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Problématique retenue Dans quelle mesure la poésie peut-elle (doit-elle) dépasser les
formes fixes imposées par la tradition ? Réinventer des formes,
n’est-ce pas la finalité de la poésie ?
Groupement
de textes – « Soleils Couchants », Feuilles d’automne, Victor Hugo
– « Un rêve », Gaspard de la nuit, Aloysius Bertrand
– « Un hémisphère dans ta chevelure », Le Spleen de
Paris, Baudelaire
− « L’Effraie », L’Effraie, Jaccottet
− « Jour gris », Les Vrilles de la vigne, Colette
Il n’y a pas de « progression linéaire » vers une libéralisation des formes mais coexistence de
plusieurs formes poétiques qui se développent.
La puissance des formes poétiques
Poésie et musique
L’une des différences fondamentales entre la prose et la poésie est liée à la musique. On dit
souvent que le poète « chante » et cela est d’autant plus vrai que celui qui incarne la poésie
dans l’Antiquité grecque se nomme Pan et s’accompagne d’une lyre (d’où le registre lyrique).
Dans L’Odyssée d’Ulysse, Orphée qui l’accompagne charmera les sirènes avec chant et lyre,
et sauvera l’équipage. Plus tard au Moyen Age, le poète s’accompagnait avec un luth.
La musique transforme le langage en charme, elle lui confère des énergies singulières. Depuis
longtemps, la poésie cherche à intérioriser la musique et maintient un certain nombre des
caractéristiques musicales :
- ses structures formelles établissent un rapport à la mémoire, à travers un système de
liaison fondé sur la répétition (rimes, refrains,…) ;
- le principe de « variation », dans la musique, permet au texte de repasser à plusieurs
reprises en combinant les éléments de plusieurs manières : de ce fait on redécouvre les
significations des mots ;
- un effet d’attente ou d’appel est produit que l’on nomme agréments.
Les structures musicales influent donc sur la poésie par l’intermédiaire de la prosodie. Le
texte a un rythme, un tempo, une mélodie et devient un « élan » avant d’être une pensée, une
signification arrêtée.
Poésie et invention
Les formes traditionnelles ne sont-elles pas un carcan pour la création poétique ?
Voir les réflexions de Gide et Valéry : tous deux défendent la nécessité des règles et des
formes traditionnelles mais proposent chacun des analyses.
Gide s’interroge sur le problème de la sincérité de l’expression face aux formes héritées qui
sont susceptibles de la brider.
« La sincérité, telle que je l’entends, reste difficile et revêche ; elle exige une recherche
constante et sans complaisance ; une connaissance et une maîtrise de soi, que je suis
loin d’avoir atteintes. Oh ! si je me laissais aller, je vous l’avoue, ce sont des vers
selon l’ancienne formule que j’écrirais. Mais non : rimes, nombre et rythme, césure…
pour repartir à neuf, je dois oublier tout cela. Cependant je sais que le ravissement
poétique naît d’une astreinte, d’une résistance vaincue… »
Gide, Essais critiques.
On voit ici l’hésitation du jeune poète, partagé entre formes anciennes et invention
personnelle.
Pour Valéry, c’est le poids même de la tradition qui justifie la nécessité de ces formes :
« Je ne peux m’empêcher d’être intrigué par l’espèce d’obstination qu’ont mise les
poètes de tous les temps, jusqu’aux jours de ma jeunesse, à se charger de chaînes
volontaires. C’est un fait difficile à expliquer que cet assujettissement que l’on ne
percevait presque pas avant qu’il fût trouvé insupportable. D’où vient cette obéissance
immémoriale à des commandements qui nous paraissent si futiles ? Pourquoi cette
erreur si prolongée de la part de si grands hommes, et qui avaient un si grand intérêt
à donner le plus haut degré de liberté à leur esprit. »
Valéry, « Au sujet d’Adonis », in Variété.
Grâce à la forme imposée, le poète tend à éviter le mélange entre sa facilité et sa puissance
pour ne garder que la dernière. Enfin accepter ces règles et ces formes, voilà qui est
proprement humain puisqu’il s’agit d’une décision qui relève de notre entière volonté.
« Mais nos voluptés, ni nos émotions, ne périssent, ni ne pâtissent de s’y soumettre : elles
se multiplient, elles s’engendrent aussi, par des disciplines conventionnelles. Considérez
les joueurs, tout le mal que le procurent, tout le feu que leur communiquent leurs bizarres
accords, et ces restrictions imaginaires de leurs actes : ils voient invinciblement leur petit
cheval d’ivoire assujetti à certain bond particulier sur l’échiquier ; ils ressentent des
champs de force et des contraintes invisibles que la physique ne connaît point. »
Valéry, « Au sujet d’Adonis », Variété.
L’invention passe donc par des contraintes, mais ce sera en réalité le poète qui inventera lui-
même la forme qu’il donnera à son poème, celle qui correspondra le mieux à ses intentions
esthétiques.
Le système traditionnel
1) la rime
Le vers français est rimé ; chaque vers est alors lié à un ou plusieurs autres vers par un son
vocalique et des sons consonantiques qui les suivent. Quant à l’alternance des rimes
(masculine/féminine) elle apparaît au XVIème siècle, en grande partie sous l’impulsion de
Ronsard. Verlaine est celui qui a le mieux signalé les torts de la rime ; il conseille dans son Art
poétique, « De rendre un peu la Rime assagie ».
2) le vers
Au Moyen Age, il existait un vers simple qui n’excédait pas huit syllabe et un vers
« composé », articulé en deux parties comme le décasyllabe (deux parties de quatre syllabes et
six syllabes) et l’alexandrin (deux parties de six syllabes séparées par une césure). A l’époque
classique se met en place une tendance qui vise la concordance entre le mètre et la syntaxe.
Les formes d’enjambement qui figuraient comme des écarts expressifs à utiliser avec
parcimonie, vont être davantage sollicités pour produire une allure prosaïque (chez Baudelaire
par exemple). On va se libérer et proposer des vers de 9 ou de 13, voire de 16 chez Aragon
dans Le Fou d’Elsa, ou chez Queneau 18 syllabes dans L’instant fatal. Quant au vers
« libre », il peut désigner un usage de mètres différents dans un même poème (voir Prévert).
Enfin le verset est l’unité de la prose rythmée de trois ou quatre lignes (Claudel, Senghor)
mais qui peut s’étendre à la page (10ème chant d’Anabase de Saint-John Perse). Le poème en
versets est donc fort proche d’un poème en prose.
