Un idéal
Un engagement
Une mission
Essai politique
Par Barnabé Kikaya Bin Karubi
Le Pays d’Abord !
INTRODUCTION
Prenons Martin Luther King. Il s'est battu contre le racisme noir dont
sont victimes ses contemporains. Et il l’avait décliné son combat dans
son discours de Washington le 28 août 1963 entré dans l’histoire sous le
titre « I have a dream ».
« Avec cette foi, nous serons capables de distinguer dans la montagne du
désespoir une pierre d’espérance. Avec cette foi, nous serons capables de
transformer les discordes criardes de notre nation en une superbe
symphonie de fraternité », avait-il déclaré.
Sous le titre « Ceausescu, mort en direct », Olivier Thomas rapporte dans « mensuel
466 » de décembre 2019 la chronique de cette journée folle, symbole pourtant, pour
les Chrétiens, de l’avènement d’Emmanuel, Prince de la Paix, au travers de la
Nativité. « Le 25 décembre 1989, les télévisions du monde entier retransmettent des
images tournées le jour même à Targoviste, en Roumanie. Des images impensables
quelques jours auparavant. Les téléspectateurs assistent au procès des époux
Ceausescu. Au bout d'une heure la sentence tombe : la peine capitale, exécutée dans
la foulée » (…). Jusque-là, la Roumanie était restée en dehors de la vague de
réformes initiées par Mikhaïl Gorbatchev en Union soviétique et touchant en cascade
les pays du bloc socialiste. Mais le pays est exsangue (…). Les 16 et 17 décembre, des
gens se rassemblent à Timisoara pour protester contre l'expulsion par la Securitate,
la police politique roumaine, du pasteur Laszlo Tökes de son église. Le régime
ordonne d'ouvrir le feu. Le bilan est lourd au soir du 18 décembre : 70 morts ! Trois
jours plus tard, le discours de Ceausescu est interrompu en direct par une foule
vociférante. Après Timisoara, c'est Bucarest qui se soulève. Une nouvelle fois, l'armée
et la Securitate exécutent les ordres du régime : 49 morts, 463 blessés et 698
arrestations sont dénombrés. Mais le peuple ne se laisse pas faire et se dirige vers le
siège du Comité central où le vieux dictateur s'est réfugié. La révolution est en
marche sous le regard des caméras. Les rumeurs les plus folles circulent. Pour tenter
d'analyser une situation pleine de faux-semblants dans laquelle les chefs militaires
cherchent à sauver leur peau, les auteurs utilisent les images d'archives. Surtout, ils
donnent la parole à de nombreux témoins directs de ces événements : Ceslav
Ciobanu, le conseiller des affaires roumaines de Gorbatchev ; Dan Voinea, le
procureur militaire au procès des Ceausescu ; Ionel Boeru, l'officier qui dirigea le
peloton d'exécution... ».
Mobutu et son épouse Bobi Ladawa, laissent entendre leurs proches, sont stupéfaits.
Ils savent que tout peut désormais arriver au Zaïre. Tout peut leur arriver.
D’où les consultations populaires au cours desquelles des forces sociales organisées,
qui vont constituer plus tard Société civile, sont appelées à se prononcer sur l'avenir
du Mpr Parti-État.
Et Babunga de poursuivre : « En trois mois, plus d’un million de zaïrois (congolais)
participèrent à ces consultations populaires et le Bureau de Consultation populaire
enregistra 6.128 Mémorandums. A l’issue des consultations, le peuple renvoya
comme message à Mobutu : le rejet total du MPR Parti-Etat, de sa doctrine, de tous
ses organes et de ses animateurs ; et l’option fondamentale et irréversible pour le
changement démocratique au Zaïre. Ces consultations avaient fini par conduire
Mobutu à décréter, trois mois après (24 avril 1990), la fin du monopartisme et le
début d’un long processus de démocratisation ».
Il se dit que pour son discours de circonstances, le maréchal se livre à son exercice
favori : diviser pour mieux régner, traduction française de la maxime latine « Divide
ut regnes » ! Il cloisonne les rédacteurs. La version finale, il en partage le contenu
avec un homme qui ne serait pas du sérail.
