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Réviser son bac

HORS-série
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Histoire SÉRIES L, ES, S


l’essentiel du cours
• Des fiches synthétiques
• Les points clés
du programme
• Les définitions clés
• Les repères importants

DES sujets de bac


• 12 sujets commentés
• L’analyse des sujets
• Les problématiques
• Les plans détaillés
• Les pièges à éviter

DES ARTICLES DU MONDE


• Des articles du Monde
en texte intégral
• Un accompagnement
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80, boulevard Auguste Blanqui – 75013 Paris
Tél : +(33) 01 57 28 20 00 – Fax : + (33) 01 57 28 21 21 –
Internet : http//www.lemonde.fr
Président du Directoire, Directeur de la publication : Louis Dreyfus.
Directeur de la Rédaction : Erik Izraelewicz – Directeur Adjoint : Laurent Greilsamer – Editeur : Michel Sfeir
Imprimé par CPI-Aubin à Poitiers
Commission paritaire des journaux et publications : n°0712C81975
Dépôt légal : avril 2011.
Achevé d'imprimer : avril 2011

Numéro hors-série réalisé par Le Monde


© Le Monde – rue des écoles, 2011
sommaire

Le monde de 1945 à nos jours p. 5


chapitre 01 – Le monde en 1945 p. 6
chapitre 02 – De la société industrielle à la société
de consommation p. 14
chapitre 03 – Les relations Est-Ouest p. 20
chapitre 04 – Décolonisation et émergence du tiers-monde p. 28
chapitre 05 – À la recherche d'un nouvel ordre mondial p. 36

L'europe de 1945 à nos jours p. 43


chapitre 06 – La construction de l'Europe de l'Ouest p. 44
chapitre 07 – Les démocraties populaires p. 50
chapitre 08 – Les enjeux européens depuis 1989 p. 56

La france de 1945 à nos jours p. 63


chapitre 09 – La France au lendemain
de la Seconde Guerre mondiale p. 64
chapitre 10 – De la ive à la ve République p. 72
chapitre 11 – Économie, société et culture en France depuis 1945 p. 78
chapitre 12 – Le rôle de la France dans le monde depuis 1945 p. 84

le guide Pratique p. 93
le monde de 1945
à nos jours
L’essentiel du cours

Mots clés
Arsenal
des démocraties
Expression désignant les États-Unis
Le monde en 1945
L
comme fournisseurs du matériel de
guerre des Alliés, dans le cadre du
a Seconde Guerre mondiale, qui s’achève avec la capitula-
Victory program (programme visant tion du Japon (2 septembre 1945), laisse l’Europe et l’Asie
à mettre l’économie américaine au épuisées. Atterrés par les dégâts provoqués par le conflit,
service de la guerre jusqu’à la vic-
toire  : production d’armes, notam- les vainqueurs veulent construire un monde de paix. Mais de
ment) établi par Roosevelt en 1942. nouveaux défis s’imposent aux grandes puissances qui doivent
Camps d’extermination composer avec des intérêts qui ne se concilient pas toujours.
Camps de déportation comme
Auschwitz-Birkenau, dans lesquels les survivants des camps
les nazis assassinent, à partir de tentent d’atteindre la Pa-
1942, les populations qu’ils jugent lestine ou les États-Unis  ;
indésirables (les juifs et les tziganes les habitants des pays baltes
notamment). occupés par l’Armée rouge
essaient de fuir à l’ouest ; les
Crime contre l’humanité Allemands d’Europe cen-
Notion juridique définie en 1945 trale sont expulsés vers ce
lors du procès de Nuremberg. Elle qui reste de l'Allemagne. Les
qualifie toute politique visant à dégâts matériels (surtout
persécuter une population pour dans les pays vaincus) sont
des raisons raciales, ethniques ou impressionnants. Des villes
religieuses. Imprescriptible, un en ruine (Berlin, Varsovie,
crime contre l’humanité ne peut Stalingrad, Hiroshima…)
être effacé par le temps. sont à reconstruire. Les in-
frastructures (ponts, routes,
Épuration gares) sont très touchées,
Mesure visant à éliminer (d’un créant d’énormes difficul-
groupe, d’un parti, d’une société) tés de transport. En 1945, la
les membres jugés indésirables. pénurie règne dans toute
l’Europe. Les productions
Conférence de Yalta se sont partout effondrées.
Rencontre entre Roosevelt, Staline En Europe, la production
et Churchill (février 1945), au cours industrielle a chuté de 50 %
de laquelle les trois hommes décidè- par rapport à 1939. Seuls
rent : des conditions de la libération les États-Unis, «  arsenal
de l’Europe et du rétablissement des démocraties  », ont pu
de la démocratie dans ces pays, de profiter de la guerre pour
la lutte contre le Japon, du sort de moderniser leur industrie.
l’Allemagne, du statut de la France La découverte des camps
reconnue comme État vainqueur, d’extermination (Aus-
et de l’organisation de la future onu. chwitz) et l’utilisation de
la bombe atomique ont
Conseil de sécurité été des chocs. L’emploi des
Organe clé de l’onu composé de techniques les plus mo-
onze membres, dont cinq perma- Champignon atomique sur la ville de Nagasaki le 9 août 1945. dernes dans le but de semer
nents. Il a pour mission d’adresser la mort a fait perdre à beaucoup d’Occidentaux toute
des recommandations aux États et Un monde traumatisé foi dans le progrès. De même, on découvre que des
de voter des résolutions afin de pré- La Seconde Guerre mondiale a été le conflit le plus médecins allemands ou japonais ont effectué des ex-
server la paix. Il peut décider une in- sanglant de l’histoire, avec près de 60 millions de périences médicales mortelles sur des prisonniers :
tervention armée contre un État qui morts, dont une grosse vingtaine en Asie et autant la science est sur le banc des accusés. Le génocide et
ne respecte pas le droit international. en URSS. Les pays les plus affectés, proportionnel- ses 6 millions de victimes juives et tsiganes représen-
Les cinq membres permanents dis- lement à leur taille, sont la Serbie et la Pologne. En tent un autre traumatisme : il pose la question des
posent d’un droit de veto, procédure revanche, les États-Unis ont eu peu de pertes hu- valeurs collectives de l’humanité et met en évidence
par laquelle ils peuvent s’opposer à maines. La moitié des morts sont des civils, victimes la fragilité de la civilisation européenne. Comment a-
une décision, même si une majorité de bombardements, d’atrocités ou de génocides. t-on pu laisser Hitler mettre ses projets à exécution ?
se prononce pour celle-ci. Des millions d’Européens errent sur les routes  : À Nuremberg et à Tokyo, des tribunaux se chargent

6 Le monde de 1945 à nos jours


L’essentiel du cours

de punir les responsables


dates clés
des crimes contre l’hu- 27 janvier 1945
manité. Ceux qui ont Libération du camp d’Auschwitz.
collaboré avec les vain-
cus sont victimes d’épu- 4-11 février 1945
rations et, parfois, des Conférence de Yalta.
guerres civiles (comme en
Yougoslavie, en Grèce ou 30 avril 1945
en Chine) prolongent les Suicide d’Hitler.
souffrances des peuples.
26 juin 1945
De nouveaux Adoption de la charte des Nations
rapports de unies à San Francisco.
force
Les États-Unis sont les 8 mai 1945
premiers vainqueurs de Capitulation allemande.
la Seconde Guerre mon-
diale. Leurs pertes ont été 17 juillet 1945
moindres et ils se sont Accords de Potsdam sur le sort de
enrichis. Ils détiennent l’Allemagne.
désormais les deux tiers du stock d’or mondial, ce qui Les dirigeants Alliés à la conférence de Yalta. De gauche à
fait du dollar une monnaie de référence. La popularité droite : Churchill, Roosevelt et Staline. 6 août 1945
des États-Unis est immense dans les pays libérés par Bombardement atomique sur
l’armée américaine. Quoiqu’épuisée et ravagée, l’URSS La paix à reconstruire Hiroshima.
est également un grand vainqueur. L’Armée rouge Déjà avant la fin de la guerre, les Alliés ont réfléchi
jouit d’un immense prestige, y compris en Occi- à la manière de reconstruire un monde où la 8 août 1945
dent où les communistes obtiennent des succès diplomatie l’emporterait sur la guerre et où les Déclaration de guerre de l’URSS
électoraux : en France et en Italie, 30 % des électeurs peuples ne se refermeraient pas sur eux-mêmes. contre le Japon.
votent pour eux. Avec le soutien des Soviétiques, En juillet  1944, à Bretton Woods, 44  pays fondent
ils s’imposent dans les pays de l’Europe de l’Est. un nouveau système monétaire international, 9 août 1945
Le sort de l’Allemagne est réglé aux conférences de dont le dollar –  monnaie de la première puissance Bombardement atomique sur
Yalta (février 1945) et de Potsdam (juillet-août 1945). économique mondiale  – est le pivot. Un Fonds Nagasaki.
Ses conquêtes lui sont retirées, ainsi que l’Autriche monétaire international ( fmi ) est institué
et d’importants territoires situés à l’est du pays, qui pour prêter de l’argent aux pays en difficulté. 15 août 1945
sont donnés à la Pologne. L'Allemagne est découpée À la conférence de San Francisco (juin  1945), la sdn Condamnation à mort de Pétain
en quatre zones d’occupation (américaine, sovié- (Société des Nations), qui n’a pas réussi à éviter la pour haute trahison.
tique, britannique et française). Les vainqueurs se guerre, cède la place à l’onu (Organisation des Nations
lancent dans un programme de désarmement et unies). Celle-ci rassemble les principaux vainqueurs 2 septembre 1945
de dénazification : il s’agit de changer les esprits, de de la guerre. Composé de 11 États, dont cinq membres Capitulation japonaise.
faire des Allemands un peuple attaché à la démocra- permanents dotés d’un droit de veto (États-Unis, Chine,
tie. Mais les Alliés n’ont pas tous les mêmes objec- URSS, Grande-Bretagne et France), son Conseil de
tifs : les Français veulent affaiblir l’Allemagne le plus
possible, les Américains veulent faire triompher la
sécurité doit préserver la paix. Des institutions civiles
comme l’oms (Organisation mondiale de la santé), la fao
PERSONNAGES
démocratie et le libéralisme, les Soviétiques veulent
qu’une Allemagne socialiste renaisse des ruines
(organisation pour l’agriculture et l’alimentation) ou
l’unesco (organisation des Nations unies pour l’éducation,
CLÉS
du nazisme. la science et la culture) reçoivent pour mission de Winston Churchill
favoriser la coopération Premier ministre britannique
entre les peuples. pendant toute la durée de la
quatre articles du Monde à consulter Mais les deux Grands guerre, il incarne la résistance
(États-Unis et URSS) se à l’Allemagne nazie, mais aussi
• Nous sommes allés à Auschwitz parce que le mal n’est pas mort p. 9 méfient l’un de l’autre et la volonté de contenir l’impéria-
(Simone Veil et Hubert Falco, 28 janvier 2010.)
ne partagent pas la même lisme soviétique.
• Il y a quarante-cinq ans Yalta, le rêve et la réalité p. 10-11 vision du monde. Par
(André Fontaine, 4 février 1990.) ailleurs, de nouveaux foyers Franklin Roosevelt
de tensions apparaissent Président démocrate des États-
• Soudain, une lumière aveuglante brisa l'azur p. 12-13 dans les colonies. Unis, il disparaît le 12 avril 1945,
(lemonde.fr, 25 juillet 2005.) La fin de la Seconde Guerre avant la fin de la guerre. À Yalta,
mondiale suscite l’espoir il apparaît comme l’arbitre entre
• Il y a cinquante ans, les accords de Bretton Woods p. 13 d’un monde pacifié, mais Churchill et Staline.
(Jean-Pierre Tuquoi, 1er juillet 1994.) les sujets de discordes n’ont Il est l’un des principaux fonda-
pas disparu. teurs de l’onu.

Le monde de 1945 à nos jours 7


L’essentiel
Un sujet pas
du à
cours
pas

notions clés
Valeurs humanistes
Composition : bilan de la Seconde
L’humanisme est une pensée qui
met l’homme au centre des pré-
occupations. Il proclame l’égalité
Guerre mondiale et naissance
de droit entre tous les hommes, la
reconnaissance de la pluralité hu- d’une nouvelle organisation
maine, la liberté des idées et des
croyances, le rejet de toutes formes
de discriminations. La Déclaration
du monde (1944-1947)
universelle des droits de l’homme en
est l’expression moderne. nombreux défis sont à relever, et que de
nouveaux rapports de force se mettent
Existentialisme en place, avec la guerre froide en ligne
Doctrine fondée sur l’idée que de mire.
l’homme est libre et responsable
de ses actes.
Ce qu’il ne faut pas faire
génocide • Oublier de traiter un aspect du sujet
Assassinat systématique d'un (les mentalités ou l’économie,
peuple sans autre raison que la par exemple) ou une région
haine de ce peuple. Des génocides du monde (l’Asie ou les colonies).
ont eu lieu à toutes les époques, • Décrire des situations sans
mais le mot a été crée en 1945 à les relier entre elles.
propos de l'extermination des juifs
d'Europe, ou Shoah.
Le plan et les thèmes
Libre-échange Le plan thématique est conseillé.
Défendu par les tenants du libé- Dans un premier temps, on met en
ralisme, le principe consiste en évidence les situations démographiques
la libre circulation, par-delà les (les pertes humaines), psychologiques
frontières nationales, des produits (les traumatismes) et matérielles
(biens et services), des capitaux, de (les ruines liées à la guerre) des pays
la monnaie et des hommes. vainqueurs et vaincus.
Dans un deuxième temps, on montre les
Hégémonie atouts et faiblesses des grands vainqueurs
Situation de suprématie. Caractère (États-Unis, URSS). On évoque également
associé à une puissance qui est les cas des vaincus (Allemagne, Japon),
suffisamment dominatrice pour les puissances régionales (Chine) et la
imposer son ordre ou sa volonté. situation des colonies (revendications
d’indépendance). L’analyse sera complétée
Nationalisme de la présentation des nouvelles instances
Courant politique qui se donne Harry Dexter White (à gauche) et John Maynard Keynes en 1946. Ils furent internationales (comme l'onu).
pour but la défense ou la grandeur les deux protagonistes principaux de la conférence tenue à Bretton Woods. Un troisième temps peut être
d’une nation. Les moyens employés consacré aux défis économiques de la
peuvent être économiques, cultu- L’analyse du sujet reconstruction. Après avoir signifié les désordres
rels, diplomatiques ou belliqueux. Ce sujet invite à décrire la situation mondiale dans économiques issus de la guerre, on présente le
tous ses aspects (politique, militaire, économique, nouveau système économique organisé autour des
Empire colonial démographique…) afin de caractériser le monde au sor- États-Unis et du dollar (Bretton Woods). Puis on
Ensemble des territoires contrôlés tir de la guerre et de montrer comment il se réorganise. évoque le modèle soviétique qui s’instaure en Europe
par une puissance désignée par de l’Est, et les problèmes économiques des colonies
le terme métropole. Celle-ci im- La problématique dépendantes de métropoles qui n’ont plus les moyens
pose son ordre aux populations Il s’agit de définir le cadre de la période en indiquant de les entretenir.
indigènes et s’efforce d’exploiter que le monde sort bouleversé de la guerre, que de
les ressources du territoire. En 1945, Repères essentiels
la Grande-Bretagne et la France • Les puissances de l’Axe, principaux États vaincus  :
sont les deux grandes puissances SUJET TOMBé AU BAC SUR cE THèME Allemagne, Italie, Japon, Espagne (État non belligérant).
coloniales de plus en plus contes- • Les Alliés (Grande Alliance), principaux vain-
tées par les populations, qui re- • Composition  : Tableau du monde en 1945 queurs : États-Unis, Grande-Bretagne, France, Chine,
vendiquent leur droit à disposer (Asie, juin 2006) Canada, Australie, URSS.
d’elles-mêmes. • Principaux États neutres : Suisse, Suède.

8 Le monde de 1945 à nos jours


Les articles du

Nous sommes allés à Auschwitz parce que


le mal n’est pas mort
La mémoire de la Shoah doit être sans cesse ravivée dans nos consciences

M
ercredi 27 janvier, fondations de mémoire et de la témoignage symptomatique. fondements de notre nation. À titre
180  Français, parle- communauté éducative de pour- Qu’un nostalgique des temps bar- d’exemple, le concours national de la
mentaires, responsables suivre le devoir de mémoire avec bares ait pu dérober une telle en- Résistance et de la Déportation, que
des fondations et associations de les rescapés et après eux. seigne a fait rejaillir dans la com- le ministère de la Défense coorganise
mémoire, anciens déportés, en- Nous sommes allés à Auschwitz munauté des rescapés l’angoisse chaque année avec le ministère de
seignants et lycéens, journalistes ensemble parce qu’il s’agit aussi, de l’anéantissement. Les tentatives l’Éducation nationale, a suscité, en
étaient à nos côtés, en délégation pour nous Français, d’un haut lieu permanentes et rampantes de 2008-2009, la participation de plus
officielle à Auschwitz. tragique de la mémoire nationale. révisionnisme exigent de nous de 45 000 élèves sur le thème des en-
Pourquoi ? Pourquoi exposer en- Au cours des années noires, avec la constance et détermination. Nous fants et des adolescents dans l’univers
core une fois nos anciens au froid complicité active de l’État français nous y employons conjointement. concentrationnaire.
sibérien et aux souvenirs plus et malgré le dévouement des Justes, La France s’est engagée dans une Ensemble, nous multiplions les
glaçants encore ? Tout n’a-t-il pas 76  000  juifs ont été déportés de œuvre de longue haleine pour réalisations concrètes en faveur
été dit ? L’œuvre de transmission France – près de 69 000 l’ont été à protéger la mémoire de la déporta- de la mémoire. Le seul camp de
n’est-elle pas achevée ? Auschwitz. À leur arrivée, les enfants, tion, tant ce combat est lié à la pé- concentration situé en France, le
Non, croyons-nous. La mémoire et bien souvent leurs mères, étaient rennité de notre démocratie, tant camp de Natzweiler-Struthof, abrite
de la Shoah doit être sans cesse directement et systématiquement il exige une mobilisation collective ainsi le Centre européen du résis-
ravivée dans notre conscience na- gazés. Deux mille cinq cents juifs contre le racisme, l’antisémitisme tant déporté, conçu et financé par
tionale et dans la conscience uni- seulement sont revenus. C’est ce lien et toutes les formes d’intolérance. le ministère de la Défense. Au-delà
verselle des hommes comme la tragique qui explique l’engagement À travers ceux qui furent assassinés de ce site, une facette entière de
marque indélébile du Mal absolu. de la France pour la préservation des par les nazis, pour la seule raison l’histoire de la déportation fran-
Au cœur de l’intérêt général et du lieux où s’inscrit la mémoire des d’être nés, qu’ils soient juifs dans çaise est en train d’être redécou-
vivre ensemble, il y a le rejet des déportés. À Auschwitz, la France a leur grande majorité, mais aussi verte depuis quelques années : les
idéologies de la haine. Au-delà des financé, dès 1979, l’exposition du slaves ou tziganes, ou parce qu’ils camps d’internement du sud de la
discours, il faudrait que chaque pavillon français, puis sa complète s’étaient dressés contre la tyrannie France, véritables antichambres
citoyen aille une fois dans sa vie rénovation, en 2005. Elle participera nazie, résistants et politiques ou d’Auschwitz, font l’objet de projets
à Auschwitz, se taire et écouter fortement, par le biais de l’Union pour tous les motifs fallacieux muséographiques de grande am-
les survivants dire l’inhumanité. européenne, aux dépenses exigées de la barbarie et de l’intolérance, pleur. Le ministère de la Défense
Nous sommes allés à Auschwitz par l’indispensable restauration du comme l’homosexualité, à travers et la Fondation pour la mémoire
ensemble parce qu’en cinq camp, répondant ainsi à l’appel des eux, c’est l’humanité qui a failli de la Shoah coopèrent notam-
années, plus d’un million de autorités polonaises. disparaître à tout jamais. ment sur celui qui est en cours
femmes, d’hommes et d’enfants Nous sommes allés à Auschwitz Nous sommes allés à Auschwitz en- de réalisation au camp des Milles,
furent exterminés dans ce camp. parce que le mal n’est pas mort. semble, parce que nous travaillons près d’Aix-en-Provence. Ensemble,
Parce qu’il n’y eut sans doute ja- Le vol récent de l’inscription ensemble sur le terrain. Ensemble, nous n’oublierons jamais.
mais, dans l’histoire humaine, de Arbeit macht frei (« Le travail rend nous mettons en œuvre dans les
crime plus odieux que celui qui fut libre »), qui surplombait le portail collèges, les lycées, les musées la trans- Simone Veil, Hubert Falco
perpétré à Auschwitz et dans les d’entrée d’Auschwitz, en est un mission de la mémoire, qui est un des (28 janvier 2010)
camps de la mort. C’est pour cela
que ce camp est inscrit au Patrimoine
mondial de l’humanité par l’unesco et pourquoi encore dans la mémoire collective résistants, slaves, homosexuels…,
que l’onu a retenu la date du 27 janvier cet article ? témoigne de l’ampleur du choc ainsi que les handicapés  ; la com-
pour commémorer les victimes de subi à l’époque. Un bilan de la plicité du régime de Vichy dans le
la Shoah. S’il vaut pour le chapitre sur « Le guerre ne peut pas faire l’impasse cadre de la politique de collabora-
Nous sommes allés à Auschwitz monde en 1945 », cet article s’ins- sur un tel sujet. tion voulue par Pétain  ; le «  révi-
ensemble parce que le temps crit aussi dans le chapitre relatif Signé notamment par Simone Veil, sionnisme » qui sert à désigner un
presse. Malgré l’inlassable dé- à «  La France au lendemain de la survivante des camps, le témoignage mouvement apparu à la fin des an-
vouement des survivants, témoi- Seconde Guerre mondiale ». permet d’évoquer trois thèmes : les nées 1970, niant la politique d’exter-
gnant sans relâche auprès des À travers l’exemple d’Auschwitz-Bir- crimes contre l’humanité (notion née mination des juifs mise en œuvre
jeunes générations et auprès du kenau, il permet d’analyser le trau- à l’occasion du procès de Nuremberg), par Hitler. Il est plus proprement
grand public, le temps fait son matisme que connut l’humanité en dont il faut rappeler la définition désigné par le mot négationnisme,
œuvre, qui épuise les forces des 1945 lorsqu’elle découvrit l’horreur dans toute copie, et indiquer qu’ils qui justifie le « devoir de mémoire »,
plus vaillants et éclaircit les rangs des camps d’extermination nazis. ont touché plusieurs communautés auquel les auteurs du texte invitent
des plus anciens. Ce déplacement Que 65 ans plus tard, celle-ci pèse réprouvées par les nazis : tziganes, les lecteurs.
dit la volonté de l’État, des grandes

Le monde de 1945 à nos jours 9


Les articles du

Il y a quarante-cinq ans
A
ssis, de gauche à droite, trop exigeant : « J’ai comme l’im- le déferlement, qu’il redoutait, encerclé au préalable par l’armée
Winston Churchill, le pré- pression que tout ce qu’il désire, des Cosaques sur l’Europe, le Pre- soviétique, pour le sommer de
sident Roosevelt et Joseph confia-t-il un jour à l’ambassa- mier britannique pensait qu’une révoquer le Premier ministre Ra-
Staline. Au second plan, debout, deur William Bullitt, c’est assurer France forte ne serait pas de trop. descu, accusé tout simplement
également de gauche à droite : lord la sécurité de son pays. Je pense Car il nourrissait peu d’illusions de complot contre l’URSS, et de le
Leathers, ministre britannique des que si je lui donne tout ce qu’il sur Staline. Le premier soin de remplacer par un « compagnon
Transports de guerre (en seconde me sera possible de donner sans celui-ci, dès l’invasion de son pays, de route » du pc.
position)  ; Anthony Eden, secré- rien réclamer en échange, noblesse n’avait-il pas été de presser ses Churchill ne se doutait de rien,
taire au Foreign Office  ; Edward oblige, il ne tentera pas d’annexer nouveaux alliés d’entériner les qui, au même moment, livrait
Stettinius, secrétaire d’État améri- quoi que ce soit et travaillera à avantages territoriaux qu’il avait aux Communes ses impressions
cain ; Sir Alexander Cadogan, sous- bâtir un monde de démocratie et obtenus de Hitler ? de Yalta. «  Je ne connais pas de
secrétaire permanent britannique de paix. » « Noblesse oblige ! » On Pour tenter de limiter les dégâts gouvernement qui s’en tienne
aux affaires étrangères ; Viatches- n’est pas plus psychologue, concer- et avoir les mains libres en Grèce, plus fermement à ses promesses,
lav Molotov, ministre soviétique nant celui que Jean Laloy décrit Churchill avait conclu avec le fût-ce à son propre détriment,
des Affaires étrangères, et Averell comme un homme « totalement généralissime, en octobre  1944, n’hésitait-il pas à dire, que le gou-
Harriman, ambassadeur des États- désabusé qui continue, par férocité à Moscou, sur un méchant bout vernement soviétique russe.  »
Unis en URSS. De nos jours, les et par ruse, à accroître pouvoir, ter- de papier, un accord qui lui aban- Deux semaines plus tard, il par-
chefs d’État franchissent les océans ritoires, influence, domination, et donnait pratiquement la Rou- lera, dans une lettre à Roosevelt,
pour un oui ou pour un non. On a qui, au fond de lui-même, pressent manie et la Bulgarie, les deux «  d’un immense échec, d’un
de ce fait quelque peine à imaginer le vide, l’horreur ». compères se reconnaissant mu- écroulement complet de ce qui
que Roosevelt, Staline et Churchill C’est pourtant avec cet homme-là tuellement une influence à 50 % avait été convenu à Yalta ».
aient tenu, en tout et pour tout, que «  fdr  » va devoir mettre sur en Hongrie et en Yougoslavie. On touche ici le point essentiel. À
pendant la dernière guerre, alors pied la création d’une Organisa- Roosevelt, quant à lui, n’avait Yalta, les trois Grands ne se sont
qu’ils avaient tant de décisions tion des nations unies destinée cessé de requérir contre les zones pas partagé le monde : ils ont si-
capitales à arrêter en commun, à prendre la relève de la défunte d’influence, et Churchill s’était gné une série d’accords très géné-
deux de ces réunions qu’on a pris Société des Nations, mais dotée, bien gardé de lui rapporter noir raux, dont la plupart ont été vio-
maintenant l’habitude d’appeler pour être efficace, d’infiniment sur blanc les détails de son accord lés, et ont renvoyé aux experts,
des «  sommets  ». À Téhéran, à plus de pouvoir. Le Conseil de avec Staline. Plutôt qu’à des dis- ou à des réunions ultérieures,
l’automne  1943. Et à Yalta, du 4 sécurité, dont les grandes puis- cussions de marchands de tapis, faute d’avoir pu les résoudre, des
au 11 février 1945, il y a tout juste sances seront les membres il préférait faire confiance à la problèmes essentiels comme le
quarante-cinq ans. permanents, exercera collecti- déclaration sur l’Europe libérée sort de l’Allemagne ou celui de
Au moment où s’ouvrit la confé- vement la responsabilité de la sur laquelle les trois vainqueurs la Pologne.
rence, l’Allemagne nazie vivait ses paix sur cette Terre : d’où l’âpreté allaient s’entendre sans grand- Le monde a certes été partagé,
dernières semaines. Elle n’avait des discussions qui ont porté, à peine à Yalta. Ne se promet- mais suivant une loi non écrite.
plus d’allié européen, sauf l’éphé- Yalta, sur le droit de veto accordé taient-ils pas d’aider «  à former Il l’a été par deux événements
mère République de Mussolini, auxdits membres permanents. des gouvernements provisoires particulièrement «  incontour-
qui ne contrôlait que le nord de Dans un moment d’exceptionnel largement représentatifs de tous nables » : d’abord la progression
la Péninsule. On commençait à désintéressement, chacun des les éléments démocratiques qui de l’Armée rouge, qui occupait
se battre, à l’est comme à l’ouest, trois accepta de renoncer à s’en s’engageraient à établir le plus tôt déjà, au moment de Yalta, la
à l’intérieur de ses frontières de prévaloir dans les conflits où il possible, par des élections libres, Roumanie, la Bulgarie, la quasi-
1937. Il était plus que temps, pour serait partie : inutile de dire que des gouvernements correspon- totalité de la Pologne, des pays
les chefs de la coalition antihitlé- deux ans plus tard cet engage- dant à la volonté des peuples » ? baltes et de la Prusse orientale,
rienne, d’essayer de s’entendre sur ment était tombé en désuétude. L’échec « Gouvernements repré- les deux tiers de la Hongrie et
ce que serait l’après-guerre. En fin de compte, le principal ré- sentatifs… démocratie… élections de la Yougoslavie, l’est de la
sultat concret de toutes ces passes libres » : ces mots n’avaient pas le Tchécoslovaquie, une partie
Noblesse oblige ! d’armes aura été l’attribution à même sens suivant qu’ils étaient importante de la Silésie et de la
Roosevelt entendait réussir là la France – en même temps qu’à employés par Staline ou par les Poméranie. Comment aurait-on
où son prédécesseur, Woodrow la Chine – d’un siège permanent Anglo-Saxons. Six jours, pas un pu convaincre Staline de la faire
Wilson, avait échoué après la Pre- au Conseil. Elle ne l’aurait jamais de plus, après la publication de reculer ? Ensuite, en août suivant,
mière Guerre mondiale, et rester obtenu si Churchill n’avait pas cette rassurante proclamation Hiroshima, qui a donné aux Amé-
dans l’histoire comme le bâtis- plaidé son dossier avec beaucoup d’intentions, le terrible Vy- ricains les moyens d’oublier la pro-
seur de la paix, l’arbitre entre les d’énergie. chinski, ancien procureur des messe faite par Roosevelt de retirer
Anglais «  qui pensent empire  » Roosevelt ne cachait pas son in- procès de Moscou, devenu vice- rapidement ses troupes d’Europe, ce
et les Russes «  qui pensent com- tention de retirer les « boys » dans ministre des Affaires étrangères, dont Khrouchtchev devait s’inquié-
munisme  ». Il n’allait donc pas, un délai de deux ans après la ca- se rendait chez le roi Michel de ter auprès de Kennedy lorsqu’il le
vis-à-vis de Staline, se montrer pitulation du Reich. Pour contenir Roumanie, dont le palais avait été rencontra à Vienne, en 1961.

10 Le monde de 1945 à nos jours


Les articles du

Yalta, le rêve et la réalité


Hiroshima a eu un autre effet  : démembrer  : Staline rappela était pour lui une question d’hon- ex-Stettin, dans ses frontières.
faire du seul partage qui ait été que Roosevelt avait suggéré de neur et de sécurité  ». Roosevelt « Ne gavez pas l’oie polonaise de
conclu à Yalta, celui des dépouilles partager le pays en cinq États s’interposa, et l’on s’entendit pour nourriture allemande au point
de l’empire nippon, un parfait autonomes, le canal de Kiel, la Ruhr « réorganiser [le comité de Lublin] de la faire crever d’indigestion »,
marché de dupes. Les États-Unis, et la Sarre étant internationalisés suivant des bases démocratiques avait pourtant dit Churchill. Mais
craignant que le conflit avec le sous le contrôle de l’onu, tandis plus étendues, avec l’inclusion « Oncle Joe » savait ce qu’il faisait :
Japon ne dure longtemps encore, que Churchill s’était montré des chefs démocrates se trou- il voulait empêcher la Pologne et
voulaient être sûrs qu’une fois le favorable à la constitution d’une vant à l’étranger  ». On promit l’Allemagne de se raccommoder
Reich à terre les Soviétiques se fédération austro-bavaroise et au au président des États-Unis de contre lui.
joindraient à eux. Staline s’enga- détachement de la Westphalie et tenir des élections dans un délai Le bilan est bien mince en fin
gea sans difficulté à déclarer la de la Ruhr de la Prusse. d’un mois. « Je veux qu’elles soient de compte. Mais l’approche de
guerre à Tokyo dans les trois mois Il est temps, dit-il, de prendre une comme la femme de César, qu’elles la victoire, les belles paroles
qui suivraient la capitulation du décision. Mais on n’en prit aucune, ne puissent être soupçonnées  », au cours des banquets, avaient
Reich, mais il y mit des condi- sinon celle de constituer un comité avait déclaré ce dernier. créé, à la fin de la conférence,
tions, en l’espèce « la restauration de démembrement. Words, words ! C’est son successeur, une incroyable euphorie : « Nous
des droits de la Russie violés par Celui-ci avait cessé de fonctionner Harry Truman, qui porte la étions absolument certains, devait
la traitresse attaque du Japon  » lorsque, le lendemain de la victoire responsabilité d’avoir accepté, déclarer Harry Hopkins, le très
(1904). Autrement dit, la resti- et sans avoir consulté personne, quelques mois plus tard, l’essentiel proche collaborateur de Roosevelt,
tution du sud de Sakhaline, de « Oncle Joe » déclara que « l’URSS des exigences du généralissime, d’avoir gagné la première victoire
Port-Arthur, de Dairen, du chemin n’avait pas l’intention de démem- lequel avait déjà obtenu à Yalta de la paix et, par nous, j’entends
de fer de Mandchourie. brer ou de détruire l’Allemagne ». la confirmation du tracé de la nous tous, tous les peuples
Les Soviétiques intervinrent On n’en parlera donc plus et l’on frontière orientale de la Pologne, civilisés de la race humaine.  »
bien, le 8  août, dans la guerre s’entendra à Potsdam, au mois sur lequel il s’était entendu, en C’était le 11 février 1945. Trois mois
contre le Japon. Mais Hiroshima d’août, pour reconstituer des 1939-1940, avec Hitler. Quant plus tard, Churchill constatait,
avait subi, quarante-huit heures «  départements administratifs à la frontière occidentale, il fut dans une lettre à Truman, devenu
plus tôt, le baptême atomique. centraux  » pour l’ensemble de admis qu’elle serait située sur entre-temps président des États-
Du coup, les soldats rouges arri- l’Allemagne. En partie du fait de la l’Oder et la Neisse. Mais sur quelle Unis, l’existence du «  rideau de
vaient comme les carabiniers. Et France, ils ne verront jamais le jour. Neisse, puisqu’il y en a deux  ? fer ». Du rideau de fer à la guerre
Staline n’avait plus les moyens de Autre problème dont il fut question La question n’a pas été tranchée froide, la distance était brève…
réclamer une zone d’occupation à Yalta à propos de l’Allemagne  : à Yalta. La Pologne communiste
du type de celles que les vain- les réparations. L’URSS réclamait l’a réglée en incorporant un André Fontaine
queurs s’étaient attribuées en 20 milliards de dollars, dont la moi- beau matin la ville de Szczecin, (4 février 1990)
Allemagne et en Autriche. tié pour elle. C’était énorme. Chur-
chill répondit que si l’on voulait
L’Allemagne et faire tirer sa voiture par un cheval, pourquoi qui sera occupée en quatre zones
la Pologne il fallait lui donner un minimum cet article ? confiées aux vainqueurs ; l’aide
Pour ces deux pays, le tracé des de foin. Le chiffre avancé par les So- Dans cet article, l'auteur com- de l’URSS aux États-Unis dans la
zones avait été arrêté à Londres, viétiques n’en fut pas moins adopté mence par identifier les personna- guerre que ceux-ci mènent contre
quelques mois plus tôt, par un comme « base de discussion ». lités présentes à Yalta. Une bonne le Japon ; le sort de l’Europe de l’Est
comité d’experts. Il fut entériné à Si étrange que cela puisse paraître, synthèse est proposée pour révi- et la promesse d’élections libres.
Yalta sans discussion. Comme pour on parla cependant infiniment ser une partie du cours sur « Le Ce quatrième point conduit l’au-
le siège permanent au Conseil de moins à Yalta de l’Allemagne que monde en 1945 » et se préparer à teur à souligner que pour Staline
sécurité, Churchill dut se battre de la Pologne. Il faut dire que deux répondre aux questions dans le et ses interlocuteurs, certains
pour obtenir des zones pour la gouvernements se la disputaient. cadre d’une étude de document mots (démocratie, élections…)
France. Roosevelt, puis Staline, au L’un, installé à Londres, héritier historique portant sur Yalta. n’avaient pas le même sens.
milieu de diverses aménités pour de celui d’avant-guerre. L’autre, Les sujets traités lors de la confé- Cette différence permet d’ex-
notre pays et pour de Gaulle, firent établi à Lublin, en Pologne libérée, rence de Yalta se distribuent pliquer les malentendus ou les
savoir qu’ils ne s’inclinaient que par dont l’URSS tirait les ficelles. Chur- autour de quatre thèmes princi- concessions faites. La principale
« pure bonté ». chill ayant réclamé des « élections paux : le fonctionnement de l’onu différence entre l’Est et l’Ouest
La grande préoccupation des générales et libres [...], un gou- avec la mise en œuvre du droit de réside ici dans l’acception ou
«  trois  » de Yalta, c’était, bien vernement [...] qui pourrait être veto, mais surtout la reconnais- non du pluralisme politique, le
entendu, d’abord de gagner la reconnu par tous les Polonais  », sance, à l’instigation de Churchill modèle de la « démocratie popu-
guerre. Et, ensuite, de mettre Staline répondit sur un ton sans qui craignait l’impérialisme so- laire » étant le Parti unique alors
durablement l’Allemagne hors réplique que le comité de Lublin viétique, de la France comme État que la « démocratie libérale » est
d’état de nuire. Dans ce but, on était « aussi démocratique que de vainqueur ; le sort de l’Allemagne au moins bipartite.
avait déjà parlé, à Téhéran, de la Gaulle et que sa reconnaissance

Le monde de 1945 à nos jours 11


Les articles du

Soudain, une lumière aveuglante


brisa l’azur
La radio venait d'annoncer, de source militaire, l'approche de trois B-29 américains. Quelque
70 000 personnes périrent sur le coup et 70 000 autres dans les mois qui suivirent.
Le temps était clair et la journée Il y avait bien eu une alerte aé-
s'annonçait radieuse. Au petit rienne ce 6 août à 0 h 25, mais, pourquoi cet article ?
matin du 6 août 1945, les habi- une fois encore, sans suite. Nou- arme pourrait précipiter la fin du
tants d'Hiroshima s'apprêtaient velle alerte à 7 h 09, levée à son Cet article permet d’évaluer le conflit et épargner des vies. C’est
à vaquer à leurs occupations tour à 7  h  31. Il était 8  heures, traumatisme vécu par les Ja- le paradoxe d’Hiroshima.
habituelles, ponctuées d'alertes et les habitants d'Hiroshima ponais et, au-delà des victimes, Sur le plan des faits, le texte per-
aériennes et d'exercices d'auto- étaient au travail, les uns à leurs par l’humanité, à l’occasion met de cerner la valeur de la cible
défense. Depuis 1873, cette ville bureaux, les autres dans leurs du premier bombardement militaire : Hiroshima, ville straté-
de Honshu, la principale île de usines ou leurs magasins. 8 400 nucléaire de l’histoire. Par le gique ; la violence de l’explosion
l'archipel nippon, se glorifiait adolescents, environ, partici- rappel des faits, il illustre aussi et le contraste avec l’insouciance
de son statut de place forte mi- paient au centre-ville aux tra- la violence de la guerre et les apparente de la population  ; le
litaire, terrestre et maritime. vaux de démolition. Les enfants problématiques tant militaires bilan humain, considérable en
En 1943, au lendemain de la qui n'avaient pas été évacués que politiques qui se sont po- soi, mais pas plus que le bombar-
cuisante défaite de Guadalcanal jouaient sur les pelouses, au sées aux dirigeants américains, dement conventionnel de Tokyo
face aux Américains, le second soleil. Ce furent les derniers Truman tout particulièrement. ou de Dresde.
grand quartier général nippon instants avant l'apocalypse. Il permet de définir le contexte L’émotion que provoque la lec-
y avait été établi, l'autre se La radio venait d'annoncer, de militaire du 6 août : une guerre ture de ce texte permet d’imagi-
trouvant à Tokyo. Tout sem- source militaire, l'approche du Pacifique inachevée qui peut ner le choc des contemporains
blait donc désigner Hiroshima de trois B-29 américains. Des encore durer longtemps, tant devant la capacité de destruction
comme une cible, spécialement yeux se levèrent pour aper- la détermination japonaise est que possède la bombe atomique
en cet été 1945, même si la ville cevoir quelques points noirs forte et les conditions de débar- et d’expliquer les mouvements
avait été épargnée jusque-là. minuscules très haut dans le quement et invasion de l’archipel pacifistes de la seconde moitié
Quatre ans après l'attaque sur- ciel. Les habitants d'Hiroshima compliquées. Utiliser la nouvelle du xxe siècle.
prise contre la flotte américaine en avaient repéré d'autres ces
basée à Pearl Harbor, la guerre derniers temps, et bien peu s'in-
du Pacifique faisait encore rage. quiétèrent. Puis, à 8  h  15 très flammes, tomba rapidement et Les habitants d'Hiroshima
Les victimes se comptaient par exactement, une lumière aveu- éclata [...] au-dessus de la ville. ignorèrent sur le moment qu'ils
dizaines de milliers de part et glante brisa l'azur. La bombe La violence de cette seconde venaient d'être victimes de la
d'autre et, si la victoire des États- venait d'éclater, à 580 mètres explosion fut indescriptible. première bombe atomique.
Unis était en vue, le Japon im- au-dessus de la ville, à l'aplomb, Dans toutes les directions Le 7  août, un communiqué
périal résistait farouchement. exactement, de l'hôpital Shima, jaillirent des flammes bleu et de l'état-major général japo-
Maillon stratégique de l'ultime non loin de l'objectif visé. rouge. Tout de suite, après un nais se contenta d'expliquer
rempart nippon, Hiroshima re- coup de tonnerre effroyable, qu'Hiroshima avait été la cible
doutait le pire. Connaîtrait-elle Un flot gazeux des ondes de chaleur insuppor- d'une attaque particulièrement
le sort de Tokyo, où, au mois de La cible des Américains était table s'abattirent sur la ville, meurtrière et que l'ennemi sem-
mars, 1 667 tonnes de bombes le pont Aioi. Ils la manquèrent anéantissant tout. Tout ce qui blait « avoir utilisé un nouveau
lâchées par 279 avions de l'US de peu. Situé à 300 mètres au pouvait brûler brûla. Les parties type de bombe ». Le communi-
Air Force avaient fait en une sud-est de l'hôpital, ce pont en métalliques fondirent [...] Puis qué ajoutait que des investiga-
seule nuit 83  600 victimes  ? forme de T était, et est encore une gigantesque montagne de tions étaient en cours. Quatre
Par mesure de précaution, un aujourd'hui, l'un des princi- nuages se mit à tourner dans le cents habitants seulement se
grand nombre d'habitants, spé- paux carrefours de la ville. L'un ciel. Au centre même où eut lieu trouvaient dans des abris au
cialement parmi les élèves et les des témoins oculaires, le Père l'explosion, apparut un globe moment de l'explosion, sur les
étudiants, avaient été évacués. Pedro Arrupe, qui fut plus tard d'aspect terrifiant et, avec lui, quelque 350  000 personnes
Mais beaucoup de jeunes gens supérieur général des jésuites, un flot gazeux, se déplaçant à présentes à Hiroshima ce jour-
étaient restés sur place. Chaque raconte  : «  Le bruit fut léger 800 km/h, balayant tout ce qu'il là. Bien que ces chiffres, en rai-
matin, ils se joignaient aux vo- mais un éclair l'accompagna  ; rencontra dans un rayon de 6 son des désordres de la guerre,
lontaires pour des travaux de il nous fit l'effet d'un éclair de kilomètres. Enfin, dix minutes soient encore sujets à discus-
démolition destinés à servir de magnésium. Pendant quelques plus tard, une espèce de pluie sion, on estime généralement
pare-feu en cas de bombarde- instants, quelque chose, noire tomba sur le nord-ouest que le nombre de personnes
ments. suivi d'une rouge colonne de de la ville. » ayant péri immédiatement se

12 Le monde de 1945 à nos jours


Les articles du

situe entre 70 000 et 80 000. à 140  000 avec une marge japonais au travail forcé (ils parmi les morts et un petit
Beaucoup moururent dans d'erreur de plus ou moins étaient peut-être 50  000 nombre de prisonniers de
les mois qui suivirent l'explo- 10  000. Parmi eux figurent retenus à Hiroshima). Des guerre américains.
sion, ce qui porte le nombre un grand nombre de Coréens étudiants originaires de
total de personnes décédées assujettis par leur conquérant pays d'Asie comptent aussi (25 juillet 2005)

Il y a cinquante ans,
les accords de Bretton Woods
O bscure station clima-
tique située à 150  kilo-
mètres au nord-ouest
de Boston sur un petit affluent
de la rivière Connecticut, dans
ne pas risquer de les voir renaître
un jour, de nouvelles règles du
jeu s’imposent.
Mais la conférence de Bretton
Woods consacre également la
bancor, la monnaie dont il pré-
conise la création, ne serait pas
rattaché à l’or. Et aucune mon-
naie nationale ne bénéficierait
cords et le gardien de l’ortho-
doxie monétaire. Quant à la
Banque internationale pour la
reconstruction et le dévelop-
pement (bird), désormais appe-
d’un quelconque privilège par
un cirque de collines boisées, prééminence américaine. Le rapport à lui. lée Banque mondiale, née la
Bretton Woods accueille, ce charisme de M. Keynes, sa com- Les États-Unis n’accepteront pas même année, elle ne tardera
1er  juillet  1944, les experts de pétence, ne peuvent faire ou- que le dollar –  une des rares pas à s’orienter vers le déve-
quarante-cinq pays venus jeter blier que les États-Unis mènent monnaies encore convertibles loppement du tiers-monde. Un
les bases de la coopération mo- la danse. Sur le fond, les deux en or – ne soit pas au centre du troisième organisme devait
nétaire internationale à mettre délégations sont certes d’accord futur système. Ils obtiendront en principe voir le jour dans
en œuvre une fois la guerre pour mettre sur pied un sys- gain de cause. Si le code de la foulée, une «  organisation
contre les puissances de l’Axe tème de change fixe, et pour la bonne conduite issu de Bretton internationale du commerce ».
terminée. Côté français, la dé- création d’un organisme inter- Woods prévoit un retour à l’or En fait, sa naissance ne devrait
légation, forte de six personnes, national qui viendra épauler les comme étalon, le billet vert se intervenir qu’en 1995, un de-
est conduite par Pierre Men- pays à la balance des paiements voit confirmé dans son rôle hé- mi-siècle plus tard que prévu.
dès France, commissaire aux déficitaire de façon à éviter une gémonique. Le dollar devient Entre-temps, les accords de
finances du gouvernement pro- guerre des dévaluations. as good as gold (« aussi bon que Bretton Woods ont, eux, volé en
visoire d’Alger. Mais elle pèsera Le désaccord porte sur la ma- l’or  »), de sorte que les parités éclats avec la décision des États-
peu face aux deux poids lourds nière de défendre le système des différentes monnaies sont Unis, prise en 1971, de suspendre
de la conférence : les États-Unis, des parités fixes. Keynes est fixées par rapport à l’or ou au la convertibilité du dollar en or
avec à leur tête Harry Dexter partisan de mettre en place dollar – avec une marge de fluc- à un prix fixe.
White, sous-secrétaire au Trésor, une banque mondiale, à charge tuation très réduite.
et la Grande-Bretagne, dont la pour elle de créer les liquidités Créé à l’issue de la conférence, Jean-Pierre Tuquoi
délégation est dirigée par l’éco- internationales nécessaires. Le le fmi sera le garant de ces ac- (1er juillet 1994)
nomiste John Maynard Keynes.
Le système monétaire issu de
la conférence de Bretton Woods pourquoi naies : la valeur des monnaies les unes par rapport
(elle s’achève le 22 juillet 1944) cet article ? aux autres ne change pas. Le dollar ou l’or sont les
sera la résultante de deux forces, Cet article présente le cadre économique dans le- références qui permettent de fixer ces parités et
« celle de la mémoire et celle de quel s’installe le futur bloc de l’Ouest, celui des d’établir une « concurrence loyale », chacun étant
la puissance  », écrit l’universi- démocraties libérales. Il doit aider à comprendre les en mesure de comparer les prix.
taire Jacques Marseille. rapports de force qui s’établissent au lendemain de La solidarité entre les États est mise en place grâce au
La mémoire, car tous les par- la guerre entre les États-Unis et leurs alliés ; il renvoie fmi, un fonds qui a pour mission de prêter de l’argent
ticipants à la conférence sont également à quelques notions que les élèves de aux pays en difficultés budgétaires.
convaincus que la crise des an- section L ou S dont l’économie n’est pas la spécialité L’article évoque rapidement les limites de cette réor-
nées  1930 et le conflit mondial ne maîtrisent pas toujours bien. ganisation en rappelant la fin du système survenue
qui a suivi résultent des relations Le but des accords de Bretton Woods est de favoriser en 1971 et la mise en œuvre très tardive (en 1995) de
économiques désordonnées de la reprise des échanges commerciaux, d’aider à la l’omc, alors envisagée.
l’entre-deux-guerres. La non- reconstruction et de favoriser le développement. Il Le système établi en 1944 témoigne de la domina-
convertibilité des monnaies, s’agit d’éviter le « chacun pour soi » qui avait aggravé tion américaine au lendemain de la guerre, une
les dévaluations à répétition, le dans les années 1930 les effets de la crise économique. puissance économique qui donne aux États-Unis
protectionnisme commercial, Le Gold Exchange Standard établit la parité des mon- le leadership au sein du futur bloc de l’Ouest.
ont fait le lit des dictatures. Pour

Le monde de 1945 à nos jours 13


L’essentiel du cours

Mots clés
Croissance
De la société industrielle
et développement
La croissance évalue par le pib (pro-
duit intérieur brut) l’augmentation
à la société de consommation
A
de la richesse. Quantitative (elle se
calcule en dollars), elle se distin- u lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les pays industriels
gue du développement qui mesure se reconstruisent. Ils connaissent une nouvelle ère de dévelop-
par l’idh (indice de développement
humain) les transformations éco-
pement caractérisée par l’importance des communications.
nomiques, techniques, sociales et
culturelles améliorant les condi- La reconstruction des sociétés croissance. La généralisation du fordisme engendre
tions de vie des populations. industrielles des gains de productivité, tandis que les États redis-
De 1945 à 1970, les pays industrialisés connaissent tribuent les richesses par de généreuses politiques
Chocs pétroliers une croissance économique forte (5 % en moyenne). sociales. La libéralisation des échanges (accords du
Hausses brutales du prix du pé- Si le phénomène y est moins frappant, les pays gatt de 1947) et la mise en place de communautés
trole. Le monde en a connu en 1973, communistes font aussi état de bons résultats. Dans le économiques (la cee en 1957) stimulent l’activité.
1979 et 2008. Ils peuvent être dus à tiers-monde, quelques pays (Corée du Sud, Taïwan) en- Les sociétés s’en trouvent transformées. Le niveau de
la hausse de la demande, comme trent en phase de « décollage industriel ». Les records vie augmente, les ménages s’équipent de produits
en 2008 avec celle des pays émer- de croissance s’accompagnent de développement : (électroménager, automobile) qui améliorent leur
gents (Chine, Inde). En 1973, elle fut les pays s’équipent d’infrastructures qui améliorent confort. Une société de consommation proposant
décidée par les pays exportateurs les conditions de vie. Le reste du monde ne reste pas abondance de biens et de services se met en place.
pour compenser leurs pertes liées à l’écart du processus  : dans les pays pauvres, les Les familles font beaucoup d’enfants (baby-boom),
à la dévaluation du dollar (1971) et populations consomment des produits industriels ; entretenant une demande économique forte.
financer la guerre du Kippour. La l’économie est orientée vers la fourniture des ma-
révolution en Iran et la guerre Iran- tières premières aux pays les plus développés ; pour La mutation des sociétés
Irak provoquèrent celui de 1979 par répondre à la pénurie de main-d’œuvre, d’importants sur fond de crise
la réduction de l’offre. flux migratoires transfèrent les populations du Sud Mais cette réussite finit par s’essouffler. Dès la fin
(Algérie, Turquie, Mexique) vers le monde industria- des années  1970, la croissance ralentit. Les chocs
Convertibilité lisé (France, Allemagne, États-Unis). Le monde entier pétroliers de 1973 et 1979 provoquent une hausse
du dollar en or est bien entré dans l’âge industriel. du prix de l’énergie qui crée de l’inflation et freine la
Un système monétaire international L’apparition de nouveaux matériaux, l’abondance consommation. Dans le même temps, la concurrence
(smi) est l’ensemble des mécanismes d’énergie bon marché (le pétrole) et le développe- des nouveaux pays industriels (npi) rend la conquête
qui régissent les échanges de mon- ment de nouvelles activités (électronique, aéro- des marchés plus difficile. Affectés par leurs déficits,
naies. Il se caractérise par trois élé- nautique, informatique…) sont les moteurs de la les Américains suspendent la convertibilité du dollar
ments : un système de change qui
définit la valeur des monnaies, des
moyens de paiement internationaux
et un étalon qui sert d’unité de me-
sure entre les monnaies. Le système
établi en 1944 à Bretton Woods fixait
toutes les monnaies par rapport au
dollar, seule devise convertible en
or (à raison de 35 dollars l’once d’or).

Conteneurisation et
transport multimodal
Le conteneur est un caisson métal-
lique de dimension standard. Adap-
té à tous les modes de transport
(train, camion, bateau), il facilite le
transfert des marchandises de l’un
à l’autre en réduisant les opérations
de manutention.

Tertiarisation
Caractérise le moment où la ma-
jorité des actifs d’un pays sont
issus du secteur tertiaire, celui des
services. C’est généralement une
marque de modernisation.

14 Le monde de 1945 à nos jours


L’essentiel du cours

en or (1971), mesure qui déstabilise le


système monétaire international.
dates clés
Mises en difficulté, les entreprises 1945-1950
licencient au moment où arrivent Période de reconstruction.
sur le marché de l’emploi les
enfants du baby-boom. 1947
Les difficultés génèrent Accords du gatt (pour la libéra-
des conflits sociaux lisation des échanges) et plan
(celui des mineurs Marshall.
britanniques contre
le gouvernement de 1949
Mme Thatcher dans les Création du Comecon (harmonisa-
années  1980) et des tion des économies communistes).
alternances politiques
(socialiste en France 1950
en 1981). Création de la ceca (Communauté
Toutefois, si elle est européenne du charbon et de
faible, la croissance l’acier).
est toujours là et de
nombreux secteurs 1950-1973
d’activités (industries de Période des Trente Glorieuses  :
pointes, services) restent prospères. Le pouvoir d’achat s’implante partout et les médias deviennent ca- prospérité et baby-boom.
progresse et les ménages consomment. Il n’y a pas de pables de diffuser leurs programmes dans tous les
pénurie, l’inflation reste sous contrôle et le chômage pays. Produit d’importance stratégique, l’infor- 1957
est contenu à moins de 10 % de la population active. mation bénéficie de véritables «  autoroutes  » qui Traité de Rome (création de la cee).
Le système économique n’est pas remis en cause ; les achèvent la mutation des sociétés, dont la majeure
économistes préconisent seulement des restructura- partie des actifs (70 %) travaille désormais dans les 1968
tions pour adapter le capitalisme à un nouvel environ- services (tertiarisation). Création du Marché commun
nement international. Aux États-Unis et en Grande- Les délocalisations font naître une nouvelle division en Europe.
Bretagne, des politiques néolibérales (démantèlement internationale du travail à l’échelle de la planète.
de l’État-providence, déréglementation, allégement Chaque pays se spécialise comme « atelier », « finan- 1971
de la fiscalité) sont mises en œuvre. La communauté cier », « concepteur » ou « fournisseur de matière Fin du système monétaire inter-
européenne libéralise les échanges en son sein (Acte première ». L’interdépendance des pays s’accentue, national de Bretton Woods.
Unique de 1986) et les entreprises délocalisent leurs ac- créant une concurrence que tentent d’organiser les
tivités. Au début des années 1990, la croissance repart à instances internationales (omc, G7, G20). Quelques 1973-1985
la hausse. pays, les moins avancés (pma), restent exclus. Crise (chocs pétroliers, essouf-
Dans ce contexte, les comportements des populations flement du modèle soviétique).
L’avènement des sociétés se rapprochent. Certains modes de consommation
de communication s’uniformisent sur le modèle américain. Assimilée 1973
Ce sont désormais les services qui tirent l’économie à un impérialisme culturel, le processus suscite Premier choc pétrolier.
des pays les plus développés, au sens où ce sont des réactions hostiles  : replis identitaires, voire
eux qui occupent la majorité des actifs (70  % de fondamentalistes d’une part, développement de 1979
la population active des États en moyenne), qui discours alternatifs (altermondialisme) d’autre part. Second choc pétrolier. Mme Thatcher
rapportent le plus d’argent et qui concentrent le Mais ces réactions s’inscrivent dans le mouvement devient Premier ministre en
plus d’innovations, notamment d’un point de vue qu’elles dénoncent  : celui de l’affirmation d’une Grande-Bretagne.
technique. Les sociétés occidentales sont devenues société planétaire au sein de laquelle s’expriment des
des sociétés de services, même si elles dominent opinions contradictoires. 1980-2000
toujours les secteurs industriels de Réformes et reprise économique.
pointe et les nouvelles technologies,
les plus rentables. Dans ce contexte, Trois articles du Monde à consulter 1981
les communications connaissent Alternance socialiste en France ;
une révolution : les trains roulent à • Le rapport Théry sur les autoroutes de l’information élection de Reagan aux États-Unis.
grande vitesse, les navires décuplent « Permettre l’accès de tous à la connaissance » p. 17
leurs capacités, l’avion se banalise ; la (Yves Mamou, 23 octobre 1994.) 1993
conteneurisation et l’avènement du Création de l’Union européenne
transport multimodal dynamisent • Le pétrole, de choc en choc p. 17-18 et de l’Alena.
les échanges. (Philippe Chalmin, 27 novembre 2007.)
L’essor des télécommunications 1994
bouleverse aussi la donne écono- • La courbe de Phillips p. 19 Naissance de l’omc.
mique. En 1993, le réseau Internet (Jean-Marc Daniel, 8 mars 2005.)
s’ouvre au grand public ; à la même 2008
époque, la téléphonie cellulaire Crise financière mondiale.

