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CAHIERS

N° 8 . R E V U E D U CINÉMA E T D U TÉLÉC IN ÉM A • JAN V IER 1 9 5 2


S tephe n Me Nally e t vAlexis Smilh sont ave c H ow ard Dq Silva
les interprètes d e DANGEREUSE MISSION (Wyoming Ma//), une
réalisation en technicolor d e Regînald Le Borg. {Universal Film S, A.)
Voici Danny Kaye e t Corinne Calvet qui, avec G e n e Tierney, J e a n Murât
et Marcel Dalio sont les vedettes d e SUR LA RIVIERA (On f/ie RiV/eraJ,
un film musical en technicolor d e W a lte r Lang. (20th Century Fox)
Mario Lanza, " g ran d e v edette du Metropolitan O p é r a d e N ew York, e t sans d o u te un d es plus
grands chanteurs actuels, personnifie Enrico Caruso d a n s LE GRAND CARUSO (The g re a t Caruso),
film en technicolor qui retrace la vie du cé lè b re ténor. (Méfro Goldwyîi Mayer)
Maria Félix, G e o rg e s Marchai, Je an Chevrîer (de la Com édie
Française) sont les v e d e t t e s / a v e c J e a n Tissier, d e MESSALINE, le
d e rn ie r film d e Carminé G allone. (Production Gallonz-Filmsonor)
CAHIERS DU CI NÉMA
RFVUE MENSUELLE DU C I NÉMA ET DU T É L É C I NÉ MA

146 CHAMPS-ÉLYSÉES PARIS (B*) - ÉLYSÉES 0 5 - 3 8


RÉDACTEURS EN CHEF: LO DUCA, J. DONIOL-VAICROZE ET A. BAZIN
DIRECTEUR-GÉRANT : L. KEIGEL

TOME II N° 8 JANVIER 1 952

SOMMAIRE
J e a n R e n o i r ................... . . On me d e m a n d e ................................................................... 5
André B a z i n ................ Renoir Français ................................................................... 9
Dudley Nichols . . . . . . Le F l e u v e ................................................................................. 30
Jean R e n o i r ................... Quelque chose rt/est a r r i v é ........................................... 31
M aurice Schérer . . . ■ Renoir A m é r i c a in ................................................................... 33
Claude Renoir . . . . . . Problèmes d'opérateur ou écrire pour ne rien dire 41
Michel MayouK . . , . Renoir parmi nous (avec Sylvia Bataille, Jean
Costa nier et Claude Renoir) ................................ 44
Jacques Doniol-Valcroze Entretien avec Jean R e n o i r ................... *...................... 48
* * * ................................ Filmographie obrégée de Jean R e n o i r ........................ 52
Lo D u c a ........................... Lettre de Madrid . . . . ................................................ 55
Nouvelles du c i n é m a ........................................................... 57
LES FILMS :
Maurice Sc’n érer . - . . . . La robe bleue d'Harriet (The R i v e r ) ........................... 62
Frédéric Laclos . . . . Duel avec la vie (Fourteen H o u r s ) ........................... 64
Christian M a r k e r . . Une forme d'ornement (Prince B a y a y a ) ................... 66
Hans Lucas ................... Les bizarreries de la pudeur (No Sad Songs For Me) 68
N otes sur d 'a u tr e s films :
J. J. R................................... . . Kiss Tomorrow G o o d b y e ................................................... 69
f. l: ................................. 70
F. K....................................... . . La Maison B o n n a d i e u ........................................ . . 71
J. J. R................................... . . Chicago Digest ........................... ....................................... 72
J e a n Q u é v a l ................... 72
. . La Revue des r e v u e s ........................................... . 73
Correspondance ........................ i .................................. . 75
Leî p ho tograp hies qui illustrent ce num éro sont d u e s à l'obligeance d e : Paris Films Production, United
Artis ts , 2Ôth C entury Fox, Columbia, Discino, Speva Films, C orona, Silver Film, Patiné, Alcina, Ste ra
Films, C.C.F.C., Filmsonor, C.I.C.C., Franco-L ondon-Film, Les Films M arce a u , P ro d n ex , Les Films Georges
Muller, Cité Films, R.K.O., P a n th é o n Production, G a um on t, Distribution Parisienne de Films, Les Films
Roger Richebé, C omptoir Français C in é m ato g ra p h iq u e, R.A.C., Mondial Films.
Les p h o tog ra p hie s de Siegfried d a n s Les N iehelungcn {N» 4, p. 4) e t de L'Age d'o r (No 7) ■p roviennent
des archiv es de la C in é m a th è q u e Française.

PRIX DU NUMÉRO : 2 5 0 FR.


A b o n n e m e n ts 6 n um éros ■k France, Colonies : 1 .3 7 5 fr a n c j É t r a n g e r ; 1 .800 francs
A b o n n e m e n ts 12 numéros F ran ce, Colonie s : 2 . 7 5 0 f r a n c s ★ E tra n g er s 3 . 6 0 0 1Francs
A d re sse r lettres, c h èq u e s ou m a n d a ts a u x " C ah iers du C iném a " 146 Cham ps-Elysées, Paris {B’I
. C h èq u e s P o s t a u x : 7 8 9 0 - 7 6 PARIS
C han ge m e nts d 'a d r e s s e ; J o in d re 30 fran c s et l’û n c îe n n e a d r e s s e
Pour tous ren seign em en ts ]a in d re un timbre pour lo r é p o n s e

Au som m oire d e s pro ch a in s num éros -


D es a r t i c l e s d ' A l e x a n d r e A s t r u ç , A u d i b e r t i , P ie r r e B o s t, F r a n ç o i s C h a l o is , R e n é C lé m e n t , L o t te Ëisner,
P ie r r e K a s t , R o g e r L e e n h a r d t , J a c q u e s M a n u e l , M a r c e l lo P a g li e r o , R o b e r t P i l a t i , C la u d e Ray, J e a n - L o u is
T a l l e n a y , N ico le V e d r è s , C l a u d e V e rm o re l.
Les a r t i c l e s n ' e n g a g e n t q u e le u rs a u t e u r s - Les m a n u s c r i t s s o n t r e n d u s .
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N o tr e c o u v e r t u r e : THE RIVER d e J e a n R enoir.


On me demande • ..
par

Jean Renoir

Ou me demande quelle a été mon évolution depuis La R ègle du jeu ? Je


rie pense pas que cette question présente la m oindre im portance.
D ’abord, on ne fait pas un film tout seul. Il est le produit d ’une équipe. Il
y a évidem m ent une personne qui influence cette équipe, et qui pratiquement
devient l ’animateur, le meneur de jeu , le patron com m e on disait autrefois
dans les métiers artisanaux. Au début du cinéma américain c’était assez sou­
vent l ’acteur vedette. On a raison de dire : « un film de Douglas Fairbanks ou
de M aiy Pickford » car ils ont influencé le travail de leurs équipes plus que
n ’im porte qui d ’autre. Quelquefois les écrivains marquèrent l ’œuvre corn-
' m une plus que les autres. Mais le plus souvent ce furent les m etteurs en scène.
Encore maintenant en Europe un film est avant tout l ’œ uvre de son m etteur en
scène; en A m érique il est habituellem ent la création du producteur.
Etant m etteur en scène, je suis convaincu que m oi-m êm e <?t mes pareils
sommes les seuls chefs cuisiniers capables de confectionner un repas de choix.
Mais je sais aussi que nous ne pouvons rien sans la collaboration de nos sau­
ciers, rôtisseurs, som m eliers, etc... et aussi sans celle du propriétaire du
restaurant. Il y a des restaurateurs de classe et il y en a de vulgaires. Les
seconds sont constamment sur le dos de leur chef cuisinier, le harcelant de
conseils... un peu plus de sel... trop d ’estragon dans ce p ou let... les produc­
teurs — pardon les restaurateurs — de classe fichent la paix à leur chef cuisi­
nier. Leur talent consiste à les choisir judicieusem ent — et à les entourer d’une
équipe et de m oyens techniques qui collent avec leur personnalité.
' Si ça ne m arche pas, il reste toujours au restaurateur la ressource de mettre
tout son m onde à la porte.
Sur cette terre, seul le résultat com pte, et le résultat est le produit non
seulem ent de mon travail, mais de celui des acteurs, techniciens, artistes et
ouvriers divers. C’est pourquoi ma seule évolution ne saurait expliquer la diffé­
rence entre La R ègle du je u et Le Fleuve. Il faudrait égalem ent raconter les évo­
lutions des divers collaborateurs qui m ’ont aidé à tourner ces deux films en
passant par la petite histoire intérieure des autres films que j ’ai tournés entre
1939 et 1949.
Ce qui simplifie la question c ’est q u ’on n ’évolue pas tout seul. Même à
distance, les gens de civilisations à peu près sem blables bougent à p eu près
vers la m êm e direction. E t le m onde que nous connaissons, celu i auquel nous
lient nos intérêts, notre civilisation, nos affections, va le même chem in.

5
J ’ai passé dix années hors de France. La première fois que je suis repassé
par Paris je me suis assis avec mes vieux amis et nous avons repris la conver­
sation non pas là où elle s’était arrêtée, mais là où elle en serait arrivée si
nous avions continué à nous voir tous les jours.
B ien entendu je parle de mes très proches amis.
Cette constatation est d ’ailleurs assez inquiétante. Je suis sûr qu ’e lle est
juste en ce qui me concerne. Si elle l ’est en ce qui concerne une m ajorité, elle
m et sérieusem ent en question l ’idée de nation sur laquelle nous nous appuyons
depuis Jeanne d ’Arc.
Donc nous évoluons par groupes. - et pas individuellem ent.
Il y a m ille façons de créer. On peut faire pousser des pom m es de terre,
faire des enfants, ou découvrir une nouvelle planète.
Ce qui m ’attire dans la fabrication des films, est ce qui attire aussi certain»
fabricants de romans — ou de m usique — enfin des tas de gens qui essaient de
.créer quelquç chose dans lé domaine de PArt. Car je crois de plus en plus que
le cinéma est un art. En tant qu’Art il peut, entre autres choses, servir à rendre
à notre public un com pte aussi exact que possible de cette évolution collective.
Quand je dis que le cinéma est un art, j ’admets qu’il est peut-être un art
m ineur, entaché d ’industrialism e et de com m ercialism e. Mais n ’en est-il pas
ainsi de la tapisserie ou de la poterie ? Une faïence d’U rbino ou une tapisserie
de Beauvais sont indéniablem ent des œuvres d ’art. Elles sortent cependant
d’un atelier et, com m e un film, leur fabrication a nécessité la collaboration •
d ’atileurs, de techniciens, de "financiers et de commerçants. Et après tout, la
présentation d ’une pièce de théâtre ou d’une sym phonie on de fresques qui
orneront un palais a été précédée de compromissions financières et techniques
fort comparables à celles qui form ent le prélude inévitable d ’un film.
Dans cette vie, on peut choisir son groupe. Plus souvent le hasard vous y
place. Qu’im porte, l ’essentiel est que nos voix ne soient pas des voix d’isolés.
Dans tous les films que j ’ai tournés, je reconnais que m on influence a été
assez grande pour que je puisse accepter qu’on m ’attribue la plus grande pari
de responsabilité de l ’œuvre finale. Mais il serait égalem ent vain de nier que
l ’influence de mes collaborateurs sur moi a été énorm e. J’ai essayé de la digérei'
de telle sorte qu’elle puisse m ’aider à renforcer ma propre connaissance de la
vie. Car com m ent peut-on apprendre à connaître la vie sinon à travers d ’autres
êtres humains. Un grand problèm e est de ne pas rester un curieux, de ne pas
regarder l ’agitation des autres com me un touriste .regarde une foule étrangère
du haut du balcon de son hôtel. Il faut prendre part. Sinon on reste un am a­
teur. Pour avoir des enfants il faut être deux. Et il faut aim er, ne serait-ce que
p hÿsi quem ent.
Quand on tourne un film, les rapports entre collaborateurs — je devrais
dire « com plices » — deviennent étrangement intim es. Cette fusion apparem ­
m ent vulgaire est peut-être la cause d’une certaine a vraie grandeur » de notre
m étier, qui par ailleurs a ses très petits côtés — com m e tous les grands m étiers.
Je dois dire honnêtem ent que j ’ai toujours évité de mie lancer dans les
productions où j ’aurais eu à m e heurter à des personnalités hostiles. Je ne
croîs pas que de la discussion jaillisse la lum ière. Je crois au contraire qu ’on
arrive à faire du bon travail si on creuse dans le m êm e trou et dans la m êm e
direction.

6
Jean Kl'Hoir : The River. M élanic d a n se (dans l ’im a g in a tio n d ’H a rrie tt) le pas de l'a m o u r retrouvé.
Pour pouvoir choisir ses conditions de travail il faut évidem m ent renoncer
à faire fortune.
Il y a des créateurs qui sentent en avance, d ’autres en retard. Ceux qui
sentent en 'même temps que la grande masse des hom m es sont évidemm ent
ceux qui ont aussi le plus de succès. À peine ouvrent-ils la bouche que leui
public reconnaît ses propres pensées. Les vraim ent très grands pensent en
avance. Dans une équipe idéale de film il y en a qui pensent en avance, d’autres
en retard et d’autres qui sont juste à la page. Je crois que les grands films sont
le produit d’équipes qui ont suivi celui qui pensait en avance. Cela rie veut pas
dire que ce personnage, metteur en scène ou écrivain, opérateur ou acteur, ou
quelquefois sim ple conseiller, ait toujours com m ercialem ent raison.
Même artistiquem ent il petit avoir tort. E n courant plus vite que les autres
il rem plit une fonction. H joue le rôle qui lu i a été distribué dans ce vaste
m onde que les H indous disent être « un » et dont selon eux nous ne sommes
qu’une partie, au m êm e titre q u ’un arbre, un oiseau ou un caillou.
Pour se frayer un chem in à travers la jungle, il est bon de frapper devant soi
avec un bâton pour écarter les dangers invisibles. Quelque fois le bâton rencon­
tre une branche solide et se brise dans vos m ains; quelquefois il résiste, mais
votre bras reste tout engourdi. C’est un peu ce que j ’ai fait pendant ces dernières
années. Je ne voulais pas rester en place. Mais l ’aiguille de la boussole que je
consultais était folle et il m ’était bien difficile de trouver la direction. J ’en suis
d ’ailleurs très fier. Cela prouve que je n ’ai pas perdu le contact avec notre
monde instable. P eu peuvent prétendre aujourd’hui qu’ils savent où ils vont.
Que ce soient les individus, les groupes, les nations, le hasard est leur guide.
Ceux qui marchent vers un but précis le doivent plus à leur instinct qu’à leur
intelligence. Quand j ’ai fait La R ègle du jeu-, je savais où aller. Je connaissais le
mal qui rongeait mes contemporains. Cela ne V eu t pas dire que j ’ai su comment
donner une idée claire de ce mal dans mon film. Mais mon instinct m e guidait.
La conscience du danger me fournissait les situations et les répliques et mes
camarades étaient com m e m oi. Comme nous étions inquiets ! Je crois que le
film est bon. Mais cela n ’est pas tellem ent difficile de bien travailler quand le
compas de l ’inquiétude vous indique la vraie direction.
J ’ai retrouvé une certitude semblable avec L e F leu ve. J ’ai senti monter en
m oi ce désir de toucher du doigt mon prochain que je crois être vaguement
celui du monde entier aujourd’hui. Des forces mauvaises détournent peut-être
le cours des événem ents. Mais je sens dans le cœ ur des homm es un désir, je ne
dirai pas de fraternité, mais plus sim plem ent d’investigation. Cette curiosité
reste encore à la surface, comme dans mon’ film. Mais c ’est m ieux que rien. Les
homm es sont bien fatigués par les guerres, les privations, la peur et le doute.
Nous ne sommes pas encore arrivés à la période des grands élans. Mais nous
entrons dans la période de la bienveillance. Mes camarades et m oi sentions
cela dans les Indes m êm e pendant les mauvais jours ou Hindous et Maliomé-
tans s’entretuaient. La fum ée des maisons incendiées n ’étouffait pas notre
confiance. Nous pensions seulem ent que ces hom m es étaient en retard sur leur
tem ps.
Tout cela est b ien vague. Ce sont des sensations difficiles à formuler. Je
risque beaucoup en écrivant que je crois avoir deviné ces velléités b ienveil­
lantes. Si je m e trom pe, on rira de m oi. J’en prends le risque avec confiance.
J ean R e n o ir

8
IINIII u n m :uS par
0

André Bazin

C ’est bourrelé de sc r u p u le s que


j ’entreprends de parler- de J e a n fte-
uoir. J ’en avais m o in s il y a quatre
ans quand n o u s en étions encore au
u R en oir français », au déraciné
d ’I lo l ly w o o d dont il était bien en ­
tendu que l ’œuvre' am éricaine rele­
vait du m alentendu. L ’auteur de
La R è g le du je u et de L a G rande
illusion s ’était d ’ailleurs ch a r g é de
fournir à l ’avance les a rgum ents
propres à n o u s confirmer dans la
désolation où n o u s p lo n g e a it son
exil. N ’écrivait-il pas en 1938 « Je
sais que je s u i s F r a n ç a is et que je
dois travailler dans un se n s a b so ­
lument national ». El, critiquant la
lentation, à ses débuts, d'im iter les
« gra n d s m aitres am éricains » : « Je
n ’avais pas com pris que l'hom m e,
encore p lu s que de sa race, esl tribu­ Jcati R en o ir rïans le rôle d ’Oetave de la
R i ü l e du je u (iqjQ).
taire du sol qui le nourrit, des co n d i­
tions de vie qui façonnent so n corps et son cerveau, des p a y s a g e s qui, tout
au lo n g du jour, défilent devant ses v e u x , Je ne savais pas encore q u ’un
F rançais, vivant en France, buvant du vin r o u g e et m a n g e a n t du from age
• de Brie, devant la grisaille des p erspectives parisiennes, ne peut faire
œ u v re de qualité q u ’en s ’ap p u y a n t sur les traditions des g e n s qui ont vécu
co m m e lui ». N ’eut-il pas pris soin de vouer lui-m êm e son travail ho lly ­
w o o d ie n à la stérilité que son exil aurait cependant p assé pour un scandale,
un fait contre nature. A la différence de R ené Clair, tout dans l ’hom m e
co m m e dans l ’œ u v re sem blait contradictoire au ciném a américain, à ses
n o r m e s de travail c o m m e à so n sty le. R enoir c ’était « le « ciném a français
dans ce q u ’avaient- de m eilleur s e s m éth o d es artisanales, ses possibilités

9
d ’im provisation, son désordre m ôm e. T o u s les té m o ig n a g e s de s e s c o lla b o ­
rateurs le confirmaient : il lui fallait travailler dans l ’inspiration du m om ent,
avec une totale liberté; ses plus sa v o u r e u se s trouvailles su r g is s a ie n t
dans le feu de l ’action g râ ce au climat m oral q u ’il savait faire r é g n e r dans
so n équipe. S a pr é se n c e à H o lly w o o d ne pouvait procéder que d ’une
néc e ssité provisoire, rien n ’en pouvait -sortir de bon. N o u v e l Antée, R enoir
devait reprend re'con tact avec la terre française pour retrouver sa force et
s e s vertus. L ’a v o n s-n o u s attendu ce rétour d ’exil 1 N o u s s o m m e s - n o u s
in g é n ié s à trouver des alibis à son relard, persuadés que pour R enoir, pas
plus que pour n o u s-m êm es, il ne pouvait faire de q uestion. La guerre
l ’avait fait partir, la paix devait no u s le ram ener. N o u s n o u s se r io n s presque
étonnés de ne pas le découvrir dans les services c in é m a to g r a p h iq u e s du
corps de débarquem ent.
Enfin R e n o ir est en F r a n c e et Ions les copains' de resp irer ! M ais son
prem ier film est une co-production internationale et i l. s e tourne à R om e.
.C ertes R o m e n ’est q u ’à trois heures d ’avion de Paris, c ’est m o in s lo in que
L o s A ngeles, m ais je crois q u ’on aurait tort de n ’y voir q u ’u n e étape e u r o ­
péenn e vers la F rance, une transition sur le chem in du bercail auq uel il
ne peut m an quer de rentrer. '
E n ten d o n s-n o u s. Il s e peut que R enoir se fixe en F r a n c e et je pense
q u ’il le souh aite. Il est vrai que des obstacles purem ent m a té r ie ls l ’ont
e m p ê c h é de revenir plus tôt à P a r is, Mais où l ’illusion c o m m e n c e c ’est
quand on im agine l ’é p is o d e a m é r i­
cain de Renoir c o m m e une paren-
Ihèse fermée, dix ans q ui ne c o m p ­
tent pas dans son œ u v r e . Q u and on
se figure que celui qui n o u s revient
est le m êm e et qu'il va en ch a în er sur
La R è g le du j e u . C onvaincus a priori
d ’une définition im m u a b le de Renoir,
persu ad és que ce q u ’il p o u v a it y
avoir de bon dans s e s films a m éri­
cains n ’était que les é p a v e s d ’u n n a u -
frage, ce q u ’il avait pu tant bien
que mal arracher à l ’inattention du
m onstre h o lly w o o d ie n , n o u s n o u s
co n d a m n io n s à ne v o ir d ans L e
Jou rn al d 'u ne f e m m e d e c ham bre'
ou L ' H o m m e du s u d que la surv i­
vance ép iso d iqu e du R e n o ir de 1938.
L ’idée d ’une é volution positive,
d ’une transform ation fécond e s o u s
la férule am éricaine n e n o u s effleu­
i&sa
rait m êm e pas. N o u s p o u r c h a s s io n s
L,e th è m e de L a Fi lle
1dTi’C<mlcZ(i9J)nc>,r ’ La Fme ressem b lan ce p o u r souffrir de sa

10
C ath erin e K c sslin jï da n s N au a (1926),

caricature quand il fallait discerner les différences qui se faisaient jour et


dont The R i v e r est l'a b o u tisse m e n t provisoire.
Et certes il est aisé de discerner dans L e Jou rn al d 'u ne f e m m e de c h a m ­
bre ou IV o m a n on the B e a ch le conflit tâtonnant du g é n ie français de Renoir
avec les servitudes de la, production h o lly w o o d ie n n e . L a beauté presque
amère de certaines scènes provient m êm e des contradictions qui s ’y ex p r i­
ment, des ruses, du jeu de c a ch e-ca ch e d ’un talent p ersonnel avec un style
standardisé. La dernière s é q u e n c e d u Jo u rn a l d 'u n e f e m m e d e c h a m b r e a
été im pro v isée en désesp oir de c a u se sur le plateau faute d ’avoir trouvé un
dénouem ent satisfaisant au scén ario : c ’est la m eilleure ! W o m a n on (lie
Beach tente sa n s arrêt de tricher avec la r èg le du jeu h o lly w o o d ie n : la
version prim itive a dû être édulcorée.
Mais il serait s a n s doute plus juste de discerner dans ces conflits, où
no u s p renions un plaisir no sta lg ique, les tiraillements d ’une mue, les so u f­
frances d ’un dép ouillem ent qui se fait peu à peu r en o n cem en t au sen s
spirituel et p resq ue m y stiq u e du mot. N o u s a ssistio ns peut-être à travers
ces hésitations, parfois c e s erreurs, à la purification d ’un style. Ces contra­
dictions étaient aussi les n é g a t io n s dialectiques p ar où devait p a s s e r la
continuité d ’un talent. R é e x a m in é s a n s préjugé, dans ces perspectives,
« l ’épisod e am éricain » de R e n o ir cesserait alors d ’apparaître c o m m e les
ruines de so n passé, il éviterait peut-être les m alentend us critiques que
nous prépare son œ u v re future.
N o n que R enoir ait rom pu avec lu i-m ê m e et trahi so n génie, au
contraire, m a is il a év o lu é et dans cette év o lu tio n H o lly w o o d a s a n s doute
jo ué un rôle décisif. R en o ir au fond ne s ’y est p a s s o u m is. Il est resté là-
bas en m a r g e de la production officielle, c o m m e Chaplin, c o m m e F laherty.
P resq ue tous ses films, et son dernier par d e s su s tout., ont été faits pour des
indépendants, il n ’a pas c essé de croire dan s la capitale de l'industrie
c in ém a to gra p h iq u e à la production h ors sé r ie m a is cette production était
tout de m êm e destinée à un autre public et p rin cip a lem en t américain, cette
servitude était suffisante pour bouleverser ra d ic a le m e n t l ’é c o n o m ie artis­
tique de son œ uv re. Il serait sa n s doute ab su rde d ’attribuer au seul séjour
en A m érique une évolution — spirituelle avant q u ’esthétique -—, sur
laquelle ont joué d ’autres facteurs b io g ra p hiq ues, m a is celui qui proclam ait
avec tant de conviction la prim auté dans s a création des conjonctures
artistiques nationales, qui s ’affirmait si r é so lu m e n t solidaire du climat
français, ne pouvait échapp er à sa propre n é g a t io n dan s une nation étran­
g ère q u ’en retrouvant, en profondeur une plus la r g e unité hum aine. Il
com prit que la seule façon d ’être fidèle à sa sen sib ilité française ce n ’était
point de l’adapter et de tenter sa vaine transplantation, ■ c o m m e dans
L e J o u rn a l d ’une f e m m e de c h a m b r e , m a is d ’aller plus lo in d ans la vérité
tout à la fois esthétique et m orale dont cette fidélité tém oignait. C ’est sans
doute p s y c h o lo g iq u e m e n t et pratiquem ent contre H o lly w o o d , m ais p rofon­
dément, par rapport à l ’élrangèreté du m o n d e am éricain que s ’est constitué
un n ouveau R enoir. D a n s la m esu re m êm e o ù son œ u v r e française apparaît
c o m m e spécifiquem ent nationale, m arquée a u x s ig n e s les plus secrets, les

La belite marc/tftmitf (1927).

12
Jt'my M arczc et George F la m a n d d a n s L a C h ie n ne (1031).

plus subtils d ’une civilisation qui va du fr o m a g e de Brie a u x cathédrales,


de la peinlure im p ressio nniste au p aquet de g a u lo is e s et du p a y s a g e de
S o l o g n e à la grisaille parisienne, dans la m esure surtout où elle s'affirmait
par sa sensualité, sa sensibilité qu asi tactile a u x app arences de cet univers
français, R e n o ir ne pouvait é c h a p p e r à la contradiction destructrice que
par un app rofond issem en t spirituel, la quête à travers l ’accident d ’une
e sse n c e universellem ent hu m aine. N o n q u ’il s ’agît pour lui de recourir
d é so r m a is à l ’abstraction et au s y m b o le encore m o in s à la convention, mnis
au contraire d ’approch er des sources de l ’être par une attention plus m é d i­
tative à ses apparences.
R enoir n ’a jam ais été « absorbé » par H o lly w o o d , m ais il est vrai q u ’il
est d evenu un metteur en scène in te rn ation al p r e s q u ’aussi à l ’aise à R om e
q u ’a u x Indes, en A ngleterre ou en A m ériq ue q u ’à P aris. N e devrait-il plus
d é so r m a is produire q u ’en France, so n œ u v re n ’en serait, je crois', pas m oin s
définitivement m arq uée. U ly s s e qui n o u s revient d ’un lo n g v o y a g e , n ’atten­
don s pas q u ’il n ’v ait rien appris, s ’il n ’y a rien oublié. T he R i v e r n.e
d ém ent pas L a R è g l e du j e u , R en oir y voit au contraire la continuation de
l ’effort que représentait so n dernier film français, m a is ne n o u s cranqicn-
nons pas av eug lém en t à no s s o u v e n ir s pour reprocher à Jean R en o ir de ne
pas répéter so n passé.
L e p rop o s de cet article n ’est pourtant pas de tenter l ’a n a ly se de ce
style no uv ea u qui s ’est fait jo ur à travers l ’ex périen ce am éricaine. Il me
faut avouer que je le sens plus que je n ’en discerne les clés. Les beautés

13

l
de l'œ u v r e française sorti Lrop fascinantes encore ! L a R è g le du je u c o m ­
m e n c e a peine à trouver une audience com m erciale ! Je l ’ai revu d e r n iè r e ­
m ent dans un ciném a de quartier. L a sa lle était comble : un public re la tiv e ­
m ent cultivé sa n s doute, m ais point du tout familier des ciné-club s. S e s
réactions étaient enfin celles q u ’eût souh aité Renoir il y a douze ans. En
1951, L a R ègle du je u ferait peut-être une assez bonne e x c lu siv ité . D o u z e
ans d ’avance ce n ’est pas mal pour un metteur en sc è n e ! 31 s ’en faut que la
leço n m erv eilleuse des B a s [o n d s , de L a B ête humaine, du C rim e de M o n ­
s i e u r L a n g e , de L a G ra n d e illusion et par dessus tout de L a R è g le du je u
ail été totalement assim ilée par le ciném a d ’après guerre. Ces films ont
en core bea u co u p à n o u s apprendre et sa n s doute leur j e u n e s s e et leur
actualité so nt-elles cause que n o u s a y o n s tant de mal, et p r e sq u e d 'a m e r ­
tume, à n o u s faire à l ’idée d ’une évolution de Renoir. Il n o u s s e m b le q u ’il
n ’en est pas tem ps puisque le m eilleur de so n œ u v re n ’a p a s fini d ’être
c o m p ris.
Mais c ’est pou rqu oi au ssi il est perm is d ’y revenir. Q u ’il so it donc
entendu que l ’essentiel des réflexions qui vont suivre se rapportent à la
production française de R enoir. L e s scrupules que j ’ex p r im a is tout à
l ’heure venaient de la co n scien ce q u ’elles ne peuvent plus prétendre détinir
« une stylistiqu e de R enoir », q u ’elles ne contribuent sa n s doute pas à la
m eilleu re c o m p réh en sio n des films am éricains. C ’est p o u rq u o i à défaut du
point de vue exh au stif qui mettrait en évidence l ’unité de l'œ u v r e j u s q u ’à
T h e R iv e r (com bien.ce serait plus facile avec R ené Clair) j ’ai tenu au m o in s
à situer p réa la b le m e n t'm o n admiration pour L a R è g le du jeu la issa n t à

£.<1 N n i t i i ,i C n r r e fo u r (19.52)• .

14
Boiiiiit sauvé des e a u x (1932) (ù re m a rq u e r la pro fo n d eu r de c ham p ).

m on contradicteur intime, Maurice Schérer,. l ’a p o lo g ie du R enoir a m éri­


cain.. Il suffira à c elle élud e d ’être partielle, puisse ce lo n g p réam bule lui
éviter la partialité.

