Accueil du site > 13- Livre Treize : ART ET REVOLUTION > Bertolt Brecht,
ses idées, son théâtre
Bertolt Brecht :
« Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu.. »
« Qui a construit Thèbes au sept portes ? Dans les livres, on donne les noms des
Rois. Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ? Babylone, plusieurs fois détruite,
Qui tant de fois l’a reconstruite ? Dans quelles maisons De Lima la dorée logèrent
les ouvriers du bâtiment ? Quand la Muraille de Chine fut terminée, Où allèrent,
ce soir-là les maçons ? Rome la grande Est pleine d’arcs de triomphe. Qui les
érigea ? De qui Les Césars ont-ils triomphé ? Byzance la tant chantée. N’avait-elle
que des palais Pour les habitants ? (…) Les frais, qui les payait ? Autant de récits,
Autant de questions. »
« Savoir perdre la tête : tout est là. »
« Mesdames et messieurs, vous voyez devant vous l’un des derniers représentants
d’une classe appelée à disparaître. Nous autres, petits artisans aux méthodes
désuètes, qui travaillons avec d’anodines pinces-monseigneur les tiroirs-caisses
des petits boutiquiers, nous sommes étouffés par les grandes entreprises appuyées
par les banques. Qu’est-ce qu’un passe-partout, comparé à une action de société
anonyme ? Qu’est-ce que le cambriolage d’une banque, comparé à la fondation
d’une banque ? » (dans « L’Opéra de quat’sous »)
« Il y a des hommes qui luttent toute leur vie : ceux-là sont indispensables. »
« Dans toute idée, il faut chercher à qui elle va et de qui elle vient ; alors
seulement on comprend son efficacité »
« L’injustice aujourd’hui s’avance d’un pas sûr. Les oppresseurs dressent leurs
plans pour dix mille ans. La force affirme : les choses resteront ce qu’elles sont.
Pas une voix, hormis la voix de ceux qui règnent, Et sur tous les marchés
l’exploitation proclame : c’est maintenant que je commence. Mais chez les
opprimés beaucoup disent maintenant : Ce que nous voulons ne viendra jamais.
Celui qui vit encore ne doit pas dire : jamais ! Ce qui est assuré n’est pas sûr. Les
choses ne restent pas ce qu’elles sont. Quand ceux qui règnent auront parlé, Ceux
sur qui ils régnaient parleront. Qui donc ose dire : jamais ? »
« Que rien ne soit tenu pour honorable hormis ce qui change le monde
définitivement : il en a grand besoin. »
Et en élise un autre ? »
« Messieurs, un peu de cran : celui qui n’est pas mort garde un espoir de vie ! »
« Si l’on vous demande si vous êtes communistes, mieux vaut produire comme
preuve vos tableaux plutôt que votre carte du parti »
« Quand l’oppression se fait plus lourde, nombreux sont les découragés, mais son
courage à lui augmente. »
Le théâtre de Brecht
En fin de compte, si on ne s’est pas doté de machines, c’est aussi qu’on avait des
esclaves. Et quel est ce « on » ? Est-ce que les esclaves, eux, avaient besoin de
l’esclavage parce qu’ils n’avaient pas de machines ? Ils formaient les deux tiers de
la population, en Italie. Ma tâche consiste à montrer comment le maintien forcé de
l’esclavage jette la société entière dans la servitude. Pas un seul sénateur ou
banquier de l’époque césarienne ne jouissait d’autant de sécurité personnelle, de
possibilités d’intiative politique, de liberté de circulation, que le premier venu ou
presque à l’époque de Cicéron. Sénateurs et banquiers payèrent leurs étangs
poissonneux par la perte de tout dignité. Et aucun César n’a eu au fond le pouvoir
d’un des nombreux consuls de la république !
Il y a des concepts durs à combattre parce qu’ils répandent autour d’eux un mortel
ennui. Ainsi le concept de « décadence », Naturellement, il existe bien une sorte de
littérature des classes déclinantes. La classe perd sa belle assurance, sa tranquille
confiance en soi, elle se dissimule ses difficultés, elle s’occupe de détails, elle
devient parasitaire, culinaire, etc. Mais les œuvres qui signalent son déclin comme
tel ne sauraient déjà plus être désignées comme décadentes. C’est pourtant ce que
fait la classe déclinante. Par ailleurs, le « Festin de Trimalcion » présente de
multiples traits de décadence formelle. Je le préfère à tout « Ovide ». Et si les
« Affinités électives », ce n’est pas de la décadence, que dure de « Werther » !
