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Mon Pays d’Abord !

Un idéal
Un engagement
Une mission
Essai politique
Par Barnabé Kikaya Bin Karubi

Le Pays d’Abord !
INTRODUCTION

9 novembre 1989. 21h30. L’événement sur lequel l’attention du monde


se focalise est la chute en cours du Mur de Berlin, 28 ans après son
érection.
A Boston, ville américaine située à 6.077 km de Berlin, il est 15h30.
Pendant que je suis l’événement par le petit écran, la mémoire me
ramène à la journée du 21 mai 1989. Précisément au stade Omnisports
« Nickerson Field » de Boston University.
Ce jour-là, comme seuls les Américains savent le faire, la collation des
grades académiques a lieu dans un carnaval « Son et Lumière »
fantastique, en présence des Présidents des Etats-Unis Georges Bush Sr
et de la France François Mitterrand.
Dans les mots de circonstance qu’ils prononcent sur le Traité de
l’Atlantique Nord (Otan) ayant son siège international à Bruxelles, en
Belgique – puissance coloniale de mon pays, le Congo devenu Zaïre - les
deux chefs d’Etat annoncent l’imminence de grands bouleversements
dans l’ordre mondial.
Cinq mois plus tard, me voici témoin, par la magie de la télévision, du
bouleversement en train de se produire à Berlin, essentiellement du
côté de l’Allemagne de l’Est, Etat avancé de l’empire soviétique en
Europe.
L’enjeu est plus interpellant que passionnant pour le diplômé en
doctorat de la BU que je suis.

Boston University, pour rappel, est la quatrième des plus grandes


universités privées américaines et l’une des plus prestigieuses du pays
en ce qu’elle compte parmi ses anciens élèves des Prix Nobel comme Dr
Martin Luther King et Eliezer Weissel. Quand on entre dans une
institution de si grande notoriété et on réalise qu'on est dans des salles,
des couloirs, des allées fréquentées par ces célébrités, ou quand on
s’appuie sur des arbres centenaires sous lesquels Martin et Eliezer se
sont peut-être reposés, comment ne pas se mettre en symbiose leur
esprit avec le mien ?

Prenons Martin Luther King. Il s'est battu contre le racisme noir dont
sont victimes ses contemporains. Et il l’avait décliné son combat dans
son discours de Washington le 28 août 1963 entré dans l’histoire sous le
titre « I have a dream ».
« Avec cette foi, nous serons capables de distinguer dans la montagne du
désespoir une pierre d’espérance. Avec cette foi, nous serons capables de
transformer les discordes criardes de notre nation en une superbe
symphonie de fraternité », avait-il déclaré.

Prenons Éliezer Weisel ! Ayant échappé à l’extermination des Juifs à


Auschwitz et à Buchenwald, il a survécu à la Shoah. S’installant aux
Etats-Unis, il va participer à la fondation du Mémorial de l’Holocauste,
après s’être battu contre le racisme blanc de ses contemporains, cette
plaie hitlérienne sur la Nation juive.

Comme pour dire que le racisme - à l'instar du tribalisme, de l’ethnisme,


du communautarisme, du népotisme, du favoritisme et tout ce qui lui
ressemble - sont des travers que doit combattre tout être humain.
Je suis de la race des combattants de l'injustice.
Je m'en revendique.

Quand, dans la vie, un événement comme celui de la chute du Mur de


Berlin se produit et vous ramène tous ces souvenirs, on ne peut pas ne
pas sentir l’appel de la Nation, et cela pour deux raisons.

La première est liée à la création de l’Etat Indépendant du Congo. La


seconde à l’avènement du Congo-Belge à la souveraineté nationale et
internationale.

C’est, en effet, à Berlin, du 15 novembre 1884 au 26 février 1885 révèle


l’Histoire, que se tient la Conférence internationale sur le partage de
l’Afrique. La première des assises du genre auxquelles les Etats-Unis,
créés pourtant le 4 juillet 1776, prennent part en 108 ans d’existence.

Sous les auspices du baron allemand Otto Von Bismarck, l’Etat


Indépendant du Congo imaginé par le roi des Belges Léopold II voit le
jour aux côtés d’autres Etats africains.
Fait singulier : pendant que certains sont placés sous le statut des
colonies, d’autres de protectorat, l’EIC est, quant à lui, confirmé sous le
statut de « propriété privée du roi ». Imaginons Donald Trump, tout en
étant Président des Etats-Unis, propriétaire du Mexique ou des
Philippines.

Devenu en 1908 colonie belge, l’Etat Indépendant du Congo va accéder à


la souveraineté nationale et internationale le 30 juin 1960.

Au lieu que cela soit un sujet de joie, la déclaration d’Indépendance va


plutôt accentuer la convoitise des puissances membres de l’Otan (sous le
parapluie des Etats-Unis) et des puissances membres du Pacte de
Varsovie (sous le parapluie de l’Union des Républiques Socialistes
Soviétiques-Urss).

Les unes et les autres avaient découvert la position stratégique du Congo


lors de la Seconde guerre démarrée le 1ᵉʳ septembre 1939, terminée le 2
septembre 1945.
C’est, en effet, l’uranium de Shinkolobwe, extrait en terre congolaise du
Katanga, qui avait servi à la fabrication de la bombe atomique avec
laquelle les Américains avaient mis fin à cette confrontation effroyable.

La symbolique de la Guerre froide instaurée entre 1945 et 1947, au


lendemain de la fin de la 2ème Guerre mondiale, est justement ce Mur de
Berlin, masse de béton d’une hauteur de 3,6 m et d’une longueur de 155
km, coupant en deux la capitale séculaire de l’Allemagne, Berlin. La
partie Ouest est placée sous le leadership de l’Otan dans l’Etat nommé
Allemagne fédérale, la partie Est sous celui du Pacte de Varsovie dans
l’Etat nommé Allemagne de l’Est.

Et voilà que le 9 novembre 1989, profitant de la dynamique suscitée par


la Perestroïka en Urss, les Allemands abattent eux-mêmes le Mur de la
Honte avec son bilan macabre estimé à près de 1.135 morts.
***
A son accession à l’Indépendance le 30 juin 1960, mon pays, le Congo,
devient naturellement un gros enjeu géopolitique et géostratégique
mondial. Son mur à lui, c’est celui des rébellions, des sécessions et
d’agression qui ponctuent son existence.

De la rébellion lumumbiste en 1961 à la rébellion kabiliste en 1997, en


passant par la rébellion muleliste (ou Simba) des années 1964 et la
rébellion mbumbaïste en 1977 et en 1978 prêtées toutes aux pays du
Pacte de Varsovie, des sécessions du Katanga et du Sud-Kasaï en 1960 à
l’agression rwando-burundo-ougandaise de 1998 prêtées aux pays du
Pacte de l’Otan, mon Congo continue de subir des velléités les unes
annexionnistes, les autres séparatistes jusqu’au moment où cet ouvrage
est sous presse. L’affirmation est basée sur la présence de plus d’une
cinquantaine de groupes armés étrangers et nationaux écumant jusqu’à
présent sa partie orientale, groupes contre lesquels la communauté
internationale a engagé via la Monusco (Mission onusienne) près de
20.000 hommes et dépensées plus de 20 milliards de dollars américains
en une vingtaine d’années de déploiement sur le territoire congolais,
mais sans succès évident !
***

Bien entendu, ce 9 novembre 1989, à Boston University, la conviction


d’obtenir mon doctorat est confortée par ma détermination à rentrer à
tout prix au pays, car la chute du Mur de Berlin a pour moi une
signification autre : le devoir de participer au renouveau démocratique
qui s’annonce chez nous, chez moi.

Quand on baigne depuis une décennie dans l’environnement anglo-


saxon en Occident, et cela après avoir vécu des décennies durant les
humiliations du système autocratique comme celui instauré par le Mpr
Parti-Etat avec le soutien de l’Occident, on a de la démocratie libérale
une autre perception des libertés fondamentales génératrices de
progrès. On veut voir son peuple jouir de ces libertés non seulement en
consommateur (c’est son droit absolu), mais aussi et surtout en
producteur de progrès (c’est son devoir sacré).
On fait alors sienne l’une des expressions fortes de John Fitzgerald
Kennedy : «  Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous,
demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays ».

Alors qu’avec mon cursus académique, j’ai ma place garantie dans le


système politique, économique et social américain comme le faisaient,
l’ont fait et le feront mes contemporains – je me résous, moi, au choix
inverse : revenir pour servir mien. D’où ma devise : « Le Pays
d’Abord ».
Lorsque je l’adopte en 1989, je n’ai aucune idée que 30 ans plus tard, la
première alternance politique, à l’érection de laquelle je vais apporter
ma contribution modeste aux côtés de Joseph Kabila Kabange de 2001 à
2019, amènera aux affaires les tenants du slogan « Le Peuple D’Abord ».

Pour rappel, Joseph Kabila va succéder le 18 janvier 2001 à Laurent-


Désiré Kabila, assassiné atrocement et lâchement dans ses bureaux du
Palais de Marbre à Kinshasa le deux jours plus tôt, pendant que je suis
ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République
Démocratique du Congo au Zimbabwe de Robert Mugabe.
C’est au Zimbabwe que le corps du 3 ème Président de la République sera
amené, et c’est de ce pays que sera organisé le rapatriement.
Pour rappel également, en tant que journaliste à la base de la
transformation de Radio RSA en Canal Afrique, les services extérieurs de
la Société de radiodiffusion et de télévision sud-africaine, je vais
accompagner Mzee pendant la guerre de Libération menée par l’AFDL
de Juillet 1996 au 17 mai 1997.

Mais, l’immersion politique commence, elle, en 1995 lorsque, à la faveur


des Accords du Palais du Peuple ayant mis fin au schéma de la
Conférence nationale souveraine (Cns) et au schéma doublon du
Conclave politique de Kinshasa (CpK), Léon Kengo devient Premier
ministre après neutralisation des frères ennemis Etienne Tshisekedi wa
Mulumba et Faustin Birindwa, tous deux membres de l’Union pour la
démocratie et le progrès social (Udps).
Autorité morale de l’Union des démocrates indépendants (Udi), Léon
Kengo confie le portefeuille des Travaux publics et Aménagement du
Territoire au président de son parti, Alexis Thambwe Mwamba.
C’est au cabinet de ce dernier que je fais mes premiers pays dans les
affaires de l’Etat en qualité de conseiller politique.

Mon nom : Barnabé Kikaya bin Karubi !

CHAPITRE 1 : Le Syndrome de Timisoara

Entre l'obtention du doctorat en Sciences Politiques de Modernisation et


Changement à Boston University en 1989 et mon immersion dans la vie politique
active en 1995, il se passe six ans. Période mise à profit pour entrer dans la vie
professionnelle tour à tour comme Rédacteur en Chef de Canal Afrique, Services
extérieurs de Radiodiffusion et de Télévision Sud africains (SABC), et comme
Directeur Général d’AFRO 2C, l’Africaine de Conseil en Communication, agence de
consultance qui introduit les hommes d’affaires de la nouvelle Afrique du Sud sur le
Continent africain.

Entre la chute du Mur de Berlin le 8 novembre 1989 et l'annonce par le maréchal


Mobutu de la libéralisation politique consacrant en réalité la fin du règne du Parti-
État le 24 avril 1999, il se passe juste 5 mois et deux semaines.

Ainsi, le vent de la Pérestroïka accentué par la chute du Mur aura eu raison du


maréchal dans ce laps de temps.

A dire vrai, Mobutu perçoit la bourrasque en décembre 1989. Il se raconte que la


mort effroyable de son ami Nicolae Ceaușescu, président de la Roumanie, survenue
le 25 décembre de cette année, aura eu raison de son obstination à s’accrocher à
l'œuvre de sa vie : le monopartisme d'État.