L ES ACTEUÏÏS
Le p a r a d o x e im m édiatem ent le plu s sen sib le du style de Renoir, celui
sur lequel bute presque toujours le public, c ’est l ’apparente désinvolture
dont il tém o ig ne à l ’égard de ce que le spectateur lient pour l ’essentiel : le
scénario et l'interprétation. L es invraisem b lances de détails pullulent dans
l'œ uvre de ce « réaliste », de m ê m e que tes « erreurs » de distribution.
On m ’o p p o sera que S y lv ia B ataille et Jea n ne Marken de Une P a rtie de
c a m p a g n e , P ierre F r e s n a y et Strolieim dans ï m G ra n d e illusion, Gabin et
S im o n e S im o n dans L a B ê le hum ain e sont au contraire les m o d è le s de
p erso n na g es ayant trouvé leur acteur. 11 est vrai, m ais ce n ’est assu rém ent
poinL le cas de Bruni us et de R enoir lui-m êm e dans Une P a r tie de c a m p a g n e .
Aucun des acteurs principaux de L a R è g l e du j e u est-il dans so n em ploi
(en dehors de G aslon Modot et de P au letle Dubost). Quant au x interprètes
des B as F o n d s à qui fera-t-on croire q u ’ils sortent du livre de Gorki ? Gabin,
héros de roman russe, c ’est une g a g e u r e I P ouvait-on inventer plus s e n s a ­
tionnel con tre-sens de distribution que le ch oix de V alentine T e s sie r dans
M a d a m e B o v a r y . L ’évolution b io g ra phiq ue de l ’héroïne im posait à priori
une actrice jeu ne m a is assez exp érim en tée pour peu à peu se vieillir. Val en-
line T e ss ie r était le p e r so n n a g e de la fin du roman, son â g e et sa silhouette
interdisaient qu'elle pût n o u s faire croire à la virginité, puis, en tous cas, à
l ’extrêm e je u n e sse d ’E m m a. Chez Renoir le p e r so n n a g e ne vieillit

15
physiq uem ent pas de fout ic film. Mais nous n ’en Unirions p a s d ’énum érer
les provocations où R enoir sem ble se co m pla ire dan s les trois quarts de sa
dis tri h u lion. P lutôt que de renon cer à un acteur qui lui plait contre V évi­
dence, n o u s le senton s capable de modifier le sc é n a r io pour donner un alibi
à son choix.
Plus encore que les « erreurs » de distribution, c ’est la direction des
acteurs qui donne c elle im p ressio n de désinvoltu re qu asi provocante. La
distribution est à c ôlé des rôles, mais le jeu lu i-m o m e est fréquem m ent à
côté du d ia lo g u e ou de la situation. Plus précisém ent, étant d o n n ée la scène
à faire, R enoir s em b le souven t la traiter c o m m e le c a n e v a s d ’un m orceau
d'interpréta lion qui l ’intéresse pour lu i-m êm e. L a fête | de L a R è g le du jeu
est-elle autre c ho se ? D a n s T ir e au flanc, p o c h a d e trè^ révélatrice, l ’indif­
férence au scénario est constante, chaque s c è n e ne p rend à M o u e z y -E o n que
le point de départ, elle se d isso u t rapidem ent en une so r le de co m m edia
d e ll’arle qui fait p en ser à la façon dont C haplin p a s s e insensiblem en t de la
répétition d ’un g e s l e à sa cho rég ra p hie pure. V e u t-o n un autre e x e m p le de
la façon de diriger la sc è n e le dos tourné au s c é n a r io . Q ua n d B o u d u tente la
prem ière fois de se suicider, à la hauteur du P o n t des Arts, R en o ir a utilisé
la figuration bén évole m a s s é e sur les rives de la Seine, attirée par ce petit
événem ent; m ais les ba d au ds ne regardaien t p a s un h o m m e se n o y er: ils
regard aient faire du ciném a; leur peu d ’inq uiétude est évident, quelques
uns d ’entre eux se retournent avec curiosité vers l ’assistant opérateur qui
prend le contre cham p dans leur dos, c o m m e dan s les très vieilles b andes
d 'actualités où les g e n s s ’étonnent encore de la ca m éra . Que cette allilude
soit précisém ent la plus appropriée aux intentions de la scène, on pourrait
dire pourquoi, il reste q u ’à vouloir se m o q u e r du m o n d e on ne procéderait
pas autrement. Faut-il rappeler que L e s B as F o n d s ont été tournés au bord
de la Marne, que les fausses barbes et les p erruqu es des m o ujick s parisiens
se décollent m anifestem ent (si ce n ’est vrai m atériellem ent, ce l ’est donc au
figuré). Bref, R en o ir d irige se s acteurs c o m m e s ’il les aim ait p lu s que les
sc è n e s q u ’ils jouent et plus la scèn e que le s cén a rio . D ’où le d é c a la g e entre
l ’interprétation et le p ro p o s dramatique dont elle détourne en fait noire
allen lion. 11 sem b le q u ’elle ne se préoccupe q u e partiellem en t de coincidcr
avec lui com m e une couleur qui déborderait sur l e 'd e s s in . D ’o ù aussi la
com plicité requise pour jouir vraim ent de la m oitié des sc è n e s d ir ig é e s par
Renoir. Alors que le réalisateur se p r o p o se h a b itu ellem en t de convaincre
im m édiatem en t le spectateur de la réalité m a térielle autant que de la vérité
p sy c h o lo g iq u e de l ’action, q u ’il sub ordonn e a b so lu m e n t m is e en sc è n e et
interprétation à cet impératif catégorique de la vraisem blan ce, Renoir, lui,
sem b le oublier de tem ps à autre la p résen ce du public. S e s acteurs n e jouent
pas face à îa salle m ais vers eu x -m ê m e s et c o m m e p o u r leur plaisir. On les
sent devenus leur p ropre auditoire. Ce côté p r i v a l e joUe esl m anifeste dans
La R è g le du jeu m ais aussi dans Une P a r tie de c a m p a g n e (la danse du faune
de B runi us) et bien so u v e n t dans Le C rim e d e M o n s ie u r L a n g e o ù Marcel
D u ham el et P a u l Grim ault font l ’effet, à q ui s ’en aperçoit, de co m pères

16
T out (1934).

m ê lé s volontairem ent à la vraie distribution. Du reste il n ’esl que de se


reporter aux g é n é r iq u e s de R en o ir p o u r y retrouver soigneusement, b rouil­
lé e s les caries sy n d ic a le s de la s p écia lisa tio n . P ierre L e slr in g u e z scénariste
de N a n a el de M arquilla, est. acteur dans ces d eux films. André Cerf a s s is ­
tant est aussi interprèle dans Le P e t i t C h a p e ro n R o u g e , avec Pierre Préverl.
R en oir lui-mème, com m e 011 sait, ne m anque pas l ’o cca sio n de se mêler aux
m a sq u es. La fcle au château de L a R è g l e du je u est le sy m b o le de toute
l ’œ u v r e française de Renoir, une partie de quatre-coins à l ’u sa g e de ceux
qui font le film el d ’abord pour leur plaisir:
C ’e s l du reste probablem ent l ’une des causes, sinon la principale des
é c h e c s co m m e r c ia u x de Renoir, 11 faul pour participer au film être « dans
le coup »; sa isir les clins d ’y e u x que se font les acteurs, les sig n e s de c o n n i­
vence qui . s ’é c h a n g e n l par d e s su s la cam éra. Le spectateur passif qui
n 'a p e r ç o il pas l'invitation à.entrer dans la farandole fait tapisserie dans son
fauteuil. D ’où vien t-qu e les gra n d s s u c c è s publics de R enoir so n l p r é c isé ­
m ent les films où celle com plicité interne esl la m o in s sensible, qui s ’a d ie s -
sent le plus directement au public : La B ê le humaine, L a G ran de illusion ?
La p r é se n c e de g rand es vedettes dans ces deux œ u v r e s était une garantie
su p p lém en ta ire contre les d é c a la g e s de distribution et rendait surtout in c o n ­
cevab le le côté p r i v a t e jo k e q u ’autorise ailleurs des acteurs m oins connus.
L ’e xe m p le type du film e x ig e a n t au contraire la co n n iven ce du spectateur
est év id em m en t L a R è g le du jeu. dont le litre à m ultiples entrées dit parfai­
tem ent ce q u ’il est.

17
Ces rem a rqu es pourraient p a ss e r pour une restriction. L e c in ém a n ’est
tout de m êm e pas fait pour ceu x qui le font. A ce compte l ’œ u v r e de R enoir
serait au ciném a ce que la com édie de salo n est au théâtre : u n e form e
m in eu re à l ’audience par définition lim itée. Ce serait nier tout à la fois le
« r é a lism e » de R enoir et les évidences les plus éclatantes de son œ u v r e : la
puissance, l ’ampleur, la variété, la g é n é r o sité créatrice, sa vie pro fo n de et
son influence internationale. Caractères peu com patibles avec le s e u l p la isir
d ’a m u ser le s co pa in s.
Mais c ’est qué la frange de jeu, l ’esp èce de d écad rage ou s ’attarde
v o lo n ta irem en t Renoir, entre la s c è n e à faire et celle q u ’il fait, n 'e st q u ’un
m om en t dialectique de son réalism e. L a fête au château est un jeu, niais
c 'est un jeu dont la règ le absurde est pourtant de m ourir d ’am our. R o la n d
Toutain. frappé de plein fouet par u n e c h a rg e de chevrotines b o u le co m m e
le petit la pin que n o u s avons vu a g o n is e r tout à l ’heure devant les affûts où
des g e n s du m o n d e jo ua ien t à tuer s a n s d a n g er. Si Renoir s ’a m use et n o u s
am u se à conduire ses acteurs au bord de la parodie, s'il s ’attarde à des
cha rm es a pp arem m en t a c cesso ires c ’est pour m ieu x tout à coup n o u s sa isir
par une vérité que n o u s n ’attendions plus. L ’une des plus b elles im a g e s de
l'œ u v r e de R enoir et de tout le ciném a est cet instant dans Une P a r t i e de
c a m p a g n e où S y lv ia B ataille v a céder a u x b a ise r s de G e o r g e s D arnou x,
C o m m e n c é e s u r un ton ironique, com ique, p resqu e chargé, l ’idylle, p o u r se
poursuivre, devrait tourner au grivois, n o u s n o u s apprêtons à en rire et
bru sq u em en t le rire se brise, le m o n d e chavire avec le re g a r d de S y lv ia
Bataille, l ’a m ou r jaillit c o m m e un cri; le - s o u iir e n e s ’esl pa s effaçé de n o s
lèvres que les larm es n o u s sont a u x y e u x . J e n e v o is pas de m etteur en sc è n e
au m o n d e si ce n ’est Chaplin et peut-être de S ie a qui sa c h e tirer d ’un
visage, d'un r e g a r d une vérité b r u sq u e m e n t plus déchirante. S o u v e n e z -
v o u s de celui de N a d ia S ibirskaia dans Le C rim e d e M o n sie u r L a n g e , sur
le banc où R en é Lefèvre lui fait une cour maladroite, ou du rictus de jo u is­
s a n c e dérisoire et b o ulev ersa nte qui éclaire le v is a g e de- D a lio présen ta n t
son lim o n a ire a u x invités. Le se n s et le g o û t de la com édie, R en o ir le p u ise
dans la co n scien ce profonde de la tragédie hu m aine. La tentation de p a r o ­
die, cette com p licité qu'il met entre se s acteurs et lui, n ’est q u ’une p u d e u r
préalable, néc e ssa ir e à la dialectique du jeu et de la règle, du p la isir et de
l ’amour., de l ’am our et de la m ort. J e d isa is tout à l ’heure que l ’interpréta-
tion était so u v e n t « à côté » de la s c è n e c o m m e une couleur qui n e c o ïn c i­
derait p a s avec le dessin . Mais ce d é c a la g e prépare l ’éclatante révélation
de lo c o ïn cid en ce. On se dit que l ’acteur n ’est décidém ent pas le p e r s o n ­
n ag e , j u s q u ’au m o m e n t où il le devient. A lo rs Renoir tire de cette disc o r ­
dan ce p réalable une ha r m o n ie h u m a in e incom parable. L a n é c e s s ité qui
identifie l ’interprète et le p e r so n n a g e vient d ’au delà des a p p a ren ces s u p e r ­
ficielles. L a vérité qui illumine le v is a g e a l ’évidence d ’u n e révélation.
L e c in ém a dan s son en sem b le en est encore à cette con cep tion p rim a ire
des am ateurs de ch rom o s qui co nfo nd ent la beauté du m o d èle avec celle du
A g a u ch e : Le Crime de M o n s ie u r La ng e (1935). De g a u ch e il droite : Florelle, N a d ia S ibirskaïa, M arcel
Duliamcl et Jules Ecrry. A droite : Une Partie rie cam p agne (1936) : Je a n n e Marfcen e t SyLvia Dattiille

tableau quand le p e i n t e a pour m is sio n de révéler la beauté sing u lière de


n ’im porte quelle femme. Renoir n e prend pas s e s acteurs co m m e on fait au
théâtre pour leur conform ité à un em ploi m a is c o m m e le peintre pour ce
q u ’il sait q u ’il n o u s forcera à y voir. C ’est p o u rq u o i les plus b e a u x m o m en ts
d'interprétation son t chez lui d ’une beauté presq ue indécente, la trace q u ’il
laisse dans la m é m o ir e n ’e s t g u è r e que celle de leu r éclat, d ’un é b lo u is s e ­
m ent qui force à b a isse r les y e u x . L ’acteur y est p o u s s é au delà de lui-
même, surpris dans u n e sorte de nudité d ’être qui n ’a plu s rien à voir avec
r ex pressio n dram atique qui est sa n s doute la lum ière la plus décisive que
de tous les arts le ciném a, avec la peinture, p u isse jeter sur le corps de
l ’hom m e.
P a r e n th è se : on vo it par ce que je viens de dire ce que R en o ir doit à
Stroheim dont l ’influence a été s u r lui décisive. Mais s i S tro h eim aboutit
de s o n côté à une sorte d ’obscénité de l ’interprétation, c ’est naturellem ent
par des v o ies bien différentes. R en o ir fait m ine de jouer avec l ’acteur pour
le sa isir au débusqué, quand S tro h eim procède par une insistance im pi­
toyable, u n e patience d ’o b sé d é qui attend l ’instant o ù l ’autre va céder.
L ’influence directe de S troheim est pourtant encore cu rieu sem en t sensible
dans les derniers films muets de R enoir et j u s q u ’à L a Chienne n aturelle­
ment; la rencontre est plus innaltendue dans T ir e au flanc qui com porte un
p r o d ig ie u x m orceau Stroh eim : la sc è n e de la rose cueillie par le lieute­
nant pour la fiancée du prisonnier, tandis que celui-ci s ’efforce d ’apercevoir
entre le s b a rrea u x de la lucarne, la sc è n e dont il est dou blem ent
la victim e.

19
L E S C E N A R IO

Ce n ’est naturellem ent q u ’un artifice critique qui p e r m e t de distinguer


la direction de l ’acteur du traitement des s cén a rio s. La fr a n g e de coim nedia
d ell’arle qui déborde sur l ’interprétation, le d é c ala g e entre le jeu et le rôle
sont un. asp ect de là liberté prise avec l ’histoire. S a n s doute retrouve-t-on
ici une c a u se du malentendu entre Renoir et le public. L e sp ecta teu r veut
croire à l ’acteur co m m e à l ’histoire q u ’il incarne. L e s in v ra isem b la n ces
p s y c h o lo g iq u e s ou m atérielles importent m o in s pour lui que le respect
d ’une certaine lo g iq u e dramatique, d ’une -v r a ise m b la n c e form elle des
co nv entio n s de la fable. Or c ’est précisém ent ce dont R e n o ir est peu capable.
Ce qui. d ’abord c o m p t e , pour lui ce n ’est pas la v r a isem b la n ce, m ais la
v é r ité 'd u détail, pour l ’atteindre il lui arrive de prendre le chem in d ra m a ­
tique le plus court. A insi au début de L a B ê le h u m a in e , le prétexte du petit
chien du g r o s industriel est p assablem ent invraisem b lable et d ’ailleurs traité
en in term ède com iq ue. Il fallait à R enoir une justification à la d ém arche de
F ern an d L e d o u x près du parrain de sa fem m e. I l s ’est saisi de la prem ière
venu e. E n co re pouvait-il s ’efforcer de n o u s y faire croire, m a is ce petit
sketch, sur le quai de la gare l ’amusait, il lui im portait p eu que son héros
s ’y com p ortât d ’une manière co ura g euse et sy m p a th iq u e dém en tie par la
sé q u e n c e suivante. D ’ailleurs on sait co m m en t travaille R en o ir et la part,
con sidérable chez lui, de l ’improvisation devant la c a m é r a . On sait aussi
com bien au préalable il remanie, triture le scén ario avant de le modifier

Les Hits Fo nds {1936). De f a u c h e à dro ite : V la d im ir Sokoloff, J ea n C abiii,


Suzv P rini, Jim ie Astor

20
7.(t Aïn rseiUaîse (1937)

une dernière fois sur le pla teau. Ce ne sont point là des m éth o d es propices
au d évelopp em en t lo g iqu e et à la v ra isem bla n ce dramatique.
Mais com bien fécondes chez un R enoir quand s ’épanou it à travers elles
une pure inspirai ion c in é m a to g r a p h iq u e . C ’e s l q u ’en réalité R enoir ne met
pa s en scène une histoire, m ais des t h è m e s dont le scénario n ’est en fin de
c o m p te que le support p hysique, co m m e les praticables d ’un décor. T h è m e
v isuel et plastique : celui de l ’eau q u ’on retrouve à travers toute son œ u vre
d e p u is La Fille de Veau ju s q u ’à The R i v e r en passant, par la Marne de
B o u d a et de Une P a r t i e de c a m p a g n e , les marais de S o lo g n e dans l.a R è g le
du j e u y ceu x de L o u isia n e dans S w a m p W a l e r ou. encore l ’inondation de
l S H o m m e du S u d , ou thème d ram atique et m oral co m m e celui de la chasse
dans L a R è g le d u je u (de Clair et de R enoir c ’est ce dernier le véritable
m oraliste car les p e r so n n a g e s de Clair se poursuivent m ais ne se p o u r c h a s ­
sent pas). Ainsi L a B ê te h u m a in e est-elle essentiellem ent construite sur
la m étaphore entre l ’h o m m e el la m ach ine. N o n point m étaphore abstraite
m a is sensuelle, p h y siq u e c o m m e ce g e ste ,amical et charnel, la caresse
attentive de Gabin palpant « la Lison ». On n ’entend rien au film, il appa-
rail mal c o m p o sé et s o u v e n t m ê m e mal jo u é s i l ’on n ’y distingu e qu'un
d ra m e p a ssio nn el et un docum entaire sur les ch em in s de fer, un décor
v érisle pour une histoire réaliste. A ce compte, Charles S p a a k et D uvivier
font b ea u co u p m ie u x . D e m ê m e p o u r sa is ir la subtile ordonnance de L a
R è g le du jeu ne saurait-on aller du g é n é r a l au particulier, de L’action -à
l ’intrigue et de l ’intrigue à la s cèn e. P o u r Vintelligence du film, lés bottes à
musique, la peau d ’ours où se débat Octave, l ’a g o n ie du petit lapin, le jeu
de ca ch e-ca ch e dans les c o ulo irs du château son t les réalités prem ières
=.i, ■.

21
autour desquelles s ’enroulent lès sp ir a le s dram atiqu es de la scène. D ’où
L’unité et l ’ind épendance relative de celle-ci par rapport au scén ario. M ais
a u ssi sak ju alité unique, so n orient, car le ciném a s ’y est d ép osé en c o u c h e s
concen triqu es co m m e la nacre autour de la m inuscu le impureté au n o y a u
de la perle.
C ’esli aussi de ce point de vu e ce qui la it de L a R è g le du j e u le véritable
chef-d 'œ uvre de R enoir. Il est parven u à s ’y p a sser totalem ent de structu res
dramatiques, ie film n ’est q u ’un entrelacs de rappels, d ’allusions, dé c o r r e s ­
pondances, un carrousel de thèm es où la réalité et l ’idée m orale se r é p o n ­
dent sa n s défaillance de signification et de rythme, de tonalité et de m é lo d ie ;
m a is film pourtant m erveilleu sem ent construit dont nulle im a g e n ’est inu­
tile ni placée à contre-tem ps. C ’est u n e œ u v r e q u ’il faut revoir c o m m e on
r eécoute une s y m p h o n ie, co m m e on m édite devant un tableau car on en
perçoit m ie u x ch aque fo is les h a r m o n ie s intérieures. Q u ’elle ait été si
lo n g te m p s in com prise ne s ’ex p liq u e pas seu lem en t par l ’o riginalité du
sujet et; l ’inertie p s y c h o lo g iq u e du public mais, positivement, par une
c o m p o sitio n qui ne se révèle que p eu à peu au spectateur fût-il attentif.
D e m ê m e est-on étonné rétrospectivem ent d e s « o bscurités » de Citizen K a n e
et de l ’im possibilité où furent neuf critiques sur dix à la sortie dü film d e
racon ter correctem ent l ’histoire {cf. le m o n ta g e de textes auquel p ro céd a
D e n is Marion dans C om bat) . Si une œ u v r e n o u s parait a u jo u r d ’hui sim p le,
parfaitem ent construite, a m b ig ü e m a is certainem ent pas obscure c ’est bien
Citizen Ka ne. D a n s une perspective dram atique et m ê m e rom anesqu e, la
m ort de T outain courant vers la serre dans L a R è g le du j e u , est une c o ïn c i­
den ce insoutenable. Le q uip ro q uo est trop facile, à ce com pte on pourrait
faire arriver n ’im porte quoi à n ’im porte qui, m ais Renoir l ’a rendue in d is ­
cutable et m erv eilleu sem en t op p o rtu n e par la m étaphore de la c h a s s e et
l ’allusion im plicite au q uiproquo du ren dez-vous dans L e M a ria g e d e
F i g a r o . C ’est le « b ou lé » en tr’a perçu d ’un lapin et le souven ir de B e a u ­
m a rch a is qui cautionnent en réalité la m ort du h éros et font de s o n
arbitraire une né c e ssité .

LA M ISE E N S C E N E

E n d'autres termes R enoir ne construit pas ses' films sur des situ a tio n s
et des d év elo p p em en ts dram atiq ues m a is su r des êtres, des ch o ses et d es
faits; celte constatation qui ex p liq u e s a m a n iè r e dë diriger les acteurs et de
traiter le scénario n o u s donne a u ssi la clef de sa m is é en scèn e. D e m ê m e
que l ’acteur n e « jo ue « pas u n e sc è n e qui ne serait elle-m êm e q u ’un é p is o d e
du scénario, réciproq uem ent la c a m éra n ’e s t pa s là pour d é g a g e r d ’abord
les rapports dram atiques, épurer l ’é v é n e m e n t pour en faire saillir les l i g n e s
de force mais, au contraire, p o u r s 'in t é r e s s e r à son irremplaçable s i n g u l a ­
rité. Jean. R en oir est le fils d ’A u g u ste . L ’h érita g e de son père, il ne le faut
p o in t chercher dan s cette plasticité form elle de l ’im a g e qùi est justem ent la
m a u v a is e influence de la peinture s u r le ciném a. L a picturalité éclatante de

22
L a Grande illu sio n (1937), J ea n G abiti e t M arcel Dalio.

l'œ u v r e de Jean R enoir n 'e s t e n rien dans la co m po sitio n de sa p h o to g r a ­


phie — c a d r ag e s ou valeurs — m a is dans la qualité de so n regard et le parti
pris des a pp aren ces. Si, de surcroît Une P a r tie de c a m p a g n e se plait à évo-
- a u er les sujets et la lum ière de l'im p ressio n n ism e, c'est p ar une coquetterie
exceptionn elle et qui confirme la r è g le , Jean R en o ir s ’y joue de R en oir
(Auguste) c o m m e il le fait de B e a u m a r c h a is et de M usset dajis L a R è g l e du
je u , c ’est un h o m m a g e a m usé et discret dont le véritable g a g e n ’est pas
dans cette im itation consciente m ais dans le co m m u n amour, la com m une
sensibilité dont tém o ig nent les films de Jean et la peinture d'A ugu ste.
R enoir fait le c in ém a idéal q u ’aurait fait son père si l ’on pouvait im aginer
que celui-ci eût quitté s e s p in c e a u x pour la ca m éra . Celte p icluralité e s s e n ­
tielle s 'e x p r im e d ’abord par l ’attention à la valeur sin g u liè r e des c h o s e s et
de leur conjoncture. R enoir n e sacrifie pa s l ’arbre à la forêt. Là gît son
véritable réalism e, plus que dan s so n p ench an t p o u r les sujets naturalistes,
et c ’est un r éa lism e cin ém a to g ra p h iq u e.
Il en faut toujours revenir p o u r définir un style d ’écran à la dialectique
de la réalité et de l'abstration, du concret et du concept. C’est en dernière
analyse"dans la m a nière particulière q u ’a le cinéaste de faire signifier la
réalité que résid e le principe de so n style et, j ’oserai dire, sa hiérarchie.
E ntendez que cet art préten du em ent le plus concret de tous est en fait le
plus aisém ent abstrait. Les m a u v a is films à y reg ard er de près n e sont
c o m p o s é s que de sym boles, de sig n es, de conventions, de h ié r o g ly p h e s
dramatiques, m o r a u x et affectifs. Et c ’est ce q u ’il y a de juste dans un
certain se n s co m m u n critique qui fait du « r éa lism e » un critère de qualité.-
Ce q u ’on n o m m e co ura m m en t r éalism e n ’a pas tant de se n s absolu et clair

23
q u ’il ne d é sig n e plutôt un m ouvem ent, une tendance vers le rendu fidèle de
la réalité: En quoi aussi l'a p o lo g ie du « réalism e » n e signifie au fond
strictem enl rien (sinon de n é g a tif et par opposition) car il est m ille façons
d ’aller vers le réel et ce m ou vem ent n ’a de prix q u ’en raison de ce q u ’il
crée, c ’çsî-à-dirc du su p p lém en t de sens et par c o n s é q u e n t d ’ab slra clio n
qui en découle. L e bon ciném a est nécessairem ent d ’une m an ière o u d ’une
au Ire plus réaliste que le m a u v ais. Mais la condition n ’est point suffisante
car il n ’y a d ’intérêt à m ieux rendre le réel que pour lui faire signifier
d a vantage. C’est dans ce pa ra d o x e que réside le p r o g r è s en c in é m a . C ’esl
par là aussi que R enoir csl sa n s c o n le sle le plus grand réalisateur français.
Ce m oraliste né est le plus « réaliste » des c in é a sle s. Celui qui sacrifie
le m o in s de réalité au s e n s de so n discours.
L es dernières im a g e s de B ou du pourraient servir d ’e x e r g u e à toute
l ’œ u v r e française de R enoir. B oudu, nouveau marié, se jette à l ’eau. La
lo g iq u e dramatique* et p s y c h o lo g iq u e voudrait q u ’un acte aussi g r a v e eût
un se n s précis :: d é sespo ir ou suicide ? N o n s a n s doute m ais au m oins
évasion . B o u d u fuiL les chaînes bo u r g e o ise s du m a r ia g e . Ce s e n s déjà plus
ambigii en serait pourtant un encore. La chute de B o u d u resterai 1 un acle.
Mais 1res v ile Renoir, .com m e so n p erso n n a g e oublie l ’acte pour le fa.;t. et
le véritable objet de l ’im a g e c e ss e peu à peu d ’être les intentions de Boudu
pour devenir le s p e c l a d e de so n plaisir, c'est-à-dire du plaisir que prend
Renoir à celui de son héros. L ’eau n ’est plus « de l ’eau », m a is précisém en t
l ’eau de la Marne au m ois d ’août, jaune el glauq ue. M ic h e l'S im o n y fait la
planche, se relourne el souffle c o m m e un phoque, il jouit de cette ea u d o n t -
n o u s percev o n s peu à peu la qualité, la profondeur, et la tiédeur m ê m e .
Quand Boudu aborde sur la berge, un extraordinaire p a n o ra m iqu e lent, de
3f>0" regard e pour n o u s le p a y s a g e . Mais cet effet, a priori ba nalem ent
descriptif et qui pourrait signifier : l ’espace et la liberté retrouvés, est
d ’une poésie s a n s é g a le car ce qui nou s louche et n o u s atteint en réalité ce
n ’est point que ce p a y s a g e soit devenu le dom aine de Boudu m a is la beauté
intrinsèque de ces rives de Marne, sa richesse de détails ja m a is élu d és. A
la fin de son m o u v em en t la cam éra cadre de près l ’herbe de îa rive et l ’on y
voit distinctement la pou ssière blanche que le vent et la chaleur ont trans­
p o r t du chem in. On la pourrait enlever du doigt, le pied de B o u d u va la
s e c o u e r . Je n ’ai pa s dû r e v o ir B oudu depuis quatre ans, m a is si j ’étais
privé j u s q u ’à la fin de nies jours de ce plaisir je n ’oub lierais pas celte herbe
e l sa poussière, et le rapport q u relle entretient avec la liberté d ’un cloch ard.
V oilà une évocation lo n g u e et bien lyrique à p ro p o s d ’une sc è n e o ù i| ne se
passe rien. J ’en p ourrais assu r é m e n t choisir bien d ’au 1res qui feraient
toutes ressortir la préférence de R en o ir pour l ’aspect d es c h o s e s ou, plutôt,
la p r é sé a n c e q u Til lui accorde dan s sa dram aturgie. On déco uv re aisém ent
dans so n œ u v re u n e prédilection particulière pour l ’eau. J e v ie n s d ’en
d onner un e x em p le. L ’eau app elle un thèm e d e .m is e en s c è n e d ev en u c la s ­
siq u e à l ’écran : la scène de barque, laquelle p ose des p r o b lè m e s techniques
c o m p liq u é s pour les c h a n g e m e n ts d ’angle, le recul de l ’appareil, s e s m o u ­
v em en ts et la prise de son. A u ss i se conlente-t-on g é n é r a le m e n t de prendre

24
L a lîit c h u m a in e (1938), Ji-an C a foin et J u lie n Carette.

les plans g é n é r a u x en extérieurs, et de les com pléter au m o u la g e 'par des


plans rap proch és tournes devant une « transparence ». Cette technique est
im pensable chez Renoir, car elle im plique mie dissociation des p e r so n n a g e s
et de leur cadre, elle admet que leur jeu el leur d ia lo g u e est un fait plus
important que le reflet réel de l ’eau sur leur visage, le vent dans leurs
cheveux, le m o u vem en t d ’une branche au loin. A u ssi les scènes de barque
de R en oir sonI,-elles entièrem ent tournées en extérieurs, dût-il y sacrifier
le d éco u p a g e. Leur qualité en d écoule directement. Mille e x e m p le s p o u r­
ra ienl illustrer cette m erveilleuse sensibilité à la réalité physique, tactile, de
l ’objel et de son milieu; les films de Renoir sont faits avec la peau des
c h o ses.
D ’où vient que sa m ise en sc è n e soit si souvent une caresse. Lu. tous cas
toujours un regard . S o n d é c o u p a g e ne procède pas de l ’habituelle anatom ie
qui dissocie l ’espace et la durée de la scène d ’après une hiérarchie dra­
matique a. p r i o r i, il est celui d ’un œ il avisé et m obile (même s ’il lui arrive
d ’être volontairem ent distrait ou paresseux). Durant tou le la dernière partie
de L a R è g l e du j e u , la cam éra se comporte com m e l'invité invisible, se
prom enant dans le salon et les couloirs, regardant avec curiosité m ais sans
autre privilège que son invisibilité. S a m obilité m ôm e ne d é p a sse pa s
sen sib lem en t celle d 1un ho m m e (si l ’on convient q u ’on court b eau cou p dans
ce château). Il lui arrive môme d ’être com m e coïncée dans une e n c o ig n u r e
et de devoir tout contem pler d ’un poin t fixe co m m e q u e lq u ’un qui ne pour­
rait se découvrir sa ns g ê n e r les p rotagonistes. D ’où la qualité ex tra o rd i­
naire de cette lo n g u e séq u en ce et qui n ’est point seulem ent celle du s c é ­
nario et de l'interprétation m ais en core cette m a n ière à la fois a m u s é e el
inquiète d ’en être le témoin.

25
I.e thè m e de l ’eau chez R enoir : The Soztthcriicr (1945) et Sïurtîiifi tro fe r (1941).

N ul m ie u x que R enoir n ’a sa isi la vraie nature de l ’écran, ne l ’a


débarrassé des a n a lo g ie s é q u iv o q u e s a vec la peinture et le théâtre. P la s ­
tiquem ent l ’écran est le plus s o u v e n t a ssim ilé au cadre du tableau, dram a­
tiquement à celui de la s cèn e. E n fonction de ces deux références on
ordon ne la m atière de l ’im a g e par rapp ort au x côtés du rectangle c o m m e
font le peintre et le metteur en s c è n e de théâtre; R en o ir au contraire a
parfaitem ent com p ris que l ’écran n ’était que la surface hom oth étiq uè de
l ’œ illeton de la caméra, c ’est-à-dire le contraire d ’un cadre : un cache, dont
la fonction n ’est pas m oin s de dérober la réalité au regard que de la révéler;
ce q u ’il m ontre tire so n prix de ce q u ’il cache, le tém oin invisible du film
a des œillères, so n ubiquité idéale est tem p érée par le cadrage com m e
il arrive à la tyrannie de l'être par l ’a ssa ssin a t. A utre im a g e dont j ’aim erais
faire un exergue, ce plan de L a R è g l e du je u après la chasse au bord de
l ’étang quand N o r a G régor s ’a m use à r e g a r d e r au travers d ’une m in u s ­
cule lunelte d ’a pp roch e et décou vre par ha sa rd d an s son « cham p » son
mari em b rassan t s a m aîtresse. D e m ê m e q u ’il y a toujours une part de
hasard dan s la découverte de la sc è n e par l ’objectif, c ’est elle qui donne
â co n tra rio so n prix à la v ig ila n ce et à la p e rsp ica cité de l ’œ il. L e point de
v ue de la cam éra n ’est p a s celui, abstrait, de î ’om n iscient rom ancier à la
troisièm e personne, il n ’est pas pour autant c elu i de la stupide çam éra su b ­
jective à tête de plomb, m a is u n e m anière de voir, libre de toute contingen ce
et qui co n serv e pourtant les servitud es et la qualité concrète du regard, sa
continuité d an s le temps, son point de fuite u n iq u e dans l ’esp ace : l ’œil de
D ieu au se n s propre s i D ie u savait s e contenter d ’un œ il. A insi quand
M o n s ie u r L a n g e se décide à tuer, la c a m éra reste dans la cour où se
trouve J u le s Berry, elle r eg a rd e à travers le s fenêtres de l ’escalier R en é
L efèvre descendre de p lu s en plus vite le s é tag e s; le v o ici qui débo u ch e
dans la cour.. La cam éra se trouve alo rs entre les d eu x pro ta g o nistes et
tournant le dos à Berry, m ais au lie u de p a n o ra m iq u er vers la dro ite p our
suivre L a ng e, elle tourne délibérém en t de 180° v e r s la g a u c h e , b a la ya n t
le décor vide pour recadrer sur Berry, p ren ant ainsi de v itesse JRené L e fè ­
vre qui rentre dans le cham p quand n o u s l ’a tte n d o n s.d é jà a u x côtés de sa

26
I,e th è m e de l ’eau chez R en o ir : Une Partie de cam pagne e t La Règle, du jeu.

pro ch a ine victim e (1). L ’intellig ence d ’un tel m ou v em en t d'appareil est plus
adm irable encore que son audace, so n efficacité p rocèd e d ’une part de la
continuité du point de vue, du début à la fin de la scène, point de vue p h y ­
siq u em en t et p r é cisém en t situé d a n s le décor et d'autre part de la p e r so n n a ­
lisation de la c a m éra qui p rend sur elle de tourner le d o s ' à l ’action pour
p a s s e r par un raccourci. On n e trouverait que d an s Murnau des e x e m p le s
de m o u vem en t d'appareil a in si libéré du p e r so n n a g e et de la géom étrie
dram atique.
T e c h n iq u e m e n t cette co n cep tion dé l ’écran s u p p o s e ce que j ’appellerai
la profond eu r de cham p la térale et la disparition quasi totale du m o nta g e.
P u is q u e non se u le m e n t ce q u ’o n n o u s m ontre vaut ce q u ’on no u s cache,
m ais encore lui doit son prix c o m m e un p r iv ilè g e h a sa r d e u x et toujours
m enacé, la m is e en sc è n e ne sa u ra it se lim iter à ce que n o u s v o y o n s dans
l ’écran, il faut que le reste de la sc è n e soit effectivement occulté et ne
c e s se donc pa s d ’exister. L ’action n ’est p as encadrée par l ’écran : elle le
traverse, le p e r s o n n a g e qui rentre dan s le ch am p ne sort p a s de coulisses
im a g in a ir e s. R éciproquem ent, il faut que la c a m éra p u is se brusquem ent se
retourner san s que ce coup d ’œ il circulaire pu isse surprendre de tem ps
mort, de la c u n e s de réalité. E n fait, cela signifie q u ’une sc è n e doit être
j o u é e in dép en d am m en t de la c a m éra et d ans toute so n aire dram atique
réelle, c ’est à l ’opérateur de pr o m e n e r sur elle sa lunette d ’ap proche. Le
reca d ra g e se substitue donc autant que p o ssible au « ch a n g e m e n t de plan »
qui introduit non seulem en t u ne discontinuité spatiale qui n ’est point dans

(1) D o is-je p r é c is e r p o u r m ie u x m e fa ire c o m p r e n d r e ce que sera it le d éco u p a g e


c la ssiq u e de cette s c è n e : 2 h y p o t h è s e s r 1° d é c o u p a g e co n tin u , p a n o r a m iq u e ou
t r a v e llin g su iv a n t L e fè v r e à tr a v e rs la cour, du p e r r o n à la fo n ta in e p r è s de
la q u elle se tie n t B erry.
2° d é c o u p a g e d is c o n tin u (m e ille u r du reste) R e n é L efèv re sort d an s la co u r et
se d ir ig e v ers la ca m éra. C ontre ch a m p su r Ju les Berry, R en é L efèv re ren tre d an s
le ch a m p .
D a n s le s d e u x cas le d é c o u p a g e r esterait p u r e m e n t d e s c r ip tif d ir e ctem en t
d é te r m in é p a r le p r o c e s s u s d e l'a c tio n 'e t la p o s itio n des acteurs.