Évidemment, l'effet recherché est atteint : la douche froide pour les congressistes.
Mobutu annonce la fin du Mpr Parti-Etat, et, tout naturellement, il en prend congé.
Tombent et disparaissent de ce fait tous les avantages sociaux dispensés par le
système et le régime.
« Ce jour-là : le 24 avril 1990, Mobutu annonce les larmes aux yeux le tournant du
multipartisme », écrit Olivier Liffran dans Jeune Afrique, édition du 24 avril 2018.
« Après 25 ans de règne sans partage, le maréchal Mobutu Sese Seko annonce le 24
avril 1990 la fin du parti unique au Zaïre. Devant un parterre de ministres,
magistrats, généraux et parlementaires, Mobutu Sese Seko – qui se présente vêtu
d’un uniforme noir de maréchal – décide ‘seul devant sa conscience de tenter
l’expérience du pluralisme politique dans notre pays [au Zaïre], avec à la base le
principe de la liberté pour chaque citoyen d’adhérer à la formation politique de son
choix’ (…).
Olivier s’interroge : « Que devient le chef dans tout cela ?, poursuit-il, de sa voix
martiale. Je vous annonce que je prends ce jour congé du Mouvement populaire de la
révolution, pour lui permettre de se choisir un nouveau chef devant conduire…’.
Silence de quelques secondes du Léopard, suivi d’un regard presque suppliant en
direction de l’assistance, et qui s’achève par trois petits mots devenus célèbres :
‘Comprenez mon émotion’ ».
L'essentiel, ce n'est pas cette parole de dépit forte « Comprenez mon émotion »,
encore moins la larme qu'il laisse couler et qu’il essuie d’ailleurs rapidement.
Certes, dans son discours, Mobutu relève dans son discours du 14 janvier 1990 avoir
« sillonné toutes les régions du pays, de l'Est à l'Ouest, du Nord au Sud, empruntant
tous les moyens de transport disponibles, à savoir : Jeep, voiture, bateau, hélicoptère,
petit porteur et jet », se permettant une pointe d’humour en soulignant qu’« Il ne
manquait plus à cette liste que le train, le vélo et, bien sûr, la pirogue ».
S’étant mis à l’écoute de la majorité silencieuse, son attention retenue par les
interrogations, les inquiétudes et les aspirations de son peuple, il admet avoir
« recueilli des mémorandums aussi bien individuels que collectifs » et reçu en
audience « différents groupes socio-professionnels tels que professeurs,
missionnaires, opérateurs économiques, médecins, avocats, fonctionnaires, chefs
coutumiers, femmes commerçantes, étudiants », soulignant particulièrement avoir
tout pris en compte, et ce tout devant faire l’objet de sa réflexion profonde, ajoutant
« même le mémorandum des évêques », comme si ce dernier a quelque chose de
singulier.
Mais, l’aveu d’échec, mieux de l’échec, il le fait dans la partie suivante du discours :
« Trente ans après l'accession de notre pays à l'indépendance, nous sommes
aujourd'hui à la croisée de chemins et devant des choix nouveaux (…). A l'analyse de
tous les mémorandums qui m'ont été adressés, j'ai été surpris de constater que le
peuple, à qui j'avais demandé de se prononcer seulement sur le fonctionnement des
institutions politiques, a plutôt axé l'essentiel de ses doléances sur les difficultés qu'il
éprouve dans sa vie quotidienne (…). Ainsi, au plan social, on pourrait retenir
notamment la dégradation des infrastructures sociales : Hôpitaux, écoles,
universités, édifices publics. A cela, il faut ajouter :
- la vétusté des formations médicales,
- la carence en équipements et en médicaments,
- l'insuffisance du personnel médical
- la surpopulation dans les salles des cours ainsi que dans les résidences universitaires
et les internats,
- la modicité des rémunérations des agents de l'Administration publique,
- le sous-emploi des cadres universitaires, certains abus qui se commettent par-ci
par-là ».
