Un oulipien est avant tout un « rat qui construit lui-même le
labyrinthe dont il se propose de sortir ». Voilà la définition que l’OULIPO donne de tout écrivain qui appartient à ce groupe. Enchevêtrée et transparente à parts égales, cette formule reflète bien l’essence de ce groupe orienté vers l’expérimentation avec le langage et porté à faire des ponts avec d’autres disciplines, notamment les mathématiques, dont plusieurs de ses membres en sont issus. Le sigle se décompose ainsi : Ou : OUvroir. On le caractérise comme un lieu où l’on œuvre, mais immédiatement, faute de spécification, on commence à le définir à l’aide de tout ce qu’il n’est pas. Ainsi, les oupenpiens le diffèrent d’un laboratoire, d’une société savante, d’une secte, d’une école, d’une académie, d’un musée, d’une loge, d’un commissariat, d’un institut, bref, de toute sorte d’institution. X peut désigner n’importe quelle discipline. On trouve actuellement : l’OULIPO, de littérature ; l’OUPEINPO, de peinture ; l’OUTRANSPO, de traduction ; l’OUPHOPO, de photographie ; l’OULIPOPO, de littérature policière ; l’OUHISPO, d’histoire ; l’OUBAPO de bande desinée ; etc. Po : Potentiel. Des œuvres qu’on ne peut forcément trouver. Des œuvres en quantité illimitée, potentiellement productible, en quantités énormes, infinies pour toutes fins pratiques. Les ouxpiens ne veuillent pas aux œuvres, mais aux méthodes, aux contraintes, aux dispositifs. Leur rô le est de proposer des contraintes dont d’autres artistes peuvent se servir. Leur occupation principale est celle de créer des techniques.
b. Principes oulipiens
Les oulipiens ont trois traits caractéristiques : ils travaillent de
manière collective ; ils embrassent un seule domaine artistique, la littérature ; ils utilisent un seul outil stratégique privilégié, la contrainte. Le projet sacré de ce groupe sera donc l’exploration méthodique, systématique, des potentialités de la littérature. Leur travail est marqué par la créativité et la volonté inlassable de jouer avec le langage et ses formes. Ils insistent cependant avec l’idée d’être considérés comme des anti-académistes ; leur talent réside dans la capacité d’introduire des concepts parfois assez complexes d’une manière qui ne se prétende pas érudite. Et en opposition à une idée romantique de littérature ils rejettent la notion de « inspiration » : les oulipiens préfèrent un esprit ludique caractérisé en même temps par une rigueur scientifique et expérimentale. Eduardo Berti décrit d’une manière très simple leur tâ che, il s’agit de « jouer sérieusement ». Et pour mener à bien ce projet ils s’accordent deux types de tâ ches : - la première consiste à inventer des contraintes, de formes, de défis qui permettent la création de œuvres originales ; - la deuxième c’est la recherche d’anciennes œuvres littéraires qui ont contribué à la création ou à l’utilisation de contraintes. Ces recherches ont fait apparaître ceux qu’ils ont appelés les « plagiaires par anticipation ».
c. Leur vedette : La contrainte
Comme on vient de le préciser, au centre du cœur de ce projet, les
oulipiens ont placé la contrainte. Paradoxalement à ce que l’on peut penser, cette notion, loin de limiter la créativité et l’inspiration, les nourrit, les stimule, les éveille. On ne peut pas nier que dans l’univers littéraire, tout écrivain doit concevoir ses œuvres en respectant des règles plus ou moins strictes, même les écrivains les moins formalistes souscrivent à quelques exigences. Des restrictions de vocabulaire, de syntaxe, des restrictions liées aux règles du roman, de la tragédie, de versification. Mais dans le monde des oulipiens, on traite le langage comme un objet en lui-même, comme un aspect matériel, et à partir de cette considération, la contrainte oblige le langage à sortir de son fonctionnement de tous les jours. Ils expérimentent avec de nouvelles possibilités. Grace à cette méthode ils ont découvert qu’ils pouvaient appliquer ces expériences à des faits qui n’existaient pas encore, déterminant ainsi la direction que prenaient les recherches oulipiennes. Jean Lescure manifestait que la majeur potentialité était la potentialité de ce qui n’existait pas encore. Ainsi, l’objectif de la littérature potentielle consiste à fournir aux écrivains du futur de nouvelles techniques qui puissent encourager l’inspiration de leur créativité. Prenons l’exemple du sonnet : quand cette forme littéraire est née, on n’a rien fait d’autre que créer des procédures mécaniques, une nouvelle possibilité, qu’on peut choisir ou ne pas choisir. Le mot « potentiel » est lié à la nature même de littérature, ce qui signifie qu’au fond il s’agit non pas de littérature proprement dite, mais plutô t de fournir de formes d’utilisation qu’on peut appliquer à la littérature. Il s’agit là de la règle d’or de l’OULIPO : découvrir de nouvelles structures et les présenter à travers de quelques exemples crées uniquement à ce propos. Ils ont même crée la Bibliothèque Oulipienne qui publie des fascicules présentant les créations individuelles et les collectives. C’est surtout la prolifération de nouvelles contraintes et la multiplication de découvertes des plagiaires par anticipation ce qui a poussé les membres de l’OULIPO à chercher un type d’organisation qui les aiderait à bien les examiner de plus près. Outre les publications, les oulipiens animent des ateliers dans lesquels on met l’accent sur le bon usage des contraintes crées. Ils n’hésitent pas à tester la fécondité de leur travail en partageant ces inventions avec un public réceptif qui n’a aucune relation avec le groupe et qui s’agit parfois de non- écrivains.