V
la nature de l ’œ il m ais surtout consacre la rcalilé du « plan », c ’est-à-dire
d ’une unité de lieu el d'action, d ’un atome de m ise en scène dont la c o m b i­
naison avec d ’autres atom es constitue la scèn e puis la sé q u e n c e . E t en effet
il en va bien ainsi dans le tourn age m ê m e quand chaque plan est éclairé et
joué séparém ent; alors l ’écran n e caché rien parce q u ’il n ’y a rien à cacher
à l ’en tour L ’opposition fondam entale de ces deux esthétiques se sen t n ette­
ment dans E d o u a r d el Caro line par e xe m p le où Becker, dont la technique
fait d ’habitude une large place au m ontage, a voulu traiter la su r p r ise
partie dans te style de la fête de L a R è g le du jeu; m ais il n ’a pas totalem ent
r e n o n c é au plan el l ’on y s e n l c o m m e une discordance, un tiraillement,
entre le souci de n o u s rendre sensible la sim ultanéité dram atique et celui
de cadrer séparém ent, pour mettre en valeur l ’acteur et le dia lo g ue, des
fragm ents de sc è n e s tou rn ées à part. Seu le l ’extrêm e habileté de B eck er
parvient à dissim uler au m ie u x ces pièces rapportées, elles ne peuvent
pourtant échap per à un œ il attentif aux raccords. L e 'lé g e r te m p s’ d ’inertie
de l ’acteur, au départ d ’u n e réplique, je ne sais quelle qualité dan s la fixité
de la cam éra et surtout du c adrage où plus rien n ’est la is s é au hasard
dén once l ’existence du plan. Ja m a is au contraire nou s n ’av o n s ce se n ti­
m ent dans La R è g le du je u où l ’action joue à cache-cache avec la cam éra
et le décor, p asse de l ’office au p rem ier étage, du grand sa lon au furnoir,
du buffet aux couloirs sa n s que le plus petit détail de ce p r o d ig ie u x c o m ­
plexe de réalité cesse n o n seulem en t d ’être virtuellement p résent m a is
encore de vivre à son rythme, loin de n o u s co m m e s o u s n o s y e u x .
Il faut bien enfin, ne fût-ce que pour mém oire, m ontrer p o urqu o i et
co m m e n t ce parti pris de réalism e qui d ép a sse le contenu de l ’im a g e pour
intéresser les structures m ê m e s de la m ise en scène, a conduit R enoir, dix
ans avant Orson W e île s, à la 'p ro fo n d eu r de cham p. 11 s ’en est e x p liq u é
dans le fam eux article du P o in t que n o u s citions tout à l ’heure : » plus
j'a v a n c e dans m on métier, plus je suis am ené à faire de la m is e en sc c n e
en profon deu r par rapport à l ’écran. P lu s ça va plus je r e n o n c e aux
confrontations entre deux acteurs placés s a g e m e n t devant l ’appareiî c o m m e
chez le p h o to g r a p h e . Cela m ’est c o m m od e de placer plus librem ent m es
p e r s o n n a g e s à des d isla n c e s différentes de la caméra, de les faire b o u g e r .
Pour cela j’ai besoin d ’une gran de profondeur de ch a m p ... ». C elle e x p l i ­
cation m o d estem en t technique n ’est évidem m en t que la c o n s é q u e n c e im m é ­
diate et pratique de la recherche de s l y le que n o u s n o u s s o m m e s efforcés
de définir. L a profon deur de ch am p tout court n ’est que l ’autre d im e n sio n
de cette liberté « latérale » dont R en o ir a besoin. S im p le m e n t n otre c o m ­
mentaire p a r i de l ’écran alors que celui de Renoir, à l ’autre bout de la
création, ne s o n g e d 'abord qu'à ses acteurs.
Mais la netteté en profondeur de l ’im ag e té m o ig n e pourtant d ’une
recherche su p p lém en ta ire que n ’im plique pas n écessairem ent la m o b ilité
la térale déterm inée surtout par le jeu des interprètes, elle confirm e l ’unité
du décor et de l ’acteur, la totale interdépendance de tout le réel, de l ’hum ain
au m inéral, cite est dan s la représentation de t’e sp a c e une m o d a lité n é c e s ­
s a i r e de ce réalism e qui postule la sensibilité constante au m on de m ais qui

28
ouvre sur un univers d ’a n a lo g ie s de m éta ph o res el, p o u r e m p lo y e r dans
un aiilrc sens, m ais non m oin s poétique le mot baudelairien : de co r r e sp o n ­
dances.
Le plus visuel el le plus se n s u e l des cinéastes est aussi celui qui n o u s ’
introduit au plus intim e de ses p e r so n n a g e s parce q u ’il e s l d ’abord a m o u ­
reux fidèle de leur apparence e l par elle de leur âme.
La co n n a issa n c e chez R en o ir p a sse par l ’a m ou r et l ’am o ur p ar l ’épi der­
m e du m onde. La souplesse, la mobilité, le m odelé vivant de sa m ise en
scène c ’est son so u c i de draper, pour son plaisir el pour notre joie, la robe
sans coulure de la réalité.
A ndkk B azin

I.a K l' g lc ( i a j e u (1939).

29
LE FLEUVE
Cette sorte de poème sur le film T h e R iv er est extrait d ’une lettre écrite
récemment par l’écrivain et scénariste américain Dudley Nichols à Jean Renoir.
Nous la publions avec l’autorisation de Van et de l’autre. Jean Renoir a lenn
à la traduire lui-même et en nous la communiquant il précise : « J’ai essayé de
conserver au texte de Nichols son caractère poétique et aussi son caractère améri­
cain, C'est donc une traduction presque directe. Cela n'ëst pas du très bon fran­
çais, mais peut-être cela peut-il suggérer que c ’est du très bel américain ».

H ier soir nous sommes allés revoir Le Fleuve — A llélu ia !


I l y eut des larmes dans nos y eu x ... (...la com passion du public pressé...)
...L es larmes de la beauté révélée et de la jo ie de la poésie,
Et la compassion pour lé destin de l ’hom m e.
La vie de l ’hom m e vient de la mort et le bien vient du mal.
L ’innocent et féerique B oguy
Apporte ses offrandes, nourriture spirituelle,
La musique de son souffle et de ses doigts sur un roseau.
Il s’agenouille devant le mystère enroulé du serpent,
Im plorant le regard, im plorant l ’adm ission à la fraternité.
Et en réponse à son gentil rêve anxieux,
Est frappé à mort.
Peut-être après tout que c’était là la seule réponse possible du serpent,
La seule m anière d’admettre un étranger parmi les siens.
...La m ort... la fin qui com m ence... ...le court voyage vers l ’infini.
Tem ps et espace sont des mots.
Dans la sécurité de notre nouvelle religion, la science,
N ous croyons les com prendre, mais ce sont d ’éternels m ystères,
Dans cette Inde qui est un peu la vôtre, des noms de divintés.
Le tem ps est la vie et l ’espace est la mort,
Des m ots, encore plus de mots,
Mais ils n ’approchent pas plus près du cœ ur du m ystère.
Le tem ps et l ’espace sont les deux mains de celu i qui a reçu le don de créer.
L.’artiste a deux m ains... deux m ains nécessaires,
Comme lu i sont nécessah*es les deux côtés de son esprit.
A ujourd’hui la religion révélée sem ble perdue dans la tem pête.
Seule la science vogue de l ’avant, mais sans l ’am our, boussole nécessaire,
E lle nous conduira encore plus v ite vers la catastrophe.
L ’hom m e peut faire le tour du m onde, mais jamais de lu i m êm e,
Car le m ystère final est enroulé dans l ’hom m e m êm e,
A une profondeur d’un m illion d’années lum ières ou d ’un quart de pouce,
Dans la trem blante coquille de son cœur.
Peut-être les enfants dans leur innocence savent-ils cela,
E t c ’est pourquoi fascinés,
Ils s’agenouillent devant la tête capuchonnée de l ’in connu.
D u d le y N ic h o ls

(traduction d e Jean R en oir)

30
Quelque chose m ’est arrivé
par

Jean Renoir

Comme le dit a Captain John » dans Le Fleuve : « A chaque chose qui voua
arrive, à chaque personne que vous rencontrez qui a de l ’im portance à vos
yeux, ou b ien vous mourrez un peu, ou bien vous renaissez ».
Il m ’est arrivé quelque chose de très im portant, à m oi com me à des m il­
lions d’autres gens, et cette chose c ’est la deuxièm e guerre m ondiale qui a été
cause de m on départ en A m érique où je devais rencontrer des gens importants
pour m oi, et où il m ’a sem blé que je naissais une seconde fois.
A cette époque, la grande idée des producteurs d’H ollyw ood était de me
faire faire le m êm e genre de films que ceux que j ’avais déjà réalisés en Europe.
Je fus très flatté d’apprendre qu’ils avaient aim é mes films m ais, étant un être
neuf, anxieux d’exprimer dans mon oeuvre ce que j ’étais devenu, il y avait là
un m alentendu total.
Une autre difficulté venait du fait qu’il me fallait trouver un nouveau style
pouvant s’accorder avec ma nouvelle pei-sonnalité et avec ma nouvelle exis­
tence. Le jour où je lus le roman de Rumer Godden Le F leu ve, je compris que
j ’avais trouvé. Ce n ’était pas là un projet très sim ple. Il m e fallait d ’abord
accepter la loi inconsciente form ulée par Rum er Godden : être une partie
« consciente » du m onde. C’est là le fondem ent de la pensée hindoue. Etre
conscient est d ’autre part la caractéristique m êm e de l ’art anglais, et c ’est
pourquoi l ’Inde et l ’Angleterre peuvent toutes les deux se réclamer de Rumer
Godden.
Mais étant conscient, vous voulez être utile, et pour se rendre utile dans un
m onde soum is à des transformations quotidiennes et dont les exigences se
renouvellent constam m ent, c’est tout un problèm e. Le grand pouvoir d ’influen­
cer le m onde n ’est pas seulem ent le privilège de l ’artiste, du soldat, du p h iloso­
ph e. Un cuisinier, un balayeur de la n ie ou bien un m endiant possèdent ce
pouvoir. E t égalem ent un m etteur en scène.
Avant la guerre, ma m anière à m oi çfe, participer à ce concert universel
était d ’essayer d ’apporter une voix de protestation. Je ne pense pas que mes
critiques furent jam ais très amères, j ’aim e bien trop l ’hum anité et j ’ose espé­
rer qu’à mes sarcasmes se m êlait toujours un peu de tendresse...
A ujourd’h u i, l ’être nouveau que. je suis réalise que le temps n ’est plus pour
le sarcasme et que la seule chose qüè je puisse apporter à cet univers illogique,
irresponsable et cruel, c ’est m on « amour ».
Evidem m ent Ï1 y a dans cette altitude l ’espoir égoïste d’être payé de retour.
Je suis aussi mauvais que les autres et j ’ai autant besoin qu’eux de souriante
indulgence.
Le livre de Rum er Godden est un acte d ’amour envers l ’enfance. C’est aussi
un acte d ’amour envers l ’Inde, mais ceci je l ’ai découvert seulem ent lorsque
K enneth Me Eldow üey m ’y e u t :em m ené. Avant, je croyais, com m e le dit le pro­
logue du film, que l ’histoire d ’un prem ier amour pouvait aussi bien se situer à

31
Tom bouctou, Quelques sem aines aux Indes m ’ont ramené à cette vérité essen­
tielle : que les homm es ne vivent pas dans le vide, que ce qui les entoure existe.
Sans l ’Inde, la rencontre de la petite Harriet avec la vie eut été bien d iffé­
rente. - '
Ruiner Godden et m oi-m êm e avons' eiï la bonne fortune de trouver un p ro­
ducteur qui comprenait que de récrire un sujet sur place pouvait donner des
résultats fructueux. Le résultat,, c ’est que l ’extraordinaire ambiance du lieu
s’est im posée peu à peu à nous et est devenu un nouvel élém ent de l ’histoire,
probablem ent le plus im portant.
Le drame du Fleuve est essentiellem ent basé sur la situation classique du
« triangle » avec, com m e « sommets », Harriet, ['Etranger et l ’Inde. A utour
d’eux, nous montrons les élém ents com plém entaires importants : d ’autres
jeunes filles, un cousin philosophe, une gentille fam ille anglaise,' un cobra, un
arbre, nn fleuve et, je l ’espère, un peu de notre grande dévotion po\ir l ’Inde.
J ean R e n o i r

L e Journal d ’une /v nniic de c ham bre (nj.fô). F ran c is I.cclcrcr et Taulcttc OocWaf<t.
Jean R enoir pen dînit le to u rn a g e de The Hiver (1951).

par

M aurice Scherer

Si le propre du génie est de devoir au temps sa consécration, notre époque,


toutefois, semble sur ce point si habile à hâter l’échéance d’un jugement réservé
naguère à une immédiate ou lointaine postérité, qu’il y a sans doute quelque
ridicule de la part d’un critique né cent ans après Baudelaire de s’aviser de
ressortir de ses cendres romantiques le concept d'incompris et lui proposer pour
champ d’application l ’œuvre d’un homme universellement reconnu comme excel­
lant en son art et, de plus, ayant, de tous les arts, choisi le moins apte à se satisfaire
de la ratification posthum e de quelques pieux connaisseurs. Et pourtant, la défé­
rente froideur avec laquelle furent accueillis en France les derniers films de
Renoir — froideur qui n ’est pas près d’être dissipée comme le prouve les projec­
tions récentes de La Femme sur la Plage et de L ’H om m e du Sud devant le public
averti de deux ciné-clubs parisiens, ces mêmes clubs où l ’on refuse du monde pour
Potem kine, Le Sang d'un poète ou La R ègle du jeu — impose à la critique l’ingrat
d e v o ir /n o n plus de défendre, mais de provoquer une bataille au prix seul de
laquelle l ’évolution du plus grand cinéaste français peut être éclairée de son jour
véritable. Car je ne sache pas que Renoir ait eu, à vrai dire, « à se plaindre » des
jugements portés sur la période américaine de son oeuvre par la plupart de nos

33
journalistes qui rendirent plus que justice à L ’H om m e du Sud, entre autres, et
surent fort bien mettre en valeur tout ce qui, dans ce dernier film, portait la
griffe dej l’auteur dé T o n i ou de^La Partie de Campagne; mais, à une ou deux
exceptions près, ces louanges, si vives fussent-elles, postulaient im plicitem ent la
réserve que si Renoir avait, à l’occasion, réussi à faire « aussi bien », il n’avait
toutefois pu « faire m ieux » et, sournoisement, incitaient un public épris de
nouveauté à bouder ce qu’on lui donnait tout au plus le droit de considérer
comme la réplique heureuse d’œuvres qu’un éloignem ent de dix ou quinze ans,
la difficulté même qu’on avait de les revoir, auréolaient d’un prestige inattaquable.
On n ’ailait pas jusqu’à parler de tarissement d’inspiration ou de déclin, mais, plus
habilement se contentait-on d’imputer sa déception à l’effet de nouvellës condi­
tions de travail, aux exigences d'un public différent ou de producteurs moins
libéraux et autres bonnes raisons où un patriotisme, ma foi fort concevable,
n’était pas sans avoir sa part.
Il faut croire qu’on lut d'un œ il distrait les interviews que Renoir accorda à
la presse, et où il prenait soin de préciser qu’il avait eu à H ollyw ood toute liberté
dans le choix de ses sujets, acteurs, collaborateurs ou moyens de travail. Peut-être
est-il des esprits assez retors pour expliquer de telles déclarations par les nécessités
de la plus élémentaire prudence comme 11 en est pour croire que la crainte de
R ichelieu ou de Louis X IV nous aient également frustrés des confidences répu­
blicaines ou libertines de Corneille et de Molière, jouterai donc, à leur usage,
que ces soi-disant œuvres commandées remportèrent aux Etats-Unis un succès
très médiocre et je tiens de la bouche d’André Bazin que la dèrnière en date,
La Femme sur la Plage, loin d’être due, comme ôn croit, à un caprice d’un pro­
ducteur est une de celles, au contraire, dont Renoir revendiquerait le plus la
paternité, encore qu’elle ne soit pas achevée de sa m ain (Mais W elles ne termina
pas Les Amberson, ni Stroheîm Qneen K elly). N ous voilà loin du mythe d'un
Renoir avili sous les diktats d'une grande firme, écrasé dans les rouages de l’im po­
sante machinerie yankee : je ne connais pas de films qui portent mieux que Swam p
W ater ou L’H om m e du Sud la marque d’une liberté plus totale d’improviser sur
les lieux du tournage et il semble, d’ailleurs, que la mise à sa disposition des moyens
techniques les plus raffinés, loin de provoquer ce raidissement dans le découpage,
que d’aucuns déplorent, eût, tout au contraire, dû faciliter la tâche du metteur en
scène français qui sut avec le plus d’aisance manier le travelling ou la grue.
On ne prouve pas la beauté d'une œuvre ét j’avôiie être assez peu sensible aux
faux brillants du raisonnement par analogie pour ne pas en user à mon. tour outre
mesure. Mais l'enjeu du combat est, ici, tel qu’aucune arme même la moins
honnête, n’est tout à fait à écarter. Et puis il ne me déplait point, en tém oignage
de l’admiration 'que j'éprouve, pour les derniers films de Renoir, de donner la
mesure de leur grandeur par le rappel que je veux d’abord faire des chefs-d’œuvre
les plus estimés de tels ou tels grands musiciens, écrivains ou peintres. Admettre
en effet une décadence possible de leur auteur — toutes circonstances atténuantes
étant maintenant repoussées — serait reconnaître que son évolution suit les lois
de celle des talents les plus ordinaires ; car l’histoire de l’art ne nous offre, à ma
connaissance, point d'exemple qu’un génie authentique ait connu, à la fin d é sa
carrière, une période de vrai déclin : elle nous inciterait plutôt, sous la mala-
dresse ou pauvreté apparentes des films précités, à retrouver la trace de cette
volonté de dépouillement qui caractérise les « dernières manières » d’un Titien,
d’un Rembrandt, d’un Beethoven ou, plus près de nous, 'd'un Bonnard, d’un

34
Sjt'rtjiip W i t t e r . (ig/|i>. D a n a A ndrew s .et A nn Ha X1er.

MatiSse ou d’un Strawinsky. Je voudrais donc, ces grands noms une fois cités,
proposer un genre dé critique qui ne fut ni celle des « beautés » ni des « défauts »
mais, révélant la raison interne d ’une évolution dont le fil nous échappait, décou­
vrit sous ces pseudo-défauts, les Brillants véritables qu’un regard mal exercé
n ’avait su d’abord que ternir. Un tel propos ne va pas sans quelque renversement
des valeurs communément admises et je crois que notre temps est plus prêt qu’un
autre à reconnaître que lé propre de tout chef-d’œuvre est de suggérer une
nouvelle définition du Beau. Aussi suis-je toujours porté à m ’étonner que nos
esprits prétendus les m oins conformistes soient les plus empressés à calquer les
canons de leur esthétique sur le patron de telle œuvre déclarée sacro-sainte par le
fait même qu’elle fut; en son temps, révolutionnaire : qu’on les invite, un beau
jour, à adorer ce qu’elles ont brûlé, voilà de quoi faire sursauter d’indignation les
intelligences les m ieux exercées aux subtilités de la dialectique. Ce n’est point
l ’envie qui m ’en manque : mais il serait indigne de la cause que je veux défendre
de céder aux séductions d’un facile paradoxe : les œuvres dont je parle méritent
m ieux que la trop tentante réponse qu’elles ont de bon, ce qu’on y croit mauvais,
que s’ile s t commun d’aimer Natta parce qu’on y voit un quinquagénaire marcher
à quatre pattes, ou Le Crime d e M onsieur Lange parce qu’on y mange du curé, le
plus clair du plaisir que j’éprouve à revoir V H o m m e du Sud est d’y avoir tout
loisir d ’admirer un homme aimant sa fem m e et croyant en D ieu. Que l’on m ’en­
tende bien : ce n'est pas en refaisant du Poussin qu’on pourra dépasser Picasso et
j’éprouve la même méfiance à l’égard de tout néo-classicicisme que d’un surréa­
lism e attardé. Ce retour aux bons sentiments, à la conception traditionnelle de
l'art, à des valeurs d’ordre et d ’harm onie ne serait que l’aveu d’une défaite s’il ne
correspondait au sens de l’évolution du cinéma tout entier. Il n’est pas indifférent
qu’un metteur en scène dont la carrière se présente déjà comme l ’une des plus
longues, ait, par un instinct secret, ou simplement, grâce au destin, trouvé sa

35
« philosophie personnelle » constamment adaptée aux tendances d’un art où, sur
le plan de l’expression pure, il ne'cessa de faire figure de novateur. L'originalité
des meilleurs films de ces dix dernières années ne doit que fort peu, tout bien
considéré, à l’em ploi de nouvelles techniques; elle se caractériserait plutôt, selon
le m ot de Bresson, par une conscience plus aiguë de l’aptitude du cinéma à
explorer la « vie intérieure » et cette spiritualité où baignent la plupart des plus
grands et plus incompris — puisque tel est le m ot — des films récents, des Dames
du Bois de Boulogne à JJnder Capricorn et aux Vioretti proclame l’éclatante
revanche d’un art qui, ravalé jadis au niveau du feuilleton, s’effraierait plutôt
maintenant, de puiser dans la croyance en Yâme le meilleur de son inspiration.
On ne saurait donc, sans mauvaise grâce, refuser à Renoir de n ’être plus à la
page. Je me souviens qu’assistant à la projection de Mademoiselle Julie, étonné de
n’être point pris par une histoire signée d’un des plus grands dramaturges de ce
début de siècle, l’ombre de Francis Lederer, interprète, comme on sait, du rôle du
valet dans Le Journal d ’une fem m e de chambre, m it une telle insistance à se
superposer au personnage de Strindberg que l’idée d’un rapprochement, qui
n’était point à l’avantage du film suédois, me vint tout naturellement à l’esprit.
Je dirai tout de suite que le talent très ordinaire d’Alf Sjoberg, le metteur en
scène, n’était pas tellement en cause, mais bien plutôt, le contenu des dialogues,
les caractères, la situation, bref ce qu’on avait su, de la pièce, le plus fidèlement
conserver. Je trouvais que cette histoire de maîtres et de domestiques ressortissant,
pour employer la terminologie à la mode, à une éthique bien périm ée : peut-être
en ce qu’elle prêche cette morale « libre » à laquelle nous n’avons plus l’heur de
croire, au lieu que l'autre, celle de Renoir (assez librement adaptée de M irbeau
pour qu’il m e soit permis de confondre adaptateurs et auteur) loin de troubler en
quoi que ce soit la hiérarchie des valeurs bourgeoises, nous donnait à la fois à
haïr et admirer l’effort d’un homme assez roué pour dériver au profit de sa seule
am bition la philosophie cynique de l ’office et des antichambres. Ce n ’est pas tant
que je crois qu’il n’y ait de tragique qu’individuel mais que toute vraie tragédie
pose toujours le principe d’une acceptation de l’ordre établi quelques dures qu’elle
en montre les contraintes. A qui s’étonnera que je présente sous les traits d ’un
conservateur celui qui tourna La Marseillaise pour le compte du Front Populaire
et sut si bien — dit-on — dans La R ègle du Jeu dénoncer les travers d’une certaine
haute société française, je répondrai qu’il n ’est aucune de ses œuvres (si ce n’est
Le Crime de Monsieur Lange, où l’on sent à mon gré beaucoup trop Prévert) où
la satire soit poussée si loin qu’elle ne laisse transparaître quelque vive tendresse
pour les vices qu’elle prétend dépeindre. Laissons aux manuels de littérature la
croyance en un art qui dénonce; je trouve fort significatif que notre plus grand
romancier, Balzac, dont nombre de bons esprits veulent à tout' prix faire un
censeur de son temps et, partant, un apôtre du socialisme ait été le plus ardent des
légitim istes (cf. certaines pages du Curé du village). Je ne voudrais pas faire de
Renpir ce qu’il n ’est peut-être pas, mais sentant combien son « conformisme »
actuel gêne certains de ses anciens admirateurs au lieu de leur prouver — ce qu’ils
souhaitent — que celui-ci n’est apparent, je céderais plutôt au malin plaisir de
déceler dans l’œuvre passée de notre cinéaste ce qui peut faire préjuger de sa
présente orientation.
S’il est vrai que l ’art soit ayant tout recherche de la beauté, on im agine mal
la situation d’un artiste condamné à peindre ce qu’il réprouve. On m ’objectera
que le réalisme dont Renoir s’est jadis réclamé, s’insurge précisément contre l ’idée

36
T h e S o u th e r n e r (1945) : Betty F ic ld e t Z achary Scütt.

naïve d’un art amoureux de la « belle nature » ; je répondrai aussitôt que la lo g i­


que de ce réalisme de base dont je ferais volontiers le principe fécondant dii
cinéma est, à partir d’une vue plus vraie et plus sévère, d’inspirer au créateur un
respect plus vif encore de ce modèle dont il ne prétend être que l’exact reproduc­
teur. On a dit souvent que l’écran transfigurait ; je vois au contraire dans la
caméra une mécanique propre, tout au plus, à ne livrer de la nature, à qui ne sait
la solliciter, que les aspects les plus sordides, je veux dire les plus plats ; de sorte
que le lyrisme dont on pourrait, ailleurs, dénoncer les dangers apparaît, ici,
comme le privilège exclusif de quelques grandes œuvres. Il n’y a pas de poésie
au cinéma, que par un dépassement du réalisme (et combien significative cette
parole de Renoir déclarant que la poésie était devenue son but exclusif ! ) Comme
je déclarais dans un ciné-club, à l ’issue d’une représentation de Tabou, que Murnau
était le plus grand homme de notre temps, je sentis que l ’assistance avait peine à
me croire sérieux. Je veux qu’on me fasse l ’affront de me prendre au mot ; oui,
les plus beaux poèmes de ce siècle ne sont pas, je le répète, ceux d ’un Lorca, d’un
Eluard, d’un Maïakowsky, d’un Elliott — ou qui sais-je ? — mais les films docu­
mentaires (dont l’un fut payé par l’agence de publicité d'une firme de pétrole et
dont des fragments des autres figurent au programme des cycles de cinéma édu­
catif) qui ont nom Tabou, Que V iva Mexico, Louisiana Story. Ce postulat une
fois admis, on m ’accordera qu’il est plus facile d’ajouter à cette liste U H om m e du
Sud que la trop fameuse et grimaçante Partie de Campagne dont certains s’obsti­
nent à faire l ’un des sommets de l’art de Renoir. C’est ce que je voulais démontrer.
Veut-on des textes à l ’appui ; je n’abuserai pas de ce genre de preuve et qui
connaît Renoir sait qu’il n ’est point homme à s’embarrasser de ses propres contra­
dictions. Mais je remarque dans ce que nous avons pu iire de lui depuis son départ
de France, une telle insistance à combattre l ’idée d’un réalisme naïf, qu’il me
parait difficile de ne point retranscrire quelques-unes de ses déclarations. « Moins

37
improvisé, dit-il en effet, moins intuitif, tel se présentera, je le présume, le film de
demain: Mais pour arriver à cette nouvelle form e d’expression, il faudra éviter
un grand danger : celui de l’idée actuelle que nous nous faisons du réalisme,
c’est-à-dire la foi dans la représentation photographique d'une réalité pêchée au
hasard.-Vouloir « faire vrai » est une erreur colossale ; l ’ait doit être artificiel et
constamment recréé. C’est cette facilité de recréation qui était la raison d'être du
cinéma !et, en l’oubliant, il se perd lui-même. La base du péché mortel du cinéma
est d'oublier qu’il doit rester une fiction ». Autre texte, même langage ; « Les
hommes depuis qu'ils existent confondent l’art avec l’im itation de la réalité. Dans
les périodes primitives, ou bien la lim itation des m oyens techniques, ou bien cer­
taines règles religieuses formulées par des prophètes bien avisés, empêchent les
artistes [de suivre ce mauvais penchant, A notre époque, dite de progrès, plus de
limitations, plus de règles ; et nous assistons à une espèce de débauche. Les
artistes [individuels, peintres, écrivains, sculpteurs peuvent encore s’en tirer. Rien
ne les empêche de digérer la nature comme ils l’entendent et de nous' la rendre
sous les* formes les plus inattendues. Mais pour faire un film, on se met des tas de
gens ensemble, et même si l'un d’eux a vaguement l’idée que l'une des caractéris­
tiques de l’art est d'être artificiel, même si celui-là arrive à communiquer ce point
de vue à ses coéquipiers, l'odieuse voix de la raison a vite fait de se faire entendre.
Par « raison », je veux dire la nécessité de faire œuvre commerciale et de ne pas
choquer un public que l'on suppose amateur de .cette fameuse réalité. D ’ailleurs
ilT e st et comment ne le serait-il pas après vingt-cinq ans de perfection imbécile
dans' la reproduction photographique. D e là, les canons actuels.
U n acteur devient une vedette parce qu’il ressemble à des quantités de gens
que l'on rencontre dans la rue. Comme cela, pense-t-on, ces gens seront heureux
de se voir eux-mêmes sur l’écran, avec tout juste quelques petites améliorations :
costumes mieux coupés, une peau plus régulière et pas de poils dans le nez. D e
temps en temps, un autéur de film fait figure de novateur en remettant les poils
dans Je ne 2 ou en montrant une jeune première avec des dents carriées. Pour ma
part, si au cinéma on me montre les mêmes gens que je peux rencontrer au café,
je ne vois pas pourquoi je n’irais pas au café plutôt qu'au cinéma. C’est plus
confortable et on y peut consommer. Ceux qui nous ont précédé avaient bien de
la veine : pellicule orthochromatique interdisant toute nuance et forçant l’opéra­
teur le plus tim ide à accepter des contrastes violents ; pas de son, ce qui amenait
l'acteur le moins im aginatif et le metteur en scène le plus vulgaire à l'emploi de
moyens d’expression involontairement sim plifiés'» .(C ine-C lub de mai 1948). Cet
effort maintenant volontaire..., vers une « simplification dés moyens d ’expres­
sion nous pouvons le suivre à travers toute l’œuvre américaine de Renoir, de
Swàïnp W ater dont la technique,' comme le faisait remarquer Jacques Rivette
( G a z e t t e b u CrNÉMA, juin 1950), rappelle encore celle de La R ègle du jeu jus­
qu'au style dépouillé de cette Femme sur la Plage où l’on compterait les mouve­
ments d’appareils et où l'on sent, sous le laisser-aller apparent du découpage, la
fermeté d’une direction d'acteurs, dont le parlant nous offre péu d'exemples. Ce
retour aux sources, loin de trahir 'une quelconque abdication, est, l’histoire le
prouve, caractéristique de la dernière manière d ’un créateur assez sûr de sa person­
nalité et de la richesse de son invention pour prendre son bien où il le trouve.
Mais j’en reviens au Journal d'une fem m e de chambre pour lequel je ne cache
pas ma secrète prédilection et que je considère (n’en déplaise à son auteur ; mais
faut-il le prendre au m ot ?) comme l’un des films les plus personnels de Renoir
L e Jo ur nal d ’une f e m m e de cham bre (1946) : H u r t H a tfic ld, l ’a u le tlc Godcîard.
e t F ran c ia I^cderer.