Objectifs :
- comprendre la tradition et la norme pour percevoir écarts et évolutions des formes
poétiques
- réinvestir les notions de versification pour les approfondir et les fixer
- développer la culture littéraire de la poésie française
Le sonnet est un poème à forme fixe, importé d’Italie au XVIème siècle. Il a été introduit en
France par les poètes de la Pléiade (groupe de 7 poètes de la Renaissance, dont Ronsard et Du
Bellay sont les plus connus) et l’Humanisme, marqués par la littérature antique, qui ont
développé une poésie érudite et raffinée.
La forme du sonnet est reprise au XIXème siècle et apparaît comme la manière d’accéder à un
idéal littéraire (Baudelaire, Mallarmé).
La Pléiade : nom d’un groupe de sept poètes considérés comme une constellation poétique,
par allusion aux sept filles d’Atlas (Zeus les changea en colombes pour les soustraire au géant
Orion, puis les plaça parmi les constellations).
⇨ ils participent à l’enrichissement de la langue française et reviennent à des thèmes
antiques politiques et personnels.
Le sonnet est un poème de 14 alexandrins, constitué de deux quatrains et d’un sizain (ou deux
tercets).
Le schéma normal des rimes est :
abba abba ccdeed sonnet italien (parfait)
abba abba ccdede sonnet français
Rappel :
Les rimes pauvres : un phonème commun : marin – fin
Les rimes suffisantes : 2 phonèmes : étrange – anges
Les rimes riches : 3 et + : latente – éclatantes
Le schéma rimique :
Rimes plates/suivies Mignonne…
Rimes croisées fables de La Fontaine, Du Bellay
Rimes embrassées sonnets
Séance 3 La poésie « classique » au XIXème siècle
Objectifs :
- percevoir l’évolution du sonnet au cours des siècles
- découvrir un auteur majeur du « second romantisme » au XIXème s. : Victor HUGO
Questions de préparation
1. Relevez et classez les repères temporels, ainsi que les termes qui expriment le temps qui
passe. Etudiez les temps verbaux. Quelles indications ces observations donnent-elles sur le
thème du poème ?
2. Etudiez la manière dont la nature est présentée ici. Quelles caractéristiques des éléments
naturels met-elle en évidence ?
3. Quelle rupture observe-t-on au dernier quatrain ? Etudiez les pronoms, les verbes, les
termes qui se rapportent au locuteur. Quel aspect de la condition humaine est évoqué ?
4. Appuyez-vous sur les réponses précédentes pour définir le registre du poème.
Travail de préparation
1. Relevez et classez les repères temporels, ainsi que les termes qui expriment le temps
qui passe. Etudiez les temps verbaux. Quelles indications ces observations donnent-elles
sur le thème du poème ? en Bleu
► Les tps utilisés sont :
- le passé composé au vers 1,
- le présent aux vers 4 (s’enfuit), 8 (que nous aimons), 14 je passe : présent de vérité
générale donc atemporel
- puis tout au long du poème le futur de l’indicatif : v.2 viendra ; v.5 passeront (2x) ; v.
11 s’iront ; v.12 prendra ; v.15 je m’en irai
- le présent du subjonctif : v.16 sans que tien manque au monde
2. Etudiez la manière dont la nature est présentée ici. Quelles caractéristiques des
éléments naturels met-elle en évidence ? en Vert
► Hugo met en évidence le rythme des jours, des saisons,…il met en évidence la régularité
des phénomènes naturels, régularité qui lui donne cette harmonie, cette beauté, cette
grandeur : v.1 soleil couché et soir ; v.2 demain puis soir puis nuit ; v.3 aube ; v.4 puis les
nuits, puis les jours ;…
► cela met aussi en évidence la multiplicité de la nature, caractérisée par les 4 éléments :
- eau : vapeurs, mers, fleuves, flot, orage
- feu : soleil (mais tout de suite couché), v.14 soleil radieux
- terre : monts, montagnes, bois
- air : nuées, vapeurs
3. Quelle rupture observe-t-on au dernier quatrain ? Etudiez les pronoms, les verbes, les
termes qui se rapportent au locuteur. Quel aspect de la condition humaine est évoqué ?
en jaune
► La rupture concerne l’énonciation. Jusque-là, le narrateur n’était pas impliqué, on avait une
description, comme celle d’un tableau : point de vue externe. Mais au vers 1, il y a un
changement dans le système d’énonciation puisque se dévoile un narrateur à la 1ère personne
du singulier : moi, je, je. Cela montre que l’observation de la nature et de ses cycles conduit
le narrateur-auteur à s’identifier aux éléments de la nature et à comprendre que lui aussi sera
soumis aux lois de la nature, et du cycle de dégénérescence et de régénération. Hugo insiste
sur le fait que l’homme n’est qu’une partie de la nature, contrairement à sa volonté
anthropocentriste qui conduit parfois l’homme à se croire au-delà de cela, et bien supérieur.
Il reprend ici un thème récurrent de la poésie du XVIème siècle, notamment chez Ronsard qui
évoque le temps qui passe, partant la volonté de profiter de la vie (carpe diem).
Par exemple dans ses Odes, le poème « Mignonne, allons voir si la rose… » (Manuel, p.88),
Ronsard écrit de manière métaphorique : « Puisqu’une telle fleur ne dure / Que du matin
jusques au soir ! » (la fleur = la vie)
4. Appuyez-vous sur les réponses précédentes pour définir le registre du poème et les
raisons de son appartenance au mouvement littéraire et culturel du romantisme.
► Registre lyrique (je, mélancolie, sentiments, exclamations)
Plan de commentaire
Commentaire
Introduction
Ce recueil poétique, Les Feuilles d’automne, a été publié en 1831. Il s’agit d’une suite
de poèmes dominés par la mélancolie, proposant des confidences, des poèmes de la vie de
famille. C’est ce que révèle le titre même du recueil : les feuilles tombent à l’automne, sont
mortes, donc expriment un sentiment de tristesse, mais celui aussi de la finitude de notre vie.
Donc d’une certaine manière, il aborde le thème du temps qui passe, fuit et nous conduit vers
la fin. C’est dans cette perspective que Hugo rédige « Soleils couchants ». L’observation du
soleil à son déclin conduit le poète à méditer sur la fuite du temps – thème récurrent de la
tradition poétique puisque Ronsard, par exemple, l’utilisait régulièrement comme dans « Je
vous envoie un bouquet ». Ici, dans « Le Soleil s’est couché », Hugo fait apparaître les
différents moments du temps dans leur succession toujours renouvelée. De cette observation
de la nature et de la fuite du temps naît la plainte élégiaque du poète conscient de sa propre
fragilité et du caractère éphémère de sa vie, dans une veine poétique traditionnelle, même s’il
n’utilise pas le sonnet.
Nous verrons en quoi ce poème de veine classique, en ce qu’il respecte nombre de
règles de la tradition poétique mais aussi en ce qu’il reprend un thème récurrent de la poésie, à
savoir celui de la fuite du temps, se démarque par une forme plus libre – dans la mesure où il
ne crée pas un sonnet – et une réflexion sur le poète.