« Au plan économique, il m'a été signalé entre autres :
- la dégradation des voies de communication : routes, voiries, télécommunication,
- le poids de la fiscalité et de la parafiscalité,
- les tracasseries administratives,
- les invendus dans les collectivités rurales,
- la détérioration des termes de l'échange du paysan,
- l'insuffisance de l'énergie électrique dans certaines régions du pays ».
Ainsi, 10 ans après la célèbre Lettre des 13 Parlementaires du 1er novembre 1980
faisant le procès de l'échec des 15 premières années de son régime, Mobutu réalise
que ses 25 ans au pouvoir ont pour « juge » implacable la crise économique et la
crise sociale.
***
Son mérite : avoir dit NON à celui dont il fut l'égérie pendant 20 ans, de 1960 à 1980.
En 1967, lorsque Joseph Mobutu, devenu chef d'État, initie la nouvelle Constitution
(qui prône sur papier l'existence de deux partis politiques sans cependant que le
second ne puisse voir le jour) en même temps que la création du parti politique
dénommé Mpr (Mouvement populaire de la révolution), Étienne Tshisekedi est à ses
côtés. Il coordonne la rédaction de la loi fondamentale.
Pourquoi les grands amis vont-ils devenir des ennemis jurés à partir des années 1980
?
***
Le 24 avril 1990, pendant que les caciques du régime Mobutu peinent à digérer
l'effet du coup de massue que vient de leur asséner le maréchal, dans la ville,
précisément Place Victoire (croisement des avenues Kasa-Vubu/Victoire),
l'enthousiasme est à son comble. Premier signal : le port du costume et de la
cravate, effets vestimentaires prohibés sous Mobutu au nom de la politique du
Recours à l'Authenticité.
Rappel des faits : au 24 avril 1990, l'Udps a pour président national Marcel Lihau, lui
aussi ayant rompu les relations avec le maréchal. Étienne Tshisekedi, lui, est
secrétaire national chargé de Mobilisation. Le parti s'institue une présidence
collégiale avec un présidium comprenant Marcel Lihau, Étienne Tshisekedi, Frédéric
Kibassa et Vincent M'Bwankiem.
Mais, bien avant ces réunions, un événement tragique se produit au pays la nuit du 9
au 10 mai 1990, quasiment deux semaines après le discours de la N’Sele : l'opération
expéditive menée par la DSP (détachement de l'Armée nationale affecté à la sécurité
du Président de la République et de sa famille) sur le campus de l'Université de
Lubumbashi (Unilu). Les premières infos font état de plusieurs dizaines d'étudiants
tués et blessés, les victimes étant toutes originaires d'autres provinces sauf de
l'Equateur. Bien entendu, Mobutu étant de l'Equateur et la majorité d’éléments de la
Dsp de même, on brandit déjà l’épuration ethnique.
Des mois durant, du Zaïre de Mobutu, on n'a plus pour référence que l'Opération
Lititi Mboka, inspirée du récit biblique du passage de l'Ange de la Mort en Exode
12 :23. « Quand l’Eternel passera pour frapper l’Egypte, et verra le sang sur le linteau
et sur les deux poteaux, l’Eternel passera par-dessus la porte, et il ne permettra pas
au destructeur d’entrer dans vos maisons pour frapper ».
« A la veille de Noël, alors que le dictateur Nicolae Ceausescu est arrêté après une
semaine de manifestations, le public occidental découvre avec horreur des corps,
certains mutilés, attribués aux exactions de la Securitate (police politique roumaine).
« Les images tournent en boucle sur les chaînes de télévision et à la Une de la presse
étrangère, dont les envoyés spéciaux sont arrivés par dizaines dans le pays
jusqu'alors fermé au monde par le régime.
« C'est dans le cimetière des indigents de Timisoara qu'ils ont découvert ces
dépouilles alignées au sol, présentées comme la preuve de la répression sanglante du
soulèvement.
