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Socio-anthropologie
36 | 2017 :
Manières de croire
Dossier : Manières de croire
Croyance et connaissance
bantoues
L’épistémologie comparée de Jacqueline Roumeguère-
Eberhardt
Bantu Belief and Knowledge: The Comparative Epistemology of Jacqueline Roumeguère-Eberhardt
Résumés
Français English
Il faut déconstruire le partage des tâches épistémologiques qui voudrait que les autres croient et
que nous seuls, modernes, avons des connaissances dignes de ce nom. Car non seulement nous
croyons, mais les autres connaissent. Cette connaissance ne tient pas uniquement à la consistance
de leurs formations symboliques : elle dérive de leur mode d’existence dans un milieu écologique
particulier ; elle consiste en l’effort pour déduire les données qu’ils observent ou les expériences
qu’ils vivent. Chez les autres comme chez nous, est à l’œuvre une dialectique complémentariste
qui fait communiquer entre eux de complexes niveaux d’explicitation du savoir réel. Pour le
montrer, je m’adosse aux travaux méconnus de l’africaniste Jacqueline Roumeguère-Eberhardt
sur la connaissance bantoue. Je m’interroge pour finir sur les raisons de l’occultation d’un apport
si original au projet d’une épistémologie comparée.
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believe and we alone, modern people, possess knowledge worthy of the name. For not only do we
believe, but others know. This knowledge does not depend solely on the consistence of their
symbolic formations: it derives from their mode of existence in a particular ecological milieu; it
consists in the effort to deduce the data they observe or the experiences they experience. What is
at work in others, as in us, is a complementarist dialectic which allows them to communicate
between themselves complex explicatory levels of real knowledge. To show this, I drawn upon the
Africanist Jacqueline Roumeguere-Eberhardt’s little-known work on Bantu knowledge. Lastly, I
consider the reasons for overlooking such an original contribution to the project of comparative
epistemology.
Entrées d’index
Mots-clés : épistémologie comparée, connaissance implicite, sociologie bantoue, dialectique
complémentariste, Jacqueline Roumeguère-Eberhardt, école française d’ethnographie
Keywords : comparative epistemology, implicit knowledge, Bantu sociology, complementarist
dialectic, Jacqueline Roumeguère-Eberhardt, French school of ethnography
Texte intégral
1 « Les autres croient, nous savons ». C’est en ces termes qu’on pourrait résumer la thèse
essentielle de l’anthropologie du début du XXe siècle. Aux « primitifs », les affects et la
croyance, responsables des phénomènes psychiques et intellectuels de participation-
confusion. À nous, la logique et le savoir, quand bien même il nous arriverait d’être confus
dans le cours de nos existences quotidiennes. L’évolution ultérieure de l’anthropologie
représente une suite de tentatives pour s’arracher à cette proposition et à ses effets de
disqualification. Mais il y a deux manières de revenir sur le sens de la proposition, soit en
valorisant le savoir (des autres), soit en faisant valoir la croyance (en nous-même ou chez
nous). Ce sont là les deux voies possibles d’une « symétrisation », qui affecte les non-
modernes si l’on s’attache à la première notion ; qui nous concerne, modernes, si l’on
travaille sur la seconde.
2 Il y a quelque temps, je me suis attelé à souligner que même et surtout lorsque nous
connaissons, nous, modernes, ne cessons pas de croire (Fruteau de Laclos, 2016). La
croyance est un ingrédient indispensable, consubstantiel au processus d’acquisition et
d’acceptation des savoirs, en apparence les plus positifs. Il n’y a pas de philosophie de la
connaissance qui n’implique une théorie de la croyance pour autant, tout simplement, que
l’épistémologie relève pour partie de considérations psychologiques. À cet égard, et
contrairement à ce que nous nous sommes employés à nous figurer, « nous n’avons jamais
été modernes1 », comme le soulignait avec force Bruno Latour. Mais l’autre versant de la
symétrisation, à laquelle je m’attacherai ici, n’est pas moins important, et pas moins
délicat : partout où nous avons identifié, chez les autres des croyances, nous devons nous
employer à appréhender des connaissances. Autant, en effet, il est malaisé de faire
entendre aux modernes que tout cheminement de la pensée implique les tendances d’un
sujet de la connaissance ; autant, du côté des non-modernes, ou plutôt du côté des
modernes anthropologues qui prétendent rendre raison de la pensée non-moderne, il est
difficile d’accepter que les autres ne se contentent pas de fantasmer la nature ou de se la
« représenter » culturellement, mais qu’ils la connaissent vraiment. La consistance ou la
non-contradiction de leur savoir, autant que l’adéquation de ce dernier à des données
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empiriques, ne sont pas moins nettes chez eux que chez nous, quand bien même nous ne
nous reconnaîtrions pas d’abord dans leurs théories et leurs vérités.