Difficultés avec « César ». Il faut que l’individu ressorte davantage encore. Il faut
qu’il émerge d’entre les classes. Propulsé vers le haut par la pression des classes en
lutte, se hissant à son tour. La révolution prolétarienne elle-même ne permit-elle
pas (stalinisme NDLR) – dans ce pays où après la victoire restaient deux classe en
lutte, les ouvriers et les paysans – la dictature d’un homme ? Les equites eurent
César au-dessus d’eux, dès qu’ils mirent à leurs pieds plebs et patres. Pour finir, le
tableau suivant : la plèbe, constamment renouvelée par l’apport des esclaves,
rabaissée au niveau de l’esclavage, constitue le réservoir de l’armée, avec laquelle
les nations étrangères sont abaissées et maintenues sous le joug, tant qu’elles se
présentent comme nations, sinon cette armée aide les classes dominantes
étrangères à réprimer leur prolétariat. Sous les empereurs, la plèbe ne forme plus
vraiment une classe. Equites et patres se mélangent, sur la base des affaires,
d’affaires… équitables. Les politiciens sénatoriaux passent dans l’administration.
Le prolétariat – i.e. le monde des esclaves -, est international, il ne poursuit plus
son développement en tant que force productive. L’économie serve, qui a accouché
de tout ce qu’elle porte en elle, est achevée au double sens du terme. L’oppression
est générale, elle a gagné toutes les couches. Petite phase à part, vite révolue, sous
César : la plèbe rurale doit encore effectuer rapidement le passage à l’économie
serve dans la viticulture et l’oléoculture, alors qu’il est déjà accompli dans le
secteur céréalier. D’où la lex Julia. »
« Tout le projet césarien est inhumain d’un autre côté, il est impossible de
représenter l’inhumain sans une certaine idée de l’humanité. Il est impossible de
représenter le système social sans en entrevoir un autre. Et je ne puis écrire
exclusivement d’un point de vue contemporain, il faut que j’aperçoive, même pour
une époque lointaine, la possibilité d’une alternative, un univers froid, une œuvre
froide, et pourtant je vois, en posant la plume comme en écrivant, à quel point nous
sommes dégradés humainement… »
(…)
« Koltsov aussi a été arrêté à Moscou. Mon dernier contact russe avec là-bas.
Personne ne sait rien de Tretiakov, cet « espion japonais ». Personne ne sait rien de
Neher, qui à Prague se serait occupée d’affaires trotskistes pour le compte de son
mari. Reich et Asja Lacis ne m’écirvent jamais plus, Grete ne reçoit plus aucune
réponse de ses amis du Caucase et de Léningrad. Bela Kun, le seul homme
politique qu’il m’ait été donné de voir, est lui aussi arrêté. Meyerhold a perdu son
théâtre, mais serait autorisé à faire de la régie d’opéra. L’art et la littérature
semblent minables, la théorie politique dans le quatrième dessous, il existe une
sorte d’humanisme prolétarien maigrelet, exsangue, propagé bureaucratiquement,
dans un article officiel (« La théorie de Lénine et de Staline sur la victoire du
socialisme triomphe en Union soviétique ») un certain Wokrevski présente à peu
près ainsi la théorie de Staline : « Le dépérissement de l’Etat résulte de sa
consolidation généralisée », et « L’Etat socialiste est nécessaire pour (!) inculquer
aux masses la nouvelle discipline socialiste du travail », et encore : « si nous
faisions des meilleurs performances stakhanovistes les normes moyennes de
l’ensemble du pays, nous créerions les conditions déterminantes d’un passage du
socialisme au communisme. » Les flux de travailleurs (entre usines à salaires
différents) sont stoppés par interdiction légale, et il y aurait eu des grèves, sur la
« démocratie » politique. On n’apprend que des phrases et on n’apprend rien du
tout sur l’organisation sociale de la production… Pendant ce temps, le capitalisme
au stade de l’impérialisme et des trusts mène ses luttes économiques par nations
interposées. Cette forme nationale ne cèdera pas le terrain avant d’avoir donné son
maximum (y compris pour le développement des forces productives, qu’elle
transforme actuellement en forces destructives). »
« Je me suis remis aux « Affaires de Monsieur Jules César », le livre IV. Grete a
prêté à quelques ouvriers allemands ce que j’ai déjà en main (3 livres), le résultat a
été très encourageant. Ce sont principalement des syndicalistes et ils ont tout
compris, jusque dans les détails. Leur intérêt pour la chose m’a incité à
continuer…. »
(…)
« Ce qui m’a longtemps gêné dans le production théâtrale : je voulais bien raconter
une parabole de portée générale, mais pas imiter la vie telle qu’elle surgit, pleine
de contradictions, ou encore provoquer l’émotion et masser ainsi les âmes
avachies. On dira qu’un esprit lucide peut fort bien s’employer aussi à distraire
autrui, et que, dans une pleine pelletée de vie confuse, le sage trouve toujours son
bien. Mais cette sagesse-là est autre, résulte d’une attitude autre ; le narrateur, lui,
abandonne en quelque sorte sa dignité à chaque instant, i.e. sa dignité personnelle,
pas celle de son Etat, en roulant des yeux, en laissant son pouls s’emballer, ses
mains trembler du désir de distribuer les cartes sans les avoir correctement battues.