« La révolution roumaine a fait un millier de morts dans le pays, dont une centaine à
Timisoara. Mais à la fin de l'année 1989, le chiffre de 4.630 victimes pour la seule
ville de Timisoara est repris par la presse internationale qui évoque aussi l'existence
de multiples charniers.
« Il faudra attendre le mois de janvier pour que le bilan se précise et que la
supercherie du cimetière soit mise au jour : les cadavres étaient ceux de personnes
mortes avant les événements, puis sortis de terre ».
Toute l’Histoire du Congo Kinshasa de 1990 à 2020, pour ne pas dire de 1960 à ce
jour, est celle de ce syndrome.
***
Pourtant, le discours du 24 avril 1990 n’est pas que celui du ratage de la politique
économique et sociale. Il est aussi celui de la projection inspirée par l’expérience,
mieux les expériences. Le discours du Congo de demain.
Aussi, pour éviter, poursuit-il, que « le multipartisme ne devienne au Zaïre synonyme
de multitribalisme », il préconise un multipartisme à trois, les partis agréés devant
« justifier d'une représentativité nationale suffisante ». A l’époque, on parle déjà du
Mpr devenu fait privé, de l’Udps et du Fcn.
Bien entendu, Mobutu est favorable à une transition d’une année allant du 24 avril
1990 au 30 avril 1991, considérant que « Cette période de 12 mois sera mise à profit
par les formations politiques pour faire l'apprentissage de la démocratie pluraliste et
affronter l'électorat », tout comme elle sera également mise à profit pour « procéder
à la révision de la Constitution qui se fera en deux étapes », la première pour régir la
Transition, la seconde pour élaborer la Constitution définitive devant régir, elle, la
Troisième République.
CHAPITRE 1 SUITE 2
Entre le discours du 24 avril 1990 et la cérémonie de prestation de
serment par le Premier ministre Étienne Tshisekedi le 16 octobre 1991,
que d'évènements malheureux marquant les 18 premiers mois de la
période rendue célèbre sous la dénomination « TRANSITION » !
Très mauvais calcul que se choisir pour un tel poste et dans un contexte
pour le moins inflammable un technocrate, les enjeux étant
éminemment politiques.
D’emblée, le premier faux pas est commis par l’Udps. Marcel Lihau,
Frédéric Kibassa et Vincent Mbwankiem sont, en effet, pour l'obtention
de l'agrément comme parti politique conformément à la nouvelle loi
n°90-007 du 18 juillet 1990 portant organisation et fonctionnement des
partis politiques telle que modifiée et complétée par la loi n°90-009 du
18 décembre 1990. Dans leur entendement, étant sorti de la
clandestinité et devant désormais opérer à découvert, l'Udps doit se
conformer à la loi. Étienne Tshisekedi, lui, n’est pas du même avis. Il
considère que l'Udps n'a pas à se soumettre à une légalité établie par
des institutions issues du Mpr Parti-État.
***
Le 1er avril 1991, bien malgré lui, Vincent de Paul Lunda Bululu est obligé
de jeter l'éponge.
Autre mauvais calcul dans le chef de Mobutu : celui porté le même jour
sur Crispin Mulumba Lukoji, technocrate formaté Bretton's Wood, pour
la succession à la primature.
Ironie du sort, son coup d’Etat de 1965 était dirigé certes contre Joseph
Kasa-Vubu en conflit avec le leader de la Majorité parlementaire Moïse
Tshombe, mais en réalité, c’était contre l’ordre institutionnel issu de la
Conférence constitutionnelle.
***
Pour n'avoir rien dit ni écrit sur cet épisode, le maréchal et le sphinx
savent ce qui s'est réellement passé ce jour-là.
***
C'est alors que pleuvent des appels du pied en direction des acteurs
politiques majeurs des Forces démocratiques unies (Fdu) pilotées par le
Mpr fait privé sous le leadership de Mobutu et de l'Union sacrée (Us)
pilotée par l'Udps sous le leadership d'Étienne Tshisekedi.
