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Revue des études slaves

L'exclamation comme transformation de modalité


Monsieur Jean-Pierre Benoist

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Benoist Jean-Pierre. L'exclamation comme transformation de modalité. In: Revue des études slaves, tome 59, fascicule
3, 1987. Tome 59, fascicule 3 : En hommage à Jacques Veyrenc : Études de linguistique slave [sous la direction de Paul
Garde] pp. 445-452.

doi : 10.3406/slave.1987.5661

http://www.persee.fr/doc/slave_0080-2557_1987_num_59_3_5661

Document généré le 08/09/2015


L'EXCLAMATION

L'EXCLAMATION COMME TRANSFORMATION DE MODALITE

PAR

JEAN-PIERRE BENOIST

La modalité relève de renonciation, c'est-à-dire qu'elle est un des constituants


de la phrase, unité minimale du discours. Elle est inscrite dans les signes du mes
sage quel que soit leur niveau, lexical, morphologique, intonationnel... La modal
ité est donc un signe linguistique, elle possède les deux faces de tout signe linguisti
que, la face du signifiant et la face du signifié. Le signifié des modalités est défini
par les paramètres de l'acte énonciatif — relation du message avec les participants
(orientation dominante sur le locuteur, orientation dominante sur l'allocutaire,
orientation sur les deux participants) et avec le réel (description du réel ou message
dénotatif , opérations sur le réel).
Les différentes modalités — déclarative, assertive (ou assertorique), interrogative,
jussive, exclamative — forment un système de corrélations binaires dans lesquelles
le poste non marqué est constitué par la modalité déclarative, celle des messages
dénotatifs, dont le signifiant est essentiellement intonationnel (IK-1 dans la descrip
tion de E. A. Bryzgunova).
Les postes marqués des différentes corrélations ont des signifiants spécifiques
plus complexes et fréquemment combinés (même s'il y a entre les divers marqueurs
une relation de compensation — c'est le cas par exemple pour la modalité interro
gativeavec la particule li et la structure intonationnelle IK-3 — qui fait que le mar
queur le moins « discret », parce que le plus « naturel », le marqueur intonationnel,
perd de sa spécificité quand il est en combinaison avec un marqueur lexical ou
morphologique).
La modalité jussive et la modalité interrogative sont orientées sur l'allocutaire
et ont une présupposition commune, l'allocutaire est censé pouvoir faire ce que
lui demande le locuteur ou répondre à la question que ce dernier lui pose. Sans
cette croyance du locuteur ordre et interrogation ne seraient que des simulacres.
La différence porte sur le contenu de la sommation faite par le locuteur à l'all
ocutaire ; la réponse à une question apporte au locuteur une connaissance ou une
assurance nouvelle, la réponse à un ordre est du domaine du réel, une satisfaction
matérielle ou verbale d'un besoin exprimé par le locuteur.

La modalité assertive met en jeu les deux participants mais de façon différente.
L'assertion s'adresse à l'allocutaire tout en n'exigeant rien de lui. Elle n'apporte
donc rien au locuteur, mais s'il insiste, souligne tel ou tel élément de son message

Rev. Êtud. slaves, Paris, LIX/3, 1987, p. 445-452.