Si je n’avais pas eu cette vision, j’aurai pu écrire des pièces bien plus naïves, bien
plus épanouies, et aussi plus désespérées. »
Qu’il ne doit pas plier devant les puissants, ni tromper les faibles. Mais,
naturellement, il est très difficile de ne pas plier devant les puissants, et très
avantageux de tromper les faibles.
Quand on crie partout sur les ondes qu’un homme sans savoir et sans culture vaut
mieux qu’un homme savant, il faut du courage pour demander : mieux pour qui ?
Du courage, il n’en faut pas moins pour dire la vérité sur soi-même, lorsqu’on est
vaincu.
Les méchants, ce sont les persécuteurs, puisqu’ils persécutent ; eux, qui sont
persécutés, ne peuvent l’être que pour leur bonté.
Cette bonté, pourtant, a bien été battue, vaincue, réduite à l’impuissance ; c’était
donc une bonté faible, une bonté inconsistante, sur qui on ne pouvait compter, une
mauvaise bonté : on ne voit pas en effet pourquoi on accepterait que la bonté soit
faible comme on accepte que la pluie soit humide.
Il faut avoir le courage de dire que les bons ont été vaincus non parce qu’ils étaient
bons, mais parce qu’ils étaient faibles. Bien sur, il faut écrire la vérité, mais la
vérité en lutte contre le mensonge ; et il ne faut pas en faire une généralité vague,
sublime et à multiples sens ; cette généralité vague, sublime et à multiples sens est
précisément le propre du mensonge.
Lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il a dit la vérité, c’est que certains, ou beaucoup, ou
un seul, ont commencé par dire des généralités vagues, ou carrément un mensonge,
mais que lui a dit la vérité, c’est-à-dire quelque chose de pratique, de concret,
d’irréfutable, la chose même dont il fallait parler.
Ils lancent leurs proclamations générales dans un monde où l’on aime les gens
inoffensifs.
Ils réclament une justice universelle, pour laquelle ils n’ont jamais rien fait
auparavant, et la liberté universelle de recevoir leur part d’un gâteau qu’on les a
longtemps laissé partager.
Ils ne reconnaissent comme vérité que ce qui sonne bien. Si la vérité consiste en
faits, en chiffres, en données sèches et nues, si elle exige pour être trouvée de la
peine et de l’étude, alors ils n’y reconnaissent plus la vérité, parce que ça ne les
exalte pas.
D’écrivains qui disent la vérité, ils n’ont que l’extérieur, les gestes.
Comme il est difficile d’écrire la vérité, parce qu’elle est partout étouffée, écrire ou
non la vérité apparaît à la plupart comme une question morale.
Non, il n’est pas du tout vrai qu’il soit facile de trouver la vérité.
Il n’est déjà pas facile, tout d’abord, de déterminer quelle vérité vaut la peine d’être
dite.
C’est ainsi qu’en ce moment, par exemple, tous les grands Etats civilisés sombrent
l’un après l’autre dans la barbarie. De plus, chacun sait que la guerre intérieure, qui
se mène avec les moyens les plus effroyables, peut chaque jour se transformer en
guerre extérieure, qui ne laissera de notre partie du monde qu’un amas de ruines.
Voilà à n’en pas douter une vérité, mais il existe naturellement bien d’autres
vérités.
Ce n’est pas une contrevérité, par exemple, de dire que les chaises ont une partie
faite pour qu’on s’assoie dessus, et que la pluie tombe de haut en bas.
Ils font penser à des peintres qui couvriraient de natures mortes les parois d’un
navire en perdition.
Pour eux, la première difficulté que nous avons signalée ne vaut pas, et ils n’en ont
pas moins bonne conscience.
