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Cahiers d'économie politique

Prix d'offre et égalisation des taux de profit : essai sur la formation


des prix chez Marx
Patrick Maurisson

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Maurisson Patrick. Prix d'offre et égalisation des taux de profit : essai sur la formation des prix chez Marx. In: Cahiers
d'économie politique, n°6, 1981. La formation des prix: A. Smith, D. Ricardo, K. Marx. pp. 99-125;

doi : https://doi.org/10.3406/cep.1981.945

https://www.persee.fr/doc/cep_0154-8344_1981_num_6_1_945

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PRIX D'OFFRE ET EGALISATION
DES TAUX DE PROFIT :
essai sur la formation des prix
chez Marx*

par Patrick MAURISSON

I - INTRODUCTION : LA FORMATION DES PRIX


ET LA LOI DE LA VALEUR

« Quand l'offre et la demande s'équilibrent, leur action cesse et c'est précisément


pourquoi la marchandise est vendue à sa valeur marchande. Quand deux forces
s'exercent également en sens opposé, elles s'annulent et n'ont pas de répercussions
à l'extérieur; les phénomènes qui se produisent dans ces conditions doivent
s'expliquer autrement que par l'intervention de ces deux forces. Si l'offre et la demande
s'annulent réciproquement, elles cessent d'expliquer quoi que ce soit ; elles n'influent
pas sur la valeur marchande et laissent plus que jamais cette question dans l'ombre :
pourquoi la valeur marchande s'exprime-t-elle dans telle somme d'argent
précisément et non dans telle autre? Les véritables lois internes de la production
capitaliste ne peuvent évidemment pas être expliquées par l'interaction de l'offre et
de la demande car ces lois ne semblent se réaliser pleinement que lorsque l'offre
et la demande cessent d'agir, c'est-à-dire quand elles coïncident. En fait, elles ne
coïncident jamais, ou bien, si cela se produit, c'est par hasard ; donc, du point de
vue strictement scientifique, cette coïncidence doit être considérée comme nulle
et non avenue. Mais, en économie politique, il est sous-entendu qu'elles coïncident.
Pourquoi ? Afin de considérer les phénomènes dans leur forme normale adéquate
à leur concept, c'est-à-dire indépendamment de l'offre et de la demande. Mais
aussi pour découvrir et, dans une certaine mesure, fixer la tendance réelle de leur
mouvement » (1).

Cette longue citation est sans ambiguïté sur la problématique que


Marx adopte en abordant dans le livre III du Capital la question de la
formation des prix. Elle s'inscrit dans le droit fil de la tradition
classique qui distingue prix naturels et prix de marché en accordant aux
premiers une priorité théorique dans l'analyse des relations marchandes.

* Une version primitive de cet article a fait l'objet d'un exposé aux Journées d'Etude
sur la formation des prix à l'Université de Nanterre (17 et 18 novembre 1979); que ceux
des participants qui par leurs critiques m'ont obligé à préciser mon approche de cette
question épineuse chez Marx, soient ici remerciés.
(*■) Chapitre VII de la deuxième section du livre III du Capital dans l'édition de
la Pléiade (t. II) établie par Maximilien Rubel (p. 980). Rappelons que ce chapitre
intitulé : « Egalisation du taux général du profit par la concurrence. Prix de marché et
valeur de marché. Surprofit » dans les Editions Sociales est le dixième de la 2e section.
Cahiers d'Economie Politique, n° 6
100 Patrick Maurisson

LE PRINCIPE DE GRAVITATION

1.1. La position classique peut se résumer par l'énoncé du


principe de gravitation qui stipule : premièrement, que le prix courant
de marché oscille autour d'un niveau normal, dit naturel, qui
s'instaurerait si l'offre et la demande coïncidaient; deuxièmement, que
la non-coïncidence de l'offre et de la demande ne peut expliquer que
l'écart entre le niveau courant et le niveau naturel des prix;
troisièmement, que cet écart tend, sous l'effet de la concurrence, à s'annuler.
La primauté des prix naturels, affirmée par le principe de
gravitation, ne fait que traduire dans l'ordre logique la dépendance des
phénomènes de marché vis-à-vis des « lois internes du capitalisme »
dont parle Marx. Le marché n'est pas un phénomène économique
autonome, c'est pourquoi sa compréhension présuppose la
détermination préalable des éléments théoriques conceptualisant ce qui le
conditionne (2).

1.2. Ce point de vue est typiquement classique; mais alors que


la reconnaissance de l'assujettissement des marchés à une contrainte
globale, chez Ricardo ou encore chez Sraffa, reste dans le champ
des phénomènes strictement économiques, pour Marx, elle conduit
à mettre en évidence une opposition — qui n'existe pas chez eux —
entre les phénomènes économiques et leur loi sociale (3). La
distinction entre prix de marché et prix naturel ou prix normal de
marché se double alors d'une opposition plus essentielle entre la
notion de prix et celle de valeur.
Aussi, l'acceptation par Marx du principe de gravitation ne suffit
plus à caractériser son approche de la formation des prix, car — sauf
à nier d'emblée la spécificité de celle-ci — on ne peut faire abstraction
de l'opposition entre prix et valeur (4).
Tout au contraire, on devra se poser la question de la pertinence
de ce principe de gravitation, d'obédience classique, au sein de la
théorie marxiste.

LE PRIX : FORME MONÉTAIRE DE LA VALEUR

1.3. Le primat de la loi de la valeur sur ses expressions


phénoménales implique tout d'abord qu'elle puisse être définie indépen-

(2) C'est la reconnaissance de cette dépendance du marché qui, selon Marx, donne
son caractère scientifique à l'économie ricardienne et la différencie radicalement de
l'économie « vulgaire ».
(3) Dans l'optique classique, ce sont les phénomènes de répartition liés aux conditions
de production de certaines marchandises fondamentales (les biens-salaires pour Ricardo)
qui contraignent la formation des prix.
(4) Ce qui pratiquement reviendrait à assimiler cette opposition à la distinction
classique entre prix de marché et prix naturel.
Egalisation des taux de profit 101

damment des prix, autrement dit abstraction faite de l'existence d'une


pluralité de marchés. Ensuite, cette loi, qui est le principe constitutif
de la société capitaliste selon Marx, doit tout à la fois rendre compte
de la production de valeur et de l'existence de la plus-value. En
conséquence, la loi de la valeur doit être conçue immédiatement au
niveau social et cette immédiateté doit être synonyme de la
concomitance de la création sociale de valeur et de plus-value.
Le concept classique de « production de marchandises », déduit
de l'existence d'une pluralité de marchés, ne saurait donc être le
point de départ de l'analyse du capitalisme entreprise par Marx,
qui trouve dans le concept de « production de valeur et de plus-
value » le fondement du rapport capitaliste. La valeur comme
produit social fractionné en salaire et plus-value est ainsi ce qui
différencie le capitalisme de tout autre mode de production sociale (5).

1 . 4. C'est du caractère décentralisé des expressions


phénoménales de la loi de la valeur que procède la notion de prix.
En effet, les produits du travail salarié sont, dans les différentes
branches de la production, les supports de la valeur et de la plus-
value en ce sens que seule leur vente sur un marché peut en
manifester l'existence.
De ce point de vue, les prix expriment le fractionnement de la
valeur et de la plus-value sociale selon les branches de production
des marchandises (6). Ce fractionnement qui s'opère à travers la
circulation imprime à cette expression son caractère monétaire : le
prix apparaît alors comme la forme monétaire de la valeur.