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sur le réel, c'est parce qu'il suppose que son interlocuteur peut être d'un avis
contraire précisément sur cet élément. C'est une sorte de réitération de la dénotat
ion, qui est un des moyens de la fonction phatique du langage.
La modalité jussive, la modalité interrogative et la modalité assertive sont essen
tiellement dialogiques, alors que la modalité exclamative, même si elle peut se
réaliser lors d'échanges verbaux, est orientée essentiellement sur le locuteur. Elle
est une manifestation extrême de la subjectivité du discours puisque le réel n'est
ni décrit ni ordonné ni questionné, mais seulement évoqué, en cédant la place au
sentiment et à l'émotion qu'il éveille chez le locuteur. Néanmoins cette prédomi
nance de l'affectivité sur la dénotation dans les phrases exclamatives les plus comp
lexes (dans les plus simples, les interjectives par exemple, il n'y a aucune déno
tation) ne signifie pas nécessairement qu'elles constituent des variantes « express
ives ». Là où la modalité exclamative est le seul moyen, ou le moyen régulier, il
ne peut s'agir d'expressivité1 .
Nous emprunterons à deux ouvrages d'O. Ducrot une analyse de la modalité
exclamative, analyse que nous faisons nôtre. « On dira qu'un fait est attesté par un
acte de parole, lorsque cet acte se présente comme une des conséquences (pas fo
rcément d'ailleurs comme une conséquence nécessaire) de ce fait... Un tel concept
nous semble utile pour décrire sémantiquement cette catégorie d'expressions qu'on
appelle 'interjections' [...]. Comment décrire en effet la différence entre les inter
jections de peine (Aïe ! ou Hélas /) et des phrases qui énoncent un sentiment de
peine (Je souffre, je suis triste). On sait que les premières ne sont pas moins arbi
traires que les dernières, et que, pour un même sentiment, les interjections varient
largement d'une langue à l'autre. H est clair que le mensonge, la simulation sont
également possibles dans les deux cas, et, inversement, que l'interjection, aussi bien
que la phrase, peut souvent être 'retenue', qu'elle n'est pas 'arrachée' par la situa
tion — cette espèce de décalage étant propre à tout comportement linguistique.
Reste cependant... une différence sémantique fondamentale. C'est que l'inter
jection, même si elle n'est pas arrachée par la situation réelle, se présente comme
telle. Le Aïe ! et le Hélas ! se donnent pour des conséquences de la douleur ou de la
tristesse (de même le rire se donne pour involontaire — ce qui permet au rieur de
prouver, par son rire, le ridicule de son adversaire.2 »
«[...] les phrases exclamatives — entendant par là aussi bien les interjections
(Chic ! Bof !) que les exclamatives 'complètes' comportent à la fois une sorte de
description de la réalité et une tournure exclamative (Ce que Pierre est intelligent !).
[...] Quelle différence y a-t-il entre s'exclamer 'Ce que Pierre est intelligent !' et
affirmer 'Pierre est très intelligent' ? fl s'agit pour moi de la façon dont le sujet
parlant, dans un cas et dans l'autre, représente la propre énonciation qu'il est en
train d'accomplir. En disant 'Pierre est très intelligent', on peut présenter renonc
iation comme résultant totalement d'un choix, c'est-à-dire de la décision prise
d'apporter une certaine information à propos d'un certain objet. Avec 'Ce que
Pierre est intelligent !', on la donne au contraire comme déclenchée par la représen
tation de cet objet : c'est l'intelligence même de Pierre qui semble forcer à dire 'Ce
que Pierre est intelligent !'3 »

1. C'est, mutatis mu tandis, ce que nous avions dit de la séquence Noyau Topique de la
phrase interrogative dans notre thèse de doctorat : elle ne peut être expressive, à la différence
de la phrase déclarative, puisqu'elle est nécessaire (cf. J.-P. Benoist, les Fonctions de l'ordre des
mots en russe moderne, Paris, Institut d'études slaves, 1979, 379 p.).
2. O. Ducrot, Dire et ne pas dire, 1 972, p. 66-67.
3. O. Ducrot, le Dire et le Dit, 1984, p. 1 85-186.
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Les modalités marquées comme l'interrogation, l'ordre, l'assertion sont fréquem


ment interprétées comme des transformations de la modalité déclarative, nous
allons voir que la modalité exclamative, dans ces diverses réalisations, est dérivée
aussi bien de la modalité jussive, interrogative ou assertive que de la modalité
déclarative. Les transformations qui opèrent au niveau de renonciation permettent
de passer de la modalité de base à telle ou telle modalité dérivée sans affecter le
réel (la référence) qui sous-tend ces différents actes de discours.

La variété des types de phrases exclamatives rend difficile l'étude de cette modal
itéet particulièrement celle de son marqueur intonationnel. Si nous reprenons
l'analyse de E. A. Bryzgunova telle qu'elle l'a présentée dans la Grammaire russe de
1980, nous voyons que l'exclamation est représentée par toutes les structures
intonationnelles (IK) sauf IK-1 qui caractérise la modalité déclarative (« intona
tion de point » dans la terminologie des premiers travaux de cet auteur). Le signe
de ponctuation finale nommé signe d'exclamation n'appartient évidemment qu'aux
réalisations écrites, où il est parfois — abstraction faite de l'intonation correspon
dante — le seul marqueur de la modalité : c'est fréquemment le cas dans les phrases
exclamatives dérivées de phrases déclaratives A мы в зоопарке были. [ІК-lJvs.
А мы в зоопарке были ! [IK-6] avec le même centre intonnationnel (зоопарке) 1
(la modalité exclamative apporte une appréciation extrêmement laudative de la
situation, qui n'est pas dans la phrase déclarative). Dans d'autres types le point
d'exclamation est un marqueur redondant, c'est par exemple le cas des ordres pres
sants donnés au moyen d'un adverbe, сюда !, скорее ! (ils peuvent être transformés
en interrogations сюда ?, mais le poste marqué est ici précisément l'interrogation,
c'est le point d'interrogation qui est indispensable). L'emploi de ces adverbes
comme constituants de phrase ne peut être donc qu'exclamatif. D faut néanmoins
se demander si le point d'exclamation est univoque, autrement dit s'il n'est le
marqueur que de la modalité exclamative, sa présence signifiant nécessairement
dans ce cas qu'on a affaire à une phrase exclamative.