Le monde de 1945 à nos jours 15


Un sujet pas à pas

notions clés
« Autoroutes 
Composition : de la société industrielle
de l’information »
Infrastructures capables de transpor-
à la société de communication
ter avec une large capacité de débit
tout service multimédia, à l’aide
d’une technologie unifiée et la plus
universelle possible. Cela correspond
aujourd’hui aux réseaux de télécom-
munications (téléphonie, Internet).

Délocalisation
Opération consistant à déplacer
activités et emplois au profit d’un
pays dont les avantages comparatifs
(salaires, charges) sont supérieurs.

Dépression
Crise économique caractérisée par L’analyse du sujet
une diminution durable de la pro- Il s’agit de décrire le passage d’un type de société fon- Ce qu’il ne faut pas faire
duction et de la consommation. Elle dée sur le secteur secondaire à une autre dominée par • Faire des tableaux successifs sans les relier
est à distinguer d’une récession qui le tertiaire, dans laquelle la diffusion de l’information entre eux : chaque période est déterminée par
est une crise passagère. est primordiale. les problèmes issus de la précédente.
• Réduire chaque période à sa caractéristique
État-providence La problématique principale : la société industrielle à l’industrie
État qui joue un rôle actif au niveau La question est de savoir comment les mutations (et ignorer les autres secteurs), la société
économique, et en particulier dans sont vécues, si elles provoquent des crises ou des de communication à la seule communication
le domaine social. Il tend le plus sou- tensions. En quoi le passage entre ces deux types de (l’industrie ne disparaît pas).
vent à redistribuer les richesses par la sociétés est-il difficile ?
fiscalité. La redistribution se fait sous
formes d’allocations (chômage, loge- Le plan et les thèmes 1990-2010
ment, éducation) ou de subventions Étant donné qu’il faut mettre en évidence une évo- Dans cette troisième période, on expose les carac-
(aides aux entreprises). lution et la définir, le plan chronologique s’impose. téristiques nouvelles des sociétés  : le triomphe des
Trois périodes distinctes sont à présenter. communications rapides et faciles, le renforcement
Firmes multinationales de l’interdépendance des nations dans le cadre de la
Entreprises qui contrôlent des uni- 1945-1973 : la période des Trente Glorieuses mondialisation, puis l’uniformisation (américanisation)
tés de production localisées dans Il s’agit de décrire en quoi ces années sont prospères qui s’affirme – provoquant elle-même des réactions de
plusieurs pays. (croissance forte, développement), puis de l’expli- rejets (altermondialisme et fondamentalisme).
quer (reconstruction, aide américaine, innovations,
Fondamentalisme fordisme, encadrement, dynamiques de l’État- Repères essentiels
Souci de revenir aux fondements providence) et d’évaluer les conséquences (plein • Croissance et développement  : la croissance éva-
de sa religion, à ses origines. emploi, baby-boom, abondance et consommation). lue l’augmentation de la richesse produite, alors que
le développement mesure le niveau d’amélioration
Planification 1973-1990 des conditions de vie en ce qui concerne le travail,
Une économie planifiée est une Précipitées par la crise pétrolière, ces années sont la santé, l’éducation.
économie dont le développement, celles où se font réformes et mutations – souvent • Mondialisation  : elle peut se définir comme un
au lieu d’être abandonné au libre difficiles à vivre pour les populations. On met cette processus de constitution d’un marché universel.
jeu du marché, est organisé par réalité en évidence en évoquant le ralentissement de Les espaces économiques nationaux laissent place à
l’État. On distingue la planification la croissance, puis le passage à la société de services un espace mondial intégré ; c’est l’image du « village
impérative des systèmes commu- (tertiarisation) qui en découle. planétaire », l’idée d’un « système monde ».
nistes, de la planification incitative
(France) qui conseille et aide les
entrepreneurs sans les obliger. Sujets tombés au bac sur ce thème

Trente Glorieuses Compositions 


Années de croissance accélérée que – Les transformations économiques et sociales dans le monde depuis 1945 (Pondichéry, 2006)
le monde a connues après la Seconde – Les mutations économiques et sociales des sociétés industrielles de 1945 à 1973 (Asie, 2006)
Guerre mondiale, entre 1945 et 1973. – De la société industrielle à la société de consommation (Métropole 2006, Pondichéry, 2009)
Les trente Glorieuses on vu notam- – Les mutations économiques et sociales dans les pays occidentaux des années 1950
ment la naissance de la société de au début des années 1980 (Antilles, 2007)
consommation.

16 Le monde de 1945 à nos jours


Les articles du

Le rapport Théry
sur les autoroutes de l’information
« Permettre l’accès de tous à la connaissance »
C
omme tout grand projet, grand public et les «  immenses keting des produits et, à l’inté- intermédiaire à des dossiers qui
les autoroutes de l’infor- gisements de la connaissance  » rieur même de l’entreprise, pour le concernent.
mation suscitent les rêves disponibles actuellement. aider par le travail en groupe à la Les banques et les assurances
les plus fous. Le rapport Théry ne Enjeu culturel peut-être, les qualité totale. Elles constituent sont, elles aussi, en première
fait pas exception : les autoroutes autoroutes sont plus certaine- donc, dans les prochaines années, ligne : la banque à domicile, les
de l’information sont supposées ment un puissant facteur de l’un des leviers les plus puissants produits financiers ou d’assu-
«  permettre l’accès de tous à la transformation économique de de l’économie. » rance à domicile… Tous ces ser-
connaissance ». Les bibliothèques l’industrie des services : télémé- Parmi les services susceptibles vices pourront être consultés et
seront accessibles à chacun sans decine, télé-enseignement, travail de connaître les plus grandes achetés sans déplacement. Quant
dérangement grâce à un terminal à domicile, banque à domicile… transformations, le rapport aux transactions à distance, la
domestique ou professionnel, les «  Les autoroutes deviendront Théry cite les administrations. technologie permet déjà de les ef-
bases de données de France et de pour les entreprises le support Qu’il s’agisse de ses impôts, de fectuer en toute sécurité. Tous les
l’étranger deviendront consul- des communications avec leurs la sécurité sociale ou de l’état dispositifs d’aide et de maintien
tables facilement et le fantasme fournisseurs pour alimenter les civil, par exemple, chaque à domicile des personnes âgées
prend corps d’une suppression productions en flux tendus, avec citoyen devrait avoir la possibilité devraient également connaître
de tous les obstacles entre le les consommateurs pour le mar- d’accéder rapidement et sans un spectaculaire développement.
Enfin, on peut imaginer qu'un
jour, grâce à la technique des
pourquoi les révolutions économique, travail. Les conséquences sont images virtuelles, les musées
cet article ? sociale, culturelle… qu’allait en- à évaluer selon plusieurs axes  : s’ouvriront à des visiteurs qui
gendrer le développement des économique avec l’accélération seront restés chez eux, devant
L’article s’inscrit dans la dernière télécommunications. des échanges, la relocalisation leur écran…
partie du chapitre « De la société Cette notion doit être utilisée des activités (délocalisations des Avant même que ne se réalisent
industrielle à la société de comme pivot de tout devoir sur emplois, télétravail), la création ces rêves sur écrans multiples,
communication ». les sociétés contemporaines, pour de nouvelles richesses, l’émer- les autoroutes de l’information
Néologisme créé par Al Gore, elle-même et pour introduire les gence de nouveaux pôles de devraient permettre de créer
vice-président des États-Unis transformations mises en place développement  ; social par la des emplois  : 300  000, selon
sous Bill Clinton (1994-2000), par la « société de l’information ». redistribution du travail et le chô- Gérard Théry, qui préconise une
autoroute de l’information vise Cette société se construit autour mage dans les secteurs (indus- politique d’investissements mas-
à comparer la circulation des in- de réseaux électroniques qui tries traditionnelles) ou espaces sifs. Et dans un avenir encore
formations numérisées à celle de distribuent dans les maisons, (régions en déclin) marginalisés ; plus proche elles devraient, en
voitures sur des axes de grande les entreprises, les administra- culturel au niveau de la diffusion bonne logique, constituer un des
capacité (haut débit). Dans l’es- tions des données bouleversant de modèles ou de produits uni- thèmes imposés de la campagne
prit des dirigeants américains, la de manière radicale la vie des versels, d’américanisation et de électorale présidentielle.
métaphore entendait souligner personnes et l’organisation du réactions identitaires.
Yves Mamou
(23 octobre 1994)

Le pétrole, de choc en choc


D
epuis son « invention » nisation des pays producteurs Kippour et s’accompagna de la 13 à 40 dollars le baril, le pétrole
en 1859 en Pennsylva- de pétrole (opep). passation de pouvoirs des com- atteint alors ce qui reste en
nie, le pétrole a connu Les chocs furent en général pagnies à l’opep. Le prix du baril valeur réelle (c’est-à-dire en te-
une histoire de cartels et de la conséquence de ruptures passa alors d’un jour à l’autre nant compte de l’inflation) son
chocs. Les cartels furent ceux d’équilibres politiques  : le de 4 à 13  dollars. La chute du niveau record : 99,04 dollars en
des grandes compagnies (les premier eut lieu en 1973 au chah d’Iran provoqua en 1980 avril 1980 en équivalent dollars
« sept sœurs ») puis de l’Orga- moment de la guerre du le deuxième choc pétrolier : de de 2007.

Le monde de 1945 à nos jours 17


Les articles du

À partir de 1985, la scène pétro- Ils sont l’écume sur la vague  : son plus bas (50  dollars) en eu dans les années 1970, avant
lière change  : débordée, l’opep plus la mer est forte, plus les janvier à près de 100 dollars. et après le premier choc, une
perd son pouvoir suprême sur vagues sont creusées, et plus Nous sommes bien au cœur première prise de conscience
la formation du prix. L'opep ne grande est l’illusion de l’écume. du troisième choc pétrolier, environnementale, du rapport
peut qu'influencer l'offre dont Malgré quelques tensions, que nul ne manipule mais qui «  Halte à la croissance  » (1972)
elle représente 43 % seulement ; comme la guerre du Koweït reflète bien nos angoisses à la candidature de René  Du-
c’est toutefois sa production qui de 1991, le déclin des prix énergétiques  : une demande mont en 1974. Tout cela avait
assure l’ajustement face aux est incontestable jusqu’à la toujours croissante, surtout été vite oublié, sauf de quelques
aléas de la demande et aux fin du xxe  siècle. Par la suite, en Chine et en Inde, une offre militants. Le troisième choc
tourments géopolitiques dont nombre d’analystes parlè- qui diminue déjà dans 33 des réveille nos consciences envi-
a toujours souffert la planète rent d’un équilibre optimal 48  pays producteurs et dont ronnementales. Plutôt que de
pétrolière. compris entre 20 et 30  dollars le sommet sera atteint entre fustiger la folie des marchés,
La malédiction du pétrole est le baril. 2020 et 2030, mais qui aura en apprécions au contraire le
une triste réalité. À l’exception attendant des coûts croissants : fait que c’est là le seul moyen
peut-être de la Norvège, aucun Peut-on alors parler on parle de 50 milliards de dol- de donner aux hommes la
pays producteur n’est parvenu de troisième choc lars pour exploiter le gisement conscience de la rareté des
à gérer le choc économique, fi- pétrolier ? brésilien de Tulpi, 5 à 8 milliards ressources comme de l’environ-
nancier et social qu’a représenté Beaucoup d’observateurs en de barils par 6  000  mètres de nement. Au-delà des misères
la manne pétrolière des an- refusent encore l’idée  : en fond. quotidiennes qu’il provoque
nées 1970 et 1980 : ce ne furent 1973, puis en 1980, la hausse Sur fond de déclin de l’Occident dans les pays émergents
que guerres civiles (Nigeria, Al- avait été franche et brutale. Là, et de revanche du tiers-monde, comme dans les pays déve-
gérie), dictatures militaires (Al- elle s’est faite progressivement les deux premiers chocs pétro- loppés, le baril à 100  dollars
gérie, Irak) ou religieuses (Iran), à partir de 2004, année de liers avaient été synonymes de peut être une chance pour
mégalomanies de toute nature la plus forte croissance de la crise économique. Rien de tel l’humanité.
(Irak, Venezuela), dépenses en demande, puis en 2005, l’an- cette fois : le monde a appris à
tout genre renforçant l’État pro- née du cyclone Katrina. Puis, vivre avec du pétrole à 80 voire Philippe Chalmin
vidence dans le meilleur des cas, en 2007, le baril est passé de 100  dollars le baril. Il y avait (27 novembre 2007)
et le plus souvent la corruption.
Le pétrole a vidé de leur subs-
tance des économies parfois pourquoi est un mélange de mécanisme (dernier paragraphe ; la hausse
florissantes et les a rendues cet article ? économique et de volonté po- récente du prix du baril ferait
dépendantes à cette véritable L’article est à relier au chapitre litique. La concurrence de nou- en effet baisser la consom-
drogue, ce qui réduit d’autant « De la société industrielle à la veaux producteurs (Norvège, mation des automobilistes et
les marges de manœuvre de société de communication  ». Venezuela) ou de la production des industries, et précipiterait
l’opep : il faut 65 dollars le baril Il rappelle les principaux chocs off-shore devenue rentable du désormais l’essor des énergies
pour que l’Iran équilibre son pétroliers (1973, 1980 et 2007) fait de la hausse du prix du ba- propres).
budget, 35 à 40  dollars dans et les remet dans leur contexte ril pénalise les ventes des pays Un «  cartel  » désigne une en-
le cas de l’Arabie saoudite. En pour mieux comprendre leur du Golfe persique qui décide tente entre des entreprises d’un
2007, les pays de l’opep auront rôle dans l’histoire. Les analyses de laisser baisser les prix pour même secteur pour contrôler
« gagné » 658 milliards de dol- aident à comprendre la crise préserver leurs parts de marché. un marché. L’Organisation des
lars (973 milliards d’euros). Mais des années 1970 d’une part, les Le troisième choc pétrolier est pays exportateurs de pétrole
il n’est pas sûr qu’ils sachent nouveaux enjeux du monde d’origine plus commerciale. (opep) en est un exemple.
mieux utiliser cette rente que d’après 1991 d’autre part. L’émergence de nouvelles Le nymex est une bourse de
précédemment. S'il est important de retenir puissances (Chine et Inde) ac- contrats à terme portant sur le
C’est donc le marché qui dé- l’existence de trois chocs et centue la demande mondiale pétrole brut. L’ipe ou Interna-
termine le prix du pétrole ou, d'un contre-choc (1986), il faut face à une offre réduite  : les tional Petroleum Exchange cor-
plutôt, les marchés dérivés, aussi distinguer leurs causes prix montent. respond au marché du pétrole.
ceux du Nymex (New York) et dont la nature change. Le texte énonce deux idées La guerre du Kippour opposa
de l’ipe (Londres), fonctionnant Les deux premiers chocs pé- originales qui peuvent être en 1973 Israël à ses voisins
en temps réel sur la planète troliers sont d’origine plutôt utilisées dans une copie  : le arabes (coalition d’États me-
entière, échangeant avant tout politique. Liés à des conflits déclin du prix réel du pétrole née par l’Égypte et la Syrie). La
du «  papier  », mais où toutes (guerre du Kippour en 1973, jusqu’en 2000, à exploiter pour guerre fut gagnée par Israël.
les transactions physiques de la guerre Iran-Irak en 1980), ils expliquer le maintien d’une La guerre du Koweït de 1991 fit
planète viennent s’arbitrer. On sont décidés par les pays ex- forte demande (le pétrole reste suite à l’invasion de l’émirat
parle beaucoup des fonds spé- portateurs pour financer leurs une énergie bon marché  ; le par les troupes irakiennes de
culatifs qui viendraient « jouer guerres et gêner leurs ennemis développement de nouvelles Saddam Hussein (1990).
le pétrole » comme le dollar ou (les alliés d’Israël, par exemple, sources d’énergie –  non pol- L’onu condamna cette invasion
les taux. Mais ces volumes ap- qui sont de gros importateurs luantes, notamment  – ne s’en et chargea une coalition diri-
portent aux marchés liquidité de pétrole et dont l’économie trouve pas encouragé)  ; le pa- gée par les États-Unis de libé-
et profondeur, plus de volati- se trouverait pénalisée). radoxe d’une cherté du pétrole rer le pays. Ce fut l’opération
lité aussi, mais sans affecter la Le contre-choc pétrolier de 1986 protectrice de l’environnement « Tempête du Désert.»
logique des fondamentaux.

18 Le monde de 1945 à nos jours


Les articles du

La courbe de Phillips
1 975 – il y a juste trente ans – est
la première année de réces-
sion depuis 1945. Cet événe-
ment passe, sur le moment, pour
une péripétie dans un monde sûr
consacre ses loisirs à parfaire sa
formation, ce qui lui permet de
devenir ingénieur. Engagé dans la
Royal Air Force en 1939, la chute
de Singapour en 1942 le livre aux
pourquoi
cet article ?

Très technique, cet article


courbes du chômage et de l’in-
flation ne suivent pas la même
pente. C’est le «  lien inverse
entre inflation et chômage  »
de pouvoir relancer la croissance Japonais. Pour supporter sa condi- s’adresse plutôt aux élèves énoncé dans le texte.
grâce à la politique économique. En tion de prisonnier, il lit et relit le de ses qui doivent maîtriser Contraction de stagnation et
fait, il marque une vraie rupture : seul livre dont il dispose, qui est les notions auxquelles il fait d’inflation, la stagflation dé-
c’est la fin des « Trente Glorieuses », un cours d’économie. référence. Les élèves de L et signe une situation de faible
les premiers coups portés aux cer- En 1946, il regagne l’Angleterre, mais de S en tireront profit en se croissance dans laquelle chô-
titudes keynésiennes, et surtout sa santé, altérée par ses années au concentrant sur les consé- mage et inflation sont élevés et
l’émergence de la «  stagflation  ». fond de la mine et celles de capti- quences du dérèglement de suivent une pente ascendante.
Quand le keynésianisme s’impose vité, lui interdit de reprendre une la courbe de Phillips. Pour Telle est la caractéristique de la
à la fin des années 1940, il repose activité minière. Il réoriente sa vie tous, l’essentiel est d’y trouver crise des années  1970. Contre
sur une hypothèse de rigidité des vers l’enseignement de l’économie matière à expliquer comment elle, les dirigeants ont mis en
prix. Celle-ci paraît légitime car et obtient en 1950 un poste à la se manifeste la crise, et com- œuvre des politiques d’aus-
historiquement l’inflation est rare London School of Economics (lse). ment le dérèglement désigné térité (Barre 1976), de relance
et principalement liée aux guerres. En 1958, il publie dans Economica, par la notion de « stagflation » (Mauroy 1981), de démantèle-
Pourtant, l’inflation due à la guerre la revue de la lse, un article dont le déroute les dirigeants dont les ment de l’État providence et dé-
de Corée se maintient après la fin but est de vérifier empiriquement politiques économiques sem- fiscalisation (Reagan, Thatcher).
des hostilités en 1953. Les théo- la théorie néoclassique des salaires blent inefficaces. Si ces politiques ont permis
riciens les plus en vue des an- qui lie hausse du pouvoir d’achat et Derrière la courbe de Phillips, le contrôle de l’inflation, elles
nées 1950, comme Paul Samuelson gains de productivité. il y a la loi de l’offre et de la peinent à résorber le chômage
et Jan Tinbergen, s’attachent alors à Comparant évolutions salariales demande  : quand la demande et à créer de la croissance forte.
donner de l’inflation une nouvelle et chômage en Grande-Bretagne des consommateurs est forte, Dans le cadre de la mondialisa-
lecture. Ils en font un antidote au entre 1861 et 1957, Phillips établit les entreprises embauchent et tion, le problème resurgit pour
sous-emploi, si bien qu’elle cesse que le chômage incite les salariés les prix montent  (inflation)  ; les pays riches : la cherté des
d’être un problème pour devenir à ne pas réclamer l’équivalent de inversement, quand elle baisse, matières premières peut re-
une solution. Mais pour peu de l’augmentation de leur productivi- les prix ont tendance à suivre et lancer l’inflation quand les
temps  : en 1965, le taux d’infla- té. Conséquence : plus le chômage les entreprises licencient (chô- délocalisations entretiennent
tion des pays de l’Organisation de est élevé, moins les salaires aug- mage). En d’autres termes, les le chômage.
coopération et de développement mentent. Phillips exprime ce résul-
économiques (ocde) est de 4 % et le tat dans l’équation w + 0,9 = 9,64/
taux de chômage de 2,8 % ; en 1975, u1,39, où w est le taux de variation
leur taux d’inflation est monté à annuelle des salaires nominaux mistes de synthétiser leur position ni le chômage. La courbe de Phillips
11 % et celui du chômage à 5 %. La et u le taux de chômage. À partir sur la politique économique. est un point.
«  stagflation  » est née, l’inflation de cette équation, on trouve qu’un Pour un keynésien, tant qu’il y a Pour un économiste pragmatique,
n’a pas empêché l’augmentation du taux de chômage de 5,5 % permet du chômage, les entreprises répon- la courbe de Phillips traduit sous
chômage : elle cesse d’être une so- aux entreprises d’accaparer les dent à une demande supplémen- forme d’hyperbole une relation
lution pour redevenir un problème. gains de productivité. En 1960, taire par une production accrue et décroissante entre chômage et
La réflexion sur un possible arbi- Richard Lipsey, également ensei- par des embauches. Les prix sont inflation que l’expérience des an-
trage entre inflation et chômage gnant à la lse, élargit les conclu- stables et la courbe de Phillips est nées 1975 à 1985 permet de mieux
n’est pas abandonnée pour autant. sions de Phillips. Il postule que une droite horizontale. interpréter. Celle-ci a, en effet,
Depuis 1975, les économistes les l’augmentation des prix trouve son Pour un libéral tendance monéta- montré que, si le chômage réduit
plus éminents se sont employés à origine dans les augmentations riste, le chômage est un phénomène l’inflation, en revanche, l’inflation
en renouveler la théorie. Toutefois, de salaires. Il construit une courbe structurel, lié à des salaires trop éle- ne réduit pas le chômage.
c’est le nom d’un personnage se- représentant un lien inverse entre vés. La politique économique ne mo- Pour Phillips, il n’y a là que débats
condaire de la science économique inflation et chômage en portant, difiant pas les salaires ne peut que qui le dépassent.
qui est associé au dilemme inflation en abscisse, le taux de chômage et, perturber l’économie en nourrissant Nommé professeur à l’Université
/chômage, celui d’Alban William en ordonnée, le taux d’inflation. En l’inflation, tandis que le chômage nationale d’Australie en 1967, sa
Phillips. 1964, Samuelson rend cette courbe se fixe à un niveau appelé «  taux santé l’oblige en 1970 à une retraite
Il naît le 18 novembre 1914 à Te Re- célèbre sous le nom de « courbe de de chômage naturel ». La courbe de anticipée. Il gagne la Nouvelle-
hunga, en Nouvelle-Zélande, dans Phillips », qui est, désormais, non Phillips est une droite verticale. Zélande, où il meurt le 4 mars 1975,
une famille de paysans pauvres. seulement un point fort du raison- Pour un tenant de la nouvelle il y a juste trente ans.
Il quitte l’école à quinze ans pour nement macroéconomique, mais macroéconomie classique, la poli-
occuper un emploi de mineur en encore un moyen privilégié pour tique économique est totalement Jean-Marc Daniel
Australie. Solitaire et réservé, il les différents courants d’écono- inopérante et n’affecte ni l’inflation (8 mars 2005)

Le monde de 1945 à nos jours 19


L’essentiel du cours

Mots clés
Truman
Président démocrate de 1945 à 1952,
Les relations Est-Ouest
il définit la doctrine du contain-
ment, qui donnait pour mission
aux États-Unis d’employer tous les
(1945-1991)
moyens nécessaires afin de contenir

D
l’expansion du communisme dans e la fin de la Seconde Guerre mondiale à l’effondrement de
le monde. Les Soviétiques répli-
quèrent par la doctrine Jdanov qui
l’URSS, les relations internationales ont été marquées par les
entendait tout faire pour contrer tensions opposant le bloc de l’Ouest rassemblé derrière les
« l’impérialisme américain ». Etats-Unis, au bloc de l’Est mené par l’URSS. La guerre froide alterne
Kominform moments de crises et périodes d’apaisement. Au terme d’un long
Bureau d’information commu- bras de fer, les États-Unis finissent par imposer leur vision du monde.
niste, il coordonnait l’action des
principaux partis communistes
européens (ceux des pays de l’Est
et ceux de France et d’Italie).

Comecon
Conseil d’assistance économique mu-
tuelle (caem en anglais), il organisait
la collaboration économique entre
l’URSS et les démocraties populaires.

Blocus de Berlin
Mis en place en 1948 par Staline, il vi-
sait à couper Berlin ouest du reste du
monde. Le but était d’obliger les Al-
liés à quitter la ville et de faire tomber
l’ancienne capitale allemande sous
l’autorité soviétique. Les Américains
répliquèrent par un pont aérien qui
alimenta la ville pendant onze mois.
La crise déboucha sur la création de
deux États : la rfa et la rda.
Soldats américains durant la guerre de Corée (1950-1953).
Ostpolitik
Politique de rapprochement et L’affrontement de deux blocs politique règne ; les libertés individuelles sont sacrées.
de détente mise en place par le issus de la guerre L'économie est organisée selon les principes de la
chancelier Willy Brandt (rfa), en vue Les États-Unis et l’URSS sont les deux grands vainqueurs libre entreprise et du libre jeu du marché. L'État doit
d’améliorer les relations entre les de la Seconde Guerre mondiale. Mais l’incompatibilité intervenir le moins possible. À l’Est, au contraire,
deux Allemagne. de leurs modèles économiques et politiques les amène c’est l’égalité qui prime. La société est collectiviste :
vite à se méfier l’un de l’autre et à rompre toutes bonnes la propriété privée a presque disparu, les entreprises
Guerres périphériques relations. En 1946, Churchill dénonce le « rideau de fer » appartiennent à l'État, qui les gère par le biais de la
Conflits dans lesquels les deux Grands qui divise l’Europe en deux camps. L’année suivante, planification autoritaire (Gosplan). Pour mobiliser
s’impliquent, mais sans jamais s’af- Truman décide de tout faire pour empêcher l’expansion les citoyens, «  l'avant-garde de la classe ouvrière  »
fronter directement. Ils font office du communisme. Le plan Marshall d’aide économique s'est organisée en un Parti communiste, parti unique
de champs de batailles de la guerre à l’Europe de l’Ouest doit y contribuer. Entre les deux qui contrôle l'essentiel du pouvoir. À la tête du Parti,
froide par personnes interposées. anciens alliés, la rupture est consommée. jusqu'à sa mort en 1953, Staline est tout puissant ; en
Exemples : le Vietnam, l’Afghanistan, 1956, son successeur Khrouchtchev dénonce ses excès
les guerres israélo-arabes. Deux blocs antagonistes s’organisent alors : d’un côté, et ses crimes, mais rien ne change sur le fond. L'URSS
l’Ouest rassemblé autour des États-Unis dans le cadre n'est pas une démocratie au sens occidental du terme.
Perestroïka de l’otan (alliance militaire de 1949) et par la mise en
Nom donné aux réformes écono- place d’une Communauté économique européenne De 1947 à 1962, les crises se multiplient. C’est la guerre
miques de Gorbatchev. La peres- (cee, 1957) ; de l’autre, sous la tutelle de l’URSS, un bloc froide, une période de tensions fortes restées cependant
troïka (ou « restructuration ») visait de l’Est dont le Kominform (idéologique), le Comecon sous contrôle. En 1948, le « Coup de Prague » (coup d’état
à décentraliser l’économie, à donner (économique) et le Pacte de Varsovie (alliance mili- communiste) et le blocus de Berlin par les soviétiques
plus d’autonomie aux entreprises et taire de 1955) sont les principales institutions. Les pays révèlent la détermination des deux camps. En Corée, la
à favoriser leur autofinancement. de l’Ouest privilégient la liberté  : le multipartisme guerre éclate entre le Nord et le Sud.

20 Le monde de 1945 à nos jours


L’essentiel du cours

Si les deux grands évitent la


confrontation directe, il y a bien
dates clés
une situation de guerre qui les 1945-1962
implique mutuellement. La dispa- Guerre froide.
rition de Staline en 1953 inaugure
une période d’apaisement (c’est 1947
la « coexistence pacifique »), mais Rupture Est-Ouest (doctrines
elle ne dure pas et les tensions Truman et Jdanov).
atteignent leur paroxysme avec
la construction du mur de Berlin 1948
(1961) et la crise de Cuba (1962). Coup de Prague et blocus de
Berlin.
Une période de
détente tactique 1949
La peur d’un conflit mondial Naissance des deux Allemagne ;
de nature atomique conduit les création de l’otan et du caem.
deux Grands à chercher l’apai-
sement  : c’est la détente. Le 1953
dialogue reprend et des accords Mort de Staline ; début de la dés-
Le 18 juin 1979, Jimmy Carter et Léonid Brejnev signent à Vienne l’accord salt II.
de désarmement (salt 1 en 1971) talinisation.
ou de coopération sont signés. marxistes (URSS en Amérique centrale ou Afrique
En 1975, les accords d’Helsinki reconnaissent les australe) montrent que le souci de domination 1961
frontières établies en 1945 et le respect des droits mondiale est toujours recherché. Construction du mur de Berlin.
de l’homme. Les États-Unis et l’URSS s’entendent
également pour éviter la prolifération nucléaire Succès américain 1962
(traité de 1968). Les deux Allemagne (rfa et rda) se ou défaite soviétique ? Crise de Cuba.
reconnaissent mutuellement et font leur entrée à Entre 1977 et 1984, les soviétiques reprennent l’of-
l’onu (1973). fensive dans le cadre de la guerre des euromissiles 1962-1975
Mais la détente est plus tactique que sincère. (déploiement des SS20) ou dans les pays du Sud Détente.
La rupture Moscou-Pékin (1959), la rebellion des (Angola, Nicaragua). En 1978, l’Armée rouge entre
États satellites (Printemps de Prague en 1968), en Afghanistan. Mais le modèle économique et 1965
les différends franco-américains (la France quitte politique soviétique s’enraye. Pour tenter de le Début de l’intervention massive
l’otan en 1966) et l’Ostpolitik de Willy Brandt (1969) sauver, Mikhaïl Gorbatchev lance un programme des États-Unis au Vietnam.
affaiblissent les blocs. Les difficultés financières des de réformes (Perestroïka et Glasnost). Sur le plan
États-Unis (liées à la guerre du Vietnam) et les retards international, il engage d’authentiques négociations 1971
technologiques de l’URSS expliquent l’attitude plus de désarmement (accords Start) et s’efforce de faire Fin du système monétaire interna-
conciliante de ces deux pays. des économies par une politique de désengagement tional ; accords de désarmement
Le caractère illusoire du désarmement, le développe- en Afghanistan ou en Europe de l’Est. Malgré ces ef- (salt).
ment des guerres périphériques (au Moyen-Orient forts, les difficultés s’aggravent et l’URSS ne parvient
ou Vietnam) témoignent des limites de la détente. plus à maintenir son ordre. Les peuples satellites 1975 
Celle-ci n’est qu’une pause dans la guerre froide. la rejettent. Ébranlé par une tentative de putsch, Accords d’Helsinki  ; fin de la
La propagande, l’espionnage, les interventions po- Gorbatchev démissionne et l’URSS disparaît (1991). guerre du Vietnam.
litiques ou militaires, les soutiens aux guérillas Les Américains sortent victorieux de la guerre froide.
En lançant un projet de 1975-1985
bouclier spatial (ids) et Guerre fraîche.
Cinq articles du Monde à consulter en soutenant les gué-
rillas au Nicaragua ou 1985-1991
• Au bord du gouffre en Corée, en Indochine, à Suez et à Cuba p. 23 en Afghanistan, Reagan Fin de la guerre froide.
(Michel Tatu, 3 août 1995.) a précipité l’effondre-
ment de son adversaire. 1985
• 11 novembre 1989 – Le mur de Berlin est tombé p. 23-24 Un nouvel ordre mon- Arrivée au pouvoir de Gorbatchev
(Françoise Lazare, 15 août 2009.) dial sous le leadership en URSS.
américain semble
• François Mitterrand au Bundestag en 1983 p. 25 pouvoir s’instaurer. 1989
(Henri de Bresson, Daniel Vernet, 27 juin 2000.) Mais les États-Unis ont Chute du mur de Berlin.
leurs propres faiblesses
• 1972 : le président Nixon en Chine p. 26-27 et l’URSS s’est davan- 1990
(Francis Deron, 13 novembre 2004.) tage effondrée avec la Réunification allemande ; indé-
faillite de son système pendance des États baltes.
• Les incertitudes de la « guerre des étoiles » p. 27 économique que sous
(1er avril 1988.) l’effet des attaques 1991
américaines. Effondrement de l’URSS.

Le monde de 1945 à nos jours 21


Un sujet pas à pas

notions clés
Modèle soviétique
Composition : l’URSS dans la guerre
L’URSS est un État communiste.
Son système repose sur deux pi-
liers : l’un politique, « la dictature
froide de 1947 à 1991
du prolétariat » qui établit un ré- Le plan et les thèmes
gime de parti unique (le Parti com- Le plan chronologique semble le
muniste) ; l’autre économique, qui plus adapté ; il suivra les périodes
instaure la propriété collective des de la guerre froide. À chaque étape,
biens de production (collectivi- la position internationale de l’URSS
sation des terres, nationalisation vis-à-vis de ses ennemis comme de
des entreprises) et la planification ses alliés doit être définie.
autoritaire des activités par l’État.
L’URSS assure son développement 1947-1962
en donnant priorité à l’industriali- Rivale des États-Unis, l’URSS se pose
sation, choix contesté par la Chine comme modèle (politique et écono-
à partir de 1959, qui préfère « mar- mique) et fait jeu égal avec les États-
cher sur deux pieds » (industrie et Unis. « Grand-frère » de ses alliés, elle
agriculture). les protège et les domine à la fois,
parfois avec violence (Budapest, 1956).
La satellisation
Reagan et Gorbatchev signent le 8 décembre 1987 le traité sur
Terme qui désigne les relations les forces nucléaires à portée intermédiaire, à la Maison Blanche.
1963-1976
entre l’URSS (le «  Grand frère  ») Confrontée à certaines difficultés (retards technolo-
et les pays d’Europe de l’Est. giques, dysfonctionnements économiques) et aux
Présentées comme des relations critiques de ses alliés, l’URSS défend son rôle de leader
d’alliances et d’amitiés, elles sont Ce qu’il ne faut pas faire du bloc oriental en dialoguant avec les États-Unis. Elle
en réalité des relations de domi- • Faire un récit de la guerre froide. profite de la détente pour régler ses différends avec
nation, l’URSS imposant son ordre • Soutenir que l’URSS a été vaincue par les États- la Chine et ses pays satellites.
politique et orientant les choix Unis ; elle l’est tout autant par la crise de son
économiques de ses voisins dans modèle et la rébellion de ses alliés. 1977-1991
le cadre du caem. Déstabilisée par ses adversaires et par les blocages
La doctrine Brejnev (1968) traduit de son modèle, l’URSS se replie sur elle-même. Pour
cette réalité en posant les inté- L’analyse du sujet mieux sauver son système, elle lâche ses alliés, mais
rêts de la communauté des pays Le sujet invite à présenter le rôle et l’évolution de les réformes ne peuvent éviter son effondrement.
socialistes comme plus impor- l’URSS dans le cadre de la guerre froide, qui est
tants que ceux de chaque état analysée du point de vue soviétique. Quelle est la Les repères essentiels
national. politique de l’URSS face aux états-Unis ? Quelles sont Les crises, témoins d’un état de santé
ses relations avec ses alliés ? • Berlin (1948), Budapest (1956), Berlin (1961) : dans
Coexistence pacifique l’adversité, l’URSS fait face.
Elle couvre la période 1955-1959 et La problématique • Cuba (1962), Prague (1968), tensions sur les fron-
préconise que chaque bloc suive Passant d’une position de vainqueur (1945) à celui tières avec la Chine (années  1960)  : l’URSS résiste,
son chemin sans s’affronter ; l’idée d’empire qui s’effondre face à son adversaire, il mais s’affaiblit.
en est que le socialisme s’imposera s’agit de montrer pourquoi l’URSS a été vaincue • Crise des Euromissiles (1977-1983), enlisement en
de lui-même avec le temps. par les états-Unis, et quelles ont été ses propres Afghanistan (1979-1988), crise à Berlin (1989) : l’URSS
défaillances. s’effondre.
Détente
Période d’apaisement (1963-1975),
de dialogue et de concessions mu- Sujets tombés au bac sur ce thème
tuelles mise en œuvre par les deux
Grands pour éviter toute crise ma- Compositions 
jeure. Les États-Unis et l'urss ont – Comment a évolué le rôle des USA depuis 1945 ? (Polynésie, 2007)
notamment mené une politique – L’Europe, enjeu de la rivalité Est-Ouest (de 1947 à 1991). (Métropole, juin 2005)
de désarmement – La guerre froide de 1947 à 1991 (Métropole, juin 2008)
– Le monde depuis les années 1970 : les bouleversements de l’ordre mondial (Métropole, 2007)
Désengagement
Notion qui caractérise la politique étude d'un ensemble documentaire 
de Gorbatchev (1985-1991). Celui-ci – La guerre froide de 1947 aux années 1970 (Pondichéry, 2007(
renonce aux ambitions impériales – Comment évolue la guerre froide dans les années 1975-1985 ? (Amérique du Nord, 2005)
de l’URSS, laissant le champ libre à – L’Allemagne, enjeu de la guerre froide (Amérique du Sud, 2005)
ses adversaires.

22 Le monde de 1945 à nos jours


Les articles du

Au bord du gouffre en Corée,


en Indochine, à Suez et à Cuba
B
ien que les crises aient été l’action franco-britannique ricaines que la Grande-Bretagne faire plier l’adversaire  : il an-
nombreuses tout au long de contre l’Égypte. et la France mettront fin à leur nonce simplement qu’il répon-
la guerre froide, on compte intervention. Mais ce message dra en espèce si Moscou tire le
peu de cas dans lesquels l’emploi Une règle d’or : ne soviétique est resté jusqu’à au- premier. La crise confirmera qu’il
de l’arme atomique ait été sérieu- pas jouer avec le feu jourd’hui la menace la plus directe convient de ne pas jouer avec le
sement envisagé, voire suggéré. et éviter les accidents qui ait jamais été brandie dans le feu et d’éviter les accidents.
Le premier se situe à la fin de Après avoir évoqué les « armes de domaine nucléaire. C’est tout le sens de l’accord sur le
1950, lorsque les «  volontaires  » destruction massive » dont il dis- Le dernier cas, celui de la crise « téléphone rouge », signé dans la
chinois ont bousculé les troupes pose, il ajoute : « Il y a aujourd’hui de Cuba de 1962, est un peu spé- foulée, et du traité de 1963 inter-
des Nations unies en Corée. Le des pays qui n’auraient pas besoin cial, dans la mesure où c’est une disant les essais nucléaires dans
commandant en chef Macarthur d’envoyer leur flotte ou leur avia- provocation de Khrouchtchev l’atmosphère, première étape
préconise le lancement de trente à tion près des côtes de Grande- (l’installation à Cuba de fusées d’une longue série de mesures
cinquante bombes atomiques sur Bretagne. Ils pourraient utiliser nucléaires menaçant les États- de contrôle des armements.
le « sanctuaire mandchou ». Refus d’autres moyens, par exemple la Unis) qui ouvre la crise, Kennedy
du président Truman, qui relèvera technique des fusées.  » En fait, se gardant bien pour sa part de Michel Tatu
Macarthur de son commande- c’est en raison des pressions amé- brandir l’arme atomique pour (3 août 1995)
ment quelques mois plus tard.
Un autre moment délicat se situe
au printemps 1954, à la veille de pourquoi pacifique de 1954-1958) entre les d’attaque (1953-1962). À partir
la chute de Dien Bien Phu, en cet article ? deux blocs. Dans les premiers de 1962, ils optent pour la
Indochine, où les Français sont cas (1950 et 1962), la menace de « riposte graduée » qui consiste
dans une situation désespérée. Cet article fait référence aux recours à l’arme nucléaire oppose à répliquer par paliers, le
Le gouvernement de Joseph  La- conflits ou crises majeurs qui directement les deux Grands  ; recours à la bombe atomique
niel demande à deux reprises ponctuent la période de la guerre dans les deux autres (1954 et étant le dernier.
l’aide aéronavale des États-Unis, froide entre 1947 et 1962  : la 1956), les États-Unis et l’URSS font La peur suscitée par la crise de
tandis que l’emploi de l’arme ato- guerre de Corée (1950-1953), la pression sur des tiers : la France 1962 est à l’origine de la Détente
mique est discrètement évoqué guerre d’Indochine (1946-1954), et la Grande-Bretagne. (1963-1975).
dans certains milieux parisiens. la crise de Suez (1956) et la crise Cette convergence s’explique Le «  téléphone rouge  » est une
Les États-Unis ne jugent pas le de Cuba (1962). Allusion est faite par la tactique politique du liaison téléphonique directe
terrain favorable et refusent de aussi à la crise de Budapest (1956). moment, celle de la coexistence établie entre la Maison Blanche
s’engager. L’analyse met l’accent sur le pacifique. et le Kremlin pour gérer les crises.
La troisième alerte se produit en rôle de l’arme nucléaire dans L’article permet aussi de retracer Au traité de 1963 sur les essais
1956 pendant la crise de Suez. le déroulement de la guerre l’évolution des doctrines atmosphériques (contesté
Alors même que ses troupes sont froide. nucléaires américaines : après le par la France et la Chine)
en train d’écraser la révolution Elle permet d’expliquer les temps de la menace (1945-1953), évoqué dans le texte, il faut
hongroise, Boulganine, chef événements, mais aussi de dis- les États-Unis adoptent celle des ajouter ceux de 1967 sur la
du gouvernement soviétique, tinguer les moments d’affron- «  représailles massives  » qui dénucléarisation de l’espace et
adresse le 5 novembre à Anthony tement (1947-1953 et 1959-1962) préconise l’emploi immédiat de 1968 sur la non-prolifération
Eden, Premier ministre britan- et d’apaisement (la coexistence de l’arme nucléaire en cas nucléaire.
nique, un message condamnant

11 novembre 1989 – Le mur de Berlin est tombé


L’ouverture du mur qui coupait en deux la capitale historique
de l’Allemagne marque le début de l’effondrement du bloc de l’Est

C
ertains événements res- truction, le 11 septembre 2001, restent en mémoire par leur communisme à l’Est. C’était le
tent dans les mémoires du World Trade Center de New message historique, peu im- 9 novembre 1989.
à travers leur date  : les York par deux avions détournés porte la date exacte. C’est le cas Le 9 novembre, il est vrai, n’a pas
Américains savent tous que par des islamistes d’Al-Qaïda. de la chute du mur de Berlin, été un jour isolé dans l’histoire de
«  9-11  » fait référence à la des- D’autres événements, eux, devenue symbole de la fin du l’Allemagne et de l’Europe de l’Est.

Le monde de 1945 à nos jours 23


Les articles du

Sans même évoquer la Peres- Symbole des symboles, au cœur Mur sont arrachés côté Ouest. bonne journée à l’Est, pour voir
troïka du président Gorbatchev de la capitale historique de la Partout dans le monde, l’évé- le communisme de plus près
à Moscou ou le résultat de la Grande Allemagne, le mur de nement est retransmis sur (notamment la fameuse tour
table ronde réunissant les repré- Berlin fut construit en une seule les écrans de télévision. Dès de télévision sur Alexander
sentants du pouvoir polonais nuit, le 13 août 1961. Il mesurait le lendemain, des bulldozers Platz), découvrir les richesses
et de Solidarnosc à Varsovie, la 42  kilomètres et serpentait à achèvent le travail. Pendant ce des musées du Pergamon…
multiplication d’événements travers la ville, coupant en deux temps, des morceaux de mur et tenter de trouver à dépenser
annonciateurs de changements des quartiers, des rues, voire (surtout ceux qui ont été tagués) ses ostmarks.
en République démocratique des immeubles  ! Les Berlinois sont déjà devenus des objets Pour tous les visiteurs, alle-
allemande (rda) est frappante, à de l’Est se sentaient vraiment commerciaux, vendus comme mands ou non, la rda était un
la veille de la chute du Mur. comme enfermés. des souvenirs, parfois plongés État véritable, avec Moscou
Le 4  novembre, une immense dans des verres d’alcool, à titre comme mentor et Berlin-Est
manifestation avait eu lieu à Peur générale de glaçons décoratifs ! comme capitale. La chute du
Berlin-Est, associant plus d’un Le film La Vie des autres, de Tout au long des vingt-huit ans Mur est donc apparue comme
million de personnes, sans Florian Henckel von Donners- de l’existence du Mur, il était une incroyable bonne surprise
être réprimée par les policiers marck, grand succès interna- possible pour les étrangers pour les populations occiden-
du régime communiste. La tional en 2007, montre bien cet occidentaux d’obtenir un visa tales. La rapidité de la réuni-
Tchécoslovaquie voisine –  qui état de fait et la peur générale pour une journée, permettant fication en a été une autre.
élira, le 29 décembre, l’écrivain qu’inspirait la Stasi, la police d’entrer à Berlin-Est et d’en res- Portée par le chancelier de la
dissident Vaclav Havel à la pré- politique de rda. Tout au long de sortir en empruntant l’unique rfa, Helmut Kohl, l’union des
sidence  – venait d’annoncer la période d’existence du Mur, ligne de métro restant utilisable deux parties de l’Allemagne – ou
l’ouverture de ses frontières une bonne centaine de morts qui desservait les deux parties plutôt l’absorption de la rda par
à tous les citoyens de rda ont été enregistrés le long du de la ville. Ils devaient acquérir, la rfa – a été déclarée le 3 octobre
qui souhaitaient passer à no man’s land qui l’encadrait. à un taux de change très dé- 1990, moins d’un an après la
l’Ouest. Des billets de train Au matin du 9 novembre 1989, savantageux, un minimum de chute du Mur.
seraient à leur disposition tout est encore calme à Berlin. marks de l’Est (ostmarks). Les
et leur permettraient d’aller Ce n’est qu’en fin de journée guides de voyage indiquaient Françoise Lazare
en rda (République fédérale que les premiers morceaux du tous comment passer une (15 août 2009)
d’Allemagne).
Les déserteurs Est-Allemands
étaient nombreux, et, depuis pourquoi novembre  1989 permet d’ex- mais cette remise en cause de
l’été, ils essayaient de gagner cet article ? pliquer l’échec de l’URSS (bien l’équilibre établi en 1949 au
l’Ouest clandestinement plus qu’une victoire des États- lendemain du blocus de Berlin
en passant par les frontières Cet article offre un bon résumé Unis)  : c’est d’abord celle de annonce la défaite de l’URSS et
hongroise, tchèque et autri- des thèmes à développer dans l’inefficacité d’un modèle son effondrement (1991).
chienne. Au point que certains une composition portant sur économique et politique qui Sur le chapitre des démocra-
experts n’ont pas hésité à Berlin comme enjeu ou reflet déçoit les populations qui le ties populaires, le texte donne
affirmer que si la religion a été de la guerre froide. rejettent (allusion aux «  dé- des exemples de dissidences
le moteur du changement en Il permet d’abord de rappeler serteurs est-allemands  »). Le à placer dans un devoir et
Pologne, l’exode a été celui qui la situation issue de la guerre : mur fut construit pour éviter permettant de différencier les
a fonctionné en rda. coupé en deux par le mur érigé l’hémorragie démographique pays. Pour la Tchécoslovaquie,
Berlin était située au cœur de la en 1961, Berlin est le symbole de la rda  : elle privait le pays on remarque le nom de l’écri-
zone d’occupation soviétique, d’une Allemagne vaincue, occu- de ses actifs les plus jeunes et vain Vaclav Havel qui fut l’un
après la défaite du Troisième pée et traversée par le « rideau nuisait à l’image internationale des maîtres d’œuvre de la « ré-
Reich de Hitler en 1945. Ainsi de fer ». La ville se trouve dans de l’URSS. Le problème resurgit volution de velours  ». Pour la
la zone occidentale (constituée la zone soviétique («  180 km en mai 1989 quand la Hongrie Pologne, on peut insister sur
des anciens quartiers américain, de la rfa »). Le mur isole la par- ouvre sa frontière avec l’Au- le rôle de l’Église (influence du
britannique et français), était tie ouest de cette zone  ; mais, triche ; avec l’annonce de l’ou- pape Jean-Paul II) et du syndicat
située à 180 kilomètres de la rfa. paradoxalement, le sentiment verture de la frontière tchèque, libre Solidarnosc dont le leader
Berlin disposait alors de deux d’enfermement affecte les Ber- c’est toute l’Europe satellisée était Lech Walesa. En Roumanie,
aéroports, Tegel, en zone Ouest, linois de l’Est dont il exprime le qui implose. au contraire, le régime brutal du
et Schönefeld à l’Est. mal-être et leur opposition au Le texte fait aussi référence à président Ceausescu ne favorisa
Les deux Allemagnes étaient sé- communisme. la perestroïka. Cette réforme pas la dissidence ; sa chute n’en
parées par 1 400 kilomètres de Depuis 1949, le rideau de fer sonna comme un aveu d’échec fut que plus violente  : il fut
barbelés (grillages métalliques sépare deux États (rfa à l’Ouest, économique. La Glasnost qui exécuté sommairement par des
électrisés). Illustration alle- rda à l’Est), dotés de leur propre l’accompagna favorisa l’expres- opposants.
mande du fameux « rideau de monnaie et de systèmes poli- sion de son rejet par les peuples Police politique, la Stasi est
fer » dénoncé par Churchill en tiques opposés (libéral à l’Ouest, de l’Europe de l’Est. l’exemple type du système
1946 (que la Hongrie commen- communiste à l’Est). La conséquence fut la rapide réu- policier en vigueur dans les
cera à démanteler en mai 1989, L’effondrement du mur en nification des deux Allemagne ; systèmes totalitaire.
en ouvrant sa frontière avec
l’Autriche).