D'où les négociations qui vont conduire aux Accords du Palais de Marbre
I et à la nomination d'Étienne Tshisekedi en qualité de Premier ministre,
zappant quasiment la Conférence nationale.
***
***
Au cours des huit premiers mois l'année 1993, comme se livrant à une sorte de
guerre des tranchées, chacun des protagonistes (Mobutu avec les Forces politiques
du conclave, d'un côté, et Tshisekedi avec l'Union sacrée de l'Opposition radicale, de
l'autre) campe sur ses positions.
« 3° Les cours et tribunaux demeurent indépendants afin d'assurer le respect des
libertés fondamentales.
Ainsi, les deux grandes décisions de ces assises sont la fin du dédoublement
institutionnel avec la fusion des parlements (d'où la mise en place du Haut Conseil de
la République-Parlement de Transition avec pour président Mgr Laurent
Monsengwo) et des gouvernements (d’où la mise en place du Gouvernement d’une
nationale avec pour Premier ministre élu Léon Kengo wa Dondo).
Si, pour le Parlement, le problème ne se pose vraiment pas (car les protagonistes
acceptent la fusion), il n'en est pas de même pour le Gouvernement. Étienne
Tshisekedi, en effet, continue de se considérer Premier ministre, même sans siège
officiel. Comme au lendemain de sa destitution le 16 octobre 1991 (Accords du Palais
du Marbre I), il accepte de « fonctionner sous les arbres ».
Le 14 juin 1994, Léon Kengo est élu Premier ministre. Le 6 juillet, il sort son
gouvernement duquel l'Udps, bien entendu, s'exclut.
***
Kinshasa devient le cadet de leurs soucis dans la région des Grands Lacs.
***
Katanga Mukumadi n'est pas n'importe qui. Il est affiché kengiste, donc proche de
l'Udi (Union des démocrates indépendants), parti créé en 1991 par Léon Kengo wa
Dondo mais présidé par Alexis Thambwe Mwamba.
C'est l'ex-aile technocratique du Mpr Parti-État. Ici, est concentrée la crème zaïroise
des économistes, des financiers, des monétaristes, des banquiers, des opérateurs
économiques, mais aussi des juristes, avocats d'affaires en premier.
Outre Kengo et Thambwe, il y a aussi Kiakwama, Pay-Pay, Isalu, Kinduelo, Umba,
Banguli, Mambu, Ekila...
Bref, dans l’Udi se côtoient tous les talents congolais en macroéconomie sous
Mobutu : des « enfants chéris » de la Banque mondiale, du Fmi, de la Bad, de l'Union
européenne !
Que le constat du cancer émane d'eux, c'est l'aveu des ravages des métastases sur
tout le corps Zaïre.
Léon Kengo annonce l'aide de l'Union européenne. Elle ne vient pas. Ou plutôt, si.
Mais pour financer des élections dans un environnement reconnu pourtant
inflammable. L'opinion, elle, espère de son avènement la restauration de la
coopération structurelle. Peine perdue.
« Tout d'abord, les partenaires occidentaux du Zaïre qui ont dû évacuer leurs
ressortissants à deux reprises depuis 1990 ont suspendu leur coopération comme
leurs investissements.
« Quant à l'assise politique intérieure du Gouvernement Kengo, elle a initialement
pâti de la persistance de l'opposition radicale d'Etienne Tshisekedi qui conteste
toujours son éviction de la primature. L'entourage du chef de l'État sinon le Président
lui-même s'est également engagé dans un combat plus ou moins feutré pour
maintenir son pouvoir de nomination à certains postes-clés.
Quoi de plus normal que sur ces entrefaites la guerre des tranchées continue de faire
rage. C'est, du reste, prévisible.
***
Et pour cause !
Lorsque Mgr Laurent Monsengwo est désigné par consensus président du Hcr-Pt, les
deux familles autoproclamées constitutionnelles (Forces politiques du conclave et
Union sacrée de l'Opposition radicale) lui flanquent deux premiers vice-présidents :
Emmanuel Anzuluni Bembe pour les Mobutistes et André Bo-Boliko pour les
Tshisekedistes sans Tshisekedi.