Sous le titre « Ceausescu, mort en direct », Olivier Thomas rapporte dans « mensuel
466 » de décembre 2019 la chronique de cette journée folle, symbole pourtant, pour
les Chrétiens, de l’avènement d’Emmanuel, Prince de la Paix, au travers de la
Nativité. « Le 25 décembre 1989, les télévisions du monde entier retransmettent des
images tournées le jour même à Targoviste, en Roumanie. Des images impensables
quelques jours auparavant. Les téléspectateurs assistent au procès des époux
Ceausescu. Au bout d'une heure la sentence tombe : la peine capitale, exécutée dans
la foulée » (…). Jusque-là, la Roumanie était restée en dehors de la vague de
réformes initiées par Mikhaïl Gorbatchev en Union soviétique et touchant en cascade
les pays du bloc socialiste. Mais le pays est exsangue (…). Les 16 et 17 décembre, des
gens se rassemblent à Timisoara pour protester contre l'expulsion par la Securitate,
la police politique roumaine, du pasteur Laszlo Tökes de son église. Le régime
ordonne d'ouvrir le feu. Le bilan est lourd au soir du 18 décembre : 70 morts ! Trois
jours plus tard, le discours de Ceausescu est interrompu en direct par une foule
vociférante. Après Timisoara, c'est Bucarest qui se soulève. Une nouvelle fois, l'armée
et la Securitate exécutent les ordres du régime : 49 morts, 463 blessés et 698
arrestations sont dénombrés. Mais le peuple ne se laisse pas faire et se dirige vers le
siège du Comité central où le vieux dictateur s'est réfugié. La révolution est en
marche sous le regard des caméras. Les rumeurs les plus folles circulent. Pour tenter
d'analyser une situation pleine de faux-semblants dans laquelle les chefs militaires
cherchent à sauver leur peau, les auteurs utilisent les images d'archives. Surtout, ils
donnent la parole à de nombreux témoins directs de ces événements : Ceslav
Ciobanu, le conseiller des affaires roumaines de Gorbatchev ; Dan Voinea, le
procureur militaire au procès des Ceausescu ; Ionel Boeru, l'officier qui dirigea le
peloton d'exécution... ».

Mobutu et son épouse Bobi Ladawa, laissent entendre leurs proches, sont stupéfaits.
Ils savent que tout peut désormais arriver au Zaïre. Tout peut leur arriver.

D’où les consultations populaires au cours desquelles des forces sociales organisées,
qui vont constituer plus tard Société civile, sont appelées à se prononcer sur l'avenir
du Mpr Parti-État.

Mobutu en confie la coordination de l'un de ses hommes de confiance : Monkolo wa


Mpombo. Certains échos attribuent cette initiative à Nkema Liloo.

Benjamin Babunga, dans sa chronique du 13 janvier 2018, rappelle que l’annonce en


a été faite le 14 janvier 1990 à l’occasion de la cérémonie d’échange des vœux avec
les corps constitués de la République. Objectif : obtenir un « large débat national sur
le fonctionnement des institutions de la 2ème République ».

Méthodologie choisie : « d’une part, des rassemblements organisés dans un climat


de liberté totale d’expression et auxquels Mobutu lui-même participa en voyageant à
travers tout le Pays et, d’autre part, la présentation des Mémorandums pour le
dépouillement desquels un ‘Bureau national de Consultation populaire’ fut créé.
Toutes les forces vives, publiques et privées, civiles et militaires, laïques et religieuses,
participèrent avec cœur à ces consultations populaires dans lesquelles Mobutu
s’engagea personnellement. Partout, il se fit rassurant, répétant aux sceptiques des
propos tels que : ‘Les vœux et souhaits du Peuple seront réalisés’, ‘Si vous voulez des
chambardements, nous les ferons’, ‘S’il faut que les choses soient bousculées, elles le
seront’, ‘Seule votre volonté comptera’, ‘La volonté de la majorité du peuple sera
respectée sans faux-fuyants”, etc. », écrit-il.

Et Babunga de poursuivre : « En trois mois, plus d’un million de zaïrois (congolais)
participèrent à ces consultations populaires et le Bureau de Consultation populaire
enregistra 6.128 Mémorandums. A l’issue des consultations, le peuple renvoya
comme message à Mobutu : le rejet total du MPR Parti-Etat, de sa doctrine, de tous
ses organes et de ses animateurs ; et l’option fondamentale et irréversible pour le
changement démocratique au Zaïre. Ces consultations avaient fini par conduire
Mobutu à décréter, trois mois après (24 avril 1990), la fin du monopartisme et le
début d’un long processus de démocratisation ».

Le 24 avril 1990 a effectivement lieu en la salle des Congrès de la cité du Parti, à


N’Sele, la grande messe mobutienne comme seuls les mobilisateurs et les logisticiens
du Mpr Parti-État formés en Corée du Nord et en Chine savent le faire.

Dans une salle en vert-jaune-rouge (couleurs du drapeau national flanqué d'une


flamme avec des langues de feu), dans une animation politique et culturelle que le
Parti-Etat va réussir à exporter dans plusieurs pays africains, les caciques du Mpr
sont heureux. Après tout, ils incarnent le peuple heureux puisqu’il chante et danse.

Combien sont-ils, à cet instant précis, de savoir ce qui les attend ?

Il se dit que pour son discours de circonstances, le maréchal se livre à son exercice
favori : diviser pour mieux régner, traduction française de la maxime latine « Divide
ut regnes » ! Il cloisonne les rédacteurs. La version finale, il en partage le contenu
avec un homme qui ne serait pas du sérail.

Évidemment, l'effet recherché est atteint : la douche froide pour les congressistes.
Mobutu annonce la fin du Mpr Parti-Etat, et, tout naturellement, il en prend congé.
Tombent et disparaissent de ce fait tous les avantages sociaux dispensés par le
système et le régime.

« Ce jour-là : le 24 avril 1990, Mobutu annonce les larmes aux yeux le tournant du
multipartisme », écrit Olivier Liffran dans Jeune Afrique, édition du 24 avril 2018.
« Après 25 ans de règne sans partage, le maréchal Mobutu Sese Seko annonce le 24
avril 1990 la fin du parti unique au Zaïre. Devant un parterre de ministres,
magistrats, généraux et parlementaires, Mobutu Sese Seko – qui se présente vêtu
d’un uniforme noir de maréchal – décide ‘seul devant sa conscience de tenter
l’expérience du pluralisme politique dans notre pays [au Zaïre], avec à la base le
principe de la liberté pour chaque citoyen d’adhérer à la formation politique de son
choix’ (…).

Olivier s’interroge : « Que devient le chef dans tout cela ?, poursuit-il, de sa voix
martiale. Je vous annonce que je prends ce jour congé du Mouvement populaire de la
révolution, pour lui permettre de se choisir un nouveau chef devant conduire…’.
Silence de quelques secondes du Léopard, suivi d’un regard presque suppliant en
direction de l’assistance, et qui s’achève par trois petits mots devenus célèbres :
‘Comprenez mon émotion’ ».

Et Liffran poursuit : « Devant un maréchal aux yeux soudain embués de larmes,


rehaussant ses lunettes pour sécher quelques gouttes lacrymales, la salle applaudit à
tout rompre, avant d’entonner avec enthousiasme : « Nous avons confiance en notre
guide. Qui est notre guide ? Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga !
Libérateur ! Pacificateur ! Unificateur ! », avant de s’interroger encore : « Larmes de
crocodile ou larmes sincères ? On ne saura sans doute jamais. Reste que Mobutu, qui
doit sa longévité politique au soutien de l’Occident dans le contexte de la Guerre
froide, pressent que le vent de l’histoire est en train de lui échapper. Quelques mois
plus tôt, le soir de Noël 1989, son ami le dictateur roumain Nicolae Ceausescu a été
exécuté avec sa compagne suite à un procès expéditif ».

Déconvenue et déconfiture dans la salle des congrès, liesse populaire à l'extérieur


avec un peuple alors heureux puisqu'il chante et danse réellement : on rate pourtant
l'essentiel.

L'essentiel, ce n'est pas cette parole de dépit forte « Comprenez mon émotion »,
encore moins la larme qu'il laisse couler et qu’il essuie d’ailleurs rapidement.

L'essentiel, c'est l'aveu du bilan catastrophique de la politique économique et sociale


menée d’abord sous le Mpr parti unique entre 1967 et 1973, ensuite sous le Mpr
Parti-Etat entre 1973 et 1990. C’est l’aveu de l’échec des 30 ans d’Indépendance.

Certes, dans son discours, Mobutu relève dans son discours du 14 janvier 1990 avoir
« sillonné toutes les régions du pays, de l'Est à l'Ouest, du Nord au Sud, empruntant
tous les moyens de transport disponibles, à savoir : Jeep, voiture, bateau, hélicoptère,
petit porteur et jet », se permettant une pointe d’humour en soulignant qu’« Il ne
manquait plus à cette liste que le train, le vélo et, bien sûr, la pirogue ».

S’étant mis à l’écoute de la majorité silencieuse, son attention retenue par les
interrogations, les inquiétudes et les aspirations de son peuple, il admet avoir
« recueilli des mémorandums aussi bien individuels que collectifs » et reçu en
audience « différents groupes socio-professionnels tels que professeurs,
missionnaires, opérateurs économiques, médecins, avocats, fonctionnaires, chefs
coutumiers, femmes commerçantes, étudiants », soulignant particulièrement avoir
tout pris en compte, et ce tout devant faire l’objet de sa réflexion profonde, ajoutant
« même le mémorandum des évêques », comme si ce dernier a quelque chose de
singulier.

Mais, l’aveu d’échec, mieux de l’échec, il le fait dans la partie suivante du discours :
« Trente ans après l'accession de notre pays à l'indépendance, nous sommes
aujourd'hui à la croisée de chemins et devant des choix nouveaux (…). A l'analyse de
tous les mémorandums qui m'ont été adressés, j'ai été surpris de constater que le
peuple, à qui j'avais demandé de se prononcer seulement sur le fonctionnement des
institutions politiques, a plutôt axé l'essentiel de ses doléances sur les difficultés qu'il
éprouve dans sa vie quotidienne (…). Ainsi, au plan social, on pourrait retenir
notamment la dégradation des infrastructures sociales : Hôpitaux, écoles,
universités, édifices publics. A cela, il faut ajouter :
- la vétusté des formations médicales,
- la carence en équipements et en médicaments,
- l'insuffisance du personnel médical
- la surpopulation dans les salles des cours ainsi que dans les résidences universitaires
et les internats,
- la modicité des rémunérations des agents de l'Administration publique,
- le sous-emploi des cadres universitaires, certains abus qui se commettent par-ci
par-là ».
« Au plan économique, il m'a été signalé entre autres :
- la dégradation des voies de communication : routes, voiries, télécommunication,
- le poids de la fiscalité et de la parafiscalité,
- les tracasseries administratives,
- les invendus dans les collectivités rurales,
- la détérioration des termes de l'échange du paysan,
- l'insuffisance de l'énergie électrique dans certaines régions du pays ».

Ainsi, 10 ans après la célèbre Lettre des 13 Parlementaires du 1er novembre 1980
faisant le procès de l'échec des 15 premières années de son régime, Mobutu réalise
que ses 25 ans au pouvoir ont pour « juge » implacable la crise économique et la
crise sociale.

***

Pendant que le maréchal entame sa descente aux enfers, un homme - Étienne


Tshisekedi – prend, lui, son envol.

Son mérite : avoir dit NON à celui dont il fut l'égérie pendant 20 ans, de 1960 à 1980.

Pour l'Histoire, deux mois et demi à peine l’indépendance proclamée, Mobutu


neutralise en septembre 1960 le Président Joseph Kasa-Vubu (qu'il réhabilite dans sa
fonction) et le Premier ministre Patrice-Emery Lumumba (qu’il écarte pour de bon).
Le futur maréchal a, à ses côtés, Étienne Tshisekedi introduit son sérail par Jonas
Mukamba. Etienne Tshisekedi est commissaire adjoint à la Justice, le titulaire étant
Jean-Pierre Lihau.

En 1965, lorsque le Haut commandement de l'Armée neutralise une fois de plus et


cette fois pour de bon Joseph Kasa-Vubu, le lieutenant général Joseph Mobutu est
proclamé président de la République. Étienne Tshisekedi est à ses côtés en qualité de
ministre de l’Intérieur.

En 1967, lorsque Joseph Mobutu, devenu chef d'État, initie la nouvelle Constitution
(qui prône sur papier l'existence de deux partis politiques sans cependant que le
second ne puisse voir le jour) en même temps que la création du parti politique
dénommé Mpr (Mouvement populaire de la révolution), Étienne Tshisekedi est à ses
côtés. Il coordonne la rédaction de la loi fondamentale.

En 1973, lorsque Mobutu fait modifier la Constitution pour institutionnaliser le Mpr


et le transformer en Parti-Etat, Étienne Tshisekedi est à ses côtés. Il est l’un des
cadres du premier cercle. On lui attribue le serment jurant fidélité au maréchal !

