« De la flatterie »
Le flatteur se met à tout sans hésiter, se mêle des choses les plus viles et qui ne conviennent qu'à des
femmes. S'il est invité à souper, il est le premier des conviés à louer le vin ; assis à table le plus proche
de celui qui fait le repas, il lui répète souvent : « En vérité, vous faites une chère délicate » ; et montrant
aux autres l'un des mets qu'il soulève du plat : « Cela s'appelle, dit−il, un morceau friand.» Il a soin de
lui demander s'il a froid, s'il ne voudrait point une autre robe ; et il s'empresse de le mieux couvrir. Il
lui parle sans cesse à l'oreille ; et si quelqu'un de la compagnie l'interroge, il lui répond négligemment
et sans le regarder, n'ayant des yeux que pour un seul. Il ne faut pas croire qu'au théâtre il oublie
d'arracher des carreaux des mains du valet qui les distribue, pour les porter à sa place, et l'y faire
asseoir plus mollement. J'ai dû dire aussi qu'avant qu'il sorte de sa maison, il en loue l'architecture, se
récrie sur toutes choses, dit que les jardins sont bien plantés ; et s'il aperçoit quelque part le portrait
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du maître, où il soit extrêmement flatté, il est touché de voir combien il lui ressemble, et il l'admire
comme un chef-d’œuvre. En un mot, le flatteur ne dit rien et ne fait rien au hasard ; mais il rapporte
toutes ses paroles et toutes ses actions au dessein qu'il a de plaire à quelqu'un et d'acquérir ses bonnes
grâces. […]
« De la cour »
[Les courtisans] Ils font les modes, raffinent sur le luxe et sur la dépense, et apprennent à ce sexe de
prompts moyens de consumer de grandes sommes en habits, en meubles et en équipages ; ils ont eux-
mêmes des habits où brillent l’invention et la richesse, et ils n’habitent d’anciens palais qu’après les
avoir renouvelés et embellis ; ils mangent délicatement et avec réflexion ; il n’y a sorte de volupté qu’ils
n’essayent, et dont ils ne puissent rendre compte. Ils doivent à eux-mêmes leur fortune, et ils la
soutiennent avec la même adresse qu’ils l’ont élevée. Dédaigneux et fiers, ils n’abordent plus leurs
pareils, ils ne les saluent plus ; ils parlent où tous les autres se taisent, entrent, pénètrent en des
endroits et à des heures où les grands n’osent se faire voir : ceux-ci, avec de longs services, bien des
plaies sur le corps, de beaux emplois ou de grandes dignités, ne montrent pas un visage si assuré, ni
une contenance si libre. Ces gens ont l’oreille des plus grands princes, sont de tous leurs plaisirs et de
toutes leurs fêtes, ne sortent pas du Louvre ou du Château, où ils marchent et agissent comme chez
eux et dans leur domestique, semblent se multiplier en mille endroits, et sont toujours les premiers
visages qui frappent les nouveaux venus à une cour ; ils embrassent, ils sont embrassés ; ils rient, ils
éclatent, ils sont plaisants, ils font des contes : personnes commodes, agréables, riches, qui prêtent, et
qui sont sans conséquence.
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D'un loup écorché vif appliquez-vous la peau
Toute chaude et toute fumante ;
Le secret sans doute en est beau
Pour la nature défaillante.
Messire loup vous servira,
S'il vous plaît, de robe de chambre. »
Le roi goûte cet avis-là.
On écorche, on taille, on démembre
Messire loup. Le monarque en soupa,
Et de sa peau s'enveloppa.
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