Dans un premier temps, nous développerons l’expression du temps ; puis, dans un
deuxième temps, nous étudierons les images de la nature ; enfin, dans un troisième temps,
nous réfléchirons sur la situation de l’homme.
Les divisions du temps sont exprimées par des termes qui soulignent leur alternance régulière.
On note ainsi tout un jeu d’oppositions :
« ce soir » (v.1) ; « demain » (v.1,2) ; « le soir » (v.2) ; « l’aube » (v.3) ; « la nuit » (v.2).
b) L’écoulement du temps
Le temps s’écoule soit dans la discontinuité, soit dans la continuité, soit dans l’alternance.
Ainsi l’anaphore de « puis » (v.3-4), l’expression d’une suite d’unités avec « chaque » (v.13)
expriment la division et l’alternance.
La progression du temps est quant à elle marquée par « bientôt », « puis », « demain ».
Enfin la continuité est soulignée par « sans cesse » (v.12). L’utilisation des adverbes et des
compléments de temps est mise en relief par la ponctuation et la versification qui marquent
encore plus nettement la régularité des alternances.
Voir le morcellement des vers 2 et 4 : vers 2 : rythme 6/3/3, vers 4 : 3/3/6. Le rythme brisé de
l’alternance est également souligné par l’accumulation des monosyllabes dans le vers 4 (10 !).
C’est à travers une perception visuelle de la nature (le coucher de soleil) que le poète prend
conscience du passage du temps. La nature sert de cadre à la méditation. C’est vers elle, parce
qu’elle est grandiose, diverse, et immuable, que s’oriente l’imagination visionnaire de Hugo.
Elle apparaît d’abord de manière limitée, dans un champ visuel précis, et liée au présent du
narrateur. Elle s’élargit ensuite en une vision d’éléments diversifiés (strophe 2) repris à la
strophe 3 sous une forme et dans un ordre légèrement modifiés.
a) Le poète
C’est lui qui relate une expérience présentée comme personnelle, même si les marques de la
1ère personne n’apparaissent qu’à la fin du texte. « Ce soir » ou « demain » sont deux
notations insistent sur le caractère particulier de la vie de Hugo. L’expression explicite de la
1ère personne se trouve à la strophe 4 (« mais moi », vers 13) : elle souligne une forte
opposition avec la nature décrite à la strophe 3. On retrouve ici encore, le caractère
romantique de ce texte : 3 strophes pour la nature, 1 pour l’homme soulignant un rapport de
supériorité/infériorité. Mais aussi, il faut noter que finir par le « je » n’est pas anodin, car ce
qui reste à l’esprit c’est bien ce « je ». Par là Hugo perpétue le romantique, centré sur lui-
même, égocentrique. En outre, on voit aussi dans le « Mais moi » une distinction particulière
du poète : si le poète est un homme, il est aussi le seul à pouvoir percer le mystère de la
nature. (// « Pan »). => registre lyrique
b) L’homme
En même temps, on peut penser que le poète se prend comme référence humaine. Le texte est
suffisamment impersonnel pour que l’on puisse y voir une prise de conscience qui pourrait
être celle d’autres romantiques ou de l’homme en général (cette inspiration rappelle en effet
celle de Ronsard, et avant lui, des épicuriens).
L’homme sert de référence par tout un jeu de personnification de la nature (« front », « face »,
« ridés », « vieillis »). Sa condition fragile et éphémère se définit également dans une
constante comparaison avec la nature, comparaison construite sur de nombreuses
oppositions :
« non vieillis », « courbant plus bas ma tête »,
« toujours verts », « refroidi »,
« rajeunissant », « je passe »,
« joyeux soleil », « je m’en irai ».
« fête »
On note donc, d’un côté, l’image d’une éternelle jeunesse, de la beauté, de l’immensité
éternelle, et de l’autre celle d’un être fragile, limité dans sa vie, et qui, à l’inverse du temps,
passe, pour ne plus jamais revenir.
Conclusion
Si le thème de la fuite du temps est tout à fait traditionnel, comme Ronsard s’en fait l’écho, pour autant Hugo
cherche à se démarquer en créant sous une autre forme présentant la particularité d’être à la fois ouverte et fermée. La forme
fixe du sonnet, longtemps considérée comme parfaite, est ici renouvelée par une forme plus régulière quatre quatrains,
exprimant à la fois les quatre saisons et le cycle régulier du temps. La structure du poème met en relief un point de départ
limité à l’expérience personnelle (celle du poète percevant un spectacle de la nature), puis un élargissement dans le temps et
dans l’espace.
De ce point de vue, ce qui intéresse dans ce recueil c’est l’évolution du créateur : Victor Hugo définit désormais sa
poésie comme un « écoulement », où le langage et la vie sont emportés. Le poète est celui qui voit, celui qui nomme, celui
qui éclaire. Le poète est celui qui voit, il capte la totalité du monde. Cette saisie s’opère par l’observation, mais le regard du
poète est surtout celui de la contemplation. De spectateur, il devient visionnaire. Le poète est aussi celui qui nomme puisqu’il
donne une voix à ce qui n’en a pas. Enfin le poète est celui qui éclaire ; il est le phare qui doit guider les hommes.
COURS : Le romantisme
Le « second romantisme » centré autour de Hugo a surtout réagi à l’étroitesse des préceptes et
à la rigueur des formes imposées par le classicisme :
« L’art, toujours l’art, froid, calculé, jamais de douce rêverie, jamais de véritable
sentiment religieux, rien que la nature ait immédiatement inspiré : le correct, le beau
exclusivement ; une noblesse uniforme de pensées et d’expression ; c’est Midas qui a
le don de changer en or tout ce qu’il touche. Décidément le branle est donné à la
poésie classique : La Fontaine seul y résistera, aussi Boileau l’oubliera-t-il dans son
Art poétique » (Nerval, La Bohême galante, VI).
Objectifs :
- découvrir une forme poétique « révolutionnaire » : le poème en prose
- découvrir le « romantisme noir » à travers un auteur, père du poème en prose :
Aloysius Bertrand
Questions de préparation
1) Malgré l’emploi de la prose, quels sont les aspects du texte qui permettent de parler de
« poème » ? (jeux de construction, métrique, sonorités, rythme,…)
2) Montrez que la présence des effets de sonorités ainsi que la variété des images sont
typiques de la poésie bien plus que de la prose.