Ils barbouillent leurs images sans se laisser troubler par les puissants, mais sans se
laisser troubler non plus par les cris de leurs victimes.
On reconnaîtra par là sans peine que leurs vérités sont du même ordre que celles
sur les chaises ou la pluie, mais d’ordinaire elles sonnent différemment, comme
des vérités portant sur des choses importantes.
Il faut y regarder de plus près pour s’apercevoir qu’ils ne disent rien d’autre que :
"Une chaise est une chaise", et : "personne ne peut rien contre le fait que la pluie
tombe de haut en bas."
Ils sont pleins de vieilles superstitions, de préjugés vénérables et que les temps
anciens ont souvent revêtus d’une belle apparence.
Pour eux, le monde est trop embrouillé, ils ne connaissent pas les faits et
n’aperçoivent pas les liaisons entre ces faits.
Quand on a la volonté de chercher, il est bon d’avoir une méthode, mais on peut
aussi trouver sans méthode, et même sans chercher.
Des gens qui n’enregistrent que de petits faits ne sont pas en mesure de rendre
maniables les choses de ce monde.
Or, c’est bien à quoi sert la vérité, et à rien d’autre. Ces gens ne sont pas à la
hauteur de l’exigence de vérité.
S’il faut dire la vérité, c’est en raison des conséquences qui en découlent pour la
conduite dans la vie.
D’après cette conception, le fascisme serait une troisième voie, une voie nouvelle
entre le capitalisme et le socialisme, ou dépassant l’un et l’autre ; d’après elle, non
seulement le mouvement socialiste, mais aussi le capitalisme auraient pu continuer
à exister sans le fascisme, et ainsi de suite.
Le fascisme est une phase historique dans laquelle est entré le capitalisme ; c’està-
dire qu’il est à la fois quelque chose de neuf et quelque chose d’ancien.
Dans les pays fascistes, le capitalisme n’existe plus que comme fascisme, et le
fascisme ne peut être combattu que comme la forme la plus éhontée, la plus
impudente, la plus oppressive, la plus menteuse du capitalisme.
Dès lors, comment dire la vérité sur le fascisme, dont on se déclare l’adversaire, si
l’on ne veut rien dire contre le capitalisme, qui l’engendre ?
Comment une telle vérité pourraitelle revêtir une portée pratique ? Ceux qui sont
contre le fascisme sans être contre le capitalisme, qui se lamentent sur la barbarie
issue de la barbarie, ressemblent à ces gens qui veulent manger leur part du rôti de
veau, mais ne veulent pas qu’on tue le veau.
Ils veulent bien manger du veau, mais ils ne veulent pas voir le sang.
Il leur suffirait, pour être apaisés, que le boucher se lave les mains avant de servir
la viande.
Ils ne sont pas contre les rapports de propriété qui engendrent la barbarie, ils sont
seulement contre la barbarie.
Ils élèvent leur voix contre la barbarie dans des pays où règnent les mêmes
rapports de propriété, mais où les bouchers se lavent les mains avant de servir la
viande.
Récriminer bien haut contre des mesures barbares peut avoir de l’effet
provisoirement, tant que ceux qui vous écoutent s’imaginent que ces mesures sont
impensables dans leur propre pays.
Certains pays sont encore à même de maintenir leurs rapports de propriété par des
moyens moins violents. La démocratie leur rend encore les services pour lesquels
d’autres doivent faire appel à la violence, à savoir : garantir la propriété privée des
moyens de production.
Le monopole des usines, des mines, des biens fonciers engendre partout un régime
de barbarie ; mais il est plus ou moins visible.
La barbarie ne devient visible que lorsque le monopole ne peut plus être protégé
que par la dictature ouverte.
Certains pays qui n’ont pas encore besoin de renoncer, à cause de la barbarie des
monopoles, aux garanties formelles de l’Etat libéral, ainsi qu’à des agréments tels
que l’art, la littérature,la philosophie, prêtent une oreille complaisante aux réfugiés
qui accusent leur pays d’origine de renoncer à ces agréments, car ils en tireront
avantage dans les guerres qui s’annoncent.
Peut-on vraiment dire que c’est reconnaître la vérité que d’exiger bruyamment un
combat inexpiable contre l’Allemagne, parce que c’est elle "le vrai berceau du Mal
à notre époque, la filiale de l’Enfer, le séjour de l’Antéchrist" ?
Car la conclusion de cette phraséologie est que le pays en question doit être rayé de
la carte.
