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Cours 1

Raconter : le discours narratif


Nous vivons dans un monde de récits ! Tous les jours, nous racontons, ou on nous
raconte, des faits, des anecdotes de la vie quotidienne. La presse écrite, la télévision
rapportent des événements politiques, des exploits sportifs, des faits divers qui ont réellement
eu lieu. Les romans, les bandes dessinées nous plongent dans des histoires imaginaires. Les
films, eux aussi, racontent des histoires en images.
Pour qu'il y ait un récit, il faut qu'un événement au moins, grand ou petit, se soit passé.
L'histoire a un début et une fin : entre les deux, la situation, par étapes, a évolué. Par exemple,
entre le moment où le Petit Prince apparaît dans le désert à l'aviateur et celui où il meurt,
piqué par un serpent, il a fait plusieurs rencontres qui lui ont montré qu'il ne pouvait pas
s'adapter à la vie sur notre planète.
Dans chaque histoire, il y a un ou plusieurs personnages. Ils agissent sur les
événements ou bien ils en sont les victimes. Dans les contes, on trouve toujours un héros, des
ennemis, une victime. Chacun, ainsi, a un rôle dans l'histoire.
L'histoire se déroule dans certains lieux et à une certaine époque, qu'on peut ou non
déterminer. Les verbes et les indications de temps montrent la succession des actions et leur
progression.

Le début d'un récit


Un début de récit doit éveiller l'intérêt du lecteur et lui fournir des clés qui lui
permettent d'entrer dans l'histoire.
Quels procédés mettent en œuvre les romanciers pour atteindre ces objectifs ?

1. Éveiller l'intérêt
Le lecteur peut aimer retrouver des habitudes de lecture. Lorsqu'il lit : « Il était une
fois… », il s'attend à lire un conte et se dispose à entrer dans un monde merveilleux. Mais il
aime aussi être surpris, intrigué. C'est pourquoi le narrateur doit s'efforcer, au début de son
récit, d'exciter sa curiosité. Il a le choix entre plusieurs procédés :
— présenter un personnage, un lieu ou un objet qui attire l'attention ;
« En l'année 1872, la maison portant le numéro 7 de Saville-row, Burlington Gardens
[…] était habitée par Phileas Fogg, esq., l'un des membres les plus singuliers et les plus
remarqués du Reform-club de Londres, bien qu'il semblât prendre à tâche de ne rien faire qui
pût attirer l'attention. » (Jules Vernes, le Tour du monde en quatre-vingts jours)
— commencer tout de suite le récit, sans introduction préalable ;
« Un jour, Gaspard Mac Kitycat, le Cher Ami Chat de Thomas se mit à parler. »
(Claude Roy, le Chat qui parlait malgré lui)
— débuter par un dialogue et donner au lecteur le sentiment qu'il prend le récit en
cours ;
« — Attends-moi, Grangibus ! héla Boulot, ses livres et ses cahiers sous le bras.
— Grouille-toi, alors, j'ai pas le temps de cotainer, moi !
— Y a du neuf ?
— Ca se pourrait ?
— Quoi ?
— Viens toujours ! » (Louis Pergaud, la Guerre des boutons)

2. Présenter la situation initiale


Le plus souvent, le début d'un récit permet de répondre aux questions suivantes :
qui ? où ? quand ? quoi ? (de quoi s'agit-il ?).
Examinons par exemple le début du roman la Pipe de Maigret de Simenon :
« Il était sept heures et demie. Dans le bureau du chef, avec un soupir d'aise et de
fatigue à la fois, un soupir de gros homme à la fin d'une chaude journée de juillet, Maigret
avait machinalement tiré sa montre de son gousset. Puis il avait tendu la main, ramassé ses
dossiers sur le bureau d'acajou. […] Il rentrait dans son bureau. Il déposait ses dossiers sur un
coin du bureau, frappait le fourneau de sa pipe encore chaude sur le rebord de la fenêtre,
revenait s'asseoir, et sa main, machinalement, cherchait une autre pipe là où elle aurait dû être,
à sa droite. Elle ne s'y trouvait pas. »
Qui ? Maigret, un commissaire de police.
Où ? Dans les bureaux de la police judiciaire.
Quand ? Un soir, à sept heures et demie.
Quoi ? Maigret ne retrouve pas une de ses pipes.
Selon les romanciers, cette introduction est plus ou moins développée. Dans les
romans de Balzac, par exemple, elle s'étend sur plusieurs pages. Dans d'autres récits, à peine
la situation initiale est-elle esquissée qu'un événement survient qui la modifie.
Dans un récit au passé, c'est le passage de l'imparfait au passé simple (ou au passé
composé) qui marque l'irruption de l'action.
« Il était sept heures, par un soir très chaud, sur les collines de Seeonee. Père Loup
s'éveilla de son somme journalier, se gratta, bâilla et détendit ses pattes l'une après l'autre
[…].
— Augrh ! dit Père Loup, il est temps de se remettre en chasse. » (Rudyard Kipling, le
Livre de la Jungle)
Cours 2

Les temps verbaux dans un récit


On appelle moment de l'énonciation le moment où l'on raconte l'histoire. Selon que le
narrateur fait référence au moment de l'énonciation ou non, il n'utilise pas le même
« système » de temps. En quoi consistent ces systèmes et comment emploie-t-on chacun de
leurs temps ?