Pourquoi les grands amis vont-ils devenir des ennemis jurés à partir des années 1980
?

***

Le 24 avril 1990, pendant que les caciques du régime Mobutu peinent à digérer
l'effet du coup de massue que vient de leur asséner le maréchal, dans la ville,
précisément Place Victoire (croisement des avenues Kasa-Vubu/Victoire),
l'enthousiasme est à son comble. Premier signal : le port du costume et de la
cravate, effets vestimentaires prohibés sous Mobutu au nom de la politique du
Recours à l'Authenticité.

Pendant que tout le monde - nationaux et étrangers - s'attend à un come back


d'Etienne Tshisekedi, on assiste plutôt à une lutte ouverte de leadership au sein de
l'Udps !

Rappel des faits : au 24 avril 1990, l'Udps a pour président national Marcel Lihau, lui
aussi ayant rompu les relations avec le maréchal. Étienne Tshisekedi, lui, est
secrétaire national chargé de Mobilisation. Le parti s'institue une présidence
collégiale avec un présidium comprenant Marcel Lihau, Étienne Tshisekedi, Frédéric
Kibassa et Vincent M'Bwankiem.

Entre-temps, dirigeants du Mpr et de l'Udps entament des négociations d'abord à


Mbanza-Ngungu (Kongo Central), ensuite à Gbadolite (Équateur) pour aller à un
gouvernement d’union nationale. Ces réunions n'obtiennent pas la caution d'Étienne
Tshisekedi pendant que les trois autres membres du présidium sont d’accord.

Mais, bien avant ces réunions, un événement tragique se produit au pays la nuit du 9
au 10 mai 1990, quasiment deux semaines après le discours de la N’Sele : l'opération
expéditive menée par la DSP (détachement de l'Armée nationale affecté à la sécurité
du Président de la République et de sa famille) sur le campus de l'Université de
Lubumbashi (Unilu). Les premières infos font état de plusieurs dizaines d'étudiants
tués et blessés, les victimes étant toutes originaires d'autres provinces sauf de
l'Equateur. Bien entendu, Mobutu étant de l'Equateur et la majorité d’éléments de la
Dsp de même, on brandit déjà l’épuration ethnique.

Acteurs politiques (dont ceux de l'Opposition) et activistes de la société civile


(principalement les églises, les défenseurs des droits de l'homme, des médias
proches de l'Udps...) amplifient l'info relayée à l’étranger par des officines anti-
Mobutu.

Des mois durant, du Zaïre de Mobutu, on n'a plus pour référence que l'Opération
Lititi Mboka, inspirée du récit biblique du passage de l'Ange de la Mort en Exode
12 :23. « Quand l’Eternel passera pour frapper l’Egypte, et verra le sang sur le linteau
et sur les deux poteaux, l’Eternel passera par-dessus la porte, et il ne permettra pas
au destructeur d’entrer dans vos maisons pour frapper ».

En réalité, cette opération est qualifiée plus tard de « Syndrome Timisoara ».


Dans sa dépêche du 20 janvier 2019 intitulée « Timisoara 1989, symbole de la
désinformation », l’AFP note : « Des cadavres nus, alignés dans la boue d'un
cimetière de Timisoara : la ville où a débuté en décembre 1989 la révolution
roumaine reste associée à la duperie du ‘faux charnier’, archétype de l'emballement
médiatique, trente ans avant l'ère des fake news.

« A la veille de Noël, alors que le dictateur Nicolae Ceausescu est arrêté après une
semaine de manifestations, le public occidental découvre avec horreur des corps,
certains mutilés, attribués aux exactions de la Securitate (police politique roumaine).

« Les images tournent en boucle sur les chaînes de télévision et à la Une de la presse
étrangère, dont les envoyés spéciaux sont arrivés par dizaines dans le pays
jusqu'alors fermé au monde par le régime.

« C'est dans le cimetière des indigents de Timisoara qu'ils ont découvert ces
dépouilles alignées au sol, présentées comme la preuve de la répression sanglante du
soulèvement.

« La révolution roumaine a fait un millier de morts dans le pays, dont une centaine à
Timisoara. Mais à la fin de l'année 1989, le chiffre de 4.630 victimes pour la seule
ville de Timisoara est repris par la presse internationale qui évoque aussi l'existence
de multiples charniers.

« Il faudra attendre le mois de janvier pour que le bilan se précise et que la
supercherie du cimetière soit mise au jour : les cadavres étaient ceux de personnes
mortes avant les événements, puis sortis de terre ».

Pourquoi, ici, la mise en exergue du « Syndrome de Timisoara » ?

Toute l’Histoire du Congo Kinshasa de 1990 à 2020, pour ne pas dire de 1960 à ce
jour, est celle de ce syndrome.

Au regard de ce qui précède, il est évident qu’appelé aussi libéralisation politique, le


processus démocratique enclenché le 24 avril 1990 est piégé par les événements
survenus la nuit du 11 au 12 mai 1990.

Inspirées par des témoignages mensongers faits particulièrement en Occident par


des acteurs politiques et sociaux nationaux pourtant majeurs, des décisions
politiques et diplomatiques mauvaises comme celle de la suspension de la
coopération structurelle - à laquelle sera substituée l’aide humanitaire via des
organisations de la société civile - vont se révéler catastrophiques pour la population.
Nous en parlons dans le prochain chapitre.

***

Pourtant, le discours du 24 avril 1990 n’est pas que celui du ratage de la politique
économique et sociale. Il est aussi celui de la projection inspirée par l’expérience,
mieux les expériences. Le discours du Congo de demain.

Des consultations populaires, Mobutu tire l’enseignement de « la réduction sensible


des organes et des effectifs des hommes qui les composent ». Il y trouve un
suggestionnement au renouvellement de la classe politique à tous les niveaux.

Il y a aussi l’instauration la réhabilitation des trois pouvoirs traditionnels : Législatif,


l'Exécutif et le Judiciaire.

Il se prononce pour « Le renforcement des pouvoirs de contrôle du Conseil Législatif


et de tous les organes délibérants », pour « La responsabilisation de l'Exécutif tant au
niveau central que régional devant les organes délibérants » et pour « La
dépolitisation de la Fonction publique, de la territoriale, des forces armées, de la
Gendarmerie, de la Garde civile et des services de sécurité, exigeant pour ces derniers
une profonde restructuration en vue de garantir en toutes circonstances les droits
fondamentaux des citoyens et les libertés individuelles ».

Mais, surtout, il se prononce pour le multipartisme, en estimant que ce système « ne


doit entraîner ni prolifération ni bipolarisation des formations politiques ».

Aussi, pour éviter, poursuit-il, que « le multipartisme ne devienne au Zaïre synonyme
de multitribalisme », il préconise un multipartisme à trois, les partis agréés devant
« justifier d'une représentativité nationale suffisante ». A l’époque, on parle déjà du
Mpr devenu fait privé, de l’Udps et du Fcn.

Bien entendu, Mobutu est favorable à une transition d’une année allant du 24 avril
1990 au 30 avril 1991, considérant que « Cette période de 12 mois sera mise à profit
par les formations politiques pour faire l'apprentissage de la démocratie pluraliste et
affronter l'électorat », tout comme elle sera également mise à profit pour « procéder
à la révision de la Constitution qui se fera en deux étapes », la première pour régir la
Transition, la seconde pour élaborer la Constitution définitive devant régir, elle, la
Troisième République.

Visiblement, c’est un maréchal à l’article de la mort « politique » qui veut réparer.


Il n’en aura pas l’occasion. Que dis-je ?, on ne lui en donnera plus l’occasion...

CHAPITRE 1 SUITE 2
Entre le discours du 24 avril 1990 et la cérémonie de prestation de
serment par le Premier ministre Étienne Tshisekedi le 16 octobre 1991,
que d'évènements malheureux marquant les 18 premiers mois de la
période rendue célèbre sous la dénomination « TRANSITION » !

Déjà le 4 mai 1990, alors qu’il vient de prononcer un discours rassurant


et conciliant pour toutes les forces politiques et sociales en présence,
Mobutu surprend désagréablement ceux qui croient en lui. Il nomme
délibérément Premier ministre Saint Vincent de Paul Lunda Bululu,
secrétaire général de la Communauté Economique des États d'Afrique
Centrale (Ceeac) ayant son siège à Libreville.

Très mauvais calcul que se choisir pour un tel poste et dans un contexte
pour le moins inflammable un technocrate, les enjeux étant
éminemment politiques.

La nuit du 11 au 12 mai 1990 se produit sur le campus de l'Université de


Lubumbashi le massacre des étudiants.
Pendant qu'on n'en a pas encore fini avec cet événement inspiré du
Syndrome de Timisoara, Mobutu n'obtient pas l'adhésion de
l'Opposition, incarnée par l'Udps, à son plan de sortie de crise.

Au contraire, les juristes de l'Udps, autour du Pr Marcel Lihau, lève un


gros lièvre dans l'interprétation de sa démission de la tête du Mpr Parti-
État.

Dès lors que le président du Parti-Etat est d’office président de la


République, la dissolution de cette institution le 24 avril 1990 a pour
conséquence la démission d'office du poste de chef de l'Etat. Logique
imparable.

Désormais, le Zaïre n'a à proprement parler plus de président de la


République. Ou si Mobutu l'est et entend le rester, c'est de fait et non de
droit.

Le multipartisme à trois qu’il vient de suggérer est battu en brèche par le


multipartisme intégral réclamé et imposé par une Opposition ayant le
vent en poupe. Une réclamation et une imposition qui va se révéler un
gros piège dans la suite des événements.

D’emblée, le premier faux pas est commis par l’Udps. Marcel Lihau,
Frédéric Kibassa et Vincent Mbwankiem sont, en effet, pour l'obtention
de l'agrément comme parti politique conformément à la nouvelle loi
n°90-007 du 18 juillet 1990 portant organisation et fonctionnement des
partis politiques telle que modifiée et complétée par la loi n°90-009 du
18 décembre 1990. Dans leur entendement, étant sorti de la
clandestinité et devant désormais opérer à découvert, l'Udps doit se
conformer à la loi. Étienne Tshisekedi, lui, n’est pas du même avis. Il
considère que l'Udps n'a pas à se soumettre à une légalité établie par
des institutions issues du Mpr Parti-État.

Finalement, les premiers l’emportent. L’Udps obtient son agrément.

Seulement voilà : le président statutaire n’en sera pas Marcel Lihau,


pourtant président national au 24 avril 1990. Est plutôt nommé à ce
poste Frédéric Kibassa Maliba. Cet « incident » sera à la base de la crise
de représentativité surgie lors du Dialogue intercongolais à Sun City I en
2002 et de la reconnaissance de plusieurs ailes de ce parti en 2018
(Udps-Tshisekedi, Udps-Kibassa, Udps-Tshibala et Udps-Mubake).

C’est à croire que tout en étant du même bord politiquement, Tshisekedi


et Lihau se méfient réciproquement à cette époque. Ce qui va, au
demeurant, se confirmer en 1993 lorsque Pr Marcel Lihau – l’homme qui
aura orchestré la légalité établie par la Conférence nationale devenue
enfin souveraine – dénoncera la coterie kasaïenne ayant pris en otage la
direction du parti.

***

Entre-temps, manifestations et déclarations publiques de protestation


de l’Opposition à l’encontre de Mobutu s’alternent avec contre-
manifestations et contre-déclarations de soutien au Pouvoir, si bien que
les actions et les réactions entreprises par l’Autorité pour rétablir l’ordre
public s’accompagnent malencontreusement d’atteintes aux droits de
l’homme.

Le pays est rendu ingouvernable. Les partenaires occidentaux s’en


mêlent avec une décision suicidaire pour l’économie et le social du Zaïre
sorti groggy de l’échec des 30 ans d’Indépendance : la suspension de la
coopération structurelle.

Or, la mauvaise gouvernance institutionnelle singulièrement entre 1965


et 1990 a fait de cette coopération le poumon du pays.

De la Gécamines à l’Office des routes, toutes les entreprises publiques


(Miba, Snel, Regideso, Onatra, Sncz, Air-Zaïre, Cmz, Cinat…) et tous les
établissements ou services de l’Etat ( Office des routes, Rva, Rvf, Rvm,
Impôts, Douanes etc.) sont à l’époque en programmes avec les
partenaires extérieurs bilatéraux et multilatéraux.