Tout le pays, avec tous ses habitants, car les gaz toxiques ne font pas le tri,
lorsqu’ils tuent, entre les innocents et les coupables.
Il discourt sur les Allemands, se lamente sur le Mal, et en mettant les choses au
mieux, le lecteur ne sait jamais ce qu’il doit faire.
Doit-il décider de n’être plus Allemand ? L’enfer disparaîtra-t-il si lui au moins est
un juste ?
Les discours sur la barbarie qui vient de la barbarie sont de la même espèce.
Tout cela dit en termes très généraux, et non en vue des conséquences à en tirer
pour l’action ; un discours qui au fond ne s’adresse à personne.
Le fascisme n’est pas une calamité naturelle qui pourrait se comprendre à partir
d’une autre nature, la nature humaine.
Steel stood (l’acier a tenu) ; et de fait, après n’avoir vu au premier coup d’oeil que
des ruines, on découvrait, alerté par cette inscription, que quelques grands
immeubles étaient restés debout.
Parmi toutes les descriptions que l’on peut donner d’un tremblement de terre,
celles des ingénieurs du bâtiment sont d’une importance exceptionnelle, parce
qu’elles tiennent compte des glissements de terrain, de la violence des secousses,
de la chaleur dégagée, etc., ce qui permet d’envisager des constructions qui
résistent aux tremblements de terre.
Il faut montrer que ce sont là des catastrophes réservées par les possesseurs de
moyens de production à la masse énorme de ceux qui travaillent sans moyens de
production à eux.
Si l’on veut écrire, sur un état de choses mauvais, une vérité efficace, il faut
l’écrire de façon telle qu’on puisse reconnaître ses causes et les reconnaître comme
évitables. Si elles sont reconnues comme évitables, l’état de choses mauvais peut
être combattu.
4. Le discernement pour choisir ceux entre les mains de qui la vérité devient
efficace
Les usages séculaires du commerce de la chose écrite sur le marché des idées et
des représentations descriptives, en ôtant à l’écrivain tout souci de ce qu’il advient
de ses écrits, lui ont donné l’impression que l’intermédiaire, client ou
commanditaire, les transmettait à tout le monde.
Ce qu’il disait n’était pas entendu de tous, et ceux qui l’entendaient ne voulaient
pas tout entendre. C’est une question sur laquelle il s’est dit déjà beaucoup de
choses, mais pas encore assez ; je me bornerai à souligner qu’écrire pour quelqu’un
est devenu écrire tout court.
Or on ne peut comme cela écrire la vérité, sans plus ; il faut absolument l’écrire
pour quelqu’un, quelqu’un qui peut en faire quelque chose.
Pour dire de bonnes choses, il faut bien entendre, et entendre de bonnes choses.
La vérité doit être pesée, calculée par celui qui la dit, et pesée par celui qui
l’entend.
Il nous importe beaucoup, à nous écrivains, de savoir à qui nous la disons et qui
nous la dit.
Nous devons dire la vérité sur un état de choses mauvais à ceux pour qui il est le
plus mauvais, et c’est d’eux que nous devons l’apprendre.
Il ne faut pas s’adresser seulement à des gens d’une certaine opinion, mais aussi à
des gens auxquels il conviendrait qu’ils aient cette opinion, en raison de leur
situation.
Les paysans bavarois étaient contre tout bouleversement social, mais lorsque la
guerre eut duré assez longtemps et que les jeunes revinrent au foyer et ne
trouvèrent plus de place dans les fermes, alors on a pu les gagner à la révolution.
C’est le ton de gens qui ne sont sans doute pas des ennemis, mais non plus, à coup
sur, des compagnons de lutte.
La vérité est militante, guerrière, elle ne combat pas seulement le mensonge, mais
aussi certains hommes qui le répandent.
En tous temps, on a usé de ruse pour répandre la vérité, lorsqu’elle était étouffée ou
cachée. Confucius falsifia un vieil almanach patriotique.
Là ou il y avait : "Le seigneur de Kun fit mettre à mort le philosophe Wan parce
qu’il avait dit ceci et cela ... ", il remplaçait "mettre à mort" par "assassiner".
Disait-on que le tyran Untel avait été victime d’un attentat, il mettait : "avait été
exécuté". Ce faisant, Confucius ouvrit la voie à une vue nouvelle de l’Histoire.