1. Les deux systèmes de temps

1.1. Le narrateur fait référence au moment de l'énonciation


Il emploie :
— le présent pour raconter les événements qui se déroulent ou qui semblent se dérouler
(présent de narration) au moment de l'énonciation,
— le passé composé (et l'imparfait) pour raconter les événements qui se situent avant
le moment de l'énonciation,
— le futur pour raconter les événements qui se situent après le moment de
l'énonciation.
C'est le système de temps auquel a recours le narrateur de l'histoire de Lalla, dans
Désert : « Lalla connaît tous les chemins […]. Pourtant, chaque fois qu'elle marche ici, il y a
quelque chose de nouveau. Aujourd'hui c'est le bourdon doré qui l'a conduite très loin, au-delà
des maisons de pêcheurs et de la lagune d'eau morte. Entre les broussailles, un peu plus tard, il
y a eu tout à coup cette carcasse de métal rouillé qui dressait ses grilles et ses cornes
menaçantes. » (Le Clézio, Désert)

1.2. Le narrateur ne fait pas référence au moment de l'énonciation


Il emploie :
— le passé simple (et l'imparfait) pour raconter les événements contemporains du
moment qui sert de repère,
— le passé antérieur et le plus-que-parfait pour raconter les événements qui se situent
avant ce moment repère,
— le futur du passé pour raconter les événements qui se situent après ce moment
repère.
Dans Désert, le narrateur fait appel, pour un autre récit, à ce second système de temps :
« Tout de suite, [Nour] découvrit l'assemblée des hommes dans la cour de la maison du
cheikh. […] Quand ses yeux furent habitués au contraste de l'ombre et des lueurs rouges des
braseros, Nour reconnut la silhouette du vieil homme. C'était le grand cheikh Ma el Aïnine,
celui qu'il avait déjà aperçu quand son père et son frère aîné étaient venus le saluer, à leur
arrivée au puits de Smara. » (op. cit.)

1.3. Bilan

Remarque :
Dans un récit à la première personne, le narrateur emploie en règle générale le passé
composé pour rapporter des événements écoulés. Dans un récit à la 3e personne, sans
intervention du narrateur, le temps dominant est le passé simple.
Un récit au passé composé donne le sentiment que les événements narrés appartiennent
à un passé proche tandis qu'un récit au passé simple crée une impression d'éloignement.

2. Temps de base et temps complémentaires

2.1. Le premier plan du récit


Les faits qui font progresser une histoire constituent le premier plan du récit.
Dans un récit qui fait référence au moment de l'énonciation, les faits de premier plan
sont rapportés au présent ou au passé composé.
Prenons pour exemple le début du roman Désert : « Saguiet el Hamra, hiver 1909-1910.
Ils sont apparus, comme dans un rêve, au sommet de la dune, à demi cachés par la brume de
sable que leurs pieds soulevaient. Lentement ils sont descendus dans la vallée, en suivant la
piste presque invisible. »
Dans un récit qui ne fait pas référence au moment de l'énonciation, les faits de premier
plan sont rapportés au passé simple.
On considère que le présent, le passé composé et le passé simple sont des temps de
base du récit. C'est à l'un ou l'autre de ces temps qu'est rédigé le récit de base.

2.2. L'arrière-plan du récit


Les faits qui informent sur le cadre de l'action, l'aspect, le caractère ou les sentiments
des personnages constituent l'arrière-plan du récit.
Dans un récit au passé composé ou au passé simple, les faits d'arrière-plan sont
rapportés à l'imparfait s'ils se déroulent au même moment que les faits de premier plan. C'est
pourquoi, on dit de l'imparfait que c'est le temps de la description et du commentaire.
Voici la suite de l'extrait précédent ; le narrateur, après avoir évoqué la descente de la
caravane dans la vallée (faits de premier plan rapportés au passé composé), décrit la
composition de la caravane (faits d'arrière-plan rapportés à l'imparfait) : « En tête de la
caravane, il y avait les hommes, enveloppés dans leurs manteaux de laine, leurs visages
masqués par le voile bleu. Avec eux marchaient deux ou trois dromadaires, puis les chèvres et
les moutons harcelés par les jeunes garçons. Les femmes fermaient la marche. » (op. cit.)
Le passé antérieur et le plus-que-parfait permettent d'exprimer des faits antérieurs
aux faits de premier plan. Ce sont également des temps complémentaires du récit. « Ils
avaient marché ainsi pendant des mois, des années peut-être. Ils avaient suivi les routes du
ciel entre les vagues des dunes […] » (op. cit.)
Cours 3

Ordre et vitesse du récit


Le discours narratif raconte une histoire par l'intermédiaire d'un narrateur. Le récit qui
en résulte obéit-il à une structure type ? Les événements rapportés suivent-ils toujours l'ordre
chronologique ? Selon les récits, le rapport entre la longueur du récit et la durée des
événements de l'histoire peut-il varier ?

1. La structure type d'un récit : le schéma narratif

« Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu. » Cette formule célèbre, attribuée à l'empereur César,
résume d'une façon laconique, les trois étapes minimales d'un récit : une situation initiale,
des péripéties et une situation finale.

1.1. La situation initiale


Au début du récit, le narrateur présente le lieu, l'époque, les personnages. La situation
des personnages paraît stable : dans Vendredi ou la vie sauvage, de Michel Tournier,
Robinson voyage sur un bateau qui semble sûr ; dans Tartarin de Tarascon, d'Alphonse
Daudet, Tartarin vit tranquillement sa vie de « chasseur de casquettes » à Tarascon.