I. Un poème en prose
a) la construction poétique et métrique de la prose
b) les sonorités et les images
Commentaire
Introduction
Bercé par les incertitudes sociales et politiques, le XIXème siècle voit naître le
mouvement du romantisme, animé par de jeunes aristocrates mélancoliques et incertains en
l’avenir. Le XIXème siècle va produire les mêmes bouleversements en littérature, comme par
exemple au théâtre avec le drame romantique de Victor Hugo, ou en poésie, avec le poème en
prose. Le poème en prose est un genre qui coïncide avec la modernité poétique ; l’oxymore
« poème en prose » témoigne de cette volonté de dépasser les contraires. C’est un jeune
homme alors inconnu qui va repenser la poésie. Aloysius Bertrand, honteux de sa pauvreté, se
console dans les errances dans la ville de Dijon et dans la littérature. Propulsé dans les cercles
littéraires de Paris, il vit difficilement ce décalage entre sa pauvreté et ce monde brillant. Les
petits tableaux qu’ils nous proposent dans Gaspard de la nuit, ont pour vocation de
retranscrire par les mots la magie des perceptions visuelles ou auditives.
Nous verrons en quoi la prose d’Aloysius Bertrand peut être dite poème en prose, en
montrant les qualités poétiques de son œuvre utilisant la synesthésie et la picturalité, pour
nous faire accéder à un monde fantastique, entre archaïsme et onirisme.
Dans une première partie nous montrerons en quoi ce texte est un poème en prose en
nous appuyant sur la métrique et la poétique du texte par des sonorités et des images, puis,
dans une deuxième partie, nous montrerons comment Aloysius Bertrand, en inventant une
nouvelle forme poétique, cherche à nous faire accéder à un « nouveau monde », celui de
l’archaïsme et de l’onirisme.
I. Un poème en prose
a) La construction poétique et métrique de la prose
La construction du texte d’Aloysius Bertrand évoque la poésie par plusieurs points :
- 5 paragraphes qui jouent le rôle de « strophes »
- emploi de tournures répétées qui rappelle la chanson médiévale :
• ainsi j’ai vu, ainsi je raconte ; ainsi j’ai entendu, ainsi je raconte (refrain)
• le parallélisme « ainsi…ainsi » amplifie l’effet de construction, et permet de
lire les 3 premiers § comme un ensemble organisé
Cet ensemble organisé répond à une construction ternaire à partir du présentatif « Ce furent »
qui sert systématiquement à introduire 3 éléments :
1. 3 lieux : « une abbaye », « une forêt » « et le Morimont » ;
2. 3 sons : « le glas », « des cris » « et les prières » ;
3. 3 personnages : « un moine », « une jeune fille » « et moi »
• anaphore de l’expression Ce furent…
Au sein des paragraphes, il y a des jeux de reprise et de parallélisme : par exemple le glas
funèbre / les sanglots funèbres.
DEF. : le poème en prose est bien l’application à la prose des contraintes de la poésie.
b) Sonorités et images
▪ Les sonorités
Usage fréquent des allitérations (simples ou complexes) :
- allitérations simples : rayons de la roue
- allitérations complexes :
• en [f] et [R] : des rires féroces dont frissonnait chaque fleur
• en [b] et [R] : la barre du bourreau
a) L’archaïsme
Il se révèle par plusieurs éléments : d’abord la prégnance d’un imaginaire gothique, ensuite
l’association au macabre, enfin la théâtralisation du supplice et de la cruauté.
(1) la prégnance d’un imaginaire gothique :
L’exergue emprunté à Rabelais montre le goût de l’auteur pour l’univers médiéval et
renaissant : capes et chapeaux, habit de cordelier, mais aussi met en œuvre les topoï du
roman gothique avec un Moyen Age de fantaisie : une abbaye aux murailles lézardées (//
Friedrich), une forêt, un moine, les torches des pénitents noirs
⇨ réf. religieuse pour susciter à la fois l’épouvante et la désacralisation.
(2) l’association au macabre : toute une fantasmagorie liée à la mort, au meurtre, à
l’exécution : glas funèbre, criminel au supplice, le bourreau, prieur défunt, que son amant a
tuée. L’allusion au prénom Marguerite vient du mythe faustien.
(3) la théâtralisation du supplice et de la cruauté : nous assistons au spectacle malsain de la
cruauté avec une saturation de l’imaginaire morbide : la cendre des agonisants, pendue aux
branches d’un chêne, et le supplice évoqué de la roue.
Cris plaintifs, rires féroces.
b) L’onirisme
Le poème se présente comme un récit de rêve : voir le titre + l’exergue => J’ai rêvé tant et
plus, mais je n’y entends note. L’onirisme conduit vers le monde des fantasmes, des terreurs
nocturnes, des visions de cauchemar.
On retrouve le motif romantique de la lune : ici lune = un signe maléfique mais aussi une
métaphore de l’inspiration poétique.
// thème du reptile : lézardées, dragon, serpent : évocations diaboliques
Enfin le récit se conclut par un effacement de la vision : je poursuivais d’autres songes vers le
réveil.
Conclusion
Dans son recueil Gaspard de la nuit, Aloysius Bertrand ouvre la voie à une nouvelle
forme de poésie, le poème en prose. Guidé par la volonté de créer sans trop de contraintes,
Aloysius Bertrand conserve néanmoins des caractéristiques du genre poétique, ce qui permet
de dire qu’il s’agit d’un poème en prose. Dans « Un rêve », Aloysius Bertrand joue de la
métrique et de la construction poétique de la prose en utilisant nombre de procédés forts de la
poésie, comme les allitérations et les assonances, les anaphores mais aussi jouent de rimes
intérieures significatives. De la même manière il utilise un grand nombre d’images qui
donnent à voir, procédé qui tend à accréditer la picturalité de l’œuvre. Nous avons montré que
ce poème, en même temps qu’il renouvelle les formes poétiques, renouvelle aussi l’esprit
romantique en proposant un romantisme noir, bercé d’archaïsmes et d’onirisme, comme on
peut le retrouver dans les œuvres de Füssli. Ce recueil aura une influence considérable qui
inspirera à Baudelaire Le Spleen de Paris (1869).
Objectifs :
- découvrir que l’évolution des formes poétiques peut être l’évolution de l’œuvre d’un
même auteur : Baudelaire
- confronter/comparer deux formes poétiques d’un même auteur sur un même thème
pour déterminer pourquoi ces deux textes appartiennent au genre poétique (c’est-à-dire
saisir les points communs et les différences)
- confronter les intérêts de chaque forme pour percevoir la spécificité du poème en
prose et de ses possibilités
BAUDELAIRE
Les Fleurs du mal reste traditionnel du point de vue des formes versifiées mais Baudelaire a
conscience qu’il a atteint les limites du vers (« je crains bien d’avoir simplement réussi à
dépasser les limites assignées à la Poésie », Lettre à Jean Morel à propos de « Sept
Vieillards ») et qu’il a besoin d’une forme nouvelle plus adaptée à la « modernité ». Le Spleen
de Paris va alors traduire un sentiment d’affranchissement : « Baudelaire y risque le passage
de la description réaliste au fantastique, de l’anecdote à la réflexion morale, du lyrisme au
cynisme ou au désabusement, avec une liberté nouvelle qui, indéniablement, préfigure
certaines esthétiques du XXème siècle » écrit John E. Jackson.