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Cependant, une fois au moins, le naturalisme impliqué par la connaissance des autres, qui
seul assure que les pensées sont porteuses ou productrices de vérités, a été pris au sérieux
dans l’entourage de Griaule. Je voudrais évoquer l’entreprise un peu folle de l’ethnographe
africaniste Jacqueline Roumeguère-Eberhardt (1927-2006). Elle est typique de cet angle
mort des années 1930, d’alliances passées entre sciences humaines et philosophie,
oubliées aussitôt que nouées, et de cet autre angle mort des années 1950 qui paraissait en
mesure de réaliser les promesses d’entre-deux-guerres. Sans doute fallait-il être aussi
étrange, ou aussi étrangère, que l’était Roumeguère-Eberhardt pour mener cette
entreprise à bien. Car elle n’est pas une « simple » ethnographe : elle est d’abord africaine,
initiée et même multi-initiée3. Elle mène une véritable symétrisation des représentations
qui permet de faire droit au savoir des autres : les autres ne se représentent pas seulement
la nature, ils la connaissent. Il n’y a guère que Roumeguère-Eberhardt pour oser parler
d’« épistémologie bantoue ». C’est incontestablement elle qui va le plus loin dans la
reprise et le dépassement interne des principes méthodologiques professés et mis en
œuvre dans l’école de Griaule. On ne s’étonnera pas qu’elle soit difficilement situable : elle
aborde les mythes en respectant les propos de ses initiateurs (à cet égard, elle se conforme
à l’enseignement de Griaule), mais elle n’hésite pas à engager des moyens structuralistes
(elle intervient au séminaire de Lévi-Strauss) ; enfin elle se fait, des modèles théoriques,
une conception très dialectique (qui la rapproche du sociologue et philosophe Georges
Gurvitch et des contributeurs aux Cahiers internationaux de sociologie, organe de
l’anthropologie dynamique).
6 Quelle différence, demandera-t-on, avec ce que, depuis quelque temps déjà, on nomme
« ethnosciences » ? Je prends un exemple parmi d’autres, celui de l’« ethnonavigation »,
récemment étudiée, des habitants des îles Marshall, qui « mènent leurs pirogues à
balancier en hautes eaux en se servant des étoiles, des signes repérés à la surface des eaux,
de plantes flottantes, de morceaux d’arbres4 ». On répondra que Roumeguère-Eberhardt a
été l’une des premières à envisager de telles ethnosciences, au moment même où
l’ethnographie et l’ethnologie s’inventaient en Occident : autrement dit, à avoir conçu
simultanément à l’avènement de l’anthropologie, science occidentale prenant pour objet
les non-modernes, la nécessité d’une prise en considération de la connaissance, non-
occidentale quoiqu’également scientifique, développée par les autres. Et elle n’a pu le faire
que parce qu’elle disposait d’une double appartenance culturelle, européenne d’un côté,
africaine de l’autre. Mais cette question de priorité ne serait rien si un autre aspect de son
travail ne la distinguait. Chez Roumeguère-Eberhardt, on a affaire à la nature en même
temps qu’à du formel et à du symbolique. D’une part, bien plus nettement que Griaule,
Roumeguère-Eberhardt souligne que les systèmes symboliques sont des systèmes du
monde, elle prend au sérieux la portée cosmologique, aussi bien la prétention à la vérité,
des systèmes de pensée. Mais si, d’autre part, on compare son entreprise aux
ethnosciences ultérieures, on constate que, pour elle, les savoirs de pensée ne sont pas
simplement des corps de pensée « implicites », des ensembles de concepts sensibles : ce