(5) Ce fractionnement générique, qui renvoie à la partition de la société en deux


classes, est éminemment social comme l'indique le passage suivant, extrait du chapitre VII
(P- 962) :
« Le capitaliste individuel (ou même l'ensemble des capitalistes dans chaque secteur
de production particulier), dont l'horizon est borné, pense avec raison que son profit ne
provient pas seulement du travail exploité par lui ou dans sa branche d'industrie. Cela
est tout à fait exact pour son profit moyen. Dans quelle mesure ce profit est issu de
l'exploitation globale du travail par le capital total, c'est-à-dire par tous ses confrères capitalistes,
tout ce rapport est pour lui un mystère complet; d'autant plus complet que même les
économistes, ces théoriciens bourgeois, se sont abstenus jusqu'à présent de le révéler. »
(6) Ce fractionnement n'épuise pas l'expression au niveau des phénomènes
économiques de loi de la valeur. Le démembrement de la valeur en salaire, profit et rente, en
manifeste un autre aspect à propos duquel Marx dit : « En réalité, la valeur-marchandise
est la grandeur prioritaire, la valeur intégrale du salaire, du profit et de la rente, quelles
que soient leurs proportions relatives », chap. XXVII, 2e section, liv. III, p. 1461, éd.
Pléiade.
Dans la pratique c'est l'inverse qui apparaît ; ces trois parties en tant qu'éléments
du coût de production semblent être constitutives du prix. On sait que David Ricardo,
dans sa critique d'Adam Smith, avait déjà dénoncé toute conceptualisation de la valeur
procédant par sommation de revenus; Marx voit, pour sa part, dans cette procédure
théorique calquée sur l'apparence des choses, l'une des figures suscitée par les illusions
de la concurrence dont sont victimes les économistes « vulgaires ».
102 Patrick Maurisson

« En tant que valeur, les marchandises sont une unité, de simples représentations
d'une même unité : le travail social. La mesure de la valeur (argent) les présuppose
comme valeurs et renvoie uniquement à la représentation et à la grandeur de cette
valeur. La mesure de la valeur des marchandises renvoie toujours à la transformation
des valeurs en prix, implique déjà la valeur » (7).

LA QUESTION DE LA FORMATION DES PRIX


1.5. Dès lors, la question de la formation des prix peut être
formulée en ces termes : étant donné la pluralité des marchandises,
comment la valeur et la plus-value socialement créées se fractionnent-
elles entre les branches de production des marchandises?
1.6. La réponse à cette question, chez Marx, est soumise a priori
à trois conditions :
— d'une part, la donnée du fractionnement de la demande
monétaire globale entre les branches (8) ;
— d'autre part, la donnée d'un taux de profit général;
— enfin, le postulat de l'égalisation des taux de profit entre les
branches de production des marchandises.
1 . 7. C'est à l'abandon de ce postulat, et par conséquent à la
remise en cause de la pertinence de la notion de prix de production
au sein de la théorie de la valeur, que débouchera notre analyse de
la formation des prix chez Marx.
Il en résultera la dissociation de la question de la formation des
prix, de celle de l'existence d'un taux de profit uniforme et la
nécessité de reformuler cette dernière question, abstraction faite du
découpage de l'économie en branches (9).

II - DE LA VALEUR DE MARCHÉ
AU PRIX DE PRODUCTION :
LA NOTION DE PRIX NORMAL DE MARCHÉ

GRAVITATION ET PRIX NORMAL DE MARCHÉ

2.1. Valeur de marché et prix de production sont deux notions


qui désignent successivement dans l'exposé du chapitre VII (10) le
prix|normal de marché, autour duquel gravitent les prix courants.

(7) Théorie sur la plus-value (t. III, p. 40, Editions Sociales).


(8) En raison du caractère monétaire de l'expression des besoins sociaux (cf. infra 3.2)
les marchandises sont d'ailleurs différenciées les unes des autres sur la base de ce
fractionnement.
(9) Quant à la première condition, elle doit être maintenue tant que l'analyse du
fractionnement de la valeur et de la plus-value se fait en référence aux branches de
production des marchandises.
(10) Chapitre VII de la 2e section du livre III du Capital, Ed. Pléiade.
Egalisation des taux de profit 103

Ces deux notions correspondent à deux étapes de la


conceptualisation du processus de formation des prix. Marx, en effet, examine
tout d'abord les facteurs qui, au sein d'une branche, tendent à annuler
le déséquilibre entre l'offre et la demande en considérant cette
branche isolément; autrement dit, en faisant abstraction de
l'existence des autres branches de production.
Dans cette approche préliminaire, il est impossible de concevoir
un processus d'égalisation des taux de profit car, sauf à supposer
que tous les spécimens d'une même marchandise sont produits de
façon identique, l'unicité du prix du marché entraîne nécessairement
une hiérarchie intra-branche des taux de profit (11).
C'est cette circonstance logique qui oblige à renoncer à l'examen
de la formation des prix branche par branche, dès lors que l'on
cherche à établir — comme le fait Marx — que la concurrence
capitaliste est associée à un processus tendanciel de péréquation des
taux de profit. La substitution du prix de production à la valeur
de marché comme prix normal de marché marque cette seconde
étape de l'analyse de la formation des prix chez Marx.

2.2. Le passage d'une notion à l'autre ne remet nullement en


cause le processus de gravitation qui demeure le principe de la
formation des prix, alors même que le point fixe des oscillations des
prix courants de marché change de définition :
« Ce qui a été dit ici de la valeur de marché est vrai aussi pour le prix de
production, dès qu'il prend la place de la valeur de marché » (12).

L'abandon de la notion de valeur de marché, et son remplacement


par celle de prix de production, ne saurait en conséquence rien
apporter de nouveau dans l'analyse, tant qu'il s'agit de rendre compte
de la gravitation. Que le prix normal soit l'un ou l'autre, le jeu
de l'offre et de la demande est supposé cesser alors que le prix de
marché atteint son niveau normal (13).

LA NORME DE DISTRIBUTION DE LA PLUS-VALUE SOCIALE

2.3. Les processus de gravitation étant semblables quelle que


soit la norme qu'ils tendent à établir, ils doivent pouvoir être étudiés
indifféremment en référence à l'une ou l'autre. Ceci justifie
pleinement la position de Marx qui, en l'occurrence, dans le chapitre VII,

(u) Sur la hiérarchisation des taux de profit internes à la branche : cf. infra 7.1.
(12) Chap. VII, p. 972, t. II, Ed. Pléiade. La citation s'applique également au concept
de prix normal qui est le terme générique de la valeur de marché et du prix de production.
(13) Cf. supra, p. 99, la citation de Marx.
104 Patrick Maurisson

explicite principalement la loi du marché, à partir du processus de


gravitation centré sur la valeur de marché.
En contrepartie, la spécification de la norme, parce que
indépendante du processus de gravitation lui-même, est nécessairement
un donné de l'analyse de la formation des prix. On retrouve ici la
conception classique qui tient pour extérieure au marché la
détermination du prix d'équilibre, ce dernier n'étant que l'expression en
termes de prix d'une norme sociale (14).

2.4. Chez Marx, cette norme, dont l'antériorité dans l'analyse


de la formation des prix est une nécessité logique intrinsèquement
liée au principe même de gravitation, correspond à une modalité
particulière de la distribution de la plus-value sociale entre les
branches de la production (16).
C'est ainsi que la vente d'une marchandise à sa valeur marchande
assure à l'ensemble des capitalistes de sa branche de production un
profit au prorata du capital variable avancé par eux (16). Quant
au prix de production, il permet de percevoir dans chaque branche
un profit proportionnel à la somme du capital variable et du capital
constant engagés.

LE PASSAGE DE LA VALEUR DE MARCHÉ AU PRIX DE PRODUCTION

2.5. La succession de ces normes de distribution de la plus-value


sociale n'est bien évidemment pas arbitraire; elle est dictée par la
méthode suivie par Marx.
La péréquation des taux de profit intra-branche étant
contradictoire avec l'unicité du prix du marché, la norme ne peut porter
sur la distribution du profit au sein de la branche entre les
producteurs confrontés à un même marché. Il s'ensuit que l'unique
norme que l'on puisse retenir, quand on considère les branches
isolément, concerne les montants de profits réalisés séparément par elles.
Or, dans cette optique où la différenciation des branches ne
résulte que du fractionnement de la demande monétaire globale entre
elles, chacune — pour ce qui est de la réalisation de la plus-value —
suit la règle qui s'impose au niveau global. Le prix normal doit,
en conséquence, assurer dans chaque branche l'obtention d'un profit

(14) L'école ricardienne identifie cette norme à la répartition du produit net.


