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Université des Antilles et de la Guyane

Institut Caribéen d’Études Francophones et Interculturelles

Didactique et management du FLE / FLS en milieu plurilingue

ANTHROPOLOGIE CULTURELLE ET ENSEIGNEMENT DES LANGUES


ETRANGERES

Mme. Nicole Koulayan

M2 FLE

" LE RÔLE DE L’ENSEIGNANT POUR LE


DÉVELOPPEMENT D’UNE COMPÉTENCE
INTERCULTURELLE CHEZ LES PUBLICS
HÉTÉROGÈNES D’UN POINT DE VUE
LINGUISTIQUE ET CULTUREL ”

Headson Santos
Le choix de cette problématique a une inspiration majeure. Il est dû à une expérience avec
une classe de portugais langue étrangère (PLE) assez hétérogène d’un point de vue
linguistique et culturel, ayant eu lieu à l’Université Fédérale du Pará (UFPA), en
Amazonie, en 2012. Il y avait notamment des apprenants francophones, et aussi des
apprenants anglophones, hispanophones et japonophones. Cette classe faisait partie du
cadre d’un programme d’échanges universitaires du Ministère de l’Éducation brésilien –
appelé PEC-G – et du cadre d’un programme initiation scientifique de la licence en
Lettres – Langue Française de l’UFPA. Les théories sur l’interculturalité ont étayé cette
pratique et recherche-action
Les questions que nous nous sommes posées à l’époque portaient sur comment un
enseignant de PLE peut-il gérer les différentes langues-cultures partageant l’espace-
classe tout en y ajoutant la langue cible et toutes les cultures brésiliennes sous-jacentes ?
De plus, quelles compétences doit-il avoir pour favoriser à la fois les interactions entre
les apprenants dont les cultures peuvent être assez éloignées entre elles dans une langue
qui n’est pas la leur ? Pour tenter de répondre à ces questions nous avons essayé de
démontrer à travers les apports de l’interculturalité comment l’enseignant de portugais
doit avoir plusieurs rôles en même temps : celui de médiateur culturel, de guide vers la
culture de l’Autre, de conciliateur de conflits culturels, entre autres. Bien qu’il ne s’agisse
pas de la langue dont nous traiterons dans ce dossier, le français, ces apports théoriques
sont tout aussi importants et fourniront des pistes pour le travail avec de telles classes de
FLE. Nous débuterons par une élucidation de ce qui pourrait être un cas concret d’échange
interculturel. Ensuite, nous proposerons des démarches interculturelles possibles. Enfin,
nous expliquerons la notion de compétence communicative interculturelle comme outil
favorisant le dialogue entre les langues-cultures présentes en classe.
Pour amorcer la question, citons [1] Abdallah-Pretceille (2003) qui nous explique que le
langage est utilisé pour exprimer quelque chose, pour produire un effet sur l’Autre qui,
de son côté, peut avoir des habitudes assez différentes de celles de son interlocuteur,
l’empêchant par conséquent d’entendre, de comprendre et de sentir ce qu’on veut lui
transmettre. Pour illustrer ce propos, prenons comme exemple le fait que les Chinois -
public très présent en France pour apprendre le français - soient très réservés et n’aient
pas l’habitude de toucher les autres. Comment un enseignent de FLE peut-il expliquer
aux apprenants sinophones qu’en France il est normal de se faire la bise et que cela est un
geste auquel ils seront confrontés, sans pour autant les choquer ni les obliger à l’accepter ?
Voyons ci-dessous à quoi ressemblerait une interaction en classe de FLE à partir d’un
extrait issu du site internet https://www.bonjourchine.com/threads/la-bise.103865/
(consulté le 16/10/20, à 16h04). Imaginons que « Jujuleder » (désormais A1) est une
apprenante de français d’origine brésilienne, où les contacts physiques sont aussi
normaux qu’en France et pour qui le geste de faire la bise ne choque point. « MrBacchus »
(désormais A2) est un apprenant de FLE d’origine chinoise dans la même classe que A1.