sont des systèmes symboliques complexes. Lévi-Strauss lui-même, dans son maître-
ouvrage de 1962, La pensée sauvage, n’échappe pas à cette idée d’une pensée seulement
implicite lorsqu’il rend compte des systèmes indiens de classification botanique, œuvrant
ainsi à l’établissement d’une « ethnobotanique » ou d’une « ethnomédecine ». On se
reportera à cet égard aux dernières pages, saisissantes, de l’ouvrage, où il apparaît que
cette ethnobotanique ne délivre pas elle-même de vérité, qu’elle est bien plutôt en attente
de l’explicitation – rationnelle, moderne, occidentale – qui seule donne sens et vérité à ses
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Sociologie de la connaissance et
épistémologie bantoue
8 Roumeguère-Eberhardt distingue différents « cadres » et différents « niveaux de
connaissance » chez les Vendas du Nord du Transvaal, peuple ayant joué un rôle dans
l’Empire du Zimbabwe et dont la culture appartient à l’aire bantoue5. Les niveaux de la
connaissance ne sont pas ses cadres. « Cadre » renvoie à une analyse de type sociologique,
telle qu’on la trouve par exemple chez Gurvitch : la distinction des cadres dépend des
classes d’âge (jeunes ou vieux), du sexe (hommes ou femmes) et de l’origine sociale
(aristocrates et roturiers). La définition des cadres résulte du couplage de tous ces
critères : vous ne connaissez pas les mêmes choses selon que vous êtes un jeune homme
roturier ou une vieille femme aristocrate. Mais, quel que soit le cadre, il y a lieu de
distinguer différents niveaux. Et la définition de ces niveaux relève d’une analyse
épistémologique, cette épistémologie étant proprement venda ou bantoue : nul besoin
d’aller chercher ailleurs (notamment chez nous) le sens de ce qui se joue chez les Venda ou
les Bantous. Nous ne devons pas craindre de parler des « fondements épistémologiques de
la Connaissance Bantu », l’ambition, immense, étant de s’acheminer « vers une sociologie
de l’épistémologie africaine6 ».
9 Les « niveaux » de la connaissance sociologique qu’isole la spécialiste du savoir bantou
sont : 1) la connaissance légère ou « par l’ouïe » ; 2) la connaissance initiatique ; 3) le
« savoir réel ». Pas plus que la catégorie épistémologique de niveau ne se réduit à celle,
sociologique, de cadre, elle ne se laisse comprendre dans les termes de l’opposition,
gnoséologique occidentale, du rationnel et du mythique, ou du rationnel et de l’empirique.
On n’a pas affaire à une progression « simple » de l’empirique au mythique, puis du
mythique au rationnel. Cela y ressemble dans l’ensemble, mais dans le détail c’est plus
complexe et plus riche. Toutes ces notions sont connectées à chacun des niveaux,
entretenant entre elles de complexes relations d’opposition et de complémentarité.
10 Les dimensions empirique, mythique et rationnelle coexistent dès le premier niveau de
connaissance, la connaissance légère ou par l’ouïe, qu’acquiert l’enfant avant la puberté,
c’est-à-dire avant l’initiation : « connaissance empirique du monde », des végétaux, des
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vie, le père exige le respect des lois, etc. On est confronté à des « mécanismes
d’articulation des faits sociaux qui trouvent leur base dans la complémentarité antagoniste
du masculin et du féminin, et, en fin de compte, dans les notions ontologiques de la
valorisation dynamique de la vie, coexistant avec les hiérarchies sociales rigidement
maintenues par les traditions11 ».