(car Flaherty eût fait, à la rigueur, L’H om m e du Sttd et Stroheim, Nana). J’y vois
d’abord une somme de m ille motifs antérieurs et l’amateur de cruauté, assez raffiné
toutefois pour ne se p oin t satisfaire d'une violence tout extérieure, y trouvera son
compte plus que partout ailleurs. Il est vrai qu’on n’y voit point de viol, ni de
lapin agonisant, mais le couteau que Francis Lederer brandit vers la gorge de
l’oie, brille d’un trop terrible éclat, pour qu’un esprit normalement constitué, ne
se prenne à regretter que ladite gorge se soit trouvée en dessous du champ de sa
vision. Bien plus, aussi parfaits que fussent Nana, La Chienne, Madame Bovary ou
La R ègle du jeu} ils ne nous éclairaient, du pouvoir du cinéma, rien que nous ne
fussions déjà en droit d'attendre — traitant des rapports extérieurs des êtres : la
comédie humaine et ses* grimaces. Le Journal d ’une fem m e de chambre est peut-
être le seul film à ma connaissance (je ne vois à vrai dire que lie D ernier des
H om m es à mettre en parallèle) qui nous découvre si lîmpidement, sans le secours
d’aucun commentaire ou autre artifice, cette sorte de sentiments qu’on aime enfouir
au plus profond de soi-même — non seulement l’hum iliation refoulée, mais le
dégoût même ou la lassitude que l’on a de soi — que l’audace d ’un tel sujet ne
peut apparaître qu’après réflexion. Renoir, on le sait, exprima son' regret que ce
film n’ait pu être tourné en France ; félicitons-nous, au contraire, que des difficul»
tés de reconstitution lui aient fait négliger la recherche d’un pittoresque dont il
nous avait fourni assez d ’exemples, lui donnant en revanche tout loisir de pour-
suivre sa tentative d’exploration intérieure et de reporter sur le visage glabre et
énigm atique du valet l’intérêt que des seconds rôles plus fidèlement campés
eussent détourné à leur profit. Je m ’arrête ici craignant qu’un excès de subtilité ne
fasse paraître spécieuse une démonstration que j’aurais voulue plus directement
convaincante et invite ceux de mes lecteurs qui ont eu la chance dé voir Le Journal
à se rappeler ce qu’ils ont ressenti lors des moments « forts s de l’œuvre (en

39
admettant qu’il y en eût de « faibles ») : par exemple la gifle de la maîtresse de
maison, la bagarre avec le fils dans la serre ou cet admirable plan de la foule
reculant devant lé fouet déployé. Qu’ils me citent un exemple de violence m oins
gratuitement traitée et plus sobrement fascinante ; l’une des raisons pour lesquelles
je place, dans l ’œuvre de Renoir, ce film encore plus haut que L ’H om m e du Sud
est que les scènes de querelles qui jalonnent ce dernier, aussi âpres soient-elles,
font trop figure d’exercices d’école en face de ce sauvage corps à corps qui m et
aux prises le robuste valet et le maître phtisique, nous livrant en un éclair un
monde de secrets que nous n ’avions pu encore qu’entrevoir. Sans doute, et en ce
moment là surtout, ne nous est-il jamais que donné à voir et nul plus que Renoir
ne répugne au style « allusif :■> cher à nos paresseux cinéastes : mais ce qui fait
le prix d’un film comme celui-ci est que la transparence du geste y soit issue d’une
première opacité, postulant ce mystère de la vie intérieure que trois siècles d’in ­
vestigation romanesque nous laissent encore si malhabiles à percer.
Je n’ai pas encore vu T h e River. Ce qu’on m ’a dit de ce film me fait craindre,
quelques vives que soient les louanges qu’on lui décerne, qu’il n'encourre les
mêmes reproches de fadeur, conformisme ou pauvreté. J’espère avoir fait œuvre
utile si ce rapide plaidoyer réussit à faire naître, chez ceux qui attendent im pa­
tiemment sa sortie, non pas une indulgence dont Renoir n’a cure, mais cette
exigeante sévérité faute de laquelle il nous arrive, non prévenus de l ’ambition de
son dessein, d ’être dupes des apparences volontairement modestes dont tout
authentique chef-d'œuvre aime malignement se vêtir.
M a u r ic e Sc h é r e r

The Wotnan 011 tUe Beach (1946) : Joati lîCTinett,

40
C laude e t Jean R en oir pou d a lit les p rises -de. vues tîc Th e [River: ' '

Problèmes d’opérateur

' ■ écrire pour ne rien dire . ■

Claude R enoir ,,

'Pour quelles raisons les images d’un film en couleurs peuvent-elles nous
paraître mauvaises et laides sur un écran de projection ? ;
En remontant du spectateur au responsable de ces images, c ’est-à-dire au
i directeur, de la photographie, nous passons par les étapes' suivantes;' : .é(iran
sale ou peu brillant, appareil de projection sans lum ière avec un objectif
donnant une m auvaise définition des im ag es.o u sim plem ent pas au point, du
encore dans le cas de cojjies sous-titrées (comm e The R iver) projetées géné­
ralem ent floues, car il est plus aisé au projectionniste de faire Le point sur ces
sous-titres et il est rare pour une projection d ’être nette également au centré
et sur les bords de l ’écran.
Nous arrivons, ensuite au laboratoire qui tire ces copies et dont le travail
peut être défectueux, mauvais tirage trop clair ou trop foncé, déséquilibre de
couleurs d ’un plan à l ’autre, etc... puis lyient la p ellicule vierge q u i'n ?est pas

41
exem pte de défauts et la eim era dont l ’optique influéîlcerà tout le caractère
de la photographie. Enfin nous atteignons l ’opérateur bon ou mauvais, mais
dont les intentions sont: généralem ent pures. -
Je m ’excuse de ce petit préam bule m ais il m e paraissait indispensable pour
vous faire com prendre l ’état d ’esprit d’un directeur de la photographie qui,
commençant un travail, connait d ’avance lé calvaire douloureux que vont gravir
ges images avant d ’atteindre le spectateur. Ces traitements intermédiaires n e
sont pas toujours aussi tragiques que je vous l ’expose mais il est sage, m alheu­
reusement, dë les envisager sous c e j o u r , l ’expérience en fait foi.
Malgré cela, chose extraordinaire, c ’est avec le m êm e enthousiasm e que je
prépare'chaque nouveau film,-; et que je travaille au studio en espérant un bon
résultat. Jamais il ne m ’est arrivé de penser que telle chose n ’avait pas besoin
d ’être soignée étant donné ce qu’il en résulterait sur l ’écran.
Comme vous le voyez, je ne suis pas norm al.
L ’expérience de T h e R iv er aurait dû m ’être catastrophique. On envoyait
en effet un opérateur, sans expérience du T echnicolor, tourner, à 10.000 k ilo ­
mètres de là, un film qui serait néanm oins développé à Londres et dont on n e
lui donnerait que par télégram m e, les p rem iers!résultats techniques. D e plus,
il se passait d’un «: conseiller couleur. » généralem ent très em ployé pour ce
genre de travail.
Ces débuts m e rappellent ceux où j ’apprenais à piloter. J ’avais toujours
volé accompagné d’un m oniteur ju sq u ’au jour où, descendant de l ’avion après
un petit tour de contrôle passé ensem ble, il m e dit : « Vas-y m aintenant, tu
peux partir seul ». Et je lu i ai sim plem ent répondu : <c Etes-vous sûr de ce que,
vous faites ? » — « N aturellem ent » m e retourna-t-il en'haussant les épaules.
Lui faisant confiance, je décollai seul. A m on 'retou r, je compris à la façoin
dont il me félicitait, qu’il avait eu plus peur que m oi.
D e m êm e T echnicolor, après quelques essais à Londres, me dit que tou t
irait très bien et que je fasse ce qui m e plairait. Je lu i fis aussi confiance
puisqu’après tout il acceptait cette responsabilité.
Je continue à voler de temps en temps sans trop savoir com m ent, de m êm e
vais-je faire un autre Technicolor avec probablem ent ces mômes principes.
La couleur techniquem ent ne pose pas pour m oi de problèm es très d iffé ­
rents de ceux du noir et blanc. D ’ailleurs en Inde, j ’ai fa illi ne pas m ’aperce­
voir que je tournais un film en couleurs. À quoi l ’aurais-je su en fait ? F aute
d’expérience, j ’appliquais sans hésiter mes m éthodes usuelles. Quant aux p r o ­
jections, par économ ie, elles étaient tirées en noir et blanc, a part quelques
courts échantillons couleurs qu’il était prudent de ne pas voir.
Voks me direz alors : « Que faites-vous de la conception des images — des
équilibres de couleurs ~ des valeurs qui s’entretuent, bref ! quoi ! de la
cotileur ? ». ,
Il est vrai que nous devions bien en faire quelque chose de ce fameux p ro ­
blèm e dé la couleur, m ais à dire vrai, j e crois bien que nous n ’y avons jam ais
songé très profondém ent. Evidem m ent, avec Jean R enoir et Eugène Lourié le
décorateur, nous avons choisi des paysages en extérieurs, puis des couleurs pour
les décors, puis des tissus pour les robèsj puis au cours d ’un plan, noùs nous
disions : et T iens, on va mettre ce bouquet de fleurs mauves dans le fond, ça
fera bien ! ». , -
■ Et ça faisait bien ! E t là est tout le problèm e de la couleur. Savoir ce fjui
fait bien ! niais com m ent l ’expliquer !

42
Je n ’aurais pas osé demander à m on grand père, pourquoi il concevait sa
peinture de cette façon et m êm e si j ’avais osé (douteux^ étant donné que je
n ’avais que quatre ans), je suis certain qu’il n ’aurait pas pû m e l ’expliquer.
Le problèm e le plus im portant qui se pose à des techniciens .désireux de
transposer la couleur sur un écran est d ’être aptes eux-mêmes tout d ’abord à
voir et à saisir les couleurs qui les entourent. ;
V oir est une chose tellem ent comm une qu’elle ne frappe m êm e plus notre
esprit. Combien d ’entre vous sont-ils capables de se souvenir de la couleur ou
des motifs du papier de la chambre dans laquelle ils vivent depuis des années ?
Il faut que l ’opérateur analyse ce qu ’il voit et qu’il découvre que te l visage
sanguin, qu’il est en train depliotographier, estvraim ent sanguin et qu’il a toutes
les chances de paraître ainsi sur l ’écran, ce qui ne sera peut être pas agréable.
V oilà je crois, l ’un des points essentiels de la photographie en couleurs.
Pour en revenir à des problèm es généraux — en ce qui m e concerne •—■ la
qualité photographique de m on travail ne m ’est pas toujours entièrem ent
im putable; en effet, il m ’arrive alternativem ent de faire de la m auvaise et de
la m eilleure photographie selon les films tournés. Malgré une base technique
que je connais certainement et que j ’applique dans m on travail, les résultats ne
sont pas toujours les mêmes. Pourquoi ? Ceci provient, uniquem ent, de l ’at­
m osphère dans laquelle se déroule le film et cette atm osphère est fonction du
réalisateur lui-m êm e. C’est une des raisons qui m e font aimer travailler auprès
de Jean R enoir, en dehors d e , nos liens dé parenté. Il sait créer un climat
propice à am éliorer ' les qualités de chacun. Il vous influence sans rien
dire et sans que vous vous en aperceviez. C’est à lui en prem ier que nous
devons la photographie de T h e R iv e r com m e nous lu i devions aussi celle du
Carrosse d ’or, photographie déjà conçue par lu i et qu’il m ’a infiltré à petites
doses longtem ps avant le prem ier tour de m anivelle.
C l a u d e R e n o ir
T h e Hiver. , \ ■

43
réno ir
■ ; 'V;: par . ; ;:/7 . ,-. : v

M ichel M àyoux , ■>


avec Sylvia Bataille, Jean Castariicr et Claude Renoir

A près'qu’uiie année faste nous ait apporté Froken Julie, Miracolo a Milano
et Los Olvïdados, voici que nos fées marraines nous ont -offert ce cadeau de
N o ël, le plus beau qu’elles pouvaient nous faire : le subtil enchantement, de
T h e R iver, et rencontrer R enoir à l ’im proviste avenue H oche ou Forte M aillot,
C’est qu’en effet cet événem ent est beaucoup plus pour nous que la' présen­
tation d’un film, et fut-il le m eilleur de tous. Le retour de Jean R enoir, autre­
m ent qu’en de furtifs passages, le fait que soudain cet air que nous respirons,
cette petite neige à dem i-fondue que souffle, lé prem ier vent d ’hiver, il le res­
pire aussi, elle voile, pour lu i aussi, les arbres dépouillés du parc M onceau,
prend une importance étonnante, rejette au second plan d ’une actualité devenue
sans intérêt et quasi anachronique les faits divers du ciném a présent. 7
Les uns retrouvent un ami, e t croient l ’avoir quitté hier. Les autres; dont
je suis, et trop jeunes pour l ’avoir connu avant la guerre^ s’aperçoivent, que la
bataille à l'autom ne 1944, pour entrer au Studio de l ’E toile et que leurs dix-
neuf ans y reçoivent, grâce au Cercle d u ‘Cinéma dont Langlois rouvrait les
portes après cinq ans de silence, le choc 'de L a'C h ien n e, que la silhouette
bourrue .de La Régla du je u e t de Lu Partie de campagne, et cette rivière
: soudain brouillée par là pluie, au ras de laquelle Fuyait ht caméra, image où
il nous sem blait toucher la corde tendue à se roinp^e d’unè tendresse inavouée,
d ’un amour désespéré, et chaque soir com m e malgré nous nos pas nous rame­
naient à cette petite salle dès Champs; E lysées... que tout cela n ’était, rien, et
que nous ne savions rien, et que la seule présence de R enoir suffisait pour nous
orienter dans un m onde chaotique.
Or, je l ’ai dit, Jean R enoir nous était inconnu, et si nous avions lentem ent
découvert, patiem m ent exploré son œ uvre, l ’hom m e, lu i, demeurait énigm e.
Aussi sommes-nous allés interroger quelques uns de, ceux qui ont partagé sa vie
et son travail, ses amis et ses collaborateurs, et avons-nous tenté de dévoiler le
mystère, un hom m e, un créateur... . ' : ‘
Sylvia B ataille fut la jeune fille bouleversante de La P artie de campagne.
Partie pour quinze jours en extérieurs à M àrlotte, l ’équipe- du film y. resta deux
mois et dem i, à cause d ’une pluie obstinée qui perm it seulem ent le tournage
des deux fragments dont on a pu voir le m ontage. A u bout d e 1ce tem ps, l ’éïjuipe
dut se séparer faute d ’argent, et le film demeura inachevé. J’interroge Sylvia
Bataille, et de ses paroles se dégage peu à peu la silhouette d ’un Renoir parfois
abattu, découragé, rendu irascible par l ’attente exacerbée dii sd leiL — partie
sur le lieu du tournage à sept heures du m atin, l ’équipe souvent s ’y trouvait
encore à six heures du soir sans a v o ir ,pu tourner un seul plan — à d ’autres
moments aù contraire heureux, content de tourner un sujet de film longuem ent
choisi, heureux aussi sans doute de travailler dans un paysage cher à Auguste
R enoir, montrant le soiç à ses collaborateurs, dans la maison du peintre à
Marlbtte, des dessins, des sculptures restées là .’ ;

44
Sylvia B ataille ne croit pas du tout que Jean R enoir ait pensé, en tournant
La P a rtie de campagne, continuer en quelque sorte l ’œuvre .de son père et des
peintres de lu m êm e époque. (Claude Renoir m e dira la m êm e c h o se ). E lle ne
voit dans l ’im pressionnism e du film q u ’une coïncidence am enée par l ’identiLe
du décor et dès personnages. Mais cependant cet amour des choses et des êtres,
ce panthéism e pharnel: qui éclaire toute l ’œuvre de Manet et d ’Auguste R enoir,
i se retrouve dans l ’hum anité constante des film s'de Jean Renoir. Il est, m e dit
Sylvia B ataille, un hom m e qui aim e la terre. C’est cette profonde sensibilité,
cet amour de la nature qui l ’a fait diriger avec tant de bonheur La Partie de
campagne., qui lu i a permis de se retrouver iui-m êm e aux Etats-Unis, en tour­
nant The Southerner, dont Sylvia B ataille m e rappelle ce plan adm irable où la
main d ?une fem m e épuisée caresse encore un sol dont les vents et les pluies ont
ravagé la patiente récolte. ^ / ;
Le m etteur en scène Renoir, c ’est, m e dit Sylvia B ataille « un grand chef
d’orchestre », n ’admettant pas qu’on dérange son travail ni les acteurs, mais
sachant choisir ceux-ci avec une sorte d e prescience qui lui fait voir au delà
du physique, de la photogénie prim aire que montrent les bouts d ’essai, des
caractères invisibles à tout autre que lui et qui permettront à l ’acteur de deve-
. nir le personnage voulu p a r le m etteur en scène. R enoir n ’essaië jam ais de diri-,
ger l ’acteur dans un sens contraire à ce que ressent celui-ci, et com m e de l ’exté­
rieur du personnage qu’i f veut en faire. Lentem ent, patiem ment, il’ travaille
à identifier le com édien à son personnage, et s’il n ’y réussit pas, si l ’acteur
s’obstine à jouer faux, alors R enoir entre dans une grande colère.
Cette volonté de m odeler le com édien de l ’intérieur va jusqu’au physique^
que le m etteur en scène toujours dépouille du m aquillage qui 'rend les traits
rigides. A insi, dit Sylvia Bataille, « nous ne sommes pas toujours beaux, mais
nous sommes toujours vrais ». ' . .

C’est un autre temps, d’autres amis, d’autres collaborateurs, qu’évoque,


A u R endez-vous des Am is de la G uitare, Jean Castanier, qui fut le scénariste
du Crim e de Monsieur Lange et, de 19B0 a 1935, le décorateur de Jean Renoir.
U ne époque assez bohèm e, où l ’équipe que form aient le m etteur en scene et
ses amis était plus riche d’idéés et d’amour du cinéma que d e pistoles. Aupara­
vant il y avait eu la grande époque de Catherine H essling, les décors d’Autant-
Lara pour A'flfia... un moment som ptueux après lequel Renoir, qui y avait -
englouti presque tout ce qu’il possédait, devait se soumettre aux exigences des
producteurs, se séparer de ses collaborateurs habituels pour tourner 'M adame
B ovary (et peut-être faut-il voir là la raison, d’une âpreté sans égal dans l ’œuvre
de Renoir, en ce qu’aucune tendresse, aucune ém otion ne vient la contreba­
lancer). Mais toute l ’équipé se retrouvait pour Boudu sauvé des eaux, avec
Gehret, manager diligent, Becker com m e assistant; Castanier qui construisait
des petits décors entièrement fermés, dans lesquels la caméra glissait son œ il
par l ’entrebâillem ent de deux panneaux, ou par un trou dans le m ur, q u ’un
tableau dissim ulait, et avec Marguerite H oulé, fidèlé monteuse de R enoir de'
1929 à 1939, de La Chienne; h. La Règle d u jeu.

Claude R enoir, fils de Pierre et neveu de Jean, .a fait ses premières armes
au ciném a com me assistant :à toutes m ains .pour La N u it du carrefour. D evenu
assistant opérateur, il collabora à ce titre à de nom breux films de Jean R enoir, '

45
fut chef opérateur pour T oni et La P artie d e campagne, redevint caméraman,
pour être maintenant un de nos m eilleurs directeurs de la photographie, vient
à ce titre de tourner T h e R iv e r e t se prépare à jouer le m êm e rôle pour Le
Carosse d'or. ’' '
T h e R iv e r est le prem ier film qu’il ait photographié en couleurs, et c ’est
aussi le premier contact de Jean R enoir avec la couleur. Quand on lu i montra,
chez Technicolor à Londres, quelques essais dont la couleur était celle, stan­
dard, des bandes com m erciales habituelles, R enoir fut horrifié. Son opérateur
ee rendit com pte alors qu’il n ’avait jamais ou que peu vu. de technicolors.
R enoir en effet ne va guère au ciném a, ou alors pour voir une chose très parti­
culière qui l ’intéresse. Le m etteur en scène cependant avait désiré dès l ’origine
tourner T h e R iv e r en couleurs, voyant en elle un élém ent de véracité supplé­
m entaire, particulièrem ent souhaitable dans un pays aussi haut en couleurs que
l ’Inde. Mais rendu craintif à l ’égard du procédé par les bandes vues à Londres,
R enoir communiqua cette peur à son opérateur, et tous deux menèrent pendant
le toürnage une véritable lutte contre la couleur, recherchant avant tout la
sobriété, adoucissant les m aquillages, recherchant un gris paradoxal, de peur
de la débauche de couleurs violentes à laquelle le procédé ne se prête que tçop
facilem ent.
Le résultat toutefois a conquis Jean R enoir à tel point qu’il se prépare à
tourner de nouveau en couleurs Le Carrosse d ’or*
L ’Inde aussi a conquis R enoir, on sait qu’il songe à y retourner et
voudrait y faire un film dont le sujet ne serait plus cette fois une histoire
anglaise, mais chercherait à cerner d ’aussi près que possible et de l ’intérieur
le caractère indien. Cette em prise de l ’Inde sur Renoir, et qui lu i donne une
grande tentation d’y retourner, d ’y travailler, cela s’est fait peu à peu, au
cours du travail de préparation qui a demandé un an et l ’a mené deux fois
là-bas avant m êm e que le tournage fut com mencé. À ce sujet, Claude Renoir
m ’apprend que contrairem ent à ce qu’ont dit ou fait entendre des journalistes
hâtifs, le sujet n ’a pas été le m oins du m onde im posé à Jean ReUoir. Bien au
contraire celui-ci avait lu le roman dont il est tiré, et, séduit par les caractères
de. cette fam ille anglaise transplantée dans un clim at psychologique qui lu i est
étranger, avait conçu le projet d’en faire xm film e t avait à cet effet acheté per­
sonnellem ent les droits d’adaptation. Longtemps il chercha vainem ent, aux
Etats-Unis, un producteur d’esprit assez hardi pour financer une production
aussi lointaine, jusqu’au jour où il le trouva en -la personne du producteur
indépendant K euueth Me Kldowney.,
Les idées de Renoir sur l ’adaptation du roman se modifièrent d’ailleurs
assez sënsiblem ent au cours du travail de préparation qu’il effectua sur place
avec l ’auteur Mrs. Rum er Godden. Au cœ ur de ce Bengale oppressant; étouf­
fant, envoûtant, R enoir se prit d’une grande admiration pour le pays ,et se?
éléments hum ains, et ceux-ci, peu à peu, prirent une plus grande placé dans
l ’histoire. - ;
Celle-ci, telle que le film la conte, est donc bien celle que R enoir a voulu
raconter, et cette influence du m etteur en scène s u r l e treatm ent et jusque sur
la personne de l ’auteur qui sans doute était venue en Inde avec des idées bien
arrêtées et pas toutes les mêm es que celles de R enoir, nous am ène à l ’ascendant
considérable que Jean R enoir prend, très vite, sur toute personne qui se trouve
am enée à partager sa vie et son travail. R enoir n ’est pas un technicien, en ce

46
sens qu’il n ’attache pas une valeur prim ordiale à des mouvem ents dë caméra,
à des cadrages, n i m êm e à la progression, au rythm e du m ontage. S’il à d ’excel­
lentes idées techniques, il y renonce très facilem ent pour peu que les conditions
de tournage en rendent l ’application difficile. Mais il est, avant tout, un très
grand directeur d ’acteurs. Et cela tient à une force qui ém ane de lu i, qui est en
quelque sorte une projection de sa volonté de créateur et lu i perm et d’insufler
intérieurem ent à Facteur le clim at psychologique propre au personnage voulu.
Cette influence étonnante que Renoir prend tout naturellem ent sur ses interlo­
cuteurs, ses com pagnons, ses com édiens n ’est pas m êm e arrêtée par le m ur des
langues, des civilisations, ni des âges. A insi les hindous, les enfants anglais de
T h e R ive r sont au travers du film les personnages exacts que R enoir désirait
faire vivre, et dont il avait souvent été le seul à discerner la. virtualité, en fili­
grane des traits d ’un visage d’acteur qui paraissait banal à tous les autres. Au
Bengale, avant le tournage, Renoir cherchait une actrice indienne pour son film.
On lu i en avait proposé beaucoup,-très jo lies. .Aucune ne lu i plaisait. Un jour,
Madame R enoir, Claude Renoir et Eugène Lourié le voien t venir a eux, accom ­
pagné d ’une danseuse hindoue, petite, laide, sans aucun charm e, inexpressivc-
Il avait trouvé l ’actrice qu’il cherchait, et le personnage qu’il en a fait dans
T h e R iver, vous-mêmes serez pris par sa grâce indéfinissable, son charme
curieusem ent inhabituel, qui participe à la poésie subtile et envoûtante dont
tout le film est baigné, poésie tout à fait singulière dont l ’am tosphère len te et
douce de l ’Inde n ’est qu’un des élém ents, au m êm e titre que le clim at psycholo­
gique anglais inhérent au sujet.
Quels sont les projets de R enoir ? On sait qu ’il va tourner Le Carrosse d ’or
en co-production franco-italienne. Le hasard a voulu qu’on ait fait appel
à lu i, qui dès avant la guerre songeait à un film inspiré par la nouvelle
de M érim ée, pour diriger celui préparé par Visconti, son ancien assistante
Mais R enoir a un grand désir de revenir travailler en France, et déjà, pense à
un scénario, qu’il bâtit sur le papier... quand i l en a le temps. Claude R enoir
ne m e confie pas le sujet, il m e dit seulem ent cc c ’est une histoire qui se passe
il y a une centaine d’années... en Bourgogne... » (où les R enoir ont encore une
p etite maison, qui fut celle dë leur m ère, et où habita le pein tre).
Ce désir, cependant, est battu en brèche par un attrait, nouveau dans la vie
de R enoir, celui de la vie qu’il s’est créé en Am érique. Là-bas, très vite, s’est
form é autour de lu i un petit noyau d ’ainis, de collaborateurs, qui lu i a perm is,
com m e en France .avant la guerre, de travailler sur un plan de sym pathie,
d ’am itié, presque toujours avec des producteurs indépendants.
Sur une petite colline près d’H ollyw ood, il s’est construit sa propre m aison,
et il y vit en sage, heureux comme dans les contes, environné d’amis tels que
C haplin, Clifford Oddets, Eugène Lourié, D udley N ichols. .
D epuis plus de vingt-cinq ans qu’il fait des films, beaucoup de, personnes
ont travaillé aux côtés de Renoir, les amis ont succédé aux am is... lu i est resté
le m êm e hom m e. Si ses traits se sont alourdis, si sa silhouette a épaissi . c ’est
toujours avec la m êm e foi en son a r t,.avec le m êm e amour passionné de son.
travail, qu’il entreprend chaque nouveau film, q u ’avant m êm e le prem ier tour
de m anivelle, il songe déjà à celui qui suivra. ,
. « Le vrai m étier de l ’anim al... » écrivait Stendhal... Le vrai m étier de jean
R enoir, tout permet de penser qu’il n ’est pas près de l ’abandonner.
Michel M ayoux !
J ■' J-

JEAN RENOIR
■'''} ■■ " - :^ 1 ■ :' ' ■ ---A 1 ’ par ;;■: ; ' . ' ^ ,;.v; 7 '

; - Jacques D oniol-V alcroze V

L’absence prolongée hors de France de: Jean Renoir, réloig n em en t d ’u n e


’figüré fam ilière du m onde du ciném a ' d ’avant-guerre, l ’estom pem ent. dans le
: lointain d’autres continents d’un créateur dont les œuvres américaines dem eu­
rent pour beaucoup encore assez m ystérieuses, tout cela a entouré peu à p eu le
personnage d’un halo quelque peu fabuleux. La découverte après la Libération
de La R ègle d u jeu, film presque m éconnu à sa sortie en ,1939, l ’engouem ent ..
progressif des amateurs éclairés du cinéma et des fervents des ciné-clubs pour
celte œuvre devenue pour beaucoup quelque chose comme « les tables de la
. - lo i », n ’est pas pour rien dans la naissance d’une sorte de m ythe autour de ce
réalisateur. Loin de nous, rendu plus insolite encore par les prestiges du v oya g e
\ aux Indes, i\ est devenu une m anière de personnage de légende. C’est du m oins
l ’impression de celui qui ne l ’a pas connu « avant ». C’est dire aussi la respec-
' tueuse appréhension qui peut saisir ù Tannonce d’une rencontre avec Jean
Renoir. :--V. ^ '/

Mais ce sam edi matin 1 " décembre 1951, ce n’était pas m oi mais l ’a m i
André Bazin qui avait rendez-vous avec Jean Renoir. Je devais sim plem ent
profiter de Vaubàme.-Xe m ’étais préparé non pas à interroger Renoir m ais à
écouter une conversation entre R enoir et Bazin, qui se connaissaient déjà. C’est
; pourquoi ^ ’est sans la m oindre inquiétude et tout à l ’impatience, du spectacle
^ prom is, que vers dix heures et dem ie du mâtin je franchissais le seuil du
Roÿal-M onceau. Un bredouillem ent du portier me livra le num éro de la ch a m ­
b r é et la certitude que mon com père était déjà au rendez-vous. Arrivé devant
la porte en question je sonne sans résultat . Entendant des bruits de voix à l ’in ­
térieur et supposant que le" bruit de l ’entretien commencé couvrait, le bruit de
la sonnette, je tam bourine à la porte. Pas de résultat. J’insiste, c’est-à-dire que
je frappe sans retenue. La porte s’ouvre et découvre la silhouette m assive de
: Jean Rénoir. ■ ./•' .y' /.•
Il sourit et le prem ier m ot qu ’il adresse à cet inconnu total, à cet im portun,
à ce frappeur im pertinent, a de quoi étonner : il s’excuse.
N on, Bazin n ’est pas là, il vient de téléphoner qu’il a des ennuis m écani­
ques, qu’il aura: une bonne dem i-heure de retard; non, il ne peut me recevoir
dans sa chambre car sa fem m e a été m alade cette nuit, le m édecin est là, et puis '
... V’ il y a un désordre terrible, mais on va aller dans un petit coin tranquille; il
faut l ’excuser encore car il va m e faire attendre quelques"instants; il m e pousse
par l ’épaule-vers un petit salon d ’étage sur le palier, vers un fa u te u il'?
— Excusez-m oi, m on vieux, je reviens tout de suite.
I] disparaît; , '■ s '

Attendons-le. Sans crainte, car nous n ’attendons plus un inconnu m ais un


ami, je a n R enoir, en effet, conquiert en quelques secondes; pourtant ce qui
étonne le plus ce n ’est pas sa séduction —- don'du ciel — mais sa bonté, totale,
vraie, sans calcul, don du ciel aussi, m ais plus précieux, plus rare.