(15) Norme dont nous apprécierons par la suite le rôle qu'elle tient effectivement
dans le mouvement concurrentiel; cf. infra 6.4 et s.
(16) Quoiqu'elle corresponde à une abstraction théorique (l'autonomie des branches
dans l'analyse de la concurrence), la vente des marchandises à leur valeur relève bien
de l'étude du capitalisme, et non d'une hypothétique économie marchande non capitaliste
(sur l'expression « vente à sa valeur » cf. infra 7.2).
Egalisation des taux de profit 105

égal à la plus-value que cette branche a contribué à créer


socialement : c'est la valeur de marché (17).
Dès lors que l'analyse différencie les branches également selon
l'importance de leurs capitaux, il devient possible de définir une
norme de distribution de la plus-value sociale qui, à la différence
de la précédente, est compatible avec la concurrence inter-branche (18) .
Selon Marx, comme l'on sait, il s'agit de l'uniformité des taux de
profit entre les capitaux des branches; norme à laquelle est associé
le système des prix de production (19).

2.6. Le passage de la valeur de marché au prix de production


est ainsi une nécessité théorique qui s'impose, puisque l'abstraction
qui donne naissance à la première notion restreint l'analyse à la
concurrence intra-branche.
A contrario, c'est en abandonnant cette abstraction que Marx
élabore la seconde notion — le prix de production — appropriée
à l'analyse de la formation des prix sur un ensemble de marchés
soumis à la concurrence capitaliste inter-branches (20).

III - LA CONCEPTUALISATION DU MARCHÉ :


LE PRIX D'OFFRE

3.1. La nature du processus d'ajustement, censé conduire


simultanément au recouvrement de l'offre et de la demande et à
l'établissement d'un prix normal de marché, sera ici examiné après avoir
précisé les définitions de la demande et de l'offre confrontées sur
le marché.

LA DEMANDÉ

3.2. Dans l'analyse du marché, l'unique expression autonome


du besoin social pour une marchandise donnée ne peut être qu'un
quantum monétaire; c'est, dit Marx :
« La mesure dans laquelle la société cherche à satisfaire ce besoin par cet article
déterminé » (21).
Certes, la satisfaction de ce besoin se traduira par la
consommation d'une quantité — mesurable en unités physiques — de cette

(17) Cf. infra 7.2.


(18) Marx assimilant la concurrence capitaliste inter-branche à la concurrence
capitaliste (cf. infra 6.3), ces deux expressions sont pour l'instant présumées synonymes.
(19) Cf. infra 7.4.
(20) Cet abandon, conforme à la méthode d'investigation de Marx, s'inscrit dans la
« remontée vers le concret ».
(21) Chapitre VII, 2e section du livre III, p. 978, Ed. Pléiade.
106 Patrick Maurisson

marchandise, mais cette quantité dépendra du prix de marché : en


conséquence de quoi, elle ne saurait être une expression autonome
de la demande vis-à-vis du marché (22). En tant que résultat du
marché, la quantité demandée ne peut être tenue pour l'un de ses
éléments constitutifs; l'expression sur le marché du besoin social est
donc exclusivement monétaire.

3.3. Elle est de plus un donné de l'analyse de la formation des


prix qui présuppose le fractionnement de la demande solvable globale
entre les branches de la production. Marx renvoie à ce sujet son
lecteur à un examen de la constitution et de la dépense des revenus :
« Si on approfondit l'analyse, on voit que l'offre et la demande supposent
l'existence de différentes classes et catégories sociales qui se partagent le revenu global
de la société et le consomment comme tel, et par conséquent constituent la demande
formée par le revenu » (23).
Paramètre et non variable, la demande solvable jouera donc un
rôle relativement passif dans les procédures d'ajustement de marché (24) .
A l'opposé, c'est du côté de l'offre qu'il faut chercher à
identifier les variables d'ajustement significatives pour comprendre le
processus de formation des prix.

l'offre

3.4. L'offre d'une branche se présente tout d'abord comme un


ensemble d'articles destinés au même marché et formant ainsi une
marchandise unique. Quoique identiques face à la demande solvable,
ce qui se manifeste par l'unicité de leurs prix de vente, ces différents
spécimens de la même marchandise sont en général hétérogènes du
point de vue des conditions de leur production (25).

(22) « II semble donc que, du côté de la demande, il existe un besoin social d'une
ampleur déterminée, dont la satisfaction réclame la présence sur le marché d'une quantité
déterminée de tel article. Mais la détermination quantitative de ce besoin est très élastique
et flottante, car la fixité n'en est qu'apparente », ibid., p. 979.
(23) P. 986. Citons également cet extrait très significatif : « Notons ici au passage que
le « besoin social », autrement dit le facteur qui règle la demande en son principe, dépend
essentiellement des rapports entre les différentes classes et de leur position respective dans
l'économie; donc surtout 1° du rapport de la plus-value totale au salaire; et 2° du rapport
entre les diverses fractions qui composent la plus-value (profit, intérêt, rente foncière,
impôt, etc.). Une fois de plus, on voit donc qu'on ne peut absolument rien expliquer par
le rapport entre l'offre et la demande avant d'avoir mis en lumière la base sur laquelle
ce rapport fonctionne », ibid., p. 974.
(24) Tout changement de paramètre impliquant un nouveau processus, tout ajustement
qui n'aboutirait à la coïncidence de l'offre et de la demande que par modification exogène
de la demande solvable n'auraient aucune signification positive pour l'étude du processus
initialement examiné.
(25) L'égalité des produits d'une même branche face à la demande solvable de son
marché étant postulée, on s'interdit du même coup d'examiner la possibilité d'une
discrimination dans leur écoulement.
Egalisation des taux de profit 107

Chez Marx, la différenciation de ces conditions de production


s'opère sur la base des coûts unitaires en capital variable et constant;
c'est-à-dire sur l'expression monétaire des dépenses en moyens de
production et en salaires. La segmentation du capital de chaque
branche qui en résulte n'est donc pas a priori tributaire de la
configuration technologique de la branche (26).
Ainsi le fractionnement de la marchandise en spécimens distincts,
qui répond au même critère, ne fait que manifester l'hétérogénéité
des conditions d'engagement du capital dans la production de cette
marchandise; c'est l'unique façon de différencier les produits offerts
sur un même marché retenue par Marx.

3.5. Etant donné les coûts monétaires caractérisant la


segmentation du capital d'une branche, la marchandise produite ne saurait
être offerte à n'importe quel prix. Ceci signifie qu'en raison du
caractère capitaliste de la production, le prix de marché ne peut
être qu'un prix d'offre assurant, dans l'hypothèse de l'écoulement
complet de l'offre, à tous les segments du capital de la branche,
une rentabilité minimale sinon moyenne (27).
Dans ces conditions, le processus de marché peut s'analyser comme
la confrontation d'une demande solvable et d'une quantité offerte
à un certain prix prédéterminé avant l'échange. Le désajustement
entre ces expressions monétaires de l'offre et de la demande pourra
se traduire, d'un côté, par un écart entre les quantités offertes et
les quantités écoulées au prix d'offre ; d'un autre côté, par des niveaux
de rentabilité des segments de capital de la branche différents des
niveaux anticipés initialement lors de la fixation du prix d'offre.
Les variables d'ajustement (quantités offertes et prix d'offre)
seront alors commandées par les restructurations du capital de la
branche qu'accompagne le mouvement concurrentiel. L'examen des
procédures d'ajustement associées à ce dernier découlera de cette
conception, dès lors que les principes de fixation des prix d'offre
seront arrêtés.

