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La poitrine criblée de balles, sa Kalachnikov quelques mètres plus loin dans la poussière de
Ouagadougou, le Capitaine de la « révolution » du Burkina Faso, Thomas Sankara, a été
assassiné dans un coup d’Etat de palais le 15 octobre 1987. Plusieurs membres de son
entourage, militaires et conseillers, gisaient morts à ses côtés sur les lieux de l’embuscade.
Des soldats agissant en faveur des ministres rivaux du Conseil National de la Révolution
(CNR) au pouvoir qu’il présidait, balancèrent rapidement les corps dans une Jeep et
réapparurent avec des pelles, en pleine nuit, afin de les ensevelir dans une fosse commune
creusée à la hâte.
Avec la mort de Thomas Sankara, c’est une « expérience » au niveau de la réforme radicale
qui disparaît, expérience qui avait suscité les espoirs de beaucoup de gens en Afrique et même
ailleurs.
Le Burkina Faso était la plus récente tentative pour trouver une « voie indépendante »
conduisant à la libération nationale, sans qu’ait lieu une guerre révolutionnaire des masses,
sans la direction d’un authentique parti politique prolétarien, et sans la science du marxisme-
léninisme-pensée mao tsétoung.
Le coup d’Etat ressemblait au dénouement sanglant d’une pièce de théâtre dont la fin, comme
dans les tragédies grecques, est inscrite déjà dans sa propre structure.
Sankara n’était en rien un communiste révolutionnaire (et la plupart du temps il ne prétendait
pas l’être), mais sa position militante et anti-impérialiste, son style confiant et désinvolte, son
allure militaire à la Che Guevara, et la plupart de ses tentatives peu orthodoxes pour
« révolutionner » un des pays les plus pauvres du monde, ont captivé l’imagination de
beaucoup de jeunes Africains et d’intellectuels qui suivaient ses innovations de très près ;
chez eux, sa mort devint un sujet aigu de controverse et a soulevé des questions essentielles :
Quel genre de révolution dirigeait-il et sa voie était-elle vraiment celle qui pouvait libérer
l’Afrique ?
Le Burkina Faso, anciennement Haute-Volta est un pays sans accès à la mer dont la frontière
Nord s’étend à travers 3000 kilomètres du Sahel, une région serai-aride à la lisière
méridionale du désert du Sahara.
Il se trouve au carrefour de différents itinéraires qui pénètrent l’Afrique coloniale.
La conquête coloniale de la Haute-Volta remonte à la terreur qui régna en 1895, période
durant laquelle un capitaine de la Marine française conduisit ses hommes à travers le plateau
central, tuant sur leur passage hommes et animaux, pillant et brûlant les villages.
Faisant partie du morcellement de l’Empire français ouest-africain, ses frontières ont été
régulièrement modifiées jusqu’à 1947.
L’immense majorité de sa population est rurale, des bergers et des paysans.
Son économie, jamais développée, était déséquilibrée et a stagné tout d’abord en raison du
pillage colonial et plus tard a été ravagée par des sécheresses et des famines répétées,
entraînant « l’aide » étrangère provenant d’une foule d’impérialistes occidentaux et de leurs
représentants parasites du F.M.I, de la Banque Mondiale, de la F.A.O, de la C.E.E, des U.S.
Peace Corps etc.
La population, principalement musulmane, se divise en de nombreuses communautés
ethniques parlant plus de soixante langues et dialectes.
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Sur 8 millions de personnes environ, 90 % habitent la campagne, qui est entièrement sous
l’emprise de Ouagadougou, la capitale.
La population urbaine se compose d’une minuscule classe ouvrière moderne, un assez grand
nombre d’employés du gouvernement allant des bureaucrates au plus haut niveau, aux simples
gardiens, le personnel militaire, des artisans, des employés défendant les intérêts de la France,
et une petite mais rapace classe de commerçants. La ville est une création de l’impérialisme et
un drain parasite sur le pays tout entier.