La suite du scénario est rapportée par Tryphon Kinkiey Mulumba dans l’article
intitulé : « Comment Tshisekedi nargua Mobutu qui le lui rendit fort bien » paru
dans Le Soft le 7 février 2017, une semaine après le décès du président de l’Udps à
Bruxelles : « La seule victoire que Mobutu et Tshisekedi ont partagée ensemble se
trouvait être l’effacement de Mgr Monsengwo des institutions de la Transition. Ils se
trouvaient ainsi débarrassés d’une personnalité qui leur faisait ombrage dans leur
lutte pour la présidence de la République. Aussi bien dans l’opinion nationale
qu’internationale, Mgr Monsengwo émergeait comme la personnalité qui pourrait
être plébiscitée pour le pouvoir suprême. C’est ce qui avait fait que les deux
protagonistes pour ce fauteuil avaient enterré la hache de guerre pour écarter
d’abord le danger que constituait Mgr Monsengwo. En plus, avec la destitution de ce
dernier de la présidence du HCR-PT, Tshisekedi prenait sa revanche sur le parrain de
la troisième voie ayant porté à la Primature Kengo wa Dondo qui avait ainsi usurpé
avec la bénédiction du prélat, le poste qui lui revenait de plein droit de par la volonté
du peuple réuni en conférence ».
Résultat : le 27 juin 1995, le Hcr-Pt n’a plus de président. Mgr Laurent Monsengwo
est destitué par 510 des 738 conseillers de la République (députés cooptés) formant
l’institution. La déclaration conjointe de déchéance est signée, pour la famille
politique tshisekediste, par Frédéric Kibassa et, pour la famille politique mobutiste,
par Antoine Mandungu Bula Nyati.
Parmi les métastases visibles, la contrefaçon monétaire entretenue par des réseaux
mafieux couverts par les caciques du régime. Elle fragilise le Budget de l'Etat,
désorganise totalement le système bancaire, tue littéralement l'industrie, le
commerce et les services.
***
2. Au plan diplomatique
- isolement du Zaïre
- suspension de la coopération structurelle
- non-versement des cotisations dans des institutions sous-régionales, régionales,
continentales et intercontinentales avec privation des voix
3. Au plan économique
- organisation des grèves sauvages sous le couvert politique des journées dites ville-
morte
- dollarisation de la monnaie
- thésaurisation de la monnaie nationale
- étranglement du système bancaire,
- recours à la planche à billets
- création des zones monétaires parallèles
- contrefaçon de la monnaie
- détournement des deniers publics
- corruption
- pillage du tissu économique et social,
- dégradation des infrastructures de communication,
- détérioration du climat des affaires,
4. Au plan social
- perte continue du pouvoir d'achat
- années scolaire et académique soit élastiques, soit blanches
- délestage en eau et en électricité
- étranglement du système sanitaire et médical,
- déshumanisation des conditions de transport,
- accentuation du chômage
- etc.
***
Il est alors question, dans ce plan, de rattacher certaines provinces du Zaïre à des
États voisins. Principalement le Nord-Kivu à l'Ouganda et au Rwanda ainsi que le Sud-
Kivu au Rwanda, au Burundi et à la Tanzanie.
Comme pour sonner le glas, c'est à ce moment précis que les autorités zaïroises
soulèvent la question ultrasensible de nationalité.
CHAPITRE 1. SUITE 5
CHAPITRE 1. SUITE 5.
LA QUADRATURE DU CERCLE
Le 24 mars 1997, Léon Kengo est forcé, à son tour, de rendre le tablier,
et Étienne Tshisekedi de le reprendre.
Face à la situation, le maréchal prend à son tour une décision d'État tout
aussi unilatérale : il nomme le 9 avril 1997 au poste de Premier ministre
le général d'armée en la personne de Norbert Likulia qui sort son
gouvernement deux jours après.