48
Ce sam edi 1" décembre, il était débordé : il devait repartir le soir m ême
pour Rom e,, il;avait une fem m e souffrante, il était bri-m ême venu à Paris pour
; voir des m édecins et il avait été pris dans les rem ous de la .crise actuelle du
ciném a en général et en particulier quant à la co-production du Carrosse d ’or.
Or, cet hom m e pressé par le teirips allait m e consacrer près de deux heures-sans
donner le m oindre signe d ’impatience et durant lesquelles il allait se m ettre en '
quatre pour nous faciliter la tache; écrivant une lettre aux Artistes Associés
pour nous obtenir une projection de The R iver, télégraphiant à Los Angeles
à son producteur pour qu’il nous envoie des photos, ainsi qu’à D udley N ichols
pour qu’il nous autorise à reproduire une très b elle lettre sur le film, nous pro­
m ettant un article... et s ’excusant de ne pouvoir faire plus, d ’être bousculé.
Cela paraît incroyable q u an d o n songe à d’autres accueils par d’autres messieur.-
du ciném a, d ’un format plus réduit, et qui n ’ont pas encore compris que la
m arque du gentilhom m e c ’est la gentillesse. ^

Le voilà qui revient. Gomment le décrire ? Il est bien l ’hom m e à la peau


d ’ours de La Règle d u jeu, débonnaire, net, sain, cachant sa force et sa finesse
sous un m asque pataud, patient, mesurant ses term es. On se demande un m o­
m ent où est la faille de cette cuirasse bonhom m e, par où peut s’échapper le
rayonnem ent particulier qui émane de lu i et tient son interlocuteur sous le char­
m e. Et puis on découvre çette faille : c ’est le regard; extraordinairem ent clair,
bleu pervenche, délavé, fenêtre indiscrète sur un univers intérieur que l ’on im a­
gine séraphique et ouvert vers l ’extérieur sur un m onde m ystérieux qui double
le nôtre et qu’il fixe à travers son vis-à-vis. On a envie de se retourner brusque­
m ent pour voir par surprise ce paysage m usical et baigné de lum ière qui est
derrière notre dos et qu ’il contem ple. Peut-être a-t-il h érité du regard unique
de son père dont il me parlera en fin d’entretien. . '
— Même très vieux, mon père avait gardé l'essentiel de ce qui lui était
nécessaire pour peindre. P eu lui importait son im potence et qu’il faille lu i
attacher ses pinceaux aux doigts par des bandelettes car il continuait de «voir»
com m e à vingt ans. Tenez, un exem ple de ce regard particulier ; vers la fin de
sa vie, sur la terrasse de la maison de Cagnes, je regardais souvent à ses côtés
descendre la nuit sur la mer; soudain il disait en désignant l ’horizon : « Tiens
une barque de pêcheur qui rentre ». J ’avais beau écarquiller les yeux, je ne '
voyais rien. Mais quelques m inutes plus tard un petit point noir apparaissait
dans le lointain et grossissait peu à peu : c’était bien la barque annoncée. Il
voyait avant les autres et il voyait plus », "
- Mais revenons en arrière. Renoir s’est assis en face de m oi et après m ’avoir
dem andé des nouvelles dè la fam ille Bazin (fem m e, enfant et anim aux), refusé
une cigarette et attend mes questions. ; ’
Je lu i dem ande ce qu’il pense de la crise actuelle du ciném a français. Après
m ’avoir dit com bien il la déplore et qu’il a été surpris de son am pleur pendant
ce dernier séjour à Paris, après en somme avoir fait la part des circonstances il se
penche un peu en a r r iè r e ---- il prend un certain recul — et précise sa pensée : ”
— 11 y a toujours eu périodiquem ent des crises dans le ciném a. I l y en aura
toujours. Je ne n ie pas la gravité pratique de la situation — j ’en subis moi-
m êm e les conséquences pour la co-production franco-italienne du Carrosse d ’or
— mais il rie faut pas sè laisser impressionner outre m esùre. E n 1936, il y avait
u n e crise grave. D e grandes sociétés — dont Osso si m es souvenirs sont bons —

49
faisaient fa illite. U n vent de catastrophe soufflait sur les m ilieu x de ciném a.
Tout était, paraît-il, fichu. Je cherchais en vain un producteur pour La Grande
Illusion dont personne ne voulait. Et puis un beau jour, le vent a tourné; j ’ai
trouvé un producteur, j ’ai fait le film et cela a été un succès; et en m êm e tem ps
le ciném a français redémarrait et a llait connaître un épanouissem ent certain
jusqu’à la guerre. . , ,
— Oui m ais aujourd’h u i les problèm es économ iques, le fisc, la concurrence
am éricaine... ' *
— Il y a toujours eu une concurrence américaine et c ’est une question que
l ’on ne peut régler par quelques décrets. J ’envisage le problèm e d’une façon
assez’ spéciale. En effet, depuis onze ans je vis aux Etats-Unis, j ’ai pris des
habitudes am éricaines et sur Un certain nom bre de questions je peux penser et
agir aussi bien à l ’am éricaine qu’à la française, c’est pourquoi, voyant les deux
aspects du conflit, j ’estim e q u ’on ne sauvera pas le ciném a français en le proté­
geant mais en l ’élargissante Je m ’explique : à Hollywood aussi il y a eu récem ­
m ent une crise très grave, provoquée par la naissance et la com m ercialisation
de la télévision. A ujourd’h u i cette crisé est pratiquem ent résolue. La solution
n ’était pas dans la disparition d’un des deux adversaires mais dans la découverte
' par chacun de sa juste place. Le ciném a devait trouver le m oyen de dire et de
faire ce que la T .V . ne peut ni faire, ni dire. Cela révéla l ’existence à H o lly ­
wood d ’mi engourdissem ent, d’une com plaisance dans le m anque d ’im agina­
tion, dans le rebattu, le déjà-dit... il y avait une crise de sujet, de form és,
d’hom m es, de q u alité... il y a eu une vive réaction dont il est peut être encore
trop tôt pour que vous en sentiez les effets, mais vous verrez... du coup la T .V . à
pris sa juste place (on y fait du téléciném a et nom du ciném a) et le ciném a
retrouve la sien n e... à’supposer m êm e qu’il ne continue pas à garder la faveur
du public cela n ’aura rien à voir avec l ’existence de la télév ision ... sur le plan
international le problèm e se pose dé là m êm e façon. -
— En France ?
En France aussi. Mon exem ple américain de la télévision n ’est que la:
répétition d ’autres exem ples. Je m e souviens, quand j ’étais enfant, de l ’appa­
rition du disque. On disait « Les gens n ’iront plus au concert ». R ésultat : la
diffusion de la m usique par les disques a m ultiplié lé nom bre des m élom anes
et, partant, celui des spectateurs de concert. D e m êm e le ciném a n ’a pas tué le
théâtre, au contraire il lu i a rendu services en le débarassant de tout ce qui
n ’était pas pour le théâtre. En France -— les statistiques le prouvent — la fré­
quentation des salles de cinéma est m inim e, une des plus m inim es du m onde,
et là-dessus il y a une part des spectateurs qui vont voir des films étrangers. Et
bien, il faut, leur donner ce q u ’ils ne trouvent pas dans les films étrangers, ce
qu’ils n e trouvent pas dans le film m oyen d’usage courant et international,
qu’il soit américain, français ou autre...
— Mais com m ent ? -
— U ne fois de plus le problèm e est général et valable pour tous les pays. Je
crois que, dans le dom aine du ciném a, nous assistons à la fin rl’iin genre de
spectacle. Cela encore n ’est pas nouveau. Souvenez-vous de l ’opérette, de ce
genre triom phant avec un Offênbach ou un Meyerber, qui eut pû douter de sa
pérénité ? Pourtant Dum as fils vint, qui ouvrit la voie aux B ataille, aux Porto-
R iche, aux B e m stein l.. et un jour aussi le théâtre des boulevards céda la p lace...
j ’estim e q u ’il en est de m êm e pour le ciném a : nous touchons à la fin d ’un
genre. Il s’àgit. d’une crise de style.

30
— Comment l ’entendez-vous ?
— Dem andez-vous qu ’elle a é té le secret de la réussite de «; l ’école fran­
çaise » de 1935 à la guerre ? C’était un certain style. On l ’appella le «réalism es
français. Il s’agissait plutôt — et à travers ce réalisme — d ’u ne certaine forme
de poésie. A ujourd’hu i elle a fait son tem ps, elle a dégénéré, elle est devenue
un procédé. H s’agit de trouver une nouvelle forme de p oésie, c ’est pourquoi
le cinéma a, avant tout, besoin d ’u n renouvellem ent m oral.
— Et quelles seront, selon vous, les caractéristiques de cette nouvelle forme
de ciném a ? '
R enoir rit.
— J’aim erais bien le savoir... il m e sem ble qu’il faut tendre vers un cinéma
m oins extérieurem ent spectaculaire.., il me .sem ble aussi — mais ceci reste à
approfondir — que le texte doit avoir de plus en plus d ’im portance, il faut en
am éliorer la qualité, la valeur littéraire, il faut qu’il soit 4 e m ieux en mieux
c écrit », rom pre avec cette façon batarde, prim aire, que l ’on a de parler à
l ’écran.
— R endre tous ses droits au « verb.e » en somme.
— C’est c e la ... i l faut travailler beaucoup*., donner au ciném a une belle
langue.
— Et T h e R iv e r ? - ,
— Justem ent, j ’ai essayé d’y tenir compte de tout c e la ... et précisém ent
dans les dialogues. J ’ai voulu que les personnages parlent chacun leur langage,
les faire s’e x p rim e r vraim ent... sur des choses légères, courantes, qui sont leur
vie. Cela est très difficile parce q u ’il faut beaucoup de tem ps et qu’un film est
très court. Je les fais parler longuem ent, les scènes sont longues, d’où peut-
être une certaine lenteur, une certaine m onotonie... mais cela ne fait rien,
cela perm et d ’avancer en profondeur, de favoriser l ’éclosion d’un certain cli­
mat poétique. .
— L e Carrosse ?
—■ j e m e suis beaucoup éloigné du texte de M érimée. Le problèm e était de
digérer au ciném a une id ée théâtrale. Et pour cela j ’ai beaucoup m odifié, tenu
com pte du fait que je tournais en Italie et pas sur les lieu x réels de l ’action de
la Perichole. EL doit y avoir trois versions, française, italienne et anglaise... je
n ’ai encore jam ais fait ça,
— Cela ne vous effraye pas ?
■ — N on. C’est toujours amusant de s’attaquer à des problèm es nouveaux.
J ’ai résolu, je crois, le problèm e des accents en faisant carrément des liéros :
des personnages de théâtre, des com édiens... ils pourront ainsi parler l ’anglais
avec l ’accent italien ou l ’italien avec l ’accent français. D ’ailleurs à la base je
tourne en français...
La porte de l ’ascenseur claque. V oilà Bazin. Effusions. Assaut d ’excuses de
part et d ’autre; l ’un parce qu’il est en retard, l ’autre parce q u ’il va l ’être,
qu’il est près de m id i... etc. E n effet le tem ps a passé et lés m inutes com m e les
secondes sous le charm e de la parole dépouillée de R enoir. C elui-ci pourtant
ne nous chasse pas; il fait venir sa! secrétaire, dicte pour nous missives et télé­
grammes, nous suggère des nom s, enfin il va chercher une lettre de Dudley
N ichols (dont nous publions un extrait par ailleurs) à propos de T h e R iv e r,
qu’il veut nous lire, non pas parce qu’e lle est laudative pour lu i mais parce
qu’elle est intéressante en elle-m êm e, parce qu’e lle dit bien ce qu’il a voulu
exprim er dans le film. : ;

51
Le petit salon étant fort obscur, il nous entraîne près d ’une fenêtre au bord
de l ’escalier et il nous traduit la lettre, sans hésitation, mais très lentem ent,
s’appliquant à donner à chaque m ot sa correspondance l a plus, poétiquem ent
forte. Il y a .une certaine ém otion dans.sà voix, mais -une ém otion sereine, pas
sentim entale. Chaque .phrase vient recouvrir l a précédente comme: l a vague
recouvre l a V a g u e , avec une sorte de grondement sourd.
Me ferais-je m oquer si j e souligne la beauté de ce spectacle, de ce visage
isolé dans un rais de lum ière, m oins lum ineux pourtant, que ce regard azuré,
que là sim plicité totale de cet hom m e d’un poids à la fois si terrestre et si
léger ? 'v\ ' \ ■.■ -'
La voix roule sur la grève fascinée de notre attention ; V
p eu t-être les enfants dans .leur innocence savent-ils cela, y ;
E t c 5est pou rq u o i fascinés -,
Ils s’agenouillent devant là tête capuchonnée .de Vinconnu ». 7
C’est fini. I l se tait un instant,, puis il ajoute : .
— On fait des films, on se donne à eux... e l puis on a deux ou trois copains
qui vous disent ou vous écrivent des choses comme ça... et ça suffit, on est
'.' content.',;. v-: v !- ' ' ' V- ' V. ;
; . 7 - Jacq u es D o k io l-V a lc ro z e

Note. — Il est à r e m a rq u e r que les a v is exprim és, dans cet en tr e tie n p a r R e n o ir


r e c o u p e n t ou corresp on d en t, a u x o p in i o n s : 1° d ’A rm and S a la cr o u éc r iv a n t r é c e m ­
m en t « que le c in é m a a .libéré le théâtre » en le d éb a ra ssa n t d e c e q u i n 'était p a s
p o u r h ii , (cf. I’e x ç m p le d e R e n o ir - s u r la riv a lité c in é m a -té lé v is io n ) ; 2° d'O rson
W è l lc s qui a é c r i t et d éc la ré p lu s ie u r s fois que le p r in c i p a l p r o b lè m e p o u r le
c in é m a était dé f o n d e r un n o u v ea u m o y e n d ’ex p r e ss io n p o é tiq u e ; 3^. d e Robert
B resson qu i e stim e que le te m p s du c in é m a s p e cta c u la ire , « s e n s a t i o n n e l » , est
-passé, q u ’un film, c o m m e Sunsat Boulevard en m arq u ait u n e sorte d ’ap o g ée et de
c r itiq u e tout en ■ en t o n n a n t le glas, reste m a in te n a n t à se . t o u r n e r 1v ers le
v ie r g e d o m a in e (à l ’éc ra n ) de la v ie in térieu re. ' l. '

Filmographie abrégée de Jean lîenoir


, D a n s cette f i lm o g r a p h i e ' très ré su m ée nous a v o n s m e n t io n n é , o utre les f i l m s ,
r é a lis é s par Jean R e n o ir , c e u x a u x q u els il’ a p a r t i c ip é à d ’a utre titr es (a cteu r o u
sc én a riste) afin d e d o n n e r u n e v u e d ’e n se m b le (le se s a c tiv ité s c i n é m a t o g r a p h i­
q ues. N ou s r e p r o d u is o n s é g a le m e n t c i-d e sso u s le tableau g é n é a lo g iq u e de la d e s ­
c e n d a n c e d ’Auguste R e n o ir qui, c o m m e o n p e u t'lé v o ir , fut b rilla n te. '

'; . - - A u g u ste R e n o ir " -.. ■ .’ _

. Pierre / Jean '• : . Claude


21 Mars 1885 \ 15 S ep te m b r e 1894 . - 4 août 1901

Claude - . - / ; ; Alain 7
. (l’o p ér a te u r ) v ' ' 1922 - , 7 -
3 D é c e m b r e 1913 ■ - :

52
1924 - UNE VIE SAN S JOIE (Cathe ­ 1931 - LA CHIENN E. S c é n a r io
rin e ). _ — S c é n a r io : J ea n R enoir. d ’après La , F o u r c h a r d iè r e . R é a lisa ­
R éalisatio n : A lbert D ie u d o n n é . P r o ­ tion : Jean R en o ir,
d u ctio n : Jean R en o ir. ; 1932 - LA N U IT DU CARREFOUR. —
1924 - LA F IL L E D E L ’Ë A U . —' S c é ­ A dap tation d ’ap rès S im e n o n et réa­
n a rio : P ie r r e L è str in g u e z, R é a l i s a - _ lisa tio n : Jyean R en o ir. A ssista n ts r é a - '
tio n : Jean R e n o ir . A ssista n t-R é a li­ lisà te urs : J a c q u e s Becker^et M aurice
sateur ; P ie rr e C ha m p a g n e. B londeau.
1932 - B O U DU SAUVE D E S EAUX. —
'1926 - NÀNA. — S c é n a r io : P ierre Lés-
„ A d a p ta tio n d 'a p rès la p i è c e d e R e n é
"tringuez 'd’a p rès le r o m a n d ’E m ile
F a u c h o is et réa lisa tio n : Jean R en o ir.
Zola., D é c o r s : Claude. A utanl-Lara.
A ssista n t : J a cq u es B eck er. .
R éa lisa tio n : Jean R e n o ir , ; '
1933 - C llO T A R D et COMPAGNIE. —
1927 - CHARLESTON. — ’ S c é n a r io :
S c é n a r io d ’ap rès la p iè c e de R oger
P ie rr e L estrin gu ez. R é a lisa tio n : Jean
F e r d in a n d . R éalisatio n :-Jean R enoir.
R enoir. A s s is ta n ts ' : A n d ré - Cerf et A ssistant : Ja cq u es B eck er. .\
i Claude Ileym ann. i'
. 1 9 3 4 .- TONI. — Sq én ario : Jean R en o ir
, '1927 . - MARQUITTA. R é a lisa tio n : et Cari E in s t e in d ’a p rès la d o c u m e n ­
Jean R enoir. S c é n a r io : P ie r r e L e s­ tation r é u n ie p a r J. L evert p o u r so n
tringuez. Ï ro m a n _ T o n i . D ia lo g u e s de.'Cari E in s ­
1928 -' LA P E T IT E / MARCHANDE tein. R é a lisa tio n : Jean R en o ir. A s­
' 1 J D ’ALLUMETTES. . -— R é a lis a tio n ' sistan t ; G- d ’Â rnoux. O pérateur :■
Jean R e n o ir et, Jean T é d e s c o . Claude R en oir. . •
1929. - TIRE AU, FLANC. — S cé n a r io 1934 - MADAME BOVARY. — A d a p ta ­
Jean R e n o ir et C laude l l e y m a n n tion d ’après. F la u b e r t et réalisation. :
•d ’ap rès le v a u d e v ille de Moué/.y-Eon ; Jean R en o ir. A ssista n t : •Jacq u es
"• et S ylv a n e. R é a lisa tio n : Jean R en o ir: ; Becker. '
’ A ssistan t : A nd ré Cerf. . 1935 - LE : CRIME D E MONSIEUR
1929 - LE TOURNOI. — A d a p tatio n ’ / LANGE. — S c é n a r io :, Ja cq u e s P r é­
d ’a p rès le ro m a n d e H e n r i D up u y - v ert d ’a p rès u n e id é e d e Jean R e n o ir
M a z u e l'et -réalisation : Jean R enoir. et Jean Castanier. D ia lo g u e s : J a cq u es
- A ssis ta n t : A nd ré Cerf. Prévert. R é a lisa tio n : J ea n R enoir.
.1 9 2 9 - LE P E T IT CHA PER ON ROUGE. P ro d u c tio n : Oberon. D istr ib u tio n :
. — R éa lisa tio n : A lb e r to C a v a lc a n ti/ M inerva. , '• '
. In te rp rètes : Jean R e n o ir (le lo u p ), 1936 - LA VIE E S T A NOUS. — Court
Catherine H e sslin g , A n d ré Cerf, m étrage d e p r o p a g a n d e p o u r le
P ie rr e P révert.. F ro n t .P o p u la ir e -réalisé p a r . une
1929 - LA P T I T E LILI. — C h a n son fil­ éq u ip e de jeu n es t e c h n i c ie n s sous la
m ée. R éa lisa tio n : A lberto C avalcan- d ir e c t io n - d e R e n o ir .’
Li. In te rp rètes : Jean R e n o ir et Ca­ 1936 U N E ' p A r TIE . DE. CAMPAGNE.'
th e r in e , H e sslin g. -— S c én a r io d ’a p rès la - n o u v e lle de
1929 - LE B L E D ./— S c é n a r io d e H e n r i • Maupassant. R é a lisa tio n : J e an R e­
D up u y-M azu el et J a g er S c h m id t. R éa­ noir. Les e x t é r i e u r s . o n t se u ls été
réalisés. D ir e c tio n m o n ta g e et ad ap ­
lisa tio n Jean R en o ir. A ssis ta n ts . tation ^d éfinitifs' (1940) : M arguerite.
André Cerf et A r c y -H e n n e r y . Ce film R en o ir e t Ja cq u es B eck er.
fut c o m m a n d é p o u r la c o m m é m o r a ­ 1936 - L ES BAS FONDS. —• S c é n a r io :
tion , du c e n te n a ir e d e 1'Algérie. Z am iatin e e t , J a c q u es . C om p an ez,
L ’E tat en était co -p ro d u cteu r. d ’après le ro m a n de M a x im e Gorki.
-1931 - ON PURGE BEBE. — .Scénario A d a p ta tio n et d ia lo g u é : Charles,
. d’après Georges Feyde.au. Réalisa­ Spaak. R éa lisa tio n : Jean R e n o ir . D é ­
tion : Jean Renoir^ Assistant : Claude co ra teu r : E u g è n e Lourié.' M ontage :
Heymann. Premier film parlant de Marguerite R en o ir. A ssista n t : Jac­
Renoir. ' .. qu es B eck er. P ro d u c tio n : Albatros.

53
1937 - LA M ARSEILLAISE. — E q u ip e 1944 - S A L U TE TO FRANGE. — Mé­
tech n iq u e, et o u v r iè r e : CGTV S c é n a ­ trage p r o d u it a N e w -Y o r k p a r l'Of-
rio : Jean R e n o ir a v ec , p o u r les d é ­ fice of ^War I n fo r m a tio n à l ’u sage d e s
ta ils h is to r iq u e s , la colla b o r a tio n de c o m m a n d o s d e d éb a rq u e m e n t. Le
Cari Ko c h et N . Martel D reyfu s. montage d é fin itif u tilis e le tr av a il de
R é a lisa tio n : J e an R e n o ir . A ssistants- R en oir m a is a u s s i beaucoup; d ’autres
r é a lisa te u r s : J a cq u e s B eck er, Claude ^. élémentis.
R e n o ir , J.P. D r e y fu s, D em azu re, Cl: 1945 - T H E S O U T H E R N E R (L ’HOMME
, R e n o ir (frère), Maurette, C orteggiani. D U SUD). — P r o d u c t i o n i n d é p e n ­
P ro d u c tio n ^ : S o c ié t é d e P r o d u c tio n dante : D a v id L o ew ri et R o b e r t Ha-
et d ’E x p lo i t a t i o n du film « La Mar­ kim . S c é n a r io : J ea n R e n o ir d ’ap rès
s e illa is e ». le -roman d e G eorge Cessiorisperry.
R éalisatio n : J e a n R e n o ir. O p é r a ­
1937 - LA GRANDE ILLUSION. — S c é­
teur L u c ie n A nd rio t.
n a r io : Jean R e n o ir et Charles Spaak.
R é a lisa tio n : J ea n R enoir. 1946 - T H E D IA R Y OF A CHAMBER-
MAID (LE JO U R N A L D ’U N E FEM­
1.938 - LA B E T E HUMAINE. — A dap ­ ME D E CHAMBRE), — P r o d u c tio n :
tation d ’a p r ès le ro m a n d ’E m ile Zola, B e n e d ic t B og e au s. S c é n a r io : d ’ap rès
d ia lo g u e s et r é a lisa tio n : Jean R e ­ Octave M irbeau p a r Je a n R e n o ir et
n o ir . A ssista n t ré a lisa teu r : Claude B urgess M eredith. R é a lisa tio n : Jean
R e n o ir (frère). R éhoir. D é c o r s : E u g è n e Lourié.
O pérateur : L u c ie n Andriot.
1939 - LA R EG LE D U J E U . — S cén ario
et d ia lo g u e s : Jean R en oir. R é a lisa ­ 1946 - T H E W OM AN ON T H E BEACH
tio n : Jean R en o ir. A ssistan ts r é a li­ (LA FEMME S U R LA PLAGE), - -
sa teu rs : A n d ré Z w o b o d a et H enri P ro d u c tio n R.K.O. S c é n a r io : Jean
Cartier. R en o ir, F r a n c k D a v ie s et J. R. Mi-,
ch a el H o gan , d ’a p rè s le ro m a n de
1939-1940 - LA TOSCA. — S c é n a r io de M itchell W ils o n , « N o n e to b lin d ».
Jean R e n o ir en co lla b o ra tio n a v e c ses R é a lisa tio n : Je a n R en o ir. La p r e ­
a m is et colla b o r a te u rs C. K o c h et _ m ière v e r s io n a : dû être ée m a n ié e
L. V is c o n t i. La gu erre a e m p ê c h é la et é d u lco r ée p o u r d es r a iso n s c o m ­
ré a lisa tio n p a r R e n o ir sau f la 1" sé ­ m er cia les ( 1 / 3 e n v ir o n d e la "version
q u en ce. R é a lisa tio n de C. K och, m a is actu elle a été r e to u r n é e a p rè s co u p ).
• le d é c o u p a g e t e c h n iq u e p ré a la b le
1949 - Jean R e n o ir p a rt àux^ I n d e s p o u r
était de C. K o c h et Jean R en o ir.
en tre p r en d r e la r é a lisa t io n de T H E
O c tob re 1940 - D E P A R T E N AMERI­ RIVER.
QUE* 1951 - T H E R IVE R (L E F L E U V E ). —
P ro d u c tio n : Kenrieth Me E ld o w n e y .
1941 - SWAMP WATER (L’ETANG S c é n a r io : R u m er G od d en et Jean R e­
T RAGIQUE). P r o d u c tio n : 20th Cen- noir, d ’a p rè s le r o m a n d e R um er
tury F o x . S c é n a r io : D u d le y N ic h o ls . Godden. R é a li s a ti o n : Jean R en o ir.
R é a lisa tio n : Jean R en o ir. Opérateur C lau d e R en o ir.
1941 - R e n o ir e st e n g a g é p a r U n iv er sal 1952 - Jean R e n o ir v a e n tr e p r e n d r e , à
où il c o m m e n c e un film a v e c D ea n n a Rome, la r é a lis a t io n d u CARROSSE
D u r b in , q u ’il n ’a p u term in er. D ’OR. S c é n a r io : J e a n R e n o ir d ’a p r ès
Le Carosse du Saint-Sacrement de
1942-1943 - TH IS LAND IS MINE (VI­ P r o sp e r M érim ée. O p éra teu r : Claude
VRE LIBRE). - • P r o d u c tio n : Jean Renoir. A s s is ta n t : A la in C uny. In-,
R e n o ir et D u d le y N ic h o ls . D istribu- terprète p r i n c i p a l e : A n n a Magnani.
N tiOn et fin a n c e m e n t : R.K.O. S c é n a ­ Jean R e n o ir a u r a it en su ite l'in te n tio n
rio : D u d le y N i c h o l s et Jean R enoir. de ré a lise r u n film en F r a n c e d o n t
R éa lisa tio n : Jean R enoir. . l ’action se s itu e r a it en B ou rg o g n e .

54
L E T T R E D E M A D R ID

Atouts et Jeux sans joueurs


. - pax v

LO DUCA

M adrid, D écem bre 1951

A part le Centre E xpérim ental du Cinéma de R om e, il n ’existe pas une


pépinière comparable à l ’Instituto de Investigaciones.y experiencias cinemato-
graficas de Madrid. C’est à la fois une académ ie et une université d ’où sortent
des cinéastes à la préparation tliéorique et pratique im peccable. U ne bâtisse
très m oderne, derrière le rom antique H ippodrom e A ncien, héberge cette école
m odèle qui pourrait form er les m eilleurs réalisateurs du m onde hispanique
dé dem ain.
Les dix studios de Madrid et de Barcelone on t produit 150 films ‘ en cinq
ans, mais pourraient facilem ent en produire une centaine par année, à. un prix
qu ’on peut chiffrer à un peu m oins que la m oitié du prix d ’un film réalisé en
France.
L ’Espagne dispose actuellem ent de 4.000 salles (une salle par 7.156 habi­
tants, contre 1 sur 7 263 en France, 1 /7 038 aux Etats-Unis, 1/5 347 en Italie)
qui accusent une recette de 1 500 m illions de pesetas. 4 000 ciném as contre 240
« plazas de toros »... Barcelone vient en tête avec 405 salles, puis Madrid avec
165, Valence avec 265, Séville avec 140.
Un important réseau de ciné-clubs prépare des couches nouvelles d 1 « affi-
eionados » du ciném a. Leur organisation est exem plaire e t ,il suffit de voir un
de leurs programmes pour se rendre com pte du niveau de leur culture.
Une critique vigilante, libre, sensible et très au courant de l ’histoire du
cinéma couronne le tout. E lle est sans p itié, et les films espagnols en sont les
premières victimes.
Hélas ! ils le méritent. Il est surprenant, en effet qu ’un pays qui dispose de
tels atouts et qui est l ’Espagne n ’ait pas de joueurs. Un pays qui participe
aussi puissamm ent que l ’Espagne à l ’art m oderne, à la p h ilosophie, au théâtre,
à la tragédie éternelle ou quotidienne, n ’a pas trouvé encore un ciném a à sa
taille. C’est là un fait. La censure est accusée de tous les péchés, et pourtant
elle a laissé a passer » M iracle à M ilan qui épouvante et horrifie nos réaction­
naires qui avaient réussira se déguiser sous les oripeaux des bons mots. Mais
seul un pays sans censure peut reprocher à l ’Espagne d’en avoir une.
Pourquoi cette absence de «. joueurs » dans le cinéma espagnol ? L ’Espagne
est pourtant derrière leur dos, vivante, passionnée, hypersensible, angoissée ou
joyeuse. La vie est partout. L ’histoire a accumulé en Espagne les plus grandes
aventures européennes et africaines de Part et de l ’esprit. On trouve ici la trace
d ’une Méditerranée m ythique qui a charrié les P héniciens et les Grecs, les
Latins et les Maures, l ’écho de V élasquez ou de Cervantes, du Greco, de Lope
de Vega ou de Goya, le goût de la grandeur et de l ’absolu.

55
^ Je suis arrivé à Madrid un jour de, quêté. Des m illiers d’enfants vous harcè-
V 1aient avec dés tiré lires en forme de tête dé nègre ou de chinois au poing. D eux
, de ces enfants quêteurs se croisent à l ’entrée d ’un m étro. Gag : très sérieuse-
; m ent ils fo n tm in e de quêter, entre eux, ^ ^ ^
Dans un taxi (Citroën 1922), le voyageur dit qu’il est pressé. Très respec­
tueusem ent lo chauffeur répond.,. c< M oi, (je ne le suis pas... ». ; ; ; .
Dans la rué, on demande où sont les Postes (Correos) , Le passant donne les
indications et ajoute sans rire : « Vous tomberez juste sur N u estraS en ora de
Coireos » (Notre-Dame des P o ste s), , critique admirable de cet édifice >gotluco-
palladio-chinois... N ;
Une Espagne extraordinairement riche et; vivante n ’attend qu’une pairé
; d ’yeux ouverts. Ce jour-là, le m ot hispaniiiad définira une réalité possible.
J ’ai cherché un pourquoi à l ’absence des « joueurs » ou du moins à leur
rareté. Sans doute, connaissent-ils m a l le m onde qui les entoure et sont-ils
; victimes; de cet cc adjectif » qui fit des ravages en Italie. Mais c’est insuffisant.
La Sem aine du Cinéma Italien qui vient de se dérouler à Madrid (avec. Miracle
à M ilan, Chronique d'un amour, Prim avcra, e tc..,) prouve que ces joueurs
savent voir aussi bien que lés autres. Une évasion'plus profonde, peut-être ..
Quoi qu’il ën soit, un Comité E spagnol formé de Luis Gômez Mesa (Prési­
d en t), Alfonso Sanchez, M iguel Pérez Ferrero («• D onald » ) , Carlos Fernande'/
Cuenca, Âdriano del V alle, Joaquim Romero Marchent, José Luis Gômez T ello,
G uillèrm o Salvador de Reyna, José Germain, va choisir pour nous, dans trente
ans dè production espagnole, une et Semaine » que nous pensons définitive pour
_ la connaissance de cette tranche de ciném a européen. Grands filins, cotirts
métrages, filmé d’amateurs'seront présentés bientôt à Paris. Nous jugerons sur
pièces et sans préjugés. Nous n é pensons pas nécessairem ent à Caravage en
voyant Voleurs de B icyclettes, et nous promettons d ’ignorer Goya en voyant
; ; La altea m aldita. y , , - - \
" y ’ r .r Lo Duc.a
NOUVELLES DU CINÉMA
Nous inaugurons cette nouvelle rubrique, d ’une part pour rendre notre revue,
plus complète, d ’autre part pour satisfaire aux demandes de nom breux lecteurs.
Nous n ’ignorons pas qu’une publication mensuelle ne peut prétendre suivre Vac­
tualité et que nous serons dans n euf cas sur d ix « grillés ■» par les quotidiens et
les hebdomadaires de cinéma. C'est pourquoi nous nous efforcerons — outre la
recherche de nouvelles.inédites — de faire, grâce au recul du à noire périodicité,
un « choix » parm i les inform ations en espérant, qu’au bout de douze numéros,
nos « nouvelles » constitueront un panorama complet, mais dépouillé de l'acces­
soire, de l’actualité cinématographique internationale.

FRANCE
L a « c r ise » c o n tin u e. Il se p a s s e jou rs par une fa m ille de p a y san s. R ené
p e u d e s e m a in e s sa n s que l’o n a p p r e n n e C lém ent a to u rn é le film e n tièr em en t
qu'un p r o d u c te u r a du in te r r o m p r e tel en e x té r ie u r s et d a n s des d éc o rs c o n s ­
film ou re n o n c e r à mettre en c h a n tie r truits sur p la c e à La F o u x , petit v illage
tel autre. N o u s r ése rv a n t de r e v e n ir à d e s Basses-AIpes, situ é à 1.100 m ètres
part sur les atten d u s d e cette crise, d ’altitude.
n o u s p r é fé r o n s d o n n e r i c i les n o u v e lle s
C’est un film sa n s v ed ette d ont les d eu x
p o s itiv e s du c i n é m a fra n ç a is. in te r p r è te s p r in c i p a u x B rigitte F o sse y
(5 an s) et Georges P o u jo u ly (11 ans)
• R en é C lém en t a te r m in é le m o n ta g e n ’a v a ie n t ja m a is joué. Le reste de la
(le Jeux Interdits. On sait qu e le film d istrib u tio n est c o n st itu é e p a r d es ac-.
d e v a it p r im it iv e m e n t c o m p o r te r d e u x teu rs d e c o m p o s itio n et ia figuration a
parties. En d éfin itive il sera c o n stitu é été recru tée sur p la c e . C lém ent a tou rn é
u n iq u e m e n t p a r l ’é p is o d e « C r o ix en d a n s d e s c o n d it io n s d e liberté totale...
b ois, c r o ix en fer » tiré d'un ro m a n de ce qui est a ssez rare... « ce con te de fée
F r a n ç o is B o y er : Les jeux nouveaux et m o d e r n e qui est aussi, dit-il, l’h isto ir e
a d a p té et d ia lo g u é p a r le réalisateu r, d ’une p etite fille qui, en en terran t son
P ierre Bost et Jean A urenche. Il co n te c h ie n p u is des tas de p etits an im a u x ,
l’h isto ire d ’une p etite fille d o n t les p a ­ « enterre » a u ssi in c o n s c ie m m e n t un
rents sont tués p en d a n t l’e x o d e d e 1940 m a lh eu r qui la d é p a sse : lu m ort de
et qui est r e c u e illie d u ra n t q u elq u e s ses p a ren ts ».

/V gauclie : R en é C lém ent d irig e une scène d e J e u x In te rd iis ; à d ro ite : trois des in te rp rète s du film
d o n t les d e u x Jeunes vcdeltes, Georges l ’o u jouly ( n an s) e t B rigitte Fossey (5 ans).