Peu importe la nature de la décision : suspension ou suppression des


apports en ressources humaines (coopérants), financiers et matériels,
c’est l’économie zaïroise qui mise K.0. debout, pour reprendre le langage
des boxeurs.

Le 1er avril 1991, bien malgré lui, Vincent de Paul Lunda Bululu est obligé
de jeter l'éponge.
Autre mauvais calcul dans le chef de Mobutu : celui porté le même jour
sur Crispin Mulumba Lukoji, technocrate formaté Bretton's Wood, pour
la succession à la primature.

A peine installé, le nouveau Premier ministre est pris en étau entre le


marteau et l’enclume ; le marteau étant le schéma de la Conférence
nationale souveraine adopté par l'Opposition politique et l’enclume le
schéma de la Conférence constitutionnelle voulu par le maréchal.

Dans leur entendement respectif, l'Opposition en appelle à la relecture,


sans complaisance, des 30 ans du Congo dont, bien entendu, les 25 ans
du règne Mobutu épinglé à sa quinzième année par la lettre des 13
Parlementaires.

Pour le maréchal, la Conférence constitutionnelle fait l'affaire d'autant


plus que pour lui, la crise du Zaïre ne doit se résoudre que par la révision
de la loi fondamentale. Exactement comme en 1964 à Luluabourg.

Ironie du sort, son coup d’Etat de 1965 était dirigé certes contre Joseph
Kasa-Vubu en conflit avec le leader de la Majorité parlementaire Moïse
Tshombe, mais en réalité, c’était contre l’ordre institutionnel issu de la
Conférence constitutionnelle.

En séjour à Mbandaka, Mobutu promulgue le 15 juillet 1991


l’ordonnance convoquant au 31 juillet la conférence nationale dont les
décisions, déclare-t-il, « ne seront exécutoires que dans un cadre
constitutionnel précis, à savoir uniquement dans les domaines qui ne
sont pas régis par la Constitution ».

La souveraineté consentie par le maréchal se limite aux participants à


fixer librement l’ordre du jour, le règlement intérieur et,
éventuellement, l’élection des membres de son bureau assurés de
bénéficier d’une immunité pendant et après la conférence, cela
concernant leurs opinions et leurs activités liées à celle-ci. L’immunité
est étendue également « à toute personne pour ses déclarations faites
dans le cadre des assises de ce forum en qualité de témoin ou
d'informateur  ».

Fort de la promulgation de cette ordonnance, Crispin Mulumba Lukoji


coupe la poire en deux avec la formule " Conférence nationale "
amputée du qualificatif « Souveraine ». Il désigne le pasteur Isaac Kalonji
Mutambayi à la présidence du Bureau provisoire chargé de préparer
l’installation du Bureau définitif.

Le 31 juillet 1991, s’ouvre à Kinshasa, au Palais du Peuple, la Conférence


nationale.

***

Mais, auparavant, précisément le 22 juillet 1991, la chaîne nationale de


radio et de télévision, dénommé La Voix du Zaïre, créé l'événement avec
l’annonce d’un discours du maréchal dans la journée.
A 17h00 - heure de Kinshasa - la voix de stentor de Mobutu retentit
après l'hymne national. Grosse est la surprise lorsque le président de la
République désigne de façon solennelle Étienne Tshisekedi au poste de
Premier ministre.

Pour n'avoir rien dit ni écrit sur cet épisode, le maréchal et le sphinx
savent ce qui s'est réellement passé ce jour-là.

La rumeur (hélas !) rapporte que des colonnes de mécontents parties de


tous les coins et recoins de la capitale convergent vers la résidence
d'Étienne Tshisekedi à Limete pour dissuader ce dernier d’accepter
l'offre de Mobutu à une semaine de l'ouverture de la Conférence
nationale.

La rumeur rapporte qu'effrayé, Étienne Tshisekedi disqualifie l'initiative


de Mobutu, déclare n’avoir participé à aucune tractation pour sa
nomination et renvoie tout le monde à la Conférence nationale.

La rumeur révèle le désarroi des chancelleries occidentales impliquées


dans la solution du ticket Mobutu-Tshisekedi, l’un en qualité de
Président de la République, l’autre de Premier ministre.

Normal : elles ont travaillé pour ce schéma.

La rumeur révèle plus tard que le mouvement de mécontentement


aurait été boutiqué par le maréchal avec le concours de Jean de Dieu
Nguz a Karl Ibond qui, tout en paraissant en public comme des
adversaires patentés, sont en réalité des complices dans ce qu’ils
partagent en commun : le mépris à l'égard d'Étienne Tshisekedi.

Il se raconte qu’ils auraient infiltré les manifestants ayant convergé


bruyamment vers la résidence du lider maximo.

Détail à ne pas banaliser : le 22 juillet 1991, Crispin Mulumba Lukoji est


certes prié de rendre le tablier, mais à dire vrai, il doit le garder, le temps
de gérer la fronde populaire et la volte-face de son successeur-
prédécesseur.

Ainsi, le refus escompté d’Etienne Tshisekedi de prendre la primature le


22 juillet 1991 permet à Crispin Mulumba Lukoji de rempiler au poste de
Premier ministre et d'ouvrir finalement la Conférence nationale le 31
juillet 1991, dans un désordre rendu indescriptible par les organisations
de la Société civile et les formations politiques montées pour le besoin
de la Cause.

Dans son article intitulé « Danse du désordre politique au Zaïre : les


Congolais se souviennent » paru dans le quotidien congolais Le Phare le
27 décembre 2016, l’historien Kambayi Bwatshia rapporte : « Le tout se
passe en désordre : magouilles, intimidations, mesquineries et
précipitations. La commission préparatoire à pied d’œuvre a annoncé
que la conférence nationale comprendra en tout 2850 délégués dont 100
pour les partis politiques, 1100 pour la société civile, 750 pour les
institutions publiques et 100 pour les ‘invités du gouvernement’ appelés
les ‘ indépendants’ ».
Secrétaire général aux Relations avec les Partis politiques, Boniface
Okende Bonge en recense rien 447 qu’en 1991, au nom du
multipartisme intégral. Visiblement, Mobutu aura pris sa revanche et
créé le phénomène « dynamique de salle » qui lui permettra de garder
l’initiative politique jusqu’à l’avènement de l’Afdl en 1996.

***

La séance du 31 juillet 1991 est reportée au 7 août 1991 avant d’être


suspendue et relancée successivement le 12, puis le 17 août et le 19,
puis le 31 août de la même année.

Constat malheureux : le désordre n'est pas évacué. Au contraire, à


chaque plénière programmée, il s'accentue jusqu'à la plénière au cours
de laquelle les forces politiques et sociales vont se rentrent carrément
dedans, devant les caméras de La Voix du Zaïre.

Témoignage du Pr Kambayi Bwatshia dans le même article : « Dès les


premières séances, celles du 12 au 19 août 1991, la conférence montre
déjà son caractère désastreux et chaotique. L’union sacrée a décidé de
contraindre Kalonji Mutambayi à démissionner de son poste à ‘cause de
son incompétence’. Des motions non acceptées, on est passé aux
chahuts, sifflements, danses, chansons… ‘Monsengwo président’ …
‘Kalonji dé-mission’ … Les populations surprises ne comprennent pas ce
qui se passe à leurs écrans de télévision. Elles étaient en droit de dire que
le Zaïre vivait une ‘ confusion nationale’ à la place de la ‘conférence
nationale’. Nous avons vu des ‘pères de familles’ se déchausser et
enlever leurs abacos et/ou costumes pour exhiber des danses, s’étaler
sur le podium, voire s’échanger des coups de poings. ‘Démission…
démission…le spectacle a duré trois heures, jusqu’au moment où, très
malheureux, Kalonji Mutambayi a prononcé sa très célèbre phrase
attendue : ‘la s(i)ance (séance) est levée’. Le blocage est complet
pendant presque tout le mois de septembre 1991.

Le 23 septembre 1991, Kinshasa se réveille mal. Très mal alors.

Témoigne de Babunga sous le titre « CE JOUR-LA… 23 septembre,


comme aujourd’hui… » : « Ce 23 septembre, des soldats zaïrois impayés
se mutinent et se mettent à piller la capitale Kinshasa. La mise à sac de
la ville commence à l’aéroport international de N’djili où les militaires du
Centre d’Entraînement des Troupes Aéroportées (CETA) protestent
contre l’insuffisance de leur paie. Ils font alors irruption dans les
entrepôts de la douane, cambriolant leur contenu et les incendiant par la
suite. Cette insurrection se propage vite et atteint les autres unités de la
Force Armée Zaïroise (FAZ), notamment celles du Camp Kokolo. Dans
leur marche vers le centre-ville où ils devaient se livrer au pillage, les
militaires sont rejoints par des citoyens de toutes les catégories sociales.
Très vite, c’est plusieurs villes du Zaïre qui suivent et sont véritablement
dévastées. La Belgique et la France décidèrent d’envoyer, le 25
septembre, 1.700 para-commandos en vue d’évacuer leurs ressortissants
qui vivaient au Zaïre. C’est au cours de cette période que le Zaïre se vide
de sa plus grande communauté européenne qui y vivait encore. En
réaction à ces émeutes, Mobutu s’empressa, très vite, de convoquer la
réunion dite de ‘concertation’ qui avait réuni des représentants du
pouvoir et ceux de la coalition des partis d’opposition en marge de
laquelle, le 29 septembre 1991, Etienne Tshisekedi (leader de l’UDPS) fut
désigné Premier ministre. Et le 14 octobre 1991, il forma un
gouvernement dit ‘gouvernement de crise’.

C'est alors que pleuvent des appels du pied en direction des acteurs
politiques majeurs des Forces démocratiques unies (Fdu) pilotées par le
Mpr fait privé sous le leadership de Mobutu et de l'Union sacrée (Us)
pilotée par l'Udps sous le leadership d'Étienne Tshisekedi.

D'où les négociations qui vont conduire aux Accords du Palais de Marbre
I et à la nomination d'Étienne Tshisekedi en qualité de Premier ministre,
zappant quasiment la Conférence nationale.

***

Les choses se précipitent : le 30 septembre 1991, Mobutu nomme pour


la 2ème fois Etienne Tshisekedi.

Témoignage de Tryphon Kinkiey Mulumba dans Le Soft du 7 février


2017, sous le titre « Comment Tshisekedi nargua Mobutu qui le lui
rendit fort bien » : «  Un incident a éclaté lors de la cérémonie de
prestation du serment d’investiture le 16 octobre 1991. Avant d’apposer
sa signature sur le procès-verbal, Tshisekedi a barré les mots ‘garant de
la Nation’, contestant ainsi cette qualité à Mobutu; il a biffé aussi
l’expression ‘observer loyalement et fidèlement la Constitution’, pour
nier l’existence de la Constitution de 1967. Par la suite, le 18 octobre
1991, un communiqué de la présidence de la République constata que le
Premier Ministre s’était mis par cette action ‘dans l’impossibilité légale
d’exercer ses fonctions’ et le 21 octobre une ordonnance présidentielle
révoqua Tshisekedi et son gouvernement. Etienne Tshisekedi n’a
retrouvé la Primature que lors de son élection à la Conférence Nationale
Souveraine le 15 août 1992 ».

Après l’incident survenu au Palais de Marbre, Mobutu charge ses


collaborateurs de relancer Etienne Tshisekedi chez lui à Limete pour lui
faire signer un nouveau document, cette fois sans camera. Refus de
l’intéressé, fort de l’acte de remise-reprise accompli le même jour avec
son prédécesseur.

Prié par le maréchal de ne pas quitter le pays - le temps de gérer pour la


deuxième fois la fronde populaire et la volte-face d’Etienne Tshisekedi -
Crispin Mulumba Lukoji refuse cette fois de servir de roue de secours.
Juste après la remise-reprise, il traverse discrètement le fleuve Congo
pour Brazzaville et rentre en Afrique du Sud.

Lorsque les services cherchent à le ramener auprès du président de la


République pour une troisième nomination, c’est trop tard.