14 En prenant conscience du rôle joué par les deux formes de connaissance, mythique et
rationnelle, « les Grands Initiés arrivent à une véritable explication des structures de leur
propre société ». Qu’on ne s’y trompe pas : c’est une connaissance cosmique ou à portée
cosmologique. S’y révèle en effet la connaissance du « premier monde » détenue par les
rois, les sages et les devins, des médiums phénoménaux incarnant des « forces
cosmiques » qu’il s’agit de penser et de connaître. Dans le cadre de la connaissance par
l’ouïe, on va demander « la pluie, d’abondantes récoltes, et le contrôle des forces
cosmiques telles que tempêtes, sécheresse, invasions de sauterelles ». Du point de vue de
la connaissance initiatique, « il y a une relation de microcosme à macrocosme entre les
sociétés de vivants et le système astral ». Enfin, dès lors qu’on est détenteur du savoir réel,
il apparaît que « la planète, le Soleil et la Lune éclairent les hommes ; de même, l’enfant
sort des eaux matricielles, vit sur la Terre et à sa mort devient un astre qui continue à
guider et à éclairer les vivants12 ».
15 Il ne suffit pas de contextualiser le sens que la connaissance a chez les autres ; car il
importe, une fois placé en contexte, de prendre conscience et de marquer fortement que
les autres ont une connaissance digne de ce nom ; et non seulement une connaissance,
mais une réflexion sur cette connaissance, une juste compréhension de leur société et de la
nature qui les environne, fondée sur une véritable épistémologie des connaissances
accumulées. On se mettra donc à la place des autres pour comprendre leur existence de
l’intérieur, au moyen de leur sociologie et de leur épistémologie ; et, de là, on entreprendra
des travaux relevant d’un chapitre intitulé « Épistémologies comparées et sociologie de la
connaissance ». Il s’agit d’arriver à « l’autre épistémologie propre à ces populations
“autres” » ; d’« appliquer l’épistémologie africaine afin d’arriver à une compréhension
interne des structures sociales vue par les Africains eux-mêmes et dictés par leur réalité
sociale » ; de « pouvoir comparer » et « traduire cette formulation d’une “réalité autre”
dans les cadres et le langage de son propre système sociologique » : « Ne perdant jamais
de vue sa propre épistémologie, le sociologue de l’Afrique doit être en mesure d’épouser
celle des peuples qu’il étudie, et capable également de se soumettre à ses exigences. »
« Autre » sera préféré à « primitif », « archaïque », « en voie de développement »,
coupable d’un « flagrant culturo-centrisme », car « autrui est “autre” pour moi comme je
suis “autre” pour lui dans tout dialogue authentique évoquant une réciprocité de
perspectives13 ».
Dialectique complémentariste et
devenir-bantou (ou maasai)
16 Toutefois, en dépit de ce qu’affirme Roumeguère-Eberhardt, le risque n’est-il pas grand
que l’on ait affaire avec ces développements à de pures projections savantes occidentales
sur l’informe ou l’informel des échanges de paroles quotidiens, qu’ils soient d’ici ou
d’ailleurs ? On retrouve le reproche adressé il y a quelque temps par Paulin Hountondji à
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vécues sans être pensées. Tout est affaire d’échanges incessants, de basculements
constants, d’un plan mental ou intellectuel à l’autre, existentiel concret.
23 Au tournant des années 1970, il est arrivé que référence soit faite aux travaux de
Roumeguère-Eberhardt en même temps qu’aux conclusions de l’ethnopsychiatrie – ainsi
chez Françoise Michel-Jones. L’ambiance y est celle des études de « culture-et-
personnalité », sensibles aux navettes permanentes qui animent la vie des individus ou la
pensée des ethnographes, selon qu’ils se concentrent sur les représentations partagées
survolant les situations ou sur les situations elles-mêmes ; selon qu’ils s’intéressent à la
fonction psychologique générale de « personne », ou alors aux personnes de chair et d’os
et à l’usage social, psychologique ou gnoséologique, que ces dernières font d’une telle
fonction.