57
• J a cq u e s B eck er, lui, a t e r m in é Casque • Y ves A llégret d e so n c o té fait
d'or avec S im o n e S ig n o ret, S erge Reg- p r e u v e d ’une gra n d e a ctiv ité . Il v ie n t
g ia n i et C laude D a u p h in , a p rè s trois d e tourner un des s k e t c h e s d e s S ept p é ­
s e m a in e s d ’e x té rie u r s à Annet-sur-Mar- chés capitaux : La Luxure, d ’a p r ès la
ne et c i n q se m a in e s de s t u d io à B illa n ­ n o u v e lle de B a rb ey d ’A u r e v illy , « Le
court. S ’in s p ir a n t de l’h is to ir e a u th e n ­ p lu s bel am our de D o n Ju an », a d a p tée
tiq u e d e Casque d ’or, c o u rtisa n e d e la et d ialog u ée par Jean A u r e n c h e et
b elle é p o q u e p o u r q u i le s m a u v a is gar­ P ier re Bost. In terp rètes : V iv ia n e R o ­
ç o n s jo u e n t du cou tea u , il avait déjà m a n c e et F r a n k V illard. Im a g e s d e R o -
é c r it il y a d ix a n s c e sujet de film ...qui ger Hubert* d é c o r s d e T ra u n er, m u s i­
fa illit être r é a lisé p a r d ’autres que lui. que d e Georges A uric.
Il l ’a r é c r it a u jo u r d ’h u i a v e c Jacq u es A llégret a ég a le m en t t e r m in é Nez de
C o m p a n ez et a r é d ig é le s dialogues. cuir, gentilhomme d ’am our a v e c Jean
• A le x a n d r e A stru c to u r n e Le R i­ Marais, Mariella Loti, F r a n ç o is e C h r is­
deau cramoisi d ’a p rès B a r b e y d ’A ure­ to p h e , Y v o n n e d e B ra y , Jean D eb u-
v illy , a v e c A n o u k A im ée. co u rt et V a le n tin e T e ssie r. R a p p e lo n s
qu e ce film est u n e c o -p r o d u c t io n
• L u is S a s s ïa w s k y (o r ig in e : sud- fr a n c o -ita lie n n e en d e u x v e r s i o n s , qu e
a m é r ic a in e ) , a n c ie n a ssistan t de Jean Ja cq u es S ig u r d a ad ap té et d ia lo g u é le
R en o ir, va r é a lise r La Neige était sale rom an de La V a ren d e, G e o rg es W a ck e-
d ’a p r è s la p i è c e de Georges S im e n o n et vifreh d e s s i n é l e s d é co r s, R o g e r H ubert
F r é d é r ic D a r d m o n té e à P a ris l ’a n ­ d ir ig é le s p r is e s de v u e s et G eorges
n é e d e r n iè r e p ar R a y m o n d R ouleau. A uric c o m p o s é la m u siq u e. Le film so r ­
L es cr éa teu rs D a n ie l Gelin et F r a n c e tira à P a r is en février.
D e s c a d t c o n s e r v e r a ie n t leurs rôles. Va- M a in t e n a n t l’in fa tig a b le Allégret
l e n t in e T e s s ie r r e m p la c e r a it L u cie n n e c o m m e n c e La Jeune Folle d ’a p rès u n e
Bogaert. n o u v e lle de C a th erin e B e a u c lia m p , film
• Maison de poupée d ’Ibsen sera peut- qu ’il Voulait déjà fa ire en 1946. Da-
être p o r té e à l’écran p a r Jean D elan- n ielle D eïo rm e est son in ter p r ète .
noy... ou Jea n -P a u l Le C han oîs.
* Christian Jaque te r m in e Fanfan
• L orsq u e Jean G r ém lllon aura ter­ la Tulipe a v ec Gérard P h ilip e , Paul
m in é Caf’ Conc’, il se r e n d r a it à Rome Bernard, Gina L o llo b r ig id a . S c é n a r io
au m o is d'a v ril p o u r y réa lise r Je t'écris o rig in a l de R e n é W h e e le r et R e n é F a l­
d ’a p rès un s c é n a r io de F u lc h ig n o n i let. D ia lo g u e s d ’Henri J e a n so n . Im a g es
sur le p r o b lè m e des illettrés. de C hr istian Matras.

Scènes d e tra v a il do Casque d'or. S u r la photo de y a u ch c ou re c o n n aît Jacques B eekçr, C laude D a u p h in ,


Sim one Siirnorct et Serge Reifînni.

58
A a a u e h e : S im one Sim on e t D a niel C elui d a n s L e Plaisir de M ax Ophüls. A droite : W illiam Tub,
Yves M o tttand e t C harles V anel d a n s Le Salaire de la peur d e H enri-G eor^es Clouzot.

• A près un lo n g tou rn a g e et d e m u l­ ETATS-UNIS


tip les diffic ultés Max O phüls est enfin • B illy W ild e r v ie n t d e c o m m e n c e r
a rrivé au bout du Plaisir. D a n i e l Gelin, à H o l ly w o o d Stalag 17, a dapté d ’une
S im o n e S im o n et Jean S er v a is so n t le s p i è c e d e D o n a ld B evan et E d m u n d
a cteu rs du d e rn ie r sk e tc h ; « Le Mo­ T r z c in s ld . Le film n e c o m p o r te a u cu n
d èle », a d a p té d e M aupassant p a r Jac­ rôle fé m in in et sera in ter p r été par
ques N a ta n so n c o m m e le s d e u x autres W illia m H o ld en , C harlton H eston, D on
co n te s : « Le Masque » et « La Maison T a ylo r, Cy H o w a r d et q u e lq u e s-u n s des
T e ll ie r ». Im ages d e C hristian Matras c o m é d ie n s q u i ont créé la p iè c e a
et P h il ip p e A gostini, d éc o rs de Jëan B ro a d w a y .
d ’E a u b o n n e, m u siq u e de M au rice Y vain . • E lia Kazan a te r m in é Viva Zapata
La d is tr ib u tio n c o m p lè te péu n it Jean d ’a p rès un s c é n a r io d e Joh n S te in b ec k .
Gàbin, Claude D a u p h in , D a n ie lle Dar- • Ap rès a v o ir réa lisé cette a n n é e The
rieux, Gaby Morlay, M a d elein e R enaud, Quiet Man a v e c Joh n W a y n e , M aureen
P ierre B rasseur, Ginette L eclerc, Mila O’Hara, V ictor Mac L aglen et B arr)r
P arely, P au lette D ubost, L o u is S eigner, F itz g er ald , Joh n F o r d va m ettre en
Jean *Meyer, D a n ie l Gelin, S im o n e Si­ s c è n e YV7ta£ Price Glory a v e c Jam es Ca-
m on et Jean S erva is, (qui d it m ie u x ? g n e y , C o rin n e Calvet et D a n D a ilev .
Cela n ’au g u re d ’a illeu rs en. rien d e la • L e w i s M ilestone to u rn era p r o c h a i­
qualité du film). n e m e n t une n o u v e lle v e r sio n du rom an
• Clouzot a du in te rr o m p r e les p r is e s d ’H ugo « L es M isérables », a v e c D ebra
de v u es du Salaire de la peur, d ’après P aget, L ou is Jourdan et M ichael H e n ­
le rom an de Georges Arnaud. M otifs : ni e.
les c ir c o n s ta n c e s a tm o sp h ér iq u es; il • Le ro m a n d ’H e m in g w a y , Les Neiges
s'est é g a lem en t c a s s é la jam be. Le film du Kilimandjaro, va être p o rté à l’écran
qui a été to u r n é e n tiè r e m e n t en e x té ­ par H e n r i King. A d a p ta tio n : C asey
rieurs d a n s le Gard et p o u r le q u el une R ob in so n . V ed ette : G regory P eck .
ville en tièr e a été c o n str u ite en p le in e • C haplin tourne Limelight.
c a m p a g n e rep ren d ra -t-il en m a i p r o ­
BRESIL
c h a in ou sera-t-il c o n t i n u é in c o n t in e n t
en A friq u e d u N o rd ? Mystère sur l e ­ • A lberto C avalcan ti a c h è v e l ’o r g a n i­
quel seul le p ro d u cteu r, M. B o rd erie, sation d ’un In stitu t N a tio n a l du C in é­
pou rrait n o u s ren se ig n er . La m o itié du ma, c r éé p a r le G o u v e r n e m e n t du B ré­
fdm se ra it fa ite (durée g én ér a le p ré v u e : sil. P r o d u c tio n , d is tr ib u tio n et e x p o r ­
quatre h eu res). Y v es M ontand et Char­ t a t io n 's e r a ie n t a in s i c o n tr ô lé e s p a r un
les V anel son t en to u rés d ’une d is tr ib u ­ M inistère (p r o b a b lem e n t c e lu i de la
tion très in te r n a tio n a le : V era Clouzot, Ju stice).
D ario Moreno, W illia m Tub, P a t Hurst, • M astrocin q u e a c h è v e une c o p r o d u c ­
L uis d e L im a, P eter van E yck e..., etc... tio n ita lo -b r é silie n n e : Areiâo (Sable),
to u rn ée à San P aolo.
• P a r a illeu rs Georges A rnaud é c r i­ • F e r n a n d o d e B arros tourne Appas-
rait a c tu e lle m e n t le sc é n a r io du p r o ­ sionata a v e c R ay S tu rg ess (l’o p érateu r
c h a in film d e Clouzot. d e Hamlet).

59
ITALIE a c tu e lle m e n t les s k e t c h e s a d a p té s par
Charles S p a a c k d ’u n e n o u v e lle de
• V o ic i la d istr ib u tio n d éfin itiv e du M au p assan t, « T o in e » : La Colère
Carosse d ’or que Jean R e n o ir va c o m ­ (a v e c Isa M iran da) et L ’Avarice (a vec
m e n c e r à R o m e d ’a p rès « Le C arosse P a o lo S to p p a ).
d u S a in t-S a c re m e n t » de P r o sp e r M éri­
m é e : A n n a M agnani (La P e r ic h o le ), • C lau d e A utant-L ara a c h o is i Vor~
C au ssim o n (le v ic e -r o i) , U m b er to Spa- gueil, su je t o r i g in a l ad ap té p a r Jean
daro (le D ir ec te u r d e s c o m é d ie n s ), A u r e n c h e et P ie r r e Bost. S o n in ter p r ète
p r i n c i p a l e e st M ic h è le Morgan. Jean
U m b erto M elnati (un c o m iq u e ), E len a
A ltieri (La d u c h e sse de Castro), Lu- D r e v il le illu str er a p r o c h a in e m e n t La
c ia n a V e d o v e lli (la fille d e la d u c h e sse ) , Paresse, s c é n a r io d e Carlo R im , avec
John P a setti (le c o m m a n d a n t de la N o ë l-N o ë l.
garde). • L e d e r n ie r film d ’Orson AVelles,
Othello, v ie n t d e so r tir à R o m e. S u c c è s
• G eorges W ilh em P ab st se trouve so u te n u .
a c tu e llem en t à R o m e où il p rép are,
a v e c Z avattini; T o m m e i et P in e lli, • Due soldi di speranza (Deux sous
l ’a d a p tatio n d ’un s c é n a r io de Z avattini, d ’espoir) d e R e n a to C a stella n i est le
l'rois jours ne suffisent pas. Le Hlm a p r e m i e r film ita lie n d é s ig n é p o u r le
p o u r ca d r e un in stitu t r e lig ie u x lors p r o c h a i n F e s t i v a l d e C annes. Le p r o ­
d ’e x e r c i c e s sp iritu els. c h a in filin d e C a ste lla n i serait... Roméo
et Juliette.
• L u ig i Zanipa réalise Procès d’une • La m achine à tuer les méchants,
ville , d ’a p rès un sc é n a r io de Suso Gee- film c o m m e n c é p a r R o s s e l lin i il y a
ch i d ’A m ic o qui r etra ce l ’h is to ir e d ’au­ ju ste tr o is an s, est enfin p r ê t à sortir.
to rités m u n ic ip a le s c o m p r o m is e s dans
un p r o c è s de corru p tion . • G iu se p p e d e S a n tis v ie n t d ’a c h e v e r
Roma 'lift (C’esf arrivé à Home), p r o ­
• L u c h in o V iscon ti v ie n t de finir, d u it p a r P a u l Graetz, a v e c L u cia Mosé,
Bellissima a vec Anna Magnani. Caria d el P o g g io , Lea P a d o v a n i, E le n a
• R oberto R o ssellin i, qui est en train Varzi, M assitno Girotti, R af V allon e, etc.
d e to u rn er Europe 1951, av ec Ingrid • P a r a ille u r s, R o s s e l lin i et In g rid
B ergm an (il a une se m a in e d ’a v a n ce sur B erg m a n v i e n n e n t de tou rn er à Rome
son p la n ), a ter m in é le se c o n d sk etch un d o c u m e n t a ir e p o u r la S u èd e (« Rad-
des 7 Péchés capitaux : L'E nvie, da B a rn en »)-
d ’a p rès un ro m a n d e Colette : « La • A p r ès d e S ic a, u n e n o u v elle étoile
ch a tte », av e c A nd ré e D eb a r et Orfco m o n te d a n s le c iel du c in é m a ita lie n ;
T a m b u ri : ce film est une co p r o d u ctio n E d u a r d o de F il ip p o , lui a ussi v en u du
fr a n c o -ita lien n e réa lisée par R o ssellin i, théâ tre, m a i s eh p lu s auteur. Son d e r ­
Y ves Allégret, N o ël-N o ël, D rév ille, n ie r film F il urne ha Marturano su rp re n d
Autant-Lara, et d e F illip o qui a ch èv e l ’Italie.

D e u x sketcJit'S dos Sept péchés ca p ita u x : ;'i jfaiichc, A n d ré e D e b a r e t Orfeo T a m b u r i d a n s L ’E n v ie de


R oberto R ossellini (d’a p rès C olette); à droite, V iviane R om ance d a n s La L u x u r e d'Y ves A llciïrct
(d’ap rès Barbey d ’A urevilly).

60
HONGRIE and the R iv e r d'Arne S u c ksdorff
(Suède), qui rappelle l'esprit du F leu v e
• F r y g e s Ban a d o n n é une su ite àde Jean Renoir. S u c ksdorff a été tou­
L o p in de (erre, q u i a p rè s a v o ir été jours la vedette « spectaculaire » de ces
p r im é au festiv a l de M arian sk e-L azn c congrès, depuis La M ouette g rise; cette
en 1950 lit c a r rièr e en F ra n ce . Cette année il a présenté aussi le plus mau­
su ite s ’in titu le Terre Libérée. On y v o it vais documentaire: T erres S ca n d in a ves,
-le p a y s a n Josk — h é r o s d u L opin de au texte impossible et aux innombrables
Terre — lib ér é de p r is o n p a r la fin de facilités, presque aussi mauvais que
la g u erre, re to u rn er d a n s son v illa g e où A ux so u r c e s d e la s c i e n c e d e s r é fle x e s
il est le p r o m o te u r d ’u n e n o u v e lle c o o ­ de B. Svetozarov (U.R.S.S.). Deux filins
p é ra tiv e. L es p r in c i p a u x th è m e s (le de voyage se détachent de Vensemble :
m a n q u e d ’outils, le travail d e s p i o n ­ La r iv iè r e et le s h o m m e s de Jéan Hu-
n ie r s, l ’en traid e, la r é s is ta n c e d es kou- rault et A ndré Sausse (France ) et Tlie
l a c k s et de c e r ta in s p a y s a n s ) r a p p e lle n t W h ite C o n tin e n t de Tom Stobart (G.-B.j,
c e u x d e La Ligne Générale d ’E is e n s te in . ce dernier étant la p r e m iè r e phase de
l’expédition anglo ~ suédo - norvégienne
au continent antarctique. Parmi les d o ­
LE XIIe CONGRES DU FILM SCIENTIFI­ cumentaires d'une form ule' classique
QUE (PARIS) signalons E n p a ssa n t p a r la L orrain e
de Franju (France), E r u zio n e d e ll’E tna
• La XIIe rencontre organisée par de Domenico Paolella (Italie, en cou­
Jean Painlevé et Georges Franju s'est leurs), et R ia rclie dcl Metano e dcl
déroulée cette année au Palais de la P e tr o lio de Virginio Sabel (Italie).
Découverte.
L ’amateur qui sait s’abandonner à
Ce X III 0 Congrès nous a perm is de Vexploration pure des images peut voir
voir des docum ents exceptionnels : Le avec profit R a d io c in é n ia to g r a p h ie de
cu rare et les c u r a risa n ts de Jacques Le - l 'Œ so p h a g e du Dr Van de Aîaele (Bel­
moigne (France ) et S o in e a sp e c t s of gique), T a e n ia c q u in o c o q u e de Marcos
m u sc le re la x a n ts (en couleurs) du Dr Santa Rosa (Uruguay), C h ao s-ch a o s du
S tanford (G.-B.). Le p rem ier s'impose Pr. Schaeffer (U.S.A.), C y to p liy sio lo g ie
par des qualités cinématographiques d e s p h a g o c y te s du Dr J. Frédéric (Bel­
rigoureuse qui perm ettent d’oublier la gique) ou T irs d 'e x p lo sifs d a n s d es
longueur du sujet. D ie P fe r d e (L es i.lie- b lo c s de c a lc a ir e de M. Giltaire (Fran­
v a u x ) de Fritz B rum sk (DEFA, Alle­ ce), absolu visuel à 3.200 images/sec.
m agne ), T he p riv a te life of th e silk Jean Dragesco a aussi apporté son bu­
w o r m de Al. Bravnani (Inde), T h e W in d tin annuel de ciliés dramatiques.

F ry g e s ISan : Terre libérée.

61
LIS FILMS

J e a n lieiioJr, T h e R ive r : P a t ricin W altcrs et T h o m a s TJ. TJrecn.

LA ROBE BLEUE D ’HARRIET

T H E R IVE R (LE F L E U V E ), film en T e c h n ic o l o r dë J e a n R e n o i r . Scénario :


R u m e r G od d en et Jean R e n o ir d ’a p r è s le r o m a n de R um er Godden.' Images :
C laude R en o ir . Décors : E u g è n e L ourié. Musique : a c c o m p a g n e m e n t e n r e g istr é a u x
In d e s. Interprétation : P a tr ic ia W a lte rs (H arriet), R a dh a (M élanie), A d r ie n n e Corri
(V alérie), T h o m a s E. B reen (C aptain J o h n ), N ora S w in b u r n e (la m èr e), E d m o n d
K n ig h t (le p è r e ), A rthur S h ie ld s (Mr. J o h n ). Production : K en n eth Me E ldo-w ney,
1951. Distribution : U n ite d Àrtists.

. N u l d o u te q u e le d e r n ie r film de R e- à l’égard d u Journal d’une F em m e de


n o ir n e r e m p o r te en F r a n c e le m ôm e Chambre et dé La Femme sur la Plage,
s u c c è s q u e d a n s le s p a y s x\n glo-S axon s. se m o n tr er o n t a sse z s e n s ib le s , ce tte
J’im a g in e que, m ê m e le s p lu s s é v è r e s fo is -c i, à la flatterie d e s p lu s b e lle s

62'
co u leu rs qu ’on ait ja m a is v u e s sur lin et la r ic h e s s e d e s sig n ific a tio n s d on t il
écran, p ou r, o u b lia n t ce q u ’ils v o u ­ est ch a r gé — je r e n v o ie sur ce p o in t à
la ie n t trouver, c é d er s im p le m e n t au c e que je c ita is tout à l ’h eu re de R e ­
p la isir q u ’on leur d o n n e. Mon b u t n ’est noir, en nota n t, to u t e fo is que ce que
autre que d e le ur ôter tout sc r u p u le de j ’a im e e n te n d r e de sa b o u c h e n e in ’a
s ’y a b a n d o n n e r tout à fait, en le s g u é ­ p aru so u v en t, c h e z d ’autres, que la m a r­
r issa n t du regret d ’a v o ir b el et b ien que d ’une i n c a p a c i t é à faire v ra i — ;
p e r d u leur c h e r R e n o ir d e jadis. Car que l’on o b se r v e c h e z un d e s m etteurs
The R iver, lo in d e r é n o u e r a v e c le s en s c è n e s r ép u té p o u r le p lu s soupJe et
oeuvres de la p é r io d e fr a n ç a ise , éclaire le plu s ra p id e un goût de p lu s en p lu s
d ’un jour si v i f cette F em m e sur la p r o n o n c é p o u r le s a ttitu d es im m o b ile s
Plage, d on t c e r ta in s a lla ie n t ju sq u ’à se et le s p la n s fix es qui, lo in d e trah ir
faire un d e v o ir d e ro u g ir , que, d e cette qu elq u e. v ie illis s e m e n t , m arquerait
co n fro n ta tio n , l'un et l ’a utre film n ’a u ­ plutôt en lu i le d é sir d ’a c c r o îtr e la te n ­
ront, je l’esp è re , qu’à g agner. Ici, sio n d e so n r é c it et, p a r le s e n tim en t
c o m m e là, m êm e refu s d ’un p itto re sq u e q u ’il n o u s d o n n e d ’une in s u p p o rta b le
fa c ile , m êm e c o n c i s io n d an s le récit, in stab ilité, d e n o u s m ie u x p r é p a r e r au
et surtout, m êm e s o u c i de sa crifier les ch o c que s e r o n t p o u r n o u s c e s a d m i­
effets d its de « c in é m a » à la rigue ur rables et rares in s ta n ts où, sorta n t tout
d'une d ir e c tio n d ’a c te u r s trop s u b tile ­ à co u p de leur so litu d e , d e u x êtres
m ent ty ra n n iq u e p o u r n ’é m e r v e ille r , je v ie n d r o n t se jeter à la fa c e le s b ou ffées
le crain s, que le s « c o n n a is s e u r s ». d ’une d is sim u la tio n , d ’une p u d e u r ou
Oui, ce film est difficile s ’il a tout d ’une cr a in te trop lo n g u e m e n t m û ries;
p o u r p la ir e à cette élite, p o u r qui l ’a que c ’est cela d o n c le « c in é m a » ou,
fait R en oir , et qui se flatte d ’a v o ir du du m oin s, la p lu s h a u te form e d ’un
goût et d ’être s e n sib le à ce q u i to u c h e art qui, p a r e s s e n c e d e sc r ip tif, n ’e x ­
lu v é r ité de l ’h o m m e et de ses p a ss io n s , c elle q u e d a n s l ’e x p r e s s io n d ’un tragi­
il n e p ou rra m a n q u e r d e d ér ou te r q u e l­ que tout in té rie u r , je veu x d ire de n o ­
que p eu , c e u x qui, p lu s n o m b r e u x c h a ­ tre in a p titu d e à liv re r le p lu s ch e r de
que jour, s ’in té re ssen t m o i n s à I’efl’et n o s p e n s é e s (l’on aura p e n s é q u e je
q u ’à la facture. V o ula n t sa tisfa ir e ces fa isa is a llu sio n à la sc è n e d e la, c l a i­
d e r n ie r s sans a c c a b le r le s autres de rière en tre V alérie et le c a p ita in e
c o n sid é r a tio n s trop t e c h n iq u e s , je leur J o h n ); q u'il n e s ’agit p a s de m ontrer
d o n n e en p âtu re ces q u e lq u es r e m a r ­ ce qui n e l’a ja m a is été — et co m b ie n
ques, que je liv re à d e s s e in en v r a c : v a in sera it-ce d a n s un d o m a in e où tout
que la n o tio n de « naturel » est toute déjà, aussi, a été dit ? — m a is d ’e n r i­
relative et que la v é r ité d ’un geste c h ir d ’un se n s n o u v e a u la situ atio n la
trouve son f o n d e m e n t n o n d a n s l ’im i­ p lu s sim p le — ist ne v o u la n t p a s q u ’on
tation m a is d a n s sa beauté in t r in s è q u e m e crût, sur ce p o in t, trop p ro m p t à

E i'i

T h e R ive r : M élanie (R adha), H a rrie t (Patricia ^ j U c r s ) et V alérie (A drientic Corri).

63
p la id e r c o u p a b le , j’ajoute que, si le ro­ fr a îc h e s c o u le u r s q u ’au x c o st u m e s o u
m an de H u m er G od d en d o n t est tiré ' paru res d e l ’In d e : ca r d e cette c o u ­
The R iver n ’est p eu t-être p a s u n e très leur, J ea n et C lau d e R e n o ir n ’o n t p a s,
g ra n d e œ u v r e littéraire, je m e p r iv e r a is c o m m e d ’au tres p lu s p r u d e n ts , sy s t é m a ­
p o u r ta n t v o lo n t ie r s d u fa ib le a rg u m e n t tiq u e m e n t c h e r c h é à r é d u ir e l ’i m p o r ­
que tout l’art, ic i , est d ’avoir fait q u e l­ tance m a is, m o in s s o u c i e u x de r e c h e r ­
que c h o s e de r i e n : cette h is to ir e de ch er le to n nentre que le ton plat , trou ­
l ’a m o u r d e d e u x je u n e s filles p o u r un v en t d a n s l ’a c i d i t é d e c e r t a i n e s tein tes
bel in firm e d e guerre, b an al ailleu rs, (je p e n se au m a u v e de la rob e de la
j’aim e à la p r o c la m e r n e u v e et h a rd ie, m èr e et au b le u d e c e lle d ’H ar rief) le
non tant p a r c e q u ’elle fut p r étex te à p lu s sûr ga r a n t de le ur v é r ité — c o m m e
e x p r i m e r l’in e x p r im a b le (le sec re t de si le te c h n i c o lo r , in f id è l e to u te s le s fo is
la m i s e en s c è n e d e R e n o ir n ’est-il p a s qu ’il s ’a git d e r e p r o d u ir e le b a rio la ge
m o in s d a n s la p e r fe c t io n te c h n iq u e de d is c o r d a n t d ’u n e s c è n e p r is e sur le
la r é a lisa tio n que d a n s le c h o ix m êm e vif, n ’était ap te q u ’à fa ir e re v iv re la
d e s s itu a tio n s d o n t le c in é m a p eu t le beauté d ’u n e h a r m o n ie m in u tie u s e m e n t
m ie u x s ’a c c o m m o d e r ) m a is q u ’elle est, c o n c er tée .
en c e m o m e n t - c i d e n otre h is to ir e , u n e En f a c e d ’une te lle œ u v r e , la tâ ch e
de c e lle s q u i n o u s to u c h e le p lu s; que du c r itiq u e n ’est n i d e se liv r e r à une
cette « a c tu a lité », d o n c, que R e n o ir e x é g èse , d o n t tou te id é e de v a le u r serait
r e v e n d iq u e d a n s l’a rticle que nous p u ­ d é lib é r é m e n t e x c lu e , n i de c é d er à une
b lio n s de lu i, n ’est p o in t ce lle que e m p h a se d o n t je v o u d r a is q u ’on m ’e x c u ­
p o u r ra ie n t défin ir n o s d ia l e c t i c ie n s sât, m ais, a v a n t tout, d e p r e n d r e b ie n
m o ro ses, trop in c a p a b le s de sp éc u ler soin de m o n tr e r q u e l ca s il fait d'elle.
au delà du p r é s e n t p o u r p r ess e n tir que Si l ’on p a r c o u r t la r u b riq u e d e c in é m a
Fart soit, d ’u n e ép oq u e, n o n le reflet d e s r e v u e s li t t é r a ir e s d e c e s d e r n iè r e s
figé m a i s le . r e m è d e le p lu s effica c e à a n n é es, to u te s s o u c i e u s e s de marquer
o p p o s e r aux ta res de c e lle -c i; que le l'in térêt fort v i f q u ’un e sp r it cu ltiv é
p la isir , q u ’à ce tte œ u v r e, p r e n d r o n t le s se do it,' au jo u rd 'h u i, d ’a c c o r d e r au c i­
p lu s b la sés sera d’y retro u v er le se n t i­ n ém a , o n le s re m a r q u er a p lu s e m p r e s­
m ent d ’u n e b eau té, d ’une grâce, d’un sés à r e n d r e d e s film s « d o n t on p a rle »
am our de la n a t u r e ’ et d es h o m m e s un c o m p t e ju ste m e n t s é v è r e que d e d é­
dont ni n otre art, n i la réa lité n e p e n ­ ce le r le s œ u v r e s où le u r a d m ira tio n
sent p lu s offrir d ’im ag e; q u ’il s e sera p o u r c et art a u r a it to u t lo i s i r de s ’e x e r ­
ro u v é au m o i s une œ u v r e p o u r r e d o n ­ cer. Le but d e s C a h i e r s est d e sig n a le r
ner au reg a rd de l ’h o m m e ce m y stè re à to u s c e u x d o n t i l s s ’e x p li q u e n t v o lo n ­
d o n t c i n q s i è c le s de p e in tu r e l ’a va ie n t tiers le s c e p t i c i s m e , le s film s q u i leur
p eu à p eu d ép o u illé , à se s gestes, cette p a r a is se n t le m i e u x illu s tr e r la c a u se
n o b le s s e d on t le « Q uattrocento » avait q u ’ils d é fe n d e n t. The R iver est l ’un de
p a r é le s attitu d es d es rois et d e s saints, ce u x -c i.
au d é c o r fa m ilie r de sa v ie , d ’a u ssi M a u r ic e S c h e r e r

DUEL AVEC LA VIE


F O U R T E E N HO URS {Q UATORZE H E U R E S ), film d e H k n u y H a t h a w a y . Scé­
nario J o h n B a x to n . Images : Joe Me D onald . Musique : A lfred N e w m a n . Inter­
prétation : P a u l D o u g la s (D u n n ig a n ), R ic h a r d B à se h a r t (R ob ert C o sic k ), A g nè s
M ooreh ead (Mrs C osick ), B arbara B el G eddes (V ir g in ia ), D e b r a P a g et (Rufh).
Production : Sol C. S îegel-20th C entury F o x , 1951.