24 Le monde de 1945 à nos jours


Les articles du

François Mitterrand au Bundestag en 1983


L
a dernière fois qu’un chef
de l’État français s’est préfèrent «  rouges plutôt que quelques distances avec l’allié
adressé au Bundestag, pourquoi morts  », mais son unité s’en américain ; mais jamais l’appar-
c’était le 20  janvier  1983, à cet article ? trouve renforcée et les Améri- tenance au bloc de l’Ouest n’a été
Bonn, pour le vingtième an- cains peuvent déployer leurs mise en cause. Le discours du
niversaire du traité de l’Élysée. Centré sur la question des eu- propres missiles (les Pershing) président Mitterrand en est la
Le discours que François Mit- romissiles, cet article illustre pour rétablir l’équilibre mili- manifestation exemplaire.
terrand prononça ce jour-là un temps fort de la guerre taire entre les deux camps. À Sur la partie du programme
pour défendre la décision fraîche (1977-1985) telle qu’elle ceux qui le critiquèrent, Fran- relative à l’Europe, cet article
de l’Alliance atlantique de s’exprime sur le continent eu- çois Mitterrand répliqua : « les illustre encore l’importance
déployer en Allemagne de ropéen. Il peut être aussi utilisé, pacifistes sont à l’ouest, les mis- de la «  coopération franco-
nouveaux missiles nucléaires indirectement, pour illustrer siles à l’Est ». L’épreuve de force allemande  ». L’exemple du
américains contre l’opposi- l’axe franco-allemand dans les est révélatrice d’une guerre couple Mitterrand-Kohl, en
tion d’un mouvement paci- chapitres relatifs à la construc- froide (connue sous le nom dépit de leur appartenance à des
fiste en pleine effervescence tion européenne. de « guerre fraîche ») toujours majorités opposées (de gauche
a fait date. Il a scellé entre le En 1977, l’URSS prend l’initia- d’actualité. Dans un travail sur pour Mitterrand, de droite pour
président de la République tive d’une nouvelle course aux la guerre froide, cette affaire Kohl) peut être cité dans un
socialiste et le chancelier chré- armements en décidant le dé- des euromissiles est à mettre devoir (à l’instar des duos de
tien-démocrate Helmut Kohl ploiement de SS 20 (missiles à en parallèle avec la « guerre des Gaulle-Adenauer, Pompidou-
une solidarité politique qui moyenne portée). Le but de la étoiles » du Président américain Brandt, Giscard-Schmidt,
jouera un rôle essentiel dans manœuvre est double  : affai- Reagan. Elle est le reflet euro- Chirac-Schroeder). L’alliance de
les développements ultérieurs blir le bloc occidental en jouant péen du conflit planétaire entre ces deux chefs d’État a favorisé
de l’Europe, notamment lors sur ses divisions et de créer un les deux Grands. la réunification allemande
de la réunification allemande déséquilibre militaire à l’avan- Le texte évoque la doctrine (1990), mais s’est aussi traduite
de 1990. tage du bloc de l’Est. Le discours nucléaire de la France, à savoir dans l’élaboration du traité de
Fraîchement devenu chan- de François Mitterrand (1983) la «  dissuasion nucléaire  ». Il Maastricht (1992) et la naissance
celier après le retournement devant le Parlement allemand permet surtout de souligner la de l’ue (1993). Aujourd’hui,
d’alliance des libéraux qui signe l’échec de l’opération : non persistance d’un choix atlantiste Nicolas Sarkozy et Angela
avait sonné le glas du pouvoir seulement l’Ouest ne s’est pas (alliance avec les États-Unis et Merkel tentent de poursuivre
social-démocrate, M. Kohl ve- divisé, opposant les atlantistes l’otan) des présidents français. cette tradition de coopération
nait de convoquer des élec- partisans de la fermeté face à Certes, De Gaulle (retrait de l’otan franco-allemande dans le cadre
tions générales anticipées. l’URSS aux « pacifistes » qui se en 1966) et Giscard, ont pris de l’Europe communautaire.
L’installation en Allemagne
de missiles de croisière et de
Pershing  II américains, des- Solidarité atlantique dès lors qu’il existe l’équilibre franco-allemande, qui avait
tinée à répondre au déploie- Lors de la décision, prise en des forces [...]. Le maintien de connu une période difficile
ment de nouvelles fusées à décembre  1979 par l’otan, de cet équilibre implique à mes après l’arrivée des socia-
moyenne portée soviétique riposter à Moscou, la position yeux que des régions entières listes au pouvoir en France
visant l’Europe, divisait alors officielle de la France giscar- d’Europe occidentale ne soient en 1981. François Mitterrand
profondément les Allemands. dienne était simple  : nous pas dépourvues de parade, face y attachait un prix particu-
L’ex-chancelier social-démo- n’étions pas concernés puisque à des armes nucléaires spécifi- lier. Il avait écarté le texte
crate Helmut Schmidt, qui y notre dissuasion était fondée quement dirigées contre elle du discours préparé par les
était favorable, s’était heurté sur un armement stratégique [...]. C’est pourquoi la détermi- services du Quai d’Orsay, jugé
sous son gouvernement à indépendant, relativement nation commune des membres tiède et conventionnel. Avant
une violente opposition de modeste, qui ne devait pas être de l’Alliance atlantique et leur son arrivée à Bonn, il écrivit
la jeune gauche socialiste, inclus dans les négociations solidarité doivent être claire- un discours avec quelques
et des écologistes. C’était entre les deux super-grands. ment confirmées pour que la collaborateurs auxquels il
le début du parti Vert. Fal- Le discours au Bundestag a été négociation aboutisse. » avait donné consigne d’être
lait-il accepter les missiles l’occasion pour Mitterrand de Cette déclaration, qui provo- aimables avec les partenaires
américains pour maintenir marquer solennellement son qua les applaudissements de d’outre-Rhin, fussent-ils chré-
l’équilibre de la dissuasion si opposition aux euromissiles et la droite allemande, brouilla tiens-démocrates. Certains y
les Soviétiques persistaient à d’affirmer une solidarité atlan- pour longtemps les relations montrèrent même trop de
déployer leurs SS 20 ou exiger tique inattendue qui lui attira la entre François Mitterrand et zèle  : «  N’exagérez pas, leur
une réduction unilatérale des reconnaissance d’Helmut Kohl. le parti social-démocrate de lança Mitterrand, ce sont tout
armements censée impres- « L’arme nucléaire, instrument Willy Brandt, dont une grande de même des Allemands ! »
sionner Moscou  ? La base de [cette] dissuasion, qu’on le majorité de députés avait crié
du parti chrétien-démocrate souhaite ou qu’on le déplore, à la trahison. Mais il marqua Henri de Bresson, Daniel Vernet
était hésitante. demeure la garantie de la paix la relance de la coopération (27 juin 2000)

Le monde de 1945 à nos jours 25


Les articles du

1972 : le président Nixon en Chine


L’amorce du grand virage
A
ucun voyage de chef il avait enfoncé le clou dans l’heb- On n’en est plus tout à fait à en Chine ». Mao n’attendait que
d’État, dans la seconde domadaire Time  : «  S’il y a une vilipender tous les «  tigres de cela : « Il devrait être le bienvenu !
moitié du xxe siècle, n’a chose que je veux faire avant ma papier », note Leclerc du Sablon Aujourd’hui, les problèmes entre
changé la carte politique du mort, c’est aller en Chine. » dans une dépêche transmise à la Chine et les États-Unis doivent
monde sur une telle échelle. Depuis la fin de la guerre de l’afp, qui est un des rares organes être résolus avec Nixon  ! Qu’il
Quand, le lundi 21  février 1972, Corée en 1953, les relations de presse occidentaux à avoir vienne  ! En touriste ou comme
à 11  h  30, heure locale, Richard sino-américaines n’ont guère un correspondant permanent président ! »
Nixon, 59 ans, descend l’escalier changé : c’est un flot incessant en Chine (tous les médias amé- En dépit des vitupérations of-
apposé au flanc du Spirit of 76, d’injures d’État dans le vo- ricains en sont absents). ficielles, on a senti les choses
le jet présidentiel américain, à cabulaire choisi de la guerre frémir avec l’épisode de la «  di-
l’aéroport de Pékin, peut-être froide, Washington dénonçant « Diplomatie plomatie du ping-pong  », dans
se souvient-il qu’il a été un de la participation de la Chine de du ping-pong » lequel l’équipe américaine a été
ces «  Jeunes-Turcs  » du parti Mao Zedong dans les conflits et Il y a plus encore, mais ni Le Quo- accueillie en Chine en véritables
républicain qui, au début des tensions d’Extrême-Orient –  à tidien du peuple ni Snow n’en plénipotentiaires politiques ; puis,
années  1950, apostrophaient commencer par le Vietnam, où parlent sur le moment. À une en juillet, avec cette annonce in-
l’administration Truman en lui les GI se battent contre le Viêt- question prudemment emberli- congrue, faite par haut-parleurs,
demandant : « Qui, sinon vous, Cong soutenu en sous-main par ficotée dans le jargon gauchiste, quand la population chinoise a
a livré la Chine aux commu- les Chinois –, et Pékin s’en pre- Snow a demandé à Mao si « des été informée que Henry Kissinger
nistes  ?  » Ou peut-être ne s’en nant, armées de manifestants à droitistes comme Nixon représen- avait eu des entretiens secrets avec
souvient-il pas, tant il s’est laissé l’appui, à « l’impérialisme amé- tant le capitalisme monopoliste Zhou Enlai, et que tous les deux
séduire par les analyses de son ricain et ses chiens courants ». pourraient être admis à venir s’étaient mis d’accord sur une
visionnaire conseiller pour la À Washington, «  normaliser  »
sécurité nationale, le «  cher  » avec Pékin semble à beaucoup
Henry Kissinger, avec qui il s’est d’une incongruité absolue. pourquoi le premier chef d’État occidental
employé à court-circuiter les Jean Leclerc du Sablon, cor- cet article ? à y nommer un ambassadeur
canaux traditionnels de la di- respondant de l’afp à Pékin à permanent.
plomatie établie pour forger une l’époque, raconte (L’Empire de la L’article est à analyser dans Les États-Unis sont fragilisés par
approche moins traditionnelle, poudre aux yeux, Flammarion, le contexte de la «  détente  » la guerre du Vietnam et leur bloc
moins morale, mais ultra-réa- 2002) à quel point, de l’autre (1962-1975). Le rapprochement affaibli par le retrait de la France
liste des rapports des États-Unis côté du Pacifique, la chose est au sino-américain qu’il relate est de l’otan. Depuis 1959, la Chine
avec le reste du monde. moins aussi inimaginable alors la conséquence de situations est en conflit avec l’URSS. Les
pour le petit peuple. La presse marquant les années 1960. intérêts des deux États conver-
« Le monde regorge d’anathèmes antiaméri- «  Grand Timonier  » est le sur- gent  : le voyage de Nixon est
aura changé » cains. La surenchère est alimen- nom attaché à la personne de l’occasion d’un rapprochement
Il est arrivé deux heures plus tôt tée par les sourdes querelles Mao Zédong lui donnant l’image qui les arrange mutuellement.
en Chine, à Shanghai, pour une intestines nées de l’explosion de l’homme de barre aux com- Avancée par Pékin, la demande
brève escale. Il en repartira une de la révolution culturelle, qui mandes de la Chine. d’une aide américaine est une
semaine plus tard, le 28 février a jeté le pays dans le chaos. « La La «  révolution culturelle  » se mesure de propagande, mais
– une semaine essentiellement Chine est encore isolée de la déroule entre 1966 et 1968. Un l’annonce n’est pas dénuée de
consacrée à des visites touris- planète. Chaque semaine, des temps écarté du pouvoir, Mao fondements : le rapprochement
tiques. Entre-temps, proclame- manifestants téléguidés brûlent Zédong y revient en s’appuyant sino-américain est une arme de
ra-t-il après coup, «  le monde des caricatures de l’Oncle Sam sur la jeunesse. dissuasion à l’encontre de l’URSS.
aura changé ». sous mes fenêtres… » « La diplomatie du ping-pong » : En 1971, la Chine populaire entre
De fait, il avait prévenu. Dès Et pourtant, de ce tumulte, voici en avril 1971, la Chine invite les à l’onu. Elle récupère le siège de
1967, Nixon écrivait dans la qu’un cri de marchand de jour- joueurs de l’équipe américaine membre permanent au Conseil
revue Foreign Affairs  : «  Nous naux a émergé, le soir de Noël de tennis de table. Le séjour de de sécurité occupé jusque-là par
ne pouvons tout simplement 1970 à Pékin  : «  Américain… ces sportifs inaugure des rela- la Chine nationaliste (Taïwan).
pas nous permettre de laisser la amical… le président Mao… » Le tions diplomatiques apaisées Le voyage de Nixon marque un
Chine pour toujours à l’écart de Quotidien du peuple, organe du entre les deux pays. début d’ouverture, mais pas le
la famille des nations, à s’adon- Parti communiste, annonce que « L’isolement de la Chine commu- virage qui arrache le pays au
ner à ses fantasmes, à chérir Mao Zedong a reçu le journaliste niste » tient à sa non-reconnais- communisme. Un tel virage date
ses haines et à menacer ses voi- Edgar Snow, un vieux compa- sance internationale depuis 1949. plutôt de 1979, quand Deng Xiao
sins.  » En octobre  1970, moins gnon de route de l’époque de Elle n’est pas membre de l’onu. Ping a commencé à réformer
de deux ans après être devenu la guerre civile. Un « Américain En 1964, toutefois, de Gaulle est le pays.
le 37e président des États-Unis, ami  », voici qui est nouveau.

26 Le monde de 1945 à nos jours


Les articles du

visite de Nixon avant mai 1972. tuels de cyclistes, les cohortes sure de l’événement. En réalité, communiste et que le voyage
Kissinger avait visité la Chine en de passants ont été évacués. il n’en reste pas grand-chose marque le tout début de son
feignant une indisposition pour De rares groupes de piétons dans la mémoire du temps. ouverture au monde extérieur,
s’éclipser à l’aéroport de Karachi. poursuivent leur chemin sans On est contraint de deviner la personne, aujourd’hui, n’en
«  Le 21 février, l’entrée dans même tourner la tête. Ils ont joie du « Grand Timonier » au doute. C’est à en oublier l’infinie
Pékin du premier président ordre d’afficher l’indifférence ». ton condescendant dans lequel platitude de la seule remarque
américain jamais reçu en Chine Littéralement. Un officiel s’en sa presse officielle en rendra attachée par l’Histoire à cette vi-
est un chef-d’œuvre de mise expliquera  : «  Vous compren- compte, présentant le chef de site, cette réflexion proférée par
en scène  », raconte Leclerc du drez qu’il nous serait difficile l’exécutif américain comme Richard Nixon au spectacle de
Sablon. Contrairement à l’ac- de forcer les masses à sortir et venu quémander une aide dis- la Grande Muraille : « C’est un
coutumée pour les hôtes d’État applaudir Nixon ! » crète contre l’Union soviétique. grand mur, effectivement ! »
du tiers-monde qui y défilent, L’entrevue de Nixon avec Mao Mais que la Chine ait amorcé
«  les trottoirs sont immensé- ne donne pas lieu à une de ces alors l’immense virage qui l’a Francis Deron
ment vides. Les essaims habi- phrases historiques à la me- finalement arrachée à l’ornière (13 novembre 2004)

Les incertitudes de la « guerre des étoiles »


O
ù en est l’ids, cette ini- protégeant l’ensemble du terri- respecter « pendant une période blé parfois disposé à réduire
tiative de défense stra- toire américain au profit d’une concertée » le traité abm de 1972 ses exigences. À la limite, le
tégique que M.  Reagan variante simplifiée couvrant sur les antimissiles. Ils viennent problème pourrait être réglé
annonçait au monde il y a cinq certains objectifs militaires seu- de proposer la création d’une par une «  clause suspensive  »
ans, presque jour pour jour  ? lement. Mais c’est un fait que «  inspection internationale de par laquelle Moscou annonce-
Officiellement, elle est toujours des hommes très liés au monde l’espace » chargée de veiller à ce rait son intention de dénoncer
là  : le président américain ne militaire – le sénateur Nunn par qu’aucune arme ne soit instal- unilatéralement le traité start
manque aucune occasion de exemple, plus récemment M. Ri- lée en orbite, « quelle que soit sa au cas où les États-Unis déploie-
redire sa foi dans la future chard Perle, ancien responsable nature physique ». En principe, raient un bouclier spatial. Voilà
constitution d’un bouclier spa- gouvernemental et reaganien la confirmation du traité abm pourquoi ce projet de traité est
tial étanche, « débarrassant à ja- s’il en est – plaident en faveur de reste liée, dans l’esprit des So- très activement négocié actuel-
mais les États-Unis de la menace solutions plus réalistes. À cela viétiques, à la conclusion d’un lement à Genève, et pourquoi
d’une attaque nucléaire  ». Lui s’ajoutent les difficultés bien traité start réduisant de moitié un succès n’est plus à exclure au
font écho les propos optimistes connues que ce projet a intro- les armements stratégiques cours des prochains mois. L’ids,
du général Abrahamson, chef duites dans les négociations de offensifs. En fait, M. Gorbat- précisément parce qu’elle est
du projet, qui annonce périodi- désarmement. Les Soviétiques chev, conscient de l’hostilité affaiblie, apparaît un peu moins
quement des progrès inespérés sont toujours hostiles à l’ids. du Congrès américain à l’ids et comme un obstacle.
dans les recherches menées par Ils continuent de demander à jouant sur le prochain départ
ses savants et techniciens. Et Washington un engagement de de M. Reagan des affaires, a sem- (1er avril 1988)
pourtant l’ids est loin de se por-
ter aussi bien que le disent ses
fondateurs. En premier lieu, elle pourquoi signés (sommet de Washington timisme douteux des généraux,
manque d’argent. Les 6,2  mil- cet article ? de 1987). Ce décalage entre les l’article le laisse entendre.
liards de dollars que M. Reagan deux époques permet d’expli- La remarque sur Gorbatchev
se proposait de demander pour La «  guerre des étoiles  », terme quer les changements qu’elles conforte l’idée que l’effondrement
elle, à l’origine, pour 1989 ont utilisé pour désigner le projet recouvrent : bras de fer d’abord, de l’URSS est d’abord celui d’un
été ramenés à 4,5 milliards par de bouclier spatial du président puis détente. modèle (le système communiste)
M.  Carlucci, nouveau ministre Reagan, s’inscrit dans la période Le projet de « bouclier spatial » fragilisé bien avant que le défi lan-
de la Défense, et la commission de « guerre fraîche », entre 1981 est une relance de la course aux cé par Reagan ne le rende criant.
des forces armées de la Chambre (Reagan entre en fonction) et 1985 armements lancée par Reagan Quelques définitions :
des représentants vient de pro- (Gorbatchev accède au pouvoir dans l’espoir que l’URSS ne puisse Traité abm (Antimissiles balis-
poser de réduire encore cette en URSS). Mais le texte date de pas suivre, ni financièrement, tiques) : signé à Moscou (1972), il
somme à 3,7 milliards de dollars, 1988. À cette date, les réformes ni technologiquement. L’idée est interdit tout déploiement d’un
en dessous de ce qui sera dépen- (Perestroïka, Glasnost) mises en juste, mais repose peut-être sur système de défense antimissile
sé en 1988 (3,9 milliards contre œuvre par Gorbatchev sont bien un coup de bluff du président sur l’ensemble des territoires
5,2 demandés). En second lieu, avancées, le désengagement américain  : les États-Unis peu- américain et russe est interdit.
la finalité du projet reste très soviétique sur la scène inter- vent-ils réaliser un tel projet  ? Le bouclier spatial l’enfreint.
contestée. La Maison Blanche nationale est en cours (retrait En théorie, sans doute ; mais eux Traité start (Strategic Arms Reduc-
a démenti une information du d’Afghanistan) et les relations aussi ont des limites financières tion Treaty)  : il vise à réduire la
Washington Post selon laquelle Est-Ouest détendues. Des accords et technologiques. En soulignant totalité des arsenaux nucléaires
le Pentagone lui-même aurait de désarmement ont déjà été les réductions budgétaires et l’op- des deux superpuissances.
abandonné l’idée d’un bouclier

Le monde de 1945 à nos jours 27


L’essentiel du cours

Mots clés
Conférence de
Bandung
Décolonisation
En 1955, 29 chefs d’États d’Asie et
d’Afrique devenus indépendants
se réunissent dans cette ville
et émergence du tiers-monde
E
d’Indonésie. Parmi eux, on trouve
Soekarno (Indonésie), Nehru (Inde), n une trentaine d’années (1945-1975), les empires coloniaux
Nasser (Égypte), Chou en Laï (Chine).
Condamnant le colonialisme, ils ex-
ont disparu. La décolonisation s’est parfois déroulée pacifique-
priment le souhait que les conflits ment, mais a toujours été douloureuse pour tous. Elle a sou-
puissent se régler par voie pacifique
et qu’une aide soit accordée aux
levé d’immenses espoirs : les nouveaux États indépendants allaient
pays les plus pauvres. La conférence s’unir, peser sur les affaires du monde et se développer ; mais ces
a un grand retentissement, mais espoirs ont été déçus.
la division du tiers monde qui
s’affirme alors comme tiers bloc espèrent s’ouvrir de nouveaux marchés dans
l’empêcha d’atteindre ses objectifs. des territoires qui échapperaient à la tutelle des
métropoles coloniales ; les seconds y voient des
cnuced espaces où étendre leur influence idéologique.
Créée dans le cadre de l’onu en 1964, L’onu, où siègent d’anciennes colonies, leur sert
la Conférence des Nations unies de relais.
sur le commerce et le développe-
ment vise à établir des échanges Des émancipations toujours
commerciaux équilibrés entre pays difficiles
du Nord et pays du Sud. Elle fixe Entre 1945 et 1955, l’Asie est décolonisée  ; à
le niveau de l’aide allouée par les l’exception des colonies portugaises qui n’ac-
premiers à 1  % de leur pnb. Si elle cèdent à l’indépendance qu’en 1975, l’Afrique
favorise le dialogue Nord-Sud, elle l’est entre 1957 et  1963. La Grande-Bretagne
ne parviendra jamais à obtenir les abandonne l’Inde en 1947 et la Palestine en
aides promises ou une réglementa- 1948. Mais les populations qu’ils laissent
tion internationale plus équilibrée. derrière eux se déchirent  : hindous et mu-
sulmans qui créent deux pays (l’Inde et le
Échange inégal Pakistan)  ; juifs et Arabes en Palestine, etc..
Théorie d’inspiration marxiste Les autres puissances coloniales tentent
qui dénonce le déséquilibre des de conserver leurs empires, et s’enferrent
échanges entre pays riches et pays parfois dans de longues guerres. La France
pauvres. Elle s’appuie sur le fait en livre deux  : en Indochine (1946-1954) et
que les exportations de produits en Algérie (1954-1962). Le Portugal combat
manufacturés par les pays du Nord l’indépendance de ses colonies africaines
se font à un prix que les exporta- du début des années  1960 à 1975. Les Pays-
Représentations diverses de la guerre d’Algérie.
tions de produits primaires fournis Bas en Indonésie et le Royaume-Uni en Malaisie
par les pays du Sud ne peuvent pas sont aussi confrontés à des conflits violents. Au
couvrir. Les échanges se font ainsi Une légitime revendication, début des années 1960, les indépendances (Afrique
au détriment du Sud, condamné à héritage de la guerre noire) s’acquièrent plus pacifiquement. Les colonies
s’endetter ou à ne pas se développer. La Seconde Guerre mondiale a affaibli les pays co- qui ont connu des guerres en sortent dévastées.
lonisateurs, les rendant incapables de conserver
Non-alignement leur empire. Les milieux d’affaires soulignent que Dans la plupart des pays, l’indépendance a été mal
Fondé à la conférence de Bandung, les colonies coûtent cher et qu’il est préférable de préparée. Les nouveaux États manquent de cadres po-
confirmé à Belgrade en 1961, le se tourner vers le commerce avec les États-Unis litiques  ; parfois leurs dirigeants sont des guerriers
mouvement des non-alignés a ras- et vers la construction européenne. L’information plus que des gestionnaires. Laissées dans l’ignorance
semblé de nombreux pays du tiers ayant progressé, les opinions publiques occidentales par les colonisateurs, les populations n’ont pas été édu-
monde qui refusaient d’adhérer à comprennent que la colonisation n’apporte pas le quées à la démocratie. Faite pour servir les intérêts
l’un des deux blocs et tentaient de progrès aux colonisés. de la métropole, leur économie doit être restructurée.
résister ensemble à l’impérialisme Plus instruits, les peuples sont aussi mieux orga- Les minorités privilégiées d'origine métropolitaine qui
des superpuissances. En réalité, nisés. Ils réclament le droit des peuples à disposer faisaient fonctionner l'économie moderne se sont en-
nombre de ses membres faisaient d’eux-mêmes au nom duquel la guerre a été menée, fuies avec leurs capitaux ; ainsi en est-il des pieds-noirs
pression pour un rapprochement et que proclament les métropoles signataires de la d'Algérie. L’espoir d’un avenir meilleur règne pourtant.
avec le camp soviétique, qu’ils Déclaration universelle des droits de l’homme. Puisque la colonisation a entretenu l'injustice et la pau-
considéraient comme le «  camp Soucieux de s’ouvrir de nouveaux espaces d’influence, vreté, l'indépendance ne peut qu'amener la prospérité
de la paix ». les États-Unis et l’URSS font pression. Les premiers et l'équité. Pour la première fois, les peuples de couleur

28 Le monde de 1945 à nos jours


L’essentiel du cours

dates clés
1945-1955
Décolonisation de l’Asie.

1945
Indépendance de l’Indonésie.

1946
Début de la guerre d’Indochine.

1947
Indépendance de l’Inde.

1948
Naissance d’Israël.
Chars légers M24 soutenant l’infanterie à Dien Bien Phu, en 1954.
1954
vont être traités sur le même plan que les Occidentaux. Tous leurs efforts d’union politiques échouent Fin de la guerre d’Indochine.
Pour désigner les anciennes colonies, Alfred Sauvy in- également  : le mouvement des non-alignés est
vente l’expression tiers monde. Par ce terme, il entend pratiquement paralysé et le prix du pétrole ne 1955
désigner des pays qui ne sont ni des pays développés se maintient à un niveau élevé que durant une Conférence de Bandung.
occidentaux, ni des pays communistes alignés sur l’URSS. dizaine d’années (1974-1986). Les pays du tiers-
L’onu devient leur tribune commune ; il y apparaît un monde paraissent trop nombreux (plus de 100 1955-1965
« groupe afro-asiatique » (réuni pour la première fois à dans les années  1980) et surtout trop divers pour Indépendance de l’Afrique.
Bandung en 1955) qui défend les intérêts des anciennes pouvoir s'entendre : les intérêts des États divergent
colonies et l’idée du non-alignement. En 1964, l’onu se dans presque tous les domaines et, lorsque des pro- 1956
dote d’une agence destinée au développement du tiers- blèmes urgents se posent, l’égoïsme l’emporte. Afin Indépendance du Maroc et de la
monde : la cnuced. d’obtenir de l’aide, certains pays choisissent de se Tunisie.
Sur le plan économique, ces pays essaient de s’unir pour rapprocher de l’URSS, (modérément comme l’Algérie,
lutter plus efficacement contre l’«  échange inégal  ». ou plus franchement comme Cuba et le Vietnam) ; 1957
Ainsi, en 1960, les principaux producteurs d’hydro- d’autres (le Maroc ou les pays d’Amérique du Sud) Indépendance du Ghana.
carbures forment-ils l’opep, afin de contrôler le prix du restent fidèles à l’Occident. Mais ces alignements
pétrole au mieux de leurs intérêts. En 1973, ils arrivent transforment souvent leur territoire en champs de 1960
à s’entendre  : le prix du pétrole quadruple. Mais les bataille de l’affrontement Est-Ouest, révélant l’illu- Indépendance de l’Afrique noire.
tentatives de coopération échouent le plus souvent. sion d’une véritable indépendance. Ainsi l'Éthiopie
communiste et la Somalie pro-occidentale, l’Iran 1962
et l’Irak dans les années 1980, se déchirent-ils dans Fin de la guerre d’Algérie.
Les désillusions du tiers-monde des conflits destructeurs. Les guerres civiles (Biafra,
La plupart des anciennes colonies restent pauvres et République du Congo) déciment les populations. En 1963
mal développées. Erreurs de gestion, mauvais choix quelques décennies, il ne reste plus rien des espoirs Création de l’Organisation de
économiques, corruptions et détournements des tiers-mondistes des années 1950 et 1960. l’union africaine (oua).
capitaux les accablent, alors
qu’ils doivent surmonter 1965
d’importants défis comme Cinq articles du Monde à consulter Indépendance de la Rhodésie.
l’explosion démographique
ou les guerres civiles. L'écart • La guerre d’Indochine : de la libération à la croisade p. 31-32 1966-1980
de richesse entre pays déve- (Jean Planchais, 23 mars 1991.) Fin de la décolonisation.
loppés et pays pauvres s'est
donc plutôt accru. • Les fruits amers de Bandoung p. 32-33 1970
Pour faire face, ils emprun- (Bertrand Le Gendre, 14 avril 2005.) Indépendance des îles Fidji et
tent aux pays riches. Accumu- Tonga.
lées, leurs dettes deviennent • Dans son rapport annuel sur le commerce et
le développement, la cnuced demande aux pays riches
massives. Faute de transferts 1975
d’adopter des politiques de relance p. 34
de technologie, ils importent (Erik Israelewicz, 16 septembre 1992.) Indépendance des colonies por-
des produits à haute valeur tugaises (Mozambique, Angola,
ajoutée alors qu’ils n’ont que • Non-alignés p. 34-35 Guinée-Bissau…).
des matières premières à (17 septembre 2006.)
vendre. L’échange est d’autant 1978-1986
plus inégal que ce sont les • L'indépendance du Togo p. 35 Indépendance d’îles du Pacifique
pays riches qui fixent les prix (15 octobre 2008.) (Salomon, Kiribati, Micronésie…).
de ces dernières.

Le monde de 1945 à nos jours 29


Un sujet pas à pas

notions clés
Forces anticoloniales
Composition : la décolonisation et
Un certain nombre d’États ou d’or-
ganisations ont encouragé la déco-
ses conséquences (1945, fin des années 1960)
lonisation : les États-Unis et URSS,
qui y voyaient un moyen d’étendre
leur influence économique ou leur
puissance politique  ; l’onu, dont
nombreux États membres étaient
d’anciennes colonies et dont
la charte proclame le droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes ;
les Églises, au nom de la fraternité
qu’elles enseignent et pour faire ou-
blier leur incapacité à empêcher les
crimes contre l’humanité durant
la Seconde Guerre mondiale. Les
opinions publiques des métropoles
ont aussi pesé en faveur de la déco-
lonisation. Aujourd’hui, les mouve-
ments fondamentalistes religieux Représentation de la semaine des barricades, qui s’est déroulée du 24 janvier au 1er février 1960 à Alger durant la guerre d’Algérie
se réclament de l’anticolonialisme.
L’analyse du sujet
Ingérence Il s’agit de décrire le processus d’émancipation politique Ce qu’il ne faut pas faire
Fait, pour un pays, d’intervenir dans des colonies, puis d’évoquer la naissance du «  tiers • Omettre de donner des exemples variés
les affaires d’un autre, de se mêler monde ». Les dates (1945, fin des années 1960) invitent pour chaque partie du développement.
de sa vie politique intérieure. Or, à se concentrer sur les principales phases de la décolo- • Choisir un plan chronologique qui présente
depuis sa fondation, l’onu défend le nisation en Asie et en Afrique. la décolonisation asiatique,
« devoir de non-ingérence » : c’est puis la décolonisation africaine.
même l’un des principes essentiels La problématique
du droit international. Cependant, Dans quelle(s) mesure(s) la décolonisation est une
lorsqu’un régime politique mal- véritable émancipation  ? Les conséquences répon- c) Des mouvements anticoloniaux s’organisent, en af-
traite les citoyens ou gère si mal dent-elles aux attentes des peuples concernés ? firmant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
le pays qu’il met la population en III. Une nouvelle dépendance apparaît.
danger, certains considèrent que Le plan détaillé a) Le tiers monde veut acquérir une indépendance
la communauté internationale a I. 1945-1965 : le processus d’émancipation est politique politique en étant non-aligné.
un « droit » et même un « devoir et mondial. b) Des États démunis et sous-développés sont dépen-
d’ingérence  ». Cette idée est très a)  L’émancipation des peuples de l’Asie est brutale dants économiquement.
contestée, notamment dans les (1945-1955). c) Les grandes puissances font preuve d’ingérence
pays du tiers monde à qui elle b) Le Maghreb rencontre des difficultés pour obtenir et les Sud se divisent.
rappelle fortement l’idéologie son indépendance (1955-1962).
colonialiste. c)  L’Afrique noire a une décolonisation apaisée Les repères essentiels
(1960-1965). • Grandes étapes : décolonisation de l'Asie (1945-1955),
Néocolonialisme II. La conjoncture géopolitique est favorable. d’Afrique du nord (1954-1962), de l’Afrique noire (1960-
Mot qui dénonce les nouvelles a) La Seconde Guerre mondiale affaiblit les métropoles. 1965), de l’Afrique australe et de l’Océanie (1975-1985).
formes de domination d’un État b)  Les États-Unis et l’URSS exercent des pressions •  Empires à évoquer  : britannique, français, belge
(pauvre) par un autre (riche). intéressées. (Congo), portugais et hollandais (Indonésie).
Cette domination est financière
(les dettes), technologique (les
brevets monopolisés par les pays Sujets tombés au bac sur ce thème
du Nord), idéologique (socialisme,
libéralisme), culturelle (l’occidenta- Composition 
lisation par exemple). – Décolonisation et tentatives d’organisation des États nouvellement indépendants jusque dans les années 1970
(Nouvelle-Calédonie, 2007)
Pays en voie – La décolonisation : facteurs, acteurs et modalités (Polynésie, 2009)
de développement – Le Tiers-Monde : indépendances et tentatives d’organisation (1945-fin des années 1980) (Métropole, 2010)
Expression qui désigne le niveau
économique d’un État. Elle sug- Étude d’un ensemble documentaire
gère que ce dernier progresse, mais – Le non-alignement : quelle évolution, quelles limites ? (Amérique du Sud, 2006)
beaucoup de pays sont enlisés dans
la pauvreté.

30 Le monde de 1945 à nos jours


Les articles du

La guerre d’Indochine :
de la libération à la croisade
L
a guerre d’Indochine a été grand mouvement d’indépen- du conseil d’un Parti commu- à leur retour sont accueillis
non seulement un conflit dance des peuples qui suivit la niste qui a derrière lui plus du par des insultes. L’opposition
de décolonisation, mais guerre, de se retrouver sous les quart des électeurs français et à la guerre n’est pas le fait du
aussi une guerre idéologique. plis du drapeau tricolore. de nombreux anticolonialistes seul pc. Une partie des socia-
En 1945, la lointaine péninsule qui n’appartiennent pas au pc. listes, des intellectuels, comme
avait été quelque peu oubliée, « État libre dans La conférence, réunie à Fontai- Jean-Paul Sartre, des hommes
coupée qu’elle était de la France, l’Union française. » nebleau, est cependant un échec politiques comme Pierre
gouvernée au plus près par un Ils avaient entrepris en s’ap- que camoufle tant bien que mal Mendès France ne cessent de
homme de Vichy, l’amiral De- puyant sur les Japonais, puis un modus vivendi signé à la sau- dénoncer, pour des motifs
coux. Le 9 mars, les Japonais, sur la Chine nationaliste, avec vette. Georges Bidault, leader du différents, une guerre de plus
déjà omniprésents, s’étaient le concours d’un Roosevelt mrp et chef du gouvernement, est en plus sanglante, onéreuse et
emparés par les armes de ce décidé à détruire les empires opposé à toute concession. moralement discutable.
qui restait de pouvoir. coloniaux et l’appui moral de Pendant l’absence d’Ho Chi Minh, Les gouvernements français
Pour de Gaulle, il fallait d’abord Moscou, de prendre les rennes les incidents se sont multipliés en où le mrp restera jusqu’en
rétablir l’autorité de la France, du pouvoir. Non sans confu- Indochine. Le 20 novembre 1946, 1954 maître de la politique
quitte à offrir ensuite aux trois sion, luttes intestines, assassi- à Haiphong, un incident dégé- indochinoise, pour se laver de
pays d’Indochine un statut d’as- nats et massacres. À Moscou, nère en bataille et se termine par l’accusation de colonialisme
sociation dans le cadre naissant Staline est le champion de la un bombardement meurtrier. Le donneront leur indépendance
de l’Union française. Le haut-com- «  libération des peuples  ». Au 19 décembre, sous le bref gou- aux États d’Indochine. Plutôt
missaire, l’amiral Georges Thierry lieu de libérer l’Indochine de vernement Blum, Giap attaque dix fois qu’une : les transferts
d’Argenlieu, suivra strictement ces l’occupation nippone, l’armée brusquement les Français d’Ha- de souveraineté, célébrés à
consignes, même après le départ française, arrivée au compte- noï. Quatre cents civils tués. Le chaque fois, ne se termineront
du pouvoir du général. gouttes d’une métropole elle- ministre socialiste Marius Mou- qu’après Genève, en 1954. Au
Les premiers soldats français même en ruine, se trouve pro- tet, arrivé sur les lieux, souligne Vietnam, ils l’accorderont, non
débarqués à Saigon sous les gressivement engagée dans une la préméditation du Vietminh. au gouvernement révolution-
ordres du colonel Massu étaient guerre de reconquête. Leclerc, Ho Chi Minh et son gouverne- naire, mais à l’ex-empereur Bao
persuadés qu’ils poursuivaient commandant, sous ses ordres, ment ont gagné le maquis. Paul Daï, marionnette boudeuse à
en Extrême-Orient la bataille les troupes françaises, entouré Ramadier, qui a succédé à Léon l’autorité personnelle contestée.
contre le totalitarisme qui ve- d’un état-major brillant, estime Blum, remplace l’amiral par un Les Français de métropole, eux,
nait de s’achever en Europe. vite, contrairement à l’amiral, haut fonctionnaire, Émile Bol- à l’exception des anticolonia-
Mais l’Indochine a subi plus qu’il faut traiter et partir. laert qui reçoit des instructions listes, se soucient peu d’une
lourdement que d’autres parties Après avoir dégagé le Sud, vagues d’un gouvernement où guerre menée par des soldats
de l’ancien empire le poids de la Leclerc chasse de Hanoï les coexistent encore communistes, de métier. Ces derniers, aban-
colonisation. Les grands intérêts Chinois nationalistes et signe socialistes et mrp. donnés à leur sort dans des
y étaient naguère puissants, avec Ho Chi Minh le 6 mars 1946 combats de plus en plus san-
les populations, notamment des accords où la France recon- L’Est contre l’Ouest glants en fonction d’une poli-
en Cochinchine, en Annam et naît le Vietnam « État libre dans Mais lorsqu’il débarque à Saigon, tique fluctuante, en conçoivent
au Tonkin, imprégnées d’une le cadre de l’Union française ». Ramadier a, depuis le 5 avril, ex- une amertume qui éclatera
civilisation et d’une culture an- Il proclame Hanoï «  dernière clu les communistes du gouver- plus tard en Algérie.
ciennes, ont mal supporté d’être étape de la libération ». nement. La guerre froide a com-
traitées sans respect, et encore Reste à discuter à Paris de l’en- mencé entre l’Est et l’Ouest. Dès Enfin de Lattre vint
moins la jeune classe intellec- semble des liens entre le Vietnam la fin de 1947, le Parti communiste En 1950, survient la défaite de
tuelle. La lutte anticoloniale a et l’ancienne métropole. L’amiral, engage une violente campagne Caobang où deux mille hommes
des références lointaines. Elle à peine Ho Chi Minh embarqué contre une guerre « livrée aux sont tués, du fait de l’impéritie
avait reçu dès après la Première dans l’avion qui l’emmène en dépens de la classe ouvrière du commandement, et trois
Guerre mondiale l’appui de l’ex- France, crée en Cochinchine un au profit du capitalisme et des mille faits prisonniers dans les
trême-gauche, d’une partie de la gouvernement provisoire d’une états-Unis ». Les dockers cgt de calcaires de la route coloniale
gauche française et d’hommes République autonome : attaque Marseille refusent d’embarquer numéro 4. Celle-ci longe la fron-
comme André Malraux qui créa directe contre le Vietnam uni- le matériel militaire destiné à tière de Chine, où les troupes de
en juin 1925 à Saigon le virulent fié que réclame le Vietminh. l’Extrême-Orient ; les militants, Mao viennent d’arriver. Cette
journal L’Indochine. Nationa- Paris couvre l’opération. Ho Chi comme Raymonde Dien, se masse de captifs tombe entre les
listes et communistes n’avaient Minh a cependant l’appui de couchent sur les voies pour blo- mains d’une armée qui vit dans
nulle envie, en 1945, dans le Maurice Thorez, vice-président quer les trains  ; les militaires la jungle et lui pose d’énormes

Le monde de 1945 à nos jours 31


Les articles du

problèmes. On les confie d’abord en Indochine sous la coupe de désormais qu’elle n’est plus un aide en dollars qui permet à la
aux milices locales avant d’or- principe d’un ministre, le mrp conflit de décolonisation mais France de relever son économie
ganiser un réseau de cent six Jean Letourneau. une croisade contre l’expansion et à les laisser le moins possible
camps et d’entreprendre de leur De Lattre réforme le corps expé- mondiale du marxisme-léni- se substituer à la tutelle française
faire avouer leurs « crimes » et ditionnaire français, lui redonne nisme : les positions occidentales sur les États associés ou se mêler
ceux du colonialisme et de les confiance, écrase plusieurs offen- dans le Sud-Est asiatique sont au- des opérations militaires.
convertir par tous les moyens à sives du Vietminh. Il veut galva- tant de dominos : si l’Indochine La défaite, très médiatisée dans
la doctrine marxiste-léniniste. niser les autorités vietnamiennes tombe, elle entraînera dans sa le monde entier, d’une fraction
Au plus fort de la campagne et mettre rapidement sur pied chute les autres états non com- du corps expéditionnaire à Dien
contre la guerre, la même année, leur jeune armée pour qu’elle munistes de la région. Bien Phu en 1954 alors que se
un jeune second maître de la ma- puisse relever progressivement Les succès de de Lattre, qui meurt tenait à Genève une conférence
rine, Henri Martin, vient d’être les forces françaises. D’autre le 11 janvier 1952, n’ont rien ré- internationale destinée à mettre
arrêté, sous l’accusation d’avoir part, il se rend outre-Atlantique solu mais retardé les échéances. fin à la guerre entraîne la fin du
saboté l’arbre porte-hélice du pour convaincre les États-Unis À Paris, les gouvernements rôle politique et militaire de la
porte-avions Béarn qui devait d’apporter leur concours matériel hésitent  : négocier avec le Viet- France en Indochine. Les États-
appareiller vers l’Indochine et et financier à la défense d’une minh  ? Impossible  : ce serait Unis prennent la relève.
d’avoir mené une campagne position-clé de l’Occident face «  trahir nos soldats ». Laisser la
de tracts clandestins. Martin, aux « rouges ». place aux Américains ? Le jeu, en Jean Planchais
ancien maquisard ftp, engagé Les partisans de la guerre arguent fait, consiste à obtenir d’eux une (23 mars 1991)
à dix-huit ans pour la guerre
contre le Japon, vient, bon gré
mal gré, de passer deux ans en pourquoi pérer quelques personnages est lointaine et manque de
Indochine et a été scandalisé cet article ? décisifs (Ho Chi Minh, Giap, moyens d’action.
par ce qu’il y a vu. Le pc en fait Thorez, Mendès France…) et les
un héros populaire : des mani- Cet article permet de connaître dates clés (le début de la guerre 2. Le droit des peuples à dispo-
festations, une pièce de théâtre, quelques détails de la guerre en 1945, la défaite de Dien Bien ser d’eux-mêmes au nom du-
Drame à Toulon, une campagne d’Indochine et d’aider à mieux Phu en 1954), le texte offre un quel la guerre mondiale a été
d’inscriptions «  Libérez Henri comprendre les événements bon résumé des causes pré- menée et les influences idéolo-
Martin » marqueront ses procès qui seront évoqués dans le cadre cipitant la décolonisation au giques de la gauche française
successifs. Sartre écrit L’Affaire d’une composition : notamment lendemain de la guerre. On incarnée par Malraux et Sartre.
Henri Martin. l’acceptation de l’indépendance peut y puiser le plan détaillé
Affaire de la RC  4, présence des par la France dès 1945, puis les d’une partie de devoir consa- 3. Les pressions des États-Unis
communistes chinois à la fron- confusions liées au contexte de crée à ce thème : qui veulent s’ouvrir des marchés
tière, début de la guerre de Corée guerre froide qui transforme «  en détruisant les empires  »,
font de 1950 une année charnière un conflit de type Nord-Sud en 1. Les héritages de la guerre  : celles de l’URSS qui se veut cham-
dans la guerre froide. Le gou- conflit de type Est-Ouest. l’influence des japonais et des pion de « la liberté des peuples »,
vernement se résigne à confier Outre la possibilité d’évaluer chinois pendant le conflit, la des partis communistes qui sou-
au général de Lattre de Tassigny les rapports de force, de re- ruine d’une métropole qui tiennent les indépendantistes.
les pouvoirs civils et militaires

Les fruits amers de Bandoung


Q ue reste-t-il, cinquante
ans plus tard, des cer-
titudes et des espoirs
de la conférence de Bandung,
Nasser, l’Indonésien Sukarno, le
Cambodgien Sihanouk... À eux
tous, ils représentaient 1,5 mil-
liard d’individus. Quelques an-
quelques mois seulement et la
guerre d’Algérie a commencé.
À Bandung, c’est Hocine Aït
Ahmed, l’un des chefs de la
naïvement, ils voient dans le
tiers-monde une force irré-
sistible propre à contrecarrer
l’«  impérialisme  » des pays
entrée dans l’Histoire comme les nées plus tôt, la plupart vivaient rébellion, qui représente le riches. Ils y gagneront le nom
états généraux du tiers-monde ? sous la tutelle coloniale comme fln. La France, qui croit encore de « tiers-mondistes ».
C’est le 18  avril 1955 que se y vivaient encore, en 1955, aux vertus de la colonisation, Ils ont leurs théoriciens,
réunissaient dans une station l’Afrique noire et le Maghreb. n’apprécie guère. Elle attendra parfois radicaux, du poète et
climatique de l’île de Java, en Acte de naissance du tiers-état 1960 pour se retirer d’Afrique homme politique Aimé Césaire
Indonésie, les représentants de la planète, cette première noire et 1962 pour renoncer au médecin et révolutionnaire
de 29  nations asiatiques et conférence afro-asiatique est définitivement à l’Algérie. Frantz Fanon, deux Antillais.
africaines indépendantes. In- scrutée avec méfiance par Anticolonialistes pour la Dans son Discours sur le co-
croyable pour l’époque, aucun Washington et par Moscou. plupart, les intellectuels fran- lonialisme (1950), le premier
n’était blanc. Par Paris aussi. La défaite de çais saluent la conférence soutient que nul ne colonise
Il y avait là le Chinois Chou En- l’armée française à Dien Bien de Bandung comme l’aube innocemment, ajoutant que
Laï, l’Indien Nehru, l’Égyptien Phu, en Indochine, remonte à d’une ère nouvelle. Un peu « le très humaniste, très chré-

32 Le monde de 1945 à nos jours


Les articles du

tien bourgeois du xxe siècle mondialisation contraste sin- Bandung n’ont pas résisté à temps pouvoir s’en passer au
[...] porte en lui un Hitler qui gulièrement avec l’optimisme cette dérive des continents. nom de l’« arabisation ».
s’ignore ». qui prévalait à Bandung. En La solidarité afro-asiatique a Incontestablement, l’admi-
En 1961, Jean-Paul Sartre – dont 1955, la route est encore longue volé en éclats. Les pays par- nistration locale était mieux
l’influence est alors immense – pour l’Algérie, l’Angola et les ticipants s’étaient pourtant préparée à prendre la relève des
emboîtera le pas à Fanon, dont Noirs d’Afrique du Sud sur le juré de «  réaliser la coopéra- Blancs en Inde qu’en Afrique. Et
il préface Les Damnés de la terre. chemin de la liberté. Mais les tion économique, culturelle les transports y étaient davan-
Il y présente la paysannerie op- participants ont la conviction et politique la plus étroite »... tage tournés vers les besoins
primée du tiers-monde comme que l’émancipation du tiers- Aujourd’hui, seul le Japon, des autochtones. Il suffit de
la «  classe radicale  », celle monde est irréversible. Et que l’unique « riche » de Bandung, regarder une carte. Le réseau
d’où viendra le salut. Qu’elle la prospérité est pour demain, apporte une aide substantielle ferroviaire initié par les Bri-
triomphe, écrit le père de l’exis- pourvu que les ex-colonisés sa- à l’Afrique. Et si la Chine tente tanniques innerve l’ensemble
tentialisme, et «  la Révolution chent parler d’une seule voix. de s’y faire bien voir, c’est du sous-continent indien. En
nationale sera socialiste ». Leur communiqué final en en proportion des réserves Afrique, à l’inverse, les lignes
Ce tiers-mondisme façon Sartre témoigne. Il est tourné vers d’hydrocarbures que recèle le de chemin de fer partent des
ou Fanon n’a plus cours. Au fil l’avenir, non vers le passé. Il ne continent noir. lieux d’extraction des matières
des années, la décolonisation demande pas réparation pour Sans doute était-ce une uto- premières et filent vers les ports
à laquelle aspiraient les parti- le pillage des colonies, pas plus pie de croire que ces deux où les attendaient les navires
cipants de Bandung a enfanté qu’il n’exige la «  repentance  » continents, l’un de tradition à destination des métropoles.
de grands espoirs, certes. Mais des ex-colonisateurs. Un demi- scripturale, l’Asie, l’autre de Heureuse Asie ! Pauvre Afrique,
elle a aussi accouché de régimes siècle plus tard, les ex-colonisés culture orale, l’Afrique, pou- qui donne raison au jugement
peu recommandables, relativi- évoquent plus volontiers la vaient communier dans un porté, en 1955, sur les états gé-
sant les emballements de cette «  dette imprescriptible  » des grand tout, le tiers-monde. Et néraux des peuples de couleur
époque  : la Guinée de Sékou anciennes métropoles. La for- avancer du même pas. par Boutros Boutros-Ghali. Le
Touré, l’Algérie de Boumediene mule est du président algérien Globalement – on s’en aperçoit futur secrétaire général de l’onu
et des bouffons sanguinaires ou Bouteflika, qui ajoutait, en 2000, avec le recul –, la colonisation est alors professeur à l’univer-
grotesques comme Idi Amin que cette créance continuera de avait aggravé ce fossé en pro- sité du Caire : « Si les États réu-
Dada en Ouganda ou « l’empe- peser sur les rapports Nord-Sud fitant davantage à l’Asie qu’à nis à Bandung ont appris à se
reur » Bokassa en Centrafrique. « aussi longtemps qu’elle n’aura l’Afrique. Héritage de l’Empire connaître, il n’en demeure pas
De Charles de Gaulle à Jacques pas été exorcisée, c’est-à-dire britannique, l’usage de l’an- moins que la conférence a été
Chirac, la France a rarement lucidement prise en compte ». glais est un atout pour l’Inde en dernière analyse une foire
trouvé à redire à ce dévoiement à l’heure de la mondialisation, aux illusions » en prétendant
des promesses de Bandung, si Dérive des continents dont elle est l’un des grands offrir aux déshérités « l’espoir
l’on excepte le discours de Fran- Si le Sud stagne, comme le bénéficiaires. Le français ne de lendemains meilleurs ».
çois Mitterrand lors du sommet déplore Abdelaziz Bouteflika, peut prétendre au même rôle,
franco-africain de La Baule en l’Orient, lui, a décollé. L’anni- en Algérie par exemple, sur- Bertrand Le Gendre
1990. Chacun s’est satisfait versaire de la conférence de tout lorsque ce pays croit un (14 avril 2005)
de la situation  : les potentats Bandung incite à se demander
locaux, laissés à leurs petites pourquoi. En 1955, on parle du
affaires, et l’ex-colonisateur, tiers-monde naissant comme pourquoi des deux Grands et de la
soucieux – revanche inespérée d’une entité indistincte, un cet article ? France est également à
sur Bandung – de perpétuer son continent en soi. Même ardeur prendre en compte parce
influence en Afrique. émancipatrice, même niveau Cet article illustre princi- qu’elle explique pourquoi
L’étoile du tiers-mondisme a de sous-développement. À cette palement la naissance du les États du Sud peineront
pâli, mais il n’est pas mort. Il différence près que l’Afrique tiers-monde, mais aussi son à trouver leur place dans
a simplement muté. Versant subsaharienne paraît mieux échec à former un tiers bloc la scène internationale : les
humanitaire, on lui doit les partie. Il y a trente ans encore, et un espace de solidarité, intérêts des puissances sont
«  French doctors  », Médecins en 1975, elle était deux fois plus que ce soit à moyen ou à une des causes de leur échec.
sans frontières et autres, riche que l’Asie en termes de long terme. Cette explication est à relier
dont l’avènement est conco- revenu moyen par habitant. Concernant la conférence de à l’échec du non-alignement
mitant des grandes tragédies Pourtant, à la fin des années Bandung, il permet de repé- et à celui de la cnuced.
de l’Afrique postcoloniale, 1980, leurs courbes de déve- rer quelques personnages Évoquant le rôle des intellec-
au Biafra et ailleurs. Versant loppement vont se croiser. À clés à connaître pour les citer tuels, l’article permet égale-
politique, il s’est régénéré partir de ce moment, l’Asie ne dans une copie (Sukarno, ment d’illustrer l’ambiance
dans l’alter mondialisme, une cessera de progresser, tandis Nehru, Nasser, Chou En- idéologique et culturelle de
conversion dont Le Monde di- que l’Afrique noire continuera Laï), de mettre en évidence la France des années  1950.
plomatique est la butte témoin, de sombrer. Cela, en 1955, ni quelques formules à retenir Il est important de retenir
mensuel tiers-mondiste hier, l’Indien Nehru ni l’Ivoirien parce qu’elles résument les le nom de Frantz Fanon,
matrice du mouvement Attac Houphouët-Boigny, qui se pré- idées du communiqué final dont l’ouvrage a été une
à sa création en 1998. pare alors à prendre les rênes de (« parler d’une seule voix »). référence intellectuelle du
Le regard que porte cette son pays, ne l’auraient imaginé. La réaction de « méfiance » mouvement tiers-mondiste.
gauche de la gauche sur la Les protestations d’amitié de

Le monde de 1945 à nos jours 33


Les articles du

Dans son rapport annuel sur le commerce


et le développement, la cnuced demande
aux pays riches d’adopter des politiques
de relance
D
ans son rapport an- éviter une déflation généralisée probablement une réduction plu- le secrétariat de la cnuced plaide
nuel, publié mardi 15 et une « autre décennie perdue », tôt qu’un accroissement de ces en faveur «  d’une libéralisation
septembre, la cnuced la cnuced demande aux pays déficits ». du commerce extérieur […] pro-
(Conférence des Nations unies riches d’« adopter des politiques gressive et mesurée ». Jugeant que
sur le commerce et le développe- keynésiennes  » et d’augmenter Libéralisation du com- « réforme du secteur public n’est
ment) demande aux pays riches leurs dépenses budgétaires, merce extérieur pas synonyme d’abandon de toute
d’«  adopter des politiques key- notamment sociales et d’infras- Estimant que malgré les progrès forme d’intervention publique »,
nésiennes d’accroissement des tructure. Cela ne risque-t-il pas enregistrés pour certains pays, « il il écrit notamment que « la mé-
dépenses publiques  » pour re- d’accroître le déficit budgétaire, serait prématuré de déclarer le pro- thode appliquée avec succès par
lancer l’activité et sortir le monde déjà important dans les pays où blème de la dette [du tiers-monde] de nombreux pays a été d’intégrer
du «  risque de déflation par la « le syndrome de la dette est déjà résolu », le rapport juge nécessaire les politiques de concurrence dans
dette  » dans lequel il se trouve. le plus marqué  », comme aux « de revoir encore l’ampleur et les une politique industrielle de plus
Le secrétariat de la cnuced estime États-Unis  ? La cnuced conteste modalités d’une réduction de la vaste portée ».
que « la présente récession [dans cette analyse : « En encourageant dette des pays les plus pauvres ».
les pays industrialisés] est la une croissance du revenu, une À propos des réformes engagées Erik Izraelewicz
première de la période d’après- hausse des dépenses entraînerait dans les pays en développement, (16 septembre 1992)
guerre où la déflation par la dette
joue un rôle crucial ». L’économie
mondiale se trouve, de ce fait, pourquoi monde à s’extraire de la dépen- à redistribuer les richesses ou à
«  dans une impasse, le secteur cet article ? dance que la décolonisation leur relancer l’activité par des investisse-
privé [surendetté] étant, dans faisait espérer. Deux problèmes ments dans les secteurs structurels.
la plupart des principaux pays, Cet article permet de découvrir le sont ici mis en évidence : Elle suppose l’intervention de l’État.
incapable d’impulser une reprise rôle de la cnuced, organisme créé –  l’aide au développement des La politique de relance consiste à
de la croissance ». en 1964 par l’onu pour favoriser pauvres par les riches qui reste in- favoriser la reprise économique
Cette situation inquiète la cnuced la mise en place d’échanges com- suffisante en dépit des promesses par l’augmentation des dépenses
car elle pèse aussi sur les pays merciaux équilibrés, l’accès des du dialogue Nord-Sud. L’engage- publiques. Celles-ci peuvent servir
en développement. Le rapport pays du Sud aux marchés du Nord ment pris par les pays riches de à aider les ménages pour créer une
souligne qu’en 1991 la production et l’amélioration des termes de consacrer 1 % de leur pib à l’aide aux demande de consommation.
mondiale a stagné, le commerce change. Trente ans plus tard, les pays pauvres n’est pas tenu ; La déflation par la dette est la
mondial a crû de 3 % en volume pays du Sud, fournisseurs de –  la dette qui témoigne de l’exis- théorie selon laquelle la déflation
–  la progression «  la plus faible matières premières dont les prix tence de prêts ayant vocation à (baisse des prix) entraîne une
depuis 1983 » – et de 2 % seule- baissent, sont victimes d’une aider les pauvres, mais qui, para- hausse de la valeur réelle des
ment en valeur, compte tenu en dette dont le poids s’alourdit ; ce doxalement, les asphyxie. dettes, rendant plus difficile le
particulier de la baisse des prix fait témoigne de l’échec du tiers- La politique keynésienne tend remboursement des emprunts.
des matières premières. Pour

Non-alignés
C
ent dix-huit délégués dont quelque guerre froide entre les Occidentaux et les Nehru, l’Indonésien Sukarno... Le chef de la
cinquante-cinq chefs d’État et de Soviétiques. révolution cubaine, Fidel Castro, qui se remet
gouvernement, réunis ces jours- L’année suivante, la conférence afro- péniblement d’une grave opération, est le
ci à La Havane pour le 14e sommet du asiatique de Bandung, en Indonésie, dernier survivant de cette génération.
Mouvement des non-alignés, sont à la rassemblait quelques-uns des ténors qui Les objectifs des premiers non-alignés
recherche d’une nouvelle raison d’être pour allaient se retrouver six ans plus tard au étaient simples à énoncer  : refuser l’an-
leur organisation. L’expression non-alignés premier sommet des non-alignés à Belgrade : tagonisme entre les deux blocs idéolo-
a été forgée par Nehru en 1954, en pleine le Yougoslave Tito, l’Égyptien Nasser, l’Indien gico-militaires qui se partageaient alors le

34 Le monde de 1945 à nos jours


Les articles du

monde ; se tenir à égale distance


des États-Unis et de l’URSS et Quelques personnalités, lieux leaders compromit le projet ;
essayer de tirer le meilleur parti pourquoi et dates doivent impérative- –  1991 à nos jours  : la dispari-
de la rivalité entre les deux. La cet article ? ment être cités dans une copie : tion de l’URSS remet en cause
recherche de cette «  troisième Nehru, l’initiateur de l’idée en le principe du non-alignement,
voie  » entre le capitalisme et Le non-alignement est un 1954 ; la conférence de Bandung qui, incarné par des personna-
le communisme soviétique n’a thème qui intéresse de nom- (1955), première tribune où lités socialistes (Castro, Chavez),
pas toujours connu un grand breux chapitres : celui portant s’exposa le principe  ; Tito, qui se transforme en antiamérica-
succès, mais au moins le non- sur la «  Décolonisation  » dans organisa la première conférence nisme, au risque de se décon-
alignement avait-il un sens. la mesure où il concerne «  la des non-alignés (Belgrade en sidérer.
La disparition du camp so- naissance du tiers-monde » ; ce- 1961)  ; Castro, qui fut l’une L’article permet d’aborder la
cialiste a changé la donne. lui de « La guerre froide » parce des figures emblématiques du question de la réforme de l’onu
Le mot non-alignés est resté, qu’il est une des composantes mouvement. L’article rappelle et du Conseil de sécurité suscep-
mais, depuis les années 1990, des relations Est-Ouest  ; celui l’ambition des non-alignés  : tible d’être présentée comme
le Mouvement se caractérise sur « Le nouvel ordre mondial refuser la logique bipolaire du une solution pour les pays
par une hostilité à sens unique après 1991  » étant donné qu’il monde, exploiter l’affronte- pauvres  : ils seraient mieux
envers les États-Unis. Au som- pose le problème de la place des ment Est-Ouest au mieux des représentés si des pays émer-
met de La Havane, le président pays pauvres dans le cadre de la intérêts du sud et créer une gents (Inde, Brésil) héritaient
vénézuélien, Hugo Chavez, que mondialisation. « troisième voie » entre le mo- des pouvoirs des cinq membres
Fidel Castro a adoubé comme L’article recouvre deux périodes dèle communiste et celui libéral. permanents, et seraient mieux
nouveau chef de la révolution bien tranchées : Mais la sensibilité socialiste (Ne- à même de se défendre si le
socialiste, tente de fédérer l’or- –  1954-1965 (environ), période hru, Sukarno) ou communiste droit de veto de ces derniers
ganisation autour de l’antiamé- de naissance du mouvement. (Tito, Castro) des principaux était aboli.
ricanisme. La tâche est difficile,
car, si les dirigeants d’Afrique,
d’Asie et d’Amérique latine sont américains. Ils restent ainsi la bénédiction de Washington. l’élargissement de ce même
prêts à dénoncer «  l’hégémo- modérés dans leurs critiques. Un thème au moins les réunit : Conseil. Les divergences réap-
nie  » américaine, ils ne sont Ils ont insisté pour que soient la réforme de l’onu. Ils militent paraissent toutefois quand il
pas tous disposés à rompre des gommées des résolutions de pour la «  démocratisation  » s’agit de savoir qui devrait en
lances avec Washington. La Havane les passages les de l’organisation, pour l’aug- bénéficier. C’est une des raisons
Beaucoup mènent dans leur plus virulents, qu’il s’agisse de mentation des pouvoirs de pour lesquelles la réforme de
pays une politique écono- la politique israélienne ou de l’Assemblée générale –  où ils l’onu, aussi nécessaire soit-elle,
mique libérale, tandis que l’Irak. Ils ont d’ailleurs accueilli sont majoritaires  – contre le n’est pas pour demain.
pour d’autres le maintien au dans leurs rangs les nouveaux Conseil de sécurité dominé par
pouvoir dépend des subsides dirigeants de ce pays élus avec les grandes puissances, et pour (17 septembre 2006)

L’indépendance du Togo
P
ar la voix de son délégué au conseil de que la monnaie, la défense et la diplomatie.
tutelle, M. Kosciusko-Morizet, la France La Chambre des députés, convoquée à pourquoi
a officiellement informé l'Organisation Lomé, examinera sans aucun doute les cet article ?
des Nations unies de son intention d'accorder modifications éventuelles à apporter à
l'indépendance au Togo en 1960. l'actuel statut. Il n'est donc pas exclu qu'une Ce texte évoque un exemple de décoloni-
En dix ans, le Togo aura franchi les étapes nouvelle étape soit franchie avant même la sation négociée. Il rappelle aussi les liens
qui devaient le conduire à l'émancipation proclamation de l'indépendance. Malgré de de coopération qui se sont établis entre les
politique. Sous mandat français depuis le traité réelles affinités ethniques, la République anciennes colonies et la cee.
de Versailles de 1919, sous tutelle depuis 1946, du Togo ne songe pas à lier son sort à celui Un mandat plaçait un territoire sous la
le Togo est devenu république autonome le du Ghana. D'autre part, les divergences responsabilité d’une puissance ; l’autono-
24  août 1956. Il bénéficia successivement de d'intérêts, plus encore que les différences de mie permettait de transférer des pouvoirs
réformes politiques qui ne pouvaient aboutir statut politique, excluent un rapprochement politiques à des responsables locaux.
qu'à l'indépendance. avec le Dahomey, voisin oriental. Le Togo indépendant a établi des relations
Le 22  mars 1957, les pouvoirs du premier II se pourrait donc que le Togo soit un des de coopération économique dans le cadre
ministre furent renforcés. Le 22  février 1958, premiers États indépendants à demander de la convention de Lomé (1975), accord
la «  République du Togo  » fut officiellement à bénéficier du titre XIII de la Constitution, passé entre la cee et 46 pays d'Afrique, des
proclamée, et le 25 février 1958 étaient signées c'est-à-dire à s'associer librement à la Caraïbes et du Pacifique. NB  : Dahomey
les conventions franco-togolaises. « Communauté ». correspond à l’ancien nom du Bénin.
Ne relevaient plus de la compétence de la France (15 octobre 2008)

Le monde de 1945 à nos jours 35


L’essentiel du cours

Mots clés
otan
À la recherche
d’un nouvel ordre mondial
Organisation du traité de l'At-
lantique Nord. Cette alliance
militaire regroupe depuis 1949,
Les états-Unis, le Canada, leurs

E
alliés en Europe occidentale et
la turquie, afin d'organiser la dé-
n 1991, l’URSS disparait au moment où la Chine se dote d’une
fense de l'Occident contre une économie plus ouverte aux valeurs du capitalisme. Avec le recul
éventuelle agression soviétique. du communisme, la guerre froide prend fin et l’espoir de voir
Droit d’ingérence s’instaurer un nouvel ordre mondial pacifié naît. Mais de nouveaux
humanitaire dangers apparaissent, qui obligent le monde à trouver des solutions
Apparue pendant la guerre du
Biafra (1967-1970), cette notion
pour les contenir.
défend l’idée que certaines situa- internationales. Mais les peuples
tions exceptionnelles (famines, profitent de la liberté de parole
épidémies, génocides…) peuvent concédée pour se révolter : symbole
justifier la remise en cause de de la bipolarisation du monde, le
la souveraineté et autoriser des mur de Berlin tombe en 1989 ;
forces internationales à interve- deux ans plus tard, l’URSS disparaît.
nir dans les affaires intérieures En Europe, la Russie n’est plus qu’une
d’un État. puissance moyenne et les anciens
Les partisans de cette idée la jus- États communistes rejoignent
tifient au nom de la Déclaration l’Union européenne et l’otan. Dans
universelle des droits de l’homme d’autres régions du monde, la
et du citoyen  ; mais beaucoup y fin de la guerre froide permet de
voient du néocolonialisme. régler des problèmes anciens  : en
Afrique du Sud, l’apartheid prend
Mondialisation fin. Les pays du tiers monde qui se
Processus de constitution d’un réclamaient du socialisme pendant
marché universel  : les espaces la guerre froide y renoncent.
économiques nationaux laissent Les États-Unis n’ont plus
place à un espace mondial in- d’adversaire majeur. Militairement,
tégré. C’est l’image du «  village ils sont plus puissants que jamais ;
planétaire », l’idée d’un « système économiquement et culturellement,
monde ». La mondialisation tend leur modèle s’exporte. Le monde
à redistribuer richesses et travail, semble s’américaniser.
intensifie les échanges interna-
tionaux et favorise le développe- Un nouveau désordre
ment des régions intégrées. mondial
Les altermondialistes lui repro- Seuls «  gendarmes du monde  »,
chent d’aggraver les inégalités, de les États-Unis tentent de diffuser
déstabiliser les sociétés tradition- leurs modèles économique et po-
nelles et d’ignorer les problèmes litique. Ils interviennent en Irak
sociaux ; ils proposent un déve- (2003) pour y imposer la démocratie, ou en Yougos-
Drapeau de l’otan.
loppement plus égalitaire, res- lavie (1992-1995) par le biais de l’otan pour y rétablir
pectueux des droits de l’homme la paix  ; mais ils suscitent des réactions de rejet
et de l’environnement. La fin de la bipolarisation et peinent à atteindre leurs objectifs. De fait, c’est
Dans les années  1980, l’URSS semble plus forte plutôt le désordre qui règne. De nouvelles guerres
Fondamentalisme que jamais. Mais sa puissance est un leurre. ensanglantent le monde (Afghanistan, Kosovo).
Attachement strict aux principes Maintenir son influence lui coûte cher, et ses alliés En 1994, un génocide déchire le Rwanda. Le conflit
originels (ou fondements) d’une rejettent son modèle. Celui-ci est même contesté israélo-palestinien est plus meurtrier que jamais. Le
doctrine, souvent religieuse. de l’intérieur  : la dictature étouffe les initiatives nombre de pays dotés de l’arme nucléaire s’accroît,
En conséquence, les fondamen- et les retards économiques s’accentuent. Le pays tandis que le terrorisme devient un problème ma-
talistes rejettent toutes formes n’arrive même plus à suivre la course aux armements. jeur : arme des faibles, il permet à des organisations
d’innovations ou d’évolutions À partir de 1985, Mikhaïl Gorbatchev tente de sans grands moyens de faire beaucoup de dégâts
de leur doctrine, des rites, des réformer le système en menant une politique de et de marquer les esprits. Le «  nouveau désordre
mœurs ou usage. « restructuration » de l’économie (perestroïka) et de mondial » contraste avec l’intégration toujours plus
Radicaux, ils peuvent se montrer « transparence » politique (glasnost). Pour diminuer poussée des économies, renforçant l’impression que
violents. les dépenses militaires, il cherche à apaiser les tensions les gouvernements n’ont plus beaucoup de prise sur

36 Le monde de 1945 à nos jours


L’essentiel du cours

les évolutions majeures.