▪ Les Fleurs du mal (1857)
▪ Le Spleen de Paris (1869) : si l’inspiration du Spleen de Paris se rapproche de celle des
Fleurs du mal et que l’on retrouve dans les poèmes de ce recueil la plupart des obsessions
baudelairiennes (le temps, l’évasion, le voyage, la misère, l’horreur, la hantise de la mort, le
côté dérisoire de la condition humaine…) il faut établir une double distinction entre ces deux
œuvres.
Baudelaire fait des poèmes en prose un véritable manifeste de l’inspiration moderniste que
seule peut offrir la ville. Le poème en prose relève d’une technique d’écriture non codifiée,
caractérisée à la fois par la liberté des tons et la souplesse de la forme. Par ailleurs, il précise
que la peinture d’une vision moderniste de la ville implique une forme souple, « assez souple
et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la
rêverie, aux soubresauts de la conscience. » On comprend, dans ces conditions, l’importance
d’un recueil qui apparaît comme la mise en œuvre à la fois concertée et passionnée d’une
esthétique de la modernité urbaine, hésitant entre le hasard et une volonté de structure
cohérente. Baudelaire reprend ainsi à son compte les propos d’E.A.Poe : « Dans la
composition tout entière, il ne doit pas se glisser un seul mot qui ne soit une intention, qui ne
tende directement ou indirectement à parfaire le dessein prémédité ». L’art du Spleen de Paris
réside dans cette synthèse originale d’un rythme souple, d’une cohérence interne ou d’un
vocabulaire générateur de « sorcellerie évocatoire ».
Plan de commentaire :
a) Le voyage
b)Un voyage intérieur : la prédominance du « je »
c) Le thème du souvenir
Introduction
Les Fleurs du mal reste un recueil de poésie traditionnel du point de vue des formes
versifiées, comme on le voit dans « La Chevelure », mais Baudelaire a conscience qu’il a
atteint les limites du vers puisqu’il écrit dans une Lettre à Jean Morel à propos de « Sept
Vieillards » : « je crains bien d’avoir simplement réussi à dépasser les limites assignées à la
Poésie », et qu’il a besoin d’une forme nouvelle plus adaptée à la « modernité ». Le Spleen de
Paris va alors traduire un sentiment d’affranchissement, comme en témoigne la réécriture de
« La Chevelure » sous le nom d’« Un hémisphère dans une chevelure ». Dans ce poème en
prose, Baudelaire réexploite les thèmes de son 1er poème : le parfum, les sensations, le port,
l’océan, l’ivresse sensuelle, le goût,… Baudelaire utilise la synesthésie, ce qu’il nomme des
« correspondances » entre les parfums, les couleurs et les sons. Dans « Un hémisphère dans
une chevelure », Baudelaire utilise la chevelure comme le moyen d’accéder à la rêverie, à la
douce nostalgie, aux sensations.
Nous verrons dans quelle mesure la forme du poème en prose permet à Baudelaire
d’ouvrir de nouvelles perspectives à sa poésie, et comment elle la sublime, lorsqu’il traite de
la « chevelure » de la femme comme moyen d’accéder à une douce utopie.
Dans une première partie nous verrons comment Hugo célèbre la femme à travers la
métonymie de la chevelure. Dans une deuxième partie, nous verrons comment la chevelure
conduit au rêve et au souvenir. Enfin, dans une troisième partie, nous étudierons en quoi
l’exotisme explicite du texte sert l’exotisme de la forme poétique du poème en prose.
I. Célébrer la femme par la chevelure
a) le lyrisme, expression de la passion
- L’observation de l’énonciation du poème permet de mettre en évidence deux personnes. Le
« je » omniprésent désigne bien entendu le poète. On s’aperçoit qu’il s’adresse à la femme
aimée, très présente par la répétition des possessifs liés à la chevelure. Contrairement
d’ailleurs à « La Chevelure », la version en vers du poème, où il s’adressait directement aux
cheveux, Baudelaire s’adresse ici à la femme à la seconde personne du singulier.
- Le lien entre le poète et la femme existe non seulement dans cette adresse directe, mais dans
la proximité des présences :
• « laisse-moi… comme l’homme altéré dans l’eau d’une source » : par la comparaison,
la femme apparaît salvatrice ; par les 1er mots, de son consentement « laisse-moi »
paraît dépendre le salut du poète « respirer »
• désir de communion 2e paragraphe : « Si tu pouvais savoir »
• répétition x2 de « contiennent » : la quintessence, la toute puissance
• l.11 : « les caresses de ta chevelure »
- Par ailleurs, tout le poème est écrit au présent de l’indicatif, comme si le poème s’écrivait
au moment où le poète parle à la femme et au moment où la rêverie a lieu. Nous sommes
plongés dans l’intimité du couple : temps verbaux et pronoms personnels le confirment.
- Nous voyons enfin son enthousiasme, dans tout le poème, par la modalité exclamative
dominante, et le vocabulaire entièrement mélioratif.
b) un blason : la femme-objet
Cependant, le fait que la femme ne soit désignée que par sa chevelure peut poser problème.
- Cela répond tout d’abord à une tradition connue, celle du blason : louer la femme par une
partie de son corps, par un procédé métonymique. Par l’éloge d’une partie de sa personne, la
femme doit comprendre qu’elle est louée sur son ensemble. On reste donc bien là dans le
registre épidictique, dans l’éloge.
- Mais le fait de ne parler que de la chevelure tend à réduire la femme à un objet.
*Et effectivement, nous voyons que le poète veut pourvoir en jouer comme d’un élément qui
devient très vite indépendant de la femme : « laisse-moi » l.1. Cependant, cela est moins vrai
que dans le poème « La chevelure » des Fleurs du Mal : dans « Un hémisphère… » le poète
ne s’adresse pas à elle, ce qui permet de faire apparaître et dominer la personne « tu », la
femme.
*Le fait aussi de la nommer par seulement deux termes : « chevelure » x5, « cheveux » x4, et
une seule fois « tresses », permet d’insister moins sur la description de l’objet lui-même que
sur l’effet qu’il – et par lui, la femme contenue dans les possessifs, qui lui « rendent » la
chevelure et ses effets – produit. Ces répétitions de « tes cheveux » ou « ta chevelure »
confèrent au poème une musicalité incantatoire que l’on n’avait pas dans le poème en vers,
qui privilégie l’évasion sur lequel le poète s’étend de fait davantage.
c) Le thème du souvenir
Les interjections, les phrases exclamatives, le retour des cinq sens, comme le retour de la
même construction poétique, ont pour but de bercer le lecteur et de l’emporter dans l’univers
de la rêverie et du souvenir.
