démentiels
Les états démentiels débutent souvent par des préoccupations
hypocondriaques, parfois par des idées franchement délirantes. Lorsqu'il
s'agit d'un état confusionnel ou sub-confusionnel qui inaugure la démence, il
s'agit surtout d'idées de négation d'organes.
L'hypocondrie est particulièrement fréquentes dans la maladie
d'Alzheimer et dans les paralysies générales.

V - DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL

1 - L'organicité : il faut garder à l'esprit que la frontière entre


symptômes "expliqués médicalement" et "symptômes fonctionnels" est
arbitraire et mouvante selon les avancées des connaissances scientifiques et
radiologiques.
2 - les TOC : ce diagnostic doit être évoqué si la préoccupation
d'avoir une maladie s'accompagne de rituels tels des lavages excessifs ou un
comportement de vérification concernant la maladie ou la crainte de la
propager à d'autres.
3 - les troubles phobiques notamment la nosophobie. Le paient
reconnaît le caractère morbide de son trouble.
4 - les troubles anxieux (trouble panique) : ce trouble peut se
manifester par des malaises brusques pendant lesquels les symptômes
psychologiques d'anxiété peuvent manquer ou être au second plan.
L'interrogatoire révèle qu'une ou plusieurs crises inopinées suivies d'anxiété
anticipatoire et éventuellement d'agoraphobie ont précédées les symptômes
médicalement inexpliqués.
5 - la dépression masquée est un diagnostic à évoquer et à
éliminer chez tout patient se plaignant de symptômes fonctionnels.

VI - ETIOPATHOGENIE

L'hypocondrie, pour les organicistes a une origine neurologique,


centrée sur la notion de cénesthésie et son substratum anatomique.
Freud en fait une névrose narcissique actuelle.
L'approche phénoménologique fait correspondre l'hypocondrie à une
activité interne morbide et à une suspension du temps dans une douloureuse
endurance où la perspective angoissante de la mort est absente.
Quoi qu'il en soit, l'hypocondrie est, sinon produite, au moins
favorisée par la relation médecin-malade dont elle constitue une véritable
forme pathologique.

VII - PRISE EN CHARGE

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Il serait illusoire d'espérer de traiter l'hypocondrie en satisfaisant le
patient dans sa demande artificielle de sédation des symptômes, dans son
avidité des explorations complémentaires et dans sa vaine quête de
réassurance.
Les psychiatres ne sont pratiquement jamais consultés spontanément:
leur intervention est souvent mal comprise ou mal vécue par les patients qui
s'estiment parfois "abandonnés" par leur médecin somaticien. Les
psychologues sont souvent mieux acceptés.
Le traitement spécifique dépend de l'étiologie.
Mais le traitement consiste avant tout à accepter la doléance
hypocondriaque sans impatience mais sans concession c'est à dire en
refusant les investigations et surtout les gestes chirurgicaux inutiles.
C'est dans ces conditions qu'une chimiothérapie psychotrope
(anxiolytiques, neuroleptiques, antidépresseurs) adaptée peut être efficace.
Les thérapies cognitivo-comportementales associées à des séances
d'hypnose et de relaxation peuvent être envisagées.

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