Parce qu’elle crée de nouvelles
dates clés
inégalités, la mondialisa- 1991
tion est dénoncée comme Effondrement de l’URSS ; fin du
source de mille maux et Pacte de Varsovie (organisation
l’hégémonie américaine est militaire du bloc soviétique fon-
critiquée. Des mouvements dée en 1955).
altermondialistes préconi-
sant de nouvelles formes de 1992
développement multiplient Traité de Maastricht qui entre
les manifestations. Au nom en vigueur le 1er novembre 1993.
de l’Islam et de ses tradi- Il vise notamment la création
tions, les fondamentalistes d'une Banque centrale euro-
musulmans s’attaquent aux péenne et d'une monnaie unique
Occidentaux, les accusant (l'euro), ainsi que la mise en
d’opprimer leurs peuples. œuvre d'une politique étrangère
Ils s’appuient sur les conflits et de sécurité commune.
israélo-palestiniens, sur les
interventions militaires amé- 1993
ricaines au Moyen Orient et Accord de libre échange USA-
sur les discriminations dont Canada-Mexique (Alena).
les musulmans peuvent souf-
frir dans de nombreux pays 1994
pour justifier les attentats Génocide au Rwanda.
qu’ils fomentent. Ils plongent
des pays (Algérie) dans de 1995
dramatiques guerres civiles. Fin de la guerre des Balkans  ;
Le 11 septembre 2001, l’orga- création de l’omc.
nisation Al-Qaïda frappe les
États-Unis chez eux. Londres 1999
et Madrid sont également tou- Vue aérienne de Ground zero, après les attentats des tours jumelles du World Trade Adhésion de la Pologne, de la
Center le 11 septembre 2001.
chés par des attentats. Hongrie et de la Tchéquie à l’otan.

Réformer les instances accordant le statut de membre permanent de l’onu 2001


internationales ? à des puissances régionales (Inde, Brésil, Afrique du Attentats du 11 septembre à New-
Contre les nouveaux désordres, les Européens pour- Sud) sont avancés. L’idée d’un «  droit d’ingérence York ; adhésion de la Chine à l’omc.
suivent la construction européenne afin d’étendre humanitaire » est proposée. Depuis 2002, une cour
et de renforcer l’espace de paix et de prospérité pénale internationale (tpi) représente une ébauche 2003
que représente l’Union européenne. Sur ce modèle de justice internationale. Un groupe composé des Intervention américaine en Irak.
communautaire, d’autres régions du monde optent 20 États les plus puissants (G20) se met en place :
pour des stratégies de renforcement des liens régio- il se réunit régulièrement pour aborder les grands 2004
naux : Mercosur entre certains pays de l’Amérique problèmes. Attentats à Madrid  ; entrée de
du Sud (Argentine, Uruguay, Brésil, Paraguay) ou Face aux dérèglements écologiques, les Nations dix États d’Europe de l’Est dans
l’Alena, accord de libre-échange entre le Mexique, adoptent des protocoles de lutte commune (confé- l’Union européenne.
le Canada et les États-Unis (1994). rence de Kyoto, 1997), mais les pays les plus impor-
Au niveau mondial, on essaie de réformer les tants (États-Unis, Chine) refusent de les ratifier. 2005
institutions internationales, notamment l’onu. Des Toutes ces évolutions n’en sont qu’à leurs débuts, et La France et les Pays-Bas votent
projets pour rééquilibrer le Conseil de Sécurité en n’ont pas encore beaucoup d’effets concrets. «  Non  » au Traité de constitu-
tion européenne (tce) ; attentats
à Londres.

Trois articles du Monde à consulter 2007


Traité de Lisbonne, dont l'objectif
• La difficile réforme des institutions internationales p. 39 est de permettre à l'Union euro-
(27 mars 2008.)
péenne de disposer d'institutions
• Sommet de l’onu : Kofi Annan et Georges Bush appellent à une réforme vitale p. 39-40 modernes et de meilleures mé-
(14 septembre 2005.) thodes de travail pour relever
efficacement les défis du monde
• Kofi Annan présente un projet de réforme de l’onu p. 40-41 d'aujourd'hui.
(lemonde.fr, 20 mars 2005.)
2008
Crise financière.

Le monde de 1945 à nos jours 37


Un sujet pas à pas

notions clés
Triade
Composition : le monde depuis 1991,
Terme qui désigne les trois pôles
économiques dominant dans le
monde, centres d’impulsions po-
un nouvel ordre international ?
litiques et économiques majeurs : puis l’américanisation contestée de
les Etats-Unis, l’Union européenne la planète. On peut aussi combiner
et le Japon. les approches de la façon suivante.
Dans un premier temps, on pré-
Ville-monde sente la puissance américaine à
Agglomération qui exerce des travers l’ordre politique qu’elle veut
fonctions stratégiques à l’échelle imposer, l’influence économique
de la planète. Son rayonnement qu’elle exerce et l’attractivité de son
est à l’échelle mondiale. Elle modèle culturel.
concentre les fonctions de com- Dans un deuxième temps, on peut
mandement économiques (sièges étudier la mise en place de l’ordre
sociaux, banques, marchés bour- multipolaire dans le cadre de l’onu,
siers), les laboratoires de recherche ou autour de centres d’impulsion
et formation supérieure (univer- économique et technique (Triade
sités)  ; elle polarise des flux de et villes-monde).
toutes natures qui entretiennent Un troisième temps peut être
sa puissance (marchandises, capi- consacré aux nouveaux désordres
taux, populations, informations) ; qui remettent en cause l’organi-
elle est reliée au monde par de Wall Street, l’un des symboles de la puissance économique sation de monde contemporain : les conflits locaux
nombreux réseaux de communi- américaine (Palestine, Afghanistan), les réactions identitaires des
cations. New-York, Londres, Paris, peuples menacés qui nourrissent le terrorisme inter-
Hong-Kong, Singapour et Tokyo L’analyse du sujet national, les critiques émises par les mouvements
sont les six villes-monde les plus Il s’agit de décrire la situation mondiale dans tous altermondialistes ou écologistes.
importantes. ses aspects (politiques, culturels économiques…)
pour en définir les caractéristiques : multipolaire, Les repères essentiels
Piliers de la mondialisée, occidentalisée… Les grands ensembles régionaux : l’Union européenne
puissance américaine et la Méditerranée ; l’Alena ; l’asean (Asie du sud-est)
Les États-Unis maintiennent La problématique associée au Japon et à la Chine ; l’Amérique du Sud
leur puissance grâce à quelques Ce nouvel ordre est-il plus pacifié que pendant la centrée sur le Mercosur ; le monde arabe (Afrique du
moyens qui touchent les do- guerre froide  ? Vainqueurs de l’affrontement avec Nord et Proche-Orient) ; l’Inde.
maines suivants : l’URSS, les États-Unis sont-ils hégémoniques ? Sur ce fond s’impose la Triade (États-Unis, dorsale
– militaire : ils possèdent l’arme européenne et mégalopole japonaise).
atomique et ont la seule armée Le plan et les thèmes
capable d’intervenir sur tous les Le plan peut être antithétique pour opposer la réalité
points du globe. L’otan, le pacte d’un ordre dominé par les États-Unis aux limites Ce qu’il ne faut pas faire
de Bagdad, le traité de Rio d’as- de cette domination. Une approche thématique est • Limiter l’analyse au seul ordre politique.
sistance réciproque interaméri- cependant préférable afin d’analyser successivement • Suivre un plan chronologique (la période
caine, lui assurent le soutien de l’ordre politique (domination américaine), la est trop courte et on manque de recul).
nombreux alliés ; compétition économique (dominée par la Triade),
– politique : ils occupent le siège
de membre permanent de l’onu et
disposent du droit de veto ; Sujets tombés au bac sur le thème du nouvel ordre mondial
–  économique  : leur position
est renforcée avec le dollar, les Composition :
firmes multinationales, les mar- – Le monde depuis 1991 : un nouvel ordre international ? (Métrople, 2007)
chés boursiers qui drainent les – Les relations internationales de 1975 à 2003 (Asie, 2009)
capitaux (Wall Street, Nasdaq) ; – Ordre ou désordre mondial depuis le début des années 1970 (Polynésie, 2005)
– culturel : ils exercent une forte
influence dans le monde avec Étude d’un ensemble documentaire
leur langue, leurs médias (CNN), – Le tournant des années 1990 : une rupture dans les relations internationales (Antilles, 2007)
le cinéma (Hollywood) et ses – Les années 1970 : un tournant dans la situation internationale (Inde, 2006)
artistes… ;
–  recherche  : leurs laboratoires Étude d’un document historique
bien équipés et leurs universités Un nouvel ordre mondial ? Discours de G. Bush (Inde, 2005)
attirent les plus grands cher-
cheurs (brain drain).

38 Le monde de 1945 à nos jours


Les articles du

La difficile réforme des


institutions internationales
Réformes vité. Les assemblées du fmi et de leurs voix afin d’accroître son fondateur, Valéry Giscard
Selon l’Élysée, la France et le de la Banque mondiale, à la mi- celles des pays émergents. d’Estaing, qui juge que «  treize,
Royaume-Uni ont la même ap- avril, seront l’occasion de tester c’est trop pour être efficace et pas
proche pour réformer les insti- la bonne volonté du couple fran- G8 assez pour être représentatif ».
tutions internationales – Conseil co-britannique, pour l’instant L’élargissement du G8 ne fait
de sécurité de l’onu, Fonds moné- d’accord pour céder une partie pas l’unanimité, comme l’analyse (27 mars 2008)
taire international (fmi), Banque
mondiale  – et ouvrir le G8 à la
Chine, à l’Inde, à l’Afrique du Sud, pourquoi Le texte évalue le nouvel équi- en identifie certaines raisons :
au Brésil et au Mexique. cet article ? libre des forces dans le monde. – « la bonne volonté du couple
De bipolaire (opposition États- franco-britannique  » pose la
Institutions Cet article, bref, permet sur- Unis-URSS), il est devenu mul- question de la résistance des
financières tout de classer les enjeux du tipolaire avec quelques Grands pays bénéficiaires de pouvoirs.
Le fmi commence à muscler « nouvel ordre mondial », que incontournables : les États-Unis, Les membres permanents du
sa fonction de surveillance, ce soit aux niveaux politique l’Union européenne (incarnée Conseil de sécurité accepte-
après avoir été inaudible dans (réforme du Conseil de sécurité), par la Grande-Bretagne et la ront-ils de les partager ou d’y
la crise des subprimes. La économique (rôle du fmi et de la France), la Chine (en passe de renoncer ? ;
Banque mondiale a introduit Banque mondiale), écologique devenir la première puissance – la non-unanimité pour élargir
le financement de la protec- (quelles instances pour imposer économique mondiale), l’Inde le G8 renvoie aux intérêts diver-
tion de l’environnement dans des réglementations assurant (1 milliard d’habitants), le Brésil, gents de tous les pays.
son action en faveur du déve- un développement durable  ?), l’Afrique du Sud (puissances ré- Dans le cadre d’un devoir, on
loppement. ou concernant la représentati- gionales), le Japon et l’Allemagne. peut ainsi soulever la problé-
vité des instances, l’efficacité Les réformes posent la plupart matique suivante : le G20 est-il
Représentativité des organisations et les objectifs du temps de grandes difficultés un organisme trop lourd pour
La vraie réforme de ces institutions à atteindre. pour être admises, et le texte être efficace ?
sera celle de leur représentati-

Sommet de l’onu : Kofi Annan et Georges Bush


appellent à une réforme vitale
L
e Premier ministre sué- assumé la présidence de la promouvoir la démocratie forme est importante et doit
dois, Göran Persson, a précédente session, par l’in- ou répondre à des désastres se poursuivre [...] nous ne pou-
ouvert, mercredi matin termédiaire de son ministre naturels ou causés par vons ignorer que faire face aux
14  septembre à New York, le des affaires étrangères, Jean l’homme, nous avons constaté défis de notre époque requiert
plus grand sommet de l’his- Ping. C’est ensuite le secrétaire que même les plus puissants de l’action et cette action doit
toire destiné à réformer l’onu à général des Nations unies, Kofi d’entre nous ne peuvent être collective si elle veut être
l’occasion du 60e anniversaire Annan, qui a prononcé un dis- réussir seuls  », a-t-il déclaré efficace », a-t-il poursuivi.
de sa création et à stimuler cours, suivi par le président dans son discours face aux Les dirigeants présents au
la lutte contre la pauvreté. américain, George W.  Bush, représentants de quelque 170 sommet doivent adopter un
M.  Persson préside ce som- en qualité de représentant du pays, dont 150 chefs d’État ou document sur une réforme de
met de trois jours, car c’est pays hôte. de gouvernement. l’onu et sur une relance d’un
son compatriote, Jan Eliasson, Kofi Annan a prononcé un vi- « En même temps, a-t-il ajouté, effort global en faveur du dé-
qui assume depuis mardi la brant plaidoyer pour la mise nous ne pouvons pas réussir veloppement, sur lequel leurs
présidence de l’Assemblée gé- en œuvre de la réforme de non plus sans le leadership diplomates se sont mis d’ac-
nérale des Nations unies pour l’onu et pour une « action col- des puissants et l’engagement cord in extremis, mardi. Ce do-
sa 60e session. lective » face à la pauvreté et de tous. C’est pourquoi il est cument de trente-cinq pages,
Le président gabonais, Omar aux défis à la sécurité. « Que vital d’avoir des Nations unies résultat d’un compromis
Bongo, a succédé à la tribune le défi consiste à maintenir en bonne santé et efficaces. » obtenu après trois semaines
à M. Persson, le Gabon ayant la paix, consolider un pays, C’est aussi pourquoi « cette ré- d’un intense bras de fer diplo-

Le monde de 1945 à nos jours 39


Les articles du

matique, est beaucoup moins « Éliminer les subventions aux producteurs d’apparaître en Sibérie, a tué
à poursuivre les efforts pour subventions agricoles » agricoles. Les ministres des 148 au moins soixante personnes
aplanir les divergences sur George W.  Bush a ensuite ap- pays membres de l’omc doivent depuis 2003, notamment au
les points encore manquants, pelé, mercredi, à « éliminer les se retrouver à la mi-décembre Vietnam.
comme le désarmement et la subventions agricoles  » des à Hongkong pour tenter de La question de la corruption
non-prolifération. pays riches. «  Je relance au- débloquer ces négociations. a, par ailleurs, été évoquée
jourd’hui un défi que j’ai déjà Le président américain a en- par le président Bush. « L’onu
L’échec sur le tnp lancé. Il nous faut travailler suite évoqué la nécessité d’un doit être forte et efficace,
« inexcusable » ensemble lors [du cycle de né- «  partenariat international  » libre de toute corruption, et
Sur ce dernier sujet, il a déploré gociations commerciales mul- pour lutter contre la grippe doit rendre des comptes aux
que « l’intransigeance sur les po- tilatérales] de Doha pour élimi- aviaire. « Si ce virus n’est pas peuples qu’elle sert  », a-t-il
sitions de principe ait empêché ner les subventions agricoles combattu, il pourrait entraî- déclaré. «  Les Nations unies
un résultat  », pour la seconde qui perturbent les relations ner la première pandémie du doivent faire preuve d’inté-
fois cette année après l’échec en commerciales et ralentissent xxie siècle », a déclaré M. Bush grité et être à la hauteur des
mai d’une conférence d’un mois le développement », a déclaré à la tribune des Nations unies. normes qu’elle fixe pour les
sur la revitalisation du Traité M. Bush. « Aujourd’hui, j’élargis «  Aujourd’hui, j’annonce un autres  », a souligné le pré-
de non-prolifération nucléaire. un peu plus ce défi en faisant nouveau partenariat inter- sident américain, alors que
« C’est inexcusable », a-t-il asséné. cette promesse : les États-Unis national sur la pandémie de l’organisation mondiale fait
M.  Annan a mis les dirigeants sont prêts à éliminer toutes la grippe aviaire  », a-t-il dit. l’objet de vives critiques pour
face à leur responsabilité d’ap- les barrières douanières, les « Ce partenariat requiert que sa gestion du programme
pliquer les décisions contenues subventions et autres obstacles les pays faisant face à l’émer- « Pétrole contre nourriture »
dans le document, soulignant pour libérer le flux des biens gence (de la grippe aviaire) en Irak. «Les réformes sur les
qu’ils doivent se sentir liés par et services au fur et à mesure partagent immédiatement institutions comprennent en
lui. « Pour la première fois, vous que d’autres pays en feront de les informations dont ils dis- général des mesures qui in-
allez accepter, clairement et sans même », a-t-il souligné. posent et des échantillons  » cluent des contrôles internes,
ambiguïté, votre responsabilité Le nouveau cycle de négocia- avec l’Organisation mondiale identifient d’éventuelles ré-
collective de protéger les popu- tions de libéralisation du com- de la santé (oms), a-t-il précisé, ductions de coûts et s’assurent
lations des génocides, les crimes merce mondial, dans le cadre en indiquant que « beaucoup que les précieuses ressources
de guerre et contre l’huma- de l’Organisation mondiale de pays » avaient déjà rejoint (qui leur sont attribuées)
nité et le nettoyage ethnique », du commerce (omc), dit cycle cette mobilisation. soient utilisées dans le but
a-t-il dit. « Excellences, vous serez de Doha, est actuellement Le virus H5N1 de la grippe prévu », a-t-il conclu.
tenus d’agir si un autre Rwanda au point mort, notamment aviaire, qui s’est propagé dans
menace », leur a-t-il lancé. à cause de l’impasse sur les les pays d’Asie du Sud-Est avant (14 septembre 2005)
« Vous condamnez le terrorisme
sous toutes ses formes et quel
qu’en soit le fondement », a-t-il pourquoi objectifs de l’organisation en de défendre les valeurs de la
ajouté. « Et vous allez marquer cet article ? une formule  : «  maintenir la démocratie pluraliste tout en
votre soutien à une stratégie paix, consolider un pays, pro- intégrant dans ses rangs des
qui garantisse que nous luttons Cet article est d’abord une mouvoir la démocratie », ce qui régimes qui ne les respectent
contre le terrorisme de manière bonne occasion de réviser les revient à œuvrer au désarme- pas (pays communistes comme
à renforcer la communauté principales institutions de ment, au développement de la Chine) !
internationale et affaiblir les l’onu, telles qu’elles ont été programmes d’entraide face Cet article est ensuite un moyen
terroristes et pas l’inverse  », fondées en 1945 (traité de San aux catastrophes (Katrina), aux de définir les défis posés par le
a-t-il ajouté dans une allusion Francisco) et qui doivent être épidémies (comme le Sida) ou nouvel ordre mondial et de les
apparente à la situation en Irak. présentées dans un devoir por- aux inégalités économiques classer en vue de bâtir un plan
Le président Bush, à la tribune, tant sur ce sujet. On y retrouve : (rôle de la cnuced), et à lutter de composition portant sur le
a commencé par remercier le l’Assemblée générale qui réunit contre les dictatures ou la monde après 1991 : 1. la sécurité
monde pour l’aide apportée les délégués de chaque pays, le corruption. Elle a aussi pour collective ; 2. le nouvel ordre éco-
après le cyclone Katrina qui a secrétaire général qui dirige mission de dénoncer les crimes nomique, 3. la coopération sani-
ravagé une partie du sud des l’organisation (il en détient le contre l’humanité (exemple taire, écologique ou d’urgence.
États-Unis. «  Plus de 115 pays pouvoir exécutif), le Conseil de du Rwanda) dont la définition Les exemples présentés per-
et près d’une douzaine d’orga- sécurité qui prend les décisions remonte à sa naissance (1945), mettent aussi de recenser les
nisations internationales ont concernant le maintien de la et de contenir le terrorisme (Al- résistances aux changements,
offert de l’assistance », a déclaré paix, les organisations civiles Qaïda) devenu nouveau fléau avec notamment l’égoïsme des
le président américain. «  À (oms, omc, fmi, fao, unesco…) spécia- mondial depuis le 9 septembre États qui cherchent d’abord à
chaque pays, chaque province, lisées dans un domaine particu- 2001. Ici, il faut noter le para- préserver leurs intérêts, ou
chaque communauté à travers lier (aide financière, agriculture doxe d’une organisation qui de conserver leurs privilèges
le monde qui se tient au côté du ou culture). Il faut y ajouter la fonctionne selon des principes comme le font les membres
peuple américain dans ces mo- Cour internationale de Justice démocratiques (un pays, une permanents du Conseil de sécu-
ments de besoin, je présente les de la Haye et les casques bleus. voix  ; la séparation des pou- rité, soucieux de garder l’usage
remerciements de ma nation », Kofi Annan rappelle les voirs ; droits de l’homme), afin du droit de veto.
a-t-il ajouté.

40 Le monde de 1945 à nos jours


Les articles du

Kofi Annan présente un projet de réforme de l’onu

L
e secrétaire général de l’onu,
Kofi Annan, a mis, lundi pourquoi le monde depuis les attentats entre les membres permanents
21 mars, les dirigeants du cet article ? du 11  septembre 2001 à New et les autres ;
monde devant leurs respon- York. Ce terrorisme peut aussi –  la mise en place de moyens
sabilités, en leur enjoignant Sur un thème semblable aux s’inscrire à l’intérieur d’un État d’action comme les « sanctions »
d’adopter en bloc, avant sep- deux articles précédents et cou- dans le cadre d’un génocide par ou les « réserves stratégiques » ;
tembre, son projet de réforme vrant les mêmes chapitres, cet exemple, comme ce fut le cas au –  le toilettage de l’Assemblée ou
de l’onu et de lutte contre la pau- article présente la question des Rwanda ou dans les Balkans ; de la Commission des droits de
vreté rendu public dimanche. réformes de l’onu sur un plan plus – la mise en place d’un principe l’homme pour les rendre plus
«  Les objectifs de développe- institutionnel. Il est intéressant de de prévention, qui pourrait être efficaces et en conformité avec les
ment du Millénaire [odm]  confronter les propositions du se- la reconnaissance d’un devoir objectifs fixés.
peuvent être atteints mais crétaire général au projet initial de d’ingérence dans les affaires La politique de relance consiste à
seulement si vous, les États 1945. L’opération permet de mettre intérieures d’un État ; favoriser la reprise économique
membres, êtes prêts à adopter en évidence les transformations –  l’aide à la sortie de guerre, par l’augmentation des dépenses
une série de décisions précises du monde de 1945 à nos jours. pour aider les pays à se recons- publiques. Celles-ci peuvent servir
et concrètes cette année  », a-t- On s’appuiera sur deux axes qui truire. à aider les ménages pour créer
il dit dans un discours devant peuvent être repris dans le cadre 2. La réforme des institutions une demande de consommation.
l’Assemblée générale de l’onu. d’un travail de synthèse. (1re  partie du texte). Là aussi, La déflation par la dette est la
Évoquant le sommet mondial 1. La révision des objectifs trois axes se dessinent : théorie selon laquelle la défla-
prévu du 14 au 16  septembre (2e partie du texte). Trois thèmes –  la réforme du Conseil de tion (baisse des prix) entraîne
2005à New York, M.  Annan se dégagent : sécurité par deux moyens  : une hausse de la valeur réelle des
a dit aux délégués  : «  Je vous – la lutte contre le terrorisme qui son élargissement à 24 et la dettes, rendant plus difficile le
présente mon rapport six mois renvoie aux menaces pesant sur recherche d’un nouvel équilibre remboursement des emprunts.
avant cette réunion, de sorte
que vos gouvernements aient
tout le temps de l’étudier. Mon par un comité des sages ment de la société et les droits de de la paix », un organisme qui serait
espoir est que les dirigeants du international, qui avait proposé l’homme pour tous », le secrétaire chargé d’aider les pays sortant d’un
monde, lorsqu’ils viendront en deux modèles à cette fin. Dans général des Nations unies pro- conflit à consolider la paix une fois
septembre, soient prêts à prendre son texte, M.  Annan ne tranche pose une définition universelle celle-ci conclue.
les décisions nécessaires. » « Et je pas non plus en faveur d’une de du terrorisme. Il demande aux Il souhaite aussi la création de
souhaite qu’ils les adoptent en ces deux options, prévoyant des dirigeants mondiaux d’approu- «  réserves stratégiques  » pour les
bloc », a-t-il ajouté en parlant de répartitions différentes des sièges ver un texte qui «  définisse les opérations de maintien de la paix
ses propositions. entre membres permanents et conditions d’usage de la force par de l’onu, un département qui souffre
temporaires. Il encourage en la communauté internationale » parfois de manque de financement
Projet ambitieux revanche les États à se mettre et d’affirmer « leur volonté d’être et surtout de troupes. Il appelle
Le secrétaire général des Nations d’accord «  sur cette importante guidé par lui quand il s’agira d’au- également de ses vœux le «  ren-
unies avait dévoilé, dimanche, un question avant le sommet de toriser l’usage de la force ». forcement des capacités des États
ambitieux projet de réformes de septembre 2005 ». Ce texte devra réaffirmer « le rôle membres à imposer des sanctions ».
l’onu et proposé un code d’entrée en M.  Annan souhaite aussi rempla- central du Conseil de sécurité Par ailleurs, M.  Annan demande
guerre dans lequel le rôle central du cer la Commission des droits de des Nations unies, son droit de aux États membres de déclarer
Conseil de sécurité est réaffirmé. l’homme, très controversée en rai- recourir à la force, y compris de que « tout acte destiné à causer la
Dans un rapport de 62 pages, M. An- son de l’entrisme pratiqué par des manière préventive, pour préser- mort ou de graves blessures à des
nan rappelle avoir pris la décision pays peu respectueux de ces droits, ver la paix et la sécurité interna- civils ou à des non-combattants
de s’atteler à une vaste réforme de par un conseil plus restreint, avec tionales, y compris dans les cas de [...] dans le but d’intimider une
l’onu après les profondes divisions un système d’élection réaménagé. génocide, nettoyage ethnique et population ou de forcer un gou-
constatées entre États membres Il propose également de revitali- autres crimes contre l’humanité ». vernement ou une organisation
au moment du déclenchement ser l’Assemblée générale, notam- Il devra également examiner, internationale à accomplir ou à
de la guerre en Irak. Il reprend à ment en allégeant son calendrier avant d’autoriser l’usage de la s’abstenir d’accomplir quelque
son compte l’idée de faire passer le et en rationalisant son travail, de force, « si la menace est effective- acte que ce soit, constitue un acte
Conseil de sécurité de 15 membres toiletter la Charte de l’onu et de ment sérieuse, si d’autres moyens de terrorisme ».
actuellement à 24, en soulignant la supprimer des organes estimés que la force ne pourraient pas per- Jusqu’ici, les tentatives de définir
nécessité de le réformer « pour le obsolètes comme le comité d’état- mettre de stopper la menace, si les le terrorisme ont toujours échoué,
rendre plus largement représentatif major et le conseil de tutelle. moyens utilisés sont proportionnels les pays ne parvenant pas à s’ac-
de la communauté internationale à la menace et s’il y a une chance corder sur le point de savoir qui
dans son entier, et des réalités géo- Davantage de sécurité raisonnable de succès ». est un terroriste et qui est un
politiques d’aujourd’hui ». Dans son rapport intitulé « Dans M.  Annan invite également les combattant de la liberté.
L’idée d’un conseil à 24 membres une liberté plus grande. Vers la chefs d’État à approuver la création
avait été formulée le 30 novembre sécurité humaine, le développe- d’une «  commission d’édification (20 mars 2005)

Le monde de 1945 à nos jours 41


l'europe de 1945
à nos jours
L’essentiel du cours

notions clés
Institutions de la cee
La construction
de l’Europe de l’Ouest
La cee distribue les pouvoirs entre
plusieurs organismes. Le Conseil
européen réunit les chefs d’État
ou de gouvernement afin de dé-
finir les orientations à suivre. La

L
commission (Bruxelles) propose
des projets et met en œuvre la ’idée d’Europe est ancienne, mais il a fallu le désastre des deux
politique communautaire. Le guerres mondiales et la menace communiste pour que les
Conseil des ministres (issus des
gouvernements) prend les déci- Européens s’attellent réellement à la tâche de construire une
sions. Le Parlement (Strasbourg) Europe unie. Jusqu’en 1992, cette construction ne concerne que l’Europe
contrôle la Commission des
Communautés européennes. La
occidentale, dans le cadre d’une communauté économique.
Cour de justice (Luxembourg)
juge les différends entre États ou les partis communistes
entre État et citoyens. Le Comité (français et italien notam-
économique et social conseille la ment) sont forts (25 à 30 %
Commission. La loi européenne des électeurs en 1945).
est définie par les traités ratifiés Tout en finançant la re-
par référendum ou par les assem- construction par le biais
blées nationales. La séparation du plan Marshall (1947), les
des pouvoirs propre aux démo- États-Unis soutiennent vi-
craties est ainsi assurée. goureusement les premiers
efforts de rapprochement :
Conditions d’adhésion ils contribuent notamment
à la cee à la création de l’Organi-
Pour entrer dans l’Europe, il sation européenne de coo-
faut obtenir l’accord de tous les pération économique (oece)
membres. Il faut aussi être une en 1948 pour répartir l’aide
démocratie  : garantir les liber- Marshall.
tés fondamentales, respecter
les droits de l’Homme, accepter Une communauté
le pluralisme politique (mul- soudée par
tipartisme) dans le cadre de la l’économie
souveraineté populaire (suffrage Au départ, les pères de l’Eu-
universel), renoncer à la peine de rope tentent de mener la
mort. Il faut encore adhérer aux construction européenne
principes du libéralisme écono- sur plusieurs plans à la fois :
mique et avoir un niveau de déve- politique, avec le Conseil
loppement qui assure une concur- de l’Europe (1949)  ; écono-
rence loyale avec les partenaires mique, avec la Communauté
communautaires. L’Espagne et le européenne du charbon et
Portugal n’ont pu entrer dans la de l’acier (ceca) en 1951 ; mi-
cee tant qu’ils se trouvaient sous litaire, avec la Communauté
les régimes autoritaires de Franco européenne de défense (ced)
et Salazar ; malgré ses efforts de Georges Marshall, secrétaire d’État des États-Unis de 1947 en 1952. Mais le Conseil de l’Europe a peu de pouvoir,
démocratisation, la candidature à 1949, laisse son nom au plan Marshall, projet dont il est les différents pays membres tenant trop à leur indé-
de la Turquie a été rejetée parce à l’origine. pendance. En 1954, l’Assemblée nationale française
qu’elle ne respectait pas toutes rejette le projet de ced, de crainte qu’une armée
les conditions. Reconstruire tout en contenant européenne ne remette en cause l’indépendance
la menace soviétique de la France.
Le marché européen Le but est de mettre fin aux guerres entre Euro- Dans ces conditions, une seule voie demeure, celle
Il s’est constitué par étape. Dans péens et de permettre à l’Allemagne dénazifiée de de l’intégration économique. C’est elle qui est
un premier temps, les barrières reprendre sa place dans la communauté des États suivie à partir de 1957, année où le traité de Rome
douanières ont été levées (marché démocratiques. Il s’agit aussi de s’entraider pour associe six États : la France, la République fédérale
commun de 1968) ; puis les fron- reconstruire les pays dévastés par le conflit. allemande, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le
tières ont été supprimées (Acte Un objectif plus politique motive les Européens : Luxembourg. L'objectif est de créer un «  marché
Unique) pour permettre la libre contenir à la menace soviétique. L’URSS n’a pas commun » européen sans droits de douanes entre
circulation des biens. renoncé à étendre le communisme à l’ouest, où les États (mesure établie en 1968), puis d’instaurer

44 L’Europe de 1945 à nos jours


L’essentiel du cours

nouvelles institutions. En 1979,


la cee se dote d’un Parlement
dates clés
(Strasbourg) élu au suffrage 1948
universel. Les députés euro- Création de l’oece.
péens exercent un pouvoir de
contrôle sur l’exécutif commu- 1951
nautaire installé à Bruxelles. Création de la ceca.
Pour faciliter les échanges,
les Européens s’efforcent de 1952
stabiliser leurs monnaies. Une Traité de Paris (ced).
unité monétaire est instituée
(l’ecu, 1979), à laquelle toutes 1954
les monnaies sont rattachées. Rejet par la France de la ced.
Si ces dernières s’écartent trop
de l’unité, à la hausse ou à 1957
la baisse, la Communauté in- Création d’Euratom (énergie civile) ;
tervient sur les marchés pour traité de Rome (qui institue la cee).
préserver la parité initiale.
1962
Une union critiquée Création de la pac.
et inachevée
La Norvège, l’Islande et la 1968
Suisse refusent de s’associer Création du Marché commun.
à la construction européenne.
Si elle y est entrée en 1972, 1972
la Grande-Bretagne reste at- Adhésion du Danemark, de l’Irlande
tachée à l’idée d’une Europe et de la Grande-Bretagne à la cee.
limitée à un libre marché qui
préserve les indépendances na- 1975
tionales. Cependant, l’hostilité Création du feder (aide au déve-
Les six pays fondateurs de la ceca. à l’Europe vient plutôt de mouvements politiques à loppement des régions).
l’intérieur des différents pays membres : les partis
la libre circulation des biens (Acte Unique de 1986) communistes reprochent à l’Europe son hostilité 1979
et des personnes (traité de Schengen). à l’URSS et de ne pas lutter contre le capitalisme ; Mise en place de l’ecu (ancienne
Ces dispositions, combinées avec le principe de la les extrême-droites nationalistes craignent un appellation de l’Euro).
«  préférence communautaire  » qui impose aux affaiblissement de l’identité nationale et les « sou-
pays membres d’acheter à leurs partenaires plutôt verainistes  » (comme les Gaullistes), partisans 1981
qu’à des concurrents hors communauté, dynamisent d’une Europe réduite à sa dimension économique, Adhésion de la Grèce.
l’économie européenne qui se reconstruit et rattrape sans aucun rôle politique, craignent la perte de
son retard sur les États-Unis. À la fin des années 1980, l’indépendance. 1985
la Communauté économique européenne ( cee) Parmi les partisans de l’Europe, certains regrettent Adhésion de l’Espagne et du
devient le premier marché de production et de que le Parlement n’ait pas de pouvoir législatif. Portugal.
consommation mondial. Avec l’élargissement de la cee à la Grèce (1980), l’Es-
Depuis 1975, la politique régionale de la cee se donne pagne et le Portugal (1982), les décisions politiques 1985
pour objectif de réduire les écarts entre les régions deviennent de plus en plus difficiles à prendre. Traité de Schengen (libre circula-
les plus pauvres et les autres. Ainsi le réseau routier Pour être plus efficace au niveau de son fonction- tion des personnes).
de régions enclavées, comme le massif central, ou celui nement et plus proche des citoyens européens, la
de pays entiers, comme le Portugal, se développent. Communauté doit se réformer. 1986
Lancée en 1962, la politique agri- Acte unique (libre circulation
cole commune (pac) permet de des biens).
moderniser les agricultures trois articles du Monde à consulter
et de faire de la cee un exportateur net 1987
de produits agricoles. • Ainsi naquit la Communauté européenne p. 47-48 Programme Erasmus (échanges
(Daniel Vernet, 23 mars 1997.) d’étudiants entre les universités).
Le renforcement des
liens communautaires • Erasmus vers une formation européenne p. 48-49 1992
(3 mars 1988.)
L’élargissement de la communauté Traité de Maastricht.
à 9, 10 puis 12 États et la multipli- • La France, le Danemark et l'Irlande ont déjà dit non
cation des actions communes (pac, par le passé p. 49 1995
Europe de la pêche, Erasmus pour (31 mai 2005.) Adhésion de la Suède, de l’Au-
l’échange d’étudiants…) obligent triche et de la Finlande ; passage
les Européens à développer de à l’Union européenne.

L’Europe de 1945 à nos jours 45


Un sujet pas à pas

notions clés
Libéralisme social-
Composition : l’Europe de l’Ouest en
démocrate européen
L’Europe de l’Ouest fait partie du
« monde libre ». La région connaît
construction de 1945 à la fin des années 1980
des régimes qui ont adopté la dé- La problématique
mocratie libérale caractérisée par L’Europe affaiblie et menacée par
le multipartisme (pluralisme) et l’impérialisme soviétique a-t-elle
l’économie de libre-échange ca- surmonté ses anciennes rivalités et
pitaliste. Ces pays se distinguent retrouvé une place conforme à ses
cependant du modèle américain ambitions ?
par une politique plus sociale de
redistribution des revenus mise en Le plan détaillé
œuvre par des États-providence. Le plan chronologique s’impose car il
faut montrer une évolution : le proces-
Démocratie, sus de construction.
monarchie, république I.  1945-1960  : l’Europe de l’Ouest est
Dans l’Europe de l’Ouest, la démo- seule à se construire.
cratie est libérale. Elle respecte les a) La fin de la Seconde Guerre mondiale
droits de l’homme, garantit les entraîne une coopération entre trois
libertés fondamentales et l’éga- États (France, Italie, Allemagne de
lité de droit, et confie le pouvoir l’Ouest), puis de six États.
aux partis majoritaires – ceux qui b) La création d’organismes (Conseil de
dans le cadre d’une compétition l’Europe, ceca, ced) marque une résurrec-
électorale remportent le plus de tion de l’Europe.
voix. Ces démocraties peuvent être
des monarchies (Grande-Bretagne, II.  1960-1973  : l’Europe commence à
Le drapeau européen reste le même, indépendamment des
Belgique, Suède, Espagne) ou des élargissements de la cee, puis de l’ue. s’ouvrir à d’autres pays.
républiques (France, Allemagne, a) La croissance attire de nouveaux pays.
Italie, Suisse). La différence réside b) Le Royaume-Uni ne fait pas l’unanimité.
dans le statut de la personne qui Ce qu’il ne faut pas faire c) Les institutions de la Communauté évoluent.
incarne la nation : un monarque • Penser l’Europe de l’Ouest en tant qu’espace
héréditaire intronisé à vie (sauf continental et ignorer la cee. III. 1973-1980 : l’Europe prend des décisions importantes
démission), ou un président élu • Ignorer la diversité politique des premières années : concernant l’entrée de nouveaux pays.
pour une durée limitée. régimes autoritaires de l’Europe du Sud, a) De nouveaux pays composent la cee.
neutralité de la Suisse et de la Suède, opposition b) Avec son élection au suffrage universel (1979), le
Dorsale européenne entre monarchies et Républiques, etc. Parlement européen voit son rôle s’agrandir.
Espace fortement urbanisé qui c) Les entrées et les coopérations avec d’autres pays
s’étend approximativement de s’accélèrent dès 1980.
Londres à Milan, en passant par L’analyse du sujet
la vallée du Rhin. C’est à l’intérieur Le sujet porte sur l’Europe non communiste, dont Les repères essentiels
de cet espace que la production de les pays membres de la cee. Le mot construction Différentes phases d’extension de la cee : 1973, pre-
richesse et les flux sont les plus ne doit pas être confondu avec reconstruction. Les mier élargissement avec l’adhésion du Danemark, du
importants en Europe. On y trouve dates proposées suggèrent d’étudier les étapes de Royaume-Uni et de l’Irlande (Europe des Neuf) ; 1981,
également les grandes capitales l’organisation politique depuis la fin de la Seconde deuxième élargissement avec l’entrée de la Grèce
de la cee (Bruxelles, Strasbourg, Guerre mondiale jusqu’aux années 1980. Si le sujet (Europe des Dix)  ; 1986, troisième élargissement
Luxembourg, Francfort). cette dor- ne se réduit pas à la cee, celle-ci se trouve toutefois avec l’arrivée de l’Espagne et du Portugal (Europe
sale constitue le cœur économique au centre de l’exposé. des Douze).
de l’Europe de l’Ouest et contraste,
dans cette dernière, avec les régions
moins intégrées comme l’Italie du Sujets tombés au bac sur ce thème
Sud (Mezzogiorno), l’Écosse ou le
Massif central français. Composition
– Motivations, enjeux et difficultés de la construction européenne de 1945 à la fin des années 1980
aele (Amérique du Nord, 2005)
Association européenne de libre-
échange créée en 1960 à l’initiative Études d’un ensemble documentaire
de la Grande-Bretagne. Elle vise à – Les hommes politiques français et la construction européenne (Afrique, 2005)
développer un espace économique – La politique européenne du général de Gaulle (Asie, 2009)
capable de faire contrepoids à la
cee.

46 L’Europe de 1945 à nos jours


Les articles du

Ainsi naquit la Communauté européenne


Il y a quarante ans, à Rome, étaient jetées les bases de ce qui est devenu l’Europe des Quinze.
D’une même voix, les Six affirmèrent ce jour-là leur détermination à « établir les fondements
d’ une union plus étroite entre les peuples » du continent. Histoire d’une géniale fuite en avant.

I
l pleut des cordes, ce 25 mars ou recommencé en 1950. Jean pérations sectorielles (trans- Les uns et les autres considè-
1957, et pourtant Rome est en Monnet, alors commissaire ports, travaux publics, énergie rent que l’économie française
fête. Des affiches ont été col- général au plan, se lance dans atomique). Les Allemands eux- n’est pas en mesure d’affronter
lées sur les murs : « Six peuples, ce qu’un autre acteur de l’in- mêmes sont divisés. Adenauer sans garde-fou la compétition
une seule famille, pour le bien tégration européenne, Robert est un peu isolé dans sa vision internationale. Il leur semble
de tous. » Les excellences, elles, Toulemon, appelle « une géniale d’une Europe acteur de la vie nécessaire, auparavant, d’har-
sont réunies au Capitole pour fuite en avant  ». Jusqu’à la fin internationale. Son ministre des moniser les charges sociales,
apposer leur signature sur deux des années  1940, la France re- Finances, Ludwig Ehrard, veut fiscales, salariales, car ils crai-
textes  : le traité instituant la vendiquait la Ruhr afin que ce une vaste zone de libre-échange gnent la concurrence de pays
Communauté économique eu- berceau de fer et d’acier de la et se méfie de Monnet qu’il tient moins avancés socialement, au
ropéenne et le traité sur l’eura- puissance allemande ne puisse pour un dangereux dirigiste. rang desquels ils placent à tort
tom. Six États sont présents : les plus jamais être mis au service Il faut les événements de l’au- la République fédérale. Après
trois pays du Benelux, la France, de visées agressives. Mais elle tomne 1956, la crise de Suez que la crise de Suez, Guy Mollet
l’Italie et la République fédé- doit se rendre à l’évidence. Au- Konrad Adenauer vit pratique- imposa le Marché commun à
rale d’Allemagne. Les premiers cun de ses alliés ne soutient ment en direct depuis Paris, et des fonctionnaires qui n’en vou-
ont dépêché leur ministre des ses revendications. Les Anglo- l’écrasement de la révolution laient pas. À Rome, le 25  mars
Affaires étrangères. Seule la rfa Saxons sont plutôt partisans hongroise, pour qu’un élan 1957, les Six (la Grande-Bretagne
est représentée par le chef du de reconstruire une Allemagne politique décisif soit donné. a été invitée à participer aux
gouvernement. Le chancelier occidentale puissante face au Les bases d’une relance avaient négociations mais s’en est im-
Konrad Adenauer a fait le dé- bloc communiste. Faute de été jetées l’année précédente à médiatement retirée) signent
placement pour souligner l’im- pouvoir contrôler la sidérurgie la conférence de Messine des donc deux traités.
portance que son pays attache allemande, les Français propo- ministres des Affaires des six Des textes touffus, difficile-
à la construction européenne. sent que les Européens mettent pays membres de la ceca. Offi- ment compréhensibles pour le
Il s’en est expliqué dans ses ensemble leur potentiel. C’est la ciellement, ils devaient chercher grand public  : celui instituant
Mémoires  : «  Avec l’évolution Communauté du charbon et de un successeur à Jean Monnet, le Marché commun compte 248
du monde de l’après-guerre, il l’acier (ceca). qui avait abandonné sa charge articles, celui sur l’euratom, 223,
n’est aucun pays européen en Un raisonnement analogue est de haut-commissaire, mais ils les exceptions et autres exemp-
mesure de garder une économie fait quelques années plus tard avaient élargi l’ordre du jour tions pullulent. Les mêmes re-
saine s’il est réduit à lui-même, pour la défense. Sous l’impul- au renforcement de la coopé- proches seront faits quelque
car chaque pays européen sion des Américains, la rfa va ration. Paul-Henri Spaak, chef trente-cinq ans plus tard au
pris isolément est trop petit. » être réarmée. Plutôt qu’une ar- de la diplomatie belge, avait texte du traité de Maastricht,
Même une Allemagne réunifiée, mée allemande indépendante, été nommé à la tête d’un co- qui, difficulté supplémentaire,
ajoute-t-il, avant d’en tirer la la France préfère une armée mité, qui fit un travail remar- se présente souvent sous la
conclusion  : «  C’est seulement européenne. C’est l’idée de la quable, proposa la création de forme d’amendements au traité
en se mettant ensemble dans un ced. Mais là, les choses ne se deux nouvelles communautés de Rome !
espace économique commun passent pas aussi bien que pour (Marché commun et euratom) et Le préambule du texte sur le
que les pays d’Europe peuvent, la ceca. Les Français sont divisés défricha si bien le terrain que Marché commun indique que
à long terme, redevenir et rester et le projet échoue finalement la négociation des traités eux- les signataires sont «  détermi-
compétitifs. » sur l’opposition conjuguée des mêmes prit moins de six mois. nés à établir les fondements
Mais le chancelier sait bien que communistes, des gaullistes et Non que les positions des uns d’une union sans cesse plus
l’objectif économique n’épuise d’une partie des radicaux. et des autres aient été proches. étroite entre les peuples euro-
pas les ambitions des traités. Le coup est rude pour les par- Au contraire. La France est péens  ». La deuxième partie
Leur signification est avant tisans de l’intégration euro- beaucoup moins intéressée par énonce les principes du désar-
tout politique, ne serait-ce que péenne. L’unité européenne est le Marché commun que par mement douanier, de la libre
parce qu’ils remettent en route « blessée », écrira dans Le Monde l’euratom. Si elle accepte le pre- circulation des marchandises,
une construction européenne Maurice Faure, secrétaire d’État mier, c’est pour avoir l’autre. Les l’élimination des obstacles non
en panne depuis le rejet de la aux affaires étrangères au mo- propositions du comité Spaak tarifaires, les buts de la politique
Communauté européenne de ment de la négociation des trai- sont fraîchement reçues par la agricole commune, les modali-
défense (ced) par l’Assemblée tés de Rome. Les « Européens » haute administration française tés de la libre circulation des
nationale française, moins de ne savent pas par quel bout et par une grande partie du pa- personnes, des services, des ca-
trois ans auparavant. reprendre l’aventure. La France, tronat, qui ne voient pas sans pitaux, qui ne deviendra réalité
L’Europe en effet revient de Jean Monnet en tête, penche appréhension le démantèle- que bien des années après. Une
loin. Tout avait commencé pour la multiplication des coo- ment des barrières douanières. cinquième et dernière partie dé-

L’Europe de 1945 à nos jours 47


Les articles du

crit les institutions, l’Assemblée l’organisation de l’Europe. La première, qui vaudra aux bien engager la rfa, il ne veut pas
européenne, la Commission, le Chaque pays a essayé de faire responsables européens bien obérer l’avenir de l’Allemagne.
Conseil, qui seront complétées valoir son point de vue et des marathons nocturnes et à Lors des négociations, le gou-
par la suite mais qui restent triompher ses intérêts. La France la Communauté bien des crises, vernement fédéral s’est réservé
jusqu’à maintenant la base de avait trois préoccupations. est l’agriculture. Avec l’appui explicitement le droit de revoir
des Italiens, ses représentants se les traités en cas de réunifica-
sont battus pour que ce secteur tion. Et, devant le Bundestag,
pourquoi ennemis. La voie économique ne soit pas exclu des accords. Ils le négociateur des traités, le se-
cet article ? est choisie pour « redevenir (2) ont obtenu l’unité des prix, la crétaire d’État Walter Hallstein,
et rester (3)  » une puissance, libre circulation des produits, déclare : « Entre les deux possi-
Cet article permet de réviser chaque pays seul ne pouvant la préférence communautaire bilités extrêmes, participation
le cours sur « La construction y prétendre. Mais il fallait sur- et la coresponsabilité financière. ou non-participation [d’une
européenne de 1950 à 1990 ». tout faire «  face au bloc com- La deuxième a perdu de son Allemagne réunifiée], une troi-
Mais le recul dont dispose l’au- muniste » (4) dont les menaces acuité mais n’a pas totalement sième éventualité doit être exa-
teur permet aussi de mettre (Suez et Budapest) se faisaient disparu  : c’est le sort des minée et c’est peut-être la plus
celle-ci en perspective et de dé- sentir ; territoires d’outre-mer ; en 1957 vraisemblable : que l’Allemagne
couvrir la continuité du projet –  moyens  : le texte cite ils sont encore nombreux, et ce réunifiée souhaite participer à
européen de 1945 à nos jours. quelques repères incontour- souci concerne aussi bien les la Communauté, mais demande
Sur la naissance de la cee, on y nables (ceca, cee, euratom, pac), Belges et les Néerlandais que les une adaptation des traités à la
trouve les connaissances clés les institutions (Commission, Français. Les Allemands ont déjà nouvelle situation. » « Nous ne
à faire figurer dans une copie : Conseil, Assemblée) ; il évoque l’impression de payer pour les voulons et nous ne pouvons,
– acteurs et contextes : les noms aussi deux principes de base : la « colonies » de leurs partenaires. ajoute-t-il, prendre aucun en-
des six États fondateurs sont « libre circulation » et « l’una- La troisième, c’est que rien gagement formel au nom de
à retenir, ainsi que celui de la nimité  » dans les décisions, d’irréversible ne soit créé et l’Allemagne réunifiée. »
Grande-Bretagne «  invitée  » à garante de l’indépendance des que le passage à la deuxième À l’automne 1989, la question se
négocier. Le contexte est celui États membres. étape ne puisse être décidé qu’à posera concrètement dans ces
de la reconstruction et de la L’auteur montre que les l’unanimité. termes. Et Helmut Kohl obtien-
guerre froide. Mais l’incidence critiques de 1957 restent Curieusement, les Allemands dra le soutien de ses partenaires
des événements de 1956 (crises celles de 1997  : «  les mêmes avaient le même souci du pro- à la réunification allemande
de Suez et Budapest) est à relever reproches  » sur la question visoire que les Français. Certes après avoir pris en faveur de la
car elle justifie l’un des objectifs sociale contre le libre marché en bon Rhénan, Adenauer est monnaie unique et de l’union
des fondateurs de la cee ; sont exprimés lors des un Européen convaincu. L’Eu- économique et monétaire des
–  objectifs  : il y en a quatre. référendums de 2003, ainsi rope est là pour «  protéger les engagements très clairs qui de-
Sur le long terme, il s’agit de que les mêmes divergences, Allemands contre eux-mêmes », vaient déboucher en 1991 sur le
réaliser une « union sans cesse qui ont conduit les Allemands estime-t-il. Une phrase que Hel- traité de Maastricht.
plus étroite  » (1) fondée sur à prévoir dès 1957 les modalités mut Kohl reprend souvent à son
la réconciliation des anciens de la réunification de 1990. compte. Mais l’Allemagne est Daniel Vernet
divisée, et si le chancelier veut (23 mars 1997)

Erasmus vers une formation européenne


Permettre aux étudiants de répartir leur formation entre des universités de pays
différents : tel est l’objectif à long terme d’Erasmus

A
dopté le 15 juin 1987, le pro- chacun d’eux. Erasmus comprend personnels enseignants. Elles sont bourses à une agence nationale  :
gramme Erasmus (European quatre « actions » : de 3 500 ecu en moyenne. le Centre national des œuvres sco-
community Action Scheme laires et universitaires, en France
for the Mobility of University Stu- ACTION 1 : réseau ACTION 2 : bourses (cnous, 69, quai d’Orsay, 75007
dents) vise à encourager les échanges universitaire européen. pour les étudiants. Paris) ; le daad, en Allemagne…
d’étudiants et d’enseignants entre les Elle consiste en aides aux Elles couvrent les «  frais de mo-
établissements d’enseignement su- établissements et en bourses aux bilité  », (voyage, préparation lin- ACTION 3 : reconnais-
périeur des pays de la Communauté. enseignants. Les aides doivent faciliter guistique, différence de coût de la sance académique.
L’objectif est d’inciter des établisse- la mise au point de programmes vie…) des étudiants passant dans Elle consiste à expérimenter
ments de pays différents à mettre au d’échanges d’étudiants. Elles sont un autre pays de la Communauté des programmes de reconnais-
point des programmes communs, de 25  000 ecu au maximum par une période de formation de 3 à 12 sance académique de diplômes
et reconnus de part et d’autre, per- programme et par année. Les mois, totalement reconnue. Elles ou d’unités de cours, intitulés
mettant aux étudiants de poursuivre bourses couvrent les frais de sont en moyenne de 2 000 ecu. Cer- «  système européen d’unités
leur formation indifféremment dans déplacement et de séjour des tains pays ont confié la gestion des capitalisables transférables dans

48 L’Europe de 1945 à nos jours


Les articles du

toute la Communauté  » (ects).


