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Paul Pettinger
Pindare
« Si nous avons les hommes pour maîtres de parole, nous avons les dieux pour
maîtres de silence. »
Plutarque
1
Cette représentation d' une divinité peu connue, un petit dieu du panthéon
égyptien, adopté par les Grecs et les Romains, qui en firent le dieu du Silence et
qui lui donnèrent le nom d’Harpocrate me servira d'introduction au sujet. Ces deux
ou trois heures d'échanges se trouveront donc placées sous son signe, dont le
geste constitue, selon André Chastel (2000), à côté du geste de la prière (bras
écartés ou mains jointes de l’orant) et du geste de l’Annonciation et de la
Précursion (admonition par l’index de l’ange ou de Jean Baptiste), un des trois
grands gestes qui ont joué un rôle important dans notre culture.
2
Harpocrate, dieu du silence, du secret ou du mystère
Dans la mythologie égyptienne, Harpocrate désigne Horus enfant, fils d' Isis et
d'Osiris. C'est sous ce nom que le dieu Horus fut adoré à Alexandrie d'abord, puis
dans tout le monde gréco-romain, à côté d'Isis, de Sérapis et d'Anubis. Ce nom
n'est qu'une forme hellénisée des mots égyptiens « Har-pokhrat », qui signifient
« Horus l'enfant »
Dans la mythologie romaine, Harpocrate existait en tant que divinité d'un culte à
mystères. Représenté portant l'index à la bouche en un geste enfantin, son attitude
fut mal interprétée par les auteurs classiques qui y virent une marque de silence.
Tous les deux nous renvoient à l'enfance, au mystère, au secret, au silence et enfin
à l' interprétation. Il semblerait même que Freud possédait de nombreuses
statuettes d' Harpocrate.
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Les silences du psychanalyste
4
Extraits des œuvres de Sigmund Freud sur le silence
Sigmund Freud
Il nous arrive bien souvent de constater le fait suivant : quand les associations
viennent à manquer ( je veux parler des associations qui ne se présentent
réellement pas et non de celles que l'analysé tait par suite d'un simple sentiment de
déplaisir), cet obstacle peut chaque fois être levé en assurant au patient qu'il se
trouve actuellement sous l'emprise d'une idée se rapportant à la personne du
médecin ou à quelque chose qui concerne ce dernier. Une fois cette explication
donnée, l'obstacle est surmonté ou, tout au moins, l'absence d'associations s'est
ransformé en un refus de parler 2. (1912)
5
Beaucoup d’encre et de salive ont coulé
sur cette question du silence de l’analyste même si, paradoxalement, la littérature
psychanalytique n'est pas des plus abondantes sur le sujet.
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Certes, le silence est nécessaire car souvent bénéfique et fécond, mais sûrement
pas tout le temps, ni avec tout le monde. Certains analystes ont radicalisé cette
attitude au point de méconnaître les besoins spécifiques de la personne qu'ils ont
en face d'eux. C'est une version totalitaire de la position analytique. Pour eux, le
silence est la règle et la parole l'exception.
Ne faudrait-il pas mieux dire : « La parole est ce qui constitue la trame habituelle de
la communication entre analyste et patient et le silence en est une circonstance
exceptionnelle, même si elle est indispensable et fondamentale ».
Ce n'est que quand ces questions-là sont éclaircies que le silence de l'analyste
pourrait prendre son sens le plus plein.
Il n'en est pas moins vrai que de s'interroger sur les spécificités et les
caractéristiques des différents silences donnerait sans doute à la pratique
psychanalytique de judicieux apports et permettrait de lutter efficacement contre
quelques préjugés tenaces dont un qui consiste à prétendre que tous ceux qui se
taisent ne le font que pour mieux penser ou encore un autre qui prétend tout au
contraire que le silence serait souvent le refuge de l'ignorant.
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En mai 1889, Freud découvre lors d'une séance avec une patiente qu'il doit se taire
et ne plus poser de questions pour la laisser s'exprimer librement. Dans son
ouvrage «Étude sur l'hystérie», il écrit à propos de Emmy von N.: «J'arrivais à lui
demander comment les douleurs gastriques étaient survenues et d'où elles
provenaient. Avec assez de réticence, elle me répond qu'elle n'en sait rien. Je lui
donne jusqu'à demain pour s'en souvenir. Elle me dit alors qu'il ne faut pas lui
demander toujours d'où provient ceci ou cela, mais la laisser raconter ce qu'elle a à
dire. J'y consens et elle poursuit...»