1.2. L'événement perturbateur


Un élément inattendu vient modifier ou bouleverser cette situation, et donc détruire
l'équilibre : la tempête, dans Vendredi ou la vie sauvage ; dans le roman d'Alphonse Daudet,
la confrontation du « héros » et d'un lion de ménagerie, qui conduit Tartarin à partir pour
l'Algérie.
Cet événement perturbateur, ou complication, transforme la situation : naufragé sur une
île déserte, Robinson va ainsi découvrir une autre vie ; Tartarin va mettre ses rêves à l'épreuve
de la réalité.

1.3. Les péripéties


L'élément perturbateur entraîne une succession de péripéties qui correspondent à
autant d'étapes du récit. Chacune d'elle est liée soit à un nouvel événement, soit à l'arrivée
d'un nouveau personnage.
Dans Vendredi ou la vie sauvage, l'arrivée de Vendredi vient modifier la vie que
Robinson avait commencé à organiser dans sa solitude. Ce dernier se comporte d'abord en
maître, à l'égard de Vendredi. Puis les relations s'inversent, etc.
En Algérie, Tartarin rencontre successivement : une Mauresque, le « prince » Grégory
de Monténégro, Baïa, puis Bombonnel le tueur de panthères, etc.

1.4. La résolution et la situation finale


Au bout de la chaîne des actions, un nouvel élément, ou résolution, vient rétablir un
équilibre différent. On aboutit à une situation finale où les obstacles, en principe, sont
surmontés : c'est le dénouement. Dans Vendredi ou la vie sauvage, Robinson choisit la vie
sauvage et reste sur son île, tandis que Vendredi se laisse tenter par la civilisation.
Après avoir tué par mégarde un lion aveugle et apprivoisé, Tartarin, lui, rentre à
Tarascon, auréolé d'une gloire inattendue.

2. L'ordre du récit

2.1. Les indicateurs temporels


La progression narrative, c'est-à-dire l'ordre selon lequel les événements sont racontés,
est marquée par des indicateurs temporels. On distingue :
— les indicateurs absolus (dates précises) ;
Ex. : « À la fin de l'après-midi du 29 septembre 1759, le ciel noircit tout à coup dans la
région de l'archipel Juan Fernandez. » (Michel Tournier, op. cit.)
— les indicateurs relatifs qui se réfèrent à un moment repère dans le récit.
Ex. : « D'heure en heure, par les hublots de la cabine où il mettait le nez quelquefois,
Tartarin vit le bleu du ciel pâlir ; puis enfin, un matin […] il entendit avec bonheur chanter
toutes les cloches de Marseille. » (Alphonse Daudet, op. cit.)

2.2. Les retours en arrière


Cependant, le récit ne suit pas toujours un ordre chronologique : il arrive que le
narrateur commence son récit au milieu et fasse un retour en arrière. Ainsi, dans l'Odyssée,
Ulysse, accueilli par les Phéaciens, entreprend le récit de ses aventures (chants IX à XII) :
« Allons, je vais te raconter le retour aux mille traverses, que Zeus m'impose depuis mon
départ de Troie. » Il s'agit alors d'un récit enchâssé dans le récit principal.
Il arrive même que le narrateur parte de la situation finale pour nous expliquer
comment elle a pu se produire. Ex. : « Au temps dont je vous parle, Tartarin n'était pas encore
le Tartarin qu'il est aujourd'hui, le grand Tartarin de Tarascon si populaire dans tout le midi de
la France. Pourtant — même à cette époque — c'était déjà le roi de Tarascon. Disons d'où lui
venait cette royauté. » (Alphonse Daudet, op. cit.)
Au cinéma, ce procédé s'appelle un flash back.

2.3. Les anticipations


Le narrateur peut faire imaginer au lecteur la suite du récit, notamment au moment de la
conclusion. Il emploie alors soit le futur simple dans un récit au présent ou le futur du passé
dans un récit au passé : « Ils inventeraient de nouveaux jeux, de nouvelles aventures, de
nouvelles victoires. Une vie toute neuve allait commencer. » (Michel Tournier, op. cit.)

3. La vitesse du récit
Non seulement le récit n'est pas toujours chronologique, mais il peut être plus ou moins
rapide : on parle à ce propos de rythme narratif ou vitesse du récit.

3.1. Accélérations et ralentissements

Une grande partie du récit peut être consacrée à un épisode très bref, tandis que de
nombreuses années peuvent être racontées en quelques pages.
C'est le cas dans l'Odyssée : le récit des aventures d'Ulysse (pendant neuf années)
occupe trois chants sur vingt-quatre ; toute la seconde moitié du poème (douze chants) est
consacrée à l'arrivée d'Ulysse à Ithaque et à sa vengeance, épisode qui ne dure que quelques
semaines. On peut parler, dans ce cas, d'accélération pour le récit des aventures d'Ulysse et
de ralentissement pour le récit de sa vengeance.

3.2. Les pauses


Les pauses sont des interruptions momentanées du récit de l'action. Elles peuvent être
occasionnées par une description ou un commentaire du narrateur.
L'importance et la place des descriptions contribuent à modifier la vitesse du récit. Les
romans d'Alexandre Dumas comportent ainsi peu de descriptions : ce sont des romans
d'action, où les événements se succèdent rapidement.
En revanche, l'action, dans les romans de Jules Verne, est longuement préparée par des
descriptions techniques. Le récit est ralenti ; la description, en faisant attendre la suite des
événements, tient le lecteur en haleine et crée un effet de suspense.
Il peut arriver également que le narrateur (ou l'auteur en tant que tel) interrompe son
récit pour donner au lecteur des explications sur le lieu, l'époque, une coutume... ou pour
exprimer une opinion personnelle.
Cours 4

Le point de vue du narrateur


Le narrateur est celui qui raconte l'histoire. Peut-il se confondre avec l'auteur ? Avec
l'un des personnages ? Quels sont les différents points de vue qu'il peut adopter sur les
événements narrés ?