CHAPITRE 2
***
« Un fruit ne tombe que quand qu’il est mûr. Mais devant l’ouragan et la
tempête de l’Histoire, mûr ou pas mûr, il tombe quand même », disait
Mobutu le 4 octobre 1973 aux Nations Unies.
Or, le Zaïre de 1990 à 1996 a tout du fruit vermoulu mûr. Il doit
absolument tomber.
Qu’il ait décidé de faire le Grand Bond pour sauver ce qui doit être
sauvé, à savoir l'intégrité territoriale du Zaïre dans ses frontières
héritées de la République du Congo, donc de la colonisation belge et de
l'Etat Indépendant du Congo, Laurent-Désiré Kabila n'aura été motivé
que par sa foi dans nationalisme et dans le patriotisme. Les vrais.
***
« Kisangani ne tombera pas ! », déclare le Premier ministre Léon Kengo
wa Dondo.
Dans la vidéo évoquée, Laurent-Désiré Kabila décrit alors le Zaïre par ces
mots : « D’abord, nous sommes le centre de l’Afrique, le cœur de
l’Afrique. Nous faisons le lien entre le Sud et le Nord, l’Est et l’Ouest.
C’est une position on ne peut plus stratégique, une position capitale en
Afrique. Car la libération du Zaïre représente la possibilité pour tous les
pays d’Afrique de pouvoir enfin se développer. Vous savez, ce pays a
toujours été un frein au développement de la région, une sorte de base
arrière à partir de laquelle il est possible de déstabiliser tous les pays de
la région».
Et pour cause !
Quant à sa succession (l’après Mobutu), elle semble n'avoir pas été leur
affaire.
***
***
C'est le 17 mai 1997 que les troupes de l'Afdl entrent effectivement dans
la capitale et occupent tous les coins stratégiques, sans tirer le moindre
coup de feu.
Et les voilà plutôt vivants, rentrant dans leurs familles avec pour tout
bagage le baluchon de soldat ! Ainsi, à l'enthousiasme de la population
dans les rues de Kinshasa s'ajoute l'enthousiasme des parents revoyant
et retrouvant leurs enfants devenus des libérateurs. C’est la fête dans la
ville.
Qui, à ces instants intenses des retrouvailles, peut oser prendre son
arme et tirer sur qui sans avoir l’âme du suicidaire ?
Au matin du 17 mai 1997, ils se retrouvent nez à nez avec les libérateurs
dans les couloirs et dans des restaurants. Un ami avoue plus tard qu'ils
étaient faits comme des rats ! Impossible d’échapper de l’hôtel au risque
d’un autre nez-à-nez soit avec les Kadogo, soit avec des éléments ex-Faz
et ex-Garde civile en débandade.
***
Premier acte : ils sèment le doute dans les relations d'abord entre
Afdeliens, ensuite entre ces derniers et les « amis » qui les
accompagnent.
En moins d'une année, les relations entre, d'une part, Kinshasa et, de
l'autre, Kampala, Kigali et Bujumbura se gâtent rapidement.
Tout cela survient sur fond d'un rapport sulfureux sur les allégations des
massacres perpétrés pendant la guerre de libération sur les réfugiés
hutu rwandais, massacres imputés par les médias occidentaux aux
troupes de l'Afdl certes, mais surtout à Laurent-Désiré Kabila devenu
Président de la République. Le même Kabila de qui Yowerie Museveni
dans la vidéo citée ci-haut : «Ce n’était pas Kabila qui combattait. C’était
des Rwandais qui faisaient la guerre. Kabila n’avait toujours pas de
troupes à lui…».
C'est une guerre sale en ce qu’une réaction aéroportée, partie pour les
uns de Goma ou de Bukavu, pour les autres plutôt de Kigali ou de
Kampala, s'empare de la centrale hydroélectrique d'Inga, à plus de 2.000
km, avec pour seul objectif d’interrompre la fourniture du courant
électrique et, par ricochet, de l'eau à Kinshasa, mégalopole de près de
10 millions d'habitants !
« Un malheur ne vient jamais seul », dit-on.