Il y a désormais urgence pour combler le double vide à la primature car


du point de vue de la Constitution, il n’y a ni Premier ministre sortant, ni
Premier ministre entrant.
Pourquoi, cependant, la mise à l’écart d’Etienne Tshisekedi laisse
presque de marbre la direction politique de l’Udps en particulier et la
plateforme Union sacrée (Us) ? La réponse est dans la composition du
gouvernement. Non seulement que le Premier ministre ignore les
grosses pointures de son parti (Lihau, Kibassa, Mbwankiem, Birindwa,
etc.) et de l’Us (Iléo, Bo-Boliko, Nguz et autres Kengo), mais en plus il
ignore aussi leurs « filleuls ». Il leur préfère des jeunes supposés vierges,
mais sans expérience politique avérée. Pire, certains n’ont pas le profil
de l’emploi. Cas d’un médecin (les mauvaises langues parlent d’infirmier)
nommé aux Finances. Exploit qu’il va réitérer en 1992 après son élection
au même poste de Premier ministre à la Conférence nationale
autoproclamée souveraine.

***

On se met à la recherche de l’oiseau rare qui puisse faire face à la colère


de la rue kinoise acquise à l’Opposition, mais principalement à deux
partis, en l’occurrence l’Udps du président Frédéric Kibassa mais
politiquement et socialement pro-Tshisekedi ainsi que le Palu du
secrétaire général Antoine Gizenga alors en exil.

Dans la capitale, leur base sociologique est constituée de compatriotes


du Grand Kasaï et du Grand Bandundu.

A la surprise générale, le 23 octobre 1991, le choix du maréchal tombe


cette fois sur un politique. Mais quel politique ? Un certain Bernardin
Mungul Diaka, personnage au passé sulfureux, appelé à servir de pont
entre les Accords du Palais de Marbre I (enterrés le 16 octobre 1991) et
du Palais de Marbre II (en projection).

Dans la 3ème partie du Chapitre 2, l’homme réussit la politique


mobutienne de diviser pour mieux régner. Il casse au propre comme au
figuré la base « Kasaï-Bandundu » de Kinshasa et affaiblit pour un temps
Etienne Tshisekedi, quand bien même Félix Vunduawe Te Pemako dit de
ce dernier dans l’article de Tryphon Kinkiey Mulumba cité ci-dessus :
« Malgré ses grossières erreurs d’appréciation politique, Etienne
Tshisekedi était considéré par les masses populaires de Kinshasa comme
un ‘Gourou’, un maître à penser politique et perpétuel martyr de la
dictature mobutienne. Aussi sa popularité était-elle restée curieusement
intacte, faisant pratiquement de lui un ‘mythe politique’, une sorte de
démiurge, capable de régler tous les problèmes du moment qui
constituaient le lot quotidien de la crise que traversait notre pays ».

L’une des premières déclarations phares de Bernardin Mungul Diaka à la


presse révèle et confirme l’homme dans ce qu’il a à la fois de
passionnant et de redoutable : la verve oratoire.

Au journal Le Soft, il confie sa tactique pour revenir aux affaires : si ton


créancier t’avance 600 zaïres des mille zaïres qu’il te doit, prends
d’abord ce qu’il te donne, et bats-toi après pour récupérer le reste !

Comment, cependant, est-il rentré dans les bonnes grâces du maréchal


avec qui il s’est brouillé en 1980 avant de s’exiler en Belgique jusqu’en
1985 ?
CHAPITRE 1
SUITE 3
CHAPITRE 1. SUITE 4.

Au cours des huit premiers mois l'année 1993, comme se livrant à une sorte de
guerre des tranchées, chacun des protagonistes (Mobutu avec les Forces politiques
du conclave, d'un côté, et Tshisekedi avec l'Union sacrée de l'Opposition radicale, de
l'autre) campe sur ses positions.

En septembre 1993, le maréchal annonce à partir de l'hôtel Intercontinental (côté


Pullman hotel dans l’actuel complexe connu sous la dénomination Grand Hôtel
Kinshasa), les négociations qui conduisent aux Accords du Palais du Peuple consacrés
dans l’Acte constitutionnel de la transition promulgué le 9 avril 1994.

Dans l’exposé des motifs, le législateur note : « Depuis le déclenchement du


processus de démocratisation le 24 avril 1990, notre pays traverse une crise aiguë et
multiforme ayant pour origine essentielle les divergences de vues de la classe
politique sur l'ordre institutionnel de la transition vers la Troisième République.

« Se fondant sur le compromis politique global du 31 juillet 1992, la Conférence


Nationale Souveraine, regroupant toutes les forces vives de la nation, a établi un
ordre institutionnel de la transition reposant sur l'Acte portant dispositions
constitutionnelles relatives à la période de transition, afin de mettre fin à la crise
politique et institutionnelle.

« Les divergences de vues de la classe politique au sujet de cet ordre institutionnel


ont aggravé la crise et conduit à la tenue du Conclave politique de Kinshasa. Celui-ci,
par la loi n° 93/001 du 2 avril 1993 portant Acte Constitutionnel harmonisé relatif à
la période de transition, a établi un autre cadre institutionnel de la transition.
« Toute cette situation a occasionné le dédoublement institutionnel et la multiplicité
des textes constitutionnels pour la période de transition et provoqué la confusion et
le blocage du fonctionnement de l'État, avec des conséquences regrettables sur le
plan social et économique pour notre peuple ».

« Ainsi, en vue de redonner de l'espoir au peuple zaïrois et de trouver des solutions


durables et définitives à cette situation, les concertations politiques du Palais du
Peuple, initiées par Monseigneur le Président du Haut Conseil de la République, avec
l'accord du Chef de l'État, ont été sanctionnées par un protocole d'accord qui donne
des orientations précises pour la fin du dédoublement des institutions de la transition
et des textes constitutionnels, par la mise au point d'un seul Acte dénommé ‘Acte
Constitutionnel de la Transition’.

« Dans le souci de garantir la paix civile et de prévenir tout conflit de compétence au


sommet de l'État, le présent Acte met en œuvre les principales options ci-après :

« 1° Les institutions de la République sont :


- le Président de la République ;
- le Haut Conseil de la République - Parlement de Transition ;
- le Gouvernement ;
- les cours et tribunaux

« 2° Le Premier Ministre est le Chef du Gouvernement. Le Gouvernement est


pleinement responsable de la gestion de l'État et en répond devant le Haut Conseil de
la République Parlement de Transition.

« 3° Les cours et tribunaux demeurent indépendants afin d'assurer le respect des
libertés fondamentales.

« 4° Toutes ces institutions de la transition sont appelées à fonctionner de manière à


refléter leur neutralité, dans un esprit d'étroite collaboration et de concertation
permanente en vue de favoriser la non conflictualité tout en sauvegardant leur
indépendance chacune vis-à-vis des autres par le respect des principes de non
exclusion et de partage équitable et équilibré du pouvoir.

« 5° L'instauration des mécanismes de collaboration et de concertation permanente


par une ordonnance présidentielle délibérée en Conseil des Ministres. Le présent Acte
répond donc à la préoccupation d'asseoir le fonctionnement des institutions de la
transition sur une base juridique incontestable, emportant l'adhésion de l'ensemble
de notre peuple.

« Tels sont l'esprit et le contenu du présent Acte constitutionnel de la Transition.

Ainsi, les deux grandes décisions de ces assises sont la fin du dédoublement
institutionnel avec la fusion des parlements (d'où la mise en place du Haut Conseil de
la République-Parlement de Transition avec pour président Mgr Laurent
Monsengwo) et des gouvernements (d’où la mise en place du Gouvernement d’une
nationale avec pour Premier ministre élu Léon Kengo wa Dondo).

Si, pour le Parlement, le problème ne se pose vraiment pas (car les protagonistes
acceptent la fusion), il n'en est pas de même pour le Gouvernement. Étienne
Tshisekedi, en effet, continue de se considérer Premier ministre, même sans siège
officiel. Comme au lendemain de sa destitution le 16 octobre 1991 (Accords du Palais
du Marbre I), il accepte de « fonctionner sous les arbres ».

Le 14 juin 1994, Léon Kengo est élu Premier ministre. Le 6 juillet, il sort son
gouvernement duquel l'Udps, bien entendu, s'exclut.

***

A ce moment précis, l'attention de la communauté internationale se focalise sur le


drame en train de se produire au Rwanda depuis deux mois à la suite de la mort
brutale et atroce de président Habyarimana et son homologue burundais Cyprien
Ntaryamira, leur avion ayant été abattu en plein vol le 6 avril de la même année.
Du jour au lendemain, près de 2 millions de ressortissants rwandais, essentiellement
d’ethnie hutu (population civile, militaires, policiers et même gouvernants
confondus) envahissent les villes zaïroises frontalières avec le Rwanda : Goma, au
Nord Kivu, et Bukavu, au Sud Kivu.

Le « déménagement » ne se limite pas aux effets domestiques. Armement, et même


« Banque centrale du Rwanda » (dit-on) sont concernés.

Aux problèmes sécuritaires s'ajoutent des problèmes humanitaires. De New York à


Genève pour le système des Nations Unies, de Washington à Bruxelles pour les Etats
et les institutions intercommunautaires, les décideurs ne voient plus que Goma et
Buvaku au travers du Rwanda.

Kinshasa devient le cadet de leurs soucis dans la région des Grands Lacs.

***

Ministre de l'Economie nationale, Industrie, Petites et Moyennes entreprises, Pr


Timothée Katanga Mukumadi lance, après l'état des lieux de ses nouveaux
portefeuilles, cette phrase terrible, citée de mémoire : « On croyait avoir un bobo,
on se rend compte qu'il s'agit plutôt d'un cancer ».

Il y résume la situation économique et sociale fortement dégradée.

Katanga Mukumadi n'est pas n'importe qui. Il est affiché kengiste, donc proche de
l'Udi (Union des démocrates indépendants), parti créé en 1991 par Léon Kengo wa
Dondo mais présidé par Alexis Thambwe Mwamba.

C'est l'ex-aile technocratique du Mpr Parti-État. Ici, est concentrée la crème zaïroise
des économistes, des financiers, des monétaristes, des banquiers, des opérateurs
économiques, mais aussi des juristes, avocats d'affaires en premier.
Outre Kengo et Thambwe, il y a aussi Kiakwama, Pay-Pay, Isalu, Kinduelo, Umba,
Banguli, Mambu, Ekila...

Bref, dans l’Udi se côtoient tous les talents congolais en macroéconomie sous
Mobutu : des « enfants chéris » de la Banque mondiale, du Fmi, de la Bad, de l'Union
européenne !

Que le constat du cancer émane d'eux, c'est l'aveu des ravages des métastases sur
tout le corps Zaïre.

Léon Kengo annonce l'aide de l'Union européenne. Elle ne vient pas. Ou plutôt, si.
Mais pour financer des élections dans un environnement reconnu pourtant
inflammable. L'opinion, elle, espère de son avènement la restauration de la
coopération structurelle. Peine perdue.

D’ailleurs, de l’avènement de Léon Kengo wa Dondo à la primature, sous le titre


« Angola et Zaïre : "Vers un retour sur la scène internationale ? ", le Rapport de
groupe interparlementaire d'amitié n° 8 du 1er juillet 1996 (Sénat français) révèle
que « La crise ponctuée par deux pillages successifs de Kinshasa par les troupes
payées en nouveaux zaïres, refusés par les commerçants se dénoue avec l'investiture
à la primature d'un dirigeant de l'opposition modérée. M. Léon Kengo Wa Dondo. le
6 juillet 1994.

« Bien que disposant de la confiance de la communauté internationale, M. Kengo


doit faire face à une situation très dégradée.

« Tout d'abord, les partenaires occidentaux du Zaïre qui ont dû évacuer leurs
ressortissants à deux reprises depuis 1990 ont suspendu leur coopération comme
leurs investissements.
« Quant à l'assise politique intérieure du Gouvernement Kengo, elle a initialement
pâti de la persistance de l'opposition radicale d'Etienne Tshisekedi qui conteste
toujours son éviction de la primature. L'entourage du chef de l'État sinon le Président
lui-même s'est également engagé dans un combat plus ou moins feutré pour
maintenir son pouvoir de nomination à certains postes-clés.

« Enfin, l'état de dénuement extrême de la population surtout urbaine comme la


carence de l'État qui ne paye plus depuis longtemps ses fonctionnaires et n'exerce
qu'une influence très réduite sur les provinces, inscrivent l'action du Gouvernement
dans un contexte très difficile.

« Cependant, l'action du Premier ministre a été positive en matière notamment de


redressement économique et financier ce qui lui vaut l'appui du FMI.

« Sur le plan politique, l'adoption le 9 avril 1994 de l'Acte constitutionnel de


transition - reconduit pour deux ans le 9 juillet 1995 - a normalisé la situation.