1. Qui raconte l'histoire ?


C'est le narrateur qui raconte l'histoire. Il se distingue de l'auteur (la personne réelle qui
a créé le texte et dont le nom est sur la couverture du livre), sauf dans un récit
autobiographique comme par exemple le Sac de billes de Joseph Joffo.
Selon le cas, il participe à l'histoire, dont il est un des personnages, ou n'y participe pas.

1.1. Le narrateur participe à l'histoire


Si le narrateur participe à l'histoire, le récit est rédigé à la 1re personne. On peut alors
distinguer deux cas :
— le narrateur est le personnage principal ; c'est le cas par exemple dans Sans famille
d'Hector Malot, où le narrateur est Rémi, le personnage principal (« Je suis un enfant trouvé.
Mais, jusqu'à huit ans, j'ai cru que, comme tous les autres enfants, j'avais une mère […] ») ;
— le narrateur est un personnage secondaire qui joue le rôle de témoin : il parle à la
première personne pour rapporter ce qu'il a vu ou entendu. Ce cas est beaucoup plus rare.
Ainsi, dans le Grand Meaulnes d'Alain Fournier, c'est François, le fils de l'instituteur, qui
raconte l'histoire du personnage principal, Augustin Meaulnes : « Nous étions depuis dix ans
dans ce pays lorsque Meaulnes arriva. J'avais quinze ans ».

1.2. Le narrateur ne participe pas à l'histoire


Si le narrateur ne participe pas à l'histoire, le récit est rédigé à la 3e personne. Il existe
alors deux possibilités :
— le narrateur, extérieur aux faits, n'intervient pas. Il présente les événements sans
commentaire ; l'histoire donne alors l'impression de se raconter toute seule ;
— le narrateur manifeste sa présence par des commentaires sur les lieux, les
personnages ou les situations de son récit ; interrompant son récit à la 3e personne, il peut
même intervenir à la 1re personne (« Nous avouerons que notre héros était fort peu héros en ce
moment », ironise Stendhal, dans la Chartreuse de Parme, à propos de Fabrice del Dongo à la
bataille de Waterloo) ou prendre à partie son lecteur à la 2e personne. On parle dans ce cas
d'interventions ou d'intrusions du narrateur.

2. Selon quel point de vue ?


Dans un récit à la première personne, les événements sont narrés selon le point de vue
du narrateur ; c'est lui qui interprète les faits. Son point de vue est donc « interne ». Dans un
récit à la 3e personne, le narrateur peut adopter :
— un point de vue externe,
— un point de vue interne (quand il montre les faits du point de vue d'un personnage)
— ou le point de vue de celui qui sait tout (omniscient).

2.1. Le point de vue externe (ou focalisation externe)


Le narrateur est totalement extérieur aux événements qui se déroulent. Il se contente
donc de raconter ce qu'il peut voir et entendre, rien de plus ; il ne sait rien en particulier de ce
qui s'est passé avant. Le lecteur est alors dans la même situation que lui.
Ce point de vue, peu fréquent, prévaut par exemple au début du récit l'Enfant de la
haute mer de Jules Supervielle : « Comment s'était formée cette rue flottante ? Quels marins,
avec l'aide de quels architectes, l'avaient construite dans le haut Atlantique à la surface de la
mer, au-dessus d'un gouffre de six mille mètres ? […] Et cette enfant de douze ans si seule qui
passait en sabots d'un pas sûr dans la rue liquide, comme si elle marchait sur la terre ferme ?
Comment cela se faisait-il ? Nous dirons les choses au fur et à mesure que nous les verrons et
que nous saurons. Et ce qui doit rester obscur le sera malgré nous. »

2.2. Le point de vue interne (ou focalisation interne)


Le narrateur ne montre que ce qu'un personnage peut voir et savoir. Il ne voit et ne
sait rien de plus que lui. C'est le point de vue utilisé par Daniel Pennac dans Cabot-Caboche.
Le récit est à la 3e personne mais tous les faits sont racontés du point de vue du Chien :
« — Qu'est-ce que c'est que ces hurlements ?
Alors là, c'est une tout autre voix. Cela sort en grondant du corps immense du Grand
Musc, et les mots se mettent à rouler dans la cuisine, comme les rochers d'une avalanche, ou
plutôt – le chien n'a jamais vu d'avalanche – comme les vieux sommiers, les carcasses de
téléviseurs et les réfrigérateurs déglingués dans la décharge de Villeneuve, près de Nice. »

2.3. Le point de vue omniscient (ou focalisation zéro)


Le narrateur en sait plus que les personnages ; il voit tout et sait tout comme une sorte
de dieu, on dit qu'il est omniscient.
Il connaît notamment le passé des personnages et leur histoire : « M. Jo était le fils
unique d'un très riche spéculateur dont la fortune était le modèle de la fortune coloniale. »
(Marguerite Duras, Un barrage contre le Pacifique)
Il connaît aussi leurs pensées : « Une pensée surtout faisait bondir [Dantès] : c'est que
pendant cette traversée, où, dans son ignorance du lieu où on le conduisait, il était resté si
calme et si tranquille, il aurait pu dix fois se jeter à la mer […]. » (Alexandre Dumas, le
Comte de Monte-Cristo)
Cours 5

Les descriptions dans un récit


Quand nous lisons un roman, il nous arrive de « sauter » les descriptions parce qu'elles
nous semblent trop longues et que nous sommes impatients de connaître la suite de l'histoire.
À quoi servent donc les descriptions que l'on trouve insérées dans les récits de la plupart
des romanciers et comment les analyser ?