(26) Pas plus que la demande solvable ne préjuge de la demande réelle. Cette
conception de l'offre est bien évidemment différente de celle de la tradition classique qui structure
l'appareil productif de chaque branche suivant un critère technologique. Chaque ligne
de production correspond à un procédé de fabrication distinct et la diversité des façons
de produire une même marchandise permet de repérer ses composantes.
(27) Pour reprendre une expression que Marx utilise à propos du prix de production,
le prix d'offre est « la condition de l'offre, de la reproduction de la marchandise dans
chaque secteur particulier de la production », chap. VII, 2e section, liv. III, p. 986, Ed.
Pléiade.
108 Patrick Maurisson

LE PRIX D OFFRE

3 . 6. De ce qui précède, ainsi que du caractère normal que Marx


assigne au prix d'équilibre de marché (28), il apparaît que le prix
d'offre — réalisant précisément cet équilibre de marché — - devrait
remplir une double fonction.
D'une part, en tant que prix d'équilibre, il doit simultanément
assurer la vente intégrale des différents spécimens de la marchandise
offerte et la rentabilité minimale anticipée pour tous les segments
de capital de la branche.
D'autre part, en tant que prix normal de la marchandise, il doit
correspondre à l'égalisation des taux de profit entre les capitaux de
branche de l'économie (29).
Sans préjuger du problème de la compatibilité de ces deux
fonctions, qui sera soulevé ultérieurement (30), on peut envisager a priori
deux procédures de détermination des prix d'offre.

3.7. Une première possibilité théorique consiste à définir un prix


d'offre qui permettrait — dans l'hypothèse de l'écoulement total de
l'offre — au capital de la branche d'obtenir le profit normal dicté
par le taux de profit général (31).
Cette conception se heurte à une difficulté majeure qui est la
suivante : en cas de non-recouvrement de l'offre et de la demande,
l'écart entre le profit attendu et le profit réalisé au niveau de la
branche ne fournit aucune indication sur l'adaptation de la
segmentation du capital de la branche susceptible d'éliminer progressivement
le désajustement initial entre l'offre et la demande.
Certes, on suppose que la supériorité du taux de profit moyen
de la branche vis-à-vis du taux général entraînera un accroissement
du capital de la branche, et qu'inversement le capital de la branche
diminuera — si en moyenne il est moins rentable que le capital
social. Mais ces mouvements de capitaux restent indéterminés tant
qu'aucune précision supplémentaire n'est apportée sur l'effet — au
niveau des segments du capital de la branche eux-mêmes — de la
non-coïncidence de l'offre et de la demande (32).

(28) Cf. supra 2.4.


(29) Sauf indication contraire, c'est à cette norme de distribution de la plus-value
sociale entre les branches que nous ferons dorénavant exclusivement référence. Les prix
d'offre en situation normale seront donc des prix de production.
(30) Cf. infra 5.2.
(31) Rappelons que ce taux de profit général qui règle la concurrence inter-branche
est un donné de l'analyse de la formation des prix. De la même manière que le
fractionnement de la demande solvable globale entre les branches, c'est à une autre partie de
la théorie qu'il incombe d'en rendre compte.
(32) Sauf à supposer qu'il existe une procédure centralisée au sein de chaque branche,
organisant la sortie des segments les moins efficaces jusqu'au moment où la rentabilité
Egalisation des taux de profit 109

3.8. Le facteur essentiel dont dépend le maintien ou le transfert,


hors de la branche, des segments de capital étant leur rentabilité
effective, l'élément déterminant du prix d'offre peut être trouvé dans
la définition pour chaque branche d'un seuil minimal de rentabilité
en deçà duquel les segments, ne le réalisant pas, quittent la branche.
Dans cette seconde procédure de détermination, les prix d'offre
doivent assurer, lorsque l'offre et la demande coïncident, un taux
de profit minimum aux segments de capital ayant les coûts unitaires
les plus élevés de la branche.
Par contre, en cas d'excès d'offre sur la demande, les rentabilités
des segments les moins efficaces n'atteindront pas ce niveau minimal
garantissant leur maintien dans la branche, d'où un reflux de capital
hors de la branche. A l'inverse, l'afflux de capitaux enregistré lorsque
le taux de profit moyen de la branche est supérieur au taux général
devra trouver son explication dans l'existence d'excès d'offre sur
d'autres marchés.

3.9. En introduisant de la sorte, pour des raisons théoriques, un


taux de profit minimum, on dédouble la notion de taux de profit
de référence, en créant une dissymétrie entre les critères d'entrée et
de sortie des capitaux d'une branche (33).
C'est dans ce cadre analytique que nous examinerons en détail
les procédures d'ajustement qui, selon Marx, en cessant lors du
recouvrement de l'offre et de la demande sur les différents marchés,
sont censées, ne serait-ce que tendanciellement, réaliser la norme
d'égalisation des taux de profit entre les branches (34).

moyenne du capital de la branche atteint le taux général de profit. Bien évidemment,


cette procédure interdit de parler dans ce cas de concurrence capitaliste au sein d'une
branche, puisque tout se passe comme si l'ensemble des segments de capital de chaque
branche ne formait — au regard de leur gestion — qu'un seul capital.
(33) Le premier critère, fondé sur la référence aux taux de profit général r, est identique
pour toutes les branches, à la différence du second qui peut être spécifique à chacune
d'entre elles dès lors que les taux de profit minima rm^ ne sont pas uniformes.
La distinction entre rm et r permet d'enrichir la typologie des procédures d'ajustement.
Outre les deux cas traditionnels d'afflux r^ > r et de reflux inf rç < rm^ (35) on introduit
en effet deux cas nouveaux : l'un où l'entrée et la sortie des capitaux se conjuguent
\¥{ S= r, infr^ < rmî\, l'autre où la restructuration du capital de la branche ne peut se
faire que par des mouvements intra-branches : [r^ < r, inf r^ > rm-\.
(34) Soit r le taux de profit général de l'économie, rm^ le taux de profit minimum de
la branche i, r^ son taux de profit moyen effectif et inf r^ le taux le moins élevé dans la
hiérarchie des taux de profit effectifs des segments de son capital :
\r — r{\ et j rm^ — inf r^ |
sont les deux variables d'écart dont l'annulation simultanée correspondrait à la coïncidence
de l'offre et de la demande en situation normale.
(35) inf ri étant le taux de profit du segment de capital le moins rentable de la branche.
110 Patrick Maurisson

IV - UNE ANALYSE DES PROCÉDURES


D'AJUSTEMENT DE MARCHÉ

4.1. Soit une branche dont le capital initial K (36) présente trois
segments K1} K2, K3 différenciés à partir des coûts unitaires de
production :

que k3 (37) .

On supposera qu'à l'origine de la procédure d'ajustement les


stocks de marchandises sont nuls; l'offre initiale et la production
initiale sont par conséquent identiques : Qo = Qp = Q^ -f- Q2 -f- Q3
au cours de la première période d'ajustement.
Le taux de profit minimum étant rm, le prix d'offre qui ouvre
le marché dépend, par définition, exclusivement du coût unitaire
en capital le plus élevé :
A = (1 + rm) k3 (I)
k3 = sup k-h.
A ce prix, étant donné la demande solvable A', se manifeste
A'
une demande en terme réel Qd égale au rapport — . Selon qu'il
Pi
est nul ou non, et selon son signe dans ce dernier cas (positif ou
négatif), l'écart entre Qo et Qd révèle le recouvrement ou non de

(36) Dans cette étude, on s'en tiendra à l'hypothèse simplificatrice du capital


intégralement circulant.
(37) La description de la segmentation du capital de la branche peut être précisée
par le tableau des coûts unitaires relatifs, ci-dessous à gauche; ainsi que par la dispersion
des coûts unitaires en fonction de leur fréquence, ci-dessous à droite.

*1/S
Ko61/oO «2/2 Q.2
3/3

< k2 < k3 implique : *2 h

sup ki
Le rapport — k=— peut alors servir
d'indicateur de dispersion.
Egalisation des taux de profit 111

l'offre et de la demande (excès d'offre si Qo > Qd, excès de demande


dans le cas inverse).

4.2. Quels que soient leur niveau et leur sens, les désajustements
de marché seront enregistrés « également » par tous les segments
de capital de la branche (38). Ce qui signifie que les variations de
stock ainsi que leur recette au cours de chaque période successive
d'ajustement seront pour chacun d'entre eux au prorata de l'offre
qui leur est associée. Si R est la recette de la branche (39) au cours
de la période initiale, chaque segment i obtenant une recette égale
à ^-^ . R, réalise un taux de profit ri défini par :

L (II)

La hiérarchie des taux de profit au sein de la branche qui en


découle n'est qu'une autre façon d'exprimer la diversité des coûts
unitaires en capital au cours de chaque période; ici, initialement,
on a par exemple :

~k,- *'« ( >■


(1 + r,)
Quant au taux de profit moyen de la branche r, il dépend des
recettes effectives :

(1 + r) = |.