« L'opposition modérée s'accorde avec le Président Mobutu pour considérer


l'échéance du mois de juillet 1997 comme devant impérativement constituer le terme
de la transition.

« Le calendrier envisagé prévoit un référendum constitutionnel d'ici la fin de 1996 et


s'il est adopté, des élections présidentielles et législatives qui donneront une
légitimité démocratique aux nouvelles institutions ».

Quoi de plus normal que sur ces entrefaites la guerre des tranchées continue de faire
rage. C'est, du reste, prévisible.

***

Et pour cause !
Lorsque Mgr Laurent Monsengwo est désigné par consensus président du Hcr-Pt, les
deux familles autoproclamées constitutionnelles (Forces politiques du conclave et
Union sacrée de l'Opposition radicale) lui flanquent deux premiers vice-présidents :
Emmanuel Anzuluni Bembe pour les Mobutistes et André Bo-Boliko pour les
Tshisekedistes sans Tshisekedi.

La suite du scénario est rapportée par Tryphon Kinkiey Mulumba dans l’article
intitulé : «  Comment Tshisekedi nargua Mobutu qui le lui rendit fort bien » paru
dans Le Soft le 7 février 2017, une semaine après le décès du président de l’Udps à
Bruxelles : « La seule victoire que Mobutu et Tshisekedi ont partagée ensemble se
trouvait être l’effacement de Mgr Monsengwo des institutions de la Transition. Ils se
trouvaient ainsi débarrassés d’une personnalité qui leur faisait ombrage dans leur
lutte pour la présidence de la République. Aussi bien dans l’opinion nationale
qu’internationale, Mgr Monsengwo émergeait comme la personnalité qui pourrait
être plébiscitée pour le pouvoir suprême. C’est ce qui avait fait que les deux
protagonistes pour ce fauteuil avaient enterré la hache de guerre pour écarter
d’abord le danger que constituait Mgr Monsengwo. En plus, avec la destitution de ce
dernier de la présidence du HCR-PT, Tshisekedi prenait sa revanche sur le parrain de
la troisième voie ayant porté à la Primature Kengo wa Dondo qui avait ainsi usurpé
avec la bénédiction du prélat, le poste qui lui revenait de plein droit de par la volonté
du peuple réuni en conférence ».

Résultat : le 27 juin 1995, le Hcr-Pt n’a plus de président. Mgr Laurent Monsengwo
est destitué par 510 des 738 conseillers de la République (députés cooptés) formant
l’institution. La déclaration conjointe de déchéance est signée, pour la famille
politique tshisekediste, par Frédéric Kibassa et, pour la famille politique mobutiste,
par Antoine Mandungu Bula Nyati.

La police des travaux en plénière est désormais assurée alternativement par


Anzuluni Bembe et Bo-Boliko Lokonga.
Bien entendu, la crise politique va crescendo, et avec elle la crise économique et
sociale symbolisée, elle, par la " guerre des monnaies " avec des signes monétaires
consommés dans telle province mais boycottés dans telle autre.

Parmi les métastases visibles, la contrefaçon monétaire entretenue par des réseaux
mafieux couverts par les caciques du régime. Elle fragilise le Budget de l'Etat,
désorganise totalement le système bancaire, tue littéralement l'industrie, le
commerce et les services.

***

Lorsque les premiers signaux de la guerre de libération se perçoivent, le pré-bilan


lucide de la Transition enclenchée le 24 avril 1990 peut être rendu en ces termes :
1. Au plan politique
- 7 textes tenant lieu de Constitution de la République
- le même Président de la République (en la personne du maréchal Mobutu Sese
Seko) assuré de rester en fonction jusqu’à l’installation du président élu,
- 4 institutions tenant lieu de Parlement de la République
- 14 Premiers ministres (Kengo II, Lunda Bululu, Lukoji I, Tshisekedi I, Lukoji II,
Tshisekedi II, Mungul, Nguz, Tshisekedi III, Birindwa, Kengo III, Kengo IV, Tshisekedi
IV, Likulia
- 14 Gouvernements
- 447 partis politiques agréés
- violations systématiques et systémiques des droits de l'homme
- etc.
- refoulement des Kasaiens résidant au Shaba (Katanga)

2. Au plan diplomatique
- isolement du Zaïre
- suspension de la coopération structurelle
- non-versement des cotisations dans des institutions sous-régionales, régionales,
continentales et intercontinentales avec privation des voix
3. Au plan économique
- organisation des grèves sauvages sous le couvert politique des journées dites ville-
morte
- dollarisation de la monnaie
- thésaurisation de la monnaie nationale
- étranglement du système bancaire,
- recours à la planche à billets
- création des zones monétaires parallèles
- contrefaçon de la monnaie
- détournement des deniers publics
- corruption
- pillage du tissu économique et social,
- dégradation des infrastructures de communication,
- détérioration du climat des affaires,

4. Au plan social
- perte continue du pouvoir d'achat
- années scolaire et académique soit élastiques, soit blanches
- délestage en eau et en électricité
- étranglement du système sanitaire et médical,
- déshumanisation des conditions de transport,
- accentuation du chômage
- etc.

***

C'est dans ce contexte qu'apparaît à Kinshasa, en 1996, le plan dénommé "Zaïre No


État" présentant le pays comme trop grand pour être bien gouverné.

L'essentiel prône le démembrement des provinces zaïroises, précisément celles de la


partie Est, pour les rendra gouvernables parce que devant devenir fiables et viables.
Ce plan, publié dans un document sans en-tête ni signataire, a certes tout d'un tract,
mais son contenu attire l'attention des forces nationalistes et patriotiques,
convaincues de l'existence d'un schéma visant la balkanisation du pays. Le même
schéma depuis 1960 avec la sécession katangaise combattue, parmi les fils du
Katanga, par Jason Sendwe, mais aussi par un jeune lumumbiste de 19 ans : Laurent-
Désiré Kabila.

Tous les ingrédients semblent réunis pour le démembrement :


- ingouvernabilité du pays
- repli identitaire de certaines communautés ethniques et tribales
- perte de foi dans l'unité nationale et dans l'intégrité du territoire national
- affaiblissement des forces de défense (armée) et de l'ordre (police)
- apparition des zones monétaires parallèles et concurrentes
- désacralisation avérée de l'Autorité de l'Etat...
- accélération et consolidation de l'enclavement du pays réduisant sensiblement la
circulation des personnes et des biens dans les provinces.

Il est alors question, dans ce plan, de rattacher certaines provinces du Zaïre à des
États voisins. Principalement le Nord-Kivu à l'Ouganda et au Rwanda ainsi que le Sud-
Kivu au Rwanda, au Burundi et à la Tanzanie.

Comme pour sonner le glas, c'est à ce moment précis que les autorités zaïroises
soulèvent la question ultrasensible de nationalité.

Nous sommes en 1996. La situation politique, économique et sociale s’empire


davantage.

Le 22 août, Mobutu est opéré du cancer de la prostate. En convalescence à Nice, il


apprend à ses dépens la perte de contrôle, pour la deuxième fois, de la machine mise
en place depuis 1965. Ni l’appareil politique (institutions de la République, parti
politique et famille politique), ni l’appareil sécuritaire (Dsp, Faz, Anr, Démiap), ni
l’appareil économique et social, rien, plus rien n’obéit concrètement parlant à son
leadership. Le ver dans le fruit a fait son œuvre de destruction. L’arbre est vermoulu.

Commence l’écroulement du système…

CHAPITRE 1. SUITE 5
CHAPITRE 1. SUITE 5.

LA QUADRATURE DU CERCLE

Pendant que les choses se gâtent, un honorable conseiller de la


République (député de la Transition coopté), Joseph Olenghankoy pour
ne pas le citer, déjà rendu célèbre par ses opérations " journée ville
morte" ponctuant la Transition, croit donner au Premier ministre Léon
Kengo le coup d'estocade. Il lui découvre, selon ses recherches, la
nationalité... belge, et il le déclare haut et fort au cours d’une plénière
du Haut Conseil de la République-Parlement de Transition !

Révélée en pleine hystérie autour de la question de nationalité, l’info fait


mouche.

Juriste de formation et de profession, le Premier ministre renvoie son


accusateur au principe selon lequel « la charge de preuve incombe, en
matière pénale, à celui qui soutient la culpabilité de l’accusé ».

En réalité, précisera Léon Kengo dans son droit de réponse, l'estocade


n'a rien de politique. Elle résulte de son refus d'accorder un traitement
de faveur à un investisseur « parrainé » par l’honorable conseiller de la
République !

Rappeler cet incident n'a rien de provocateur.

C'est juste pour mettre en exergue l'affairisme qui affecte et gangrène la


classe politique surtout au cours de la Transition 1990-1998 : des acteurs
institutionnels majeurs sont prêts à se faire ouvertement des coups
tordus jusqu'à entraîner leurs partisans dans la rue pour se rentrer
dedans les uns les autres, quitte à enrichir les rapports des ONGDH sur
les violations des droits de l'homme, de même qu'ils sont prêts à
pactiser autour des sous.

Aussi, plus sente-ils arriver la fin de la Transition - la maladie du


maréchal y est pour beaucoup - plus ils craignent de basculer dans
l'inconnu !

L'instinct de conservation propre à tout être humain justifie des


initiatives politiques pour les moins irrationnelles.

Cas d'Étienne Tshisekedi qui se rend à Nice pour rencontrer Mobutu en


convalescence et qui en profite pour annoncer sur Rfi le deal avec ce
dernier pour redevenir Premier ministre. Une heure après, Honoré
Ngbanda – conseiller spécial du maréchal en matière de sécurité -
intervient sur le même média pour démentir.
Cas également de Laurent Monsengwo rentré précipitamment à
Kinshasa via Brazzaville, assuré (on ne sait par qui) de reprendre son
poste de président du Haut Conseil de la République-Parlement de
transition, duquel il venait pourtant d'être défenestré, et espérer
succéder à Mobutu physiquement affaibli et visiblement incapable de
tenir la Maison Zaïre.

Ces initiatives se font concomitamment avec la montée en puissance des


troupes de l'Afdl dont l'entrée dans la guerre de libération se situe en
septembre-octobre 1996.

La débandade est si totale que les honorables conseillers de la


République sèchent les travaux parlementaires.

Sans Président de la République sur pied (malade), sans Parlement


(faute de quorum, les députés ne siègent plus), avec un Gouvernement
dépassé par des événements et deux familles politiques prétendument
constitutionnelles elles-mêmes aux abois, le peuple fait l'expérience
grandeur nature de la citation « ne pas savoir à quel saint se vouer ». Ce
d'autant plus que le reste des forces vives de la Nation (Administration
publique, Territoriale, Diplomatie, Justice, Armée, Police,
Renseignements et Portefeuille), mais aussi le patronat, le syndicat,
l'Eglise, les ONG, les médias sont quasiment tous ou presque dans le
sauve-qui-peut !

C’est quadrature du cercle.


C'est dans ce contexte que Mobutu tente son dernier baroud d'honneur.

Le 17 décembre 1996, il revient de Nice. A l'atterrissage de son avion à


l’aéroport international de N’Djili, il met des minutes et des minutes
pour apparaître sur la passerelle. Ce n'est pas dans ses habitudes. Le vol
aura été non seulement épuisant, mais surtout éprouvant pour le
convalescent qu’il est.

N'empêche : de l'aéroport de Ndili à sa résidence du camp Tshashi, une


foule immense lui rend des honneurs. Les derniers.

Le lendemain, commencent les tractations politiques de la Cité de


l'Union africaine.

Le 24 mars 1997, Léon Kengo est forcé, à son tour, de rendre le tablier,
et Étienne Tshisekedi de le reprendre.

Mais, l'homme reste le même. Première décision d'État unilatérale : il


abroge l'Acte constitutionnel de la Transition du 4 avril 1994 qu’il
remplace par l’ « Acte portant dispositions constitutionnelles relatives
à la période de transition » du 4 août 1992 auto-promulgué. Celui
récusé à l’époque de la Conférence nationale souveraine par Mobutu.

En réalité, Etienne Tshisekedi s’exclut lui-même de la primature aussitôt


nommé.
Deuxième décision d'État unilatérale : il reconduit son gouvernement
d'octobre 1991 et d'août 1992 avec pour unique ouverture les quatre
postes réservés à l'Afdl sur les 24 prévus pendant que les troupes de
l’Afdl occupent presque les deux tiers du territoire national.