I. — La modalité exclamative comme transformation de la modalité déclarative.


1 . La différence entre les deux modalités apparaît le plus nettement dans les
phrases interjectives comme il a été dit plus haut. Ici l'exclamation se veut être
un comportement, une réaction naturelle quoique verbale à un certain réel, alors
que la déclaration est une description de ce réel. La phrase interjective est une
unité du discours, mais elle n'est pas une proposition (elle ne possède pas de para
digme et ne peut pas apparaître dans une position de subordonnée) : Ой ! par exemp
le ne connaît aucune des modifications propres à la proposition à la différence de
мне больно ; он сказал, что ой est impossible en face de он сказал, что ему
больно. La phrase exclamative ne relève donc que du discours direct. Ce premier
type de transformation pourrait être représenté de la façon suivante :
(1-1) Proposition (modalité déclarative) > Interjection (modalité exclamative).
2. Un autre type de phrase exclamative repose sur une réduction énonciative
de la phrase déclarative, c'est-à-dire de la proposition. A la différence des inter
jectives ces phrases ne sont pas nécessairement exclamatives, la réduction consiste à
n'exprimer que les éléments qui apportent une information « nouvelle » , qui sont

1. Интонация, 1978, p. 26.


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nucléaires, au sens de la théorie de la division actuelle. Les éléments omis sont