C’est retirer aux mots leur auréole mystique et frelatée. Le mot "peuple" implique
une certaine unité, évoque des intérêts communs ; il ne devrait donc être employé
que lorsqu’il est question de plusieurs peuples, car c’est au mieux dans ce cas
qu’une quelconque communauté d’intérêts peut se concevoir.
La population d’un territoire a des intérêts divers, voire antagonistes, et c’est là une
vérité constamment étouffée.
De même, parler de sol et faire des champs une peinture qui parle aux yeux : par la
couleur et à l’odorat par les senteurs de la terre, c’est apporter son appui aux
mensonges des puissants.
Car ce qui est en question n’est pas la fécondité du sol, ni l’amour que l’homme lui
porte, ni l’ardeur au travail, mais essentiellement le prix du blé et le salaire du
travail.
Ceux qui tirent profit du sol ne sont pas ceux qui en tirent du blé, et le parfum de la
glèbe est inconnu à la Bourse ; elle préfère d’autres parfums.
Tandis que "propriété terrienne" est le mot juste ; il se prête moins à l’illusion.
On sait tout de même quelle canaille se permet de vouloir défendre l’honneur d’un
peuple !
Et avec quelle profusiop les gens repus distribuent de l’honneur à ceux qui les
nourrissent tout en souffrant eux-mêmes de la faim. La ruse de Confucius peut
encore servir de nos jours.
L’Anglais Thomas More décrivit dans son Utopie un pays où règne un état de
choses juste, et c’était un tout autre pays que celui où il vivait, mais il lui
ressemblait comme deux gouttes d’eau, à l’état de choses près !
Ainsi beaucoup de choses qu’on ne peut pas dire en Allemagne sur l’Allemagne,
on peut les dire en Autriche.
Par l’élégance de son style, en décrivant des aventures érotiques dans le cadre
luxueux et luxurieux de la vie des puissants, il amenait subrepticement ceux-ci à
sacrifier une religion qui leur fournissait les moyens de mener cette vie dissolue.
Mieux, il se donna ainsi la possibilité de faire parvenir ses oeuvres par des voies
illicites à leurs destinataires naturels.
Ceux d’entre ses lecteurs qui étaient des puissants en facilitèrent ou pour le moins
en tolérèrent la diffusion.
De fait, un haut niveau littéraire peut servir d’enveloppe protectrice à une idée.
C’est le cas par exemple lorsque dans la forme méprisée du roman policier, on
glisse en contrebande en quelques endroits, sans éveiller l’attention, des
descriptions de maux sociaux.
Or donc : les grands sont pleins de lamentations et les petits de joie. Chaque ville
dit : chassons les puissants d’entre nous tous.
Or donc : les chambres des scribes sont ouvertes, et les listes emportées ; les serfs
deviennent les maîtres.
Or donc : on a attelé les riches aux meules ; ceux qui n’avaient jamais vu la
lumière sont sortis au jour.
Voyez : les pauvres sont devenus riches. Voyez, celui qui n’avait pas de pain
possède maintenant une grange, et ce dont son grenier est pourvu, c’est le bien pris
sur un autre.
Voyez : celui qui n’avait pas de blé possède maintenant des granges ; celui qui
comptait sur les distributions gratuites de blé en distribue maintenant lui-même.
Voyez : celui qui n’avait pas une paire de boeufs sous le joug possède maintenant
des troupeaux, celui qui ne pouvait se procurer de bêtes de trait possède maintenant
du bétail en grand nombre.
Voyez : celui qui ne pouvait se bâtir une chambre possède à présent quatre murs.
Voyez : les conseillers cherchent refuge dans les silos à grain, et celui qui avait à
peine le droit de se reposer sur les murs possède maintenant un lit.
Voyez : celui qui ne pouvait se construire une barque possède à présent des
navires, et le propriétaire jette un regard vers eux, mais ils ne sont plus à lui.
Voyez : ceux qui avaient des habits vont maintenant en loques, celui qui tissait
pour les autres est vêtu à présent de lin. Le riche a soif dans son sommeil ; et celui
qui lui demandait la lie de ses outres possède à présent des caves de cervoise.
Voyez : celui qui n’entendait rien au jeu de la harpe possède maintenant une harpe,
celui devant qui on ne chantait jamais célèbre à présent la musique.
Voyez : celui qui par dénuement dormait sans femme trouve à présent des dames,
et celle qui se regardait dans l’eau possède à présent un miroir.
Voyez : les puissants du pays errent sans trouver d’occupation, on ne donne plus
aux grands de nouvelles sur rien. Celui qui était messager en envoie maintenant
lui-même.