Bien entendu, Mobutu est contraint de le démettre pour la troisième


fois. Et la dernière.

Face à la situation, le maréchal prend à son tour une décision d'État tout
aussi unilatérale : il nomme le 9 avril 1997 au poste de Premier ministre
le général d'armée en la personne de Norbert Likulia qui sort son
gouvernement deux jours après.

En fait, en se passant de l’avis des familles politiques pourtant


constitutionnelles, il viole à son tour l'Acte constitutionnel de la
Transition prévoyant la désignation à ce poste. En effet, à son alinéa 2, il
est dit du Premier ministre-Chef du Gouvernement qu’il « est présenté,
après concertation avec la classe politique, par la famille politique à
laquelle n'appartient pas le Chef de l'État, dans les dix jours à compter de
la promulgation du présent Acte » et à l’alinéa 4 qu’« Il est nommé ou
investi, selon le cas, par ordonnance du Président de la République ».

Dans les quinze jours qui suivent la formation du Gouvernement, le


Premier Ministre présente son équipe et son programme devant le Haut
Conseil de la République - Parlement de Transition pour un contrôle de
conformité qui donne lieu à l'investiture ou non de son Gouvernement.
Par cet acte ou geste, le Zaïre n'a plus de Constitution le régissant.

Le Zaïre devient effectivement un "No Etat".

FIN DU PREMIER CHAPITRE

CHAPITRE 2

CONGO D'ABORD. CHAPITRE 2. INTRODUCTION

Lorsque la guerre de libération commence en 1996, un homme apparaît


et son nom surprend : Laurent-Désiré Kabila. Ceux de sa génération
croient rêver. Entre la dernière fois qu'ils ont entendu ou appris ses
« faits d’arme » et sa réapparition soudaine, il s'est passé plusieurs
années. Mieux des décennies. Normal : ils ont perdu ses traces après les
expéditions kivutiennes des années 1965-1970. Un quart de siècle. Lors
des deux guerres du Shaba en 1977 et 1978, les " radars " ne l'ont pas
localisé.

Pour les acteurs de la nouvelle génération, c'est un illustre inconnu. Il


l'est tellement que dans presque toutes les provinces du Zaïre, chaque
ethnie croit l'avoir comme son fils. Pour l'anecdote, le Kongo Central - à
l'époque Bas-Zaïre – se découvre enfin un nouveau leader après la
longue période « sécheresse » causée par la disparition des Kasa-Vubu,
Nzeza Nlandu, Nkanza, Diomi...
Pourtant, à plus de 2.000 km de là, précisément à Kalemie, on reconnaît
le fils du terroir, l'enfant de 19 ans qui déclarait à sa mère être le
nouveau Lumumba. Normal également : il est du sang de Jason Sendwe,
nationaliste congolais opposé à la balkanisation du Congo lors de la
sécession du Katanga en juillet 1990. Dans les collines de Fizi-Baraka, on
se souvient du maquisard qui, tout en y fondant famille, a enseigné à la
population des techniques de résistance face à toute forme
d’oppression.

Ce n’est pas ici le lieu de dérouler sa biographie ; plusieurs auteurs


l'ayant fait et d'autres vont certainement le faire.

***

L'intérêt pour nous se situe dans cette question : pourquoi accepte-t-il


de prendre la tête de l'Afdl, pourtant enjeu des forces centrifuges et des
forces centripètes en interne certes, mais surtout à l'externe ?

Ne le perdons pas de vue : au moment où la guerre de libération est


enclenchée, le Zaïre est pour certaines puissances étrangères un No
Etat, un État Néant.

« Un fruit ne tombe que quand qu’il est mûr. Mais devant l’ouragan et la
tempête de l’Histoire, mûr ou pas mûr, il tombe quand même », disait
Mobutu le 4 octobre 1973 aux Nations Unies.
Or, le Zaïre de 1990 à 1996 a tout du fruit vermoulu mûr. Il doit
absolument tomber.

Qu’il ait décidé de faire le Grand Bond pour sauver ce qui doit être
sauvé, à savoir l'intégrité territoriale du Zaïre dans ses frontières
héritées de la République du Congo, donc de la colonisation belge et de
l'Etat Indépendant du Congo, Laurent-Désiré Kabila n'aura été motivé
que par sa foi dans nationalisme et dans le patriotisme. Les vrais.

Se faire des sous par affairisme, comme certaines mauvaises langues le


suggestionnent, ne correspond pas à son idéal. Encore moins conquérir
le Pouvoir d'État rien que pour le Katanga. D’ailleurs, se serait-il inspiré
de la citation de Jules César selon laquelle « J'aimerais mieux être le
premier dans ce village que le second à Rome », et en aurait-il exprimé le
souhait que personne au pays ou au monde ne l'en aurait empêché.
Après tout, il est du même Katanga de Moïse Tshombe.

Non : il va faire le choix du Congo.

Dans une vidéo produite par les éditions « Van-Bolombo » et intitulée «


Les Héritiers de l’Afrique Noire », Museveni qui réjouit de déclarer que
« Ce n’était pas Kabila qui combattait. C’était des Rwandais qui faisaient
la guerre. Kabila n’avait toujours pas de troupes à lui, il ne faisait rien
pour en avoir» révèle un pan de l’histoire secrète de la guerre de l’Afdl.
« Pourtant, un cessez-le-feu autour de Kisangani pouvait être une bonne
chose pour Kabila. Ça lui aurait donné le temps de se constituer une
armée. Le fait qu’il veuille foncer comme ça même sur Kinshasa prouve
que construire sa propre force ne l’intéressait pas», dit-il.

Ainsi, dans l’entendement des puissances étrangères qui pourvoient


l’Afdl en ressources matérielles et financières, la guerre de libération
doit s'arrêter à Kisangani, ville jonction des swahiliphone et
lingalaphone s'identifiant l'un à l'Est, l'autre à l'Ouest du pays.

Peut-être sans l’avoir voulu ni penser, le Président ougandais va, d’un


côté, dédouaner Laurent-Désiré Kabila de toute implication dans les
atrocités perpétrées sur l’axe Goma-Kisangani et, de l’autre, confirmer
l’existence du plan de partition du pays entre le Zaïre utile (à qui ?) et le
Zaïre « inutile ».

Pour rappel, avant, pendant et après la conférence nationale souveraine,


la terminologie politique s’enrichit avec le vocable « Zaïre utile », espace
correspondant à la partie Est du pays regorgeant d’immenses matières
premières, ce qui implique l’existence du Zaïre inutile. A l’époque, le
Kasaï était intégré à l’Est.

En confiant à son fils, Joseph Kabila, le commandement des opérations


justement à Kisangani, L-D. Kabila agit comme pour s'assurer de
l'accomplissement de son propre plan visant le maintien de l’unité
nationale, plan visiblement opposé à celui des puissances étrangères.

***
« Kisangani ne tombera pas ! », déclare le Premier ministre Léon Kengo
wa Dondo.

Ce qui reste du Pouvoir Mobutu s'investit totalement dans le verrou que


représente cette ville. De gros moyens matériels et financiers y sont
concentrés.

Le 15 mars 1997, « Kisangani tombe ». S’ouvre le « boulevard naturel »


qu’est le fleuve Congo.

Dans la vidéo évoquée, Laurent-Désiré Kabila décrit alors le Zaïre par ces
mots : « D’abord, nous sommes le centre de l’Afrique, le cœur de
l’Afrique. Nous faisons le lien entre le Sud et le Nord, l’Est et l’Ouest.
C’est une position on ne peut plus stratégique, une position capitale en
Afrique. Car la libération du Zaïre représente la possibilité pour tous les
pays d’Afrique de pouvoir enfin se développer. Vous savez, ce pays a
toujours été un frein au développement de la région, une sorte de base
arrière à partir de laquelle il est possible de déstabiliser tous les pays de
la région».

Protagoniste principal au sein de l'Afdl, mais en plus face à des pays


africains comme le Rwanda, le Burundi, l'Ouganda et l'Angola tout
comme les États-Unis et la Belgique tous impliqués fortement dans la
guerre de libération, il a son schéma à lui appelé Congo. Il le veut un, il le
veut uni.
Ce Congo là - nous l'avons suffisamment relevé dans l'introduction - est
un enjeu mondial gigantesque. De la province du Katanga dont il est
ressortissant, le porte-parole de l'Afdl sait ce qu'en dit .........Maranches,
chef de la Dgse (sécurité extérieure française) au lendemain de la guerre
de 1978 : « La puissance qui contrôle le Katanga contrôle le monde  » !
L'épisode de la bombe atomique produite à partir de l'uranium extrait
de Shinkolombwe est connu de l'humanité entière, car elle a servi à
mettre fin à la Seconde guerre.

Laurent-Désiré Kabila a conscience du fait que l'avenir du Katanga est


tributaire de son existence en tant que territoire à part entière du
Congo-Kinshasa.

Et pour cause !

La force du Katanga, c'est sa présence aux côtés de l'Equateur, du Kivu,


du Kasaï, de l'Orientale et de Léopoldville dans la configuration du Congo
belge. De même que la force de l'Equateur, c'est sa présente aux côtés
du Kasaï, de l'Orientale, de Léopoldville, du Kivu et du Katanga. Il en est
de même pour toutes les provinces.

Qu'il fonctionne avec six provinces ou de 44 " républiquettes", ou avec 9


ou 11 provinces, ou encore avec 26 provinces, le Congo Kinshasa est
devenu un esprit.
Cet esprit-là, des compatriotes comme Laurent-Désiré Kabila le portent.
Ils le respirent. Ils le vivent. Ils en vivent. Ils meurent avec, si les
circonstances imposent le passage de la vie à trépas.

Ceux qui auront approché ce compatriote ou ceux que compatriote aura


approchés pour mener la guerre de libération, et qui se sont convaincus
de le réduire en bras séculier en vue d'affaiblir davantage le Congo dans
le dessein, pensent-ils, d'en accélérer la désintégration vont plutôt se
tromper. Ils vont se « foutre le doigt dans l'œil », comme il le clamera lui-
même lorsqu'il qualifiera l'Afdl de " conglomérat d'aventuriers " !

Il sait que chacun des protagonistes a son propre agenda :


- pour le Rwanda, la chute de Mobutu et la neutralisation des réfugiés
Hutu constituant pour le nouveau régime en poste à Kigali un danger
permanent. Il n’a pas tort puisque des rangs de ces réfugiés sont issus
les ex-Faz et les milices Interahmwe ;

- pour l'Ouganda, la chute de Mobutu et la neutralisation des


mouvements rebelles Adf, Nalu, Lra, Unrf II, Wndf ;

- pour le Burundi, la chute de Mobutu et la neutralisation des rebelles du


Fnl et du Fdd,

- et pour l'Angola, la chute de Mobutu et la neutralisation des rebelles


de l'Unita.
C'est, du reste, ce qui justifie la sélection de tous ces groupes armés
dans le chapitre 9 de l'Accord de Lusaka, groupes dont le désarmement
et la neutralisation des troupes ainsi que l’arrestation et la mise en
accusation des leaders génocidaires font partie, selon le chapitre 2, des
missions de la force de maintien de paix des Nations Unies appelée plus
tard Monuc débaptisée Monusco.

Dans la même logique, les États-Unis et la Belgique - rejoints par


plusieurs pays occidentaux et par l'Union européenne - auront visé eux
aussi la chute de Mobutu.

On peut en déduire que le seul point sur lequel ou autour duquel


l'unanimité sera acquise dans le chef de tous les protagonistes est le
départ du maréchal.

Quant à sa succession (l’après Mobutu), elle semble n'avoir pas été leur
affaire.

Preuve, si besoin est, que le Zaïre était effectivement et définitivement


condamné à mourir.

***

Le tort de Laurent-Désiré Kabila aura donc consisté à ranimer le


moribond Congo qui, pour rappeler la description qu'en fera le 5
novembre 1997 l'ambassadeur Bill Richardson devant le congrès
américain, est un intérêt stratégique pour les Etats-Unis. « Le Congo est
un élément essentiel des intérêts américains en Afrique. Ce pays
renferme des opportunités économiques énormes. Treize pour cent du
potentiel hydro-électrique mondial, vingt-huit pour cent des réserves
mondiales de cobalt, dix-huit pour cent des diamants industriels, six pour
cent des réserves de cuivre, de riches terres agricoles, une talentueuse et
industrieuse force de travail, la moitié de la forêt équatoriale africaine.
Le moteur de croissance du centre de l’Afrique est le Congo. Il est un
pont entre les économies en voie de développement dans le sud et l’est
de l’Afrique, et les nations pauvres de l’Afrique centrale. La stabilité du
Congo signifie la stabilité pour la plus grande partie de l’Afrique », avait-
il dit cinq mois à peine après la chute de Mobutu et la prise du pouvoir
par L-D. Kabila.