Les institutions participant à ces pourquoi Il s’agit : versités américaines.
programmes reçoivent des bourses cet article ? – de faciliter les échanges, l’appren- – d’aider les acteurs de l’éducation.
d’environ 20  000 ecu par an. Des tissage des langues, la distribution Par la distribution de subventions
« centres nationaux d’information Le projet Erasmus est souvent de diplômes reconnus dans tous les aux établissements de formation,
sur la reconnaissance académique » proposé à l’analyse dans le cadre États membres. Le but est de créer Erasmus vise à accélérer leur mo-
(naric) seront créés. d’études de documents sur la des liens et de développer des savoir- dernisation et à établir des réseaux
«  Construction européenne  ». faire pour permettre à chacun de de communications entre eux.
ACTION 4 : mesures L’article permet de se préparer à s’intégrer facilement dans le marché Le texte fait référence à l’ecu. En
complémentaires. l’exercice en offrant les moyens unifié de l’emploi européen ; 1988, l’euro n’existe pas. L’ecu était
Il peut s’agir de bourses pour de mieux cerner les objectifs et – de renforcer la coopération dans alors une monnaie fictive dont le
l’organisation de «  programmes contenus du programme. le domaine du savoir et de la re- cours représentait une moyenne
intensifs d’enseignement  »  ; Erasmus (1987) est une mise cherche par la libre circulation de la valeur des devises natio-
d’aides pour des associations, en application des accords de des enseignants et de leurs com- nales. Plus stable, il favorisait les
des conférences d’experts, ou des Schengen (1985) dans le contexte pétences. L’Europe espère ainsi se échanges entre les pays membres
publications  ; de prix encoura- du marché unique (1986), et constituer de pôles de connais- de la cee. Au moment du passage
geant la coopération universitaire s’adresse aux étudiants et aux sances et de laboratoires capables à l’euro, sa valeur était d’environ
européenne… enseignants. de concurrencer les grandes uni- 6,55 francs.
Les aides de la Commission portent
sur des programmes de formation
précis, présentés par des établisse- grammes déjà en cours, même s’ils Les programmes de coopération Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie,
ments de deux ou plusieurs États ne correspondaient pas formellement subventionnés couvrent la plu- les Pays-Bas…
membres. Un même établisse- aux « actions » prévues par le texte. part des disciplines. Viennent en Le budget d’Erasmus pour la
ment peut être subventionné pour C’est ainsi qu’ils ont financé 398 tête les langues et la littérature deuxième année sera porté à
plusieurs programmes différents. « programmes interuniversitaires (20 % des projets), la gestion (17 %), 30 millions d’ecu. Toutefois, malgré
Le budget initial d’Erasmus est de coopération  » (pics), qui met- les sciences de l’ingénieur (13  %), cette augmentation, les demandes
de 85  millions d’ecu pour 3 ans  ; tent en œuvre des échanges d’étu- les sciences naturelles (8,5  %), les sont telles que le problème se po-
11,2 millions ont été dépensés la diants et d’enseignants entre plus sciences sociales (7,5  %), le droit sera vraisemblablement de choisir
première année. de 850 établissements européens ; (7  %)… Les pays qui ont bénéficié entre le «  saupoudrage  » et une
Pour permettre un lancement rapide des bourses pour environ 3  000 le plus des bourses de mobi- politique plus sélective.
d’Erasmus, la Commission a com- étudiants ; 1 138 projets de visites lité pour les étudiants sont, dans
mencé par subventionner des pro- d’enseignants et 12 associations. l’ordre, l’Allemagne, la France, le (3 mars 1988)

La France, le Danemark et l’Irlande


ont déjà dit non par le passé
À
trois reprises déjà, un refus pour la France comme un déchire- le traité est exclu. Ils disent aussi « lors d'un second référendum. Un
de ratification a ralenti la ment, écrit Jean Monnet dans ses laisser la porte ouverte à une par- retournement attribué à la forte mo-
marche de l'Union euro- Mémoires. Beaucoup crurent à un ticipation du Danemark à l'Union bilisation des organisations civiles.
péenne Le 30 août 1954, l'Assem- cataclysme, mais, bien que je fusse ». Deux jours après le scrutin, le
blée nationale française refuse, très déçu, je ne pensais pas que premier ministre danois, Poul (31 mai 2005)
par 319 voix contre 264, de ratifier le rejet de la ced par l'Assemblée Schlüter, souhaite un nouveau ré-
le projet de Communauté euro- nationale française fût la fin de férendum mais « sur de nouvelles
péenne de défense (ced) adopté l'Europe. » bases ». Le Danemark obtient le droit pourquoi
deux ans auparavant par la France, Cet épisode a toutefois retardé d'un de ne pas adopter l'euro ainsi que des cet article ?
l'Allemagne, l'Italie et les trois pays demi-siècle la défense européenne, clauses d'exemption sur la défense
du Benelux. La ced était « de carac- conduisant les signataires du traité commune, la citoyenneté euro- Cet article met en évidence
tère supranational ». Ce projet, de Rome à choisir la voie de l'écono- péenne et la coopération policière. certaines difficultés qui
controversé, a coupé la France en mie et non de la politique pour édi- Le 18 mai 1993, le oui l'emporte avec interviennent dans le fonc-
deux. Au cœur du débat : le réar- fier la Communauté européenne. 56,8 % des voix. tionnement du système eu-
mement de l'Allemagne, moins de Le 2 juin 1992, le Danemark a dit Le 8 juin 2001, l'Irlande, seul pays à se ropéen  : une décision doit
dix ans après la fin de la seconde non au référendum sur le traité prononcer par référendum, rejette, être adoptée à l’unanimité
guerre mondiale. Les gaullistes, de Maastricht. 50,7 % des électeurs par 54 % des suffrages, le traité de par les États membres, et se
les communistes, la moitié des refusent le passage à la monnaie Nice, avec une participation réduite place à la merci d’un scru-
socialistes et des radicaux ont voté unique. Aussitôt les onze parte- de 34 %. À Séville, en juin 2002, les tin référendaire ou d’une
contre. Les autres ont voté pour naires de Copenhague déclarent Quinze garantissent la neutralité de majorité parlementaire de
avec les démocrates-chrétiens. « La que le processus de ratification l'Irlande, et, le 19 octobre 2002, 62,89 circonstance (cf. ced).
querelle de la ced a été douloureuse doit continuer et que renégocier % des Irlandais approuvent le traité

L’Europe de 1945 à nos jours 49


L’essentiel du cours

Mots clés
Goulag
Mot qui désigne l’administra-
Les démocraties populaires
E
tion des camps dans lesquels
délinquants et opposants sont
ntre 1945 et 1948, les pays d’Europe centrale sont intégrés
internés. Surtout implantés en à la sphère d’influence de l’URSS : ils doivent adopter le
Sibérie, ces camps sont des lieux
de détention dans lesquels les pri-
modèle communiste. Cette situation se prolonge jusqu’en
sonniers sont astreints au travail. 1989. Séparés de l’Europe occidentale par le « rideau de fer »,
Par extension, le goulag désigne les pays de l’Est deviennent des «  démocraties populaires  ».
un camp.
Mais, rejetées par les populations, ces régimes disparaissent
Collectivisme en quelques mois (1989-1990).
et planification
Ces termes renvoient aux deux pi- d’État (février 1948), le « coup de
liers du système économique com- Prague  ». L’Allemagne de l’Est se
muniste. Les biens de production voit imposer le communisme en
(terre, entreprises, commerce…) 1949 (création de la République
sont propriétés collectives du démocratie allemande ou rda).
peuple ; nationalisés, leur gestion Dans les Balkans (Yougoslavie
est confiée aux services de l’État. et Albanie), la guerre civile per-
Celui-ci planifie cette gestion  : il met aux partis communistes
impose aux entreprises ce qu’elles de conquérir le pouvoir par les
doivent produire. armes. Les pays baltes (Estonie,
Lettonie, Lituanie) ne sont pas
Totalitarisme des démocraties populaires indé-
Dans un État totalitaire, les auto- pendantes : ils ont été annexés en
rités contrôlent la totalité de la vie 1940 et sont désormais intégrés
publique et privée des citoyens. à l'URSS.

Nomenklatura Drapeau de la rda.


Mot qui signifie « liste » en russe. Des démocraties totalitaires
En URSS, il désignait les privilé- Une Europe satellisée par l’URSS Communistes, les pays se proclament « démocraties
giés qui figuraient sur des listes Ce n'est pas la force des traditions communistes populaires » : déclaré souverain, le peuple vote pour
leur permettant d’accéder à de locales qui explique la naissance des démocraties élire des représentants ; les libertés fondamentales
meilleurs logements, aux maga- populaires en Europe centrale : dans ces pays très sont proclamées, l’égalité de droit garantie. Mais ces
sins où les produits occidentaux majoritairement paysans, les communistes ne démocraties n’admettent pas le pluralisme politique :
étaient accessibles en dollars, aux représentent, avant-guerre, que de minuscules seul le Parti communiste censé représenter « l’avant-
voyages à l’étranger, etc. minorités (sauf en Tchécoslovaquie). Dans les pays garde du peuple » est autorisé. C’est la Dictature du
des Balkans occidentaux, comme la Yougoslavie et Prolétariat. Dans ce cadre, les droits fondamentaux
Dissidence l’Albanie, les partis communistes locaux ont acquis de l’homme ne sont pas respectés : les grèves sont
Mot qui désigne habituellement une grande popularité durant la guerre en incar- interdites, les seules associations tolérées sont celles
l’opposition politique au régime nant la résistance aux nazis. Après avoir éliminé les que l’État encadre ; les religions sont réprimées, la
soviétique en URSS et dans les autres résistants avec une grande brutalité dans le contestation est rendue impossible par une police
démocraties populaires, entre les cadre de guerres civiles, ils réussissent à prendre le politique qui déporte les indésirables dans des camps
années  1960 et les années  1980. pouvoir, dès 1945, sans aide extérieure. (Goulag). Il est impossible de se rendre en Occident.
Clandestine, la dissidence Dans le reste de l'Europe centrale, la naissance Le régime n’assure même pas l’égalité : les dirigeants
n’avait pas le droit de présenter des démocraties populaires ne s'explique que (la nomenklatura) accumulent les privilèges.
des candidats aux élections, ni par la pression de l'Armée rouge, qui a chassé les L’économie est régie selon le principe de la propriété
d’exposer ses idées. Voici quelques Allemands de ces régions en 1944-1945. collective des biens de production. Il n’y a plus
grands dissidents  : Andreï La victoire de l’URSS sur le nazisme apporte au d’entreprises privées. Nationalisée, la production
Sakharov (père de la bombe modèle communiste un grand prestige auprès est entièrement gérée par l’État dans le cadre d’une
atomique soviétique), Vaclav des peuples traumatisés par l’occupation alle- planification autoritaire  : celle-ci fixe à chaque
Havel (écrivain tchèque), Lech mande. Le processus de prise de pouvoir par les entreprise ce qu’elle doit produire. Les transports
Walesa (ouvrier polonais, leader communistes dure entre un et trois ans selon les et le commerce sont également étatisés. Sur le plan
du syndicat Solidarnosc). Écrivain pays. Les pressions de l’Armée rouge et le soutient international, les pays de l’Est travaillent ensemble
russe, Alexandre Soljenitsyne s’est qu’elle apporte aux partis communistes locaux dans le cadre du comecon, chaque pays étant spé-
rendu célèbre en publiant Une permet à ces derniers de prendre le pouvoir, cialisé dans un certain type de production  : ainsi
journée d’Ivan Denissovitch, récit souvent avec brutalité : en Pologne, les non-com- l’économie de la Pologne accorde une large place à
décrivant la réalité des camps munistes sont éliminés dès 1946. La Tchécoslo- l’industrie lourde, tandis que celle de la Bulgarie est
soviétiques. vaquie devient communiste à la faveur d’un coup à dominante agricole.

50 L’Europe de 1945 à nos jours


L’essentiel du cours

Les institutions partisanes ont


plus de pouvoir que celles de
dates clés
l’État avec lesquelles elles se 1945
confondent souvent. Soucieux Libération de l’Europe de l’Est
de forger un «  homme nou- par l’Armée rouge  ; fondation
veau », le Parti communiste s’as- de la République fédérale de
sure aussi le contrôle de l’éduca- Yougoslavie.
tion, des croyances et de la vie
privée des citoyens. Les démocra- 1947
ties populaires sont ainsi d’au- Élections dans les pays de l’Est,
thentiques régimes totalitaires. victoires des communistes ; créa-
tion du Kominform
Le rejet du modèle
Imposés par l’URSS, réprimant 1948
toutes formes de différences Coup d’État communiste à
ou dissidences sans faire dispa- Prague ; blocus de Berlin.
raître inégalités et injustices, ces
régimes sont impopulaires. De 1949
nombreuses révoltes illustrent Création de la rda et du comecon.
ce rejet du modèle communiste :
en 1953 la mort de Staline s’ac- 1953
compagne de soulèvements Manifestations ouvrières à
d’ouvriers à Berlin-Est  ; en Berlin.
1956, les Hongrois tentent des
réformes libérales stoppées par 1955
l’intervention sanglante de l’Ar- Pacte de Varsovie (alliance mi-
mée rouge (crise de Budapest) ; litaire).
le scénario se répète en 1968 en
Tchécoslovaquie, c’est le «  Prin- 1956
temps de Prague » étouffé par les Crise de Budapest ; manifestations
troupes du Pacte de Varsovie ; les ouvrières à Poznan (Pologne).
manifestations ouvrières (Poznan
en 1956, Gdansk en 1970), puis Staline (1879-1953). 1961
la naissance d’un syndicat indé- Construction du mur de Berlin.
pendant (Solidarnosc en 1980) lente ailleurs (en Roumanie et en Yougoslavie
agitent la Pologne où un coup d’État de l’armée qui implose). Le symbole de cet effondrement 1968
polonaise (1981) permet de normaliser la situation. est la chute du mur de Berlin, en novembre 1989. Printemps de Prague.
Au-delà de ces moments de tensions, une résistance Depuis 1989, la plupart des anciennes démocraties
souterraine s’exerce contre l’idéologie communiste. populaires sont entrées dans l'otan ou dans l'Union 1970
En Pologne, l’Église catholique joue un rôle majeur européenne, leurs économies se sont libéralisées. Manifestations ouvrières en
dans cette lutte. Dans les différentes démocraties Personne dans cette région d'Europe ne regrette Pologne.
populaires, les intellectuels expriment leur oppo- le passé communiste. Il demeure des partis que
sition : on les appelle les « dissidents ». l'on appelle parfois «  ex-communistes  », mais ils 1976
Inefficace, le système économique se révèle impos- refusent cette appellation et se réclament de la Publication de la Charte 77,
sible à réformer : la pénurie règne et les populations démocratie à l'occidentale. Cependant les traces manifeste dissident.
s’appauvrissent. Désireux de liberté et d’égalité de la période des démocraties populaires sont
réelle, les peuples supportent de moins en moins nombreuses et seront longues à disparaître : usines 1980
ce qu’ils vivent comme une oppression étrangère staliniennes en ruine, désastre écologique, pauvreté, Fondation de Solidarnosc, un
(celle de l’URSS). retard culturel dû à l'isolement imposé. syndicat indépendant auquel
La politique de réformes mise adhèrent des milliers de
en œuvre à Moscou par Gorbat- travailleurs.
chev leur offre une opportunité. trois articles du Monde à consulter
Le désengagement soviétique 1981
limite les risques de répression. • Un homme libre, Andreï Sakharov p. 53 Normalisation en Pologne
Les manifestations se multiplient, (Olivier Zilbertin, 21 février 2010.) (général Jaruzelski).
les populations découvrent leur
• Un faux Marché commun p. 53-54
force et réclament libertés et plu- (Sophie Gherardi, 9 janvier 1990.) 1985
ralisme politique. En moins d’un Arrivée au pouvoir de
an, les régimes communistes s’ef- • Rétrocontroverse 1980  : que faut-il penser Gorbatchev à Moscou.
fondrent, sans effusion de sang de Solidarnosc ? p. 54-55
parfois (révolution de velours en (Yves-Marc Ajchenbaum, 26 juillet 2007.) 1989
Tchécoslovaquie), de manière vio- Chute du mur de Berlin.

L’Europe de 1945 à nos jours 51


Un sujet pas à pas

notions clés
Doctrine Brejnev
Composition : l’Europe de l’Est
Énoncée en 1968 pour faire face au
Printemps de Prague, elle a permis
de justifier l’intervention des forces
sous domination soviétique, de 1947 à 1989
du Pacte de Varsovie en Tchécos- temps (Yougoslavie, Albanie), puis
lovaquie sans que l’impérialisme à analyser les relations qui existent
soviétique puisse être dénoncé. entre ces pays et l’URSS pendant
toute la durée de la guerre froide.
Normalisation
Terme utilisé pour évoquer le La problématique
retour à l’ordre soviétique. La Dans quelle mesure peut-on parler
répression à Budapest (1956), l’in- d’un lien de soumission entre l’URSS
tervention des troupes du Pacte de et ses satellites ? Quelles sont les li-
Varsovie à Prague (1968) ou le coup mites de la domination soviétique ?
d’État militaire en Pologne (1981)
relèvent du retour à la norme, le Le plan détaillé
communisme. Le plan chronologique, dont les
étapes correspondent à celles de
Socialisme à visage la guerre froide, est le plus adapté.
humain Trois périodes permettent de mon-
Nom donné à la vision du commu- trer l’évolution des relations.
nisme que défend Dubcek à Prague I. 1947-1962 : la satellisation de l’Eu-
en 1968. Son programme propose rope de l’Est est brutale.
une démocratisation pacifique du a)  L’alignement est forcé dans le
régime politique et un assouplisse- cadre de la guerre froide.
ment de la planification. b)  Le modèle soviétique s’exporte
dans les pays « frères ».
Tactique du salami c)  Les tentatives de sécession sont
Terme utilisé par Rakosi, dirigeant réduites à néant.
Léonid Ilitch Brejnev (1906-1982).
hongrois en 1947, pour désigner la II. 1962-1977 : le bloc de l’Est se fragilise.
méthode qui consiste à isoler les a) L’URSS s’affaiblit dans le cadre de la détente.
partis ou personnalités d’opposition, b) Les relations sont distendues entre Moscou et les
puis à les exclure progressivement Ce qu’il ne faut pas faire Balkans.
de l’échiquier politique en les dis- • Présenter uniquement les caractéristiques c)  La fermeté russe en Europe centrale est mise en
créditant ou en les faisant interdire. de l’Europe de l’Est sans analyser les relations évidence par la doctrine Brejnev.
entre l’URSS et ses satellites. III. 1977-1989 : la tutelle soviétique s’effondre.
Principaux dirigeants • Opter pour un plan qui évalue les relations a) Les tentatives de normalisation sont illustrées par
des pays de l’Est par type de pays (ceux proches de l’URSS, la Pologne.
Tito (Yougoslavie), Gomulka, Gie- ceux plus éloignés) : cela provoquerait trop b) Le modèle soviétique est en crise.
rek, Jaruzelski (Pologne), Rákosi, de répétitions d’une partie à l’autre c) Les peuples s’émancipent en 1989.
Nagy ou Kadar (Hongrie), Ceauses- et ne montrerait pas suffisamment l’évolution
cu (Roumanie), Gottwald et Dubcek des relations entre ces États. Les repères essentiels
(Tchécoslovaquie), Ulbricht et Ho- 1948, blocus de Berlin et « Coup de Prague » ; 1949,
necker (rda) Enver Hodja (Albanie), création du comecon et de la rda  ; 1955, Pacte de
Todor Jivkov (Bulgarie). Varsovie ; 1956, crise de Budapest ; 1961, construc-
L’analyse du sujet tion du mur de Berlin  ; 1968, doctrine Brejnev et
Jean-Paul II Le sujet invite à présenter les pays satellites de Printemps de Prague ; 1980, création de Solidarnosc
Élu pape en 1978, le Polonais l’URSS (rda, Tchécoslovaquie, Hongrie, Roumanie, en Pologne ; 1989, chute du mur de Berlin, révolution
Karol Wojtyla était archevêque Pologne, Bulgarie) et ceux qui l’ont été pendant un de « velours » en Tchécoslovaquie…
de Cracovie et connaissait bien
les pays de l’Est. De 1978 à 1989,
il s’engagea activement pour la Sujets tombés au bac sur ce thème
défense des droits de l’homme et
comme défenseurs des dissidents Composition
dans les pays de l’Est. Très populaire – Les démocraties populaires et leurs évolutions (1948-1989) (Métropole, 2010)
en Pologne, il usa de son influence
pour obtenir des concessions de la Étude d’un ensemble documentaire
part du gouvernement polonais. – Les démocraties populaires d’Europe de l’Est (1948-1989). (Asie, 2006)
Il favorisa l’implantation du syndicat
Solidarnosc.

52 L’Europe de 1945 à nos jours


Les articles du

Un homme libre, Andreï Sakharov


Arte 20.35 documentaire : un pan de l’histoire raconté
à travers la vie du chercheur
I
l fut à la fois le chercheur le récemment déclassifiés, Iossif balbutie, les hommes se cher- mettra au point, en 1955, la
plus honoré par le régime Pasternak nous retrace, à travers chent une conscience, et Andreï première bombe à hydrogène
soviétique et le dissident le la vie de Sakharov, l’histoire de Sakharov s’interroge. Lui qui fut transportable par avion, était
plus virulent contre ce même l’URSS et d’un monde en train l’un des plus jeunes académi- avant tout « un homme libre »,
régime. Un paradoxe qui résume de basculer. ciens soviétiques, quasiment nous dit Iossif Pasternak.
bien l’existence d’Andreï Sakha- Des collaborateurs du cher- enfermé durant dix-huit ans
rov, physicien, père de la bombe cheur témoignent, des images avec pour mission d’inventer Olivier Zilbertin
H soviétique. Le même dilemme d’archives défilent, l’histoire la bombe H, et qui finalement (21 février 2010)
partageait le chercheur.
En conduisant ses travaux,
Andreï Sakharov, né à Moscou pourquoi également la dissidence dans À travers la biographie de
en 1921 (il est mort en 1991), fils cet article ? le bloc de l’Est, dont Sakharov Sakharov sont mis en évidence
d’un professeur de physique et était la figure emblématique. certains atouts du modèle so-
petit-fils d’un avocat, nourris- Cet article permet d’illustrer Ce dernier recherchait «  l’équi- viétique : autoritaire, le régime
sait les mêmes sentiments op- plusieurs chapitres : « Le monde libre des forces en donnant à son est capable de mobiliser des
posés. D’un côté, la certitude de en 1945 » et les défis qu’il pose à pays les moyens de sa défense ». chercheurs, des capitaux et des
la valeur de ses recherches, pour l’URSS ; « Le modèle soviétique » L’URSS s’est en effet dotée de informations lui permettant
la science et pour l’équilibre des qui a été capable de mettre au la bombe atomique en 1949 d’atteindre des objectifs tech-
forces en donnant à son pays point sa bombe atomique et (quatre ans après Hiroshima), nologiques de pointe.
les moyens de sa défense. De de faire jeu égal avec les États- et a obtenu la bombe H en Mais ce modèle possède aussi des
l’autre, la crainte que cela serve Unis ; « les relations Est-Ouest » 1953 (un an seulement après faiblesses  : il déçoit ses propres
d’autres desseins et finisse par pour la période 1947-1962, du- les États-Unis). Les Russes, en serviteurs et musèle toute oppo-
anéantir l’humanité. À l’aide de rant laquelle s’instaure « l’équi- retard, pouvaient ainsi craindre sition (exilé à Gorki, Sakharov y
documents d’époque, dont cer- libre de la terreur  ». Il évoque la puissance américaine. vit en résidence surveillée).
tains, longtemps secrets, ont été

Un faux Marché commun


F
ondé en janvier 1949 Le comecon a été relativement de salaires et d’avoir, en fin de ne peuvent être compensées
pour faire contrepoids efficace pendant ses deux pre- compte, sa propre politique que par des importations des
à l’Europe du plan Mars- mières décennies dans son économique. pays tiers payés en devises
hall, le Conseil d’assistance œuvre d’homogénéisation On a souvent appelé le comecon fortes. C’est la première faille
économique mutuelle (caem, des mécanismes économiques le «  Marché commun des d’un système conçu à l’origine
plus connu sous le sigle an- (planification centralisée et pays de l’Est  », mais il n’a pour fonctionner en circuit
glais de comecon) reproduisait, monopole d’État du com- jamais été plus qu’une zone fermé. «  Transférable  » mais
à l’échelon du bloc de l’Est, le merce extérieur) et pour le d’échanges administrés. Pour non convertible.
système de la planification développement de l’industrie justifier le mot de marché, La « monnaie » des échanges
centralisée soviétique. Il avait lourde. Le projet – soviétique – il a toujours manqué à cette au sein du comecon est le
pour objectif d’abord la re- d’instaurer une véritable « di- organisation trois éléments «  rouble transférable  », ap-
construction, puis l’intégra- vision internationale socia- fondamentaux : la demande, pellation trompeuse, car ce
tion économique de pays très liste du travail » n’a pas abouti. la monnaie et les prix. rouble n’est justement pas
différents : l’URSS de Staline, Le comecon n’a enfin jamais En guise de demande, le co- convertible.
dominait, par sa taille et par réussi à satisfaire les besoins mecon ne connaît que les be- Les échanges sont en général
les « sociétés mixtes » qu’elle en produits de consomma- soins définis ex ante par les réalisés entre deux pays, en
contrôlait entièrement, les tion, ni quantitativement ni plans quinquennaux. La rigi- vertu d’un grand nombre de
pays industrialisés comme qualitativement, pas plus dité d’un tel système est aggra- contrats annuels ou quin-
l’Allemagne de l’Est et la qu’à empêcher chaque pays vée par les goulots d’étrangle- quennaux, et visent l’équi-
Tchécoslovaquie, et les pays de poursuivre des buts dif- ment des appareils productifs, libre comptable. Quand il y a
agricoles comme la Bulgarie férents, de développer ses d’où les pénuries constatées un des excédents, ils ne peuvent
et la Roumanie. propres structures de prix et peu partout qui, bien souvent, être employés pour acheter

L’Europe de 1945 à nos jours 53


Les articles du

des produits auprès d’un


troisième pays (avec lequel le pourquoi ans) par l’État soviétique, qui «  pénuries  »), sa lourdeur bu-
commerce extérieur est aussi cet article ? fixe de façon « arbitraire » les reaucratique centralisée et les
« ligoté » dans une autre série prix, la valeur de la monnaie, « gaspillages » ou aberrations
de contrats bilatéraux). L’article recouvre trois les salaires, les productions. qu’il génère.
Avoir des excédents en roubles chapitres du programme  : Le modèle soviétique donne Le comecon permet de com-
transférables n’offre donc au- «  Le modèle soviétique  » la priorité aux équipements prendre la nature des rela-
cun intérêt, ce qui explique dont il permet de découvrir (industrie lourde), sacrifiant tions de domination qui
la colère des Hongrois qui le système économique ; « Les la production des biens de existent entre l’URSS et ses
accumulent depuis deux ans démocraties populaires » dans consommation. voisins. « Ligotés », ceux-ci se
d’importants excédents vis-à- leurs relations avec l’URSS  ; Le comecon apparaît comme une trouvent dans une situation
vis de l’URSS, cette dernière ne les «  relations Est-Ouest  » transposition du système russe de dépendance et d’échange
fournissant pas les quantités dans la mesure où les défauts à l’échelle de l’Europe de l’Est, inégal, justifiant la notion de
prévues par les contrats bilaté- du système expliquent les dans le cadre d’une « division « satellisation » d’une part, et
raux d’énergie et de matières tensions internes au bloc internationale socialiste du les rébellions d’autre part. À
premières. La valeur du rouble de l’Est et la rapidité de son travail » et d’une économie qui l’exemple hongrois évoqué
transférable est calculée en effondrement à la fin des s’apparente à un système de dans le texte, on peut ajouter
convertissant les prix mon- années 1980. troc. L’article permet de mettre celui de la Roumanie qui refusa
diaux d’un produit en roubles Le comecon est l’expression type en évidence les limites du mo- dans les années 1960 la spécia-
au cours officiel, qui est tou- du système d’économie auto- dèle : son incapacité à répondre lisation agricole que Moscou
jours parfaitement arbitraire. ritairement planifiée (sur cinq à la demande (économie de voulait lui imposer.
Le débat sur la convertibilité
– bilatérale ou multilatérale –
sera central dans les tentatives début des années  1980. Mais exportations de la rda –  pays sont levées, et si, comme les
de réforme du comecon. quand les cours mondiaux industriel – vers l’Ouest sont Russes eux-mêmes le souhai-
L’autre facette de cette ques- du brut se sont orientés à la des réexportations d’hydro- tent, le commerce s’effectue
tion est le problème des prix. baisse, le pétrole soviétique carbures). bientôt en devises fortes, le
Le comecon a toujours artificiel- est resté facturé plus haut, au risque n’est pas mince de voir
lement fabriqué ses prix en détriment cette fois des autres La stagnation le comecon se disloquer dans un
s’inspirant des prix mondiaux. pays membres. des échanges sauve-qui-peut général.
Mais la planification à moyen D’autres distorsions graves Le comecon a largement failli à Mais cela ne se produira pas
terme obligeait à bloquer pen- ont été introduites par ce sa mission de développement du jour au lendemain. Au-
dant cinq ans les prix d’une système de prix. Les produits du commerce entre pays de cune économie de l’Est n’est
période antérieure, ce qui a industriels sont en règle gé- l’Est. Surtout depuis une di- en mesure d’affronter la
conduit à des aberrations, nérale surévalués à l’intérieur zaine d’années, la stagnation concurrence occidentale en se
par exemple dans le cas du du bloc, alors que les matières des échanges à l’Est contraste privant des fournitures de ma-
pétrole. Dans les années 1970, premières sont sous-éva- cruellement avec le dyna- tières premières et des com-
l’URSS n’a pu répercuter la luées (par rapport aux cours misme du commerce mon- mandes de l’Union soviétique.
hausse des cours mondiaux mondiaux), d’où les risques dial. En outre, les échanges de Le géant du comecon, même
qu’avec retard  : elle a alors de gaspillage d’énergie et la chaque pays du comecon avec affaibli, reste, pour l’instant,
fortement subventionné ses tendance à vendre des ma- l’Occident croissent davan- maître du jeu.
partenaires, à tel point qu’une tières premières peu ou pas tage que les échanges avec ses
révision du système des prix transformées sur les marchés partenaires. Si les contraintes Sophie Gherardi
glissants a dû être adoptée au occidentaux (près du tiers des des contrats à moyen terme (9 janvier 1990)

Rétrocontroverse 1980 :
que faut-il penser de Solidarnosc ?
C
e 14 août 1980, lorsque chapeau une personnalité Pologne est en ébullition, les envahit les usines polonaises,
les 17 000 ouvriers des charismatique telle que intellectuels français, certains mais seuls le Parti commu-
chantiers navals Lénine Wladislaw Gomulka en 1956 syndicalistes et leaders niste français et ses satellites
de Gdansk se mettent en ou l'ancien mineur Edward politiques de la gauche non restent figés dans leur fidélité
grève, il n'est pas sûr que le Gierek en 1970. Et il est encore communiste aussi. au socialisme soviétique.
Parti ouvrier unifié polonais moins sûr que la société Bien sûr, la gauche laïque est Globalement, l'opinion
(poup) et l'État polonais puissent polonaise se satisfasse d'un plutôt méfiante devant cette française, en vacances, a de
à nouveau sortir de leur nouveau magicien. Bref, la débauche de religiosité qui l'empathie pour ce peuple qui

54 L’Europe de 1945 à nos jours


Les articles du

tente de sortir d'un monde met notamment la création reviennent sur la spécificité tradition ouvrière européenne
embourbé dans un totalita- de syndicats indépendants. de l'expérience polonaise, qui fait place à ce qu'il nomme le
risme devenu banal. Parfois Le travail reprend, mais rien permet à Jacek Kuron, membre « réalisme imaginatif ». « Ne
les enthousiasmes sont un n'arrête la dynamique reven- important du kor, d'écrire rêvons pas, précise Aleksan-
peu débordants. L'historien dicative dans la société civile, que l'intervention n'est pas der Smolar, ne comptons pas
Marc Ferro va jusqu'à évoquer, et, avec l'automne, l'interro- inévitable. «  Nous pouvons sur des élections libres, sur
dans Le Monde, le Conseil gation sur une intervention légitimement supposer que l'abolition de la censure et de
panrusse des comités d'usine soviétique se fait plus vive. les gouvernants de l'URSS ne la police politique » (Le Monde
dans la Russie de 1918, et Le 10 novembre 1980, la Cour s'aventureraient pas dans du 2 septembre 1980).
l'universitaire spécialiste du suprême valide les statuts de une intervention armée en Le 9  février 1981, les commu-
droit soviétique Vassil Vassilev « Solidarité » (Solidarnosc), et, Pologne tant que les Polonais nistes polonais nomment le
évoque les révoltes russes de le 5 décembre, se réunissent à s'abstiendront de renverser général Jaruzelski à la tête
1905-1906 et de février 1917… Moscou les représentants du qui est docile à l'URSS  » (Le du gouvernement, le dernier
Mais une question revient, pacte de Varsovie. Monde du 20 août 1980). «  élément intérieur  » avant
obsédante  : quel sera le prix Douze jours plus tard, dans nos Il faut donc rompre avec la une réaction extérieure. «  Je
à payer ? colonnes, Jean-Claude Servan- tradition révolutionnaire de pense que c'est quelqu'un de
Du côté soviétique, les réac- Schreiber, l'ancien homme la prise du pouvoir d'État. bien, que c'est un bon Polo-
tions au mouvement social de presse un temps député La non-intervention est à ce nais », dira Lech Walesa dans
polonais sont classiques, donc gaulliste, alerte l'opinion sur prix. Même musique chez un entretien avec Bernard
inquiétantes : des « éléments «  un génocide  » à venir. Il Adam Michnik  : une entente Guetta (Le Monde du 21 mars
antisocialistes  » ont abusé se «  prépare allègrement  », est possible avec la direction 1981). Onze mois plus tard, le
la classe ouvrière et réussi à écrit-il, et commencera par communiste polonaise. 13  décembre, le général pro-
pénétrer certaines usines… une guerre éclair, l'armée À Paris, Paul Thibaud, alors clame l'« état de guerre », et,
Les «  centres subversifs oc- polonaise défendant sa patrie directeur de la revue Esprit, au petit matin, des milliers
cidentaux  » sont à l'œuvre. contre une occupation russe. croit en cette démarche : tant de syndicalistes et d'intellec-
Revient également dans les De son côté, le diplomate René que Solidarnosc demeure dans tuels sont arrêtés. Mais dans
communiqués cette notion Vermont en appelle à l'histoire la sphère de la société civile les rues de Varsovie, les chars
de « revanchards allemands » des relations russo-polonaises et se refuse à la tentation du sont polonais.
qui avait tant fleuri dans la pour affirmer que Moscou ne pouvoir, les Russes resteront
presse communiste occiden- peut, et n'a jamais pu, accepter aux frontières. La vision ro- Yves-Marc Ajchenbaum
tale et orientale pendant les à ses frontières un mouve- mantique et violente de la (26 juillet 2007)
premières années de la guerre ment démocratique qui aille
froide. Et, bien sûr, les émis- au-delà de la « norme russe ».
sions de la bbc et de Radio Free Maurice Duverger est moins pourquoi ou Prague (1968). Toutes les
Europe sont brouillées. alarmiste : l'existence de « So- cet article ? crises se déclinent sur le même
Le 3 septembre, la Pravda pu- lidarité » est acceptable par les modèle, à quelques variantes
blie un éditorial pour dénoncer Soviétiques tant que le syndi- Cet article illustre les relations près, comme le souligne la re-
les « contre-révolutionnaires » cat ne remet pas en cause le entretenues entre l’URSS et les marque selon laquelle «  dans
qui essayent de détourner la pouvoir du Parti. Par contre, pays satellites par l’exemple les rues de Varsovie, les chars
Pologne de la voie dans la- ajoute-t-il, ce «  gigantesque polonais. On en retiendra une sont polonais  ». À Budapest
quelle elle s'est engagée après happening », qui gagne toutes continuité historique incarnée ils étaient russes  ; à Prague,
la libération des « envahisseurs les entreprises et fragilise en- par Gomulka, Gierek et Walesa ; ils appartenaient aux forces
fascistes allemands ». core un peu plus l'économie, la révolution politique que re- du pacte de Varsovie. Mais ces
Trois jours plus tard, Edward limite les capacités de tolé- présente l’apparition d’un syn- différences ne changent pas le
Gierek abandonne le poste rance russe. dicat libre (Solidarité) dans un résultat final.
de premier secrétaire du poup. Ne pas remettre en cause l'au- pays communiste ; l’influence Sur les relations Est-Ouest, l’ar-
Raison de santé. Une réalité torité du Parti, cela signifie de l’Église catholique (et de ticle permet de découvrir le rôle
qui ne suffit pas à apaiser pour Solidarnosc éviter les Jean-Paul II)  ; la «  normalisa- de la propagande comme arme
les esprits. émeutes et accepter les com- tion  » par le coup d’État du de la guerre froide. Pour at-
Car arrive au bureau politique promis. « Un mouvement sans général Jaruzelski (1981). Mais teindre ses cibles, l’URSS utilise
le général Moczar, ancien mi- victimes ni utopie », propose l’intérêt du texte réside surtout les Partis amis de l’Ouest (le pcf) ;
nistre de l'Intérieur lors des Aleksander Smolar, chercheur dans l’analyse des «  réactions les États-Unis répondent par la
purges de 1968 et à l'époque au cnrs et, à l'époque, représen- classiques » de l’URSS : propa- voie des ondes (bbc, Radio Free
initiateur des campagnes anti- tant du kor (Comité de défense gande s’efforçant de réveiller Europe, Radio Liberty). Chaque
sémites. Plus les mois passent, des ouvriers) à l'Internationale les haines anciennes (allu- camp exploite la mémoire des
plus la question d'une éven- socialiste (Le Monde du 27 dé- sions «  aux revanchards  » et peuples pour entretenir le rejet
tuelle réaction russe emplit cembre 1980). aux «  fascistes  » allemands), de l’autre.
les esprits. Autant les chroniqueurs et accusations d’agression de Mise en place en 1951, l’Interna-
Fin août, le comité de grève intellectuels français expri- la part de l’Ouest, menaces tionale socialiste regroupe les
interentreprises et la commis- ment leurs craintes, autant les d’«  intervention soviétique  » partis socialistes et sociaux-dé-
sion gouvernementale signent intellectuels polonais investis qui rappellent Budapest (1956) mocrates de l’Europe de l’Ouest.
un accord en 21 points qui per- dans le mouvement en cours

L’Europe de 1945 à nos jours 55


L’essentiel du cours

Mots clés
Euroscepticisme
Mot qui caractérise l’opinion de
Les enjeux européens
ceux qui doutent du bien fondé de
la construction européenne, de ses
chances d’atteindre ses objectifs
depuis 1989
E
ou de la politique qu’elle choisit
de suivre. ntre 1989 et 2007, la cee, devenue l'Union européenne (ue)
Majorité qualifiée
en 1993, est passée de 12 à 25 membres, puis à 27 : après avoir
La majorité qualifiée est acquise absorbé la rda dans le cadre de la réunification allemande
lorsqu’un texte recueille au moins (1990), elle a intégré trois nouveaux États de l’Europe centrale ou
55  % des membres du Conseil
des ministres (soit 15 d’entre eux scandinave en 1995, puis, en 2004, dix pays, dont cinq anciennes
sur 27) représentant eux-mêmes démocraties populaires et trois anciennes républiques de l'URSS.
des États membres réunissant au
moins 65  % de la population de Enfin, au 1er  janvier 2007, la Bulgarie et la Roumanie ont fait leur
l’Union. Cette majorité permet entrée dans l'Union. D’autres pays comme la Turquie, la Croatie et
aux petits États de conserver une
chance de se faire entendre, sans
la Serbie sont en pourparlers plus ou moins avancés pour intégrer à
provoquer le blocage que l’unani- leur tour la communauté. C'est la conséquence de la disparition du
mité favorise. communisme en Europe : cette zone géographique s'est réunifiée.
Parlement européen Cependant, l'Union européenne d'aujourd'hui est encore loin de
Composé de 736 députés, il siège à correspondre aux frontières du continent européen  : la Russie,
Strasbourg. Le nombre de députés
dépend du poids démographique à elle seule, couvre un tiers de cet espace. Quant à l’unité dans le
des États. Pays le plus peuplé, cadre d’institutions réactualisées (traité de Lisbonne de 2009
l’Allemagne en compte 99, Malte
5. Mais les députés siègent par
notamment), elle ne suffit pas à résoudre tous les problèmes.
sensibilité politique, et non par
pays. Par le traité de Lisbonne, le Créer une puissance aussi de transférer plus de pouvoirs
Parlement européen partage le politique efficace à Bruxelles.
pouvoir législatif avec le Conseil En un demi-siècle, les missions de Sur le plan international, l’Europe
de l’Union européenne. Il peut l’Europe ont profondément changé. veut encore se doter des moyens
agréer, modifier ou rejeter le Les Européens sont réconciliés, d’assurer seule sa défense et
contenu des lois européennes. Il l’Allemagne est devenue l’un des pays d’affirmer son indépendance vis-
vote aussi le budget et contrôle le les plus démocratiques du monde, le à-vis des États-Unis en terme de
travail de la Commission. communisme n’est plus un danger. politique étrangère. L’extension
Devenue Union européenne, la de ses frontières à l’Est pose aussi
Pacte de stabilité Communauté économique se fixe de la question de ses relations avec
et de croissance nouveaux objectifs. la Russie qui a cessé d’être un
Il définit un ensemble de critères Pour renforcer son rôle de centre ennemi idéologique.
que les pays de la zone Euro s’en- d’impulsion mondial, elle projette Robert Schuman (1886-1963) est Pour les pays baltes et les pays
gagent à respecter vis-à-vis de d’étendre son marché aux pays de considéré comme l’un des pères d’Europe centrale, l’Union euro-
leurs partenaires. Ce pacte vise à l’Est ou des Balkans pour les aider fondateurs de la construction péenne représente non seulement
coordonner les politiques budgé- à se reconstruire dans le cadre du européenne. des aides pour leurs économies,
taires nationales et à éviter l’appa- capitalisme, et préserver la paix du mais surtout un espace de démo-
rition de déficits publics excessifs. continent par leur intégration. cratie et de libéralisme économique  ; elle offre aussi
Les critères de convergence (ou Mais l’élargissement pose la question des ins- une garantie au cas où la Russie redeviendrait agressive.
«  critères de Maastricht  ») sont titutions qui nécessitent d’être réformées pour
des indicateurs économiques éviter qu’elles ne se bloquent. À l’idée d’émettre Une Europe
que doivent respecter les pays une monnaie commune capable de concurrencer réactualisée
candidats à l’entrée dans l’Union le dollar, l’ue ajoute le projet de se doter d’une Par le traité de Maastricht, signé en 1992, la Com-
économique : la maîtrise de l’in- Constitution, d’une incarnation plus visible munauté économique se transforme en Union
flation, de la dette publique et du d’elle-même (une présidence), de pouvoirs plus politique et passe à 15 États en 1995 (L’Autriche, la
déficit public, la stabilité du taux démocratiques (renforcer ceux du Parlement) Suède et la Finlande deviennent membres). Elle se
de change et la convergence des et d’une politique sociale répondant mieux aux dote d’une monnaie commune, l’Euro, adoptée en
taux d’intérêt. attentes des peuples. Elle veut harmoniser ses poli- 1999, mais qui ne circule comme pièces et billets
tiques fiscales, juridiques ou de sécurité. Elle envisage qu’à partir de 2002. Quelques États, comme la Grande-

56 L’Europe de 1945 à nos jours


L’essentiel du cours

dates clés
1992
Traité de Maastricht qui insti-
tue l’Union européenne, dont le
principal objectif est de passer à
la monnaie unique.

1994
La Norvège dit « Non » à l’Europe.

1995
Adhésion de la Suède, de la
Finlande et de l’Autriche à
l’Union européenne.

1997
Renforcement des pouvoirs du
Parlement. Signature du traité
d'Amsterdam qui propose de
mettre en place un espace de
Un drapeau de l’ue vandalisé à Sopot en Pologne (euroscepticisme). liberté, de sécurité et de justice
au sein de l'Union européenne.
Bretagne, restent cependant en dehors de la zone concurrence aux États-Unis sur le plan économique :
Euro. Pour mener la politique monétaire commune, les deux partenaires s’accusent mutuellement de pro- 1999
une banque centrale européenne (bce) est créée. Elle tectionnisme. Washington est aujourd’hui moins Création de l’euro  ; adhésion à
a son siège à Francfort. Par le Pacte de stabilité et favorable à la construction européenne qu’à ses débuts. l’otan de la République tchèque,
de croissance (psc), les pays membres s’engagent à Ces nouvelles relations avec les États-Unis divisent les de la Hongrie et de la Pologne.
gérer leurs économies selon des règles communes. Européens. Les divergences empêchent l’élaboration
Entre 2004 et 2007, 12 États supplémentaires rejoi- d’une politique étrangère européenne commune, d’au- 2001
gnent l’ue  : Pologne, Tchéquie, Hongrie, Bulgarie, tant que l’ue n’a pas d’armée. Traité de Nice qui étend le prin-
Roumanie, Slovénie, Slovénie, Estonie, Lituanie, La crise financière de 2008 ébranle certains pays euro- cipe de la majorité qualifiée.
Lettonie, Malte, Chypre. Cette extension précipite péens qui se sont endettés (Grèce, Irlande, Portugal) ;
la nécessité de réviser les institutions. les Européens acceptent les règles de la solidarité, mais 2002
Un traité constitutionnel européen prévoit de ren- avec réticence, les plus vertueux (comme les Allemands) Mise en circulation de l’euro.
forcer les pouvoirs du Parlement, crée les postes de dénonçant le laxisme de leurs partenaires.
président de l’Europe et de représentant de l’Union Les difficultés sociales des populations confrontées 2003
pour les affaires étrangères, étend le principe de la ma- au chômage et à la vie chère suscitent des critiques L’Europe se divise sur la question
jorité qualifiée, et prévoit de coordonner les services de dans les opinions publiques, et favorisent le déve- de la guerre en Irak.
police, de santé, d’éducation, etc. Mais son adoption est loppement de l’Euroscepticisme.
remise en cause par le rejet des électeurs néerlandais et Les intérêts nationaux restent prépondérants et 2004
français lors des référendums de 2005. En 2007, après l’Europe peine à parler d’une seule voix. Le chemin Adhésion de 10 états supplémen-
quelques corrections, le traité de Lisbonne adopté par de l’union véritable est encore long. L'Union euro- taires : l’ue compte 25 membres.
les 27 États permet la mise en œuvre de ces réformes. péenne demeure une association d'États indépen-
dants. Le succès de la construction européenne est 2005
Une Europe qui se cherche encore évident, mais le revers de la médaille est qu'elle doit Refus du traité sur le fonction-
L’ue et les États-Unis demeurent alliés : la plupart des désormais faire vivre ensemble des peuples qui ont nement de l’ue par la France et
pays de l’Union sont membres de l’otan. Mais l’efface- des expériences historiques et des points de vue sur les Pays-Bas.
ment du danger soviétique a fait disparaître le principal le monde très différents les uns des autres. Il faudra
ciment de cette alliance. De plus, l’Europe unie fait du temps pour les rapprocher. 2007
Adhésion de la Roumanie et de
la Bulgarie à l’ue  ; adoption de
trois articles du Monde à consulter la Constitution européenne par
le traité de Lisbonne (ce dernier
• Traité de Lisbonne : « une révision nécessaire » p. 59-60 devant notamment permettre à
(Propos recueillis par Hélène Sallon, 29 octobre 2010.)
l'Europe des vingt-sept de fonc-
• Privée du moteur franco-allemand, l’Union européenne piétine p. 60-61 tionner de manière plus efficace
(Philippe Lemaître, 7 août 1997.) et démocratique).

• L'Eurocorps s'agrandit p. 61 2010


(3 septembre 2002.) Crise économique en Grèce et
en Irlande.

L’Europe de 1945 à nos jours 57


Un sujet pas à pas

notions clés
Commission
Composition : les nouveaux enjeux
européenne
En tant que gouvernement de
l’Europe, elle propose des projets
européens (1992-2010)
et les met en œuvre lorsqu’ils
sont adoptés. Son siège se trouve La problématique
à Bruxelles. Les institutions sont-elles adaptées
aux besoins de l’ue ? L’ue devient-elle
Conseil de l’ue une puissance mondiale ?
Il décide des actes législatifs et du
budget de l’ue. Le plan et les thèmes
Le plan chronologique semble le
Cour européenne plus adapté.
de Justice 1992 : de nouvelles ambitions.
Elle siège à Luxembourg et statue Après avoir rappelé quelques évè-
notamment sur le respect, par les nements clés (chute de l’URSS et
États membres, des obligations traité de Maastricht), il convient de
qui découlent des traités. définir les objectifs et les principales
institutions de l’ue en 1992 : la Com-
Principaux traités mission européenne, le Conseil de
de l’ue l’ue, le Parlement européen, la Cour
Maastricht (1992) institue l’ue et de justice, etc.
projette la mise en place de l’eu- 1993-2004 : l’élargissement.
ro  ; Amsterdam (1997) ébauche On montre le passage à 15 (1995), puis
le principe d’une coopération à 25 États (2004), que l’on explique
judiciaire  ; Nice (2001) fixe les par le nouveau contexte internatio-
méthodes d’évolution des insti- nal. Rapide, le processus pose le pro-
tutions ; Lisbonne (2007) dote l’ue blème du fonctionnement et invite
d’une constitution, institue une à mettre en évidence les blocages
présidence de l’Europe et un haut des institutions et la nécessité de
représentant aux Affaires étran- La Banque centrale européenne gère l’émission des billets de la zone Euro.
réformes institutionnelles.
gères et à la sécurité, renforce les 2005-2010 : les intégrations renfor-
pouvoirs du Parlement et étend le cées et les doutes.
principe de la majorité qualifiée. À travers le débat sur le Traité instituant la Commu-
Ce qu’il ne faut pas faire nauté européenne (tce) et sur le traité de Lisbonne,
Zone Euro • Sous prétexte d’« enjeux », limiter la copie on présente les grandes réformes et leurs avantages.
Ensemble des pays ayant adopté à une présentation des institutions européennes. Mais on insiste également sur les votes négatifs
l’euro comme monnaie. Au 1er jan- • Oublier d’exposer le contexte : des électeurs (référendum sur la tce) et sur la crise
vier  2009, seize pays européens la fin de la guerre froide et la mondialisation. financière de 2008 pour souligner les faiblesses de
représentant près de 322 millions l’ue et son inachèvement.
d’habitants en faisaient partie. La
monnaie circule sous forme de L’analyse du sujet Les repères essentiels
pièces et billets depuis 2002. Pour Les dates renvoient au passage de la Communauté Les nouveaux membres de l’ue  : Suède, Finlande,
entrer dans cet espace monétaire, économique européenne à l’Union européenne. Autriche (1995)  ; Malte, Chypre, Pologne, Hongrie,
il faut (théoriquement) avoir un À travers les objectifs qu’elle se fixe, il s’agit de décrire Tchéquie, Lituanie, Lettonie, Estonie, Slovénie, Slovaquie
déficit public inférieur à 3 % du pib la manière dont l’ue se transforme et s’agrandit. (2004) ; Roumanie, Bulgarie (2007).
– une dette publique ne dépassant
pas 60  % du pib  –, une inflation
maîtrisée, une indépendance de Sujets tombés au bac sur Ce thème
la banque centrale du pays et une
devise nationale stable pendant Aucun sujet portant exclusivement sur la période 1992-2010 n’a été donné au bac à ce jour. Ceci s’explique
au moins deux ans. par le fait qu’un sujet portant sur les dix dernières années du programme ne peut pas être donné à l’examen.
Mais la période couvrant désormais près de 20 ans, la contrainte ne joue plus et un tel sujet peut désormais
Espace Schengen tomber.
Territoire dans lequel s’exerce la Étant donné les aspects institutionnels, le sujet a plus de chance d’être proposé sous la forme d’un ensemble
libre circulation des personnes documentaire.
entre les états signataires des La période peut aussi être traitée dans un sujet sur la construction européenne de 1957 à nos jours. Le sujet
accords de schengen (dont les présenté ici serait alors à utiliser pour construire une dernière partie.
premiers ont été signés le 14 juin
1985).

58 L’Europe de 1945 à nos jours


Les articles du

Traité de Lisbonne :
« une révision nécessaire »
Les dirigeants des pays membres de l’Union européenne ont ouvert la voie à une
révision du traité de Lisbonne visant à créer un filet de sécurité permanent pour
les pays de l’Union monétaire qui seraient en grande difficulté, comme la Grèce au
printemps. Le président de l’ue, Herman Van Rompuy, s’est vu confier par les 27 la
mission de travailler sur la méthode de réforme du traité et la nature de ce mécanisme
d’ici au prochain sommet des chefs d’État et de gouvernement, les 16 et 17 décembre.
Les États membres souhaitent recourir à l’article 48-6 du traité qui prévoit une
procédure accélérée de révision, permettant de contourner le Parlement européen et
d’éviter ainsi un long processus.