Si un s c é n a r is te avait « in v e n t é s> le q u ’en q u atorze h e u r e s toute la p o li c e


sujet d e Fourteen Hours et l’a v a it p r o ­ de N e w Y o r k r a s s e m b lé e n ’ait p a s
p o sé à un p r o d u c te u r d o u é d e b o n s e n s trou v é u n m o y e n d ’e m p ê c h e r le d é s e s ­
v o ir e d ’in t e llig e n c e , c e lu i-c i l ’aurait p é r é de sa u te r et enfin p a r c e qu’il a u ­
c e r ta in e m e n t refusé. D ’a b o r d p a r c e rait s o u te n n r a i s o n n a b le m e n t que le
q u ’il lu i s e r a it-a p p a r u in c r o y a b le q u ’un seul s p e c t a c le d'u n e lo n g u e h é sita tio n
c a n d id a t au s u i c id e d em eu re q uatorze — - si tr a g iq u e so it-e lle — su r un e n d r o it
h e u r e s sur le r eb o rd d ’une fen être avant aussi p eu p it to r e s q u e q u e le b o rd d 'une
d e se d é c i d e r à sauter, in c r o y a b le aussi fen être, et c e à l ’e x c l u s io n de tout autre

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H e n ry H a th a w a y :• F ourteen H ours, - R ic h ard . B aseü art, P aul ; D ouglas
' <•’. B arb ara B<il Gcd-clus.

resso rt dram atiq u e, ne c o n stitu a it p a s a n n o n c e d e m a n d e u n e d a c ty lo , d e u x


le m o tif logiq u e et s u f f i s a n t ^ un s p e c ­ c en t p o stu la n te s se p r ése n te n t, so u s
ta cle de plus' d ’une h e u re et d e m ie . Le ■- le u r ; p o id s r e s c a l i e r s ’ell'ondre; résul­
scé n a r iste serait retou rn é 'chez Jui en t â t : m orts et blessés': Autre r é su lta t :
se d isan t q u ’en fin d e co m p te le p r o ­ d e u x m etteurs en s cè n e , d e S a n tis et
d u c te u r d evait a v o ir ra iso n . II se serait G énina, tou rn e n t tou s les d eu x en ce
re m is à,l-'adaptation du d e rn ie r « hest- m o m e n t un film sur c e sujet q u i parait,
seller .» et le sc é n a r io d é m e n t aurait à p r e m iè r e v u e , a u ssi p e u c o n v a in c a n t
en tam é d a n s le d o ssie r des reb u ts un que l'autre, c_ In v en ter deux cent d ac­
so m m e il définitif. ' ■ - tylos en c h ô m a g e , le s faire se r e n c o n ­
Mais voilà, le sujet de Four.teeivHours trer au m ê m e m o m e n t's u r un m êm e es-
n ’est p a s in v en té. . Ï1 s ’agit d ’un fait ; c a lie r d a n s le seul but d e fa ire s ’écrou-
d iv e r s a b solu m e n t a u th en tiq u e et qui. ■ 1er le d it e sc a lie r, c ela re lè v e d ’une
d éfraya la c h r o n iq u e n e w y o r k a is ë il im a g in a tio n d é v e r g o n d é e . .
y .a q u elq u es m ois. D e s m illie r s d e s p e c ­ T out cela .d o n n e à p e n s e r s u r 1 les
tateu rs rasse m b lé s au p ie d de l ’im m e u ­ lim ite s de notre p o u v o ir de c r é d ib ilité
ble, tr a g iq u e et d e s m illio n s d e télé-' et n otre fa cu lté à re to u r n e r n otre veste
sp ecta teu rs gro u p és d e v an t le u r s éc r a n s' d evan t le s ju stifica tio n s d e c e que n ou s
.de verre b om b é, p u r e n t su ivre, m inute a p p e l i o n s , très g r o ss iè r e m e n t la réa-
après m i n u t e r i e s m o n o to n e s p é r ip é tie s lité. .. ■
de c e s in g u lie r d ram e d e la rue. Ils so n t b ie n v a g u e s, n o s critères!
P eu im p o rtait alors p o u r le p r o d u c ­ d ’a u th e n tic it é et n o s n o tio n s sur c e qui
teur que . ce soit la réa lité qui so it in ­ est. « filmable. » ou n o n , q u ’ils c èd e n t
v ra isem b la ble, ca r le bruit so u le v é p a r d e va n t la p lu s b an ale d es p r o p o s i t io n s :
l’in c id e n t a ssu rait d ’a v a n c e au film lè « c ’est a rriv é ». . , - ,
b énéfice d’une: large- c a m p a g n e de p u ­ E n effet p o u r q u o i d is s im u le r p lu s
b lic ité fo u r n ie gra tu item en t p a r le s lo n g tem p s q u ’à la p r o je c t io n d e F o u r-
tro m p ettes béantes' de l ’actu alité. U n teen Hours « on m a r c h e 2>. aussi longr
in c id e n t s im ila ir e — d a n s so n in v ra i', tem p s que dure le film san s m ê m e avoir,
s e m b la n te — v ie n t d ’avoir, en Italie, la r esso u rc e, une fo is la lu m iè r e r e v e ­
de s e m b l a b l e s ’efl’ets. Il s ’agit , d e l ’a c c i ­ nue, de se d ire que tout ça c ’est b ie n
d ent de la Via S a voia à H o m e : une- joli, bien a n g o is sa n t, m a is que « d an s
la v ie ç a n ’arrive p a s ». Ce qu’il ser a it ch a u ffeu rs d e t a x is q u i p a r ie n t sur le
in téressant, d e ço n n a itre ce so n t le s sau t oil l’ab se n c e de saut, d u o d e d e u x
r é a c tio n s du sp e cta te u r non p rév en u , tou rtereau x à q u i cette m o rt en éq u ili-
de celui, qui: ig n o r e ra it l ’h is to r ic ité du bre au trente c i n q u i è m e 'étage aura
fait. M arch erai t-il ? Ou b ie n le s q u el- d o n n é l ’o c c a s io n d ’u n e re n c o n tr e , d ’un
q u es r é fle x io n s qu ’ils se ferait d é tem p s flirt r esp e c ta b le et p e u t être d-un am our
en tem p s p a r d e v e r s lui, durant là pro- ' b ie n sage. V o u s - v o y e z b ie n , m o n sie u r
je c tio n . du gen re : « ils y vont un p e u le p r o d u c te u r sc e p t iq u e , que c’était un
fort », n ’in t r o d u ir a ie n t-e lle s p a s d a n s bon sujet.
so n a tten tio n et ses p o s s ib ilit é s d é ré- A jo u to n s que le film e st ex tr ê m e m e n t
c e p tiv it e d e s fa ille s suffisantes p o u r -b ien fait. H a t h a w a y s ’est a ttach é d ’une
ro m p r e le Charme ? . p a rt à re c r é e r le p lu s p o s s ib le le sty le
D e toute fa ç o n I’ « averti » est s o u s (les « a ctu a lité s > et d ’autre p a r t à
le c h a rm e .' Il suit, en v o û té, le déroule- fa ire du reb o rd d e la fe n ê tr e u n lieu
m e n t d e la tr a gé d ie, é p ia n t ch a q u e t r é - , d ra m a tiq u e d é p o u illé et sobre; où le mi-
sa ille m e n t d e s m u sc les d u v is a g e du c r o s c o p e d e so n o b je c t if n e d éco u v re
h ér o s, gu ettan t ch a q u e p h a se du dia- que d e s g estes « u tiles > en éca rta n t
lo g u e entre c e lu i-c i et le d er n ie r fil qui toute fioritur.e m é lo d r a m a tiq u e . Il y a
le r e tie n t a la v ie : la sy m p a t h ie b o n - , p a r fa ite m e n t r é u ssi,
h o m m e et a tten d rie d'un b rave ser g en t f R este le p r o b lè m e d e s « d e u x fins » :
de v ille et rejette av ec eu x d a n s l’om b r e c elle d e la m ort (a u th e n tiq u e) et c elle
du m é p r is les v a in e s g e stic u la tio n s d é s du sau vetage (in v e n té e p o u r le s âm es
c o m p a r s e s qui son t i c i u n e m èr e p ieu - s e n sib le s ). Le p l u s c u r ie u x c ’est que,
rante, p re sq u e ig n o b le, un p è re iv r o g n e . m ê m e v u es l ’un e a p rè s raut.ro. elles pa-
p r e s q u e : in d i g n e , u n e . fiancée e m p o té e r a i s s e n t é g a le m e n t lo g iq u e s et a cc ep -
p r e s q u e to u c h a n te , un c h e f de la p o lic e tables. Et n o u s q u i p e n s i o n s q u ’un scé-
agité p r e sq u e in c a p a b le et d e u x p sy - nario b ien c o n str u it c o n d u is a it à u n e
c h ia tr e s très savan ts et tout à fait rid i- seule fin p o s s i b le et p a s à une autre !
cu ïe s. E n to ile de fo n d le c h œ u r de la V oilà qui est b ie n déra n g ea n t,
tr a g éd ie e st d a n s la rue : c h œ u r des r F r é d é r ic L a c lo s

UNE FORME D ’ORNEMENT


PR IN C E BAYAYA, film en A g facolo r d e j m i T r n k a . Scénario : d ’a p rès un
c o n te de B. N em co v a . Poèmes : V, N ezval. Musique : V. Trojan. Production : F ilm
T c h é c o s lo v a q u e d ’Etat, 1950. Distribution ; P r o c in e x .

« Je ne suis pas un cinéaste, seule­ m êm e fini a v e c le s fa u ss e s é ta n ch éité s,


ment un illustrateur » dit Trnka. théâtre ou c in é m a , p e in t u r e o u c in é m a .
Comme si ce n’était pas un des pou­ A ussi a v e c lé c in é m a , art d u m o u v e ­
voirs fondamentaux du cinéma, ce. don m ent. Ce n ’e st p a s p a r c e que la cam éra
du temps qu’il est seul capable de faire y b ou ge (au c o n tra ire , m o in s elle bouge,
à volonté au dessin, à la peinture ou à m ie u x ç a v au t) que lés film s d e R esn a is
l’imagerie. Comme si l’acte par lequel sur des p e in t r e s so n t d ’ab ord d u c i n é ­
. il élague le temps lui-même de ses ba­ ma. C’e s t p a r c e q u ’enfin le tab leau s'y
vures et de ses brouillons: pour nous v o it re stitu é un t e m p s q u i lu i ap p ar­
livrer en deux heures une vie exem­ t i e n t C’est que la d u r é e d e so n a ctio n
plaire, épurée, comble de ce qui lui n ’e st p lu s c o m m a n d é e p a r le te m p s du.
manquait, le style *— comme si cet sp e cta te u r , q u i est s u sp e n s io n , m a is p ar }
acte ne trouvait pas sa contrepartie et le tem p s d é l ’écr an , q u i est p a rco u rs.
son équilibre dans Pacte inverse, celui E t le c h a r m e o p è r e d a n s la m esu re où
par lequel dessin,'peinture ou imagerie, p o u r la p r e m iè r e fo is, g r â c e au c in é m a ,
qui, sont style pur, auxquels manque le le p e in tr e , l’œ u v r e et le sp ec tateu r on t
; temps, le retrouvent et nous touchent un é lé m e n t c o m m u n , c o n n a is s e n t un.
par un nouveau biais, un autre commun r a p p o rt d y n a m iq u e , e i sp n t c o u su s p r o ­
dénominateur qui n’est plus la contem­ v is o ir e m e n t d a n s la m ê m e peau.
plation (jamais le mot de spectateur L es illustrations de T r n k a p r o c è d e n t
n'est moins à sa place qu'au cinéma) du m êm e ch a rm e. E t la- s i m p li c it é de
mais la participation. On en a tout de l ’h isto ire , là le n te u r du tem p s sem b le n t
Prince S a y a y a de Jiri T rtik a.

b ie n co n firm er que le c in é m a ic i est so y o n s juste,. T rn k a a u n , atout su p p lé ­


affaire de nature et n o n d e m o y e n s . II. m en taire : l a t r o is iè m e dim ension.. La
sem b le q u ’en effet le d o n d e se p r o ­ m a rion n ette battra à tou s c o u p s le d e s ­
m en e r, librem ent, d an s l'im a g e r ie f é e r i ­ sin dan s cette e n tr e p r ise , d e m e r v e il­
que, de p a r co u rir l'autre m o n d e , sè leux, p a r c e q u ’en 1951 la p r e m iè r e
suffit à lu i-m êm e et e x c lu t cette ro u er ie , _ c o n d i t i o n 1 du m e r v e ille u x , c ’e st le
ce d a m ie r d'effets et d e snspcnse a u q u el con cret. P e r so n n e ne p e u t p lu s m a r c h e r
recou rt, p a r ex em p le, Mr. D is n e y (bien d a n s la gaze et l'a p p a r itio n , et, m ie u x
p er su a d é, lui, et à juste titre, que le en co r e que Miracle à Milan et Gerald
seu l fa it de p a r co u rir, so n u n iv e r s en Me Boing Boing, le s m a r io n n e tte s de
- p a p i e r p e in t ne suffirait p as à e n v o û te r Bayayà s'a p p r o c h e n t d e la p o é s ie d a n s
le clien t). Mais la c o m p a r a iso n a v ec la m esure où elles s'a p p r o c h e n t de
D is n e y est. trop fa c ile m e n t a c ca b la n te l ’objet. ' ,
p o u r c elu i-c i, et serait un trop fa ib le E t c'est b ien à ce la que n o u s p e n s o n s
h o m m a g e p o u r Trnka. O p p oser . les en quittant B a y a y a : à une form e p r e s ­
b r u n s r ich es, les rou ges graves, les g ris que o u b liée d’ornement. Un o rn e m e n t
et le s b is tr e s de B a yaya aux e c c h y m o s e s q u i n ’est plus, c o m m e ce qu e n ou s
l y r iq u e s d e Fanlasia, p a r e x e m p le , ne c o n n a is s o n s sous c e n o m d e p u is les
suffirait p a s à céléb rer ce r a c h a t de b asses ép oq u es, un- se cte u r in fé r ie u r de
toutes le s te in te s sacrifiées, l’o r d r e el l'art, u n e m o n n a ie d e la b eau té — m ais
la v o lu p té de ce luxe. O p p o ser la mu-, ce qu ’il est d a n s le s h a u te s ép o q u es,
siq u e d e Trojan à celle d e C hu rchill au M oyen-Age ou d a n s le s so c ié té s p r i­
c o m m e v ic to ir e du th è m e p o p u la ir e sur m itives, une v ale u r de c iv ilis a tio n , un
l ’air à su c c è s n'en d ir a it p a s assez sur h o m m a g e co n sta n t r en d u à la c r é a tio n
la; n o b le s s e de cette m u siq u e (et c e s en l ’im itant. D e m ê m e q u e l’a m p leu r
v o ix a c id e s po rtées sur u n e o r c h e st r a ­ et la m in u tie du d é r o u le m e n t d e 1 h i s ­
tio n savan te , co m m e d es a n g e s de c a ­ to ire n o u s r a p p e lle n t le s r o m a n s du
th é d r a le s). D u m o in s, les efforts d ’in ­ M oyen-Age, où l’é m e r v e ille m e n t v ie n t
g é n io s ité par le sq u els D is n e y c h e r c h e , autant d e la d e s c r ip tio n , de l ’a p p r é ­
a v e c fo rce trucs, à n ou s faire c r o ir e à h e n sio n c o n c rè te d'un d é c o r , d'u n e ar­
ce q u ’il raco n te, o p p o s é s à la s i m p li c it é m u re o u d'un coi'ps» q u e d es surpr ises
de p r o p o s d e Trnka, aussi a l ’a ise d a n s d e l ’aven tu re (les u n es et les -autres,
les lim ite s de so n « illu stra tio n » q u ’un r e n v o y a n t d'ailleurs, p a r le tr u c h e m e n t
tab leau à l ’in tér ie u r de so n c a d r e ,,m e t ­ d é la sy m b o liq u e , au m ê m e absolu) —
tent en é v id e n c e ce p a r a d o x e p a r le q u e l de m êm e ce s o u c i d ’in v e s tig a t io n d e la
l ’u n iv e r s de D is n e y reste ferm é sur lui- beauté, q u ’il a p p a r a is se s o u s fo r m e . de
m ê m e , alors que le m o n d e d e T rn k a bru n s-rou ges ou d ’a c c o r d s de n e u v iè m e ,
d é b o u c h e sur le nôtre. E t là -d e ssu s, nous r e n v o ie au p la i s i r d ’o rn er, au

67
p la i s i r d ’en lu m in e r , à lin p la is ir q u ’on p a s s'attard er s o u s un ch a rm e, il veut
aura te n d a n c e à n o m m e r gratuit p a r c e vite en f a ir e le toü r — et. n o u s n e sa­
q u e c ’e s t le seul justifié, lit si, tout en v o n s q u e trop à q uel p o in t il est défa-
lu i c o n c é d a n t to u s ses ch arm es, c e r ta in s ; v o risé, so u s le r ap p o rt du tem p s, v is-
ont r e p r o c h é , à Bayaya sa « lenteu r à -v is du b œ u f p o u r la c o n t e m p la t i o n , , .
c ’e st un p eu triste, m a is c ’est aussi un. et v is -à -v is d e la g r en o u ille p o u r la-
av eu . L 'h u m a in du XXe siè c le n 'a im e v o lu p té. ■ C h ristia n M ark er

LES BIZARRERIES DE LA TU D EÜ R
NO' SAD; S O N G S -FO R ME (LA. FLAMME QUI S'E T E IN T ), film de K vir. .>•»
M a té . Scénario■■ : Ilow ar d K o c h d ’a p r è s le r o m a n d e Huth S outhard. Images :
J o s e p h W a lk e i. D é ç o is : L ou is O iage. Musique ; G eorge D u n in g . Interprétation ■>,
V ive ca L in d fo rs (C hris R adn er ), W en d e ll C orey (Brad S co tt), M argaret S u ü a v aii
(Mary S co tt), N a ta iie W ood (])oJ]y>. Production .* C olu m b ia, 1951. J

U n e jeu n e fille q u e 1 l’on m e n a au ci- d a n s le s p iè g e s d e l’ém o tio n à qui veut


n ém a p ou r la p r e m iè re fo is fut p e u p r e n d r e d u p la is ir à N o 'S a d Songs For
su r p r ise de la la id eu r de Gérard I'h i- i/e. ! 1
lip p e . C o m m en t résister ail r ôle de..:, On n e rega rd e la figure d ’une fem m e
pu de... ? Son . c œ u r in g é n u s ’e n fla m m a , qu e , s i l’o n d ou te de son am our. La
.elle o u b lia ju sq u ’au n o m même, d e c e tte b eauté d e c e film; est la cer titu d e où
la id e u r et pleu ra , car on. e n te n d it d e s n o u s s o m m e s du c œ u r d e M. Margaret
f e m m e s d an s la salle s ’écr ie r q u ’il S u llavan . E lle n'a d e rem arq u ab le que'
jo u e b ien . Quelle erreur. S ten d h a l n o u s le s b iz a r r e r ie s d e sa pu d eu r. C'est une.
r a p p e lle q u e « la beauté est T e x p r es- fe m m e p l e i n e d 'im a g in a tio n et, partant,
si on du caractère, ou, au trem en t d it , m éfian te et ten d re . C om m e les jeu n e s
d eë h a b it u d e s m o ra les et q u ’elle est p a r a m é r ic a in e s ,- elle ta ille ses se n tim en ts
c o n sé q u e n t e x e m p te de p a ssio n ». Tl est sur le p lu s a d r o it p atro n du b o n h eu r,
p o u r ta n t sûr, par u n e cu r io sité d o n t le II se tro u v e d o n c que le d éc o u p a g e
c i n é m a est p ro d ig u e , qu ’il faille to m b e r c l a ssiq u e o b tie n t ic i u n e gran d e fo rce

Rudolpli Maté, No Sad Songs. For Me ■: Vîveca l,iiidïors et Margaret. Sutlavan;.


d e p s y c h o l o g ie . E n c o r e q u ’il n é g lig e No Sad Songs For Me est u n film très
l'e sp a c e , il p e r m e t , d é serrer l ’a c tr ic e s im p le . N o u s d is o n s : « cette fem m e...
d e p lu s p r é s, p u is ' d ’entrer d a n s s e s et V o y o n s à g r a n d d é c h ir e m e n t a v o ir
tr o u b le s in térieu rs. Quelques g r o s p ia n s p r é d i t sa mort p a r c e s p a ro le s. Le c in é -
; d e Ms. Margaret S u llavan en s o n t l ’iL m a se d eva it d e jouer u n e fo is a v e c ses
lu stratio n . L’effet n e rv e u x q u ’ils p r o - p r o p r e s d o n n é e s. Un a m i a p p r it à - l ’hé-
d u is e n t v ie n t du degré d ’é g a r e m e n t roïrie q u ’elle a lla it p r o c h a in e m e n t mou-
qu’ils p r é sen te n t. Ils ne nous d o n n e n t rir. E lle eut d e la d iffic u lté à le cr o ir e
que d e s in c e r titu d e s sur ce q u e Tac- m a i s ise r e n d it à ses r a iso n s e t rentra
tr ic e so it de sang-froid. On n e p e u t p a s ch e z elle en p e n s a n t tro u v er du s e c o u r s
d o u ter d e la , v érité de. cet elFet p lu s ou, au m o in s , d e la tr a n q u illité p u is q u e
q u e se m o q u e r du désarroi, a u tr e m e n t l ’affa ir e d ’am o u r qui l ’en a v a it é lo ig n é e
dit, d e s illu s io n s que le b o n h e u r su p - n e s ’était p a s s u iv ie . E lle fut a sse z lion-
p o se. . n ê te p o u r n e p a s s e p la in d r é . Le m a n -
À in s i le c in é m a joue, a v e c lu i-m ê m e . ■ que d ’;m a g in a tio n l'e m p ê c h a : d e v o ir
Art d e la re p r ése n ta tio n , il ne sa it d e la d a n s l'é lo ig n e m e n t a utre c h o s e qu'un
v ie in té r ie u r e que les m o u v e m e n ts pré- p la i s i r friv o le. P a r fo is, le d é sa g r é m e n t
c i s et n a tu rels d ’acteu rs bien e n tra în é s, d ’une lia is o n trop lo n g u e tro u v e a in s i
La ja lo u sie, le m épris, t o u s , les haut- q u elq u e b o n h eu r. Il y a d ’a d m ir a h les
fa its du c œ u r d o iv e n t s'o b ser v er su r in t r ig u e s ou le s a c te u rs ch a n g e n t
d e s g e stes b r u sq u es et n o n c h a la n ts, p a s - d 'id é e s c o m m e d e robes. D a n s c e film
s i o n n é s et lents. Le c in é m a s p é c ifié .la e l le s s ’e n lè v e n t au c o n tr a ir e et se d é ­
réalité. Il lu i serait v a in d e fa ir e , d e fon t. C o m m e dans. u n e m a iso n d e cou-
■ l' in s ta n t p lu s que ce que l'in sta n t m ê m e ture. e lles n ’e x is te n t que le tem p s d e
c o n tie n t. C o n trairem en t aux id é e s re- leur e x p o s itio n . P a r m a n q u e d ’im p or-
ç u e s, on v o i t qu’il n ’y a p a s de b elle ta n c e le s s e n tim e n ts d e cette fem m e se
m ise en s c è n e san s un beau s c é n a r i p .v so n t d é c h ir é s p o u r u n rien.. Ils d e v in -
P la to n d is a it que la b eau té est la spleri- ren t s i frag iles q u ’elle se brisa le cœ u r,
d e u r de la vérité. . \-v , Ms. Margaret Su lla v a n m eu rt p o u r finir
Si le d estin et la m ort so n t le s tliè- d ’é p u is e m e n t à l’in s ta n t où, ay a n t perd u
m e s c h o y é s p a r le ciném a , il faut b ie n sa van ité, elle se tro u v ait m a lh e u r eu se
qu'il y ait d a n s cette p r é se n t a tio n sqi-. en atou rs d e jeu n e m a r ié e m o d è le . Le
g n e u se m e n t réglée qu ’e s t - l a m is e en film finit a u ssitô t : ^le c in é m a -s’étant
s c è n e la d é fin itio n m êm e de la c o n d i- p iq u é à so n p r o p r e jeui .
tion h u m a in e . ./ H ans Lucas

NOTES SUR: D ’AUTRES' FILMS V


KISS TOMORROW GOODBYE (LE d a n s un registre de c y n is m e et d e bru-
- FA U V E E N L IB ER T E), film 'd e G o r d o n ta lité fe r m e m e n t sou te n u , un du r qui
D o u g la s. Scénario : Iia r r y B r o w n , n o u s d o n n e p r e sq u e la n o sta lg ie d e ces
d ’après, le ro m an d e H o ra ce Mac C oy h o r s-la-lo i n on d é p o u r v u s 'de qu elq u e
^ K iss T o m o r r o w G oodbye ». Images .* , , , Sec rè te gra n d eu r q u ’in c a r n e d ’h a b itu d e
P e v e r e ll Marley. Musique : C arm en H um nlllTe v Roffart C^est nussi c elle de
D rag o n . Interprétation : J am es C a g n e y ^ m p h r e y iiogart. U est a u ssi c e lle de
(R a lp h Cotter), B arbara P a y to n <Holi- ieter un j o u r - p é n ib le sur u n e fa u n e a
d a y ), Margaret D o b s o n (H elen a Carter), l ’in t é r ie u r d e , la q u e lle la n o ir c e u r d e s
W a r d B o n d (Insp ecteu r W eberj. Pro- -/.p lu s m a u v a is e st m o in s a lar m a n te que
d uct ion : W a r n e r Bros, 1951. ‘ l’éq u iv o q ù e allu re- d e s - rares autres.
./ , ;■./; /- ' C om m e d a n s Asphalt Juugle, tou t • le
U n s c é n a r io co h éren t, . a d r o it e m e n t m o n d e p r a t iq u e m e n t b a ig iie : d an s T illé -
m onté, r ec o n stitu e, . à p a rtir d e la ga lité ou l ’im m o r a lité (e x c e p t é le gra n d
m a in te n a n t tr a d itio n n e lle salfe d'A ssi- c lie f d e la p o li c e à p e in e en tr ev u d a n s
ses, le s a v e n t u r e s ’d ’un convict d u jour so n b u reau du-Q.G. enti*e d e u x b a n n iè -
d e s o n é v a sio n du p é n it e n c ie r à c e lu i r e s éto ilé es, et la jeu n e m ill ia r d a i r e q u i
• d e s a ’ mort. L ’h is to ir e et; la r é a lisa t io n n ’a v r a im e n t p a s b e s o in d ’être m allio n -
so n t c e lle s d'un bon. p o lic ie r m o y e u . nête). *
C’est d ’a b o r d l ’o c c a s io n p o u r J a m e s Mais il y a m o in s d é h a r d ie s s e d a n s
C ag n e y d e c a m p e r une fo is de plus, to u t ce la q u ’il ne se m b le ra it à p r e m iè r e

69
v u e. Ce n ’est p a s p a rc e que s ’étale au m o n s ie u r d o n t on dit, d a n s les d ia lo ­
b a n c de l'a c cu sa tio n u n e b r o ch ette im ­ gues, q u ’il p e u t « é cr a ser y n ’im p o r te
p r e s s io n n a n te d ’in c u lp é s v e n u s d e m i ­ q u i (a v ec to u te s le s a p p a r e n c e s d e la
li e u x fort d iv e r s et. d e p r o f e s s io n s h a b i­ lé g a lité ). A un autre m o m e n t : « D a n s ,
t u e lle m e n t p eu co m p a tib le s a v e c l'état d e u x h e u r e s, se s hom m es serb n t à tes
d e c r im in e l que les m u rs s o n t r e n v e r­ trou sses. Ils t’au ron t ». On d ira it qu ’il /
s é s et le s p la f o n d s crevés. Au c on tra ire. s ’agit d ’un c h e f d e gang.
L ’e sp r it su b v ersif est d é sa m o r cé . T o u s U n fa u v e e n lib e rté ? Qu’est-ce que
ces m a u v a is e x e m p le s se r v e n t de ce la a d ’é to n n a n t en p le i n e j u n g l e ?
r e p o u s s o ir à l’h o n o r a b ilité de l’i m ­ J. J. R.
m e n s e m ajorité qui b o u r d o n n e h o r s de
l ’é cra n . Inutile d ’in sister sur le p r o ­
blème, d e la c o m p r o m is s io n , au c in é - : LA P OISO N, film de S a c h a G u i t r y .
Scénario^ dialogues : S a c h a Guitry.
m a, d ’une c e r ta in e ra ce d’av o ca ts. Ce
Images ; Jéan B ach elet. Décors ; R o ­
n ’est p a s n ou veau . Le cas des p o li c ie r s b ert D u m e sn il. Musique : L ou ig u y. In ­
v e n d u s e st déjà p lu s ra re ..M a is il s ’a g it terprétation M ich el S im o n (Paul Bra­
i c i d ’u n e ’, adaptation d ’un liv r e d ’Ho- c o n n ie r ), G e rm a in e Reuver1 (B lan d in e),
ra c e Mac Coy; et l’on sa it q u ’on fait Jean D e b u c o u r t (A ubanel), J ea n n e Fu-
p lu s so u v e n t bon m a rc h é .d e l'in tég rité sier-Gii* (ia fleu riste), P a u lin e Carton
d e s h o m m e s de p o li c e , d a n s la S érie (la m e r c iè r e ), J a c q u es V ar en n es (le
N o ir e , q u ’au c in é m a (ce lu i-çi e s t so u m is p r o c u r e u r ), Ja cq u es d e F e r a u d y (Mon­
sie u r B r u n ), M arcelle A rnold (Ger­
à d es in ter d its p lu s r e strictifs que l'é d i­
m a i n e ) ' : Production. : P a u l W a gn er-
tio n , étant jugé plu s d a n g e r e u x .p a rc e S.N.Ë.G., ,1951. Distribution : G aum ont.
qu e p lu s suggestif, d ’u n e in f lu e n c e p lu s
Je n ’ir a i p a s ju sq u ’à affirmer, c o m m e
d ir e c te sur l’e sp rit d e s m a s se s). Cet l ’a fait J e a n -P ier re Y ivet d a n s L’O b s e r -
in s p e c te u r , c h e f d ’un im p o r ta n t se r v ic e , vATEunj q u e La Poison est un d e s m e il­
n ’est p a s s im p le m e n t un flic m a la d r o it leurs film s fr a n ç a is d e l ’année. Mais
et m a lc h a n c e u x qu i se sera it la is s é en~ p o u r q u i c o n n a it l’a b se n c e q uasi totale
tr a în e r , d a n s un e c o m b in a is o n lo u c h e d 'in térêt d e s filins que S a ch a G uitry
s o u s la m en a ce du cha n ta g e. C’est u n e tou rn e en s ér ie d e p u is q u elq u e s > an­
brute actiye. Il ra n ç o n n e les m a lfa i­ nées, c e lu i là est à "coup sûr une b o n n e
su r p rise. La réa lisatio n en est p o u r ta n t
teurs d o n t il a p p r en d le s m a u v a is
d ’u n e g r a n d e p la titu d e, d’une m é d i o ­
c o u p s, n o n sa n s les in t im i d e r p r éa la ­ cr ité ( so u te n u e et d ’une m é la n c o liq u e
b le m e n t par un v ig o u r e u x p a s s a g e à p a u v reté, l ’in ter p r éta tio n — M ichel S i­
tabac. " , m o n m is à part — très o rd in a ire , les-
E n c o r e une fois, qu ’est-ce que c ela « m ots » m ê m e du « m aître » ne so n t,
_ p r o u v e ? U n e b r e b is ga le u se n ’a ja m a is p a s très d r ô le s — serait-ce- p o u r une
o r e ille in d u lg e n te... m a is la s im p le
en tra în é ni m êm e c o m p r o m is le trou ­
v ertu d ’un sc é n a r io re la tiv e m e n t o r i­
p e a u , m ie u x affermi sur ses b a ses e t . g in a l et a u d a c ie u x f a it que ce film —
c o n fir m é d an s sa b o n n e c o n s c i e n c e tourné en m o in s de, q u in ze joiirs et
a p r è s l ’e x c lu sio n du m em b r e in d é s ir a ­ p o u r p e u d 'argent — \ attire p lu s l'at­
ble. ■■ , : ten tion q u e n o m b re d e g ra n d e s p r o d u c ­
P lu s in q u iéta n te est la r a p id e - i n c u r ­ tio n s f r a n ç a i s e s d e 'c a r a c t è r e d it s i n ­
ter n a tio n a l s>. L’au d ace est p o u r ta n t
s i o n d a n s la so c ié té « h o n o r a b le ». La s im p le : elle c o n siste à affirmer que le
v io l e n c e , la c o e r c itio n , p o u r u se r de c r im e p a y e - p a r f o is , à m on trer un a v o ­
m o y e n s p lu s d é to u r n é s m a is p lu s ir ré­ ca t « m â c h e r » in v o lo n ta ir e m e n t lê
s istib le s, se m b le n t n ’y être p a s m o in s tra v a il du futur a ssa sin et à fa ire ac-
im p la c a b le s. Lé g ra n d in d u s tr ie l a une q u ite r tr io m p h a le m e n t c e lu i-c i u n e fo is
en ve rg u r e c o lo ssale , sa fille e s t u n e q u ’il s ’est d éb a ra ssé de sa fe m m e d'uti
c h a r m a n te jo u v e n c elle d ’e sp r it u n p e u bon c o u p d e cou teau de c u is in e d a n s
in d é p e n d a n t certes, m a i s si d r o its, si le lard d e l’a b d o m en . Le sty le « r é a ­
liste » d e la p rem ièr e p a rtie du film
cla ire, &i optimiste... Il est m illia r d a ir e ,
d o n n e u n e c e r ta in e sa v e u r à. cette îjli-
ex -g o u v er n e u r. ex -S én a téu r U.S. Il est dacc, m a i s à p a r tir du p r o c è s le film
co n sid é r é . Ce n ’en est p a s' m o i n s un to m b e d a n s la p a ro d ie et l ’a u d a c e a v e c .

70
M ich e l Sim on e t G e rm a in e ïUmvar d a n s La Poison de Sacha G u itry. - B ern ard Iilier et D atiielle D a rrie u x
. d a n s La M a is o n Bojinadieu de Carlo Rïm.