1. Le rôle des descriptions


Pourquoi un narrateur arrête-t-il son récit pour décrire un lieu, un personnage ou un
objet ? Contrairement à ce que pourrait penser le lecteur impatient, ces pauses sont rarement
gratuites. Très souvent, une description apporte des informations qui éclairent l'action.
Quand l'auteur du Bossu, Paul Féval, interrompt son récit pour décrire la distribution du
château de Caylus (« Au château de Caylus, trois corridors se coupaient à angle droit : un
pour le corps de logis, deux pour les ailes en retour. L'appartement du prince était situé dans
l'aile occidentale, terminée par l'escalier qui menait aux étuves. »), c'est pour permettre au
lecteur de mieux comprendre l'attentat qui va suivre.
D'une manière générale, les descriptions dotent les lieux et personnages du récit d'une
plus grande réalité et contribuent à façonner l'atmosphère du récit. Une description peut
également être utilisée pour retarder l'action et augmenter le suspense dramatique.

2. Croquis et description minutieuse

Certaines descriptions sont très rapides. Il s'agit de notations descriptives. Tout se


passe comme si le romancier se contentait de faire un croquis du lieu ou du personnage
évoqué. Voici par exemple Paul Féval esquissant à grands traits la vallée de Louron, théâtre
de l'action à venir : « c'est la vallée de Louron avec ses oasis fleuries, ses torrents prodigieux,
ses roches fantastiques et sa rivière, la brune Clarabide […], avec ses forêts étranges et son
vieux château vaniteux, fanfaron, invraisemblable comme un poème de chevalerie. (Paul
Féval, le Bossu)
Une description minutieuse suit, elle, un ordre précis. S'il s'agit d'un lieu, le regard
peut aller, par exemple, de gauche à droite ou du premier plan à l'arrière-plan comme dans
l'extrait qui suit : « Le château de Caylus couronnait dignement cette prodigieuse muraille.
Les deux tours principales, qui flanquaient le corps de logis au sud-est et au nord-est, étaient
carrées et plutôt trapues que hautes. Les fenêtres toujours placées au-dessus d'une meurtrière
étaient petites, sans ornement […]. C'était le premier plan, et cette ordonnance austère restait
en harmonie avec la nudité du Hachaz. Mais derrière la ligne droite de ce vieux corps de
logis, un fouillis de pignons et de tourelles suivait le plan ascendant de la colline et se
montrait en amphithéâtre. Le donjon […] couronnait cette cohue de toitures, semblable à un
géant parmi des nains. » (op. cit.)

3. Les portraits
Si c'est un personnage qui est décrit, on parle de portrait. Comme le portraitiste, le
narrateur cherche à mettre en évidence, mais avec des mots, les traits dominants de son
modèle : « Gonzague était un homme de trente ans, un peu efféminé de visage, mais d'une
beauté rare au demeurant. […] Ses cheveux noirs, soyeux et brillants, s'enflaient autour de son
front plus blanc qu'un front de femme […]. Ses yeux noirs avaient le regard clair et
orgueilleux des gens d'Italie. Il était grand, merveilleusement taillé ; sa démarche et ses gestes
avaient une majesté théâtrale. » (op. cit.)
Selon le cas, le narrateur peut croquer son personnage (« C'était une fille de Madrid, aux
yeux de feu, au cœur plus ardent que ses yeux », op. cit.) ou en faire un portrait minutieux
(voir l'exemple du portrait précédent) ; dans ce cas, le portrait physique est le plus souvent
associé à un portrait moral ; ainsi du portrait de Philippe de Gonzague se dégage l'impression
d'un personnage gâté par la vie et vaniteux.
Le personnage peut être montré immobile ou en action ; voici une servante d'auberge
montrée dans l'exercice de son métier : « Une jeune fille, ayant la jupe éclatante et le corsage
lacé des paysannes de Foix, servait avec empressement, apportant brocs, gobelets d'étain, feu
pour les pipes dans un sabot […] (op. cit.)
Enfin le narrateur peut avoir besoin de présenter :
— deux personnages (avec le plus souvent un effet de contraste) ;
« L'un enfourchait un vieux cheval de labour à longs crins mal peignés, à jambes
cagneuses et poilues ; l'autre était assis sur un âne, à la manière des châtelaines voyageant au
dos de leur palefroi. » (op. cit.)
— un groupe de personnages (portrait collectif).
« Il n'y avait pas une seule tête qui ne portât le mot spadassin écrit en lisibles caractères.
C'étaient toutes figures bronzées, tous regards impudents, toutes effrontées moustaches. » (op.
cit.)
Cours 6
Les dialogues dans un récit
La part des dialogues dans un récit peut être très importante. Ainsi en est-il par exemple
dans beaucoup de romans policiers.
Pourquoi le narrateur choisit-il d'interrompre son récit pour faire entendre ses
personnages ? Comment s'y prend-il ?