P
ourquoi les 27  États saire pour mettre en place un institutions européennes. Dans nationaux. En fonction de la
membres de l’Union système pérenne pour assister ce cas, le texte est renvoyé pour nature de la révision du traité
européenne discutent- les pays qui connaîtraient des approbation devant la cig et qui sera présentée, certains États
ils déjà d’une révision du traité difficultés telles que la Grèce. non, devant une Convention pourraient avoir à soumettre la
de Lisbonne qui, difficilement Quelle méthode devrait être européenne, constituée de par- ratification à référendum. C’est
ratifié par l’Irlande et la adoptée pour la réforme du lementaires nationaux et eu- le cas notamment de l’Irlande.
République tchèque, est en traité et quelles en seront les ropéen ; une formule qui avait Mais sa législation ne prévoit
place depuis moins d’un an ? étapes  ? Quelles seraient les été adoptée pour le projet de pas un recours automatique au
implications d’une procédure Constitution de l’Europe. référendum : cette procédure est
Jean-Luc Sauron  : Cette ré- de révision accélérée ? C’est donc une procédure fonction du niveau d’importance
vision du traité de Lisbonne Hier, à Bruxelles, les 27 se sont simplifiée mais qui nécessite de la ratification. Si un référendum
est rendue nécessaire par une mis d’accord pour qu’un accord l’accord de la Commission et s’imposait dans certains États,
jurisprudence très sévère du politique sur une réforme du du Parlement européen car, je ne vois pas pourquoi ils
Tribunal constitutionnel fédéral traité de Lisbonne soit entériné dans le cadre de la cig, le Parle- bloqueraient la révision car les
allemand de Karlsruhe qui a in- par les chefs d’État et de gouver- ment ne discute pas du texte peuples ont tout intérêt à ce
diqué que les mécanismes mis nement au prochain sommet et se contente de le ratifier. Le qu’elle soit mise en œuvre. Mais
en place pour le plan de sauve- les 16 et 17 décembre. Une fois Parlement devrait, selon toute on ne sait jamais.
tage de la Grèce sont contraires l’accord politique finalisé en vraisemblance, accepter de se Un nouveau cas pourrait se po-
au traité. Les articles  126-128 décembre, un mandat devrait dessaisir au profit de la cig car ser : le 11 novembre, le gouver-
prévoient en effet qu’une aide être donné à la conférence in- politiquement, comment peut- nement Cameron, en Grande-
financière peut être apportée tergouvernementale (cig) pour il s’opposer à une procédure Bretagne, va déposer un projet
par les pays de la zone Euro à adopter la décision avec, en de révision accélérée alors que de loi au Parlement qui prévoit
un pays qui n’en fait pas partie, annexe, le protocole de révi- la crise est là  ? Pour le reste, la de soumettre à référendum
mais interdit par ailleurs d’aider sion du traité de Lisbonne. Les Commission aura toujours un toute nouvelle attribution de
un pays de la zone Euro. négociations sur cette décision rôle à jouer, car de nombreuses compétence à l’ue. Est-ce qu’une
Le gouvernement allemand est pourraient ainsi démarrer auto- mesures devront être prises sous révision du traité permettant
bien conscient que si l’on veut matiquement après le sommet forme de directives et de règle- d’aider les pays de l’ue doit être
pérenniser le système d’aide à de décembre. ments pour la mise en œuvre du considérée comme une révi-
la Grèce, il faut réviser le traité Le recours à la procédure ac- texte et ses compléments. sion de ses compétences  ? La
de Lisbonne, sans quoi il serait célérée est rendu nécessaire La procédure de révision accé- question se pose. Selon toute
dans l’incapacité de ratifier un par la contrainte de temps car lérée a-t-elle des implications vraisemblance, la Grande-Bre-
nouveau plan d’aide. Le système le fonds européen de stabilité sur la ratification par les États tagne ne devrait pas s’opposer
d’aide actuel est temporaire et financière, mis sur pied en mai membres ? à cette révision car elle n’est pas
a été fait dans l’urgence  : les après la crise grecque, cessera Non, une fois adoptée par concernée, n’étant pas membre
Allemands avaient trouvé un d’exister le 30  juin 2013. Or, il le Conseil et le Parlement de la zone euro. C’est ce qui est
arrangement pour passer outre faut compter au moins deux ans européen, la révision du traité intéressant dans cette révision :
l’interdiction du traité. Les Al- pour procéder à une révision doit être ratifiée par les 27 selon l’interférence des dynamiques
lemands et les autres pays sont du traité. Mais attention, selon leur procédure de ratification nationales allemande, britan-
également conscients qu’une cette disposition, la procédure habituelle. Il pourrait y avoir une nique, irlandaise ou luxem-
révision du traité est néces- n’est accélérée qu’au sein des surprise au niveau des Parlements bourgeoise.

L’Europe de 1945 à nos jours 59


Les articles du

Y a-t-il un consensus parmi les


27 sur une révision du traité, à
la fois sur le fond et la forme ? pourquoi sident de l’ue et les compétences la question des moyens de
Pourquoi suscite-t-elle des cet article ? de la Commission de Bruxelles, l’ue pour contenir ce genre de
controverses ? le texte permet de mettre en évi- crise, et celle de la solidarité
C’est une initiative franco- Cette interview permet de dence les lourdeurs du système entre des pays qui n’ont pas les
allemande. Les Français sont faire le point sur l'évolution de qui en limitent l’efficacité. La mêmes intérêts et ne font pas
demandeurs de cette révision l'Union européenne. Elle dégage réforme de l’ue mise en œuvre les mêmes choix en terme de
et ils se sont mis d’accord, la au moins deux axes de réflexion par le traité de Lisbonne (2007) rigueur économique.
semaine dernière, avec les qui peuvent être développés dans apparaît ainsi inachevée ; Enfin, le texte rappelle com-
Allemands lors du sommet de le cadre d'une synthèse : –  les problèmes économiques ment la construction euro-
Deauville sur la mise en place –  le fonctionnement institu- de l’ue : le début de l'interview péenne dépend de la solidité du
d’un système de sanctions et tionnel de l'Europe : à travers les évoque la crise financière de la couple franco-allemand, dont
d’aides aux pays de la zone procédures de ratification des Grèce, qui a été suivie par celle les initiatives ont toujours été
euro en difficultés. La France traités par le biais du référendum de l'Irlande et du Portugal. décisives dans le passé et sem-
appuie davantage le volet ou du vote des Assemblées na- Cette fragilisation de certains blent devoir rester l’une des
«  aides  » de ce système afin tionales, le rôle du Parlement de pays de la zone Euro affecte conditions clés pour assurer
de prévenir une crise, tandis Strasbourg, les pouvoirs du pré- leurs partenaires. Elle soulève l’avenir de la communauté.
que les Allemands insistent
eux sur le volet «  sanctions  ».
Les Allemands n’ont, pour pays européens devrait être est simple. Dans cet accord, ils luxembourgeois, Jean Asselborn,
le moment, pas obtenu gain favorable à l’introduction de demandent au président de l’ue, a soutenu Viviane Reding parce
de cause sur l’introduction cette révision. Herman Van Rompuy, de prépa- qu’il y a une longue tradition chez
de «  sanctions politiques  » En ce qui concerne les critiques rer le texte de révision alors que les plus petits pays de l’ue, comme
privant les États trop laxistes adressées par Viviane Reding, la normalement, cela est du ressort le Benelux, de défendre les compé-
de droits de vote dans l’ue. commissaire européenne à la de la Commission européenne. tences de la Commission.
Cette proposition a été bloquée, justice et aux droits fondamen- Il y a donc une dépossession de
selon toute vraisemblance. taux, contre l’accord de Deauville la Commission sur ce volet-là. Le Hélène Sallon
Pour le reste, l’ensemble des franco-allemand, l’explication ministre des Affaires étrangères (29 octobre 2010)

Privée du moteur franco-allemand,


l’Union européenne piétine
Alors que le leadership du chancelier Helmut Kohl paraît chaque jour un peu plus entamé
par des difficultés intérieures, l’Europe piétine, le moteur franco-allemand à l’arrêt, sans
projet autre que celui d’une Union monétaire que le récent sommet d’Amsterdam a privée
de tout accompagnement politique. À Bonn, le Bundestag, réuni en session extraordinaire
en présence du chancelier qui a, exceptionnellement, interrompu ses vacances, n’a pu que
constater son incapacité à adopter l’un des grands projets de la législature : la réforme fiscale.
Le dauphin désigné du chancelier, Wolfgang Schäuble, chef du groupe cdu au Bundestag,
n’en livre pas moins, au cours d’un entretien accordé au Monde, une vision plutôt optimiste
de l’avenir du pays et de l’Europe.

E
n cette fin juillet, l’Europe à part l’élargissement aux pays étrangère commune et la sécurité concourt qu’à fragiliser davantage
donne d’elle-même une image d’Europe centrale, qui est une affaire intérieure. À Amsterdam, en juin, les un exercice déjà laborieux.
brouillée, où les impressions lointaine, l’Union n’a plus en chantier Quinze, en raison notamment des Les Quinze ne semblent pas encore
négatives Vilvorde et Amsterdam le moindre projet d’importance. réticences allemandes, ont renoncé avoir pris conscience de l’impact
l’emportent sur l’unique raison Les auteurs du traité de Maastricht à cheminer dans cette double négatif que risque d’avoir le fiasco
d’espoir que représente la marche avaient compris qu’il fallait direction, privant l’Europe de d’Amsterdam. Du côté français,
vers l’Union économique et conférer à la monnaie unique toute perspective, même partielle, l’analyse qui est faite, pour être
monétaire (uem). Cependant, cette une légitimité politique. Tel d’union politique. C’est dans un lucide, n’est guère encourageante.
ambitieuse entreprise se développe était le sens des «  titres  », certes vide sidéral que s’opère désormais C’est celle d’une Europe impuissante
dans le désert de la pensée  : mis bâclés, concernant la politique la progression vers l’euro, ce qui ne à réformer ses institutions et à

60 L’Europe de 1945 à nos jours


Les articles du

s’affranchir de la tutelle américaine, grave sous-estimation de la désaf- n’hésitant pas à reprendre des idées Édith Cresson, le commissaire char-
où le tandem franco-allemand est fection de l’opinion à l’égard de la déjà proposées mais abandonnées. gé de la recherche, a parlé dans ce
comme privé d’énergie vitale. Le construction européenne. Personne n’ignore que les moyens sens, mais dans ce monde bruxellois
gouvernement, qui a consenti les Il est imprudent de donner le coup disponibles sont limités. Mais, convenu à l’extrême, plutôt que de
efforts nécessaires pour ne pas d’envoi au grand marchandage de d’une manière ou d’une autre, l’écouter, on a surtout retenu ses
hypothéquer la monnaie unique, la prochaine décennie une histoire l’Europe, après avoir expliqué qu’à commentaires acides à propos de l’ac-
croit que son avènement suffira à de gros sous propice aux empoi- la base de tout sursaut se trouve la tion de son collègue Karel Van Miert,
redonner du nerf à la construction gnades sans avoir tenté au préalable croissance, pourrait mettre un ac- le commissaire responsable de la
communautaire. Un pari risqué ! de redynamiser le débat européen. cent nouveau sur l’éducation, la for- politique de concurrence, qui, à ce
Après la pause estivale, les travaux Il suffit de considérer l’âpreté avec mation, la recherche, les nouvelles titre, avait instruit le dossier Boeing.
vont reprendre, dans trois direc- laquelle les Allemands, tous partis technologies. On aimerait voir la En cette veille d’automne et alors que
tions : la préparation du conseil eu- confondus, réclament déjà une Commission s’emparer, presque c’est son rôle, la Commission semble
ropéen sur l’emploi, fin novembre, réduction de leur contribution au dans la foulée, des inquiétudes que éprouver les plus grandes difficultés
dont la réunion a été décidée à budget européen pour comprendre la fusion de Boeing avec McDonnell à montrer la voie.
Amsterdam, à la demande de la que les négociations qui vont se Douglas a suscitées, pour activer
France  ; celle du conseil européen dérouler au cours des deux années la restructuration de l’industrie Philippe Lemaître
de fin décembre à Luxembourg, à venir pourraient remettre en cause aérospatiale européenne. (7 août 1997)
où les Quinze établiront la liste des acquis de quarante ans de vie
des pays candidats avec lesquels commune. L’Europe risque d’aller
débuteront bientôt des négociations dans le mur si ses dirigeants s’en pourquoi et à la question des institutions
devant conduire à leur adhésion à tiennent ainsi à leur train-train tech- cet article ? européennes de plus en plus
l’horizon 2003-2004 ; l’examen des nocratique ; elle se met elle-même à inadaptées à la taille de l’Union
propositions que la Commission la merci d’un vote négatif à l’Assem- Cet article peut servir à illustrer et aux problèmes qu’elles doivent
vient de soumettre aux Quinze, et blée nationale ou au Bundestag, à les chapitres sur « la construction gérer. L’exemple de la pac permet
qui, après la cig (conférence inter- la merci du mauvais résultat d’un européenne  » et «  les enjeux de enfin d’aborder le problème des
gouvernementale), vont inaugurer quelconque référendum bâclé… l’Europe depuis 1989 ». Il offre des inégalités au sein de l’Europe  ;
une nouvelle phase de deux années Les thèmes qui intéressent les thèmes intéressants à développer il est surtout un prétexte pour
de difficiles tractations. Européens, ceux autour desquels dans le cadre d’une étude d’un en- aborder celui du divorce entre
Cet « agenda 2000 », que Jacques San- gravitent leurs angoisses sont l’em- semble documentaire qui interro- les dirigeants et les opinions
ter, le président de la Commission, a ploi et la capacité d’adaptation à un gerait sur les forces et les faiblesses publiques. En l’occurrence,
présenté le 16 juillet à Strasbourg, phénomène de mondialisation dont de l’Union européenne. Il permet Philippe Lemaître fait preuve
devant le Parlement européen, traite l’importance est désormais comprise un classement des informations d’une belle lucidité quand il avertit
de problèmes de gestion : les finances dans les plus désolées des cités. Avec dans un plan de type antithétique. contre le risque d’un « référendum
de l’Union au cours de la période une myopie sidérante, on leur met en La liste des faiblesses n’est pas bâclé », vérifié par le « Non » à la tce
2000-2006, la réforme de la pac (poli- scène un projet à long terme centré exhaustive, mais l’article évoque des des Néerlandais et des Français des
tique agricole commune) et celle des sur les exportations de blé et la mo- thèmes assez variés pour couvrir années plus tard (2005).
fonds structurels. Ces propositions dernisation des campagnes ! l’essentiel du sujet. La référence Par ailleurs, le pessimisme de
sont techniquement satisfaisantes La tâche de la Commission n’est à l’affaire de Vilvorde (fermeture l’auteur est battu en brèche par
par rapport à leur objectif  : rendre évidemment pas facile. Mais Jacques d’une usine Renault dans une les faits  : deux ans après cette
possibles des compromis entre des Santer, son président, était mieux localité proche de Bruxelles) analyse, l’euro a vu le jour (1999) et
intérêts opposés. inspiré lorsque, début 1996, dans rappelle le premier cas d’euro- l’élargissement de l’Union à 25 s’est
Mais elles risquent de tomber à plat, l’indifférence et presque l’hostilité conflit et la faiblesse de l’Europe fait dans les délais prévus (2004).
faute d’avoir pris suffisamment en générale, il mettait sur la table son sociale dans une Europe libérale. En d’autres termes, les faiblesses de
compte la médiocrité du climat « Pacte de confiance pour l’emploi ». Le « fiasco d’Amsterdam » renvoie l’ue ne l’empêchent pas d’avancer ;
ambiant. Déplorables en termes de C’est ce clou-là qu’il faudrait conti- au traité du même nom (1997) lentement, certes, mais sûrement.
communication, elles révèlent une nuer à enfoncer avec obstination, en

L’Eurocorps s’agrandit
S
trasbourg. Huit nouveaux opérations confiées au corps pour mettre sur pied une force de
pourquoi pays (Autriche, Finlande, européen. Depuis 1995, l'Euro- réaction rapide – entre 60 000 et
cet article ? Grèce, Italie, Pays-Bas, corps, dont le pc est à Strasbourg 90 000 hommes appuyés par des
Pologne, Royaume-Uni et Tur- et qui est fort de quelque 50 000 moyens navals (une centaine de
Après le rejet de la ced en 1954, quie) ont prévu de signer, mar- hommes, réunit à ce jour des bateaux) et aériens (400 avions
la question d'une défense eu- di 3 septembre, à Strasbourg, éléments des armées françaises, de combat)  –, susceptible d'être
ropéenne intégrée est restée un accord par lequel ils déta- allemandes, espagnoles, belges mobilisée pour des missions qui
sans aboutissement jusqu’à la cheront au quartier général de et luxembourgeoises. lui seraient attribuées par l'otan
fin de la guerre froide et aux né- l'Eurocorps des missions ou Désormais, à treize pays partici- ou par l'Union européenne.
gociations du traité de Maastricht. des officiers de liaison qui leur pants, l'Eurocorps sera en mesure
permettront de participer à des de constituer un quartier général (3 septembre 2002)

L’Europe de 1945 à nos jours 61


la france de 1945
à nos jours
L’essentiel du cours

ACTEURs clés
Général de Gaulle
Président du gprf.
La France au lendemain
gprf
Gouvernement provisoire de la Ré-
de la Seconde Guerre mondiale
E
publique française, du 3 juin 1944, n termes de pertes humaines et de destructions, la France
au 20 janvier 1946.
a moins souffert de la Seconde Guerre mondiale que de la
Maurice Thorez Première. Mais le nouveau conflit a entraîné un désastre
Secrétaire général du Parti com-
muniste français, ministre de la
militaire, un changement de régime, l’infamie de la collabora-
Fonction publique du gprf. tion et de la complicité dans le génocide, une quasi-guerre civile
Pierre Mendès France
au printemps 1944  : autant de traumatismes qui pèsent lour-
Ancien ministre de l’Économie dement sur le pays. Paradoxalement, l’ampleur même du choc
du gprf, partisan d’une politique a permis de remettre à plat un certain nombre de problèmes
de rigueur et d’assainissement
monétaire. Il démissionna faute graves et anciens, et de redémarrer sur des bases nouvelles.
de soutien.
britannique, Winston Churchill, qui ne veut
pcf pas que l’Angleterre soit seule rempart face à
Parti communiste français, dit la menace soviétique, et grâce à l’obstination
« Parti des fusillés » ; premier parti du général de Gaulle, la France est reconnue
de France en 1946. comme État vainqueur. À ce titre, elle se voit
confier une zone d’occupation en Allemagne
Léon Blum et devient membre permanent du Conseil de
Leader de la sfio. sécurité de l’onu.

sfio Les pertes humaines


Section française internationale et les destructions
ouvrière, parti socialiste. En France, le conflit mondial a fait
600 000 victimes, dont presque autant de
mrp civils que de militaires. Les bombardements
Mouvement républicain populaire, alliés sur les villes françaises ont été très
parti démocrate-chrétien et cen- destructeurs. Des villes comme Caen ou
triste. Bayeux ont beaucoup souffert. Les plages
du débarquement sont encore parsemées de
rpf pièges. L’armée allemande a commis des mas-
Rassemblement du peuple fran- sacres de civils, comme à Oradour-sur-Glane
çais, parti fondé par de Gaulle en en juin 1944. Par ailleurs, 25 000 résistants
avril 1947. et 83  000 déportés raciaux ont péri dans
les camps de concentration nazis. Le retour
Tripartisme des survivants, au printemps 1945, révèle
Nom donnée à la coalition gouver- l’ampleur de la barbarie nazie.
nementale formée par le pcf, la sfio Les bombardements ont également touché
et le mrp entre 1946 et 1947. les infrastructures de communications et les
ports, notamment ceux de l’Atlantique ; les
Résistance Le maréchal Pétain (1856-1951). chemins de fer ont souffert des sabotages.
Ensemble des mouvements illé- Avec le retour de la paix, il faut reconvertir les nom-
gaux d'opposition au nazisme, La France, l’un des pays déclarés breuses entreprises qui ont fabriqué du matériel de
dans l'europe occupée par l'alle- vainqueurs guerre, ou qui, volontairement ou non, ont travaillé
menagne hitlérienne entre 1939 Le courage de la Résistance et l’épopée de la France pour l’Allemagne.
et 1945. Incarnée par de Gaulle libre ne peuvent pas faire oublier que la France a L’agriculture est également en difficulté, d’autant
(chef de la France libre) et les été vaincue par l’Allemagne en un mois et que c’est plus que de nombreux exploitants ont passé la
Francs-tireurs Partisans (ftp du l’armée américaine qui a libéré le pays. Dans les guerre en Allemagne comme prisonniers de guerre
pcf), la Résistance s’est unie dans le pays anglo-saxons, certains affectent un certain ou (à partir de 1943) au titre du service de travail
Conseil national de la Résistance mépris pour une nation qui semble en pleine obligatoire. La production s’avère insuffisante et le
(cnr) et contrôle le pouvoir. C'est décadence, et dont le gouvernement a collaboré rationnement alimentaire se prolonge jusqu’en 1949.
en URSS et dans les Balkans qu'elle avec l’Allemagne nazie. Dans les jours suivant la Libération, une épuration
a été la plus active. Cependant, à l’instigation du Premier ministre sauvage coûte la vie à plusieurs milliers de per-

64 La France de 1945 à nos jours


L’essentiel du cours

dates clés
6 février 1945
Yalta : la France est reconnue État
vainqueur.

5 avril 1945
Démission de Pierre Mendès
France du gprf.

7 mai 1945
Capitulation allemande sur le
front de l’Ouest.

19 octobre 1945
Naissance de la Sécurité sociale.

21 octobre 1945
Rejet de la IIIe République par les
Français.

20 janvier 1946
Démission du général de Gaulle.

Octobre 1946
La Libération de Paris : défilé du 26 août 1944. de la République française (gprf) assure l’intérim Adoption de la IVe République.
en attendant qu’une nouvelle République (la IVe en
sonnes. Les femmes qui avaient couché avec des 1946) soit adoptée par référendum. Il est soutenu
Allemands sont humiliées en public, tondues, violées.
Les principaux responsables du régime de Vichy sont
par le Parti communiste français (Maurice Thorez)
– tout auréolé de son action dans la Résistance –, la
MOTS CLÉS
jugés dans le cadre de procès. Les milieux les plus sfio de Léon Blum et le mrp. Ils mettent en œuvre le Épuration
touchés sont les milieux culturels (l’écrivain Robert Bra- programme établi pendant la guerre par le Conseil Mesure qui vise à éliminer
sillach est fusillé) et les milieux politiques (le maréchal national de la Résistance (cnr) : nationalisations des (d’un groupe ou d’une société)
Pétain, condamné à mort puis gracié, finit ses jours en secteurs clés de l’économie, création de la Sécurité les membres jugés indésirables.
prison ; Pierre Laval est exécuté). Mais l’épuration ne sociale et droit de vote pour les femmes en sont les À la Libération, en France, elle
dure pas. La France a besoin de tous ses cadres pour se dispositions les plus marquantes. prend pour cible les personnes
reconstruire, et nombre de fonctionnaires et patrons La IVe République met du temps à s’établir. Les prin- compromises dans la collabora-
d’entreprises qui ont travaillé avec l’Allemagne sont cipales formations politiques du moment avancent tion. Elle se manifeste sous des
épargnés, leurs fautes oubliées. Louis Renault, dont des projets très différents. De Gaulle, qui souhaite formes diverses, parfois «  sau-
les usines sont confisquées et qui meurt en captivité, un exécutif fort, n’est pas soutenu et il démissionne. vage  » (les femmes tondues,
fait figure de contre-exemple. Premier parti de France avec près de 25 % des voix, le pcf par exemple), parfois légales,
veut un régime à une seule assemblée dominante, mais à travers une série de procès.
Une France son projet est rejeté par les formations traditionnelles 767 personnes ont été condam-
sociale-démocrate (sfio et mrp) qui optent pour un parlementarisme à deux nées à mort, puis exécutées.
Au lendemain de la guerre, non seulement le régime assemblées. C’est ce modèle qui est finalement adopté.
de Vichy a pris fin, mais les Français ne veulent plus de La guerre a affaibli l’autorité de la France sur ses IVe République
la IIIe République, qui a été vaincue en 1940. Présidé colonies : dès 1945, des soulèvements en Algérie et en Sa Constitution est parlementa-
par le Général de gaulle, le Gouvernement provisoire Indochine posent la question de la décolonisation. riste (prépondérance du pouvoir
législatif sur l’exécutif) ; elle met
en place deux assemblées : l’As-
trois articles du Monde à consulter semblée nationale et le Conseil
de la République qui élisent le
• La transition légale de Vichy à la République p. 67 président de la République pour
(Nicolas Weill, 13 septembre 1997.) 7 ans et qui partagent le pouvoir
législatif.
• « Elles vont voter comme leur mari ou leur curé, disait-on à gauche  », se souvient
Simone, 83 ans p. 68-69 Oradour-sur-Glane
(Régis Guyotat, 29 avril 2005.) Le 10 juin 1944, 642  personnes
(hommes, femmes et enfants
• Les lettres de Drancy, derniers témoignages de la rafle du Vél d’Hiv p. 69-71 sont assassinées dans ce petit
(Bertrand Bissuel, 18 juillet 2002.)
village du Limousin par une
unité SS.

La France de 1945 à nos jours 65


Un sujet pas à pas

notions clés
Discours de Bayeux
Composition :
En juin 1946, six mois après
avoir démissionné de son poste
de chef du gprf, le général de
la naissance de la IVe République (1944-1946)
Gaulle présente dans ce discours
le projet de Constitution qu’il La problématique
souhaite pour la France. Ce projet En quoi le retour à la Ré-
propose un système bicaméral publique est-il difficile  ?
(à deux chambres) et un Quelles rivalités politiques
pouvoir exécutif fort procédant divisent les Français ?
directement du chef de l’État.
Le plan et les
Parlementarisme thèmes
Un régime parlementaire Malgré la courte durée, un
est un système dans lequel le plan chronologique peut
pouvoir législatif est confié à être suivi.
une ou deux Assemblée(s). Il est 1944 : bilan de la guerre.
dit «  parlementariste  » quand Dans une France meurtrie
le Parlement domine la vie (bilan matériel, économique
politique. C’est le cas des IIIe et et humain), on évoque
IVe Républiques. les besoins de reconstruc-
tion et les forces en présence
Présidentialisme (De Gaulle, le pcf, la sfio et
Le système est dit Présidentialiste le mrp).
lorsque le rôle du chef de l’État est 1945  : consensus et diver-
prépondérant. gences.
Il s’agit de présenter les pre-
Scrutin à mières réformes admises
la proportionnelle Composition de la première Assemblée constituante issue
par tous (Sécurité sociale, vote des femmes, natio-
Dans la IVe République, les dé- des élections législatives de 1945. nalisations…) et le début de la reconstruction, ainsi
putés sont élus à partir de listes que les désaccords constitutionnels après le refus
de candidats proposées par les d’un retour à la IIIe République qui divisent les
partis au choix des électeurs. Les Français (discours de Bayeux, projet communiste…).
sièges sont répartis au terme du Ce qu’il ne faut pas faire 1946 : naissance difficile de la IVe République.
scrutin proportionnellement au • Opter pour un plan thématique, qui ne mettrait Après plusieurs référendums, une courte majorité
pourcentage des voix obtenues pas en valeur les contradictions du pays. adopte la Constitution, qui ressemble à celle rejetée
par chaque liste. • Exagérer le rôle du général de Gaulle. de la IIIe République !
Il convient de décrire les institutions de la nouvelle
Présidence République.
de la IVe République
Élu pour 7  ans par les deux L’analyse du sujet Les repères essentiels
Assemblées, le Président de la Le sujet porte sur la mise en place de la IVe Répu- Le programme du cnr (1944), base des réformes
République incarne et représente blique en décembre 1946. de 1945 : « Une démocratie économique et sociale »,
la nation  ; il a peu de pouvoirs Il faut décrire les conditions et les institutions qui « Retour à la nation des grands moyens de
mais a la possibilité de dissoudre caractérisent ce nouveau régime. la production », « Plan complet de Sécurité sociale »,
l’Assemblée nationale. Investi La date de 1944 invite à évoquer le bilan de la guerre « Sécurité de l’emploi et règlementation
par l’Assemblée nationale, le pour la France. des conditions d’embauche et de licenciement »
président du Conseil est le chef
du gouvernement  ; il exerce
le pouvoir exécutif. C’est Paul Sujets tombés au bac sur ce thème
Ramadier (sfio) qui a formé le
premier gouvernement de la IVe Aucun sujet de composition et aucune étude d’un ensemble documentaire n’ont été donnés sur la France
République. au lendemain de la guerre depuis 1999.
Les sujets les plus apparentés sont ceux qui portent sur la mémoire de la Seconde Guerre mondiale en France;
Présidences mais s’ils s’appuient sur un bilan de la guerre, ces sujets portent sur un thème (le souvenir) qui couvre toute
du gprf la période de 1945 à nos jours.
De Gaulle (juin 1944-janvier 1946), Le seul sujet susceptible d’illustrer la France en 1945 est une étude d’un document historique proposé en
Félix Gouin (sfio, de janvier à juin France métropolitaine en 2006, à savoir un discours du général de Gaulle daté de mars 1947 sous le titre :
1946) et Georges Bidault (mrp, de La mémoire de la Résistance vue par le général de Gaulle.
juin à novembre 1946).

66 La France de 1945 à nos jours


Les articles du

La transition légale
de Vichy à la République
A
vant même la Libé-
ration, le Gouverne-
ment provisoire de la pourquoi institutions qu’ils espèrent déjà nombreux justifie « le
République française ( gprf ) cet article ? mieux adaptées aux enjeux. maintien provisoire de cer-
se préoccupe du passage –  Ce choix est notamment tains effets de droits, soit
de relais entre «  la régle- Cet article évoque la réor- expliqué par la nature des même la validation défini-
mentation ennemie qui ganisation politique de la forces politiques en pré- tive de certaines situations
étouffait  » la métropole France au lendemain de la sence : d’un côté le général acquises » : il s’agit d’éviter
et la légalité républicaine. Seconde Guerre mondiale. de Gaulle partisan d’un tout vide juridique qui ren-
Dans les faits, cependant, Il permet de rappeler les régime à exécutif fort (dis- drait l’administration de la
l’objectif prioritaire du gé- faits mis en application par cours de Bayeux) ; de l’autre France ingérable.
néral de Gaulle demeure la le Gouvernement provisoire le pcf (28  % des voix) qui – En conséquence, de Gaulle
restauration de l’autorité de la république française plaide pour une «  révolu- a privilégié l’idée de la
de l’État. Cela implique que ( gprf ) présidé par le général tion copernicienne  », celle réconciliation nationale,
soient apportés quelques de Gaulle, d’expliquer les qui favoriserait l’adoption favorisant les lois d’amnis-
bémols à la «  révolution choix opérés et d’en évaluer d’un régime marxiste. Ces tie votées dès 1946 et dont
copernicienne  » que cer- les conséquences à court et deux forces rejettent le mo- ont su profiter certains
tains résistants appellent à plus ou moins long terme. dèle parlementariste de la collaborateurs (Touvier)
de leurs vœux, mais éga- – La France décide de ne pas III e République. et hauts fonctionnaires
lement que l’on renonce revenir à la III e République, Par ailleurs, la France se (Papon). Uniquement les
pour des «  considérations jugée coupable de n’avoir trouve dans un état de pro- « législations d’exclusion »
d’ordre pratique  » à un re- pas su faire face à la défaite. fonde désorganisation éco- (les lois antisémites) ont été
tour pur et simple au statu Dans l’esprit des nouveaux nomique et sociale. La né- annulées.
quo ante, autrement dit à dirigeants, la reconstruc- cessité pratique de recourir Sur le long terme, c’est la
la situation prévalant au tion nationale passe par aux personnels compétents mémoire de la guerre qui
16  juin 1940, la date fixée, l’adoption de nouvelles et de limiter les problèmes s’en trouve affectée.
par les textes, de la fin
du régime républicain et
qui correspond à la prise
du pouvoir par Philippe inefficaces. » « Cependant, ajoute : « Les actes [...] dont droits, soit même la valida-
Pétain. poursuit le texte, des consi- la nullité n’a pas été ex- tion définitive de certaines
dérations d’intérêt pra- pressément constatée dans situations acquises, dont
Le 9  août 1944, une or- tique conduisent à éviter de la présente ordonnance [...] le renversement appor-
donnance relative au ré- revenir sans transition aux continueront à recevoir terait au pays un trouble
tablissement de la légalité règles du droit en vigueur à provisoirement applica- plus considérable que leur
républicaine sur le terri- la date du 16 juin 1940. [...] tion. Cette application pro- confirmation  ». Seuls se-
toire continental est pro- D’où la nécessité de déci- visoire prendra fin au fur et ront «  exclus avant tous
mulguée. Dans son exposé der que la nullité doit être à mesure de la constatation autres de toute valida-
des motifs, elle précise  : expressément constatée. » expresse de leur nullité [...] tion  » les textes considé-
«  Les lois et règlements C’est l’objet de l’article [qui] interviendra par des rés comme contraires aux
que l’autorité de fait qui 2, qui précise  : «  Sont en ordonnances subséquentes principes républicains : les
s’est imposée à la France conséquence nuls, et de qui seront promulguées actes constitutionnels pris
a promulgués, les dispo- nul effet, tous les actes dans le plus bref délai pos- par le régime de Vichy et la
s it i o n s a d m i n i s t r at ive s constitutionnels, législatifs sible. » législation d’exclusion.
i n d iv i du e l le s q u’elle a ou réglementaires, ainsi
décrétées ou arrêtées, ne que les arrêtés pris pour L’ordonnance du 9  août
peuvent tirer de sa volonté leur exécution [...]. Cette 1944 admet donc comme Nicolas Weill
aucune force obligatoire et nullité doit être expressé- principe « le maintien pro- (13 septembre 1997)
sont appelés à demeurer ment constatée.  » Le texte visoire de certains effets de

La France de 1945 à nos jours 67


Les articles du

« Elles vont voter comme leur mari


ou leur curé, disait-on à gauche », se
souvient Simone, 83 ans
Renée avait alors 25 ans  : « Je me revois, toute fière. Je pensais que beaucoup de
choses allaient changer. »

T
outes les trois n’ont ja- me revois dans la rue, bien En page 2, il faut lire attenti- tout le poids des erreurs pas-
mais été de ferventes habillée, toute fière d’aller vement un article consacré sées sur le dos des hommes »,
féministes, mais elles se voter, dit-elle. Je pensais que aux élections municipales lançait avec prudence une can-
souviennent, non sans peine beaucoup de choses allaient pour découvrir la nouvelle. Les didate de l’Union des femmes
parfois, de ce jour «  tant at- changer. Les femmes étaient citoyennes qui «  pourraient françaises, proche du pcf, mon-
tendu par les femmes et tant contentes comme tout parce éprouver quelque timidité  » tée à la tribune. À Orléans,
redouté par les hommes », où que ça les valorisait, elles trouveront sur place toutes les douze femmes figurèrent sur
elles mirent pour la première faisaient comme les hommes. informations « pour voter tran- les différentes listes, quatre
fois un bulletin dans l’urne. Depuis, je n’ai jamais raté quillement, sans perdre leur furent élues.
Renée, qui ne souhaite pas un vote ! » calme », indiquait le rédacteur. En France, les femmes rempli-
donner son nom, avait 25 L’événement ne fit pas la Le journal rendait également rent si bien leur devoir – beau-
ans  ; elle venait de retrouver «  une  » de La République du compte d’un meeting de la coup d’hommes étaient rete-
son mari, qui avait rejoint le Centre ce jour du 29 avril 1945. liste unie de la Résistance. nus prisonniers ou déportés
général de Gaulle dès 1940 L’imminence de l’armistice « Nous ne voulons nullement en Allemagne  – que l’on vit,
et avait été blessé dans les et la probable mort de Hit- supplanter les hommes. Nous paraît-il, des religieuses siéger
terribles combats du pont de ler à Berlin faisaient les gros ne sommes pas de ces ardentes dans les bureaux de vote.
Remagen, en mars 1945. «  Je titres du quotidien d’Orléans. féministes qui font retomber « Il y avait un scepticisme sur

pourquoi tiques du moment. Les mu- témoignent aussi d’une ans après la loi) permet
cet article ? nicipales de 1945 sont l’occa- France se situant à mi-chemin d’évaluer l’évolution des
sion du premier exercice de entre la modernité (celles des mentalités ou des idées. Pour
Cet article porte sur la situation ce droit –  étape décisive de villes qui ont plus voté com- ces femmes qui restaient
humaine vécue par la France en l’émancipation féminine en muniste) et la tradition des « sceptiques » ou qui ne mili-
1945. Un double visage transpa- France. Mais le texte permet campagnes où les notables taient pas en 1945, le droit de
raît  : d’un côté le bonheur de aussi de mesurer les limites sont encore puissants. vote en 2005 ne saurait être
la victoire qui, avec le retour de cette émancipation  : les L’idée de «  liste unie de remis en cause  : il est une
des prisonniers, permet de références à l’inexpérience la Résistance  » témoigne évidence, elles se battraient
réunir les familles ; de l’autre, politique des femmes sus- aussi du poids politique de encore pour le conserver,
le maintien des difficultés et pectées de «  voter comme la Résistance et de l’image à l’instar de Renée qui n’a
des souffrances qui se traduit leur mari  » trahissent le positive qu’elle a dans l’opi- jamais « raté un vote ».
par la lenteur de la remise en machisme qui règne encore nion, raison qui conduit Le suffragisme désigne les
ordre, les soins à apporter aux dans le pays, y compris les candidats à s’en récla- mouvements de revendica-
victimes de la guerre (blessés dans les rangs des partis de mer plutôt que de mettre tion en faveur du vote des
ou déportés) et l’économie de gauche censés être les plus en avant une idéologie. Le femmes ; suffragette était le
pénurie qui se prolonge. De progressistes. choix de l’union trahit par nom donné aux militantes.
nombreux produits de base Par ailleurs, l’idée partagée ailleurs le fait que celle-ci Lucie Aubrac est une grande
sont encore rationnés. selon laquelle la politique n’allait pas toujours de soi figure de la Résistance.
Dans ce contexte, l’octroi du ne serait pas l’affaire des (cf. l’opposition entre les ftp Son témoignage est inté-
droit de vote aux femmes femmes en dit long sur le communistes et les autres ressant puisqu’il montre
est, avec la création de la chemin qui reste à parcourir. mouvements, gaulliste no- que l’engagement dans la
Sécurité sociale et les na- Les candidatures citant la tamment). résistance ne se conjuguait
tionalisations, l’une des « liste unie de la Résistance » Le fait que les témoignages pas forcément avec le fé-
grandes révolutions poli- et la victoire du « châtelain » soient énoncés en 2005 (60 minisme.

68 La France de 1945 à nos jours


Les articles du

le vote des femmes. Elles vont l’avait emporté. « Les femmes de nommer trois femmes femme en politique (Plon, 1997).
voter comme leur mari ou disaient que ce n’était pas leur sous-secrétaires d’État. Pour Je trouvais un peu ridicules
le curé, disait-on à gauche  », affaire de faire de la politique. Léon Blum, il était trop tôt. Louise Weiss et ces jeunes
raconte Simone Minet, 83 Dans ce débat, je critique Alors que les femmes votaient femmes élégantes qui se
ans, jeune institutrice dans les femmes plutôt que les déjà en Inde depuis 1921, et en faisaient enchaîner aux grilles
le Loiret à l’époque, pour qui hommes. » Turquie depuis 1934. « Je suis du Sénat. Pour moi, c’était
ce jour fut moins marquant Elle se souvient qu’à l’âge de entièrement pour le vote des un combat de bourgeoises.
que «  celui de l’armistice et 13 ans –  en 1933  –, elle avait femmes, quelles qu’en soient En 1936, j’ai fait à vélo la
de la naissance de sa fille  » demandé à son institutrice les conséquences politiques. campagne de Jean Zay dans
au même moment. «  Avant pourquoi les femmes ne Si elles n’ont pas eu les droits l’Orléanais, sans me rendre
la guerre, dit-elle, j’étais trop votaient pas. «  La maîtresse jusqu’ici, ce n’est pas la faute compte que je n’allais pas
jeune pour penser à l’injustice m’a répondu que c’était parce des hommes, c’est la faute des voter. En avril 1945, il n’y avait
que cela pouvait représenter qu’elles ne pouvaient pas femmes. Elles n’y tiennent plus eu d’élection depuis 1938.
de ne pas voter. » être soldat. Gamine comme pas  », déclarait le leader Sept ans après, ces élections
j’étais, je lui ai rétorqué  : socialiste. étaient pour les jeunes
« J’ai loupé mais qui le fabrique le Avant la guerre, Lucie Aubrac hommes aussi étonnantes que
ce combat » soldat  ? Cela l’avait un peu ne fut pas elle-même une pour les femmes. Je participais
Andrée Thomas, 85 ans, issue époustouflée ! » militante du suffragisme. aux luttes antifascistes, j’ai créé
d’une famille ouvrière de Juste avant la guerre, le « C’est très curieux, j’ai loupé un réseau de résistance, je me
gauche, a voté à La Ferté-Saint- Front populaire n’accorda ce combat. J’en suis confuse suis toujours sentie citoyenne,
Aubin (Loiret). Mais ce fut pour pas le droit de vote aux maintenant, a expliqué avec même en ne votant pas. »
elle une «  déception  », car, femmes, qui était surtout sincérité l’ancienne résistante
se souvient-elle en souriant, combattu par les radicaux à Élisabeth Guigou dans Régis Guyotat
c’était le «  châtelain  » qui et au Sénat, et il se contenta l’ouvrage de celle-ci, Être (29 avril 2005)

Les lettres de Drancy,


derniers témoignages
de la rafle du Vél d’Hiv
« L'émotion suscitée par le crime s'est généralisée à l'ensemble de la population »

Depuis quand la d’expression à travers les dèle de celle de la Première cités les uns après les autres,
rafle du Vél’ d’Hiv manifestations nationales Guerre mondiale. Exemple : accompagnés du qualificatif
est-elle qui englobaient la dépor- à la grande synagogue de « Mort pour la France ». Au-
commémorée ? tation antisémite et celle Paris, le monument célèbre trement dit, la déportation
Dès 1945, des amicales de des résistants. La Journée la « mémoire de nos frères, des juifs n’était pas présen-
déportés juifs ont entre- nationale de la déportation, combattants de la guerre et tée dans sa singularité. Cela
tenu la mémoire de cet instituée en 1954, mêlait de la Libération, martyrs de tient sans doute au fait que
épisode et, d’une façon ces deux composantes. la Résistance et de la dépor- les cadres conceptuels, qui
plus générale, de la dépor- tation, ainsi que de toutes auraient permis de parler
tation dans les camps na- Il n’y avait pas de culte les victimes de la barbarie d’un génocide raciste, n’exis-
zis. Jusqu’aux années 1980, spécifique autour allemande  », sans plus de taient pas en France, à la
cette mémoire a surtout de l’histoire de la précisions et sans mention Libération. En dehors des
circulé au sein des familles. déportation des juifs ? du gouvernement de Vichy. immigrés récents, l’assimi-
Dans l’espace public, elle a La mémoire était entretenue, Dans la liturgie israélite, les lationnisme était si fort, à
aussi trouvé des terrains bien sûr, mais sur le mo- noms de disparus étaient l’époque, que les juifs de

La France de 1945 à nos jours 69


Les articles du

France se reconnaissaient tenance à un passé de souf- Quelle fut l’attitude adoptés pour restituer les
dans une identité bien plus frances incommensurables des autorités biens confisqués et réhabi-
française que juive. va désormais de soi. Mais en françaises face liter les personnes persécu-
Aujourd’hui, nous sommes outre, l’émotion suscitée par à la mémoire tées. Mais la France n’a pas
presque passés aux anti- le crime s’est généralisée de la déportation ? inscrit de date commémo-
podes. Les mentalités ont à l’ensemble de la popula- En 1944, il n’y a pas eu de rative autour de la rafle du
profondément évolué à tion, elle est devenue véri- geste symbolique pour Vél’ d’Hiv.
partir des années 1980. De- tablement nationale. Cette réintégrer les juifs dans la Par la suite, la République
puis, on a du mal à concevoir révolution s’est opérée à la République. Celle-ci n’a, du s’est associée aux cérémo-
qu’une personne considérée faveur du renouvellement reste, pas été reproclamée, nies organisées par des
comme juive sous l’Occupa- des générations. L’affir- puisqu’elle n’avait «  jamais institutions juives. La com-
tion n’ait pas revendiqué sa mation de l’État d’Israël cessé d’exister », aux yeux du mémoration «  nationale  »
judéité après la guerre. Le a également contribué au général de Gaulle. De nom- de la rafle a commencé à
fait d’exprimer une appar- phénomène. breux textes furent, certes, prendre tournure durant le
second septennat de François
Mitterrand. En février 1993,
quelques mois après avoir
pourquoi de la guerre, celle qui bie (1987) et celui du mili- été conspué par des militants
cet article ? va de 1946 (année mar- cien Paul Touvier (1994) ; du Betar [organisation juive
quée par les premières mais l’État français (par d’extrême droite] sur le site
Cet article permet de pro- lois d’amnisties) à 1973 la voix du président Mit- du Vél’ d’Hiv, le président de
longer la réflexion sur la (année où la publication terrand) refuse toujours la République a instauré une
France au lendemain de du livre de l’Américain de les prendre à son « Journée nationale commé-
la Seconde Guerre mon- Robert Paxton ébranle compte  : Vichy n’est pas morative des persécutions
diale et de cerner les l’idée selon laquelle les la France. Il faut attendre racistes et antisémites ». L’in-
problèmes qui se posent Français auraient été 1995 pour qu’un nouveau titulé du décret qui institue
à elle au moment où uniquement victimes de virage soit pris, celui de la cette Journée est significatif,
elle juge les principaux la guerre, et non acteurs reconnaissance officielle notamment lorsqu’il men-
dirigeants du régime de responsables). La thèse du par un président de la Ré- tionne «  l’autorité de fait
Vichy (Laval, Pétain, Bra- «  double jeu  », qui pré- publique (Jacques Chirac) dite gouvernement de l’État
sillach). Il est surtout im- sentait de Gaulle comme des responsabilités de français ».
portant pour illustrer le l’épée de la France tandis l’État français et de la Dans l’esprit de François
chapitre sur « la mémoire que Pétain assurait la pro- culpabilité de certains de Mitterrand, la responsabilité
de la guerre de 1945 à nos tection des Français, vole ses hauts fonctionnaires, du crime incombait au
jours ». Il permet d’en re- en éclat. dont Maurice Papon (jugé régime de Vichy, pas à la
pérer les temps forts. Au livre de Paxton (qui et condamné en 1997) est République. C’est d’ailleurs
Concernant la France met en évidence une col- la figure emblématique. pour cette raison qu’il a
en 1945, il complète les laboration volontaire de C’est le temps à la fois refusé que la République
textes portant sur le Vichy) s’ajoute l’arrivée de la repentance et de présente des excuses. Mais
retour des déportés ou à l’âge adulte d’une géné- l’affirmation d’un devoir Jacques Chirac n’a pas
la transition entre le ré- ration qui n’a pas connu spécifique de mémoire. endossé cette logique. Dans
gime de Vichy et le gprf . Il la guerre et qui découvre Le Vél d’Hiv : les 16 et 17 son discours du 16 juillet
évoque sous un angle dif- le film de Marcel Ophüls juillet 1942, une rafle fut 1995, il a, au contraire,
férent le refus du général Le Chagrin et la pitié dé- organisée à Paris avec la reconnu que la France était
de Gaulle de reconnaître nonçant la collaboration collaboration de la police comptable des agissements
la spécificité de la Shoah. ordinaire dans la France française. Près de 13 000 de son administration du
Pour lui, Vichy n’est pas de Vichy. Rendu plus juifs furent arrêtés, ras- temps de l’Occupation. Le
la France et au nom de la urgent que jamais par semblés au vélodrome président a ainsi réintégré
réconciliation nationale l’apparition des thèses d’hiver puis déportés. le régime de Vichy dans
dans la victoire, les « an- négationnistes (Faurisson On appelle «  négation- l’histoire nationale. Sa
nées noires » sont exclues en 1978), le choc ouvre nisme  » l’attitude d’une position reflète l’évolution
de l’histoire nationale. une nouvelle phase de personne qui nie l’au- des esprits. Elle entérine aussi
Ce choix, peut-être né- la mémoire de la guerre, thenticité du génocide les progrès de la recherche
cessaire pour permettre celle qui conduit la France juif par les nazis. historique, qui ont mis en
le redressement et la à reconnaître les crimes évidence la participation
reconstruction, explique du régime de Pétain. Cette de l’appareil d’Etat français
et définit la première période est marquée par dans la déportation des
étape de la mémoire le procès de Klaus Bar- juifs. Jacques Chirac a été
très sensible à ces données.
Il avait d’ailleurs déjà montré

70 La France de 1945 à nos jours


Les articles du

son intérêt pour la question, mémoration de la rafle du Celle-ci avait, certes, prévenu régime de Vichy, État soumis
en 1988, en organisant à la Vél’ d’Hiv ? des personnes qui devai- et par ailleurs antisémite, a
Mairie de Paris un colloque C’est un geste moral de re- ent être arrêtées. De plus, offert son bras à la réalisa-
sur les juifs et la culture connaissance d’un crime. il s’agissait d’une décision tion d’un crime.
française. C’est aussi un geste de vérité, allemande. L’analyse de cet
Quel sens peut-on au- car cette rafle a été effectuée épisode est donc complexe. Bertrand Bissuel
jourd’hui donner à la com- grâce à la police française. Mais il est indéniable que le (18 juillet 2002)

La France de 1945 à nos jours 71


L’essentiel du cours

notions clés
Scrutin majoritaire à
deux tours
De la IVe à la Ve République
D
Les députés de la Ve  République e 1945 à nos jours, la France a connu deux constitutions,
sont élus par circonscription, à la
majorité des voix obtenues. Soit
celles des IVe et Ve Républiques. Le passage de l’une à
plus de 50% des voix exprimées l’autre a été motivé par la crise algérienne. À cette occa-
lors d’un premier scrutin ; sinon au
meilleur pourcentage à l’occasion
sion, le général de Gaulle réussit à imposer un système doté d’un
d’un second tour qui ne maintient exécutif fort qui semble plus adapté pour établir une stabilité
que les deux (ou trois) candidats les gouvernementale, faire face aux crises politiques (comme celle
mieux placés. Lors d’un scrutin, on
distingue les électeurs inscrits (sur de mai 1968) et assurer une alternance (mai 1981) en douceur.
les listes électorales), les voix expri-
mées (qui ont désigné un choix sans niveau des Français et génère le baby-
ambiguïté) seules prises en compte boom  ; elle œuvre à l’édification de la
lors du dépouillement, les votes nuls construction européenne avec la créa-
(bulletins suscitant un doute sur le tion de la ceca en 1951 puis la signature
choix de l’électeur), les votes blancs du traité de Rome (1957), modernise
(par la mise d’un papier blanc dans le pays et développe la recherche (la-
l’enveloppe, l’électeur ne choisit quelle permettra notamment de doter
pas) et les abstentions (les électeurs la France de l’arme nucléaire).
inscrits qui ne sont pas venus voter). Mais le système électoral à la proportion-
Dans la Constitution française, le nelle émiette la représentation nationale
vote est un devoir citoyen, mais il et empêche l’affirmation d’une majorité
n’est pas obligatoire. stable. Les forces favorables au régime
sont divisées alors que le pcf (20 % des
Ballotage voix) et le rpf du général de Gaulle
Terme employé pour désigner un ré- sont hostiles au régime. Cette situation
sultat électoral nécessitant un second l’empêche de bien gérer les affaires
tour entre les meilleurs candidats. extérieures. En 1954, le pays se désunit
sur la question de la Communauté eu-
Article 16 ropéenne de défense (ced) qu’il rejette ;
Avec l’assentiment des plus hautes deux ans (1956) plus tard, la France
personnalités de l’État, il permet s’empêtre dans l’affaire de Suez. Mais
au président de la République de c’est surtout la question coloniale qui lui
suspendre les pouvoirs de l’Assem- est fatale. Pendant huit ans (1946-1954),
blée pendant une durée limitée elle s’enlise dans la guerre d’Indochine
afin de mettre un terme à une dont elle sort vaincue (défaite de Dien
situation de crise. Bien Phu).
La guerre d’Algérie rend la France ingou-
Référendum vernable : à la suite d’un soulèvement à
Consultation électorale portant sur Alger (13 mai 1958), le Président Coty fait
une question, à distinguer du plébis- appel au général de Gaulle qui accepte
cite qui porte sur une personne. Dans d’intervenir, à condition de pouvoir
la Ve République, il est à l’initiative du changer la Constitution. Il établit ainsi la
Président pour des questions institu- Ve République, un régime accordant au
tionnelles. En 1995, il est étendu aux chef de l’État d’importants pouvoirs, et
questions économique, sociale, ainsi doté d’un système électoral permettant
qu’aux services publics. Charles de Gaulle (1890-1970). l’établissement d’une majorité stable.
Élu pour 7 ans (au suffrage universel direct à partir
Programme commun Une IVe République ingouvernable de 1962), le président de la République choisit son
En 1972, trois partis de gauche (le La IVe République a permis le retour de la démocratie Premier ministre, préside le Conseil des ministres
pcf dirigé par Georges Marchais, après le régime de Vichy, mais elle fonctionne mal. et contrôle l’exécutif. En cas de crise, il peut exercer
le ps de François Mitterrand et C’est un régime d’assemblées dans lequel les députés des pouvoirs exceptionnels (article 16), consulter les
le Mouvement des radicaux de ont l’essentiel du pouvoir. Les gouvernements sont électeurs par référendum et dissoudre l’assemblée.
Gauche de Robert Fabre) décident instables, ils ne durent pas et peinent à mettre en Le Parlement perd la primauté qu’il avait dans la
de soutenir un même programme œuvre décisions et réformes. Le régime n’a pas à IVe République. L'échiquier politique s'est peu à peu
de gouvernement  : c’est le Pro- rougir de son bilan : grâce à la planification de Jean réorganisé autour de quatre grands partis ou cou-
gramme commun mis en œuvre Monnet, elle reconstruit le pays qui entre dans une rants  : gaulliste (qui prend les noms de ud Ve, udr,
après 1981. ère de prospérité (les Trente Glorieuses), hausse le unr ou rpr), centriste (partis fédérés dans l’udf à partir

72 La France de 1945 à nos jours


L’essentiel du cours

de 1978), socialiste (ps) et communiste (pcf). Cela


aussi favorise la stabilité de la vie politique. Le
dates clés
Front national (fn), apparu au début des années 28 septembre 1958
1980, et les mouvements d’extrême-gauche (lcr, Fondation de la V e République.
Lutte Ouvrière, Nouveau Parti Anticapitaliste 28 octobre 1962
aujourd’hui) sont hostiles au régime, mais ne Référendum sur l’élection du
sont pas assez forts pour empêcher les forces Président au suffrage universel.
républicaines de gouverner.
Décembre 1965
La Ve République résiste Première élection présidentielle.
aux crises François Mitterrand met Charles
Stables, les gouvernements disposent désormais de Gaulle en ballotage.
de temps pour agir (3 ans en moyenne). Raymond
Barre reste Premier ministre de 1976 à 1981. L’élec- Mai 1968
tion du président au suffrage universel attribue à Crise étudiante et grève générale.
Le 30 mai de Gaulle dissout l'As-
celui-ci une légitimité forte. L’échiquier politique
semblée nationale.
s’adapte à la nouvelle donne et se réorganise
autour de quatre grandes familles politiques  : 28 avril 1969
gaulliste, centriste, socialiste et communiste. Démission du général de Gaulle.
Cet équilibre permet au général de Gaulle de Pompidou lui succède.
régler la question algérienne (accords d’Évian,
1962) et de surmonter la crise de mai 1968. Un 1970
moment ébranlé par la révolte étudiante, qui Décès du général de Gaulle.
dénonce la «  société de consommation  » et
une société trop conservatrice, et par une grève 1974
générale qui paralyse le pays pendant plus de Décès du Président Pompidou  ;
deux semaines, de Gaulle reprend le contrôle Valéry Giscard d’Estaing élu
de la situation en décidant la dissolution de François Mitterrand en 1984. Président.
l’Assemblée. Suite à un référendum perdu, de
10 mai 1981
Gaulle démissionne l’année suivante. prennent leurs distances. Alors que l’extrême-droite
Élection de François Mitterrand.
Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 dégradent la situation s’installe dans le paysage politique, l’abstention Vote de la loi Badinter pour l'abo-
économique. L’inflation qui menace le pouvoir d’achat et progresse (jusqu’à 50 % du corps électoral). En 1986, lition de la peine de mort.
le développement du chômage affaiblit la majorité du la France découvre la cohabitation : le président (ps)
Président Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981). Malgré les et le gouvernement (rpr) n’appartiennent pas à la 1986
réformes sociales mises en œuvre (majorité électorale même majorité. Jusqu’en 2002, elle vit trois fois Première cohabitation (Mit-
à 18 ans, légalisation de l’ivg, réformes des universités), cette situation (Mitterrand-Chirac entre 1986 et 1988 ; terrand-Chirac).
la gauche rassemblée autour d’un Programme commun Mitterrand-Balladur entre 1993 et 1995 ; Chirac-Jospin
donne la victoire à François Mitterrand (ps, 1981). de 1997 à 2002). 1993
L’arrivée au pouvoir d’une majorité qui s’est toujours Cette situation affaiblit le pouvoir, nuit à l’image Deuxième cohabitation (Mit-
montrée hostile au régime de la Ve République fait internationale de la France et déconcerte les électeurs. terrand-Balladur).
craindre une crise ; mais l’alternance se fait en dou- Pour y remédier, il est décidé d’aligner le mandat
1995
ceur. Affaibli, le pcf n’est plus en position d’imposer un présidentiel sur celui des députés en le réduisant à
Élection de Jacques Chirac.
changement constitutionnel et François Mitterrand cinq ans (2000).
se contente de réformes sans changer le régime Lors de la présidentielle de 2002, le rejet de l’opinion 1996
(abolition de la peine de mort, décentralisation, lois provoque une situation inattendue : le candidat de Décès de François Mitterrand.
Auroux sur l’accroissement des droits des travailleurs l’extrême-droite arrive au second tour. Jacques Chirac
dans l’entreprise). est élu avec 82 % des voix, mais la situation témoigne 1997
d’une usure du système. Dissolution de l’Assemblée natio-
Abstentions nale par Jacques Chirac ; élections
et cohabitations remportées par la gauche  : troi-
La toute puissance présidentielle trois articles du Monde à consulter sième cohabitation (Chirac-Jospin).
fait comparer la République à une
monarchie à durée limitée. Op- 2000
• Pour en finir avec la dyarchie p. 75
position et contre-pouvoirs sont (Miguel Castaño et François Colcombet, 17 avril 2004.) Instauration du quinquennat ; loi
affaiblis, l’Assemblée est réduite à sur la parité hommes-femmes.
un rôle mineur. L’impossibilité de • La longue recherche de la pierre philosophale p. 76-77
2002
provoquer un référendum d’ini- (Cécile Chambraud, 7 septembre 1996.)
Réélection de Jacques Chirac
tiative populaire frustre souvent contre Jean-Marie Le Pen.
l’opinion publique. • L’envie de quinquennat p. 77
Dans un contexte de crise éco- (Pierre Georges, 22 juin 2000.) 2007
nomique et sociale durable, les Élection de Nicolas Sarkozy contre
électeurs déçus et désemparés Ségolène Royal.