EGALITE DE L OFFRE ET DE LA DEMANDE

4.3. Le recouvrement de l'offre et de la demande, dans ces


conditions, se traduit par la double égalité :

(38) Ceci n'est que la contrepartie du postulat d'égalité des produits face à la demande
(cf. supra 3 . 4) qui interdit de prendre en considération dans notre analyse les phénomènes
de discrimination entre « offreurs » d'une même marchandise.
j^
(39) Q/u désignant la quantité vendue R = O,,,./»! s? A' o Q,v^ Q4 = — et R = A'
si o* = aj- Pi
(40) Dès la seconde période d'ajustement, l'offre ne se confond plus nécessairement
]i.
avec la quantité produite. Les coefficients k\ = —^ prennent alors la place des coeffi-
Q.oï
cients k^ . Mais, en raison du postulat précédent, les rapports k\u et kyj sont identiques ;
ce qui donne une portée générale à la description de la branche en termes de coûts relatifs
unitaires.
112 Patrick Maurisson

Dans la période initiale où nous avons supposé que Qp = Qo,


ceci peut s'écrire :
R A'

ou encore :
(1 + rm) sup k%= {\ +f)k (41).

Il s'ensuit immédiatement, du fait de la relation II, que : inf ri = rm.


La coïncidence de l'offre et de la demande assure de la sorte au
moins le taux de profit minimum à tous les segments du capital
de la branche. En conséquence de quoi aucun mouvement de sortie
de capital ne saurait advenir. Par contre, il n'est pas impossible que
la branche attire des capitaux extérieurs dès lors que son taux de
profit moyen est supérieur au taux de profit général ; le recouvrement
de l'offre et de la demande tel que nous l'avons décrit n'est donc
stable que pour r < r (42) .

Remarque I. — Etant donné la seconde formulation de la


relation III, cette inégalité s'écrit encore :

sup^
Le rapport —dé~fini — étant toujours supérieur ou égal à 1, par
nition, cette condition est d'autant plus facilement remplie que le
taux de profit minimum est peu élevé et d'autant moins que la
dispersion entre les segments de capital de la branche est forte (43).

EXCES D OFFRE

4.4. Passons au cas d'excès d'offre caractérisé par la double


relation :
O > O — O (M)

(41) Cette égalité signifie que les taux de profit attendus sur la base du taux de profit
minimum sont réalisés pour tous les segments de capital de la branche.
(42) Puisque r ^ r peut engendrer un afflux de capital et déclencher de la sorte une
nouvelle procédure d'ajustement.
(43) Dans le cas particulier où la branche ne comprendrait qu'un seul segment de
capital, sup k^ = k, cette condition se réduit à :
(1 + rm) « (1 + r).
(44) Du moins dans la période initiale, en général la relation s'écrit :
0.0 > Q.p > Qv = O*
Egalisation des taux de profit 113

c'est-à-dire :
A'
R
^ " '
A Px
ce qui peut s'écrire, le coefficient des ventes étant : a = ^p < 1 (45) :

a(l + rm) sup k{ = (1 + r) &.


Le profit de chaque segment de capital de la branche est donné
par :

Seuls les segments tels que kô < a.sup^ s'assurent au moins


un taux de profit minimum (46).

4.5. La procédure d'ajustement se déroule dans ces conditions


par diminution du capital de la branche, les segments n'obtenant
pas le taux minimum de profit refluant à l'extérieur à la recherche
d'une rentabilité meilleure (47).
A cette diminution du capital de la branche correspondra une
réduction du coût unitaire le plus élevé, et par conséquent la fixation
d'un prix d'offre moins élevé qu'auparavant. L'ajustement se
produira dans la mesure où la réduction progressive de l'offre et
l'augmentation certaine de la demande réelle auront annulé l'excès
d'offre C48).

(46) Le taux de profit le moins élevé (1 4- rç) étant alors égal à (1 + rm) tous les autres
taux sont proportionnellement réduits, et puisque pour chacun d'eux on a :
1 + r," sup k^ , 1 + rj^ sup kj,
r on a aussi
114 Patrick Maurisson

Remarque IL — Encore faut-il que cette procédure d'ajustement


ne soit pas perturbée par l'entrée de capitaux dans la branche venant
atténuer les effets du mouvement contraire; autrement dit, que le
taux de profit moyen soit inférieur au taux de profit général (49).

EXCÈS DE DEMANDE

4.6. Dernière situation typique de désajustement de marché :


l'excès de demande traduit dans la période initiale par la double
relation :
ft, = ft. < O* (50),
A'
donc Qp < — .
Pi
Le coefficient de recette étant donné par (à = A
-r-; (à ^ 1, l'égalité
comptable pour chaque segment de capital de la branche prend la
forme suivante :

(1+0^ = 0^ = 7^. p. A'.

Les taux de profit attendus sur la base du taux minimum sont


tous réalisés puisque le segment le moins efficace obtient effectivement
le taux minimum (51).

4.7. L'ajustement dans ces conditions ne peut se produire que


par élévation du taux de profit minimum qui, en augmentant
le prix, permettait d'éponger l'excès de demande solvable; ou
par l'entrée dans la branche de nouveaux capitaux assurant un
accroissement des quantités produites avec ou sans hausse des
prix.
La première procédure, en contradiction avec le caractère
paramétrique du taux de profit minimum fixé par principe indépen-

production consécutive à la sortie des capitaux. Cette réduction ÀQ,2/i est fonction de
la dispersion des fy et des quantités produites précédemment par les segments de capital
non maintenus dans la branche. La condition de recouvrement éventuel de la période
peut s'écrire :

Q.Pl - AQa/l + (1 - a) Q,Pi = ^ .


a sup ki
(49) C'est-à-dire —= — . (1 + rm) < r.
K
H Plus généralement Qo > Q,p = Q,« < Qd.
(51) (1 + r3) K3 — Pi -Qs =>r3 = rm, puisque par définition px = (1 -j- rm) k3.
Egalisation des taux de profit 115

damment de la tenue du marché, ne peut être retenue ici (52).


Quant à la seconde, pour être effective, elle suppose que r ^ r,
SUT>L
donc : — =-• (1 + rm) ^ (1 + r) (
K

Remarque III. — A contrario, il apparaît ici qu'en cas d'excès de


demande dans la mesure où le taux de profit moyen est dès la
première période d'ajustement inférieur au taux général, le recouvrement
de l'offre et de la demande tel que nous l'avons défini ne peut se
réaliser.

V - LA NON-ÉGALISATION DES TAUX DE PROFIT


ENTRE LES BRANCHES DE PRODUCTION

5.1. Les trois procédures types d'ajustement de marché que nous


venons d'examiner sont essentiellement tributaires du principe de
fixation du prix d'offre que nous avons retenu auparavant, et qui
repose sur l'existence pour chaque branche d'un taux de profit
minimum.
Comme on a pu le constater, ces procédures s'identifient à
l'adaptation du capital des branches aux conditions de leur valorisation,
conditions réglées dans chaque branche par la demande solvable,
étant donné son taux de profit minimum et le taux de profit général
de l'économie. Cette adaptation se manifeste par la restructuration
du capital des branches qui modifie et le montant du capital investi
et sa segmentation.
La formation du prix épouse ce processus d'adaptation puisque
le prix d'offre d'une marchandise est égal à son coût unitaire de
production sur le segment de capital le moins efficace, plus le
profit calculé en pourcentage à partir du taux minimum de profit.
L'évolution de son niveau dépend en conséquence de ce processus
d'adaptation du capital de la branche, et cesse au même moment
où celui-ci s'achève, c'est-à-dire lorsque l'offre et la demande se
recouvrent.