Au premier regard, il est intéressant de remarquer la curiosité de A1 envers la culture
chinoise et probablement l’envie de la comparer avec la sienne, ce qui se confirme tout
de suite après lorsqu’elle avoue trouver bizarre le fait de ne pas se toucher au moment de
se saluer en Chine, ne proférant qu’un simple « ni hao ». Puis, elle s’intéresse également
à la façon dont on y traite les femmes et finit par demander comment est la vraie façon
d’agir à ce sujet.
En ce qui concerne la réponse de A2, celui-ci est assez clair sur ce savoir-agir chinois en
en éclaircissant la question posée tout en la ratifiant. Il ajoute aussi qu’au sujet de la bise,
il s’agit pour lui d’un doux rêve, commentaire qui laisse autant d’interprétations que celui
émis par A1. En qualifiant comme bizarre l’absence de contact physique lors des
interactions, celle-ci met négativement le point sur une différence entre leurs cultures, ce
qui pourrait embarrasser voire vexer son interlocuteur si cet échange avait eu lieu en
classe. Quant à lui – qui d’ailleurs n’a pas semblé être gêné par les questions de son
interlocutrice -, le doux rêve de pouvoir faire la bise dans sa culture dénoterait de sa part
une envie d’adoption de ce geste dans sa culture à lui, ce qui démontre une ouverture
d’esprit envers la culture française.
À nouveau, s’il s’agissait d’un échange en salle de classe, ce serait le moment idéal pour
l’enseignant de développer ce que [2] Dell Hymes (1973/1984), [3] Byram et alii (1997)
appellent la Compétence Communicative Interculturelle. Selon ces auteurs, cette
compétence rend les personnes capables d’interagir avec d’autres personnes ayant une
autre langue-culture, étant capables de négocier un moyen de communication satisfaisant
les deux interlocuteurs, ce qui leur permettrait également de devenir des médiateurs entre
d’autres langues-cultures pouvant s’ajouter à la conversation.
L’enseignant, conscient de son rôle à déployer, pourrait justement attirer l’attention de la
classe au fait que les Chinois ne sont pas habitués à se toucher n’est pas bizarre, mais
simplement différent. Là-dessus, il y aurait deux riches possibilités favorisant
l’interaction dans une classe plurilingue et pluriculturelle, donc hétérogène. Face à un tel
commentaire, il s’agirait tout d’abord d’élargir le débat à toute la classe en enquêtant sur
comment on se salue ailleurs, notamment dans la culture de ceux et celles y présentes.
Dans un deuxième moment, l’enseignant pourrait inviter ses apprenants à partager avec
les Autres ce qui pourrait être considéré comme bizarre dans leur culture vis-à-vis de la
culture française, francophone ou bien celle d’un(e) camarade de la classe. La langue
française y serait un lien entre les richesses culturelles des apprenants, ce qui les
motiverait à s’exprimer, à se faire comprendre et, bien sûr, faire comprendre leur culture
à eux.
Ces démarches ci-dessus présentées pourraient être liées à la question A1, où elle
demande « Avez-vous réussi à importer cette pratique ou pas du tout ? », ainsi qu’au doux
rêve d’A2, où il serait autorisé à faire la bise à ses compatriotes. Pour aller plus loin en
partant de ces manifestations, l’enseignant pourrait inciter le débat sur les gestes, les mots,
les attitudes, etc. qu’on n’a pas dans sa culture mais qu’on aimerait y avoir. Ce serait
encore une occasion de faire parler et surtout de faire vouloir aller envers l’Autre. En
effet, [1] Abdallah-Pretceille (2003) voit l’hétérogénéité comme la norme et non pas
comme un handicap. Pour l’enseignant, il s’agit du trésor caché d’Ali Baba pour lequel
l’interculturalité est la clé.
En réalité, [4] Beacco (2000) explique que l'interculturalité a commencé à se développer