Le dialogue
Très courant dans la vie quotidienne, sous une forme orale, le dialogue est également
utilisé à l'écrit par les auteurs de théâtre et les romanciers.
Quelles sont ses caractéristiques générales ? Quels aspects particuliers présente-t-il dans
un récit ou dans une pièce de théâtre ?

1. Qu'est-ce qu'un dialogue ?


L'étymologie (en grec, dia et logos signifient respectivement « entre » et « parole »)
permet de définir le dialogue comme un échange de paroles entre deux ou plusieurs
interlocuteurs.
C'est un énoncé qui dépend d'une situation d'énonciation par rapport à laquelle il
peut être interprété ; il présente donc des indices d'énonciation, à savoir :
— des pronoms personnels et déterminants possessifs de la première et de la deuxième
personne qui renvoient aux interlocuteurs ;
— des déterminants et des pronoms démonstratifs qui montrent des êtres ou des objets
présents au moment de l'énonciation ;
— des mots ou groupes de mots qui font référence au lieu et au moment de
l'énonciation ;
— des temps verbaux qui situent les faits par rapport au moment de l'énonciation
(présent d'actualité, passé composé, imparfait, futur).
Observons ce dialogue extrait de Poil de Carotte :
« Si M. Lepic tue un lièvre au début de la chasse, il dit :
— Veux-tu le laisser à la première ferme ou le cacher dans une haie, et nous le
reprendrons ce soir ?
— Non, papa, dit Poil de Carotte, j'aime mieux le garder. […]
— Attends-moi ici, dit parfois M. Lepic. Je vais battre ce labouré. » (Jules Renard, Poil
de Carotte)
Dans ce dialogue, on relève plusieurs indices d'énonciation :
— les pronoms personnels je, moi, tu, qui renvoient aux deux personnages qui parlent,
Poil de Carotte et son père ;
— le déterminant démonstratif ce dans ce labouré, qui sert à désigner le labouré que
voit M. Lepic ;
— le GN ce soir et l'adverbe ici, qui font référence au moment et au lieu de
l'énonciation ;
— le présent (veux, aime) et le futur (reprendrons, vais prendre) qui situent les faits par
rapport au moment de l'énonciation.

2. Le dialogue dans un récit


Les romanciers et auteurs de nouvelles emploient souvent des passages dialogués dans
leurs récits. Les propos de leurs personnages sont rapportés tels qu'ils ont été prononcés, pris
sur le vif ; c'est pourquoi on parle aussi de discours direct.

2.1. Pourquoi insérer des dialogues dans un récit ?


L'emploi d'une séquence dialoguée dans un récit produit un double effet :
— d'une part, un effet de réel : rapporter les paroles d'un ou de plusieurs personnages
permet de leur donner corps, de les rendre plus vivants, plus proches ;
— d'autre part, un effet dramatique : les dialogues permettent de faire avancer l'action
« en temps réel ».
Observons cet autre extrait de Poil de Carotte dans lequel on a vraiment l'impression
d'entendre ce parrain un peu bourru mais au cœur d'or :
« Quelquefois Mme Lepic permet à Poil de Carotte d'aller voir son parrain et même de
coucher avec lui. C'est un vieil homme bourru, solitaire, qui passe sa vie à la pêche ou dans la
vigne. Il n'aime personne et ne supporte que Poil de Carotte.
— Te voilà, canard !, dit-il.
— Oui, parrain, dit Poil de Carotte sans l'embrasser, m'as-tu préparé ma ligne ?
— Nous en aurons assez d'une pour nous deux, dit parrrain. » (op. cit.)

2.2. Comment insérer un dialogue dans un récit ?


Intégrer un dialogue dans un récit nécessite l'emploi :
— de guillemets (l'un ouvrant et l'autre fermant) pour en délimiter le début et la fin ;
— de tirets pour indiquer les changements de locuteur ;
— de verbes de parole (le verbe dire et tous ses synonymes) contenus dans une
proposition chargée de préciser la situation d'énonciation ; cette proposition précède les
propos tenus, les coupe ou les suit ; dans ces deux derniers cas, on parle de proposition incise
(attention, le sujet y est toujours inversé).
Ex. : « Poil de Carotte joue seul dans la cour, au milieu, afin que Mme Lepic puisse le
surveiller par la fenêtre, et il s'exerce à jouer comme il faut, quand le camarade Rémy paraît.
[…] Il porte un panier et dit :
— Viens-tu, Poil de Carotte ? Papa met le chanvre dans la rivière. Nous l'aiderons et
nous pêcherons des têtards avec des paniers.
— Demande à maman, dit Poil de Carotte. » (op. cit.)
Le passage dialogué est bien encadré par des guillemets ; le changement d'interlocuteur
est marqué par un tiret. On observe par ailleurs que les paroles de Rémy sont annoncées par
un verbe de parole ; celles de Poil de Carotte sont suivies d'une proposition incise (dit Poil de
Carotte) contenant un verbe de parole.