(52) Pour les mêmes raisons on doit exclure d'emblée (cf. supra 3.3, n. (24) la possibilité
d'une diminution de la demande solvable initiale A', qui se reproduit à l'identique de
période en période. Notons que l'enchaînement des périodes peut alors s'effectuer sur
la base d'un report des excès de demande solvable d'une période à l'autre.
(53) En cas d'excès de demande :
_ - A' R
(1 + rm) sup ki = (1 + r) k < — - - , puisque (1 + r) = — .
116 Patrick Maurisson

DES SITUATIONS A-NORMALES D ' EQUILIBRE


-A,

5.2. Or, cet équilibre de marché ne correspond pas


nécessairement à la situation normale caractérisée par une rentabilité moyenne
du capital de la branche, conforme au taux de profit général.
C'est le cas, par exemple, lorsqu'une situation initiale d'excès
d'offre s'accompagne d'un taux de profit moyen inférieur au taux
général, et que la procédure d'ajustement, en raison de la dispersion
des segments du capital de la branche, aboutit sans que l'élévation
du taux de profit moyen n'ait amené son niveau à celui du taux
de profit général.
L'équilibre de marché dans cette hypothèse est atteint, alors
même que la rentabilité moyenne de la branche reste inférieure aux
conditions générales de valorisation du capital.
Inversement, ce serait également le cas dans l'hypothèse d'un
excès de demande associé à un taux de profit moyen supérieur au
taux général, si la baisse de rentabilité moyenne que suscite le
processus d'ajustement n'était pas suffisant pour égaler le taux de profit
moyen au niveau général.
Ces deux exemples, qui mettent en évidence que les prix d'offre
d'équilibre ne sont pas obligatoirement des prix de production au
sens de Marx (54), obligent à reconsidérer le principe de la
gravitation qui, jusqu'à présent, était strictement lié à la notion de prix
normal.

UN NOUVEAU POINT DE VUE SUR LA GRAVITATION

5.3. On doit immédiatement remarquer que le principe de


gravitation ne concerne plus directement les prix d'offre courants,
puisque le prix d'offre d'équilibre n'est pas prédéterminé : il résulte
des conditions de cessation de la procédure d'ajustement (55). Il faut
donc reconsidérer la gravitation en référence aux éléments qui, dans
la fixation des prix d'offre et au cours des procédures d'ajustement,

(54) Ni au sens classique; sauf à se donner une quatrième condition a priori (cf. supra 1 .6)
portant sur la technique de production des marchandises, indiquant pour chaque période
d'ajustement et pour chaque segment de capital la méthode de fabrication suivie en termes
de production de marchandises par des marchandises. Dans ce cas particulier, la notion
de prix d'offre serait semblable à la notion sraffaïenne de prix de production, mais resterait
irréductible à la notion marxiste; car, même si l'on suppose l'uniformité des taux de profit
minimum et l'existence d'une seule méthode de production dans chaque branche, il
faudrait encore pouvoir réconcilier la théorie classique du profit qui fait dépendre le taux
de profit de l'économie de la plus ou moins grande difficulté de production de certaines
marchandises — dites fondamentales — et la conception marxiste du profit comme forme
monétaire de la plus-value.
(55) Le prix d'offre d'équilibre dépend en effet de la demande solvable et de la quantité
produite, lorsque le capital de la branche est adapté à ses conditions de valorisation;
or, cette quantité d'équilibre est a priori indéterminée.
Egalisation des taux de profit 117

restent invariants. On peut ainsi concevoir, dans chaque branche,


la gravitation du taux de profit courant obtenu par les segments
de capital successivement les moins efficaces, autour du taux de profit
minimum; l'équilibre de marché, quand il est atteint, s'
accompagnant de la cessation de ce processus de gravitation. De même, on
peut envisager les fluctuations du taux de profit moyen autour du
taux de profit général; ce qui d'ailleurs, la demande solvable A'
étant donnée, revient à considérer la gravitation du « capital
courant » de la branche centrée sur son « niveau normal », défini par
A'
le rapport : ^ .
\ -\- r
Mais force est de constater que ce dernier processus de gravitation
ne peut rendre compte de la formation des prix sur le marché, puisque
son aboutissement n'est pas une condition suffisante pour que
l'équilibre de marché soit obtenu, et que par contre, comme nous l'avons
vu, cet équilibre de marché peut être atteint sans qu'il y ait eu
égalisation des taux de profit. Ceci invalide l'idée qui, en postulant leur
solidarité, associe la formation des prix de marché et l'égalisation
des taux de profit entre les capitaux de branche : en général,
l'ajustement tendanciel sur les marchés s'accompagne d'une égalisation
imparfaite des taux de profit.

5.4. Ainsi, indépendamment des difficultés éventuelles


d'ajustement sur les marchés pris séparément (56), le problème de la
formation des prix chez Marx se heurte à la question cruciale de la
coordination d'une pluralité de processus d'ajustement liés par des
mouvements de capitaux.
Cette question est d'ordre théorique, aussi ne peut-elle souffrir
de réponse approximative ou évasive. Tant que la tendance à la
péréquation des taux de profit de branche n'a pu être établie comme
une implication nécessaire du recouvrement de l'offre et de la
demande, elle ne peut, sauf coup de force théorique, être considérée
comme le résultat des procédures d'ajustement simultanées sur les
marchés. Si de plus il s'avère, comme nous l'avons établi ici, que
ces procédures peuvent très bien conduire à des équilibres a-normaux,
on doit, semble-t-il, en conclure que la norme capitaliste qui contraint
le fonctionnement des marchés et que présuppose leur analyse doit
être conçue abstraction faite d'une éventuelle réalisation sur les
marchés pris séparément, c'est-à-dire indépendamment des branches
de la production.

(56) Difficultés qui tiennent, comme nous l'avons souligné, soit à des caractéristiques
de la segmentation du capital de la branche qui bloque l'ajustement de l'offre à la demande,
soit à des mouvements de capitaux contraires à ceux assurant l'ajustement, qui le
contrarient donc, en le retardant ou même en inversant la situation de marché.
118 Patrick Maurisson

LE FRACTIONNEMENT DU CAPITAL SOCIAL


SELON LES BRANCHES DÉ PRODUCTION
EST UN PRÉSUPPOSÉ THÉORIQUE

5.5. Sont ainsi dissociés deux problèmes théoriques dont


l'assimilation est couramment faite par Marx : d'une part, l'analyse de
l'établissement — en situation d'équilibre simultané des marchés —
d'une certaine structure des taux de profit au niveau des branches (57) ;
d'autre part, l'analyse de l'existence et du rôle d'une norme
d'uniformité des taux de profit entre les fractions du capital social.
La confusion de ces deux problèmes tient à deux présupposés
qui sont : premièrement, la référence unique au taux de profit général
pour saisir les mouvements inter-branches de capitaux;
deuxièmement, le fractionnement du capital social selon les branches.
C'est de la conjonction de ces deux présupposés que naît le
postulat de l'égalisation des taux de profit entre les branches (58). Nous
nous sommes précédemment émancipé du premier, pour des raisons
analytiques, car il empêchait toute détermination des mouvements
de capitaux; il convient à présent de se libérer du second, en
reformulant la question de la péréquation des taux de profit
indépendamment de la notion de branche.

VI - CONCLUSION : LA FORMATION DES PRIX


ET LA CONCURRENCE CAPITALISTE

LES LIMITES DE LA QUESTION DE LA FORMATION DES PRIX

6.1. L'analyse de la formation des prix à laquelle nous avons


procédé dans le cadre de la théorie marxiste de la valeur révèle,
dès lors que sont mises en évidence les conditions indispensables à
la détermination des processus d'ajustement de marché, le caractère
arbitraire du postulat de l'égalisation des taux de profit entre les
branches. De ce point de vue, cette analyse constitue un essai de
rectification de l'exposé du chapitre VII consacré par Marx à cette
question (59).