dans le domaine de l'éducation vers 1975, en particulier en Europe, lorsque la migration
des travailleurs et de leurs familles a provoqué des problèmes culturels et sociaux
résultant, en grande partie, de l'intolérance et de la discrimination. Le Conseil de l'Europe
a analysé cette question et a joué un rôle important dans la formation des enseignants aux
préjugés interculturesl, à tel point qu'en 1984, il a voté la première recommandation sur
ce sujet, dans laquelle il propose aux gouverneurs et aux Etats membres que la formation
des enseignants. Son but est de leur permettre, entre autres, de se conscientiser de
l’existence de diverses formes d’expression culturelle existant dans leurs cultures
nationales et dans celles de communautés de migrants, de reconnaître que des attitudes
ethnocentriques et stéréotypées peuvent nuire les échanges entre les individus et de leur
faire comprendre qu’ils jouent un rôle très important dans ce va-et-vient interculturel. En
fait, ils peuvent y mettre en place des stratégies permettant à tous les acteurs impliqués
dans ce processus de se familiariser avec les différentes cultures afin de les comprendre
et de les prendre en considération. Ces directives peuvent notamment servir de base pour
travailler avec des publics hétérogènes d’un point de vue linguistique et culturel, car elles
considèrent les individus impliqués dans ce processus et cherchent à attirer l'attention sur
les différentes cultures représentées dans la classe dans le but d’améliorer les relations
qui peuvent y avoir lieu.
[5] Cortier (2005) explique que l’hétérogénéité est la principale difficulté que les
enseignants peuvent avoir dans des classes d’accueil, où plusieurs nationalités partagent
le même espace. C’est pour cette raison qu’Abdallah-Pretceille (2003) [1] conseille de
travailler avec l'hétérogénéité qui est produite dans l'environnement d'apprentissage.
C'est-à-dire qu’au lieu de travailler avec les différences culturelles, il vaut mieux
apprendre à travailler avec des individus porteurs de certains traits culturels distincts et
qui intériorisent chacun les savoirs à sa manière. À ce sujet, Cortier (2005) ajoute qu’ « Il
appartient donc à l'enseignant de construire ou de co-construire avec ses élèves une
culture partagée qui permette à chacun de faire valoir son propre capital, de cohabiter
avec les autres et de se projeter comme élève dans un parcours scolaire. ». En
conséquence, l'objectif principal d’une approche communicative interculturelle dans
l'enseignement du FLE – et de toute langue étrangère, il faut le préciser – ne serait-ce de
favoriser le développement de la compétence communicative des apprenants détenteurs
de différentes langues-cultures.
[6] Germain (1993) présente dans son livre Le point sur l'approche communicative en
didactique des langues la définition de la compétence de communication proposée par
Canale et Swain en 1980, présentant quatre sous-compétences dont la plus importante
pour favoriser un enseignement interculturel est la compétence sociolinguistique,
composée par l’ensemble de savoirs autour des règles socioculturelles nécessaires à la
compréhension des énoncés actualisés en contexte social. Sans ces savoirs,
l’apprentissage de la langue n’a ni d’âme ni de sens. Par conséquent, il serait même
conseillable à l’enseignant de connaître un minimum sur les cultures avec lesquelles il a
affaire en classe. Pour cela, les stéréotypes pourraient servir comme un point de départ
pour l’enseignant qui, selon le nombre de cultures différentes, devra acquérir une gamme
élevée de savoirs socioculturels et en même temps pour les apprenants. Le [7] CECRL
(2001) explique les stéréotypes englobent plutôt les traits nationaux et apparaissent
souvent en vue de favoriser un prise de conscience interculturelle, permettant à tous de se