Seul M ich el S im on reste rem a rq u a b le et que n u l n ’est m i e u x ser v i que p a r


jusqu'au b ou t et n o u s a id e à c r o i r e g u é so i-m êm e, il n ’en re ste p a s m o i n s q u ’il !
le- film est b ie n s ig n é du n o m d ’un d é ­ n ’y a au cu n c h e m in s p é c ia l 'pour
b u ta n t-réalisateu r qui fit ja d is l ’e x c e l ­ c o n d u ir e à la ré a lisa tio n , il faut en
lent Roman d ’un tricheur. p ^ a v o ir le te m p ér a m e n t. Le résultat -.c'est
que d a n s La Maison Bonnadieu,' il y a
• . des « rô les », m a is il n'y a p a s de
LA MAISON B ON NA DIEU , film, de « c a r a ctè re »; le s p e r s o n n a g e s ne' v i- '
C a ri,o R i m . Scénario, dialogues : Carlo vent ja m a is d e l ’intérieur,- ils g e s t ic u ­
■Riml Images ; N ic o la s Hayer. Décors : lent sa n s que cette g e stic u la tio n ait le •
M aurice Colasson. Musique :■ G eorges m ér ite d'être st y lis é e c o m m e lés film s
Yan P a ry s. Inierprétatign : D a n ie lle de Clair. ■ . . .
D a r r ie u x (Mme B o n n a d ie u ), B ern ard C eci dit, La Maison Bonnadieu n o u s
B lier . (B o n n a d ie u ), Y ves D e n ia u d p e rm e t d ’a d m ir e r u n e fo is d e p lu s le s
(MouiT.e),' F r a n ç o is e .A rnoul (L ou isétté), q u a lités de c o m é d i e n n e d e D a n ie lle
Berthe B o v y (Mme R a m a d in ), M ichel D a rrieu x , qui n e s e m b le i c i que r é p é - ‘
F r a n ç o is (P ascal Mascaret)', Marthe ter mezzo vocce une c h a r m a n te c o m é ­
M ercad ier (C lorinde). Production .^Les die.... à jou er p lu s tard, m a is e lle le fait
F ilin s M arceau, 1951. av ec u n e g r â c e ch a r m a n te. F IC
Carlo R im en eut assez un jour de
11’c ‘re q u ’un b o n sc é n a r iste et; d é c id a
' •
de d e v e n ir a u ssi un b o n réalisa teu r. Il . CHICAGO D IG E S T (D Ü SANG DANS
n 'es t p a s le p r e m i e r s c é n a r is te ; q u i LA SCIURE), film dé' P a u l P a v i o t . S c é - ' 1
s ’é c r ie un ' b e a u m a lin « E t m o i aussi nario : ■ L ou is Sap'in et Albert V id alle.
je su is r é a lisa t e u r ! >. Cette ten ta tion Images : Yv'an B o u rg o in . - Interprétà-
to u c h e tôt ou . tard tous c e u x q u i' tou r­ lioà : D a niel Gélin, A nne Camp ion,
n e n t a u to u r-d e la ca m éra ,1 un b ea u jour Maria R iq u e lm e, M ich el P ic c o li. Pro­
ils v e u le n t la fa ire tou rn er. D o n c Carlo duction : L es F il m s M arceau 1951.
R im fit L'Arm oire volante, tr è s bon Les Luger p a rte n t to u t seuls. L es fH.les .
film c o m iq u e où; l e ré a lisa teu r était
s ’oiTrent. S lim , le G-.Man, traverse les-
su rto ut au se r v ic e du scé n a r iste . A v e c
La Maison Bonnadien l ’e n tr e p r is e est b a s-fon d s c o m m e M oïse la Mer; R o u g e .
p lu s c o m p l e x é et la réu ssite e st m o i n ­ (il a fait un p a c te a v e c lç. S eig n e u r ).;1
dre. Carlo R im s ’est b ien serv i, son Les tubes d e d r o g u e sautent; a u x n a r i­
« h is to ir e » est b o n n e et la «: m is e en nes... D a n s cette p a r o d ie d e s film s 0 0 Li­
s c è n e » d e cette h is to ir e est correcte... cie r s et d e s r o m a n s d e l a ' S é r ie . N o ir e ,
et p o u rta n t il y a q u elq u e .chose q u i la d é r isio n p a r e x a g é r a tio n systém atir
m an q u e , c e qui . p o u sse r a it à cr o ir e
que des tra its du m o d è le , p o u r être'
q u ’un b o n sc é n a r iste n e fa it p a s . fo r c é ­
m e n t un b o n réalisateur. II. a b ea u se p a r fo is fa c ile , n e s ’en a v èr e p a s moins.
d ire q u ’a p rès a voir v u to u rn e r - v in g t le p lu s so u v e n t e ffica c e. D ’aucun.*, o n t
d e ses s c é n a r io s il a c o m p r is le «truc» p r é ten d u q u ’il y a v a it i c i m a tiè re à
e x tr e m is à la ch a is e é l e c tr iq u e p a r c e
que les p lo m b s sau tent, les g a n g ste rs-
sa lu tistes b ra n d is se n t le s p a n c a r te s du
ra ch a t : croy ez-n o u s, le c r im e n e p a i e
\P a s- ’i :: . ■ j. j. r . '■

JKANNOT - L ’IN T R E P ID E , x d e s s in
a n im é en T e c h n ic o lo r d e J e a n I m a g e .
Scénario , E raine. Dialogues -i; P a u l l
Colline. Images : T c h ik i n e . Décora
T e ssa r ec h , Canale. Musique : R é n é Çloe-
rec. Animation. : B o ü tin , B r eu il, sou s la
d irection' de C ham p eau x. Production :
Les F il m s Jean Im agé, 1950. .Distribu­
tion : C in é-S électio n . - ■
Un assez p au vre critiq u e se r a it c e l u i
Chicago . D ig e st ÇDanieli G clin et A n n e ' C am pion. qui ne c o n fe s se r a it p a s s e s erreu rs. E s- .
lo n g m étra ge; p r o b a b le m e n t l e /c o m i q u e , . sa y o n s de n e p a s être ce c r itiq u e . J ’a i
à tuul prendre; a sse z u n ifo r tn e détur- été; un des c h a m p io n s de Jeannnt l’in ­
trépide, p o u r ' a v o ir v u , is o lé m e n t, la
m in é p a r l’o p tiq u e im m u a b le et l ’écla i- '> sé q u e n c e la m e illeu re , c e lle d e la fê te
ragé p e u Varié d e la p a r o d ie b én éficie- fo ra in e , l’a n n é e d er n iè re , au g ala d u
t-il au c o n t r a i r e . d e s lim ite s du co u rt co u r t métrage. P u is j’ai v u le film a v e c
m étra g e; so n effet n ’a p a s le. te m p s de le s ca m a ra d e s du p r ix Jean V ig o . P u is
s'ém o u sse r n i d e s e d is p e r s e r : : iL-fait j'ai vu que l’on p ré sen te i c i et. là J ea n
balle. Lé ton est d o n n é d è s le g é n é riq u e , Im age co m m e le m aitre du d essin anU
im p r im é -s b r des cartes 4 e g r a n d d eu il. ■ mé eu ro p éen . Et il est vrai q tr il est ie
Les in t e r p r è te s s o n t p r é se n t é s un a un tro isiè m e , sau f erreur, ap rès un D a n o i s
c o m m e un s in ist r e jeu d e m û ssa cre; et un E sp a g n o l, à réaliser, sur c e c o n t i ­
n e n t , un d essin a n im é d e lo n g m étra g e.
c h a c u n d ’eu x n e reste su r l’écran q u e ;
S a lu o n s d o n c cette p e r fo r m a n c e .
le te m p s d e r e c e v o i r u n e d é c h a r g e Il serait .in ju ste d'en d e m e u r e r là,
d ’a u to m a tiq u e d a n s le v en tre. R éjou is- / m a is on est tente d ’être, in ju ste a p r è s
san t défilé en vérité. , de tels élog es (auxquels* h é la s, j’a i n a -
Mais il ÿ a p lu s q u e la p a r o d ie d e la .g u èr e jo in t le s m iensV .dans un m o m e n t
S érie N o ir e : il y a la sa tir e b u rlesq u e d Taberra tio n ). Le s c é n a r io es.t. à p e u
de la m é g a lo m a n ie y a n k e e : « h é n n o r ­ : p r è s in e x is ta n t et, d a n s .la m es u r e où il
m es » d é p lo ie m e n t s de fo r c e s p o l i c i è ­ ■existe, dl est enterré s o u s d e s m o r c e a u x
res, in c u r s io n d a n s, c e m o d e r n e r o y a u ­ de b ravou re, d ont c elu i que j ’a i dit. Il
y a d eu x ou trois d éc o rs ré u ssis, v e r s le .
me d ’A b sù rd ic q u ’e s t le C in ém a, m é ­
début, n ota m m en t c e lu i d es. d a lles noi-.V
th o d e s a h u r is sa n te s d e la p u b licité . res et . rou ges. Le c o m m e n ta ir e n e d é ­
!■/. Les d ia lo g u e s fo u r m ille n t d e c es p a sse p a s le tr a v a il du' c h a n s o n n i e r a i­
c o m p a r a is o n s et d e c e s im a g e s sa u g r e ­ m a b le m e n t doué; L es i n s e c t e s s o n t b ie n
nues q u i f l e u r is s e n t le sty le d e s P e te r v en u s, m a is la.. silh o u ette h u m a in e n e
C h e y n e y et autres H a d l e y C hase; le p a sse p as. Le d essin est Je p lu s s o u v e n t
m é c a n is m e d e c e lle s-ci est te lle m e n t pauvre.. La m u siq u e, q u i d o n n e d e l ’a n i ­
autom a tiq u e, le u r . r é p é titio n telle m e n t m a tio n à ce rtain p a ssa g e s , e t u n e e s ­
p è c e d e p o é s i e fa m iliè re , joue lé r ô le
fr é q u e n té q u ’o n s ’en la s se ra it b ie n v ite.
de la m a y o n n a ise , sa n s suffirô à fa ir e
U n e d es p'iüs d iv e r tis s a n te s tr o u v a illes un sujet , a v e c du m o u v e m e n t sur- du
du film r é s i d e d a n s ces so u s-titres bur- > m o u v e m e n t .. T o u t c e la fa it u n e m o s a ï ­
lë sq u es ou S im p le m e n t h u m o r is tiq u e s que d e courts m étra ges et d e v a in e s
qui tr a d u ise n t d a n s un a utre registre r a llo n g es et tr a n sitio n s, tout cela sen t,
d e c o m iq u e ou d ’ir o n ie d e s im a g e s 'Jéjà à u n e sé q u e n c e et q u e lq u e s im a g e s près.,
fort s ig n ific a tiv e s p a r elles-m ê m e s. \ le tra v a il, à fa ço n h â t iv e m e n t e x p é d ié ,
. L a ;m o r a le ■ enfin n e sa u r a it être ou ­ a v e c qu elq u es m en u e s p r o m e s se s.
bliée, et si. le c h e f du ga n g é c h a p p e in J ean Q uevàl

72
LA REVUE DES REVUES
italie '

BIANCO E N ER O (V ia doi G racch i, R om a, 128) n° 8-9. ~ La b e lle revue de L u ig i


C h ia rin i a ^publié un n u m é ro d o u b le e n tiè r e m e n t c o n s a c r é à R e n é Clair. N o u s
tr o u v o n s .au s o m m a ir e u n e é t u d e d e Mario V erd on e « L ’arte d i R e n é Clair
e x tr ê m e m e n t in té r e ssa n te et d ig n e en to u s p o in t s de la rig u e u r c r itiq u e hab itu elle
à la revue, le s c é n a r io in tégral d u Silence est d ‘Or, un e x c e l le n t c h o i x d e p h o to s
de ce films, u n e film o g ra p h ie et u n e b ib lio g r a p h ie très c o m p lè te s.

PORTUGAL

PROJEÇÀO, C ADERNO S D E CINÉMA (Clube P or tu gu ês d e C inematografia,


C iné-Clube d e P o r to ), n° 3.. — Ce c a h ie r e st c o n stitu é p a r un e s s a i de Manuel de
A zev ed o, in t itu lé « P e r sp e e tiv a do C in é m a P ortuguês ». L’au teu r d r esse un tableau
h is to r iq u e tr è s v iv a n t du c i n é m a 1p o r tu g a is, q u i' v it le jour en 1895 a v e c déjà une
p r o d u c tio n o r g a n is é e ,-é tu d ie so u s to u s'le u r s angles les p r o b lè m e s q u e p o s e la p r o ­
d u c tio n et la d is tr ib u tio n d es film s d a n s so n pays, et m o n tr e .les v o ie s d e l’avenir;
T r è s c o m p le t, a b o n d a m m e n t et fort b ie n illustré, c e p e t i t v o lu m e dpit p r en d r e
p la c e d a n s la b ib lio t h è q u e de to u t c i n é p h i le cu rieu x d ’in f o r m a tio n in tern a tio n a le.

FRANCE .

RACCORDS (15, b o u le v a r d G aribaldi, P a ris, 15e), n° 9. — La m e ille u r e p a rtie de


c e n u m é ro d ’a u to m n e est c o n s a c r é e à Jean Mitry; C elui-ci éta b lit luirinèm e a v ec
p r é c i s io n le s sources d es Images pour Debussy, d ém o n te m in u tie u s e m e n t le m é c a ­
n is m e du film abstrait, e x p liq u e et d éta ille p o u r le sp ec tateu r le s p r é o c c u p a tio n s
q u i o n t été lès s i e n n e s en r éa lisa n t son film. Qn trouvera e n s u ite le d é co u p a g e de
Reflets dans Veau et d 'Arabesque çn Sol, a in s i qu ’une film o g r a p h ie p r o visoir e...
Le reste du n u m éro n e p r ésen te m alh e u r eu sem en t p a s le m ê m e in t é r ê t : d e u x
tex te s su r C h a p lin , l’u n d ’une a g aç a n te ban alité, l’autre fort e n n u y e u x . D e s
« p r o p o s » d ’un c o n se r v a te u r du Musée du L ouvre (dont il eû t m i e u x v a lu , c h a r i­
tab le m en t, taire le n o m ) sur le film h istoriq u e. P rop os, certes, d e b o n n e c o m p a ­
g n ie , -mais fo rm a n t une su ite a sse z é to n n a n te d’a p p r o x im a tio n s c o n f u s e s et de
c o n tr e -v é r ité s c ritiq u e s. Cela; s'a c h èv e a in s i « ...nous a v o n s d é p a s s é l e sta d e d u
film h is to r iq u e où H o l ly w o o d v o u s montrait- L u cr èc e B o r g ia e m b r a s se r s e s a m a n ts
so ù s un ?rév er b èr e à Miami B e a c h ». On d em a n d e la '.référence.
i R E F L E T S P U CINEMA (17, rue d e s P rêtres-S ain t-G erm ain -F A ux e rro is, P a r is ,
11"), n°3 1 et 2. — Le p r e m ie r n u m éro de cette n ou velle p u b lic a tio n est d ’u n e le c tu re
a ff lig e a n te ,.D è s l ’ab ord , un lo n g a r ticle d e M. I. H illeret rebute le le c te u r le p l u s
b ie n v e illa n t, n o n ta n t par. le sujet traité qui p o u v a it être in té re ssa n t, que p a r sa
p s y c h o l o g i e s o m m a ire et so n style in fan tile. E n su ite, on se n o ie d a n s u n e g r isa ille
. qu i fait p r e sq u e reg retter C i n é m o n d e . . . Le num éro 2 (n ovem bre) m â r q u e u n e nette
a m é lio r a tio n . On lit sa n s d é p la isir un rep ortage sans p r éten tio n sur H o l ly w o o d . U n
te x te de C lau d e R e n o ir r e tra c e l ’e x p é r ie n c e du T e c h n ic o lo r faite p a r l ’auteur a v e c
The Hiver. Jean N é r y traite du bu rlesq u e, L uc B érim ont p r o p h é tise l’âge de la T.V.
Mais du cô té de ch ez C hw at, h é la s ] m ê m e in sig n ifian ce . N o to n s e n c o r e u n e
c o n v e r s a t io n e n tre lé R.P. F li p o et C laude Autant-Lara qui a la s a v e u r d e c er ta in s
d ia lo g u e s de sourds.

ANGLETERRE ' "


SIGHT AND SOU ND (B ritish F il m Institute, 164 S h afte sb u ry A v e n u e , L o n d o n
W C 2). Vol. 21, n° 2 o c to b r e -d é c e m b r e 1951. — D ans ce nu m éro, P é n é lo p e H o u sto n
c o n s id è r e l ’év o lu tio n du m y t h e o u d e la m od e du h éros, c o n c r é tis a tio n d e s d é sir s
du p u b lic , reflet:d e so n go û t ch a n g ea n t. A in s i va la « m o d e h é r o ïq u e », du V alen -
t in o ac tif et d o m in a te u r de 1920, à Gabin ou Bogart, m é la n c o liq u e p e r s o n n a g e , v ê tu
d ’un m is é r a b le im p e r m é a b le , égaré d a n s un co in d e s d o c k s ou la p o l i c e v ie n d r a
fin a le m e n t le c u e illir . S o n é v o lu tio n su it très e x a c te m e n t la co u rb e d e la p r o s p é r ité
et d e la c rise, de la s é c u r ité et d e l ’in ce r titu d e, qui c o n d it io n n e n t e lle s - m ê m e s le
goût du p u b lic . C elui-ci a fait le s h é r o s d iv e r s du; c in é m a , ce qu ’il en fera d e m a in
reste à d ev in e r . ' -, - ' .’
Un h o m m a g e à F la h e r ty , a l’h o m m e et à so n œ uvre, est il lu s tr é d e b elle s p h o ­
to g r a p h ie s et r éu n it d e s n o tes de JoZinG ricrson et Edouard S a m m is, et d e s e x tr a its
c r itiq u e s sur so n œ u v r e r e c u e i ll is dans d iv e r se s rev u es "anglaises.
On tro u v era e n c o r e d a n s cette liv r a is o n u n e in t e r v ie w de R ob e rt H a m ë r (qui
te r m in e His ExccMency) par F r ed a B ru ce L ock h art, une b io g r a p h i e d e G m d t h ,
une r a p id e in tr o d u c tio n , p a r Gàvin Lam bert, aux films de J a m e s B ro u g h to u , et
— c o m m e d ’h a b itu d e - -/une c o p ie u s e revu e d es films. .
V ■ M .M . et J .A . .

74
CORRESPONDANCE
. Pierre K'asl nous prie de publier la lettre suivante qu’il a reçu de Georges
Sadoul à propos de son article U ne F o n c t i o n de co n sta t paru dans notre num éro 7.

Paris, 5 D é c e m b r e 1951 « E x c u s e z m o i d e tr a n scr ire ain si,


p r esq u e e n tièr em en t, v o tre p a ra g ra p h e .
Mon Cher Kast, Mais o n p e u t juger q u ’il v a u t m i e u x c i­
Vous écrivez, dans le dernier numéro ter les textes, plu tôt que de le s s o l li c i­
des C a h i e r s d u C i n é m a , N ° 7 : , ter. Et i l : m ’a fallu v o u s lire très
a tte n tiv e m e n t p o u r c o m p r e n d r e que
« La lectu re des 'quelques lig n e s .■fê tais -, ce .« q u a trièm e ». Car v o u s
co n sa c r é e s à Luis B unuel p a r les traités r a c c u s i e z n o ta m m en t, d ’av o ir liq u id é
d ’H isto ire du c in é m a est in stru ctive... B u n u el en d e u x ou' tro is d iz a in e s de
Le plu s a im a b le p o u r B u n u el, un. qua­ lign es, d a n s un m a s sif ouv ra g e d e m ille
trièm e, a d m ire Los Hurdes, m a is tien t p a g e s . Le te x te du CINEMA, H ISTO IR E
Un Chien Andalou et L ’Age d ’Or pour, D ’UN A RT co m p te e x a c te m e n t 350 p a ­
une tr a n sp o sitio n au c i n é m a d é r é c r i ­ ges. J ’y ai c o n s a c r é à B u n u el tr o is p a ­
ture au to m a tiq u e e t .s a n s h é s ite r y v o it ges, c e n t v in g t li g n e s e n v ir o n . Mats
un recou rs à « .l’a b su rd e » et a l’ « i n s o ­ c o m m e j ’y d is n o ta m m en t, en parlant.
lite ». C'est écr it en to u te s lettres. Je -d’Un Chien Andalou, « L a s in c é r it é de
ir ira i p a s -d is c u te r sur 1’ « A b su rd ité » ce gran d cri d e rage im p u iss a n te lui
du ca d a v re ex q u is. Ce n ’e st p a s mon d o n n a sa tragiq u e h u m a n ité », votre
ïliraire. E t p a s d a v an ta g e du co n tre courte c ita tio n m ’a fa it c o m p r e n d r e
sen s sur le mot absurde. Ces h is to ir e s que c ’était b ie n m o i que v o u s m ettiez
du c in é m a so n t m a ssiv e s. Quatre v o l li­ en cause. ^
mes. d ’e n v ir o n m ille p a g e s c h a c u n . E n .
tout so ix a n te lig n es su r B u n u el, dont « Si v o u s av ez lu . ces p a g e s (bien
v o ic i le b ilan . Le seu l des quatre c o m ­ trop c o u rtes à m on gré, m a is la p la c e
p ères qui m a n ife ste u n e su p é r io r ité m ’était m esu ré e, et j’ai sa n s doute
b ie n v e illa n te p o u r l’ceuvre d e Bunuel, y co n s a c r e p lu s d e lig n e s à B u n u el q u ;à
c o n c lu t en y v o y a n t « un g r a n d cri de Thomas In ce, Orson W elles, Cari
rage im p u iss a n te »... Au delà de ces D reyer, M urnau o u Marel Carné, où
cab rioles, etc... ». ‘ d ia b le y a v ez -v o u s p é c h é q u e je tie n s
Un Chien Andalou et L ’Age d ’Or p our P rés éc riv a n t y i n g t a n s a p rè s Un Chien
la « tr a n s p o s itio n a u . c in é m a d e r é c r i­ Andalou) l ’a b su r d e c o m m e le « ra p p o rt
tu r e , a u to m a tiq u e » ? V o us m ’o b ligez à d e l ’h o m m e aui m o n d e ». Je reste tout
m e citer. J ’ai d o n c écrit, d a n s les seuls b o n n e m e n t fid èle à la v ie ille d é fin itio n
p a ra g r a p h e s de m ou liv r e où l’écritu re d e Littré : « Qui e st c o n t r e le se n s c o m ­
a u tom a tiq u e soit . in c i d e m m e n t m e n ­ m u n .^ Qui p a rle o u q u i a g it c o n tr e le
tio n n é e , . • se n s co m m u n ».
« Beau com m e la rencontre d'un pa­ « Car je c o n t i n u e d e cro ire, p o u r
rapluie et d 7une Machine à coudre sur avoir Vécu cette é p o q u e , qu e le su r r é a ­
une table de dissection ». Cette phrase lis m e en 1928 e n t e n d a i t p a r le r et é c r ir e
d e L a u tr éa m o n t était alors d ev en u e con tre le « s e n s c o m m u n », T o u t c e
p o u r le s u r r é a lis m e Un v érita b le m ot que j’ai écr it d a n s m o n h is to ir e d u
d ’ordre, e t il fa u t la c o n sid é r e r com m e, c in é m a su r lés film s d e B u n u el s ’est
la c le f frUn Chièn Andalou. 'd'ailleurs c o n s t a m m e n t réfé ré à l’état
« La p o é s i e >d ’un B en ja m in P ér et ou d ’esp rit q u i éta it le n ôtre en tre 1927 ;
la p e in tu r e d ’ùn Max Errist se fo n d a ie n t et 1934. N ous a v o n s c o n n u le s m ê m e s
' alors sur le « .Montage » p a r a d o x a l et in c e rtitu d es, le s m ê m e s « d ra m e s d e
d isp a ra te d e s fo r m e s du des, mots. P ou r c o n s c ie n c e » et c h o i s i le m ê m e c h e m in ,
cet a sse m b la g e b aroque ori p o u v a it S’en lo r s de la s c i s s i o n su r r é a lis te d e 1932.
rem ettre à l ’in c o n s c ie n t (Ecriture auto­ « Ce q u i n é v e u t n u lle m e n t d ir e q u e
matique), ou au p u r h a sa r d (Cadavre j'ai p ré te n d u d a n s m on Histoire d u
exquis). On p o u v a it f a i r e ,a u s s i u n ; a p ­ Cinéma tr a n s c r ir e la p e n s é e d e m o n
p e l c o n c e r té à lu gratuité, à l’absurde am i Luis B u n u e l su r ses t r o i s films.
et a u x fo r m é s n o u v e lle s de là m éta ­ H ors d eu x p a s s a g e s où je m e s u is e f ­
p h o r e p o é tiq u e . C'est ce que fit L u is fo r cé d e reflé te r d ’a n c ie n n e s c o n v e r - ,
B u n u el en é c r iv a n t so n s c é n a r io avec / sations. Lie p r e m i e r (n o n c ité c i -d e ssu s)
la c o lla b o r a tio n du p e in tr e S alvad or s’élève contre, l’in t e r p r é ta tio n p s y c h a ­
■ D a li- ’ n a ly tiq u e d es « â n e s p o u r r is » d’U n
. « P a r là su ite oh p r é te n d it i n t e r p r é - . Chien Andalou. Le s e c o n d m e n t io n n e
ter p a r l a . p s y c h a n a ly s e le film tout en­ la réaction d e B u n u e l co n tr e la t e c h ­
tier C..). E n réalité, q u an d ils av a ie n t nique; b r illa n te e t -gratuite de l ’a v a n t
é c r i t le ur s c é n a r io , B unuel et D ali garde; par d e s im a g e s d ’Un s ty le n e u ­
avaient; s y s té m a tiq u e m e n t c h e r c h é d e s tre, par un d é p o u i l l e m e n t « o b je c t if .
a c c e s s o ir e s su r p r en a n ts ;et, absurdes,
sa n s v o u lo i r leur a ssig n er un se n s sy m ­ Ce dernier" p r o p o s c o ï n c i d e a v e c ie ,
b o liq u e. Cette r e c h e r c h e d es elfets aba­ votre, q u a n d v o u s é c r i v e z « Un Chien
so u r d issa n ts , v io le n ts, in su p p o rtab les, Andalou est d a n s l ’a u stérité, d a n s le
est p r o c h e de la c o n c e p tio n , p rim itiv e refu s d ’u tilise r l e s p r o c é d é s fo r m e ls d e
de Yaltraction ch ez E ise n s te in . [....] Un l ’avant g ard e, - c o m m e d a n s le tra g iq u e
Chien Andalou, qui n ’a p as d é sen s al­ d é ch ir a n t de so n c o n te n u , etc..; ». .:
lé g o riq u e, e n ap p e lle c o n sta m m e n t à la P a r ce d é b u t d e p h r a s e v o u s v o u s
m é ta p h o r e surréaliste... etc. ». a c co r d e z . c e r t a i n e m e n t a vec B u n u el.
« Je d o n n e d o n c , co m m e c le f d ’ï/n Mais je d ou te fort q u 'il p u is s e v o u s a p ­
Chien A ndalou ■ n o n l’écriture àutom a- p rou ver q u a n d v o u s d é fin iss e z J/n Chien
' .t i q u e (c ité e in c id e m m e n t) m ais la! mé-, Andalou, c o m m e Une s é rie dè « p i è c e s
ta p h o r e su rr éa liste, b ie n d é fin ie p ar la à c o n v ic tio n im p e r tu r b a b le m e n t c a t a l o ­
p h r a se tir é e d e L a u tr é a m o n t Je n ’ai gués p en d a n t l é ; d é r o u l e m e n t du d r a m e -
pa s d a v a n ta g e p a rlé de « l ’a b su rd ité du desii* ». Car s a n s v o u s référ er o u ­
du Cadavre e x q u is », m a is in d iq u é que v e rtem e n t à un fr e u d i s m e v u lg a r isé e t :
cette v a r ia n t e littéraire' ou p la s tiq u e du par trop d ésu et, v o u s r e p r e n e z p o u r - .
« jeu d e s p e tits p a p ie r s » était fo n d ée ' tant l ’in t e r p r é ta tio n p s y c h a n a l y t iq u e
sur un r e c o u r s au p u r h asard. qu’a p p u ya je c r o is v e r s 1930 RL S. D a li,
m a is con tre la q u e lle j ’a i so u v e n t e n ­
« V o u s d ites a u ssi que jè su is c o u p a ­
ten d u en 1932 o u 1933 m o n a m i L u i s ;
b le d e « Contre s e n s sur le m o t ab­
B u n u el s ’in s u r g e r a v e c u n e e x tr ê m e
surde' V. Je v o u s d e m a n d e de m ’ex c u -
vio le n c e. \ > ; . _ -
. ser. Mais je n e c h e r c h e p a s, . c o m m e
v o u s, la d é fin itio n d e ce m o t ch ez Sar­ * Je m ’e x c u s e d ’être en d é s a c c o r d ,
tre et Camus. Je n e défin is p a s (selon a v ec , la quasi to ta lité d e v o tre n o te su r
le p h il o s o p h e d e Sain t-G erm ain d es l ’œ u v r e de Bunuel' : U N E F O N C T IO N

76
DE CONSTAT, P o u r p a r a p h r a se r v o tre p e tite lu e u r c re sp o ir d a n s le c a d r e de
ir o n iq u e jargon , m o n p o in t d e v u e se : la d e s c r ip tio n d e la so c ié té c o n te m p o -
situe à l’o p p o sé du « d é m i s s io n a r is m é r a in e est u n e g r a n d e lu m iè r e de m en -
p e s s im is tiq u e ». Et je v o u s assu re que s o n g e s>. (
v ou s au rie z tort de, ^considérer B u n u e l ^ p 0 u v ez-v o u s v é r ita b le m e n t p e n se r
c o m m e d é m is s io n n a ir e , ou du m o in s —. a u jo u rd ’h u i — qu e le NAD A n ih ilis te
c o m m e p e ssim iste . P o u r r e p r e n d r e les sojj. je m ot d e la fin p o u r un m o n d e où
p r o p r e s p a r o le s d e m on a m i « -il y a la' g ran d e, lu m iè r e d e la v é rité , d e la
d ans le film une n é g a tio n to ta le d e no- cer titu d e et d e l ’e s p o ir r é a lisé illu m in e,
tre im m o n d e so c ié té a ctuelle, m a is il déjà, sur c i n q c o n tin e n ts , p r e sq u e un
y a a u ssi un e sp o ir d an s J h o m m e ». jn iu ia r d d ’h o m m e s.
Los OÎDidados n e sa u ra it d o n c c a u tio n ­
ner :votre p r o p o s selo n le q u e l « la Georges S a.d o .u l

Pierre Kast nous p rie également d'insérer sa réponse à celte lettre. La voici ;

. a) Si je c o m p r e n d s bien> en « -citant l ’attaque v ir u le n te et im p la c a b le d e B u­


les textes sans les solliciter » la « m é­ n uel con tr e l’o rd re établi, co n tre
taphore surréaliste... était fondée sur. « l'im m onde société acludle ».
un recours au pur hasard... » v o i c i un 1
gen til h a sa r d qui a b on d o s. Le p r in c i p a l «espoir dans. l’homme-»,
q u ’on p eu t tr o u v e r d an s Los Olvidados,
_ Ou b ien , fa isa n t un pas' d e p lu s, né c ’est d a n s le fa it du film lu i-m ê m e , d an s
faut-il p a s cro ire, au jo u rd ’h u i, que la le fait q u ’il se soit tr o u v é q u e lq u ’un
n ég a tion v é h é m e n te de l ’ord re établi, p o u r ose r d ire cela, . q u ’il fa u t le voir.
e t de sa lé g itim ité, m a n ife sté e p a r le
, su rréa lism e tra n sc en d a it s i n g u liè r e m e n t e) J ’ai d it « d e u x mots » c o m m e
. un p r é te n d u « hasard » d es c h o se s j’a v a is d it « soixante lignes ». Je d o n n e
'k. hasard s> et « gratuité », serait-ce acte v o lo n tie rs; à S ad ou l d e s « cent
d o n c p o u r S ad ou l l ’e ss en tiel ., d e la ' vingt lignes, environ s>, q u ’il a c o n s a c r é ,
. < métaphore surréaliste' » ? S i on à B u n u el, le m e t ta n t a in s i en avant de
' m o u ille d ’abord les p étard s, il est évi-,- Th. Ince, 0 . Welles, Dreyer, Marnau,
d ent q u ’on p eut m ie u x affirmer e n su ite o u 1Carné. I l : c o n s e n t ir a de m ê m e à ne
qu'ils ne p a rten t pas... v o ir d a n s ce « deux mots » qu'une
c lause de style. ., '
1>) j ’ai é v id e m m e n t eu tort de ci 1er
Sartre ■ ou. Camus sa n s accom pagner- ; Je su is p a r tic u liè r e m e n t h eu re u x que
’leurs nom s, d ’injures, et sa n s m a n ife s - , n otre n u m ér o des C a h i e r s d u . C i n é m a
ter de c o m m isér a tio n ou . d ’ir o n ie. ■ait p e r m is à S a d o u l de d ou b ler c e . l i - .
L ’ap p ort d e ces « philosophes de'Saiht- g n ag e d a n s. un r é c e n t numéro, de
Gërmain des Prés » m e • p araît suffi­ L ’E c r a n F r a n ç a i s , où il sem b le r eg ret­
sam m e n t im p o r ta n t p o u r q u ’il fa ille te­ ter le s € réserves »• q u ’il avait fait
n ir c o m p te de leur p en sée. S adoul; cite ap rès un e p r e m iè r e v i s i o n de Los Ol­
L ittré con tr e Sartre, V eu t-il’ d ire p a r là vidados. ' ’■
que le s rapports actuels, et d an s n otre
pays, de l ’h o m m e et du m o n d e, n e v o n t Enfin, et p o u r sor tir d e l’e x p lic a tio n
p a s « contre le sens com m un »• ? de t e x t e s , ' j e v o u d r a is d ir e à Georges
S a d o u l ^que la m ise'en question, la m ise
' c) Je: p e n se que T œ u vre. e n tièr e de
B unuel constate une p r o fo n d e - a li é n a ­
en doute d és fo n d e m e n ts de la v ie a c ­
tion de l ’h o m m e , dans cette so c ié té qui tuelle en so c ié té, que ses a m is e t , lui
est la n ôtre •— ■ ali én ali on qui en tr a în e n o m m e n t p e ssim ism e où d ’au tres n o m s
une p o u r ritu r e, une d e stru ction , un p lu s in ju rie u x , m e -p a ra isse n t in fin i­
c h a n g e m e n t de se n s de son être en tier, m en t p lu s p r o c h e s d e la 'lutte m e n é e
et, n o ta m m en t, d e son désir. E st-c e là ' par les élé m e n ts le s p lu s v a la b le s, de
€. reprendre l’interprétation . psychana- n o tr e so c ié té .contre le- c o lo n ia lism e ,
hjtique * du Chien Andalou ? T o p p r e s s i o n _ s o c ia l e , ou l’escla va g e, que
d) Ce n'est p a s m oi qui a ss im ile le les r ito u rn elle s rassu r an tes, lén ifia n tes
p e s s i m i s m e ou la v o lo n té d e d é m y s ti­ el o p tim is te s de tout c e c in é m a q u ’il,
fication à un point de vue ■ dém ission­ prône.
naire. Je nenvois a u c u n e démission d a n s P ie r r e K ast

77
1 8 1 9 - 1 9 5 1

Toute technique évolue...


y compris celle de la garantie
- Comme son arrière grand-père
l'hom m e de 1951 souscrit des
contrats d’assurance. Mais ces
contrats sont adaptés au x circons­
tances actuelles. U s accordent des
garanties illim itées. Ils n e com por-
tent pas de déclaration de capitaux.

L’hom m e m oderne s’adresse à

L a C o m p a g n ie F raiaçaise du P h é n ix
fondée en 1819
mais toujours à Pavant-garde du progrès technique

Ses références le prouvent : f


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