(57) Dans l'analyse de la formation des prix fondée sur la notion de prix d'offre, ces
taux de profit de référence sont les taux de profit minimum.
(58) C'est d'ailleurs pourquoi l'abandon du premier ne pouvait conduire, dans l'analyse
de la formation des prix, qu'à révéler le caractère contingent de l'égalisation des taux
de profit entre les capitaux de branche, et inciter à rejeter ce dernier principe inutile
pour la compréhension des processus d'ajustement, et qui plus est, indémontrable.
(59) Sauf à considérer, ce qui est démenti maintes fois dans le texte, que dans le
chapitre VII ne serait retenue que l'unique hypothèse de travail n'invalidant pas le postulat
d'égalisation des taux de profit entre les branches (cf. infra 6.5).
Egalisation des taux de profit 119

6.2. Mais cette contribution à une lecture critique du livre III


du Capital reste insuffisante pour la compréhension du processus
concurrentiel. Ceci tient à l'objet même de la question de la
formation des prix (60) qui, imposant pour son traitement la référence
au découpage de l'économie selon les branches de production des
marchandises, réduit l'appréhension du capital social à son
fractionnement entre ces dernières. Ce qui revient à faire abstraction des
formes qu'emprunte la concurrence capitaliste, et partant de la
définition des capitaux individuels qui en sont les « unités actives ».

6.3. En effet, la concurrence capitaliste s'exerce entre des


capitaux dont l'unité tient à l'autonomie de décision et d'action de leur
centre de gestion. Ces capitaux individuels peuvent tout aussi bien
s'investir intégralement dans telle ou telle branche — ils sont alors
intra-branches — que se fragmenter en segments de capitaux
appartenant à des branches distinctes — ils sont alors multi-branches.
Aussi l'analyse de la concurrence capitaliste ne peut-elle se limiter
à l'étude des mouvements de capitaux inter-branches, car ces
mouvements qui portent généralement sur des subdivisions de capitaux
individuels, s'ils sont bien orientés par les critères d'entrée et de
sortie des branches, n'en obéissent pas moins à la logique
financière qui tient à la nature même de la concurrence capitaliste,
et non à ses modalités contraignantes au niveau des branches
d'investissement (61).
La question de la formation des prix n'épuise donc pas l'analyse
du processus concurrentiel : elle n'en constitue qu'un aspect. C'est
d'ailleurs pourquoi la signification, et donc la portée analytique de
la remise en cause du postulat d'égalisation des taux de profit entre
les branches, à laquelle notre traitement de cette question invite,
est tributaire des hypothèses retenues quant à la forme empruntée
par la concurrence capitaliste.

LA PORTÉE ANALYTIQUE DE LA NON-ÉGALISATION


DES TAUX DE PROFIT ENTRE LES BRANCHES

6.4. Considérons tout d'abord le cas particulier où tous les


capitaux individuels sont intra-branches, chacun constituant un segment
particulier au sein d'une branche. L'égalisation des taux de profit

(«°) Cf. supra 1.5.


(61) La prise en considération du caractère financier de la logique qui préside à la
concurrence capitaliste est une exigence théorique qui peut également être formulée
dans l'optique classique (sur ce point, dans le cadre de la théorie sraffaïenne des prix
de production, cf. P. Maurisson, Reproduction économique et rentabilité des capitaux, thèse
complémentaire, Université de Paris I, 1976).
120 Patrick Maurisson

entre les capitaux individuels étant généralement exclue dans cette


hypothèse (62), l'absence supplémentaire d'égalisation au niveau des
branches signifie l'inexistence d'une norme de distribution de la plus-
value sociale entre les fractions du capital social.
Ce qui impose de renoncer à la notion de capital social en tant
que totalité sociale (63).
De la sorte, et malgré les différences concernant la description
des branches et la détermination du taux de profit général, on retrouve
formellement une conception de caractère classique où la formation
des prix est uniquement conditionnée par la donnée des critères
d'entrée et de sortie des capitaux des branches (64).

6.5. Paradoxalement, en apparence, c'est dans une situation


limite de ce cas particulier que le postulat d'égalisation des taux
de profit entre les branches n'est pas invalidé.
Lorsque chaque branche n'est formée que d'un seul segment de
capital, donc que chaque capital individuel se confond avec le capital
d'une branche, l'identité qui en découle dans chaque branche entre
le taux de profit minimum et le taux de profit moyen fait que l'unique
critère d'entrée et de sortie est la référence au taux de profit général.
Il s'ensuit que l'égalisation des taux de profit entre les branches,
dans ces conditions, tend bien à se réaliser. Mais dans ce cas très
spécial où la notion de capital individuel se confond avec celle de
capital de branche, et cette dernière dans l'analyse de la concurrence
capitaliste n'ayant donc plus aucun contenu spécifique, ce résultat

(62) Cf. infra 7.1.


(63) On sait que chez Marx cette notion de capital social en tant que totalité tient
une place importante dans l'analyse de la concurrence puisqu'elle correspond à « la forme
sous laquelle le capital prend lui-même conscience d'être une puissance sociale » (chap. VII,
2e section, liv. III, p. 986, éd. Pléiade). En raison du nivellement des taux de profit
individuels, supposés résulter du mouvement concurrentiel, « chaque capital particulier doit
être considéré comme une simple fraction du capital total et chaque capitaliste, en fait,
comme un actionnaire de l'entreprise générale qui participe au profit global, en proportion
de l'importance du capital qu'il a engagé » (chap. VII, 2e section, liv. III, p. 998, éd.
Pléiade).
C'est ainsi que dans la pratique capitaliste naît la seconde figure suscitée par les illusions
delà concurrence (cf. supra, p. 101, n. (6)) qui, selon Marx, mystifie la réalité du rapport
salarial et l'origine du profit en substituant la norme de distribution du profit global entre
les capitaux individuels (proportionnalité du profit au capital — constant plus variable —
engagé) au principe de la création sociale de la plus-value (proportionnalité de la plus-value
au capital variable). Les conditions de réalisation de la plus-value sociale tiennent lieu,
en l'occurrence, d'explication à sa création et interdisent de ce fait tout accès au rapport
social qui la fonde réellement.
(64) Notons que la disparité des taux de profit minimum, qui correspond au critère
de sortie des capitaux n'impliquant en général aucune proportionnalité entre le profit
et le capital de chaque branche, ne peut constituer une norme de distribution de la plus-
value sociale; au mieux on peut la qualifier de norme de rentabilité, dans la mesure où
le recouvrement de l'offre et de la demande simultané sur chaque marché tend à la réaliser.
Egalisation des taux de profit 121

exceptionnel ne saurait valider le postulat que nous avons remis en


cause, car celui-ci n'a alors plus aucune raison d'être.

6.6. Envisageons pour terminer le cas général où les capitaux


individuels peuvent être multi-branches. Dans ces conditions rien ne
s'oppose plus, a priori, à ce que la concurrence capitaliste nivelle
tendanciellement les taux de profit individuels et réalise la norme
de distribution de la plus-value sociale entre les capitaux individuels
qui constituent le capital social en tant que totalité.
La non-égalisation des taux de profit entre les branches n'est plus
alors synonyme d'abandon du principe d'une norme de distribution
de la plus-value sociale, mais souligne la nécessité de la concevoir,
abstraction faite du fractionnement du capital social selon les branches
de production des marchandises.

VII - ANNEXE :
DESCRIPTION ANALYTIQUE
DU RECOUVREMENT DE L'OFFRE
ET DE LA DEMANDE
EN SITUATION NORMALE

7.1. Soit une marchandise dont les conditions de production


différenciées sont respectivement repérées par les segments 1 et 2 du
capital de sa branche de production :

(G, , Vj) -> Q,! unités f Cx + C2 = C


//-. ttn ^ • / avec { T7 , TT _r et O
jC1-, + O,
^2 = ^
O .
(C2, V2) ->Q,2 unités \V1 + Va = V

Nous supposerons que le segment 1 présente des coûts unitaires


en capital moins élevés que ceux du segment 2 :

0.1 0.2
L'équilibre de marché en situation normale assure simultanément
l'écoulement complet de la production offerte et l'obtention du profit
normal 7c pour le capital de la branche. Soit pn le prix normal
d'équilibre : pn = pr .
A chaque segment de capital de la branche correspond un taux
de profit brut :
122 Patrick Maurisson

d'où il ressort que la hiérarchie des taux de profit au sein de la


branche, représentée par le rapport :

ne dépend que des coûts unitaires en capital des deux procédés de


fabrication.