rendre compte qu’il existe une diversité allant au-delà de la langue maternelle et la langue
étrangère qu’il apprend.
Selon [8] Mendes (2004), une approche communicative interculturelle vise à créer un
environnement favorable à la fois aux enseignants et aux apprenants, dans lequel les
pratiques d'enseignement / d'apprentissage sont aussi des expériences d'exploration,
d'analyse, d'observation et de critique des individus impliqués dans la classe. Chacun peut
devenir médiateur culturel entre sa propre manière d'être et d'agir et celle de l'Autre avec
qui l’on dialogue, cherchant à comprendre une gamme de significations existant entre
leurs différents mondes et de différentes manières de structurer la réalité, favorisant ainsi
l'acquisition de compétences de communication dans la langue qu'ils apprennent. Les
moments d’échange en classe sont donc une opportunité à l’enseignant d’enrichir sa
pratique.
Bien qu’aujourd’hui la perspective actionnelle ait pris le relai de l’approche
communicative à partir de la création du Cadre Européen Commun de Référence, [9]
Puren (2002) explique l’interculturel a le même degré d’adéquation que dans les deux
méthodologies, permettant à l’apprenant de parler de sa propre culture, d’être prêt à
s’ouvrir, de respecter les différences tout en s’intéressant aux similitudes. En effet, le [7]
CECRL (2001) explique que « dans une approche interculturelle, un objectif essentiel de
l’enseignement des langues est de favoriser le développement harmonieux de la
personnalité de l’apprenant et de son identité en réponse à l’expérience enrichissante de
l’altérité en matière de langue et de culture. Il revient aux enseignants et aux apprenants
eux-mêmes de construire une personnalité saine et équilibrée à partir des éléments variés
qui la composeront. »
Pour conclure, il est capital de souligner que l’interculturalité se fait nécessaire non
seulement dans le domaine de l’enseignement de langues, mais dans toute matière à
l’école. Comprendre et s’ouvrir à l’Autre est un facteur crucial pour éviter tous les genres
de conflits et disputes. Mieux encore, elle nous permet transpercer toute barrière et de
devenir quelqu’un d’autre.
BIBLIOGRAPHIE
[1] ABDALLAH-PRETCEILLE, M. Former et éduquer en contexte hétérogène : pour
un humanisme du divers. Paris: Anthropos, 2003.
[2] HYMES, Dell H. Vers la compétence de communication. Trad. de France Mugler.
Paris: Hatier-Credif, 1973 [1984].
[3] BYRAM, M. ; GRIBKOVA, B.; STARKEY H. Développer la dimension
interculturelle dans l’enseignement de langues: une introduction pratique à l’usage des
enseignants. Strasbourg: Conseil de L’Europe, 2002.
[4] BEACCO, J. Les dimensions culturelles des enseignements de langue: des mots aux
discours. Paris: Hachette Livre, 2000.
[5] CORTIER, C. Cultures d'enseignement/cultures d'apprentissage : contact,
confrontation et co-construction entre langues-cultures. Dans Éla. Études de
linguistique appliquée 2005/4 (no 140), pages 475 à 489
[6] GERMAIN, C. Le point sur l'approche communicative en didactique des langues. 2.
ed. Montréal: Centre Éducatif et Culturel, 1993.
[7] CONSEIL DE L’EUROPE. Cadre européen commun de référence pour les langues :
apprendre, enseigner, évaluer. Paris, Didier, 2001.
[8] MENDES, E. Abordagem Comunicativa Intercultural (ACIN): uma proposta para
ensinar e língua no diálogo de culturas. (Doutorado). Programa de Pós-graduação em
Linguística Aplicada do Instituto de Estudos da Linguagem da Universidade Estadual
de Campinas, 2004
[9] PUREN, C. Perspectives actionnelles et perspectives culturelles en didactique des
langues-cultures : vers une perspective co-actionnelle co-culturelle, Langues modernes,
p. 55-71,n° 3/2002 site www.christian.puren consulté le 15/10/2020.

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