La France de 1945 à nos jours 73


Un sujet pas à pas

notions clés
Putsch des généraux
Composition : l’évolution de la fonction
En 1961, à Alger, quatre officiers
supérieurs s’insurgent. Ils veulent présidentielle sous la Ve République
s’opposer à l’indépendance. Pour
la première et unique fois dans
l’histoire de la Ve République, le Pré- président choisit son Premier
sident utilise l’article 16. Doté des ministre, il peut dissoudre
pouvoirs d’exceptions, de Gaulle l’Assemblée nationale et dispose
fait arrêter ces officiers et rétablit de l’article 16).
l’ordre républicain. b) La légitimité du président de la
République se renforce avec son
constitution élection au suffrage universel
Texte de loi qui règle le fonction- direct (1962).
nement politique d'un pays  : la c)  De Gaulle marque durable-
forme du régime politique (mo- ment la Ve République (ex. : le
narchie ou république, le rapport contrôle des médias, la force
de l'exécutif et du législatif), les nucléaire, l’utilisation des réfé-
libertés publiques, etc. En France, rendums).
contrairement aux lois ordinaires, II.  La fonction présidentielle
la constitution ne peut-être modi- évolue après 1969.
fiée que par des procédures spé- a) Les successeurs de de Gaulle
ciales, dont le référendum. connaissent des aléas (ex.  :
démission du Premier ministre
ortf J.  Chirac sous le président
Office de radiodiffusion-télévision V. Giscard d’Estaing).
française, en charge du service public b)  L’année  1986 constitue
de l’audiovisuel entre 1964 et 1974. Entrée du palais de l’Élysée, siège de la présidence de un tournant de la Ve République avec la première
la République française depuis la IIe République.
cohabitation sous F. Mitterrand.
Dissolution c) N. Sarkozy devient président de la République le
de l’Assemblée L’analyse du sujet 6 mai 2007.
Pouvoir du Président de renvoyer les Il s’agit d’analyser le statut et le rôle du président
députés devant les électeurs pour sous la Ve  République, et de mettre en évidence les Les repères essentiels
établir une nouvelle Assemblée. changements le concernant. Principaux pouvoirs du président de la République :
Cette mesure a été utilisée cinq fois : nomination du Premier ministre et présidence
en 1962 et 1968 par de Gaulle, en La problématique du Conseil des ministres  ; détention de pouvoirs
1981 et 1988 par François Mitterrand, Dans quelle mesure la fonction présidentielle s’est- d’exceptions en cas de crise  ; droit de dissoudre
en 1997 par Jacques Chirac. Sauf en elle renforcée ? Répond-elle aux attentes des Français ? l’Assemblée nationale et d’organiser un référendum ;
1997, ces dissolutions ont toujours droit de grâce ; chef des armées.
conforté la majorité présidentielle. Le plan détaillé
Le sujet invite à présenter le rôle du président de la
Conseil République, tel que de Gaulle l’a établi. Ceci posé, il Ce qu’il ne faut pas faire
constitutionnel s’agit de présenter les changements et d’expliquer Se concentrer sur la vie politique
Composé de neuf membres leurs raisons d’être. sous la Ve République, sans analyser le statut
–  nommés par le président de la I. La Constitution a été établie par le général de Gaulle. et le rôle du président de la République.
République et les présidents des a) Le pouvoir exécutif a un rôle prépondérant (ex. : le
chambres parlementaires – et des
anciens présidents de la Répu-
blique, il veille au respect de la Sujets tombés au bac sur ce thème
Constitution par les lois et les rè-
glements dont il est saisi. Il s’assure Compositions
aussi de la régularité des élections. – Les grandes phases de la vie politique française de 1945 à 1969 (Amérique du Nord, 2005)
– La République gaullienne de 1958 à 1969 (Asie, 2007)
Sénat – La gauche en France de 1958 à 1995 (Afrique, 2010)
Chambre haute de la Ve  Répu- – La France de la Ve République : mise en place, pratiques institutionnelles et évolution politique (Polynésie, 2010)
blique, il partage le pouvoir légis-
latif avec l’Assemblée nationale. Études d’un ensemble documentaire
Il représente les collectivités – Les évolutions politiques en France de 1974 à 1995 (Inde, 2006)
territoriales (régions, cantons, – Quelles évolutions connaissent le pouvoir et la pratique du pouvoir des présidents de la République
communes). Les sénateurs sont depuis 1958 ? (Métropole, 2007)
élus pour neuf ans.

74 La France de 1945 à nos jours


Les articles du

Pour en finir avec la dyarchie


L
a France est aujourd’hui
la seule «  grande  » démo-
cratie dotée d’un exécutif pourquoi d’une opinion, celle des auteurs le «  domaine réservé  » en poli-
bicéphale. L’image récente d’un cet article ? qui considèrent qu’en démocratie tique étrangère et un pouvoir de
chef de gouvernement désavoué l’exécutif et le législatif doivent nomination ne désarment pas
par le chef de l’État, tout en étant Cet article renvoie au chapitre sur être de même tendance politique. totalement le chef de l’État.
reconduit par lui, doit nous faire «  Les Institutions de la Ve  Répu- Parce que ce texte exprime un Le débat porte sur la cohabitation
réfléchir sur cette exception fran- blique » ; un paragraphe illustre point de vue, il faut l’aborder qu’il faut définir, illustrer par des
çaise, que certainement personne aussi « Le modèle américain ». avec esprit critique. Il présente la exemples et discuter en termes
au monde ne nous envie. Par «  Dyarchie  », il faut com- présidence française comme sans de blocage institutionnel. Il n’est
Dans les nombreuses nations qui prendre «  un gouvernement à pouvoir en cas de cohabitation pas nécessaire de s’attarder sur
assument clairement leur nature deux têtes ». (paragraphe  5), droit de dissolu- les modifications proposées (elles
parlementaire (toute l’Union eu- «  La relique inoffensive de la tion et article  16 étant estimés n’ont pas été retenues)  ; mieux
ropéenne, la plupart des pays de monarchie héréditaire » renvoie « inapplicables ». Le rappel de la vaut amener la question du
l’Est, le Japon, l’Australie, le Canada, à l’image d’un chef d’État sans dissolution ratée de 1997 (Chirac) quinquennat établi en 2000.
l’Inde, Israël), le chef d’État n’est pouvoir, sur le modèle de la et les conditions d’exercice de À travers l’exemple de Nicolas
qu’une relique inoffensive de la monarchie britannique ou de la l’article 16 (accord du Premier mi- Sarkozy, il s’agit de montrer com-
monarchie héréditaire, ou bien un République fédérale allemande. nistre, notamment) permettent ment cette réforme a renforcé
honorable «  notaire institution- La « façon très logique de vivre la de justifier ce point de vue ; mais la présidentialisation du régime,
nel  », même quand il est élu au démocratie  » –  énoncée dans le il peut également être nuancé par à l’inverse de la primo-ministéria-
suffrage universel direct (Irlande, 3e paragraphe –  est l’expression l’idée que le pouvoir référendaire, lisation proposée.
Portugal, Autriche, pays de l’Est).
Le Premier ministre y est le seul
chef reconnu de l’exécutif, désigné est clairement un régime parlemen- cas se présentent. Soit le Premier Car qui gouvernerait en cas de
et respecté (car révocable) par la taire. Les spécialistes le savaient se- ministre est un simple exécutant cohabitation, toujours possible
majorité parlementaire. crètement depuis longtemps, mais des désirs du président, y compris malgré le quinquennat ?
Dans les régimes parlementaires, il a fallu trois cohabitations pour que contre sa propre volonté (comme Non, la solution est dans le régime
la couleur politique du gouverne- tous les citoyens le comprennent. l’a illustré M.  Raffarin lors de la « primo-ministériel » (selon l’ex-
ment est donc celle de la majorité À part le libre droit de dissolution, réforme du mode de scrutin ré- pression d’Olivier Duhamel), que
de l’Assemblée. Car les deux pou- et l’article  16 (lui permettant de gional ou pour la deuxième baisse l’Europe nous montre et auquel
voirs ont une « existence liée » : le s’octroyer des pleins pouvoirs), de l’impôt sur le revenu), et alors les cohabitations nous ont déjà
législatif peut renverser l’exécutif, aujourd’hui inapplicable, le chef cette dyarchie est bénigne, bien amplement préparés. Le problème
et le gouvernement peut dissoudre de l’État français n’a pas plus de que ridicule (« à l’un les lauriers, à est de réussir à ce que nos leaders
le Parlement. Cette façon très lo- pouvoirs exécutifs réels que son l’autre les épines »). Soit il a une en- politiques se décident, comme
gique de vivre la démocratie est homologue grec ou portugais. vergure politique incontestable ou partout ailleurs, à briguer surtout
symbolisée par l’ancien roi Siméon Les majorités de cohabitation ont une ambition toute personnelle, et Matignon, et non pas l’Élysée.
de Bulgarie, qui a préféré devenir fait des réformes opposées à la le conflit des deux légitimités s’en- Nous proposons donc deux modi-
Premier ministre, et non pas pré- volonté de l’Élysée (privatisations venime (Debré contre de Gaulle, fications institutionnelles simples,
sident, de son pays. en 1986, 35  heures en 2000). Car, Chaban contre Pompidou, Rocard inspirées de nos voisins européens,
À l’inverse, quelques rares pays ont contrairement à un mythe répandu, contre Mitterrand, et Chirac contre propices à un basculement salutaire :
un régime présidentiel, le plus em- la cohabitation à la française n’est Giscard). Il y a là une véritable 1. Supprimer le droit de dissolu-
blématique (et le seul qui arrive à ni un conflit de pouvoirs (comme cohabitation, car il y a partage du tion régalien, et le transférer au
fonctionner comme tel) étant celui le dénoncent ses détracteurs) ni pouvoir et de la popularité. C’est Premier ministre ;
des États-Unis. La motion de cen- un équilibre des pouvoirs (comme exactement ce qui se passerait 2. Faire élire le chef du gouvernement
sure et la dissolution n’y existent l’affirment ses partisans), car elle aujourd’hui si l’ump réussissait à par l’Assemblée, au lieu qu’il soit dési-
pas. Le Congrès et le Sénat sont élus n’est pas un partage des pouvoirs. placer M. Sarkozy à Matignon. gné « royalement » par l’Élysée.
de leur côté, le chef de gouverne- C’est le Premier ministre de la ma- Comment sortir du cercle vicieux ? La campagne pour les législatives
ment (qui a le titre de « président ») jorité, et lui seul, qui conduit alors Comment supprimer la dyarchie serait menée par le candidat à
de l’autre. On parle de régime à les affaires de la nation. Même si, à la française ? Certainement pas Matignon, et la présidentielle se-
pouvoirs séparés, bien qu’ils soient pour la forme (et surtout pour ne en passant au régime présidentiel rait de fait marginalisée. On ne
en fait condamnés à un « fonction- pas froisser le mythe «  présiden- de pouvoirs séparés, source per- verrait plus de Premiers ministres
nement lié » : les veto réciproques, tialiste  »), il accepte de se faire manente de blocages. Imaginons « fusibles », car ils deviendraient,
tout comme l’inexistence d’une accompagner par le chef de l’État une seconde un gouvernement comme sous la cohabitation, de vé-
majorité présidentielle, nécessitent lors de ses visites à l’étranger. Cette de droite et une Assemblée de ritables « groupes électrogènes ».
une négociation de tous les instants dyarchie n’en est donc vraiment gauche, ou vice-versa ! Ni, comme Qui s’en plaindrait ?
pour arriver à légiférer ou à valider pas une, ou du moins elle n’est pas le proposent naïvement certains,
les budgets. aussi grave qu’on le prétend. en supprimant le poste de Premier Miguel Castaño, François Colcombet
Au vu de ce constat, la Ve République À l’inverse, hors cohabitation, deux ministre sans rien toucher d’autre. (17 avril 2004)

La France de 1945 à nos jours 75


Les articles du

La longue recherche
de la pierre philosophale
E
n 1985, les socialistes au
pouvoir s’attendent à représentation des opinions. gagent devant les électeurs
être battus lors des élec- pourquoi Le «  majoritaire unino- à travailler ensemble sur
tions législatives de l’année cet article ? minal à deux tours  » (2e des points de programme
suivante. Pour limiter leur paragraphe) se fait par cir- communs.
déroute et la victoire de la Le thème principal de cet conscription (autant que de «  Constitutionnaliser la
droite, ils instituent, par la article, très technique, est le sièges à pourvoir). Le siège loi électorale  » consiste à
loi du 10  juillet, la représen- mode de scrutin pour les est attribué au candidat inscrire le mode de scrutin
tation proportionnelle dépar- élections à l’Assemblée na- ayant obtenu la majorité dans la Constitution, ce qui
tementale à un tour. Depuis tionale. absolue au premier tour ou interdit que l’on en change
lors, la réforme du mode de La « représentation propor- relative au second. C’est le au gré des circonstances
scrutin législatif est devenue tionnelle départementale à système qui prévaut dans politiques.
un thème récurrent du débat un tour » (1er paragraphe) se la Ve République. Avantage : « Instiller une dose de pro-
politique. fait par département. il permet de constituer des portionnelle  »  : il s’agit de
Le premier geste du gouver- Chaque parti présente une majorités fortes et stables. faire élire des députés selon
nement de Jacques Chirac, en liste de candidats. Les sièges « L’apparentement entre les le mode proportionnel dans
1986, a été de rétablir le scru- attribués sont répartis au deux tours  »  : la formule un scrutin majoritaire, afin
tin majoritaire uninominal à prorata des voix obtenues. S’il renvoie à la pratique ins- de combiner les avantages
deux tours. Revenus au pou- reste des sièges à pourvoir, ils titutionnelle dans le cadre de chaque système. Cela
voir en 1988, les socialistes, sont donnés au parti arrivé du scrutin majoritaire. En reviendrait cependant à
aiguillonnés par François en tête. Ce système a été cas de ballotage, l’appa- créer une différence entre
Mitterrand, ont entretenu des appliqué pendant la période rentement rapproche des les citoyens qui ne seraient
années durant un débat sou- 1985-1988. Son avantage  : formations politiques qui, plus représentés de manière
vent abscons sur l’idée d’une être plus juste concernant la pour gagner l’élection, s’en- identique.
réforme du mode de scrutin.
Il s’agissait, alors, de savoir s’il
était possible, selon le mot de qu’alimenter la controverse. qu’au lendemain d’élections rpr Bernard Pons et Robert
M. Mitterrand, d’« instiller » Peu auparavant, Jacques législatives. » Pandraud  ; les udf Charles
une dose de proportionnelle Chirac, dans un «  Point de Finalement, Pierre Bérégo- Millon et Philippe Mestre ; le
dans le scrutin majoritaire. vue  » publié par Le Monde voy coupera court à cette centriste Jacques Barrot  ; le
Avec, en tête, l’idée de tendre le 24  octobre 1991, avait fait incessante agitation qui em- communiste Jacques Brunhes.
la main à des écologistes très connaître son sentiment dans poisonne le débat politique.
demandeurs de proportion- un texte intitulé : « Changer Dans son premier discours Possible
nelle et dont l’appoint serait la République  »  : «  Respec- devant l’Assemblée nationale, inconstitutionnalité
le bienvenu aux prochaines ter le citoyen, c’est mettre le 8  avril  1992, le nouveau Dans ses conclusions, la
échéances et de semer l’incer- un terme aux changements Premier ministre exclut for- commission constate une
titude à droite. incessants de loi électorale. mellement une modification opposition de principe entre
Dans les rangs du ps, très divi- Changer la règle du jeu parce du mode de scrutin appli- le scrutin majoritaire et le
sé sur cette question, chacun que l’on a peur de l’issue cable aux élections de 1993. scrutin proportionnel et es-
s’est alors lancé à la recherche du scrutin, c’est indigne et En revanche, il annonce la time qu’un mariage des deux
de la pierre philosophale. c’est porter un coup grave à création d’une commission risquerait de « cumuler les in-
Les constructions les plus la démocratie. Il faut donc chargée de réfléchir à une convénients des deux modes
savantes ont été imaginées : constitutionnaliser la loi réforme admise par le plus concurrents  ». Elle écarte la
députés supplémentaires élus électorale afin de la mettre grand nombre. solution consistant à faire
à la proportionnelle, scrutin à l’abri des manipulations Présidée par Georges Vedel, élire à la proportionnelle les
de listes à deux tours avec ou partisanes. À cette occasion, ancien membre du Conseil députés des départements les
sans possibilité d’apparente- il conviendrait d’ouvrir un constitutionnel, elle com- plus peuplés et au scrutin
ment entre les deux tours, ré- débat sérieux et serein sur les prend sept autres juristes et majoritaire ceux des autres
gime différent selon la taille conditions de représentation onze délégués des groupes circonscriptions, en raison
du département... L’annonce, des différentes composantes politiques de l’Assemblée de sa possible inconstitu-
par le président de la Répu- de l’opinion publique, sans nationale  : les socialistes tionnalité (principe d’égalité
blique, le 10  novembre  1991, pour autant mettre en cause Jean Auroux, Philippe Bas- des citoyens devant la loi).
d’une prochaine réforme le principe majoritaire. Cela sinet, Alain Richard, Daniel Cependant, désireuse de
des institutions, n’avait fait ne peut se faire, bien entendu, Vaillant et Claude Gaits ; les parvenir à une meilleure re-

76 La France de 1945 à nos jours


Les articles du

présentation parlementaire de restant continueraient d’être majoritaire. La seconde ré- pcf continue de demander la
toutes les forces politiques, tout élus au scrutin majoritaire à partit les 10  % de sièges à la proportionnelle intégrale, tan-
en permettant l’émergence deux tours. proportionnelle de toutes les dis que le Front national et
d’une majorité, elle parvient Concrètement, deux solutions formations qui ont présenté les écologistes dénoncent un
à un accord : elle propose que sont envisagées. La première des candidats. Les représen- simple « rafistolage ».
10  % des députés soient élus réserve les sièges de la part tants du ps, du rpr, de l’udf et des
à la représentation propor- proportionnelle aux partis centristes approuvent cette Cécile Chambraud
tionnelle, tandis que les 90 % « défavorisés » par le scrutin orientation. En revanche, le (7 septembre 1996)

L’envie de quinquennat
A
u Palais-Bourbon, dans amélioré, septennat maintenu, référendum, est-ce bien rai- quinquennat passera, c’est une
un élan admirable, mo- oui, oui mais, non, non mais, sonnable au fond ? Et pourquoi chose présumée, mais pour
bilisateur et républicain, les politiques ont réussi, en pas un Congrès vite fait avant qui les profits, et pour qui les
ils votèrent massivement le ces temps de football, à mar- l’été  ? Oui mais non, le Prési- pertes d’un désintérêt général ?
quinquennat. Bah, cela ou quer un prodigieux but contre dent a choisi un référendum. On en est déjà là, strictement là,
autre chose, peigner la Consti- leur camp collectif. D’un choix En accord sur le quinquennat passé déjà de la réforme consti-
tution... Ils choisirent le oui, ce important, ils ont fait un non- avec le Premier ministre. Ce qui tutionnelle majeure à la simple
qui était bien. Ils auraient pu, débat, et presque une manière est dit est dit. À moins d’être joute politicienne ordinaire.
avec la même conviction ou d’illustration de la non-péda- dédit. Donc, référendum. Et si
absence de conviction générale, gogie active. Ainsi ramené à l’abstention est massive, qui Pierre Georges
dire non tout aussi massive- sa propre caricature, celle du paiera l’addition politique ? Le (22 juin 2000)
ment. Ce qui aurait été bien quinquennat pour le quin-
aussi. Bon les députés l’ont fait. quennat, comme de l’art pour
Les sénateurs vont le faire, le l’art, ou de la soupe aux choux pourquoi loppée au point d’atteindre
29 juin. Et puis ? pour la soupe aux choux, ce cet article ? 50  % du corps électoral.
Et puis les élus sont très inquiets, vaste dessein présumé trans- Un divorce apparaît ainsi
formidablement inquiets. Oui former en simple réduction Le contexte de l’article est entre les électeurs et leurs
mais le peuple français, que va de sauce constitutionnelle ne le vote de la loi sur le quin- représentants. Cette réalité
faire le peuple français ? Il est très motive pas essentiellement quennat. Le mandat prési- soulève des problématiques
inquiétant, le peuple français  ! les foules. Est-ce si étonnant ? dentiel est ramené de sept à susceptibles d’être discutées
Pas mobilisé, le peuple Fran- Peut-on sans dommage donner cinq ans, renouvelable une dans le cadre d’une composi-
çais  ! Si massivement pour le au corps électoral l’impression fois. La réforme renvoie au tion sur l’évolution de la vie
quinquennat, ce peuple français qu’une envie subite et, osons- problème de la cohabitation. politique en France ou dans
qu’il pourrait même s’abstenir le, comme purement diuré- Mais le texte porte surtout une étude de documents : la
massivement d’aller le dire et le tique de quinquennat a saisi sur le système législatif Ve république est-elle usée ?
voter. Car les sondages disent le monde politique ? d’une part (vote par les As- Faut-il instituer une VIe Répu-
à la fois ceci et cela, l’endroit et Il est assez commun, dans la semblées, par le Congrès, par blique ? Les Français sont-ils
l’envers. Les électeurs veulent vie courante comme politique, référendum) et le développe- bien représentés ?
bien du fameux quinquennat, que l’enthousiasme soit collectif. ment de l’abstention dans L’abstention peut aussi être
mais délégueraient volontiers Et que son envers, le manque les années 1990 d’autre part. présentée comme l’expres-
à d’autres le soin d’assumer affiché de conviction, puisse La loi est faite par les deux As- sion d’un désarroi de l’opinion
la corvée de référendum. Il y être contagieux. Comment semblées (nationale et Sénat) face à la crise économique et
aurait ainsi un phénomène convaincre les autres de la né- qui votent successivement sociale, et la difficulté des gou-
massif d’approbation tacite cessité et de l’urgence de ce que les projets présentés par le vernements à résorber le chô-
par délégation morale et offi- l’on fait, si l’on n’y croit pas soi- gouvernement. Le Congrès mage ou à préserver le niveau
cieuse de pouvoir : bon, voisin, même ? Ou si, ce qui revient au est la réunion à Versailles des de vie. Ce désarroi peut encore
à l’automne, vous avez toute même, on donne, et on formule deux Assemblées ; il vote les expliquer la radicalisation des
ma confiance, je compte sur même, comme le fit le chef de traités et les changements électeurs au profit des partis
vous pour le quinquennat sec, l’État, ce sentiment. constitutionnels. Par référen- extrémistes et le résultat de
moi j’irai aux trompettes de la Et d’ailleurs, où en est-on sur dum, les électeurs peuvent l’élection présidentielle de
mort. C’est bien aussi ! le quinquennat  ? Même plus être directement consultés. 2002 qui vit Jean-Marie Le
On exagère  ? Même pas. Et au quinquennat et au débat Lors des scrutins des an- Pen accéder au second tour
c’est bien le plus désolant de ou non-débat sur la réforme. nées  1990 jusqu’à 2010, de la présidentielle. L’article
voir qu’en cette affaire, quelles Mais déjà à la phase évaluative l’abstention (les électeurs permet ainsi d’illustrer l’évo-
que soient leurs options, quin- et faussement interrogative ne vont pas voter) s’est déve- lution de la société française.
quennat sec, quinquennat sur le mode d’adoption. Un

La France de 1945 à nos jours 77


L’essentiel du cours

mots clés
Exode rural
Économie, société et culture
en France depuis 1945
Expression qui qualifie les migra-
tions de population allant des cam-
pagnes vers les villes. L’exode rural
s’accompagne d’un changement

L
de mode de vie, et témoigne de la
modernisation d’un pays. En France, es évolutions sociales, culturelles et économiques que la
il est pratiquement achevé. L’exode
urbain peut désigner le mouvement
France a connues depuis 1945 reflètent celles de l’ensemble
inverse, mais sans changement ma- de la planète. La France fait partie des pays qui se sont moder-
jeur dans les modes de vie.. nisés et développés. Mentalités, mode de vie et comportements se
Famille recomposée sont profondément modifiés.
Famille qui comprend un couple
d’adultes, mariés ou non, et au majorité des actifs. Il est aussi de
moins un enfant né d’une union plus en plus diversifié. Cette évo-
précédente de l’un des conjoints. lution s’est accompagnée d’une
nette progression du salariat et
Individualisme de l’emploi féminin.
Théorie qui considère l’individu Le secteur économique qui
et ses droits comme supérieurs a connu les progrès les plus
à ceux de la société. L’individua- spectaculaires est celui des
lisme privilégie la satisfaction des communications, aussi bien
intérêts particuliers ou privés, matérielles (tgv, Airbus) qu’im-
plutôt que ceux de la collectivité. matérielles (téléphonie mobile,
Il est parfois considéré comme Internet). Même si l’écrit résiste
une forme d’égoïsme et tend à bien, la culture de l’image de-
atomiser une société. vient dominante.
Dans un contexte de prospé-
pacs rité (les Trente Glorieuses) et
Pacte civil de solidarité (1999)  ; malgré les difficultés surgies
contrat conclu entre deux per- dans les années 1970, le revenu
sonnes pour organiser leur vie par individu a plus que doublé
dans une résidence commune. et le niveau de vie des Français
Airbus. a continué à augmenter. La
Taux de fécondité grande majorité des Français
Indice qui calcule le nombre de Une reconstruction réussie ont accédé à la consommation de masse. L’état des
naissances dans une année donnée (1945-1973) logements s’est amélioré, l’usage des salles de bains
par rapport au nombre de femmes Les Trente Glorieuses ont été une période d'expansion s’est généralisé. La situation sanitaire de la popula-
en âge de procréer. Il faut que cet économique, la plus longue et la plus rapide de notre tion a progressé ; le niveau d’instruction aussi, avec
indice soit supérieur à 2,1  enfants histoire. Reconstruite dès le milieu des années 1950, la une véritable explosion des universités à partir
par femme pour qu’il y ait renou- France s'est alors dotée d'une industrie performante des années  1960. Les activités en déclin, comme la
vellement de la population. On et, grâce à la Politique agricole commune (pac), elle a sidérurgie et l’industrie chimique, ont été remplacées
distingue le taux de fécondité du modernisé son agriculture. par d’autres. La crise s’est avérée relative et la France
taux de descendance finale, celui-ci Certains, pourtant n'en ont pas profité : les personnes est demeurée l’un des pays les plus riches du monde.
calculant le nombre moyen d’en- âgées (dotés de faibles retraites), les femmes seules, L’apparition d’un chômage de masse et les contraintes
fants qu’une génération de femmes les handicapés, les immigrés qui vivent dans des de la mondialisation ont précipité la réorganisation
a effectivement mis au monde pen- bidonvilles jusqu’au début des années 1970. L’inégale de l’espace français. L’exode rural s’est poursuivi ; les
dant sa période de fécondité. répartition des fruits de la croissance, mais aussi l'in- villes rassemblent désormais 70 % de la population.
flation et certains aspects des nouveaux modes de vie Les populations se sont surtout redistribuées sur les
Tertiaire induits par la modernisation de l'économie (« métro, littoraux ou dans le Sud (héliotropisme), aux dépens
Qui regroupe toutes les activités boulot, dodo ») expliquent en partie la contestation des anciens bastions industriels comme la Lorraine.
économiques produisant des ser- de Mai 1968.
vices. Très diversifié, le tertiaire est Croissance démographique et
constitué des activités du marché Une économie tertiarisée vieillissement
concurrentiel (commerces) et de et une société enrichie La population du pays est passée de 40,5 millions
celles des services non marchands Le monde agricole s’est contracté : le secteur primaire d’habitants en 1946 à 63  millions en  2010. De
(comme la justice, la sécurité) ou ne représente plus que 4 % des actifs en 2007. Des pans 1940 à 1965, la natalité a augmenté, provoquant
de commandement public (hauts entiers du monde ouvrier traditionnel ont disparu. En un baby-boom  ; puis elle a diminué pour se
fonctionnaires). revanche, le secteur tertiaire a explosé : il rassemble la stabiliser à un niveau qui assure tout juste

78 La France de 1945 à nos jours


L’essentiel du cours

le renouvellement des
générations. Bien que
chiffres CLÉS
ralentie, l’immigration 84,5 ans
explique également en Espérance de vie pour les femmes.
partie l’augmentation
de la population  : un 77,8 ans
Français sur quatre a au- Espérance de vie pour les hommes.
jourd’hui au moins un
grand-parent d’origine 99 %
étrangère. Taux d’alphabétisation.
L’espérance de vie a elle aussi
nettement progressé ; après 20 %
avoir rajeuni à l’époque du Taux de pratique religieuse.
baby-boom, la population
a vieilli  : l’âge moyen at- 13,2 %
teint 39,5 ans en 2007. Avec Population vivant en dessous du
12 millions de personnes, les seuil de pauvreté.
plus de 60 ans représentent
20 % de la population. Avec 66,1 %
l’arrivée des enfants du ba- Taux d'activité féminine.
by-boom à l’âge de la retraite,
le processus devrait se pour- 9,5 %
suivre. On parle désormais Taux de chômage.
de papy-boom.
Pour permettre aux femmes de choisir leur vie, la 2
Déchristianisation, contraception est légale depuis 1967, et l’ivg depuis 1975. Taux de fécondité.
individualisme et loisirs La tolérance envers l’homosexualité progresse éga-
Si 70 % des Français déclarent croire en Dieu, la pra- lement : en 1999, le pacs a constitué une forme de 53 %
tique religieuse s’est effondrée. La culture religieuse reconnaissance officielle des unions homosexuelles. Les Taux de naissance hors mariage.
recule et même les catholiques pratiquants ne suivent agressions homophobes sont passibles de condamnation
NB : chiffres 2009, source insee.
pas toutes les recommandations de l’Église. L’héritage en justice.
chrétien est encore bien présent  : les clochers des Grâce à l’allongement des vacances (5 semaines de
églises sont visibles partout dans le paysage. Mais congés payés), à la diminution du temps de travail DATES CLÉS
l’athéisme ainsi que les religions concurrentes pro- (40  heures par semaine en 1945, 35 en 1998) et à
gressent. L’islam est aujourd’hui la deuxième religion l’allongement de la vie (donc du temps passé à la 1965
de France ; il demeure cependant limité, pour l’essen- retraite), les Français ont du temps de loisirs. Voyages, La femme peut exercer une acti-
tiel, aux milieux issus de l’immigration. pratiques du sport, spectacles occupent une part vité professionnelle sans l’auto-
La société française accepte de mieux en mieux la importante de ce temps. La part des loisirs dans leur risation de son mari.
diversité, notamment en matière de mœurs. La famille budget a progressé pour atteindre près de 10 %.
traditionnelle demeure un modèle de référence et Grâce à la massification scolaire, la culture s’est 1967
un cadre majoritaire, mais elle recule : le divorce s’est démocratisée. Bibliothèques municipales, musées Loi Neuwirth qui autorise la contra-
banalisé, ainsi que les naissances hors mariage (1 enfant et livres sont devenus plus accessibles. Le niveau ception orale. La pilule (inventée
sur 2 en 2006). Les familles recomposées sont de plus d’éducation s’est élevé ; dans le même temps, chacun depuis 1956 est commercialisée.
en plus nombreuses. Désormais, l’égalité hommes/ se forge une culture personnalisée, support d’un
femmes est non seulement reconnue, mais protégée. individualisme parfois exacerbé. 1975
Loi Veil qui autorise l’interruption
volontaire de grossesse (ivg) sous
Quatre articles du Monde à consulter certaines conditions ; loi Haby qui
prévoit la mise en place du col-
• L’emploi se féminise surtout dans le Nord-Ouest et l’Île de France p. 81 lège unique (gratuité des études,
(Jean-Michel Normand, 30 août 1989.) homogénéisation du contenu des
disciplines, etc.).
• La longue pente du vieillissement p. 81-82
(3 novembre 1988.) 1981
Autorisation des radios libres.
• Questions-Réponses : la décentralisation p. 82-83
(Christine Garin, 9 mars 2010.) 2000
Loi sur la parité hommes-femmes,
• Un Français sur quatre se déclare sans religion p. 83 qui tend à favoriser l’égal accès des
(Henri Tincq, 1er avril 1998.) femmes et des hommes aux man-
dats électoraux et aux fonctions
électives.

La France de 1945 à nos jours 79


Un sujet pas à pas

notions clés
Espérance de vie
Commentaire de document :
Nombre moyen d’années que
vivra un individu si le taux de
les mutations économiques et sociales en France
mortalité ne change pas.
Le document
Secteurs d’activité   1960 1980 2000 (période de croissance faible
Un secteur regroupe l’ensemble Population totale en France (en millions) 45,5 53,7 58,7 pendant laquelle la précarité
des entreprises qui ont le même Population urbaine (en millions) 29,4 39,9 44,2 progresse). Il faut en extraire
type d’activité. Le secteur primaire Part des moins de 20 ans (en %) 32,3 30,6 25,6 les changements concernant
correspond aux activités produc- Part des plus de 60 ans (en %) 16,7 17 20,6 l’économie et la vie sociale.
trices de matières premières. Le
Taux d’activité des femmes de 25 à 34 ans
secteur secondaire englobe les (en %) 26,1 69,5 76,6 Les données
activités industrielles (extraction Bacheliers dans une génération (en %) 10 28 64 essentielles
de ressources minières, produc- Taux de chômage (en %) 2 6,4 10 • La population vieillit. En effet,
tion d’énergie, construction, etc.). % d’emplois dans le secteur primaire 20 9 4 entre 1960 et 2000, la part des
Enfin, le secteur tertiaire regroupe % d’emplois dans le secteur secondaire (y plus de 60  ans s’est accrue de
toutes les autres activités, princi- compris BTP) 39 33 24 23 %. Ce phénomène est dû au
palement les services. % d’emplois dans le secteur tertiaire 41 58 72 baby-boom et à l’immigration,
% de ménages possédant une voiture 30 70 80 mais aussi à l’augmentation
btp % de ménages possédant une télévision 12 88 96 de l’espérance de vie et au ra-
Secteur du Bâtiment et des travaux lentissement de la natalité. (cf.
Tableau de l’économie française, insee.
publics qui recouvre toutes les acti- question 1)
vités de constructions immobilières • La France se modernise, avec un secteur tertiaire
ou d’infrastructures (routes, ponts). qui se développe de plus en plus. La paysannerie
Ce qu’il ne faut pas faire tend à disparaître et l’industrie recule. Les femmes
Troisième révolution Paraphraser les chiffres en les citant : pour éviter entrent massivement sur le marché du travail. La
industrielle ce travers, faire quelques calculs simples troisième révolution industrielle et l’émancipation
Fondée sur l’électronique et l’infor- (moyennes, taux de croissance, proportions…). des femmes expliquent les mutations économiques
matique, elle bouleverse les pays dé- de la deuxième moitié du xxe siècle. (cf. question 2)
veloppés au début des années 1970. • La hausse du niveau de vie permet aux Français de
Elle se caractérise aussi par le déve- s’équiper. Ils deviennent plus mobiles et l’usage de la
loppement de l’énergie nucléaire Les questions télévision se généralise. Ils entrent dans la société de
et l’affirmation des produits syn- 1.  Décrire et expliquer l’évolution de la population consommation. (cf. question 3)
thétiques. Elle s’accompagne de française depuis 1960.
nouvelles formes d’organisation 2. Montrer et expliquer les mutations économiques Les repères essentiels
du travail comme le toyotisme, la de la deuxième moitié du xxe siècle. • 1960  : la France est reconstruite et son appareil
refonte du système de financement 3. Quelles sont les évolutions durables de la société et productif modernisé.
des entreprises par l’actionnariat, des modes de vie ? • 1968 : la crise étudiante révèle une profonde muta-
la robotisation des entreprises. La tion des mœurs.
mondialisation en est la principale L’analyse du document • 1973 : le premier choc pétrolier précipite les muta-
conséquence. Il s’agit d’un tableau statistique publié par l’insee (orga- tions économiques.
nisme officiel de recherche) portant sur la population • 1981 : l’arrivée de la gauche au pouvoir favorise les
Société française. Il permet de comparer des données recensées réformes de société.
de consommation pour les années 1960 (période des Trente Glorieuses), • 1993 : le développement de l’ordinateur portable et
Société dans laquelle la majo- 1980 (période de crise liée aux chocs pétroliers) et 2000 d’Internet révolutionne les communications.
rité de la population a accès à
un nombre élevé de biens et de
services, qu’elle «  consomme  » Sujets tombés au bac sur ce thème
à un rythme accéléré. La société
de consommation s’oppose à la Composition 
société de pénurie, où les biens – Les transformations économiques et sociales de la France de 1945 à la fin des années 1970 (Madagascar, 2006)
disponibles sont en quantité
limitée. Alors que, dans une so- Études d’un ensemble documentaire
ciété de pénurie, on fait durer les – Quelles évolutions culturelles en France sous la Ve République ? (Métropolitaine, 2005)
objets en les réparant, dans une – La France depuis les années 1960 : une société nouvelle (Liban, 2006)
société de consommation, on les
jette, souvent avant même qu’ils étude d'un document historique
ne soient inutilisables, et on en – Tableau de la France dressé par Georges Pompidou (Antilles-Guyane, 2008)
achète d’autres  : cette attitude
s’appelle le consumérisme.

80 La France de 1945 à nos jours


Les articles du

L’emploi se féminise surtout


dans le Nord-Ouest et l’Île de France
A
vec un taux de chômage besoins », fortement représentées l’emploi est beaucoup plus im- (taux de féminisation compris
supérieur de 30  % en dans le secteur tertiaire. Quant portante en Île-de-France (44,5 %) entre 40 % et 53 %).
moyenne à celui des aux régions agricoles (Bretagne, et dans le Nord-Ouest (43  % en Entre 1982 et 1986, l’emploi fé-
hommes, les femmes éprouvent Limousin, Auvergne), c’est surtout Basse-Normandie) qu’elle ne l’est minin a augmenté de 4  % alors
en général davantage de difficultés la présence de nombreuses aides dans le Sud méditerranéen et en que, parallèlement, l’emploi mas-
à trouver leur place sur le marché familiales qui est à l’origine de ce Lorraine (38 % à 39 %). La présence culin reculait dans les mêmes
du travail. L’examen détaillé de phénomène. Dans le Nord-Pas-de- d’activités industrielles, note proportions. Emploi féminin
l’activité féminine selon les ré- Calais et en Lorraine, au contraire, l’insee, peut avoir des effets très et emploi masculin seraient-ils
gions confirme ce décalage, mais les femmes se présentent très tôt différents d’une région à l’autre : concurrents ? »L’analyse régionale
fait également apparaître de mul- sur le marché du travail mais inter- dans l’Ouest et en Île-de-France, ne confirme pas cette hypothèse,
tiples disparités. rompent leur activité profession- l’industrie fait une place assez considère l’insee  : c’est en effet
Ainsi, observe une étude de l’insee, nelle après vingt-cinq ans, « le plus importante aux femmes mais pas dans les zones où l’emploi fémi-
le chômage touche proportion- souvent après leur mariage ou à la en Lorraine ni dans le Nord, où nin a progressé le plus que l’em-
nellement moins les femmes que naissance de leurs enfants ». Il est le taux de féminisation est de ploi masculin résiste le mieux, et
les hommes dans le département vrai que ces régions détiennent des 23 % à 25 % contre une moyenne inversement.
des Hauts-de-Seine et à Paris. C’est taux de nuptialité et de fécondité nationale de près de 30  %. En
d’ailleurs en Île-de-France que le parmi les plus élevés. revanche, le tertiaire présente Jean-Michel Normand
pourcentage de femmes exerçant De même, la part des femmes dans moins de disparités régionales (30 août 1989)
un emploi est le plus élevé (65 %),
devant la Basse-Normandie et le
Centre (60 %). À l’opposé, les taux pourquoi la problématique évoquée recomposées).
les plus bas se situent dans les cet article ? dans le dernier paragraphe : L’inégalité régionale montre
régions de la frontière nord-est la tertiarisation est-elle une que les régions plus tertiari-
(48 % dans le Nord-Pas-de-Calais, Cet article illustre la fémini- chance pour les femmes ? Les sées sont moins touchées par
47  % en Lorraine) et aussi dans sation du marché du travail différences régionales obli- le chômage. Cette observation
le Sud-Est méditerranéen (46  % en France  ; mais, au-delà gent à nuancer. La réponse est permet d’évoquer le redé-
en Languedoc-Roussillon, 38  % d’un processus général, il positive, sous réserve que les ploiement des activités dans
en Corse). souligne la diversité des si- femmes fassent des études l’espace français qui se fait
La proportion de femmes exer- tuations. Certaines régions longues. Ce qui renvoie à un vers les littoraux, aux dépens
çant un emploi varie également (Île-de-France et Nord-Ouest) autre phénomène social  : la des régions traditionnelles
en fonction de l’âge. L’activité fé- sont plus marquées par le démocratisation des études (Lorraine). La mondialisation
minine est plus forte après vingt- phénomène que d’autres. et la hausse du niveau de est l’un des facteurs de cette
cinq ans en région parisienne, On assiste à une tertiarisa- qualification. redistribution-modernisation
dans le Limousin et, dans une tion de la France, dans la Le texte fait référence aux du pays.
moindre mesure, en Auvergne, mesure où les métiers du «  femmes seules  », illustra- La question de l’inégalité
Bretagne et Rhône-Alpes, en rai- tertiaire sont plus féminisés. tion d’une société plus in- hommes-femmes est égale-
son d’une scolarité plus longue La croissance de l’emploi dividualiste dans laquelle la ment traitée dans l’article, au
qu’ailleurs. Par ailleurs, on re- féminin en témoigne. Le structure des familles évolue travers de leur vulnérabilité
cense en Île-de-France beaucoup constat permet de soulever (familles monoparentales et face au chômage.
de femmes «  vivant seules et
subvenant elles-mêmes à leurs

La longue pente du vieillissement


L
a France a commencé en 1946 et 18,7 % au 1er janvier 1988. talité résultant des famines ou des dité n’avait pas diminué, les 60 ans
à vieillir dès la fin du Le rapport sur la situation démo- épidémies ont progressivement et plus n’auraient représenté que
xviiie  siècle, puisqu’une po- graphique de la France montre que disparu ; l’espérance de vie à la 7,35  % de la population en 1945.
pulation vieillit quand augmente les causes de ce vieillissement ont naissance a augmenté, surtout à la L’immigration, particulièrement
la proportion de personnes âgées changé avec le temps. fin du xixe siècle, passant de 35 ans importante dans les années 1920,
de soixante ans et plus et que ce Jusqu’à 1950, c’est la baisse de la (en 1805-1807) à 41,8 ans (en 1890- a freiné ce vieillissement.
groupe d’âge est passé en France fécondité qui a joué un rôle déter- 1892) et à 61,8  ans (en 1947-1950) Entre 1950 et 1985, la fécondité,
de 7,3 % en 1775 à 13 % en 1901, 16 % minant. Certes les pointes de mor- pour les hommes. Mais si la fécon- après avoir augmenté depuis 1942

La France de 1945 à nos jours 81


Les articles du

et être restée forte (à 2,9 enfants par sant par 29,9 % au taux actuel de fé-
femme) jusqu’à 1964, a baissé condité. Ces pourcentages seraient Les indicateurs démogra-
jusqu’à 1,8 en 1976 et s’est stabilisée accrus de deux points pour chaque pourquoi phiques sont tous inversés.
depuis. Mais la baisse de la morta- hypothèse de fécondité si la baisse cet article ? L’article rappelle que l’immi-
lité a joué un rôle plus important de la mortalité s’accentuait pour gration a joué un double rôle
dans le vieillissement que par le allonger la durée moyenne de vie Le texte permet d’expliquer dans la démographie fran-
passé  : si la mortalité infantile et de deux ans au lieu d’un tous les deux des grands phénomènes çaise : elle entretient la crois-
celle des enfants d’un à cinq ans ont dix ans. démographiques de la France sance par l’apport d’une popu-
été réduites des trois quarts depuis Ce vieillissement est un phénomène entre 1945 et 2010  : le baby- lation étrangère ; elle masque
1952, la mortalité par accident des mondial qui commence à toucher boom et le vieillissement de aussi l’évolution des compor-
20-25  ans a augmenté, et le gain même les pays en voie de dévelop- la population. Sur ce point, il tements des Français parce
d’espérance de vie a été particu- pement, par suite de l’allongement est bon de recourir à la notion qu’elle a un taux de fécondité
lièrement fort pour les personnes de la durée de vie et, surtout dans de transition démographique. supérieur à la moyenne na-
âgées de 70 à 90 ans, notamment les pays industrialisés, de la baisse Dans la période considérée, tionale. Cette immigration
pour les femmes. de la fécondité. Les calculs du dé- il s’agit d’observer le retour- provoque une refonte de la
Selon les calculs de l’insee, un vieillis- partement de la population de l’onu nement complet du modèle. composition ethnique de la
sement « sévère » de la population situent aujourd’hui la France au sep- En phase  1 (années  1950), la France et permet d’aborder la
française va se produire dans l’avenir, tième rang des pays « vieillissants » baisse de mortalité infantile question de l’émergence d’une
« spécialement après 2006 », du fait –  alors qu’elle figurait au premier accentue les effets d’une forte société multiculturelle.
de l’arrivée à 60 ans des générations rang avec la rda en 1950 – et la pla- fécondité  : la croissance est Le vieillissement de la France
nombreuses nées après la dernière cent toujours dans ce rang médian forte. La hausse de l’espérance soulève la problématique des
guerre. Si la mortalité continuait à en 2025. À cette date, les proportions de vie dans les années 1970 re- retraites. Mais attention  :
évoluer comme aujourd’hui et si la de 60 ans et plus varieraient de 20 % tarde la mortalité des seniors celle-ci ne se limite pas à une
fécondité restait à son niveau actuel à 30 % dans les pays développés ; la au moment où la fécondité question de financement. Les
(1,8), les 60  ans et plus représente- proportion serait supérieure à celle baisse  ; la croissance décroît nouveaux équilibres entre les
raient 20,7 % de la population ; même de la France en rfa, aux Pays-Bas, mais la population continue âges créent aussi de nouveaux
si la fécondité remontait à 2,1, elles en Suède et en Italie, comparable d’augmenter. marchés économiques (on
formeraient encore 20 % du total. en Grande-Bretagne, en Hongrie, La hausse annoncée de la passe d’une demande de biens
En 2040, la proportion varierait en rda et au Japon, mais nettement mortalité (disparition des d’équipement ou de formation
de 26,08  % (avec fécondité à 2,1) à inférieure en Espagne, aux États- baby-boomers) alors que la à celle de santé et de loisirs) et
34,4  % (avec fécondité à 1,5, chiffre Unis et en URSS. natalité reste basse promet politique (les comportements
déjà atteint, on l’a vu plus haut, dans une décroissance. sont plus conservateurs).
plusieurs pays européens), en pas- (3 novembre 1988)

Questions-Réponses : la décentralisation
1. Quelles sont régions  : la gestion des person- leur a pas été accordée en 2003. 1998. Au cours de la mandature
les étapes de nels non enseignants des lycées, la La construction et l’entretien des 1992-1998, deux régions seule-
la décentralisation ? totalité de la formation profession- lycées (transférés dès 1982) ainsi ment, Auvergne et Basse-Norman-
Après l’alternance de 1981, les lois de nelle, l’organisation des transports que la formation professionnelle die, disposaient d’une majorité
mars et de juillet 1982 font des ré- ferroviaires régionaux. sont les principales compétences absolue. Et à l’issue du scrutin de
gions des collectivités territoriales des régions, qui absorbent plus de 1998, dans cinq régions de droite
de plein exercice, aux côtés des 2. Quelles sont la moitié des budgets. Viennent –  Bourgogne, Languedoc-Rous-
communes et des départements. les compétences ensuite le développement écono- sillon, Centre, Picardie et Rhône-
Puis la loi du 10  juillet 1985 fixe des régions ? mique et les transports, notam- Alpes  –, des présidents, udf ou
le mode de scrutin de la nouvelle Les premières lois de décentra- ment les trains express régionaux apparentés, se sont fait élire avec
assemblée : la proportionnelle in- lisation accordent aux régions (ter) depuis 2002. les voix du fn. Le mode de scrutin
tégrale des listes ayant obtenu au une «  clause générale de compé- a été réformé pour les régionales
moins 5 % des suffrages exprimés, tences », qui permet aux collecti- 3. En quoi consiste le de 2004. Annoncée dès l’élection
dans un scrutin à un tour organisé vités, sur leurs ressources propres, nouveau mode de Jacques Chirac à la présidence
au niveau départemental. d’exercer une politique dans les de scrutin ? de la République, la loi du 11 avril
Un acte  II de la décentralisation domaines de la culture, du social, Les effets pervers du mode de scru- 2003 instaure un système à deux
s’ouvre, sous le gouvernement du logement, de l’enseignement tin instauré en 1985, qui privait tours et combine les deux scru-
de Jean-Pierre  Raffarin, avec la supérieur ou de la recherche. Dans les régions de majorités stables et tins, majoritaire et proportionnel.
loi constitutionnelle du 28  mars la dernière période, les conseils favorisait l’apparition de partis ar- Seules les listes ayant recueilli plus
2003. Elle conduit à l’autonomie régionaux de gauche ont notam- bitres – à commencer par le Front de 10  % des suffrages exprimés
financière des trois collectivités ment beaucoup investi dans l’uni- national (fn) –, se sont manifestés peuvent figurer au second tour  ;
et au transfert, en 2004 et 2005, versité, une compétence qu’elles dès les élections régionales de 1992 celles ayant enregistré un score de
de nouvelles compétences aux avaient réclamée, mais qui ne et plus encore lors du scrutin de 5 % peuvent fusionner. La liste arri-

82 La France de 1945 à nos jours


Les articles du

vée en tête au second tour reçoit le


quart des sièges à pourvoir, le reste pourquoi L’article évoque les étapes suivantes Paris : Lille, Metz-Nancy, Strasbourg,
étant réparti à la proportionnelle cet article ? avec la loi Gaston Defferre de 1982, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux,
parmi les listes ayant recueilli au qui transfère des pouvoirs exécu- Nantes. Leur position périphérique
moins 5 % des suffrages au second Dans le cadre de « L’évolution de la tifs dans les domaines sociaux, accompagne le redéploiement des
tour. Ce nouveau mode de scrutin société française », cet article permet culturels et de développement des activités et populations françaises
débouche sur l’élection, en 2004, d’aborder la question de la décen- infrastructures aux régions ; puis vers les littoraux.
de 20  présidents de gauche (sur tralisation. Dans la mesure où il avec celle de 2003 qui leur donne L’évocation du mode de scrutin per-
22 en France métropolitaine) avec, aborde la question des compétences l’autonomie financière. met de décrire d’autres exemples à
au second tour, 17  triangulaires des régions et des modes de scrutin, Ces réformes rapprochent les élus citer dans un devoir sur les institu-
imposées par le fn. il illustre aussi le chapitre sur les des électeurs  ; elles décongestion- tions. Au niveau régional, c’est « la
« institutions de la Ve République ». nent les services de l’État, et ont proportionnelle intégrale des listes »
4. Et la réforme La décentralisation est une œuvre aussi un impact sur la réorgani- qui a été choisie et non le majoritaire
territoriale ? de longue haleine. Elle était déjà la sation de l’espace français et ses à deux tours : chaque parti présente
Les élections de 2010 pourraient préoccupation du général de Gaulle équilibres entre Paris et les pro- une liste de candidats ; la répartition
être les dernières soumises à ce lors du référendum de 1969 qui vinces. La notion de «  métropoles des sièges se fait proportionnelle-
mode de scrutin. La réforme des proposait la création des régions. La d’équilibres » désigne précisément ment au nombre de voix obtenu
collectivités territoriales engagée victoire du « non » repoussa celle-ci les huit grandes villes françaises qui entre les partis ayant atteint plus de
par le gouvernement prévoit la à 1972 (sous Jacques Chaban-Delmas). ont vocation à faire contrepoids à 5 % de celles-ci.
création du «  conseiller territo-
rial  », amené à siéger à la fois
dans le département et la région, et d’un scrutin à un seul tour avec Elle suppose un vaste redécoupage du scrutin du 21 mars seront donc
suppose une réforme du mode de « une dose de proportionnelle ». La des cantons, appelés à disparaître. élus pour quatre ans au lieu de six.
scrutin. Parce que la droite dispose création du conseiller diminuerait La réforme, en cours d’examen à
de peu de réserves de voix au second de 6  000 (dont 1  800  conseillers l’Assemblée, pourrait s’appliquer en Christine Garin
tour, Nicolas Sarkozy prône le retour régionaux) à 3 000 le nombre d’élus. 2014. Les conseillers régionaux issus (9 mars 2010)

Un Français sur quatre se déclare sans religion


L
a baisse de la pratique reli- augmentation depuis neuf ans (de 13 gion sert de moins en moins à définir tion. On peut y voir aussi un héritage
gieuse et de l’appartenance des à 16 %). Mais cette remontée n’est due un groupe social. On ne pratique plus culturel, selon une observation bien
Français à la religion observée qu’aux personnes âgées de soixante en fonction d’un revenu ou d’un mise en évidence dans l’enquête : la
depuis longtemps par la plupart des ans et plus. Dans cette tranche d’âge, diplôme. Le niveau de la pratique pratique religieuse est moins le signe
instituts de sondage, mais réguliè- les pratiquants réguliers sont passés religieuse reste aussi faible dans la d’une appartenance sociale que d’un
rement contestée par les autorités de 21 à 28 %. Leur nombre reste stable population ouvrière que chez les héritage familial. Sur cent personnes
confessionnelles, est confirmée par la ou est même légèrement déclinant cadres ou artisans (autour de 12 %). interrogées dont la mère n’est ou
première enquête statistique publiée dans toutes les autres classes d’âge. Seuls les agriculteurs font légère- n’était pas croyante, 85 déclarent
par l’insee sur ce sujet depuis près 8 % seulement des jeunes (15-25 ans) ment remonter la moyenne. n’avoir aucune religion. En revanche,
de dix ans. déclarent pratiquer une religion. Les étrangers en France sont deux plus de 40 % des Français dont les pa-
Une étude de 1996, portant sur un Si l’âge et surtout le sexe (les femmes fois plus nombreux que les Français rents étaient pratiquants continuent
échantillon de huit mille familles, pratiquent près de deux fois plus que (31 % contre 15 %) à se déclarer pra- de pratiquer.
révèle qu’un Français sur quatre les hommes) déterminent encore tiquants. Sans doute faut-il y voir
se déclare sans pratique ni appar- largement le niveau de pratique et une manière d’affirmation de leur Henri Tincq
tenance religieuses. Ce chiffre est d’appartenance, en revanche la reli- identité et de leur volonté d’intégra- (1er avril 1998)
en augmentation par rapport à la
même enquête de 1987 (25 % contre
22 %). Toutes les tranches d’âge sont pourquoi déchristianisation commencé dès la Églises ; l’éclatement des familles qui
touchées par cette désaffection. Ce cet article ? fin du xixe siècle. affaiblit l’héritage familial, principal
sont les jeunes (15-25  ans) qui se Cette observation ne suffit pas, ce- frein au processus d’après le dernier
disent en plus grand nombre sans L’article porte sur les changements pendant, à expliquer le phénomène. paragraphe  ; l’émancipation des
religion : 40 % contre 33 % en 1987. culturels de la France de la fin du Il faut le replacer dans un contexte femmes et l’évolution des mœurs.
Le pourcentage est à peine plus bas xxe siècle. Il analyse la baisse de la culturel et social plus général en L’émergence d’une société multicultu-
dans la tranche au-dessus : 35 % chez pratique religieuse qui est générale, établissant un lien entre pratique relle joue également : comme frein au
les 25-39 ans. affectant tous les âges, groupes so- religieuse et certains aspects de la processus dans les milieux immigrés
Les chiffres de la pratique religieuse ciaux et origines en dépit de quelques modernisation décrits en cours : l’édu- en quête d’identité ; comme accéléra-
(mesurée dans cette enquête par variations. Cette baisse illustre l’in- cation de masse et la hausse du niveau teur, la pluralité facilitant l’émergence
une simple déclaration et non par fluence déclinante des Églises et le de formation qui concurrencent les de croyances « à la carte », plus indi-
des observances comme la messe prolongement d’un processus de traditions familiales et le discours des vidualisées.
du dimanche) sont globalement en

La France de 1945 à nos jours 83


L’essentiel du cours

mots clés
Convention de Lomé
Le rôle de la France
dans le monde depuis 1945
Signée en 1975, elle définit un
accord commercial entre la cee et
les anciennes colonies des pays
membres (46 pays d’Afrique, des

P
Caraïbes et du Pacifique). Elle vise
à favoriser les échanges entre les endant la guerre froide, la France s’est rangée dans le camp
pays signataires et à aider au dé-
veloppement. Cette convention est
occidental, tout en s’efforçant de maintenir son indépendance
remplacée en 2000 par les accords et son rang dans la communauté internationale. Du fait de la
de Cotonou. décolonisation, elle a perdu de son rayonnement mondial, mais elle
Alliance française tente de conserver un rôle actif dans le tiers-monde grâce à une po-
Fondation culturelle de droit privé litique active de coopération. Depuis le début des années 1950, elle
ayant pour mission de diffuser la
langue et la culture française dans est aussi l’un des moteurs de la construction européenne.
le monde. Elle tente également de
favoriser la diversité. Elle est liée réconciliation avec l’Allemagne ; de permettre
au ministère des Affaires étran- la renaissance économique d’un pays épuisé
gères. Son réseau est implanté par la guerre et trop petit pour faire face, seul,
dans 135 pays. aux défis de l’ère nouvelle ; de refuser le repli
sur soi et de s’ouvrir au monde.
Atlantisme Dans les années  1960, de Gaulle manifeste
Politique prônant la coopéra- parfois de l’humeur envers les institutions
tion entre l’Europe de l’Ouest et européennes et il refuse à deux reprises l’en-
l’Amérique du Nord (États-Unis trée dans la cee de la Grande-Bretagne jugée
et Canada) dans les domaines trop proche des États-Unis. Mais il signe avec
politiques, militaires et écono- l’Allemagne un important traité d’amitié (1963)
miques afin d’assurer la sécurité et poursuit l’intégration de l’Europe des Six.
des pays membres. Concrétisée Ses successeurs consolident la construction
par le Traité de l’Atlantique Nord européenne avec l’aide des chanceliers alle-
(1949), l’alliance rapproche des De gauche à droite : Giulio Andreotti, Takeo Fukuda, Jimmy mands. Valéry Giscard d’Estaing est l’un des inventeurs
pays situés de part et d’autre de Carter, Helmut Schmidt et Valéry Giscard d’Estaing, lors du du système monétaire européen (sme).
sommet économique du G7, le 16 juin 1978 à Bonn.
l’Atlantique, d’où son nom. Le couple franco-allemand (Giscard-Schmidt) reste
moteur d’une Europe économique qui se transforme
Francophonie Entre indépendance et atlantisme en Union politique étendue (27 États membres en 2007).
Ensemble des populations parlant le Libérée par l’armée américaine en 1944, la France En 2005, par référendum, les électeurs français
français. On y trouve quelques pays fait partie des tout premiers signataires du Pacte rejettent le traité de Constitution européenne. Il
ou régions européennes (Luxem- atlantique. En 1960, la France se dote de la bombe apparaît alors que les Français ne sont pas devenus
bourg, Wallonie, Suisse), les an- atomique. Ses relations avec les États-Unis deviennent hostiles à l’Europe ; ils souhaitent seulement qu’elle
ciennes colonies françaises d’Afrique alors plus compliquées. De Gaulle tente de mener une soit plus sociale. En 2007, l’Europe adopte le traité de
du Nord (Tunisie) ou d’Afrique noire, politique étrangère autonome, critiquant à l’occasion Lisbonne qui poursuit l’œuvre des pères fondateurs.
le Québec, la Louisiane et Haïti en les États-Unis. En 1966, il sort la France du commande-
Amérique, des territoires d’Océa- ment militaire intégré de l’otan ; l’année suivante, les Une sphère d’influence
nie (Vanuatu). La francophonie troupes américaines stationnées dans le cadre du Pacte en Afrique
concerne près de 200  millions de atlantique quittent le territoire français. Après la décolonisation, la France tente de maintenir
personnes dans le monde. Pour autant, ces querelles ne remettent pas en cause en Afrique noire sa présence culturelle, militaire et
l’alliance franco-américaine et les relations se réchauf- économique (Convention de Lomé) : elle y envoie des
Couples franco- fent sous les présidences de François Mitterrand (qui coopérants et y maintient des troupes. Elle participe
allemands prend le parti de l’Occident dans la crise des euromissiles à des opérations de maintien de l’ordre, intervient à
Les gouvernements français et de 1982) et de Nicolas Sarkozy (qui réintègre le pays titre humanitaire ou pour faciliter la démocratisation.
allemands sont les moteurs de la dans l’alliance atlantique en 2009). La France entretient Des sommets franco-africains ont lieu régulièrement.
construction européenne. Leur cependant le souci de sa différence : en 2003, Jacques Les liens sont très proches ; parfois trop. L'expression
complicité s’est incarnée dans Chirac s’oppose à l’intervention américaine en Irak. Françafrique désigne les réseaux d'influence français sur
des couples forts associant un le continent ; mais elle a pris une connotation péjorative,
Président français à un chancelier La France, pilier servant à dénoncer détournements de fonds, trafics
allemand : de Gaulle-Adenauer ; de la construction européenne illicites (Angolagate), soutien de dictateurs, assassinats
Giscard-Schmidt  ; Mitterrand- La France fait partie des pays fondateurs de la cee. Jean politiques, intérêts des multinationales françaises en-
Kohl ; Chirac-Schroeder ; Sarkozy- Monnet et Robert Schuman jouent un rôle majeur dans tretenus dans ce cadre. La France est ainsi soupçonnée
Merkel. la naissance de l’Europe. Pour eux, il s’agit d’opérer une d’être impliquée dans le drame du Rwanda (1994).