24 En l’espace de quelques années cependant, la référence à Roumeguère-Eberhardt
s’efface. Cela apparaît très clairement dans les travaux de Michel-Jones qui signe en 1978
Retour aux Dogon. Figures du double et ambivalence. Cette chercheuse entend revenir
aux Dogons, après que tant d’ouvrages et d’articles y ont été consacrés, mais pour mettre à
l’épreuve le modèle mis en avant par Griaule (Michel-Jones, 1999 [1978], p. 13-39). Le
modèle en question, s’il existe dans et pour la population dogon, est perpétuellement mis
et remis à l’épreuve par elle : les notions sont pensées ou ont été pensées comme Griaule
l’a dit, mais elles ne cessent d’être vécues, et modifiées en étant vécues, par les individus
qui les pensent. Or le modèle ou le méta-modèle pour concevoir la relation du modèle
Griaule à ses investissements concrets n’est autre que celui d’une dialectique antagoniste
complémentariste. Pourtant, cette fois, on ne trouve plus trace de Roumeguère-Eberhardt,
qui avait mis au travail Gurvitch en se découvrant aussi dialecticienne que lui. Michel-
Jones ne cite plus que l’ethnopsychiatrie de Devereux.
25 Que s’est-il passé, où donc est passée Roumeguère-Eberhardt ? Elle a purement et
simplement disparu. À vrai dire, le problème ne concerne pas uniquement la référence
textuelle, mais bien la présence réelle. Car ce sont les années au cours desquelles
Roumeguère-Eberhardt quitte l’Europe, d’abord avec son mari le psychanalyste Pierre
Roumeguère, puis sans lui : il rentre, elle reste, et finalement épouse un guerrier maasai
(Roumeguère-Eberhardt, Arthus-Bertrand, 1984). Lorsqu’elle revient en Europe, il est
trop tard, son heure est passée. Elle paraît avoir manqué toutes les évolutions théoriques
ou méthodologiques. En vérité, son monde théorique est mort et enterré, non seulement le
travail de Griaule, mais aussi celui de Gurvitch. Elle émettra ses derniers feux, jettera ses
dernières forces dans la constitution d’un groupe informel dont la seule publication sera le
collectif La relativité culturelle, placé sous le signe de l’œuvre de Gurvitch. Provocation ?
Volonté de se trouver une niche réflexive indélogeable ? Saute malheureusement aux yeux,
plus que son originalité, sa marginalité : il vaut mieux, en ces années de structuralisme
triomphant, y compris dans l’africanisme, se réclamer de Lévi-Strauss que de Gurvitch,
son adversaire dans le champ de la sociologie, le grand perdant de cette polémique « plus
violente que fondée » qui a opposé les deux hommes16. Quitte à pratiquer une
« dialectique antagoniste complémentariste », autant se réclamer d’un penseur que Lévi-
Strauss soutient – est-ce parce qu’il est autant psychanalyste qu’ethnologue, et que Lévi-
Strauss a trouvé dans la psychanalyse des éléments pour étayer la méthode
structurale ? –, le fondateur de l’ethnopsychiatrie Devereux17.
26 L’anthropologie et l’épistémologie ont certainement beaucoup perdu à l’effacement de
telles idées. Jamais autant qu’avec Roumeguère-Eberhardt le comparatisme n’avait investi
la théorie de la connaissance. Il est bien vrai que le XXe siècle a connu des entreprises
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Notes
1 Latour B. (1991), Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique,
Paris, La Découverte.
2 Balandier et Lévi-Strauss ont eux-mêmes indiqué ce qui distingue leur approche de celle de
Griaule et de son « école ». Voir Balandier G. (1959), « Tendances de l’ethnologie française, I »,
Cahiers internationaux de sociologie, 27, p. 13-15 ; Lévi-Strauss C. (1953), « Panorama de
l’ethnologie (1950-1952), Diogène, 2, p. 114. Je remercie Éric Jolly de m’avoir indiqué ces
références.
3 Voir son autobiographie, Roumeguère-Eberhardt J. (1988), Quand le Python se déroule,
Paris, Robert Laffont ; et le témoignage de sa fille, Roumeguère I. (2012), À l’ombre des hommes-
lions. J’ai grandi maasai, Paris, Flammarion.
4 Bruner J. (1997 [1990]), Car la culture donne forme à l’esprit. De la révolution cognitive à la
psychologie culturelle, trad. Y. Bonin, Chêne-Bourg-Genève/Paris, Georg/Eshel, p. 50.