contextuels et peuvent être facilement rétablis. Ainsi больно pour мне больно avec
sa signification intrinsèque de sensation pourra facilement constituer une phrase
exclamative : больно, mais aux dépens de ses potentialités structurelles :
(1-2) Proposition complète > Proposition elliptique.
Parfois les éléments omis apparaissent dans une phrase précédente — surtout s'ils
constituent toute une situation — « Глаза выплакали ? Распустили нюни ? Глу
по! » (Stanjukovič, Groznyï admirât) ou même une phrase postérieure « Удиви
тельно ! Как только в бой, так у вас открываются старые раны. » (Šoloxov,
TixijDon).
Une variante est constituée par un ordre des éléments « expressif » , la partie
nucléaire de la phrase précède la ou une des parties topiques. « Напридумали ваши
писатели » (Baruzdin, Povtorenie projdennogo). Cette séquence affaiblit le rôle
du topique postposé et est ainsi proche de l'ellipse.
3 . Certaines propositions sont toujours exclamatives : elles expriment de façon
synthétique ce qui peut être dit de façon analytique. C'est le cas des propositions
impersonnelles avec un génitif partitif -intensif Q людей !, Q народу !, Q воды !,
Q крови ! en face des propositions analytiques (p много людей, Q народу, Q мно
го воды, Q много крови (qui peuvent être facilement exclamatives étant donné
leur signification d'intensitivité, mais qui ne le sont pas nécessairement) :
(1-3) Construction analytique > Construction synthétique.
4. Les adjectifs et adverbes intensifs так — такой, как — какой pour la qual
ité et столько — сколько pour la quantité sont toujours des marqueurs de la mod
alité exclamative (ils peuvent être renforcés — par des mots comme беда, страсть,
ужас..., mais sont inconciliables avec les intensitifs canoniques et non exclamatifs,
какой очень большой дом est impossible).
On considère fréquemment que les secondes séries (en К, СК) de ces groupes
sont des variantes positionnelles, contextuelles des relatifs-interrogatifs correspon
dants. Pour nous il s'agit simplement d'homonymie, les exclamatifs sont en nombre
beaucoup plus restreint que les interrogatifs, en outre какой exclamatif et son h
omonyme interrogatif ont une signification différente (какой дом ? interroge sur
l'identité du substantif (son réfèrent) alors que какой дом ! s'exclame sur la qual
ité car l'identité de la maison dont tel ou tel trait éveille ľétonnement ou l'admira
tion ou tel autre sentiment chez le locuteur est nécessairement connue de celui-ci).
En fait c'est que la série de base T, CT, dont est dérivée la série К, СК, n'est pas la
même que la série des démonstratifs (cataphoriques-anaphoriques) d'identification
TOT, (КТО), ТАКОЙ, (КАКОЙ) , СТОЛЬКО, (СКОЛЬКО) . La série intensive T, CT
introduit une conséquence qui, soit est explicitée par une proposition subor
donnée Он такой хороший, что все его любят, soit n'est pas réalisée par des mots
mais par la modalité exclamative elle-même Он такой хороший f. L'emploi de la
série К, СК élimine la possibilité d'expression de la conséquence Какой он хоро
шийІ
Ainsi la qualité exprimée par le démonstratif такой est un élément d'identifi
cation du réfèrent (« Какие мысли были у мужа, такие и у нее », Čexov, Dušeč-
ka) et ne constitue pas un degré d'intensité.
La transformation de modalité peut être représentée de la façon suivante : (1-4)
Proposition consécutive explicitée > proposition consécutive non explicitée (sé
rie T, CT) > proposition consécutive non explicitable (série K, CK). Les exclama-
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tives intensives ne peuvent donc pas être considérées comme des transformations
d'interrogatives.
5. Un type totalement différent est représenté par les phrases exclamatives
dérivées de phrases déclaratives par ellipse du modus (dans la terminologie de
Bally). Il ne s'agit pas du type 1-2 parce que l'ellipse présente une régularité que les
ellipses de topique n'ont pas, étant essentiellement contextuelles.
Les réalisations les plus fréquentes reposent sur l'ellipse d'un verbe performatif
(quand « dire » c'est « faire » selon Austin). П faut d'ailleurs remarquer que les
verbes performatifs dans leur emploi spécifique sont des manifestations du locu
teur (à la ire personne) et par conséquent sont par excellence subjectifs. Tout en
présentant une certaine dénotation ils constituent facilement des phrases exclamat
ives, surtout s'il y a ellipse du pronom personnel sujet : прошу прощения !, со
гласен !, извиняюсь !. Fréquemment ces phrases exclamatives qui constituent
des formules propres aux échanges interindividuels sont réduites au seul dictum
Честное слово ! vs. даю честное слово (!) ; С праздником ! vs. поздравляю с
праздником (!) ; Заседание закончено ! vs. объявляю заседание закончен
ным (!). Parfois c'est le prédicat performatif qui est à lui seul exclamatif Поздрав
ляю ! vs. le с праздником ! de la variante précédente ; мои соболезнования ! ;
признаюсь ! vs. виноват ! ou моя вина !.
Un type de phrase toujours exclamative est constituée par l'optatif (mode gram
matical du souhait), dictum d'une phrase dénotative dont le modus est le verbe atti-
tudinal желаю (selon Benveniste les prédicats attitudinaux commentent l'action de
la proposition qui les contient, alors que les performatifs l'effectuent) : Чтоб он
выздоровел ! Желаю, чтобы он выздоровел. Le souhait est exprimé également
par un substantif au génitif qui apparaît soit avec le verbe желать (performatif à la
première personne et adressé à l'allocutaire — желаю тебе всех благ (!) ) soit seul
(le plus souvent dans les formules quotidiennes — ни пуха ни пера ! ; счастливого
пути ! ; спокойной ночи !).
(I- 5) Phrase contenant un modus > phrase avec ellipse du modus.

П. — La modalité exclamative comme transformation de la modalité jussive.


(II-l) La phrase à l'impératif, expression canonique de l'ordre, peut être tran
sformée en phrase exclamative par un changement de l'intonation (IK-3 > IK-2 ou
4). Cette transformation ne modifie pas la modalité de base, elle lui ajoute la sub
jectivité propre à l'exclamation, impatience ou reproche du locuteur (qui corre
spondent à une intervention plus affective) :
(Окно закрыто ?) — Откройте окно. (ИК-3)
(Окно закрыто !) — Откройте окно ! (ИК-2)
(Н-2) fl en est de même avec les phrases exclamatives d'ordre dont l'expression
n'est pas canonique et qui par conséquent ne peuvent pas être perçues hors excla
mation, comme l'a montré J. Veyrenc1 . L'infinitif qui dénomme une situation
s'emploie dans une phrase exclamative pour donner un ordre pressant молчать !,
унять его ! qui est toujours adressé à l'allocutaire, d'où toutes les restrictions
propres à ce type, qui le distinguent de la « proposition infinitive » , ce qu'a sou
ligné notre regretté collègue. Le futur хватит, будет seul ou suivi d'un infinitif
est toujours exclamatif avec ellipse du datif de l'allocutaire.
1. J. Veyrenc, les Propositions infinitive* en russe, Paris, Institut d'études slaves, 1979,
p. 15-16.
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Avec le type purement nominal документы !, врача !, воды !, ко мне !,