3. Le dialogue de théâtre
Un texte de théâtre peut être défini comme une sorte de long dialogue dont les
interlocuteurs varient d'une scène à l'autre. Ce dialogue, qui est écrit pour être dit, n'est pas
enchâssé dans un texte narratif ; il n'est accompagné que de brèves indications pour le lecteur,
qui comprennent les noms des personnages ainsi que des précisions sur la situation
d'énonciation (les didascalies).
Revenons à Poil de Carotte dont les dialogues très nombreux revêtent souvent une
présentation théâtrale :
« Madame Lepic : — Où vas-tu ?
Poil de Carotte (Il a mis sa cravate neuve et craché sur ses souliers à les noyer) : — Je
vais me promener avec papa.
Madame Lepic : — Je te défends d'y aller, tu m'entends ? Sans ça… (Sa main droite
recule comme pour prendre son élan.)
Poil de Carotte, bas : — Compris. » (op. cit.)
4 .Le rôle des dialogues

4.1. Révéler le caractère ou les sentiments des personnages


Dans les dialogues, les personnages montrent leur personnalité. Ils prennent vie.
« — Tu sais ce qui ne va pas chez toi ? dit la vieille femme, en regardant Georges de ses
petits yeux brillants de méchanceté. Tu grandis trop vite. Les garçons qui grandissent trop vite
deviennent stupides et paresseux.
— Mais je n'y peux rien, Grandma, réplique Georges.
— Si, tu peux, coupa-t-elle. Grandir est une sale manie des enfants. » (Roald Dahl, la
Potion magique de Georges Bouillon)
Ce dialogue met ici en lumière la méchanceté caricaturale de Grandma.
Très souvent, le dialogue permet ainsi au narrateur de faire l'économie d'un
commentaire psychologique ; les personnages se révèlent directement à travers leurs
paroles ; les exclamations, les points de suspension traduisent leurs émotions :
« Maudit serpent de fille ! Ah ! mauvaise graine, tu sais bien que je t'aime, et tu en
abuses. Elle égorge son père !... » (Balzac, Eugénie Grandet)

4.2. Faire avancer l'action


Dans les dialogues, les personnages s'expliquent, discutent, échangent des informations.
Ainsi, ils font avancer l'action. Le dialogue est donc une autre façon pour le narrateur de
continuer son récit. Dans cet extrait de la Guerre du feu, l'échange plein de violence entre
Naoh et Aghoo-le-velu prépare l'ultime combat dont Naoh sortira victorieux :
« — Aghoo est plus fort que Naoh. Il ouvrira vos ventres avec le harpon et brisera vos
os avec la massue.
— Naoh a tué l'Ours gris et la Tigresse. Il a abattu dix Dévoreurs d'Hommes et vingt
Nains Rouges. C'est Naoh qui tuera Aghoo !
— Que Noah descende dans la plaine ! » (J.-H. Rosny Aîné, la Guerre du feu)

5. L'insertion d'un dialogue dans le récit

5.1. Le changement de situation d'énonciation


Dans un dialogue, le narrateur choisit de faire entendre les paroles des personnages, mot
pour mot, comme si on les avait enregistrées ; on parle de discours direct. Ce n'est plus lui qui
parle mais les personnages ; il y a donc un changement de situation d'énonciation.
Ce changement permet d'expliquer en particulier le passage, dans un récit littéraire, du
passé simple au présent ;
« L'homme lui adressa la parole. Il parlait d'une voix grave et presque basse.
— Mon enfant, c'est bien lourd pour vous ce que vous portez là. » (Victor Hugo, les
Misérables)
Il permet de rendre compte également des variations éventuelles de registre de langue.
« Et, passant sur le plan de la cosubjectivité, il ajouta :
— Et puis, il faut se grouiller : Charles attend.
— Oh ! celle-là, je la connais, s'exclama Zazie furieuse, je l'ai lue dans les Mémoires du
général Vermot. » (Raymond Queneau, Zazie dans le métro)

5.2. La présentation du dialogue


Un dialogue est nettement séparé du récit par la ponctuation. Selon le cas, l'écrivain
emploie :
— des tirets devant chacune des répliques du dialogue ;
— des guillemets pour encadrer le dialogue et un tiret à chaque changement
d'interlocuteur (voir le dialogue qui suit).
Il arrive que le narrateur fasse entendre directement le dialogue, sans le commenter.
C'est le cas au début de l'Étoile du sud, de Jules Verne :
« Parlez, monsieur, je vous écoute.
— Monsieur, j'ai l'honneur de vous demander la main de Miss Watkins, votre fille.
— La main d'Alice ?…
— Oui, monsieur. »
Cependant, en général, le personnage qui parle est annoncé et ses paroles sont
introduites par divers verbes de parole : dire, répondre, murmurer, s'exclamer, etc. Ces
indications peuvent être données sous la forme de propositions incises, insérées dans le
dialogue :
« Dis-moi, Henry, demanda-t-il soudainement, combien de chiens prétends-tu que nous
avons ?
— Six.
— Erreur ! s'exclama Bill triomphant. » (Jack London, Croc-blanc)
Cours 7

Les paroles rapportées


Il arrive souvent, dans un récit, que le narrateur fasse parler les personnages : on dit qu'il
« rapporte » leurs paroles, car il ne s'agit pas du discours du narrateur lui-même. Quels sont
les procédés dont il dispose pour cela ?

