C’est à partir de ces deux toutes premières conceptions de la science des signes que naquit la divergence entre les deux écoles et, par conséquent, leur terminologie. Par conséquent, les deux terminologies ont en commun la même origine et le même objet d’étude : le signe. Il faut noter que les deux termes de sémiologie et sémiotique sont employés communément par des spécialistes qui se penchent beaucoup plus sur l’objet d’étude et les éléments communs entre les deux écoles pour développer de nouvelles théories qui serviront cette science des signes. I.1.1.4. Pour une terminologie plus précise : Nous allons voir que quelques sémioticiens modernes comme A.J.Greimas et J.Courtés partagent une vision très particulière et bien précise sur ce problème de désignation. Pour ces deux derniers qui s’inscrivent dans une conception plus large de la science qui a pour objet d’étude la vie des signes au sein de la vie sociale, la sémiotique et la sémiologie ne représentent pas exactement la même chose. Dans leur Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, ces deux sémioticiens de renommée précisent l’évolution de ces deux terminologies et exposent clairement leur vision des choses. On peut lire dans leur ouvrage commun qui peut être considéré comme une référence incontestable et sans pareille : « le terme de sémiologie solidement implanté en France (parmi les disciples de R. Barthes et, en partie, de A. Martinet) et dans les pays latins, continue à être largement utilisé, ce n’est que dans les années 1970 que le contenu méthodologique de la sémiologie et de la sémiotique s’est progressivement différencié, rendant significative l’opposition des deux désignations »[1] Ils affirment à cet égard que «le projet sémiologique s’est réduit à fort peu de chose : à l’analyse de quelques articles de suppléance, ce qui a fait apparaitre la sémiologie comme une discipline annexe de la linguistique »[2] Quant à HJELMSLEV dont la conception est reprise par J.COURTES et A.J.GREIMAS ,pour lui, la sémiologie ne prend pas en charge tous les systèmes de communication tels les langages logiques et les langages de connotation. Dans le cas de ce dernier type, le signifiant est inaccessible à toute structuration directe et ne peut être approché que par postulation ce qui est inacceptable par une sémiotique qui a pour postulat fondamental celui de « la préposition réciproque du signifiant et du signifié qui en constitue la force et la spécificité »[3] En outre, d’après Greimas et Courtés : « la sémiologie traite la description du signifié comme une simple paraphrase »[4] ce qui pose un nouveau problème qui est celui du contrôle et de la réglementation de la paraphrase. La sémiologie perd, alors de sa scientificité. L’autre point de litige entre la sémiologie et la sémiotique réside dans l’évaluation des rapports entre linguistique et la sémiologie / sémiotique : c’est ce que nous tenterons d’expliquer dans le passage suivant. I.1.2. Place de la sémiotique dans les sciences de la communication : Pour permettre à notre lecteur de bien réorganiser ses idées et de se faire une conception personnelle de cette discipline, nous allons tenter de répondre à un certain nombre de questions qui nous préoccupent et le préoccupent probablement et nous allons étayer nos propos par des définitions récentes que de nouveaux spécialistes modernes et contemporains ont élaborées. Tout d’abord, nous devons savoir quelle place occupe cette nouvelle science dans le monde des sciences sociales. Le linguiste Roman Jakobson a proposé un modèle intégrant sous la forme d’une imbrication de domaines l’ensemble des champs d’étude relatifs à la production de signification qu’elle soit explicite ou implicite: linguistique, sémiotique, ou qu’elle ressortisse à un domaine plus vaste encore, la science de la communication: «La sémiotique, comme étude de la communication de toutes les sortes de messages, est le cercle concentrique le plus petit qui entoure la linguistique, dont le domaine de recherche se limite à la communication des messages verbaux. Le cercle concentrique suivant, plus large, est une science intégrée de la communication qui embrasse l’anthropologie sociale, la sociologie et l’économie»[5].
science de la communication sémiotique linguistique Même si cette vision de JAKOBSON ne fait pas l’unanimité, puisqu’il y a ceux qui pensent que la linguistique enveloppe la sémiologie, nous la trouvons assez convaincante du moins concernant l’objet d’étude. R.BARTHES pense que chaque ensemble sémiotique doit passer par la langue : « tout système sémiologique se mêle de langage »[6].Il est impératif de prendre le mot langage dans son sens le plus restreint : celui que lui donne Martinet : « faculté qu’ont les hommes de s’entendre au moyen de signes vocaux »[7].A ne pas confondre avec son sens général. Ainsi la sémiologie serait une branche de la linguistique et non l’inverse. Alors, R. Barthes, à la différence de Saussure, réaffirme le primat de la langue et considère que la sémiologie doit être dans la dépendance de la linguistique. Serait-ce l’avis de tous les sémioticiens modernes tels Greimas et Courtés ? En effet, les sémioticiens sont unanimes sur le fait que la linguistique est d’une importance irréfutable pour la sémiotique générale; Par conséquent, pour les sémiotiques spécifiques. Ceci dit, à notre connaissance, aucun autre sémiologue ou sémioticien n’a avancé une opinion proche ou pareille à celle de Barthes sur la dépendance de la sémiologie de la langue. Donc la linguistique ne peut qu’être une partie intégrante de la sémiotique générale et à son service.
[1] J.COURTES et A.J.GREIMAS Dictionnaire raisonné de la théorie du langage. Hachette, 2003.
P335 [2]Ibid [3] J.COURTES et A.J.GREIMAS, op. cit, p 344 [4]Ibid [5]R. J AKOBSON , Essais de linguistique générale, Minuit, 1973, p. 93. [6]R.BARTHES, Eléments de sémiologie, in Communications n° 4, Paris, Seuil, 1964, p 2. [7]A.MARTINET , Eléments de linguistique générale, Armand Colin, 1996, P07