ou adverbial сюда I, скорее !, c'est le prédicat qui est omis, pas pour des raisons
contextuelles mais parce que la situation est suffisamment univoque pour que
l'expression du geste qui est sollicité ne soit pas nécessaire. Le cas extrême est
constitué par une phrase exclamative comme Таня ! qu'il faut distinguer du simple
appellatif Таня. Il s'agit le plus souvent d'un avertissement, d'un rappel à l'ordre
particulièrement émotionnel : ne t'avise surtout pas de faire telle ou telle chose
dont il a été question auparavant. Néanmoins l'appellation peut constituer une
phrase exclamative si elle contient un marqueur spécifique comme l'interjection
Эй qui sert à héler quelqu'un Эй, Вы !, Эй, Таня !. Cette distinction de l'appella
tion simple (sans point d'exclamation), dans une phrase déclarative ou jussive
adressée à l'allocutaire, et de l'appellation destinée à attirer l'attention (avec point
d'exclamation) montre bien la nature exclusivement émotionnelle du « point
d'exclamation ». Il mérite le nom qu'il porte et est, dans le discours écrit, le seul
marqueur inaliénable de la phrase exclamative.
Les deux derniers types de transformations exclamatives peuvent être repré
sentés de la façon suivante :
(II-
1) Substitution à l'impératif, mode canonique de l'ordre, d'un infinitif,
mode dénominatif de l'action.
2) Ellipse de l'impératif (différentes variantes).
Il s'agit d'un avertissement tout à fait différent dans une phrase comme
« Ладно — стращай ! » (Čexov, Barynja), l'aspect utilisé est en général ľimperfectif
qui relève de ľimperfectif ď« indifférence » : fais ceci - si tu veux, mais cela ne
servira à rien. П у a dans ces phrases une ironie qui est d'autant plus manifeste
qu'elles renforcent souvent d'autres phrases exclamatives non impératives qui
expriment également l'inutilité de l'action. C'est ainsi sans doute que la phrase
Держи карман пошире est devenue un idiotisme pour désigner la vanité de telle
ou telle espérance : Скажут нам правду, держи карман пошире !

ПІ. - La modalité exclamative comme transformation de la modalité assertive.


1 . La participation marquée du locuteur dans l'exclamation augmente la force
de l'assertion -.Поймет он тебя ! avec IK-2 sur le verbe — Обязательно поймет !
ПС-2 sur l'adverbe. C'est fréquemment le cas dans des réponses à des questions véri
ficatives (еплм) , (Хорошо здесь ?) — Хорошо ! avec IK-7 vs. IK-1 simple asser
tionde constatation.
Fréquemment dans les réalisations orales l'exclamation correspond à une asser
tion de valorisation qui présente la situation comme un événement inattendu
Автобус идет ! avec IK-2 sur le substantif.
Intonation non exclamative (déclarative-assertive) > une des intonations
exclamatives (combinée à l'ordre des mots).
2. Le plus souvent l'assertion exclamative par son insistance excessive équivaut
à l'assertion de la validité contraire, l'intonation IK 7 est alors obligatoire, le
contexte étant suffisamment univoque d'ordinaire. L'ordre des mots utilisé met au
début le centre intonationnel sur lequel joue l'assertion : « Очень нужно твое пе
ние ! » (Čexov, Pevčie) , « Много ты знаешь ! » (Gor'kij, Vljudjax)1 .

1. D. N. Šmelev, Синтаксическая членимость высказывания в современном русском


языке, р. 132-140.
L'EXCLAMATION COMME TRANSFORMATION DE MODALITÉ 451

Ce détournement de la validité de l'assertion (de l'affirmation à la négation)