1. Le discours direct

1.1. Définition
Le discours direct permet de rapporter des paroles telles qu'elles ont été formulées.
Dans un récit, l'insertion de paroles rapportées au discours direct constitue une rupture ; ce
n'est plus le narrateur qui parle mais un de ses personnages.
Prenons un exemple emprunté à la fable de La Fontaine l'Ours et les Deux
Compagnons ; à la vue de l'ours, l'un des deux compagnons terrifié fait le mort espérant ainsi
échapper aux griffes de l'animal :
« Seigneur Ours, comme un sot, donna dans ce panneau :
Il voit ce corps gisant, le croit privé de vie ;
Et de peur de supercherie,
Le tourne, le retourne, approche son museau,
Flaire aux passages de l'haleine.
' C'est, dit-il, un cadavre '; ôtons-nous, car il sent. » (La Fontaine, Fables)
La première phrase ainsi que la proposition incise dit-il sont « dites » par le narrateur ;
en revanche la phrase mise en italique est dite par l'ours. Ce changement de voix correspond
ici à un changement complet de système d'énonciation :
— dans la narration, les verbes conjugués au passé simple, à la 3e personne, signalent un
énoncé coupé de la situation d'énonciation ;
— dans le discours direct, on relève au contraire les marques d'un énoncé ancré dans la
situation d'énonciation (le pronom nous qui fait référence au locuteur, le présent de l'indicatif
qui exprime une action contemporaine du moment de l'énonciation).

1.2. Les marques du discours direct


La plupart du temps, les paroles rapportées au discours direct sont annoncées à l'aide
d'un verbe de parole (dire ou l'un de ses synonymes) qui précède les paroles, les coupe ou les
suit. Dans ces deux derniers cas, on appelle proposition incise la proposition qui contient ce
verbe de parole (attention, le sujet y est toujours inversé).
Ex. : « C'est, dit-il, un cadavre ; ôtons-nous, car il sent. » (op. cit.)
Dans cet exemple, le verbe de parole est contenu dans la proposition incise dit-il, qui
coupe le discours direct.
Le discours direct se démarque par ailleurs de la narration par une disposition et une
ponctuation qui lui sont propres. Ainsi, le plus souvent :
— un deux-points signale le début du discours direct ;
— l'ensemble de la séquence dialoguée est encadré par des guillemets ;
— chaque changement d'interlocuteur est indiqué par un passage à la ligne et un tiret.
Voici un autre exemple avec changement d'interlocuteur :
« Eh bien ! ajouta-t-il, la peau de l'animal ?
Mais que t'a-t-il dit à l'oreille ?
Car il s'approchait de bien près avec sa serre.
— Il m'a dit qu'il ne faut jamais vendre la peau de l'ours qu'on ne l'ait mis par terre. »
(op. cit.)

2. Le discours indirect

2.1. Définition
Les paroles rapportées au discours indirect sont intégrées au discours de celui qui les
rapporte et qui sert d'intermédiaire. Dans un récit, elles sont subordonnées à la narration ;
elles se présentent d'ailleurs grammaticalement sous la forme d'une proposition subordonnée
ou d'un groupe infinitif prépositionnel dépendant d'un verbe de parole.
Observons cet exemple : « L'un de nos deux marchands de son arbre descend, court à
son compagnon, lui dit que c'est merveille qu'il n'ait eu seulement que la peur pour tout
mal. » (op. cit.)
Ici, le discours indirect est introduit par la conjonction de subordination que ; c'est le
cas le plus fréquent, cependant celui-ci peut également être introduit :
— par un mot interrogatif s'il correspond à la transformation d'une phrase interrogative ;
Ex. : Mais qu'est-ce que l'ours t'a dit à l'oreille ? Il lui demanda ce que l'ours lui
avait dit à l'oreille.
— par la préposition de s'il correspond à la transformation d'une phrase injonctive.
Ex. : Explique-moi ce que l'ours t'a dit. Il le pressa de lui expliquer ce que l'ours lui
avait dit.

2.2. La transformation du discours direct en discours indirect

Observons cet exemple inspiré du début de la fable l'Ours et les Deux Compagnons :
Les deux compagnons dirent à leur voisin fourreur : « Nous allons tuer demain un ours
dont nous vous vendrons la peau. »
Les deux compagnons dirent à leur voisin fourreur qu'ils allaient tuer le lendemain un
ours dont ils lui vendraient la peau.
Le discours direct mis entre guillemets dans la première phrase a été transformé en
discours indirect dans la seconde. Ce passage entraîne ici plusieurs changements :
— un changement de personne ; les pronoms des 1re et 2e personne (nous, vous)
deviennent des pronoms de la 3e personne (ils, lui) ;
— un changement de temps ; le verbe allons passe du présent à l'imparfait (allaient) ;
le verbe vendrons passe du futur simple au futur du passé (vendraient), conformément aux
règles de la concordance des temps ;
— un changement d'indicateur de temps (demain est transposé en le lendemain).

3. Le discours indirect libre

Dans le discours indirect libre, les paroles sont intégrées à la narration sans être
cependant subordonnées à un verbe de parole. Comme dans le discours direct, elles peuvent
d'ailleurs présenter une ponctuation expressive ( ? ! …) pour restituer l'intonation.
Voici un exemple : « Deux compagnons, pressés d'argent,
À leur voisin fourreur vendirent
La peau d'un Ours encore vivant,
Mais qu'ils tueraient bientôt, du moins à ce qu'ils dirent.
C'était le roi des ours, au compte de ces gens.
Le marchand à sa peau devait faire fortune ;
Elle garantirait des froids les plus cuisants :
On en pourrait fourrer plutôt deux robes qu'une. » (op. cit.)
Dans le passage mis en italique, le narrateur rapporte les paroles qu'ont prononcées les
deux compagnons pour persuader le fourreur de leur acheter la peau de l'ours avant qu'ils ne
l'aient tué ; la personne et le temps des verbes sont en phase avec le reste de la narration, les
paroles sont donc rapportées indirectement ; cependant, comme elles ne sont pas
subordonnées à un verbe de parole, on a bien affaire à du discours indirect libre.

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