Cette description n'aura pas été le fait du hasard. Souvenons-nous en :


les 3 et 4 décembre 1997, un mois après la déclaration de Bill
Richardson, une Conférence des Amis du Congo initialement annoncée
pour Bruxelles se tient à Paris. Pactole récolté en tout et pour tout : USD
150 millions.
- l’Union européenne promet USD 87 millions (sur une somme bloquée
depuis 1992 estimée à 265 millions) destinés au secteur de la santé et à
la reconstruction de deux routes reliant Kinshasa à Kikwit et au port de
Matadi et 33 millions de dollars destinés initialement à un recensement
des électeurs pour des élections nationales qui doivent se tenir en 1999 ».
- la Belgique 20 millions de dollars « pour la santé, l'éducation et la
sécurité alimentaire » et
- les Etats-Unis 10 millions de dollars « au Fonds d'affectation ».
Comparaison n’est certes pas raison, mais on retiendra que pour la
reconstruction de l’Irak, les alliés réunis à Paris le 14 février 2018 vont
s’engager pour USD 30 milliards et pour même pour la Syrie, les alliés
réunis à Bruxelles le 6 avril 2017 ont convenu d’apporter à ce pays au
titre d’aide humanitaire USD 6 milliards.

Or, à la Conférence internationale de Genève sur la même aide réunie le


13 avril 2018, des USD 1,7 milliards sollicités pour la RDC, la
communauté internationale ont peiné pour réunir 504 millions !

***

Avant cependant d'en arriver-là, alors à la tête de l'Afdl pendant la


guerre de libération, Laurent-Désiré Kabila va de conquête en conquête.
Chaque victoire des forces sous sa conduite permet la réorganisation de
l'appareil administratif local. La vie renaît dans chaque localité, dans
chaque ville conquise.

Et vient le Jour J : la chute effective du maréchal non pas le 17 mai 1997


comme l’annoncent les historiens, mais plutôt le 16 mai 1997. Car, c'est
ce jour là, aux premières heures du matin, que le maréchal quitte
furtivement Kinshasa pour Gbadolite, d'où il s'envolera plus tard pour
Lomé, au Togo.

Toute la journée du 16 mai 1997, le pouvoir est réellement dans la rue :


le Premier ministre Norbert Likulia déserte la Primature autour de midi
après avoir tenu un conseil des ministres qui se termine en queue de
poisson. Le Haut Conseil de la République-Parlement de Transition ne se
réunit plus. Les Cours et tribunaux ne se sentent pas concernés. Les
chefs de l’armée, de la police et des Renseignements sont dans la
nature.

L'Opposition, conduite par Étienne Tshisekedi, ne donne aucun signe de


vie. Il se raconte que la plupart de ses acteurs sont dans des
ambassades.

C'est le 17 mai 1997 que les troupes de l'Afdl entrent effectivement dans
la capitale et occupent tous les coins stratégiques, sans tirer le moindre
coup de feu.

Deux scènes se déroulent à Kinshasa. L'une à l'hôtel Intercontinental


(Grand Hôtel Kinshasa et Pullman/Kinshasa). L'autre dans les casernes
de l'armée (Ceta, Kokolo, Tshatshi) et de la police (Lufungula, Matete).

Commençons par la seconde. Les premiers Kadogo (enfants soldats


recrutés pendant les avancées de l'Afdl) sont en majorité des enfants
des militaires et des policiers recrutés en dernière minute par les Faz et
la Garde civile et envoyés au front sans expérience avérée. Ne donnant
signe de vie, leurs parents les croient morts.

Et les voilà plutôt vivants, rentrant dans leurs familles avec pour tout
bagage le baluchon de soldat ! Ainsi, à l'enthousiasme de la population
dans les rues de Kinshasa s'ajoute l'enthousiasme des parents revoyant
et retrouvant leurs enfants devenus des libérateurs. C’est la fête dans la
ville.

Qui, à ces instants intenses des retrouvailles, peut oser prendre son
arme et tirer sur qui sans avoir l’âme du suicidaire ?

Entre-temps, à l'Intercontinental, une rencontre « frontale » se déroule


entre acteurs institutionnels et acteurs rebelles. Il se raconte qu'une
ambassade avait fait réserver une centaine de chambres d'hôtels pour
ces derniers et dont les troupes sont en train d'occuper la ville.

Or, au cours du dernier conseil des ministres du 16 mai 1997, les


premiers ont reçu instruction de se replier à l'Intercontinental, au besoin
avec épouses. Pas d’enfants. Ceux des décideurs politiques,
économiques et sociaux à n’avoir pas quitté la ville la veille s'y replient,
convaincus de bénéficier de plus de sécurité. Ils le font naturellement la
nuit du 16 au 17 mai 1997.

Au matin du 17 mai 1997, ils se retrouvent nez à nez avec les libérateurs
dans les couloirs et dans des restaurants. Un ami avoue plus tard qu'ils
étaient faits comme des rats ! Impossible d’échapper de l’hôtel au risque
d’un autre nez-à-nez soit avec les Kadogo, soit avec des éléments ex-Faz
et ex-Garde civile en débandade.

Miracle : à l'Intercontinental, à la crispation des premières heures


succède plutôt la décrispation. D'ailleurs, certains rebelles retrouvent
des camarades ou des parents avec lesquels ils n'ont plus jamais été en
contact !

Ainsi, le bain de sang planifié pour Kinshasa au point d'attirer des


reporters de guerre des médias de renommée mondiale n'a pas lieu.

***

C'est alors que, déçus de la tournure des événements, les pyromanes


s'offrent aux ennemis de la patrie.

Premier acte : ils sèment le doute dans les relations d'abord entre
Afdeliens, ensuite entre ces derniers et les « amis » qui les
accompagnent.

Les premiers signaux se manifestent le mai 1997, jour d'investiture de


Laurent-Désiré Kabila en qualité de Président de la République. La
cérémonie qui se déroule au stade des Martyrs est boycottée par l'aile
radicale de l'Opposition.

Les deuxièmes signaux se manifestent le 30 juin 1997 à l'occasion du


37ème anniversaire de l'indépendance du pays - le premier pour le régime
Afdl - certains Chefs d'État « zappent » l'invitation qui leur est adressée.

Entre-temps, dans les grandes villes du pays, un phénomène prend corps


: la confiscation des biens mobiliers (charroi automobile compris) et leur
« exportation » vers des pays de l'Est (Ouganda, Rwanda et Burundi)
sous prétexte de butin de guerre.

Il y a toutefois pire : des actes de brutalité sur des Congolais perpétrés


par des «  coopérants » ougandais, rwandais et burundais. Les
arrestations accompagnées de bastonnade se multiplient ; les victimes
étant les Congolais.

En moins d'une année, les relations entre, d'une part, Kinshasa et, de
l'autre, Kampala, Kigali et Bujumbura se gâtent rapidement.

Tout cela survient sur fond d'un rapport sulfureux sur les allégations des
massacres perpétrés pendant la guerre de libération sur les réfugiés
hutu rwandais, massacres imputés par les médias occidentaux aux
troupes de l'Afdl certes, mais surtout à Laurent-Désiré Kabila devenu
Président de la République. Le même Kabila de qui Yowerie Museveni
dans la vidéo citée ci-haut : «Ce n’était pas Kabila qui combattait. C’était
des Rwandais qui faisaient la guerre. Kabila n’avait toujours pas de
troupes à lui…».  

Parrainées par les puissances étrangères, toutes les ONGDH soutenues


par l'Opposition et la Société civile radicale retrouvent les instincts
assassins de Timisoara. Le tombeur de Mobutu est présenté en bourreau
des réfugiés Hutu.

Déjà privé de reprise de la coopération structurelle suspendue sous


Mobutu au début des années 1990, Laurent-Désiré Kabila ne peut miser
ni sur le Fonds monétaire international, ni sur la Banque mondiale. Il ne
peut d'ailleurs pas compter sur l'Union européenne.

Aussi, recouvre-t-il, lui aussi, ses instincts de survie, de maquisard rompu


à l'art d'autoconservation dans tout environnement hostile. Il s'agit du
concept « autoprise en charge ».

Pendant qu'il se donne le moyen de sa politique en faisant battre le


Franc congolais en 1998, il prépare concomitamment :
- l'outil de production agricole et artisanale servant en même temps de
défense populaire (Service national),
- l'outil de promotion des articles de base (Bureau national de promotion
sociale, Bnps) et
- l’outil de distribution des biens de première nécessité (Cantines
populaires).

Il projette sur ces entrefaites l’outil d’encadrement politique pour la


gestion démocratique à la base : les Comités du pouvoir populaire (Cpp),
avec pour singularité de respecter le droit des partis politiques à
fonctionner librement.

Laurent-Désiré Kabila est d’avis que la protection des libertés


individuelles n’est pas que l’affaire de l’Etat ni des partis politiques au
Pouvoir. C’est un devoir citoyen impliquant aussi l’Opposition et la
Société civile.
Il est convaincu que militants de l’Udps ou du Mpr fait privé et
indépendants peuvent se retrouver ensemble pour régler un problème
qui se pose dans la rue sans nécessairement attendre l’intervention des
Pouvoirs publics. Par exemple l’évacuation des immondices, le
remplacement d’une dalle abîmée ou l’organisation d’un spectacle.

Il prône via les Cpp la gestion citoyenne de la vie communautaire.

Evidemment, l’initiative déplaît aux puissances étrangères, et ce sont les


médias, les acteurs de l’Opposition et ceux de la Société civile radicales
qui s’offrent pour anéantir tous ces outils !

C'est, d’ailleurs, à ce moment précis que la dissidence redoutée de


l'éclatement de l'Afdl et de la détérioration des relations diplomatiques
congolo-ougando-rwando-burundaises voit le jour sous les traits d’un
mouvement insurrectionnel dénommé « Rassemblement congolais pour
la démocratie », Rcd en sigle. Date de la première action d'éclat : 2 août
1998. Ce jour-là se produit une première dans l'Histoire des 38 années
d'Indépendance du Congo : une guerre part de Kinshasa pour se
déporter en provinces.

C'est une guerre sale en ce qu’une réaction aéroportée, partie pour les
uns de Goma ou de Bukavu, pour les autres plutôt de Kigali ou de
Kampala, s'empare de la centrale hydroélectrique d'Inga, à plus de 2.000
km, avec pour seul objectif d’interrompre la fourniture du courant
électrique et, par ricochet, de l'eau à Kinshasa, mégalopole de près de
10 millions d'habitants !
« Un malheur ne vient jamais seul », dit-on.

A peine Kinshasa se desserre de l'étau grâce à l'intervention d'abord de


l'Angola avant celle du Zimbabwe et de la Namibie, à Kisangani surgit
une autre insurrection sous la dénomination « Mouvement de libération
du Congo », Mlc en abrégé. On est fin septembre début octobre 1998.

A voir comment se comportent ces deux nouvelles rébellions, (États


dans un État), l'une sous le parapluie du Rwanda et l'autre de l'Ouganda
(deux pays parrains dont les armées gouvernementales vont s'affronter
en territoire congolais), on a l'impression de voir le curseur de la
partition du Zaïre No État ramené sur…Kisangani !

Laurent-Désiré Kabila est vraisemblablement puni d'avoir empêché, à


partir de cette ville, la réalisation de la partition du pays.

On connaît au moins la suite : la guerre du 2 août 1998 continue de faire


des « petits » même 20 ans après l'assassinat du Mzee. Mais, pire, de
prendre une dimension politico-religieuse extrêmement dangereuse
avec l’intrusion du djihadisme.

On pourrait déduire, à ce stade, que tous les acteurs politiques et tous


les responsables sécuritaires à avoir accompagné Laurent-Désiré Kabila
dans le prolongement de la guerre de Libération au-delà de Kisangani
sont « estampillés » trop nationalistes, trop patriotes, donc à « bannir »
de la gouvernance institutionnelle.

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