constitue un procédé expressif qui relève de l'ironie, de la dérision et constitue ce
qu'il est convenu d'appeler un acte de discours « indirect » . Il nous semble que ce
fonctionnement énonciatif est à l'origine de certaines antonymies lexicales qui
caractérisent des appréciatifs comme хороший, ну и хорош ! ou ты хорош /
(l'adjectif « signifie » ici le contraire de son sens hors exclamation, « tu as mal
fait, tu as mauvaise mine... »). L'assertion ironique est fréquente au futur où elle
exprime à sa façon la promesse de ne pas faire quelque chose : Буду я ее слушать f
La transformation de l'assertion par IK-7 ne signifie pas seulement le détourne
ment de la validité de la phrase (modalité épistémique) mais aussi celui de sa valeur
(modalité déontique) : // n'est pas bien que. Nous retrouvons les caractéristiques
séquentielles, en outre certains lexèmes se spécialisent dans ce fonctionnement :
« Оставить разговорчики, нашел место ! » (Koževnikov), « Рабочий называет
ся ! » (Nikolaeva), « Дался вам этот Крылов ! » (Granin).
La dérision est possible également dans des phrases négatives : « Недоставало,
чтобы мои подчиненные наносили мне страшное оскорбление в моем же
доме ! » (Čexov).

IV. — La modalité exclamative comme transformation de la modalité interrogative.


1 . Exclamation et interrogation sont incompatibles, dans l'exclamation le locu
teur connaît l'identité de tous les éléments de la phrase ; c'est le contraire dans
l'interrogation puisqu'il se renseigne auprès de ľallocutaire. B existe néanmoins
des phrases dont le signifiant est interrogatif et qui ne sont pas des demandes d'i
nformation puisqu'au contraire elles imposent à ľallocutaire l'opinion du locuteur,
fl s'agit de l'interrogation traditionnelle appelée « rhétorique » ou « oratoire »,
acte de discours indirect puisque le locuteur affirme ici avec force le contraire de
la modalité épistémique ou déontique. Mais ces phrases conservent l'aspect de
l'interrogation, selon P. Fontanier le locuteur met ici ľallocutaire au défi de pouvoir
nier ou même répondre1 .
« Могу ли я смотреть на вас иначе, если я вас люблю ? » (Cexov)
C'est d'ailleurs le même détournement de modalité que l'on a dans les interro
gations réitérées (переспрос) lorsque le locuteur feint de ne pas avoir compris
dès la première fois et repose la même question.
2. La transformation exclamative n'apparaîtra totalement qu'avec les modifi-
fations de l'intonation (IK-7) et de la ponctuation.
Nous retrouvons les mêmes distinctions que dans la transformation dérivée de
la modalité assertive, détournement de validité et détournement de valeur, il n'y a
pas de X satisfaisant la phrase, et le X qui satisfait la phrase ne le devrait pas ou ne
le mérite pas2 .
Exclamation affirmative = validité négative : « Кто откажет вам в любви, в
уважении ! » (Ostrovskij) ; « Кому охота ссориться с Денисовым ! » (Granin) ;
Что с вас взять ! ; Мало ли что бывает на свете ! ; Кто его знает !
Exclamation affirmative = valeur négative : « Куда ! Ну, куда его несет ! »
(Sobolev) ; « Как он сидит ! Как он отвечает матери ! » (Panova).
Un certain nombre d'adverbes interrogatifs peuvent apparaître dans une propos
ition infinitive pour exprimer l'impossibilité de satisfaire le prédicat ; il est caracté-

1. P. Fontanier, tes Figures du discours, rééd. 1968, p. 368.


2. Smelev, op. cit.
452 J.-P. BENOIST

ristique du fonctionnement purement exclamatif de ces interrogatifs que les diffé


rences de sens entre eux sont neutralisées : « Да и куда тебе жениться, за тобой
за самим еще няньку нужно ! » (Dostoevskij) et, un peu plus loin, « Где ему же
ниться, ему самому еще няньку нужно ! ». Пѕ sont fréquemment renforcés par
la particule там ou уж, ils peuvent s'employer seuls : « Нет, уж поздно будет. Где
уж... Куда уж... » (Čexov). Какой et что s'emploient en épithète et attribut pour
signifier que le substantif ne mérite pas l'identité qui lui est supposée par le con
texte (en ce cas какой ne peut pas se combiner à un adjectif qualificatif) : « Какой
он саботажник ! Он просто одичал от безделья » (N. Pogodin) ; « Как много
домов ! — Это что ! — сказал медик — В Лондоне в десять раз больше » (Če
xov). Какое dans une phrase exclamative ne peut exprimer que cette modalité
négative, et ce avec n'importe quelle partie du discours : « Я отвечал Овсянни
кову, что, вероятно, господин Любозвонов болен. — Какое болен ! Поперек
себя толще... » (Turgenev).

(INA L СО)

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