5 Nous commentons Roumeguère-Eberhardt J. (1982), « Le signe du début » de Zimbabwe.
Facettes d’une sociologie de la connaissance, Paris, Éditions Publisud, p. 31-48, reprise de
« Sociologie de la connaissance et connaissance mythique chez les Bantu », Cahiers
internationaux de sociologie, vol. 34, juil.-déc. 1963, p. 113-125. Voir la rubrique « Écho » de ce
numéro, où nous republions ce texte de Jacqueline Roumeguère-Eberhardt.
6 Ibid. Voir p. 213 dans ce volume.
7 Ibid. p. 214 dans ce volume.
8 Ibid. Voir p. 207 dans ce volume.
9 Ibid. Voir p. 208-210 dans ce volume, pour toutes les références de ce paragraphe.
10 Ibid. Voir p. 210 dans ce volume.
11 Ibid. Voir p. 211 dans ce volume.
12 Ibid. Voir p. 212 dans ce volume.
13 Roumeguère-Eberhardt J. (1982), « Le signe du début » de Zimbabwe, op. cit., p. 23, 26-27.
14 Pour une référence structuraliste à Pensée et société africaines, voir Detienne M. (1990
[1967]), Les maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, Paris, La Découverte, 1990, p. 78.
15 Zahan, 1970, p. 21, 24, 40, 84, 90-92, 117, 127 ; Lallemand, 1974, p. 26, 29-30, 32 ; Michel-
Jones, 1974, p. 45-46, 51 ; Thomas, 1973, p. 393.
16 Duvignaud J (1969), Georges Gurvitch. Symbolisme social et sociologie dynamique, Paris,
Seghers, p. 26. Voir aussi Balandier G. (1972), Gurvitch, Paris, PUF. Dans le même temps, les
africanistes Alfred Adler, Michel Cartry et Michel Izard contribuent à l’hommage rendu à Lévi-
Strauss dans Izard M. (dir.) (1979), La fonction symbolique, Paris, Gallimard.
17 Ethnopsychanalyse complémentariste est dédié à Claude Lévi-Strauss. Sur la parenté
théorique objective entre Devereux et Gurvitch, voir Bastide R. (1970), « Préface », dans Id.,
Essais d’ethnopsychiatrie générale, Paris, Gallimard, p. XVI.
Référence électronique
Frédéric Fruteau de Laclos, « Croyance et connaissance bantoues », Socio-anthropologie [En
ligne], 36 | 2017, mis en ligne le 23 novembre 2017, consulté le 02 juillet 2020. URL :
http://journals.openedition.org/socio-anthropologie/3134 ; DOI : https://doi.org/10.4000/socio-
anthropologie.3134
https://journals.openedition.org/socio-anthropologie/3134 Página 13 de 14
Croyance et connaissance bantoues 2/7/20 11'21
Auteur
Frédéric Fruteau de Laclos
Frédéric Fruteau de Laclos est maître de conférences en philosophie à l’université Paris 1
Panthéon-Sorbonne et membre du Centre d’histoire des systèmes de pensée moderne de la
Sorbonne (E. A. 1451). Il a consacré ses premiers travaux à l’histoire de la philosophie des
sciences, en particulier à la figure méconnue d’Émile Meyerson : L’épistémologie d’Émile
Meyerson. Une anthropologie de la connaissance (Vrin, 2009) ; Le cheminement de la pensée
selon Émile Meyerson (PUF, 2009) ; Émile Meyerson (Les Belles Lettres, 2014). Il a ensuite
étudié le phénomène de refoulement institutionnel dont a été victime au xxe siècle la psychologie
comparée, tout en s’interrogeant sur les difficultés conceptuelles affrontées dans le même temps
par la « pensée française contemporaine » : La psychologie des philosophes. De Bergson à
Vernant (PUF, 2012) ; codirigé avec Jean Mouzet, « Les philosophes et la psychologie », Revue
philosophique de la France et de l’étranger, 2015, 140e année, t. 207 ; codirigé avec Giuseppe
Bianco, L’angle mort des années 1950. Philosophie et sciences humaines (Publications de la
Sorbonne, 2016) ; codirigé avec Corinne Enaudeau, Différence, différend : Deleuze et Lyotard
(Encre marine, 2015) et Lyotard et le langage (Klincksieck, 2017).
Droits d’auteur
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