Depuis lors, le silence ou plus exactement l'absence de paroles de l'analyste est
progressivement devenu un élément fondamental de la psychanalyse et des
psychothérapies. En effet, le silence favoriserait la libre expression du patient, il
aurait une fonction première ritualisante de rupture, en ce sens où il permettrait
d’aménager tout un environnement qui deviendrait alors propre à une nouvelle
approche de la parole, du discours, de soi et de l’autre ; alors très loin des
injonctions sociales et des codifications rhétoriques.
Un silence nécessaire pour entendre les effets chez soi comme chez l’autre de ce
qui vient de se passer. « Le silence comme condition d’existence d’un transfert
analysable, au sens d’une attention après coup à ce qui vient de se dire, de part et
d’autre. »
Pour A. Green (1979), la fonction silencieuse de l'analyste est indépendante de la
quantité de paroles qu'il prononce mais porte sur le discours latent du patient, c'est-
à-dire que la parole de l'analyste est vide si elle se borne au contenu manifeste et
pleine si elle inclut le discours latent.
Cela est peut-être vrai, mais il est tout
aussi certain que tous les silences ne produisent pas nécessairement tout ce qu'ils
sont censés créer et ne sont pas non plus nécessairement à chaque fois la bonne
réponse aux dires de l'analysant, même s'ils sont légitimés par la théorie et utilisés
par le psychanalyste apparemment à bon escient. L'incertitude de la pertinence de
son emploi persiste du fait que son efficacité liée à ses qualités ne sera jamais
vérifiable ou justifiable qu'après-coup.
Effectivement, comment valider la valeur ou l'effet d'un silence pour le systématiser
dans une communication ou autre relation thérapeutique si ce n'est qu' à
posteriori !
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Il est donc parfaitement légitime de se demander quand il y a lieu d'interpréter,
parler, se taire.
Et ceci notamment afin de pouvoir répondre aux détracteurs de la cause freudienne
qui parleront sans doute « de paresse ou de facilité de l'analyste ou encore de
silence de sanctuarisation, d'abri de son cher système théorique ou pire encore
d'escroquerie pure et simple». Cette dernière possibilité n'ayant d'ailleurs pas
échappé à Lacan.
«C'est peut-être une escroquerie mais c'est la seule qui marche», répondait-il à
l'époque... »
1)Francesca Champignoux
« C'est pourquoi, il est utile de redire l’importance d’une certaine qualité de silence,
car entre entendre et écouter, il peut y avoir un abîme.Celui qui existe entre le
mutisme de l’analyste (tout comme son bavardage) qui s’enracine dans une
analyse non assez approfondie en ce qui le concerne, une position fixatoire qui
peut en arriver à se justifier d’idéologies, de dogmes, de théories psychanalytiques,
de principes d’écoles, et qui camoufle l’abus de position dominante dont il se rend
ainsi coupable, pour masquer son incapacité ou son refus d’entendre ce qui se
joue, se trame ou se dit de part et d’autre de l’inter-transfert, cette relation
dynamique où s’explicitent peu à peu les perceptions, les affects, les
représentations, les fantaisies, les peurs, les douleurs, les souffrances, les
désespoirs, les doutes, les interrogations, les inventions, les créations, les
aspirations, les espérances, les rêves et les désirs de l’analysant(e) et un silence
palpable et extérieur tout autant qu’impalpable et intérieur, ce silence qui est une
des principales clés de l’accueil, du non-savoir, de la présence du psychanalyste,
par là, de son écoute, de ce que cette écoute permet comme rencontre et comme
échange, de ce qu’à travers son écoute il peut entendre ce que lui dit - ce que se
dit - l’analysant(e), ce qui se dit là dans l’espace du transfert. Ce dernier étant
favorisé par cette neutralité du thérapeute. »
9
2) J.D. Nasio
celui qui servirait de prétexte à figer des impasses, qui serait ou deviendrait un
instrument de pouvoir sur l’autre ou qui serait la preuve donnée par le
psychanalyste de sa compétence.
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A la lecture de ces deux extraits de livres sur le silence du psychanalyste, il me
vient l'envie de fredonner quelques mots du refrain d'une célèbre chanson de
Dalida : « encore des mots, toujours des mots ..................... »
car :
Je peux aussi admettre qu'il soit possible d'établir théoriquement des rapports de
corrélation entre les types de silence du psychanalyste et les moments ou sortes
de dires correspondant ou non à des phases de progression de l'analysant dans
son cheminement analytique personnel.
Mais tout cela, selon moi, ne peut montrer que des éventuelles corrélations car s' il
y avait des possibles liens de causalité, faudrait-il encore savoir comment les
prouver.