Voyez : voilà cinq hommes envoyés par leurs maîtres, et qui disent : faites
maintenant vous-mêmes le chemin ; nous, nous sommes arrivés.
Il saute aux yeux qu’il s’agit là de l’évocation d’un désordre qui doit apparaître aux
opprimés comme un état hautement désirable.
Jonathan Swift proposa dans une brochure, pour que le pays devienne prospère,
qu’on sale les enfants des pauvres, qu’on les mette en conserve et qu’on les vende
comme de la viande.
Il alignait des calculs précis qui démontraient qu’on peut faire beaucoup
d’économies quand on ne recule pas devant les moyens.
Il avait l’air de défendre une façon de penser bien définie, qui lui était odieuse,
avec beaucoup de conviction et de sérieux, dans une question où son ignominie
apparaissait à l’évidence à n’importe qui.
N’importe qui pouvait être plus avisé, ou en tout cas plus humain que Swift,
surtout celui qui jusque-là n’examinait pas les idées sous l’angle de leurs
conséquences.
La propagande pour la pensée, en quelque domaine qu’elle se fasse, est utile aux
opprimés. Une telle propagande est très nécessaire.
Car la pensée passe dans les régimes d’exploitation pour une occupation basse.
Ce qui passe pour bas, c’est ce qui est utile à ceux qui sont maintenus en bas de
l’échelle.
Sont tenus pour bas : le souci constant de manger à sa faim ; le dédain des
honneurs qu’on fait miroiter à ceux qui défendent le pays où on les laisse mourir de
faim ; le manque de foi dans le chef lorsqu’il vous conduit à l’abîme ; le manque
de goût au travail quand il ne nourrit pas son homme ; la révolte contre l’obligation
de se comporter de façon absurde ; l’indifférence à la famille lorsqu’il ne servirait
à rien de s’y intéresser.
Les affamés sont accusés du péché de gourmandise ; ceux qui n’ont rien à
défendre, de lâcheté ; ceux qui doutent de leurs oppresseurs, de douter de leur
propre force ; ceux qui veulent être payés de leur travail, de paresse, et ainsi de
suite.
Sous de tels régimes, la pensée est tenue généralement pour quelque chose de vil,
elle a mauvaise réputation.
Mais il reste toujours des domaines où l’on peut impunément faire allusion aux
réussites de la pensée : ce sont ceux où la dictature a besoin d’elle.
C’est ainsi, par exemple, qu’on peut exposer les réussites de la pensée dans la
technique et l’art militaire.
Une organisation permettant de faire durer les stocks de laine et d’inventer des
textiles synthétiques exige de la pensée.
L’éloge de la guerre, but irréfléchi de cette pensée, peut être astucieusement évité,
ainsi la pensée, qui part de la question du meilleur moyen pour faire la guerre, peut
amener à se demander si cette guerre a un sens, et s’appliquer à la question du
meilleur moyen d’éviter une guerre absurde.
Pour qu’en un temps comme le nôtre, l’oppression, qui sert à l’exploitation d’une
partie (majoritaire) de la population par une autre partie (minoritaire), demeure
possible, il y faut une certaine attitude fondamentale de la population, qui doit
s’étendre à tous les domaines de l’existence.
Ces dernières années, les recherches des physiciens ont abouti à des conséquences
dans le domaine de la logique qui ont pu devenir dangereuses pour toute une série
d’articles de foi sur lesquels reposait l’exploitation.
Ce qui importe avant tout, c’est qu’une pensée juste soit enseignée, à savoir une
pensée qui interroge les choses et les événements pour en dégager l’aspect qui
change et que l’on peut changer.
Les puissants éprouvent une vive aversion contre les grands changements.
Ils aimeraient bien que tout reste en l’état, mille ans si possible. Si seulement la
lune restait sur place, si seulement le soleil arrêtait sa course !
Quand ils ont tiré au fusil, l’adversaire ne devrait plus tirer lui-même, leur coup
devrait être le dernier.
Une vision des choses qui en dégàge particulièrement l’aspect transitoire est un
bon moyen d’encourager les opprimés. De même, dans l’idée qu’en chaque chose,
chaque état, s’annonce et grandit une contradiction, il y a quelque chose à opposer
aux vainqueurs, qui permet de leur résister.
Une telle vision du monde (la dialectique, ou la doctrine de l’écoulement perpétuel
des choses), on peut s’y exercer dans l’analyse d’objets qui échappent
temporairement aux puissants.