« Dans la caresse de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un
divan, dans la chambre d’un beau navire (…) bercées (…) ».
La chevelure évoque des souvenirs heureux du poète, bercé par un navire, moment de détente
et de rêverie. On peut aussi imaginer que c’est là pure invention et que le poète en rêve mais
ne l’a jamais vécu.
Le thème du souvenir est propice au registre lyrique puisqu’il évoque l’intimité d’une
personne : « il me semble que je mange des souvenirs ».
III- Un voyage poétique : le poème en prose
a)La révélation d’un au-delà
Le parallélisme des structures commençant par « tout » dans le 2ème § semble évoquer les
caractéristiques du divin : omnipotent, omniscient, omniprésent :
« tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j’entends dans tes cheveux ! »
Enfin « un ciel immense » et « l’éternelle » évoquent aussi le divin et ses pouvoirs.
« je vois resplendir l’infini » : Est-ce là pour le poète une façon d’accéder à l’au-delà par le
biais des sens et de la rêverie sensuelle qui lui est offerte ? est-ce une façon de s’identifier à
Dieu par le pouvoir que lui confère les joies de l’amour ? est-ce une forme d’extase causée
par une forme de drogue que pourrait incarner la chevelure ou le corps de la femme ?
▪ Nous l’avons vu, « Un hémisphère dans une chevelure » est une réplique de « La
Chevelure » des Fleurs du mal. Mais pourquoi un tel intérêt ? pourquoi la volonté de
« refaire », de « réécrire » ? Il semble que le poème en prose offre des possibilités nouvelles.
Conclusion
Les deux poèmes sont extrêmement proches par leur thématique générale. Ils portent
tous les deux sur les mystères et la beauté d’une chevelure qui devient véhicule du rêve et de
la sensation, du voyage et du souvenir. On retrouve dans le poème et le texte en prose des
points communs manifestes. Les mêmes « valeurs » (couleurs, odeurs, sons, paysages...) se
retrouvent, mais déplacées, d’un terme à l’autre dans les deux textes. Il s'agit donc surtout de
variations sur un même thème. Si l'on s'intéresse aux changements strictement formels opérés
par le passage du vers à la prose, on peut voir que, s’opposant à la versification classique, le
poème en prose en refuse les lois de versification. La poésie du langage est alors assurée par
d’autres systèmes de rythmes et de répétitions : petits paragraphes, « couplets », versets, à
l’intérieur desquels (ou entre lesquels) s’installent des systèmes de répétitions lexicales
et syntaxiques. Les images, bien évidemment présentes dans le poème en vers, prennent plus
d’importance et s’organisent en réseaux qui permettent de provoquer sémantiquement les
phénomènes d’écho qui ne sont plus assurés par les sonorités. Cela dit, les jeux de sonorités
conservent aussi leur importance, avec l’organisation subtile de systèmes d’allitérations,
d’assonances et de divers échos sonores librement choisis par le poète sans le respect de
règles strictes.
« Quel est celui de nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêve le miracle d’une
prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour
s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux
soubresauts de la conscience ? » écrit Baudelaire dans sa Lettre à Arsène Houssaye.
Le poème en prose serait donc une forme permettant plus de liberté, moins de contraintes –
reproche longtemps opposé à la poésie. En défendant la poésie comme une vision du monde,
Baudelaire s’affranchit de la définition de la poésie comme forme fixe ou figée. La poésie est
avant tout une façon de voir le monde, comme dirait Bergson, dans Le rire, l’artiste est celui
qui traverse le voile des apparences pour contempler le monde tel qu’il est.
Enfin, le poème en prose n’est-il pas ce qui distingue le talent du génie ? L’histoire littéraire
regorge de poètes de talents, prodigieux techniciens de la langue et des vers, mais combien
ont-ils été des génies ? Peu. Le génie n’est-il pas celui qui s’affranchit des règles pour les
refonder ? Le talent est celui qui est capable de reproduire un modèle ou de produire parce
qu’il suit des règles ; le génie s’affranchit de ces règles et les réinvente.
Hegel écrit son Introduction à l’esthétique que « Le génie est celui qui possède le pouvoir
général de la création artistique, ainsi que l’énergie nécessaire pour exercer ce pouvoir avec le
maximum d’efficacité ».
Séance 6 La prose poétique
Objectifs :
- découvrir une nouvelle forme poétique : la prose poétique
- découvrir un auteur du XXème siècle : COLETTE
Colette (1873-1954)
Sidonie-Gabrielle Colette adoptera à 20 ans son seul patronyme, comme nom de plume. Après
son mariage raté, elle rencontre Missy, une amie avec laquelle elle se lance dans le music-
hall ; elle se produira sur scène pendant sept ans. Elle publie Les Vrilles de la vigne en 1908,
recueil de nouvelles qui sont « comme des poèmes en prose ». En 1920, elle publie son 1er
grand roman, Chéri, en feuilleton. Ce roman lui vaut l’admiration de Proust, de Gide et de
Cocteau : elle y conte, en inversant les schémas traditionnels, l’amour d’un jeune homme et
d’une femme vieillissante. Colette revient à l’évocation personnelle avec un recueil de
nouvelles : La Maison de Claudine (1922), puis raconte la naissance de l’amour chez deux
adolescents dans Le Blé en herbe (1923), roman qui fait scandale. Quelques livres importants
jalonnent enfin sa carrière d’écrivain : La Fin de Chéri (1926), La Naissance d’un jour
(1928), roman où s’exprime une profonde sagesse, Sido(1929) où Colette, arrivée à l’âge mûr,
célèbre à nouveau sa mère. Elle meurt en 1954 dans un appartement du Palais-Royal à Paris,
comblée d’honneurs : présidence de l’Académie Goncourt, Légion d’honneur. Transportée au
cimetière du Père-Lachaise elle eut des « funérailles nationales ».
Les Vrilles de la vigne rassemble une série de nouvelles, dont « Jour gris » qui évoque
l’enfance de Colette.
Plan de commentaire :
A priori, la problématique devrait porter sur la légitimité de dire « poétique » un extrait de
roman.
Problématique :
En quoi peut-on dire que cet extrait de roman s’apparente au genre poétique ?