84 La France de 1945 à nos jours


L’essentiel du cours

dates clés
1945
La France devient membre per-
manent du Conseil de sécurité
de l’onu.

1949
Adhésion au traité de l’Atlantique
Nord (1949).

1951
Création de la ceca (Communauté
économique du charbon et de
l’acier).

1957
Traité de Rome  ; la France
membre de la cee.

1960
La France devient une puissance
nucléaire.
Forces égyptiennes, syriennes, omanaises, koweïtiennes et françaises en 1991 après la victoire de la guerre du Golfe.
1966
L’Afrique est aussi le terrain privilégié de la francopho- Elle conserve néanmoins quelques atouts. La France quitte le commande-
nie. En revanche, le volet économique de cette politique Le rayonnement mondial de la France peut s’appuyer ment intégré de l’otan.
est en déclin du fait de l’appauvrissement général du sur ses départements et territoires d’outre-mer répartis
continent noir. sur l’ensemble de la planète. Son réseau de lycées et de 1969
Les relations sont plus difficiles avec les pays qui ont fondations culturelles (Alliances françaises) entretient Première conférence des États
acquis leur indépendance par les armes, comme le son image de pays de culture ainsi que son influence. francophones.
Vietnam et l’Algérie, mais les liens ne sont pas rom- Quelques entreprises bien implantées à l’étranger sont
pus. En Amérique latine, la France jouit d’un capital leader dans leur domaine. Lancé depuis la Guyane 1973
de sympathie depuis que de Gaulle a fait preuve française, le programme aérospatial Ariane est une Premier sommet France-Afrique
d’indépendance envers les États-Unis. réussite technologique et commerciale. Depuis 1975, la à Paris.
France participe aux sommets des sept ou huit pays les
Un rayonnement de puissance plus industrialisés. Elle est aussi membre du G20. Dotée 1975
moyenne d’un riche patrimoine, la France est l’une des premières Accords de Lomé.
Pays de taille très moyenne ne représentant que 1 % destinations touristiques mondiales.
de la population mondiale, la France a du mal à pré- Comme membre permanent du Conseil de sécurité 1986
server sa place parmi les grandes nations. La part des de l’onu, la France dispose de pouvoirs importants Premier sommet de la Franco-
universités françaises dans la recherche mondiale di- (droit de veto). Sa puissance nucléaire lui permet phonie.
minue. La langue française recule dans de nombreuses de défendre sa sécurité et ses intérêts. Si elle n’a
régions. Son poids économique ne peut rivaliser avec plus sa puissance d’antan, elle reste capable de faire 1991
les États-Unis ou les pays émergents comme la Chine. entendre sa différence. Participation de la France à la
guerre du Golfe contre l’Irak.

Quatre articles du Monde à consulter 1992


Traité de Maastricht  ; la France
• Une politique internationale dominée par les relations avec les États-Unis p. 87-88 membre de l’Union européenne.
(Natalie Nougayrède, 13 mars 2007.)
2003
• Les entretiens de M. Mitterrand avec M. Kohl p. 88-89 À l’onu, opposition de la France à
(Claire Trean et Luc Rosenzweig, 4 novembre 1989.) l’intervention américaine en Irak.

• Le français, langue des non-alignés p. 89-90 2005


(Michel Guillou, 7 mars 1991.) Rejet de la France du Traité
constitutionnel européen.
• France-Afrique, un anniversaire ambigu p. 90-91
(Philippe Bernard, 29 avril 2010.) 2009
La France réintègre le comman-
dement intégré de l’otan.

La France de 1945 à nos jours 85


Un sujet pas à pas

notions clés
Indépendance
Composition : la France dans le monde,
nationale
Capacité d’un État à défendre ses de l’empire à l’Europe (1944-2002)
choix politiques. Les moyens dont la
France dispose sont : le droit de veto les grandes puissances, l’Europe et les pays
au Conseil de sécurité de l’onu  ; sa du Sud, pour montrer comment elle passe
force de dissuasion militaire (arme d’une puissance impériale affaiblie à un
atomique) ; son influence politique partenaire moyen mais respecté.
dans le cadre de l’Union européenne
et des groupes de discussion comme La problématique
le G8 ou le G20 ; son influence cultu- Dans quelle(s) mesure(s) la France, épuisée
relle liée à son image et la francopho- par la fin de la guerre en 1945, est-elle
nie ; ses atouts économiques (5e rang redevenue une puissance mondiale ?
mondial en 2009).
Le plan détaillé
Veto I.  1944-1962  : la France est une puissance
Procédure par laquelle un votant fragilisée et en reconstruction.
peut s’opposer à une décision, a) Vainqueur de la guerre, la France est sous
même si une majorité s’est déga- protection américaine.
gée en sens inverse. Un veto peut b) Son empire est démantelé.
être suspensif : dans ce cas, il ne c) La France réussit sa reconstruction dans
vaut que pour un temps limité le cadre de la cee.
au bout duquel a lieu un nouveau II. 1963-1985 : la France est une puissance
vote  ; c’est alors la majorité qui Porte-avions Foch, qui participa à la première campagne moyenne qui s’affirme sur tous les fronts.
l’emporte. Au Conseil de sécurité d’essais nucléaires français en 1966. a) La politique de de Gaulle émancipe la France de la
de l’onu, les cinq membres per- tutelle américaine.
manents (États-Unis, Grande-Bre- b) Avec la rfa, la France s’affirme au niveau européen.
tagne, URSS puis Russie, France, c) Un nouveau partenariat se crée entre la France et
Chine) ont le droit de veto et Ce qu’il ne faut pas faire l’Afrique.
peuvent donc empêcher qu’une • Dresser le tableau de la France III.  1985-2002  : une nouvelle forme de leadership
résolution soit adoptée. De 1945 dans le monde en oubliant d’évaluer français apparaît.
à 2007, la France a utilisé 18  fois les changements (évolutions). a) La France est l’un des moteurs de l’intégration dans
son droit de veto au Conseil de • Se limiter aux deux horizons évoqués l’Union européenne.
sécurité de l’onu (sur 261  usages dans l’énoncé (l’empire et l’Europe) : b) La France se reclasse dans un nouvel ordre mondial.
dont 123 par l’URSS/Russie et 82 il faut analyser la place de la France c)  Une «  voix de la France  » se distingue de l’allié
par les États-Unis). par rapport aux autres puissances mondiales américain.
(États-Unis et URSS jusqu’en 1991 ; États-Unis et
Force de dissuasion Japon dans le nouvel ordre dominé par la Triade). Les repères essentiels
nucléaire • Temps forts : la construction européenne dans les
Son but est d’empêcher la guerre. Elle années 1950 ; la politique d’indépendance nationale
repose sur l’arme atomique dont la du général de Gaulle (1958-1969)  ; le couple Kohl-
France dispose depuis 1960. Si elle L’analyse du sujet Mitterrand ; l’intégration européenne.
a cessé tout essai nucléaire depuis Il s’agit d’évaluer la place de la France à l’échelle plané- • Notions de francophonie, d'atlantisme, d'Europe
1996, la France détient encore un taire et la nature des relations qu’elle entretient avec (cee et ue), d'axe franco-allemand.
arsenal puissant, d’une portée maxi-
male de 8  000  km (à partir d’un
sous-marin). L’utilisation de l’arme se
trouve sous la responsabilité du seul Sujets tombés au bac sur ce thème
président de la République. Compositions
– La place de la France dans le monde : puissance mondiale ? Puissance européenne ? (Liban, 2006)
Françafrique – La France dans le monde sous la Ve République (Métropole, 2008)
Expression péjorative qui ren- – La France dans le monde, entre rayonnement mondial et intégration européenne (Polynésie, 2010)
voie à l’influence conservée par
la France sur le continent africain Étude d’un ensemble documentaire
auprès de ses anciennes colonies. – La France dans le monde depuis 1958 : ambitions et influences (Antilles, 2006)
Elle désigne les réseaux politiques,
diplomatiques, économiques ou Commentaire de document
culturels qui concourent à dé- – Le rôle international de la France selon Charles de Gaulle (Antilles-Guyane, 2007)
fendre les intérêts stratégiques
de la France dans la région.

86 La France de 1945 à nos jours


Les articles du

Une politique internationale dominée


par les relations avec les États-Unis
Le refus français de la guerre en Irak, en 2003, a été le sommet d’un dialogue difficile
entre Paris et Washington

L
a présidence de Jacques sera en revanche l’occasion l’onu concluent formellement les ruines de Ground Zero à New
Chirac a traversé de mul- d’une rupture profonde. Le à une violation par Bagdad York, pour exprimer sa solidari-
tiples crises internatio- président français et son mi- de ses obligations en matière té. Et dans l’après-11-septembre,
nales : de la Bosnie en 1995 au nistre des Affaires étrangères, d’armes de destruction mas- la coopération entre Paris et
Liban en 2006 –  deux pays à Dominique de Villepin, optent sive. En cherchant à rallier des Washington en matière de lutte
propos desquels le président alors pour la confrontation ou- soutiens contre Washington antiterroriste, dans sa compo-
s’engagea très fortement  –, en verte avec les États-Unis, à l’onu. au sein du Conseil de sécurité, sante policière, ne se démentira
passant par le 11 septembre puis La diplomatie française tente et en laissant M.  de Villepin jamais, allant jusqu’à un silence
le refus français de la guerre en vain d’empêcher le conflit prononcer, le 14 février 2003 à notable du président français
d’Irak en 2003. Sans oublier le armé. M. Chirac menace d’uti- l’onu, un discours emphatique, sur la question des prisons et des
Kosovo, la Côte d’Ivoire... liser un veto français à l’onu M. Chirac s’attirait les foudres vols secrets de la cia en Europe.
Ces crises ont presque toutes eu pour bloquer une résolution des médias américains. Après la dispute sur l’Irak, il
pour particularité de mettre en voulue par les États-Unis, Entre M. Chirac et George Bush, faudra attendre février 2005,
jeu la complexité de la relation qui autoriserait l’usage de la les contacts personnels ont et la nouvelle impulsion
avec les États-Unis, la superpuis- force. Il faut sans doute re- été complexes dès le début, et donnée à la diplomatie amé-
sance face à laquelle M. Chirac monter à 1966, et à la décision l’hostilité du président français ricaine par la secrétaire d’État
– en cela héritier du gaullisme – du général de Gaulle de sortir à l’idée que le Moyen-Orient Condoleezza Rice, pour que les
a eu à cœur de marquer une la France du commandement pouvait être remodelé par une relations entre MM. Chirac et
volonté française de tenir son intégré de l’otan, pour trouver politique dite « de promotion Bush en reviennent à une cer-
rang et de défendre « une cer- l’écho d’une brouille aussi de la démocratie  » n’a fait taine cordialité. À l’occasion
taine vision du monde et une lourde de conséquences entre que s’intensifier. Après leur d’un dîner à Bruxelles, le pré-
certaine idée de la morale  ». Paris et Washington. première rencontre, M.  Bush sident américain qualifie alors
M.  Chirac a eu affaire, lors de En cet hiver 2002-2003, les avait confié à Tony Blair qu’il son homologue français de
son second mandat, à une admi- malentendus et les désaccords avait trouvé M.  Chirac «  raide « bon conseil ». Entre-temps,
nistration Bush perçue comme se sont accumulés, alors que et pompeux ». une coopération étroite s’est
un interlocuteur difficile, si ce Paris avait laissé entendre En 2001, pourtant, au lendemain nouée sur la question de la
n’est comme la prisonnière de qu’une participation française des attentats du 11  septembre souveraineté du Liban, dont
conceptions néoconservatrices à des opérations militaires contre le World Trade Center et M. Chirac a choisi de faire une
jugées erronées et dogmatiques. n’était pas exclue, à la condi- le Pentagone, M. Chirac avait été des priorités de sa politique
Avec Bill Clinton, le courant pas- tion que les inspecteurs de le premier chef d’État à visiter étrangère.
sait mieux, mais il a fallu aussi
que M.  Chirac bataille pour
inciter le président américain pourquoi Le document fait principalement L’analyse illustre aussi la puissance de
à s’impliquer de façon décisive cet article ? référence aux situations de guerre la France grâce à l’usage qu’elle peut
dans les affaires balkaniques qui déchirent les Balkans d’une part, faire de son droit de veto au conseil
en 1995. Le sort réservé aux sol- Cet article peut illustrer trois Proche et Moyen-Orient d’autre part. de sécurité de l’onu (Irak 2003) ou de
dats français, otages des forces chapitres du programme  : «  À L’article permet de mettre en sa participation à des missions de
serbes en Bosnie, puis la tuerie la recherche d’un nouvel ordre évidence la complexité des rela- maintien de la paix (Kosovo).
de Srebrenica, avaient outré mondial », « La France de la Ve Ré- tions franco-américaines (faites Concernant l’après guerre froide, le
M. Chirac, qui estima nécessaire publique » et « Le rôle de la France d’amitié et de divergences) et les texte témoigne du néo-impérialisme
une intervention internationale dans le monde depuis 1945 ». caractères du gaullisme depuis de américain, du souci des États-Unis
pour mettre fin au conflit. Le contexte est celui de la période Gaulle jusqu’à Chirac. À l’instar du d’exporter leur modèle (la démocra-
En 1999, même si le Conseil de 1995-2002, marquée par l’affirma- général de Gaulle, qui bâtit l’indé- tie, prétexte de l’intervention en Irak)
sécurité de l’onu, en raison de tion de nouveaux équilibres inter- pendance nationale de la France et de défendre leurs intérêts écono-
l’opposition de la Russie, ne nationaux après la disparition de en prenant ses distances avec les miques (qui justifient leur attitude
pouvait avaliser les bombar- l’URSS (1991), la naissance de l’Union États-Unis (retrait du comman- envers les pays pétroliers comme
dements de la Serbie par l’otan, européenne (traité de Maastricht de dement intégré de l’otan en 1966), l’Iran)  ; il montre aussi le refus de
la coopération de M.  Chirac 1992) et l’émergence du terrorisme J. Chirac s’oppose à la politique de la prolifération nucléaire (traité de
avec Washington était étroite international (attentats du 11  sep- G.  Bush. Ce choix n’entraîne pas, 1968) et les réactions anti-améri-
pour mettre fin aux exactions tembre 2001). En France, Jacques pour autant, de rupture (coopéra- caines que suscite cet impérialisme
serbes au Kosovo. Chirac est président de la République. tion et solidarité perdurent). (terrorisme d’Al-Qaïda).
L’affaire de l’Irak, début 2003,

La France de 1945 à nos jours 87


Les articles du

Fruit d’un travail en commun plutôt américaine de la crise, qui M. Chirac sur la tournure de la diplomatiques français, est
entre Français et Américains, la consiste à donner du temps à crise entre l’Iran et les Occiden- finalement abandonné.
résolution 1 559 de l’onu, en sep- Tsahal pour neutraliser la milice taux, à propos du programme Auparavant, au sommet de
tembre  2004, forcera la Syrie chiite. C’est en voyant la dévas- nucléaire de Téhéran, l’incite à l’otan à Riga en novembre 2006,
à retirer ses troupes du Liban. tation infligée au Liban par les accroître les appels au dialogue. Jacques Chirac avait marqué
Mais, là encore, les approches bombardements israéliens, que Se méfiant des intentions de son rejet de l’idée américaine
divergeaient  : alors que sa diplomatie opère un virage l’administration Bush, qui, enli- d’accroître les troupes de l’otan
M. Chirac avait le Liban à l’es- et se met à exiger avec force un sée en Irak, s’est mise à déployer en Afghanistan, tandis que se
prit, M. Bush cherchait plutôt cessez-le-feu et le déploiement une politique d’endiguement confirmait le retrait des forces
à démêler l’écheveau irakien, d’une force internationale. de l’Iran, M. Chirac envisage une spéciales françaises de ce pays,
pensant que des pressions sur À partir de septembre  2006, initiative française en solo, avec où elles combattaient Al-Qaida
Damas l’y aideraient. alors qu’un millier de soldats l’idée d’envoyer en janvier 2007 depuis 2002 aux côtés des
Lorsque la guerre éclate, le français se déploient au sud un émissaire à Téhéran. Le soldats américains.
12 juillet 2006, entre le Hezbol- du Liban dans le cadre de la projet, qui suscite l’hostilité de
lah libanais et Israël, M. Chirac Force intérimaire de l’onu pour l’Égypte, de l’Arabie saoudite Natalie Nougayrède
se range d’abord à une lecture le Liban (Finul), l’inquiétude de et d’une partie des rouages (13 mars 2007)

Les entretiens de M. Mitterrand avec


M. Kohl ‑ Paris et Bonn entendent concilier
construction européenne et soutien à l’Est
Tandis que le cinquante-quatrième sommet franco-allemand se poursuivait vendredi
3 novembre à Bonn, le numéro un est-allemand, M. Egon Krenz, regagnait la rda après
une brève visite à Varsovie. L’évolution dans les pays de l’Est a occupé une place essen-
tielle dans les conversations entre MM.  Kohl et Mitterrand, qui entendent concilier le
soutien à ces pays et la construction européenne. À l’issue des entretiens, M. Mitterrand
a déclaré que le problème de la réunification de l’Allemagne devenait « un des faits do-
minants de cette fin de siècle », que la France n’avait pas à craindre pourvu qu’elle se
déroule de manière « pacifique et démocratique ».

B
onn de nos envoyés spéciaux européenne, souhaite proposer le 1993. Il n’a pas obtenu, jeudi, le bonne santé du mark, et la csu ba-
MM. Mitterrand et Kohl sont mois prochain à ses partenaires soutien explicite de M.  Kohl sur varoise de M. Theo Waigel, ministre
d’accord sur l’essentiel. L’un pour les faire avancer vers l’union ce tempo rapide. L’obtiendra-t-il des Finances, qui doit tenir compte
semble cependant plus d’accord monétaire. «  Il faut que chaque lors du sommet de Strasbourg  ? de la montée des sentiments anti-
que l’autre sur le grand sujet du nouvelle étape soit très soigneuse- On se montrait optimiste dans européens dans ce Land.
moment, à savoir le rythme qu’il ment préparée  », répétait à l’envi l’entourage présidentiel en faisant Deuxième grand dossier à l’ordre
faut insuffler à la construction M. Hans Klein, le porte-parole de la valoir que M.  Lutz Stavenhagen, du jour  : celui de l’aide aux pays
européenne pour répondre à l’ac- chancellerie. secrétaire d’État à la chancellerie de l’Est engagés, dramatiquement
célération des événements à l’Est. M. Mitterrand a annoncé la semaine chargé des affaires européennes, pour certains, dans la voie des ré-
Ce cinquante-quatrième sommet dernière à Strasbourg qu’il deman- a déjà approuvé le démarrage à formes. M. Jacques Delors, chargé
est présenté comme le dernier épi- derait aux Douze de convoquer l’automne 1990 de cette procédure de coordonner l’aide occidentale à
sode d’une sorte de « conversation pour l’automne prochain la confé- institutionnelle. la Pologne et à la Hongrie, s’irrite
permanente » entre Paris et Bonn. rence intergouvernementale qui D’autre part, s’il ne tenait qu’à du désordre dans lequel sont an-
À l’issue d’un premier tête-à-tête, doit procéder à la révision du Traité M.  Genscher, Bonn consentirait noncées les initiatives généreuses
jeudi 2  novembre, des nuances de Rome nécessaire à la mise en même à lui imposer une « obliga- des uns et des autres. À Bonn, on
étaient cependant perceptibles place d’une union monétaire entre tion de réussite » avant le 1er janvier fait valoir en réponse que les res-
entre le chancelier et le président les Douze. Le président de la Répu- 1993. M.  Kohl, cependant, veille à ponsabilités historiques de l’Alle-
de la République. M. Kohl est ainsi blique avait également souhaité ménager les secteurs de son électo- magne vis-à-vis de la Pologne sont
resté très prudent quant au calen- que le nouveau traité puisse être rat dont l’enthousiasme européen de nature à justifier une démarche
drier que M.  Mitterrand, en tant ratifié avant l’entrée en vigueur est nettement moindre : les milieux spécifique. Celle-ci devrait se ma-
que président de la Communauté du Marché unique, le 1er  janvier financiers, qui craignent pour la térialiser lors du prochain voyage

88 La France de 1945 à nos jours


Les articles du

du chancelier Kohl en Pologne par Transports, M.  Michel Delebarre, leur mot à dire. «  Il faut à l’avenir déclaration commune concernant la
d’importants crédits garantis par le M. Michel Rocard aura la charge de trouver des procédures d’arbitrage politique énergétique : celle-ci ouvre
gouvernement fédéral. défendre les positions françaises indépendant dans le cas de diffé- à terme le marché ouest-allemand à
Du côté français, on met l’accent sur deux dossiers où de profondes rends de ce type  », estime-t-on à la production électrique française,
sur le fait que l’aide à la Pologne est divergences existent entre Bonn et la chancellerie qui regrette qu’un la France s’engageant de son côté à
une entreprise de longue haleine et Paris : celui du transfert d’une chaîne dossier technique comme celui de appuyer la politique allemande de
ne peut s’assimiler à des « secours de montage d’Airbus en rfa, demandé l’Airbus remonte jusqu’au sommet soutien à l’industrie charbonnière
d’urgence après une catastrophe par Bonn, et celui du tgv-Est. du pouvoir politique. jusqu’en 1995. On devrait enfin an-
naturelle ». À Paris comme à Bonn, Depuis longtemps, les Allemands de- À Bonn, on se montre, d’autre part, noncer, vendredi, la création d’un
on est d’accord sur le fait qu’il faut mandent que la chaîne de montage inquiet de l’étude réalisée pour le conseil franco-allemand de l’envi-
que le gouvernement polonais de l’Airbus A-320 soit transférée de compte de la scnf par M.  Philippe ronnement, dont l’objectif est de
définisse plus concrètement ses Toulouse à Hambourg. Les exper- Essig qui conclut à la construction mettre un terme aux nombreux
besoins et cesse de présenter des tises allemandes et françaises sur d’une ligne directe à grande vitesse malentendus franco-allemands
demandes jugées «  irréalistes  », la rentabilité d’une telle opération Paris-Strasbourg laissant Metz et dans ce domaine.
comme le paiement en dollars des sont totalement contradictoires. Les Sarrebruck à l’écart.
employés des entreprises mixtes. autres participants, britanniques et À l’actif de la coopération franco- Claire Trean, Luc Rosenzweig
espagnols, veulent également avoir allemande pourra être portée la (4 novembre 1989)
Qui doit aider la rda ?
L’irruption de la rda dans le groupe
des pays communistes engagé dans pourquoi l’évolution de l’Europe de l’Est. évoquée, mais le texte souligne la
la voie des réformes pose le problème cet article ? Sur le premier thème, le texte sou- priorité de l’opinion publique en
d’un éventuel soutien économique ligne l’importance de l’axe Paris- Allemagne, davantage concernée
à ce pays  : sa nécessité est perçue L’article renvoie à deux chapitres Bonn et du couple Kohl-Mitterrand, par l’évolution de l’Est que par la
avec acuité en rfa, alors que, du côté du programme  : «  La France de la solidaire malgré les divergences (de construction de l’Union européenne.
français, on fait valoir que l’économie Ve République  » et «  La Construc- priorité). Concernant la construction À noter l’évocation des problèmes
de la rda n’est pas, loin de là, dans tion européenne de 1945 à 1991  ». européenne, il fournit des exemples d’environnement dans le dernier pa-
l’état de délabrement de celle de la Contemporain de la chute du mur de politique commune et montre ragraphe. La question est sensible en
Pologne, et que cela reste , après tout, de Berlin, il pose aussi les questions aussi que l’idée d’un nouveau traité Allemagne où les Verts (die Grünen)
une affaire interallemande. qui prévaudront dans «  Le nouvel (Maastricht) révisant celui de Rome forment un groupe parlementaire
Occupés à échanger leurs points de ordre mondial d’après 1991 ». est déjà posée. L’aide envisagée aux depuis 1987. Avec le thème des
vue sur ces problèmes brûlants et Trois thèmes s’en dégagent  : la pays de l’Est (Pologne et Hongrie) transports, la référence à l’écologie
importants, MM. Kohl et Mitterrand coopération franco-allemande tant préfigure la fin de la guerre froide et témoigne de l’émergence d’une so-
ont laissé le soin à leurs ministres de économique (problèmes énergé- le passage des anciens pays commu- ciété de communication propre au
traiter de quelques épineux dossiers tiques et de transports)  que poli- nistes au libéralisme économique. chapitre sur l’évolution économique
bilatéraux. En l’absence, regrettée tique ; la construction européenne ; La réunification allemande n’est pas et sociale des pays développés.
par les Allemands, du ministre des

Le français,
langue des non-alignés
N
i la francophonie ni la rie en décembre dernier ne sur un humanisme critique avec l’Amérique dans un rap-
France n’ont réussi à vise pas les établissements qui dérange. port de forces quantifiable et
faire entendre claire- d’enseignement supérieur Ce non-alignement fran- exempt de tout risque sub-
ment leur différence dans le où les cours sont dispensés cophone, il faut le faire versif dans les esprits.
conflit et la guerre du Golfe. en anglais, ce n’est pas le fait entendre, au niveau qu’il Ne pas montrer cette
La francophonie a mal du du hasard, c’est que l’inté- convient et sans aucune capacité de faire signe
Liban, a mal des territoires grisme musulman fait bon concession, ou alors l’anglais, dans le monde, qui est la
occupés. La francophonie ménage avec l’anglais. réputé neutre, chassera le caractéristique majeure de
a mal du Koweït ravagé, de Ce sont des financements français, la fascination devant la «  différence française et
l’Irak déchiqueté. américains qui, au Liban et la puissance technologique francophone  », serait une
Si le Front islamique de salut en Syrie, s’évertuent à élimi- sera créditée à l’Amérique, le erreur politique et culturelle
(fis) exige le remplacement ner la langue française de Japon étant absent, comme dont les conséquences
du français par l’anglais, si la l’enseignement. en définitive l’Europe. Il sera peuvent aller jusqu’à la perte
loi sur la généralisation de la La francophonie a vocation alors tellement plus facile de la francophonie arabe et
langue arabe votée en Algé- à la laïcité. Le français ouvre pour l’intégrisme de traiter maghrébine.

La France de 1945 à nos jours 89


Les articles du

Mais il est temps encore de


faire entendre notre voix. pourquoi mule renvoie ici à la poli- tie de la population parle
Cela d’autant plus que le cet article ? tique suivie par de Gaulle, le français. Le fis y préco-
prochain sommet de la qui, dans sa recherche de nise l’établissement d’une
francophonie aura lieu en Dans un contexte de « re- l’indépendance nationale, République islamique et
France cette année. Nouveau modelage de la carte du a pris ses distances vis- rejette le français, langue
rendez-vous, rendez-vous es- monde », Michel Guillou à-vis des États-Unis sans de l’ancienne métropole
sentiel. On peut se demander plaide pour la défense de rompre pour autant toute dont la diffusion serait
combien de temps la franco- la francophonie comme alliance avec eux. l’expression d’un néo-
phonie des sommets pourrait arme au service des in- Le «  Mal du Liban et des colonialisme.
survivre à un report de ce térêts de la France. À ce territoires occupés…  » Ce texte illustre surtout
sommet ou à son échec. Mais, titre, son texte illustre doit être compris dans le déclin de la culture
pour réussir, il faudra mettre une vision gaulliste du le contexte de la franco- française dans le monde
en conformité nos actes et « rôle de la France dans le phonie, laquelle intègre (et l’affaiblissement de
nos déclarations, pour frap- monde » (dernier chapitre des pays arabes (Liban, la place de la France)  ; a
per à nouveau et dans le bon du programme). Maroc, Tunisie) sensibles contrario, le succès de
sens l’imaginaire et le cœur Il utilise la notion de au conflit civil qui dé- l’anglais, auquel travaille-
des parlants français. « non-alignement ». Atten- chire le Liban, préoccupés raient les Américains, peut
À ce moment de l’Histoire tion à ne pas la confondre par le sort réservé aux donner un exemple pour
où se remodèle la carte du avec la position exprimée Palestiniens et inquiets un devoir sur l’américani-
monde, où se cherchent et par les pays du tiers- du développement du sation du monde.
se construisent les choix monde à Bandung (1955), terrorisme islamique. Ce Ce texte témoin énonce
et les voies de l’avenir, qui entendaient se ranger dernier touche l’Algérie, une opinion. Dans le cadre
la francophonie ne peut dans aucun des deux blocs alors à la veille d’une d’une étude de document,
rester longtemps encore (Ouest ou Est). Cette for- guerre civile, où une par- il faut donc rester critique.
sans se faire entendre. Bien
au contraire, la France,
entraînant avec elle la vaste et général de Gaulle  : celle du aussi, et c’est un autre enjeu, vrai départ du dessein franco-
riche constellation des États non-alignement. rendre crédible le multilatéral phone ou le début irréversible
francophones, doit renouer L’urgence est là ; pour la fran- francophone, ce qui suppose de son agonie et de sa fin.
avec la grande tradition qui cophonie, c’est une impé- des budgets et un institu-
est la sienne, et qu’a illustrée rieuse nécessité : la dernière tionnel profondément trans- Michel Guillou
avec le succès que l’on sait le chance peut-être. Il faudra formé. 1991 sera l’année du (7 mars 1991)

France-Afrique,
un anniversaire ambigu
la célébration à paris des indépendances crée une controverse

L
e Togo a célébré, mardi mois d’été de cette année-là. focalise la controverse. «  Un Certaines armées invitées
27  avril, dans une re- Pareil jubilé pourrait servir divorce ne mérite pas un à défiler ont participé à de
lative confidentialité de prétexte pour analyser le défilé aux côtés des troupes sanglantes répressions dans
et une certaine cacophonie passé et interroger l’avenir. françaises  », raille Jean-Bap- leur pays. « Ce jubilé, renché-
politique, le cinquantenaire Mais, alors que les dates tiste Placca, chroniqueur à rit Nabbie Ibrahim Soumah,
de son indépendance. Le cas fatidiques approchent, cet Radio France Internationale. juriste guinéen, risque d’être
togolais n’est pas unique anniversaire menace plutôt Bien des observateurs afri- ressenti comme une double
au sein d’une Afrique fran- de passer inaperçu, tant il cains s’étonnent que le colo- peine  : après la colonisation
cophone qui est censée se heurte à l’indifférence nisateur célèbre la fin de sa hier, ce sera la célébration de
fêter, en 2010, le cinquan- ou suscite un malaise lié à propre oppression. «  Faut-il la Françafrique, un pied de
tième anniversaire de son des ambiguïtés coloniales rappeler les horreurs [...] qui nez aux populations en proie
indépendance. Quatorze jamais dépassées. ont jalonné l’occupation co- à la misère [...]. »
anciennes possessions fran- L’invitation faite par Nicolas loniale ? Que célèbre-t-on ? », L’ancien ministre Jacques Tou-
çaises ont en effet accédé Sarkozy aux armées des an- interroge Joachim Vokouma, bon, chargé par M.  Sarkozy
à la souveraineté en 1960, ciennes colonies de défiler sur rédacteur en chef du site bur- d’organiser les célébrations
principalement pendant les les Champs-Élysées le 14 juillet kinabé Lefaso.net. françaises, tente d’expliquer

90 La France de 1945 à nos jours


Les articles du

que le défilé africain sur les concrètes en matière de for- émues, un vague colloque tionaliste, Ruben Um Nyobe, le
Champs-Élysées est seule- mation professionnelle des d’historiens officiels et un cinquantenaire ravive de très
ment organisé en «  hom- jeunes Africains, d’octroi de défilé militaire feront l’af- douloureux souvenirs.
mage au sang versé » par les visas, de promotion de la faire. La population, occupée À Yaoundé, les militants qui
soldats coloniaux des deux diaspora africaine en France, à survivre, à bien d’autres tentent de perpétuer cette
guerres mondiales. et de « décristallisation » des soucis. Mais la presse et l’In- tendance politique ont, le
L’organisation, la veille d’un pensions des anciens soldats ternet se sont emparés du 10 avril, qualifié de « provoca-
«  mini-sommet  » auquel coloniaux (égalisation avec les sujet sans la moindre circon- tion » la célébration par Paris
Nicolas Sarkozy a convié les pensions servies aux Français). locution. des indépendances. «  Il est
présidents des anciennes Mais le calendrier politique Si le rôle de la France dans pour le moins indécent que
colonies, obéit, à l’évidence français –  débat sur l’iden- l’octroi d’indépendances en l’esclavagiste célèbre la liberté
à des considérations plus tité nationale, élections trompe-l’œil est dénoncé, la de l’esclave qu’il tient encore
actuelles. Il s’agit d’ «  assu- régionales  – a manifeste- prédation des richesses et de enchaîné  », ont-ils protesté,
mer, expliciter et rénover » la ment heurté ces ambitions. l’aide internationale par des fustigeant «  l’arrogance du
relation entre la France et ses M. Sarkozy, qui devait lui- élites africaines au pouvoir gouvernement français qui
anciennes possessions, ex- même lancer « 2010, année est largement stigmatisée. s’auto-élit ordonnateur des
plique M. Toubon, lui-même de l’Afrique  » en décembre «  Qu’avons-nous fait de nos fêtes nationales de pays sup-
figure du gaullisme africain. dernier, y a renoncé. Le son- cinquante ans ?, se désole Ab- posément indépendants  ».
Le fait qu’il ait qualifié la dage, publié par M. Toubon, dou Rahmane Mbengue dans Seule la Côte d’Ivoire de Lau-
réunion des chefs d’État fran- qui évalue à 69  % la pro- le quotidien sénégalais Walfa- rent Gbagbo a opposé une fin
cophones à Paris de «  fami- portion des Français ne se djiri. Voici un demi-siècle que de non-recevoir à l’invitation
liale  », le 1er  avril lors d’une sentant « pas concernés » par nous portons le bonnet d’âne de Paris. «  La Côte d’Ivoire
conférence de presse, a été le cinquantenaire, pourrait de l’humanité. » Dans le quo- entend célébrer le cinquante-
mal perçu. «  Il ne s’agit pas conforter ce silence. tidien Le Messager de Douala, naire seule, dans le cadre de sa
de paternalisme ni de nostal- Sur le continent africain, l’em- l’historien camerounais politique nationale de refon-
gie, se défend-il. Mais d’une barras est aussi perceptible, Achille Mbembe renchérit  : dation  », a pris acte Jacques
proximité qui existe avec les même s’il est d’une tout autre « Y a-t-il vraiment quoi que ce Toubon. M. Gbagbo, qui, élu
peuples, pas seulement avec nature. Le cinquantenaire gêne soit à commémorer ou faut-il en 2000 pour cinq ans, en-
les États. » des gouvernants qui n’ont au contraire tout reprendre ? » tame sa dixième année au
Le «  secrétaire général du guère envie d’être confrontés La difficulté est accrue par le pouvoir, se veut l’apôtre de
cinquantenaire  » souhaite à un bilan souvent calamiteux. fait que les tenants actuels la « seconde indépendance »
« mettre un peu de vérité et Rares sont donc les pays à avoir du pouvoir sont rarement les de son pays. Un mot d’ordre
de complexité  » dans une programmé des cérémonies héritiers des combattants pour qui, dans le contexte de la
relation franco-africaine grandioses, comme l’a fait le l’émancipation. Au Cameroun, célébration du cinquante-
qui n’est «  pas banale  ». Sénégal en inaugurant son où l’indépendance a été ac- naire, prend une singulière
« La mentalité française sur Monument de la renaissance quise au prix d’une guerre actualité.
l’Afrique, analyse-t-il, est africaine, le 3 avril. contre la France, sanglante
un mélange de familiarité, Dans la plupart des États, mais totalement occultée, et Philippe Bernard
d’empathie, et d’une forme quelques proclamations de l’assassinat du leader na- (29 avril 2010)
de condescendance qui place
l’immigration postcoloniale
dans une position très parti- pourquoi trompe-l’œil ». Le texte montre la notion de néocolonialisme.
culière. L’histoire coloniale cet article ? surtout que ces indépendances L’article aide surtout à com-
est une composante de l’his- ont été un leurre : non seule- prendre le mot Françafrique
toire de France. Elle ne peut Cet article illustre les relations ment la relation entre Paris qui peut être utilisé dans le
être que partagée. » entre la France et ses anciennes et l’Afrique noire est restée cadre d’une composition ou
Dix mois après sa nomina- colonies d’Afrique noire. Il per- de domination (références d’une étude de documents.
tion, M.  Toubon a été doté met de montrer l’un des piliers au «  paternalisme  » ou à la Péjoratif, le terme désigne les
d’un petit budget intermi- de la politique étrangère de la «  condescendance  »), mais réseaux politiques, écono-
nistériel de 16,3  millions Ve République : la constitution les États indépendants sont miques et culturels entretenus
d’euros (incluant des ma- d’une sphère d’influence fran- restés dans la misère (« bilan par la France pour défendre
nifestations organisées en çaise sur le continent africain. calamiteux  ») –  situation qui ses intérêts stratégiques, ou
Afrique). Il n’a toujours pas La question de la « décolonisa- permet d’évoquer les rela- d’autres plus personnels. De
obtenu de l’Élysée un clair tion » d’un point de vue général tions d’échange inégal de type nombreuses affaires d’ingé-
feu vert pour ses initiatives, peut aussi être abordée. Nord-Sud. La manière dont les rence coupable (au Rwanda en
hormis le défilé du 14 juillet La décolonisation de l’Afrique ressortissants des anciennes 1994), de corruption (affaire
et le concert africain qui doit noire s’est faite dans les an- colonies voient la France (« es- Elf) ou de trafics illicites (An-
suivre au Champ-de-Mars. nées 1960, de façon plutôt né- clavagiste » ou « colonisateur golagate) ponctuent ainsi les
Il plaide pour que le cinquan- gociée, ce que l’auteur évoque qui célèbre son oppression ») présidences de Valery Giscard
tenaire ne se limite pas à avec ironie quand il parle témoigne de l’échec de la déco- d’Estaing, François Mitterrand
des commémorations, mais «  d’octroi d’indépendance  en lonisation et permet d’illustrer ou Jacques Chirac.
soit l’occasion d’annonces

La France de 1945 à nos jours 91


le guide pratique
Le guide pratique

DÉROULEMENT
DE L’ÉPREUVE Méthodologie et conseils
• L’épreuve d’histoire-géographie
dure 4 heures. Elle impose aux can-
didats deux exercices – une « ma-
jeure » et une « mineure » –, chacun
dans une discipline différente.

• Si l’histoire est en majeure, la


géographie est en mineure, et
vice-versa. La détermination de
la discipline proposée en majeure
se fait par tirage au sort. Il n’y a
pas d’alternance d’une année sur
l’autre ; il est donc impossible de
déterminer quelle discipline sera
en majeure en se référant à l’année
antérieure.

• En histoire, la mineure propose


un choix entre deux sujets. Il
s’agit de textes le plus souvent,
mais le document peut aussi être
une image  : une photographie,
une caricature, une affiche, etc.

• En majeure, les candidats ont le


choix entre deux sujets de com-
position et une étude d’un en-
semble documentaire. Ces sujets
sont toujours pris dans des parties
différentes du programme. Les épreuves 4. Rédigez votre devoir. une composition. Pour cela, uti-
lisez les réponses aux questions
• La notation est globale, à l’appré- La composition L’étude d’un ensemble de la première partie, mais aussi
ciation du correcteur. Mais en règle 1. Analysez l’énoncé pour iden- documentaire les autres informations contenues
générale, 12 points sont attribués à tifier le « sujet » ainsi que ses li- 1. Analysez d’abord l’ensemble dans l’ensemble documentaire et
la majeure et 8 à la mineure. Il n’y mites spatiales et chronologiques. documentaire  : lisez son titre vos connaissances personnelles.
a pas de demi-point. Attention : le Cherchez ce que recouvrent ces général et les questions, repérez Subdivisez votre réponse en
correcteur peut sanctionner une limites (à quel temps fort corres- les thèmes des documents, pre- autant de paragraphes que de
mauvaise orthographe. pond une date, par exemple) et nez connaissance de la question grandes idées. Ce développement
dressez une liste de connaissances de synthèse. Le but de cette lec- doit être introduit et conclu en
• L’épreuve d’histoire-géogra- à mobiliser. ture est de dégager le sujet du quelques phrases.
phie a un coefficient de 4 pour devoir et les axes –  donnés par
les candidats de Terminale L, de 5 2. Définissez vos objectifs : la pro- les questions  – qui permettront L’étude d’un document historique
pour ceux de Terminale ES et de blématique que soulève le sujet et de le traiter. 1. Commencez par identifier le do-
3 pour les élèves de Terminale S. qui justifie que vous le traitiez ; la cument, sa nature, son auteur, s’il
conclusion à laquelle vous souhai- 2. Répondez aux questions en est officiel ou témoin. Soyez le plus
• L’oral de rattrapage dure 20
tez arriver. n’omettant jamais d’expliquer précis possible. S’il s’agit d’une
minutes, après une préparation
ce que vous observez dans les opinion, identifiez à quel camp ou
de même durée. Le candidat est
interrogé sur deux questions, l’une 3. Construisez votre plan en fonc- documents. Pour chacun d’entre courant l’auteur appartient. Pour
en histoire et l’autre en géogra- tion de ce qui est a démontrer : eux, interrogez-vous sur sa nature bien comprendre le document,
phie. L’une de ces deux questions le plan chronologique met en (document témoin, didactique, analysez son point de vue.
est « majeure ». Il faut être capable évidence une évolution ; le plan officiel) afin d’évaluer la confiance
de présenter les grandes lignes thématique permet de carac- que vous pouvez lui accorder. 2. Traitez les questions en évitant
d’une composition, autrement dit tériser une situation. Ce plan Méfiez-vous des documents qui la paraphrase  : sortez du docu-
le contenu d’une fiche-bac, puis de doit être détaillé  : il comporte donnent une opinion : il faut res- ment l’information qui répond
répondre aux questions de l’exa- au moins trois niveaux (parties, ter critique. à la question, traduisez ce qu’elle
minateur. Le second sujet consiste sous-parties et exemples) et fait signifie, puis confrontez-la aux élé-
le plus souvent à répondre à de apparaître les liens entre les 3. Construisez le plan de votre syn- ments du contexte pour pouvoir
courtes questions. parties. thèse comme vous le feriez pour en déduire quelque chose.

94
Le guide pratique

Quelques conseils
à celles de l’examen  : munis-
sez-vous d’un bloc de papier
passé. Par convention, n’utilisez
pas le je et évitez l’emploi du on.
CRITÈRES DE
brouillon, mettez-vous dans un De façon générale, les pronoms L’ÉVALUATION
Planifiez vos révisions endroit calme et limitez votre indéfinis comme certains sont à
Commencez par placer la date temps. Vous devez être capable de bannir : parce qu’ils sont imprécis, Le correcteur évalue le niveau des
de l’épreuve, puis remontez en dresser la liste des connaissances ils trahissent une ignorance ! connaissances du candidat, sa
partant une semaine avant celle- à mobiliser et d’élaborer une capacité à apporter une réponse
ci. Pour chacune des trois parties esquisse de plan. Ne récitez pas Les impasses organisée.
du programme, identifiez les «  dans votre tête  »  : l’important L’ampleur du programme d’His-
chapitres à revoir. Distribuez-les est de savoir énoncer par écrit ou toire incite de nombreux candi- savoir trier
ensuite dans votre planning de à voix haute. dats à faire des impasses. Il faut ses connaissances
façon équilibrée, en prévoyant bien entendu éviter d'en faire  ! Les connaissances présentées
quelques places vides pour rattra- Les erreurs à ne pas commettre le Mais si vous y êtes contraint(e), dans les manuels scolaires
per de possibles retards. jour de l’examen n’en faites pas sur toute une par- sont suffisantes. L’apport d’une
Ne relisez pas vos fiches de cours tie du programme : vous réduiriez connaissance extérieure (tirée de
Anticipez les sujets juste avant l’épreuve : à cet instant votre choix de sujet. Faites-les l’actualité, d’une autre discipline
Par chapitre et thème, en vous ai- précis, vous verrez plus vos fai- plutôt sur les sujets « rares », très ou d’une lecture personnelle) est
dant d’annales, dressez la liste des blesses que vos points forts ; c’est pointus ou ceux trop techniques toujours valorisant. Mais atten-
sujets susceptibles d’être donnés. le meilleur moyen d’accentuer que vous maîtrisez mal (les su- tion : essayer de faire croire que
Identifiez les sujets de cours (ceux votre stress ! jets d’histoire économique pour l’on sait ce qu’on ignore est une
qui sont très classiques et qui cor- Dans la copie, n’écrivez pas l’his- les élèves de Terminale  L, par erreur : à l’écrit, cela se traduit par
respondent au titre d’un chapitre), toire au futur : elle appartient au exemple). du « bavardage » que le correcteur
les transversaux (ceux qui obligent repère vite ; à l’oral, une question
à mobiliser les connaissances de précise de l’examinateur mettra
chapitres différents), les rares. Les immédiatement le candidat en
premiers permettent d’assurer difficulté, et le pénalisera.
une bonne note sans prendre de
risque. Ils sont plus faciles à traiter, Répondre
mais il est plus difficile de rendre à une question donnée
une copie qui sorte du lot. Préparez C’est montrer que l’on sait ana-
une fiche-bac par sujet identifié et lyser un énoncé pour identifier
mémorisez-la. le sujet imposé. Le hors-sujet est
à éviter car, quelle que soit la
Vérifiez vos connaissances par écrit richesse des connaissances expo-
Imaginez un sujet et récitez vos sées, l’élève obtiendra une note
connaissances en vous mettant inférieure à la moyenne.
dans les conditions semblables
construire un plan
Le plan doit être mis en valeur  :
pour cela, il faut aérer sa copie
Les trucs et astuces La fiche met en évidence un plan, Si la majeure est en histoire (com- pour isoler les grandes parties et
du prof dont les titres formulent l’argu- position ou étude d’un ensemble inscrire chaque argument dans
ment à développer et non l’axe. Par documentaire), faites celle-ci un paragraphe distinct. Des tran-
• La fiche-bac exemple, une fiche sur la Ve Répu- après avoir traité le croquis de sitions doivent être rédigées entre
Réalisez-la en vous appuyant sur blique doit avoir pour titre « un prési- géographie. les grandes parties, pour mettre en
vos notes de cours et le manuel. dent fort » et non « les institutions ». Utilisez une feuille de brouillon évidence les liens entre les diffé-
Elle peut tenir sur un bristol format La fiche met aussi en valeur les par partie, côté verso  : les rents arguments avancés.
portefeuille. Écrivez clairement, en idées des sous-parties et fait appa- connaissances reviennent sou-
utilisant des couleurs et des sur- raître les liens entre les parties. vent dans le désordre et pour maîtriser la langue
ligneurs. La fiche doit être très vi- Au dos de votre fiche, listez les no- bien faire son plan, il faut prévoir Il est important de relire sa copie.
suelle pour en repérer vite les conte- tions, dates, sigles et personnages de la place. Le plan doit aussi La présence de quelques fautes
nus. Elle n’en sera que plus efficace ! que vous devrez évoquer dans pouvoir être évalué dans sa to- d’orthographes ne pénalisera pas
Sur le thème qui donne son nom à votre devoir. Pour chaque informa- talité. Surveillez et gérez votre le candidat. Mais si le correcteur
la fiche, soulignez la problématique tion, ajoutez une courte définition. temps. Il faut compter 1 heure a l’impression que cet aspect est
qui vous paraît la plus générale et La fiche-bac doit faire l'objet d'une 15 environ pour une mineure, négligé dans le travail, un ou deux
encadrez l’idée forte de la conclu- mémorisation stricte. 2 heures 30 pour une majeure. points seront enlevés sur la note
sion. Par exemple, sur la construc- Une heure en moyenne doit être globale. Il faut aussi veiller à la
tion européenne de 1957 à 1992, • Le jour de l’examen consacrée à l’élaboration du bonne construction syntaxique
vous pouvez écrire : « une réussite Commencez par l’épreuve mineure plan : un plan bien détaillé se ré- des phrases : des phrases fluides et
longue à se dessiner ». (l’étude de document historique). digera vite. claires rendront agréable la lecture
de la copie.

95
Crédits

LE MONDE DE 1945 À NOS JOURS


Le monde en 1945
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Les relations Est-Ouest (1945-1991)
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Décolonisation et émergence du tiers-monde
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À la recherche d’un nouvel ordre mondial
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L’EUROPE DE 1945 À NOS JOURS


La construction de l’Europe de l’Ouest
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Les démocraties populaires
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LA FRANCE DE 1945 À NOS JOURS


La France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale
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p. 65 © Tous droits réservés.
De la IV e à la V e République
p. 72 © Tous droits réservés.
p. 73 © Tous droits réservés.
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Le rôle de la France dans le monde depuis 1945
p. 84 © Tous droits réservés.
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LE GUIDE PRATIQUE
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Achevé d’imprimer en Italie en janvier 2011.


Dépôt légal : février 2011.
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l’essentiel du cours
• Des fiches synthétiques
• Les points clés
du programme
• Les définitions clés
• Les repères importants

DES sujets de bac


• 11 sujets commentés
• L’analyse des sujets
• Les problématiques
• Les plans détaillés
• Les pièges à éviter

DES ARTICLES DU MONDE


• Des articles du Monde
en texte intégral
• Un accompagnement
FAVORISER L’ÉDUCATION POUR TOUS pédagogique de chaque

3:HIKTKI=XU\^UW:?a@k@b@a@p;
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À la MAIF, en tant que mutuelle d’assurance conçue par des MAIF, nous créons régulièrement des outils éducatifs qui facilitent
enseignants, nous sommes convaincus de cette priorité depuis l’apprentissage de la lecture, de la culture ou de la sécurité routière. M 09083 - 10 H - F: 7,90 E - RD un guide pratique
longtemps. Alors, nous agissons aux côtés des parents et des Et pour s’engager davantage, la MAIF a créé le Fonds MAIF pour
• La méthodologie
enseignants pour favoriser l’éducation des enfants. Nous savons l’Éducation, car favoriser l’accès à l’éducation pour tous
des épreuves
que leur avenir dépend de ce que nous leur aurons appris et des aujourd’hui, c’est aider à construire demain une société plus
valeurs que nous leur aurons transmises. Voilà pourquoi, à la juste et plus responsable.
• Astuces et conseils

En partenariat avec
MAIF - Société d’assurance mutuelle à cotisations variables - 79038 Niort cedex 9. Filia-MAIF - Société anonyme au capital de 114 337 500  entièrement libéré - RCS Niort : B 341 672 681 (87 B 108)
79076 Niort cedex 9. Entreprises régies par le Code des assurances.

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