On peut s’y exercer aussi dans la peinture des destinées d’une famille, sans trop se
faire remarquer.
Une description complète de toutes les circonstances, de tous les processus dans
lesquels se trouve pris un homme qui ouvre un débit de tabac, peut être un rude
coup porté à la dictature.
Les gouvernements qui mènent les masses à la misère doivent absolument éviter
que dans la misère on pense au gouvernement. Ils parlent beaucoup de destin.
Qui se mêle de rechercher la cause de la pénurie est arrêté avant même d’avoir pu
atteindre le gouvernement.
On peut par exemple raconter l’histoire d’une ferme, mettons d’une ferme
islandaise.
Un jour, on célèbre un mariage, le fils du paysan épouse une fille qui apporte en
dot quelques arpents.
Les uns l’attribuent à la nature radieuse du jeune paysan, les autres aux arpents de
terre de la jeune paysanne qui permettent enfin à la ferme de vivre.
Même avec un poème qui évoque un paysage, on peut faire avancer les choses,
pour autant qu’on incorpore à la nature les choses créées par l’homme.
Résumé
A quoi bon écrire quelque chose de courageux d’où il ressort que l’état dans lequel
nous sombrons est un état barbare (ce qui est bien vrai), si l’on n’éclaire pas
pourquoi nous y tombons ?
Il faut dire que l’on torture parce que les rapports de propriété actuels entendent
subsister.
Certes, si nous disons cela, nous perdrons beaucoup d’amis, qui sont contre la
torture, parce qu’ils croient qu’on pourrait conserver les rapports de propriété
existants sans torture (ce qui n’est pas vrai).
Nous devons dire la vérité sur le régime barbare qui est celui de notre pays, afin
que puisse être fait ce qui seul peut le faire disparaître, c’est-à-dire ce qui permet
de changer les rapports de propriété.
Il nous faut la dire, d’autre part, à ceux qui souffrent le plus des rapports de
propriété, qui sont le plus intéressés à leur abolition, les ouvriers, et à ceux que
nous pouvons leur amener comme alliés parce que, même s’ils sont associés aux
profits, ce sont des gens qui ne possèdent pas eux non plus de moyens de
production.
Et ces cinq difficultés, nous devons les résoudre en même temps, car nous ne
pouvons pas étudier la vérité sur un régime de barbarie sans penser à ceux qui en
souffrent, et pendant que, repoussant toujours toute velléité de lâcheté, nous
recherchons les liaisons causales en pensant à ceux qui sont prêts à rendre leur
connaissance utile, nous devons également penser à leur présenter la vérité de
façon telle qu’elle puisse entre leurs mains être une arme, et en même temps de
façon assez rusée pour que cette transmission échappe à la vigilance et à la riposte
de l’ennemi.
Exiger que l’écrivain écrive la vérité, c’est exiger tout cela.
Where, the evening that the Great Wall of China was finished, did the masons go ?
Had Byzantium, much praised in song, only palaces for its inhabitants ?
Even in fabled Atlantis, the night that the ocean engulfed it,
Was he alone ?
So many reports.
So many questions.
Bertolt Brecht 1937 - Speech at the Second Congress of Writers for the Defense of
Culture
ELOGE DE LA DIALECTIQUE
Eloge du communisme
Mais l’ordre.
Difficile à faire."
Eloge du révolutionnaire
Beaucoup se découragent
Mais lui, augmente son courage.
Il organise le combat
Il interroge la propriété :
D’où vient-elle ?
Il se met à questionner :
À quoi sert-elle ?
Là où toujours on se tait
Là, il parlera
Là où la répression se complaît
Où il s’assied à la table
Le repas empire
Et la pièce se resserre.
Là où ils le chassent,
La colère et la ténacité.
La science et l’indignation.
2 Messages de forum
• Bertolt Brecht, ses idées, son théâtre 5 décembre 2016 07:49, par Jolie Môme
Bonjour.
Le spectacle sera suivi d’un débat, c’est pourquoi nous démarrerons tôt :
L’exception et la règle,
Répondre à ce message
• Bertolt Brecht, ses idées, son théâtre 5 novembre 2019 07:07, par Cie Jolie
Môme
Comme toujours, c’est dès les premiers jours que doit s’amorcer le bouche à
oreille,
alors n’attendez pas la grève générale qui commence le 5 décembre pour
venir ;)
Appelez nous pour toute question, réservation individuelle ou de groupe au
01 49 98 39 20
A bientôt !
01 49 98 39 20 - www.cie-joliemome.org
Répondre à ce message
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