I. Un travail poétique de la forme
a) le lyrisme
b) la sensualité
c) l’exil et la nostalgie
Commentaire
b) les images
* métaphores :
- « l’herbe profonde y noie le pied des arbres » l.3 ;
métaphore du chien « et tu la cherches et tu la flaires » l.8 ;
- « la lune ruisselle » l.9 : ses rayons, sa lumière ;
- « un jardin noir de verdure » l.14 : noir au sens de la densité ;
- « un gracieux spectre de brume » l.18
- « boire l’air glacé » l.21
- « digitales d’un rose brûlant » l.24 : sans doute qu’il brûle le cœur au sens où il le réchauffe
comme un être cher
- « sentier enchanté qui mène hors de la vie… » l.25 : les points de suspension laissent
supposer qu’il faut interpréter ce sentier et cet « hors de la vie ». A quoi renvoie-t-il ? Au 1er
abord on pourrait penser à la mort mais on peut aussi imaginer qu’il s’agit là du sentier de
l’imagination, de l’évasion, du voyage. L’idée de « gravir » semble indiquer que cela
nécessite un effort, peut-être celui qui consiste à quitter un monde matérialiste, réel pour
accéder à d’autres mondes soit imaginaire soit « réel » au sens platonicien (le réel des Idées) :
quitter le monde des apparences pour le monde des Idées.
- « le chant bondissant » l.25 : puisqu’il s’agit des frelons, on peut imaginer le son du vol d’un
frelon qui n’est pas régulier et monotone mais au contraire un peu chaotique.
- « où finit le monde… » l.26-27 : comme pour l.25 « hors de la vie » : Colette délimite le
champ de la vie ou de deux vies. Ici il s’agit de la confrontation entre la ville et la nature, la
vie matérialiste et la vie naturelle. « le monde » renvoie ici au monde des humains, du travail
et de la consommation qui s’achève « jusqu’à la forêt, là-haut » : délimitation réelle et
concrète, pas seulement imaginaire.
* équivoque : « tu sentirais, à leur parfum, s’ouvrir ton cœur » l.10 => sentir au sens de
ressentir, mais aussi sentir du point de vue de l’odorat.
* personnifications :
- l.3-4 « mon âme a soif… » : soif de connaissance, d’amour,…
- l.19 « un gracieux spectre de brume couché sur l’air humide… » : le spectre est couché
(attribut humain) et jeu sur les sonorités air/her(be)
- l.21-22 « ce brouillard vivant »
* comparaisons :
- « comme un berceau » l.17 : évoque l’enfance, la sérénité et l’innocence
- « ce brouillard vivant comme une âme » l.22 : animisme ? La nature est vivante
- « bat (…) comme le sang même de ton cœur » l.26 : de la même manière que le chant du
frelon qui est saccadé ou « bondissant », le sang arrive de manière saccadée puisqu’il est
littéralement pompé par le cœur. De sorte qu’on imagine que ce chant du frelon est celui qui
fait battre le cœur par un rapprochement au sens propre des deux mécanismes mais aussi au
sens figuré par le fait qu’il le fait battre par les sentiments qu’il déclenche.
- « toute pareille au paradis » l.27 : outil de comparaison « toute pareille » ; cette forêt est
« pareille (…) au paradis » => lien intertextuel avec la Bible et le paradis dans le jardin
d’Eden dans lequel l’homme et la femme étaient heureux, innocents et ignorants, et qui ont
été perverti par la volonté d’accroître leurs connaissances et de se rendre pareils à Dieu, et ont
finalement été déchus et bannis du paradis pour connaître les misères du monde, ici incarnées
dans « le monde » qui a une réelle connotation péjorative. C’est le « paradis » de l’enfance
de Colette. Ce « paradis » peut aussi être une utopie ?
* antithèses :
l.10-11 « s’ouvrir ton cœur / Tu fermerais les yeux » : opposition s’ouvrir/fermer et
rapprochement cœur/yeux => le regard est le miroir de l’âme
l.22 « un frisson te saisira, et toute la nuit tes songes seront fous » : l’opposition de la
temporalité : être saisi est immédiat, instantané, dans l’instant tandis que « toute la nuit »
exprime une prégnance et une durée. Prégnance de l’impression sensorielle.
* énumérations :
« ténu, blanc, vivant » l.18 ;
« nuage, femme endormie, serpent langoureux, cheval à cou de chimère » l.20
* zeugma : l.4-5 « le parfum (…) égale la fraise et la rose ! » : goût et odorat => les
correspondances de Baudelaire.
HYPOTYPOSE
b) la sensualité
// avec Baudelaire, « Un hémisphère dans ta chevelure » (les correspondances ??)
L’intimité des deux interlocuteurs : je/tu => Elle fait partager à un proche un souvenir
prégnant, fort, important, intime.
La sensualité des émotions transparaît dans l’évocation des sens en éveil. Tous les sens sont
convoqués mais deux prédominent l’odorat et la vue. Cette sensualité est mise en valeur par
les différentes figures de style utilisées notamment la métaphore.
- odorat : « parfum », « la rose » (l.6-7) « tu la flaires », « tu sentirais, à leur parfum.. »
ici sentir est équivoque à la fois les sentiments et l’odorat
- goût : « la fraise », « mon âme a soif », « boire l’air glacé »
- vue : « Tu jurerais » l.5, l.7 ; « tu la cherches », l.14 « regardais »
- toucher : « donne tes mains dans les miennes »
- ouïe : « Ecoute » l.23, « chant bondissant des frelons »
« tu voiles ta volupté » (allitérations en [v] et [t] ) est une invitation de la narratrice envers
son interlocuteur pour qu’il écoute ses sens, les laisse parler, les vive : « Viens » l.4 ;
« Ecoute »
c) l’exil et la nostalgie
// avec Du Bellay, « Heureux qui comme Ulysse »
Les marques de la subjectivité apparaissent avec le point de vue interne et les différents
modalisateurs : « un vert délicieux et apaisant » l.3 ; « le parfum (…) égale » l.5 (jugement) ;
« tu m’oublierais » l.16 ; « un rose brûlant » l.24 ; « un petit chemin » l.24 (donne un
caractère affectueux à celui-ci)
« pour n’en plus bouger (…) ta vie » : l’exil comme gage de sérénité, de paradis retrouvé, et
invitation à la suivre peut-être.
Conclusion
Cet extrait des Vrilles de la vigne de Colette s’apparente à la poésie descriptive en ce
qu’il a à la fois une fonction esthétique par les sonorités et images proposées au lecteur et les
différents thèmes abordés comme la sensualité, mais aussi une fonction métonymique en ce
sens que ce que décrit Colette nous indique, en réalité, l’état de son âme de poétesse. Nous
avons montré que par le travail sur la forme (notamment en ce qui concerne les sonorités et
les images) et la beauté qui en découle, ainsi que par les sujets typiquement poétiques que le
récit aborde comme le lyrisme par le retour à la nature, la sensualité ou encore l’exil et la
nostalgie, que cet extrait appartient au genre de la poésie. En ce sens on peut parler de récit
poétique ou de prose poétique.