Comment le psychanalyste peut-il être certain que l'on est dans le cas de
l'analysant dans un type de silence plutôt que dans un autre ?
Comment le psychanalyste peut-il vérifier que le patient dit une chose importante et
ainsi donner une justification à son silence. Celui-ci étant introduit par l'analyste
pour donner le temps au patient de travailler l'élément important.
Qui peut certifier que l'interprétation faite par le psychanalyste des mots, des dires
ou des silences de l'analysant est correcte sauf à lui demander directement.
Comment l'analyste peut-il être certain que son silence est vécu par son patient tel
que lui, le psychanalyse le pense ?
En effet, comment l'analyste peut-il être certain que son silence d'écoute qu'il dit
fait d'attention et de bienveillance est vécu de cette façon par son patient et qu'il
produira donc un effet calmant et bénéfique sur son analysant ?
Sur quels éléments le psychanalyste va t'il s'appuyer pour croire que son silence
permet à son client de parler librement ?
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Quel analyste peut être certain du choix judicieux de ses silences ?
Sur quoi l'analyste peut s'appuyer pour déterminer le sens du silence de son
patient ?
Au même titre que dans la musique romantique, où le silence a joué un rôle décisif
au point de structurer la pensée des compositeurs et même jusqu 'à devenir un but
en soi, le psychanalyste aurait donc à utiliser du silence et de l'ombre pour
préserver d'une part le fait que le patient ne sait et ne doit rien savoir de son
psychanalyste et d'autre part pour favoriser le travail introspectif de son analysant.
Ce silence placerait donc le patient face à lui-même et induirait également une
mise à distance, une neutralité nécessaire au travail. Ainsi, il lui permettrait de
projeter sur lui tous les affects, toutes les problématiques de son histoire et par
conséquent permettre et favoriser le "transfert", l'un des fondements de la
psychanalyse, qui ouvre l'analysé à son passé par l'intermédiaire de la figure du
thérapeute qui incarne tour à tour le père, la mère….
C'est donc faire l'hypothèse qu' on ne peut projeter que sur un inconnu et que dans
le silence.
A ce titre, un poteau pourrait faire l'affaire, voire une cabine téléphonique.
Freud dans « Conseils aux médecins » n 'a t'il pas assigné l'analyste à opérer la
fonction d'un récepteur téléphonique qui, branché sur l'inconscient du patient, en
reçoit les vibrations sonores et les transforme grâce à la spécificité de son écoute
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Ou alors, la neutralité du psychanalyste ne s' exprimerait que par le fait qu'il
s'interdirait de faire interférer ses opinions ou ses croyances dans la conduite de la
cure ou encore du fait de l'indifférence absolue qu'il aurait vis-à-vis des systèmes
de significations que construit le psychanalysant dans les tourments de ses
émotions. Il serait alors cet être neutre et présent de façon légère mais totalement
contenante et attentive tout en restant un inconnu.
Conclusion
La fonction psy a investi le champ social et, à mon avis, que cela nous plaise ou
non a essaimé en un immense bavardage. Parce que liée intimement à l'être, la
rencontre analytique s'y objecte par la force et la singularité de la parole qu'elle
permet. Le silence de l'analyste en est un des outils. Pourtant, paradoxalement
bien qu'il occupe une place essentielle dans la cure, le silence a été peu étudié par
les psychanalystes. Le silence instrumental du psychanalyste n'est pas anodin, ses
fonctions sont multiples et ses effets divers. Il joue sans doute des rôles dans le
processus thérapeutique et influence probablement de façon concrète la qualité de
la relation qu' établit l'analyste avec son analysant. Son application par le
psychanalyste est arbitraire et son utilisation, même si elle tient du raisonnement
tient à mon avis plus de l'intuition que de la logique. Cependant, il doit, malgré tout,
être défini avec précision et utilisé avec rigueur pour ne jamais devenir le refuge de
l’ignorance, parée, au bénéfice du doute, des atours de la sagesse ou, pire encore,
un instrument de pouvoir. Mais parler des dégâts que font les analystes
outrancièrement silencieux ne doit pas nous faire oublier les dégâts que font ceux
qui parlent trop. Aussi, je pense que le psychanalyste devrait avant tout début
d'analyse expliciter la signification du silence à ses patients et, à défaut, les
patients devraient en parler et surtout il serait préférable de l'instaurer de façon
progressive afin de n'ajouter ni angoisse,ni souffrances et ainsi lui donner toutes
les chances d'être accueilli sereinement par l' analysant dans ses dimensions
d'interrogation, de doute et de remaniement.Ces dernières étant de par mon
expérience source d'évolution personnelle.
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Bibliographie
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