VALEUR DE MARCHÉ

7.2. Lorsque le prix normal est la valeur de marché, le rapport


entre le profit normal et le capital variable de la branche est égal
au taux d'exploitation x, qui est défini par le rapport entre la plus-
value sociale et le capital variable de l'économie.
Le profit normal de la branche considérée isolément est par
conséquent :
7C = XVi ,
et la valeur de marché :
C + (1 + x) V

Si, d'une manière conventionnelle, l'on dit qu'une marchandise


est « vendue à sa valeur » lorsque son prix de marché incorpore
un profit par unité de capital variable égal au taux d'exploitation,
on dira, avec Marx, que l'équilibre qui s'établit au niveau de la
valeur de marché assure la vente à sa valeur de la marchandise (fi5).
Dans cette acception, la valeur par unité de la marchandise peut
être identifiée indifféremment à la valeur individuelle moyenne de
l'ensemble des spécimens de cette marchandise (66), ou à la valeur
individuelle d'un spécimen — fictif ou réel — produit dans des
conditions représentatives de la totalité des marchandises.
Il est alors permis de classer tous les autres spécimens par rapport
à cet exemplaire représentatif de la branche tout entière. On range
d'un côté ceux dont la valeur individuelle est supérieure à la valeur
marchande, de l'autre ceux pour lesquels elle lui est supérieure.
Toutes ces fractions de la marchandise étant vendues au même
prix, la position de leur valeur individuelle vis-à-vis de la valeur
de marché a sa traduction en termes de rentabilité. Les segments

(65) Dans le cadre des prix de production (cf. infra 7.4) seule la totalité des
marchandises ou la marchandise produite par une branche représentative pourront être « vendues
à leur valeur ».
(66) La valeur individuelle d'un échantillon d'une marchandise est le prix unitaire
qui permettrait de le vendre « à sa valeur ». Dans la situation normale où le prix d'équilibre
est la valeur de marché, quoique la marchandise dans sa totalité soit vendue « à sa valeur »,
cela n'est pas le cas de ses éléments constituants.
Egalisation des taux de profit 123

de capital produisant celles dont la valeur est supérieure à la moyenne,


obtiennent un taux de profit inférieur au rapport :

+ 1 ,67).
(S).
X
pour les autres, au contraire, ri ^ ~7n\ > l'égalité étant vérifiée

pour le segment produisant le spécimen représentatif ainsi que pour


le capital de la branche (68).

7.3. On remarquera que les conditions représentatives de la


branche ne s'identifient pas aux conditions de rentabilité moyenne
des segments de capital.
En effet, pour que le segment — fictif ou réel — de rentabilité
moyenne produise un spécimen représentatif, il faut que sa
composition organique soit égale à celle de la branche (69).
Réciproquement, le segment produisant un spécimen
représentatif sera moyen eu égard à la rentabilité, dès lors que sa composition
organique sera moyenne (70).
Il est ainsi établi, a contrario, que la différenciation des spécimens
d'une même marchandise selon leur valeur individuelle n'est pas
similaire à celle portant sur les segments de capitaux différenciés
selon leur coût de production unitaire.

PRIX DE PRODUCTION

7.4. Lorsque le prix normal d'équilibre de marché est le prix


de production, le rapport entre le profit normal et le capital dans

(68) Au niveau de la branche : r = . Le taux moyen de profit est donc

égal au taux général r lorsque la composition organique de la branche est identique à


celle de l'économie.
(m
(69) Cm + Vm = G—+ V n,.impiique
,. Cm + VOT + xVm = Ç + V _ + xV , que si :
/V\
\Y\) /V\
=\ci)> ce 1U^ est synonyme — dans le cas d'un segment moyen — de :

tvL
(70) =Pour
(v) le
■ segment e produisant le segment représentatif : re — — — x , par
conséquent,
équent, si de plus : 1^1 =lrjl, re = r.
124 Patrick Maurisson

chaque branche est égal au taux de profit général qui dépend, chez
Marx, du taux d'exploitation et de la composition organique du
capital de l'économie :

On peut alors définir une branche —- fictive ou réelle —


représentative de l'ensemble de l'économie pour laquelle le prix de
production est égal à la valeur individuelle, vérifiant donc :

c'est-à-dire :
*Ve = r(Ce + VJ. '
La composition organique de la branche représentative est donc
nécessairement égale à la composition organique de l'économie (72).

7.5. Le classement des branches, selon que leur composition


organique est supérieure ou inférieure à celle de la branche
représentative, conduit à distinguer celle qui, en situation normale de
prix de production, réalise plus de plus-value qu'elles n'en créent
au niveau social de celle qui au contraire ne réalise pas intégralement
la plus-value sociale qui leur est imputable ( 73).
Marx interprète cette situation normale en parlant de « transferts
de plus-value sociale » qui s'opéreraient des branches à composition
organique faible vers les branches à composition organique forte. La
création de plus-value étant immédiatement sociale (74), ces «
transferts » doivent être compris en un sens strictement métaphorique.
Tout autant que celle de valeur individuelle, dont elle découle, la

(71) Cette relation découle de la double égalité globale :


xP/ = rr = r(C + V),
qui définit simultanément le taux d'exploitation x et le taux de profit r.
(72) L'uniformité du taux de profit entre les branches étant postulée, elles remplissent
toutes, par définition, les conditions de rentabilité moyenne à la différence des segments
de capital représentatifs des branches. Dès lors, la branche représentative a, ipso facto,
une composition organique « moyenne ».
(73) Lorsque la valeur individuelle d'une marchandise est inférieure à son prix de
production : r(C; + VJ > xV{, sa vente à son prix de production permet de réaliser
(G\ C
v) * •> v ' en
raison ae ia aennmon au taux ae proni gênerai.
(7*) Chaque branche de production de marchandises contribue bien à la création
sociale de la plus-value au prorata de sa participation dans la reconduction du rapport
salarial, qu'indique le montant de son capital variable; mais ni la création de plus-value,
ni celle concomitante de valeur ne peuvent être localisées dans les branches : elles ne
sont compréhensibles qu'au niveau social (cf. supra 1.3).
Egalisation des taux de profit 125

notion de « transfert de plus-value » a un caractère fictif en ce sens


qu'elle a pour fonction, selon Marx, d'appréhender la structure
interne de l'économie capitaliste, sans pour autant correspondre à
des phénomènes tangibles au niveau des branches.

SURPROFIT

7.6. Dérogation au principe général de l'égalisation des taux de


profit entre les branches, la rente absolue traduit précisément chez
Marx un phénomène de non-transfert de plus-value (7S).
Les produits de la terre étant vendus, en situation d'équilibre
de marché, au-dessus de leurs prix de production, dans la mesure
où la composition organique du capital de l'agriculture est
effectivement inférieure à la moyenne de l'économie, l'écart positif entre
leurs prix courants et leurs prix de production peut s'interpréter
comme une plus-value non transférée au reste de l'économie et
appropriée par les propriétaires fonciers (76).
En raison de la nature a-capitaliste du facteur à son origine (la
propriété foncière), cette exception ne remettrait pas en cause, selon
Marx, la règle de péréquation des taux de profit lors du recouvrement
de l'offre et de la demande.

7.7. Bien évidemment, cette forme de surprofit, liée à l'existence


d'une entrave à l'égalisation inter-branches des taux de profit, doit
être distinguée des surprofits intra-branches qui mesurent les écarts
— positifs ou négatifs — entre les taux de profit des segments du
capital d'une même branche et son taux de profit moyen (77), dont
par définition la somme est nulle.

Décembre
Université de Picardie.

(75) Cf. chap. VII, 2e section, liv. III, p. 990, éd. Pléiade.
(76) Si les prix courants de marché de ces produits sont respectivement égaux à leurs
valeurs individuelles, la plus-value réputée créée dans l'agriculture est intégralement
partagée entre les propriétaires fonciers et les fermiers capitalistes.
(77) Que Marx suppose égal au taux de profit général, en situation normale de prix
de production.

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