DEF. poésie descriptive
Objectifs :
- être capable de comprendre une forme poétique dans son évolution : le poème en
prose
- identifier les spécificités du poème en prose contemporain
- découvrir un poète contemporain : Philippe Jaccottet
Introduction
Poète de la deuxième moitié du XXème siècle, Philippe JACCOTTET se démarque
par sa singulière approche de l’art poétique. Alors que ses contemporains tentent de faire
disparaître toute trace de l’auteur dans son poème, Jaccottet se met en scène dans ses poèmes
de L’Effraie et en joue pour restaurer l’authenticité et la transparence de la poésie.
Son style interpelle par une certaine simplicité qui ne rime pas pour autant avec
réduction. Cette simplicité du poétique semble le gage d’une sincérité : vocabulaire courant,
utilisation d’une énonciation marquée par un je-narrateur dont on sait qu’il est l’auteur, points
de suspension, propositions incises ou encore parenthèses… Ce qui frappe le lecteur c’est
cette fluidité qui parcourt le poème, ce souffle qui le traverse et l’anime.
Nous verrons en quoi Jaccottet associe le sens et la forme, alliant la rigueur du vers de
douze syllabes avec la souplesse et la liberté permises par des vers non rimés, pour exprimer
l’ambivalence de la mort dans une méditation authentique alternant sincérité et angoisse
devant ce passage obligé.
Dans un premier mouvement, du vers 1 jusqu’au vers 5 « le vent secoue le noisetier »,
Jaccottet met en place le décor et la situation en créant une atmosphère particulière. Dans un
second mouvement, du vers 5 « Vient cet appel » jusqu’au vers 10 « et de tes yeux », il
développe la duplicité de la nuit, son caractère double. Enfin dans un troisième mouvement,
du vers 10 « Mais ce n’est » jusqu’au vers 15 « au coin des rues », le poète nous fait quitter la
réalité pour voyager dans le rêve.
CONCLUSION
Ce 1er poème de L’Effraie utilise les métaphores filées de la nuit et du vent pour signifier le
passage de la vie à la mort.
Plan de commentaire :
II. L’oiseau
Mélange de deux systèmes de temps, celui d’une journée et celui d’un mois. Le terme minuit
renvoie encore à la nuit, tandis que le mois évoque une forme de tempérance : ni glacial
comme l’hiver, ni torride comme l’été. Cela implique une forme de calme, de paix, de
sérénité. En outre le mois de juin correspond à la moitié de l’année, ce qui peut justifier
l’usage du terme « minuit », comme celui de la moitié d’une vie…peut-être.
Ici la césure est respectée. 12 syllabes : vers blancs plutôt qu’alexandrins parce qu’il n’y a pas
de régularité.
b) opposition ville/nature
Métaphore de la cité qu’on retrouve à la fin du poème avec banlieue (v.12) => spatialisation
d’une temporalité.
« grande cité endormie », v.1 ; « une lueur fuyant à travers bois », v.6 ; « au fond des bois de
banlieue », v.12 ; « au coin des rues », v.15.
Cela invite à quitter la ville tout au moins par l’esprit : elle, par le rêve lié au sommeil, lui, par
la méditation. La nuit s’apparente à un voyage, donc par incidence, la mort est un voyage, la
nuit, un passage.
A quoi correspond cette banlieue ? Aspect métonymique de la cité, des rues, des hommes.
Au vers 4, on entre dans un système d’énonciation marqué par des personnes tu/ m’. Le je-
objet. A qui renvoie ce « on » : l’humanité ? la vie ? les autres hommes ?…
Les deux premières syllabes du vers (tu dors) annoncent la brièveté du constat en même
temps que de la douceur, toujours avec cette volonté de ne pas réveiller.
En outre, il faut remarquer la passivité du poète « transporté » (voir la structure passive) :
toujours cette idée de spatialisation pour évoquer la temporalité, la nuit et ses bords infinis :
impossibilité de définir la limite ; et comme le vent, il n’y a pas de limite, juste de la
continuité dont on ne peut se rendre maître.
1ère apparition du je, de l’auteur comme sujet, jusque-là objet de l’appel (v.4 m’). Le je est
sujet du langage et de la méditation à laquelle invite la nuit lorsque tous sont endormis ; mais
cette méditation ramène l’auteur vers l’asile et vers l’autre : tes yeux => le sommeil les cache
et réveille la mémoire.
Pourquoi les yeux ? parce qu’ils sont le miroir de l’âme ou du cœur, que si le lit est un asile,
ils évoquent l’amour et que les sonorités glissent dans la bouche comme le souffle du vent.
La mise entre parenthèses indique que l’auteur est dans sa réflexion : bref retour à la réalité.
Le pronom impersonnel dans « on jurerait » indique que ce que croit l’auteur, chacun le
croirait => volonté de généralisation de la perception.
II. L’oiseau
Ici, en fin du vers 2, on change de sujet. De la nuit on passe au vent. D’ailleurs le CC de lieu
exprime cette continuité du vent, un chemin. Le nouvel enjambement participe à cette
continuité comme le vent de loin/ jusqu’à.
b) la symbolique du vent
« où le vent souffle… », v.2 : points de suspension peuvent évoquer le bruit du vent qui
souffle. vent = fluidité, souffle
Cette idée du souffle est renforcée par les points de suspension qui prolongent la course du
vent : cela mime à la fois le silence de « la nuit […] endormie » et la solitude, la
désertification de la nuit.
« Il est venu de loin jusqu’à / l’asile de ce lit » v.2-3
« le vent secoue le noisetier », v.5 : symbolique du noisetier, de l’arbre ?
« cet appel/ qui se rapproche et qui se retire » (rappelle les vagues mais aussi les mouvements
du vent) ; « qui tournoient », v.8
CCL
Retour au jour avec le déclin des étoiles comme celui de la vie qui s’achève. La nature, quant
à elle, poursuit son chemin et nous passons comme le vent passe sur la ville.
Objectifs :
- vérifier la lecture de la section de poésie (16 poèmes)
- développer l’esprit critique des élèves
- justifier le choix d’un poème et de ce qu’il évoque
« Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes
d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les
quintessences1. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre
tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant ! - Car il arrive à l'inconnu ! -
Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu'aucun ! Il arrive à l'inconnu ; et quand, affolé, il finirait par perdre
l'intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu'il crève dans son bondissement par les choses inouïes et
innommables : viendront d'autres horribles travailleurs; ils commenceront par les horizons où l'autre s'est affaissé
! (…)En attendant, demandons aux poètes du nouveau. – idées et formes. Tous les habiles croiraient bientôt avoir
satisfait à cette demande. – Ce n’est pas cela ! (…) Le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu. Encore a-t-il
vécu dans un milieu trop artiste ; et la forme si vantée en lui est mesquine : les inventions d’inconnu réclament
des formes nouvelles. »