En 1932, la France a même relié administrativement la Haute-Volta à la beaucoup plus riche,
colonie côtière de sa frontière méridionale, la Côte d’Ivoire, rendant officielle sa fonction de
gigantesque réservoir de main d’œuvre pour travailler dans les plantations et les champs
ivoiriens.
Aujourd’hui, deux millions de Burkinabé continuent de travailler en Côte d’Ivoire, et, au fur
et à mesure que le désert avance, la migration vers le Sud se poursuit aussi. La France a
rétabli « l’autonomie » de la Haute-Volta en 1953 et, par la suite, a accordé l’indépendance
formelle en 1960 à une minuscule bourgeoisie compradore, qui a maintenu sa présence
néocoloniale sous la domination d’officiers de l’armée, solidement fidèles et corrompus, qui
avaient été renversés à tour de rôle déjà depuis dans un grand nombre de coups d’Etat, parfois
avec le soutien de puissants syndicats de fonctionnaires.
C’était à peine choquant que le règne politiquement radical de Sankara finisse d’une manière
aussi brusque. D’autant plus que, les moyens véritables par lesquels Sankara est venu au
pouvoir et la nature même du pouvoir d’Etat dont il a pris la succession, sont la raison
fondamentale qui a fait qu’il ne pouvait pas mener une révolution complète.
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Et, quelque peu surprenant, « notre principal soutien vient des travailleurs organisés » (il veut
dire, bien sûr, les syndicats reposant sur les fonctionnaires dans la capitale !).
Malgré ses sympathies pour le sort des paysans et indubitablement l’authentique désir
d’améliorer leur condition de vie, Sankara ne comptait pas sur eux et ils ne sont jamais
devenus sa base sociale : sa vision des choses et sa ligne politique coïncidaient au contraire
avec celle de la petite bourgeoisie urbaine, et, dès le début, elle était celle qui ne pouvaient
pas libérer la large majorité des masses laborieuses du Burkina Faso.
Il est vrai que Sankara avait atteint un certain degré de popularité. Bien que la majorité des
masses jouait principalement un rôle d’observateur, en général, elle ne s’opposa pas à lui.
Il avait confiance, sachant qu’avec le temps les gens finiraient par se rallier à sa révolution.
En ce qui concerne le dilemme délicat qui est de se débarrasser de l’héritage de l’armée néo-
coloniale, Sankara pensait qu’il pouvait la transformer en une armée populaire par le biais de
« l’éducation politique » ; « Nous voulons que l’armée se fonde dans le peuple », disait-il.
Bien que Sankara ait considéré sa direction comme « la représentation démocratique du
peuple », en réalité la lutte pour le pouvoir politique était centrée à l’intérieur du Conseil
National de la Révolution (le CNR) qui donnait une représentation aux principales tendances
de gauche et servait de véhicule aux quatre patrons militaires - Sankara, Blaise Compaoré,
Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo - afin d’essayer d’arbitrer les querelles politiques et de
rapiécer les morceaux pour former une « unité » qui leur permettrait de fonctionner et de
mener un programme de réforme.
En fait, si Sankara et ses amis militaires radicaux pouvaient être notés sur la base de leurs
intentions et de leurs bonnes idées, ils auraient eu la moyenne. Sankara voulait aider les
masses paysannes pour mettre fin au poids étouffant des chefs tribaux à la campagne, en finir
avec la corruption des responsables gouvernementaux et la vénalité des fonctionnaires
urbains, rendre la femme égale à l’homme et alléger son fardeau, atteindre rapidement le but
de deux bons repas par jour et toute l’eau nécessaire à chaque foyer de paysan en moyenne.
Il voulait compter sur « nous-mêmes » et non pas sur les colonialistes et les impérialistes pour
bâtir l’économie et il espérait développer la culture africaine et forger des alliances fortes avec
d’autres Etats africains progressistes.
Il voulait être véritablement indépendant, s’opposait à toute forme d’hégémonie ou de
domination étrangère et se proclamait faire cause commune avec « tous les peuples du monde
prêts à nous aider dans notre lutte contre l’injustice et la tyrannie ».
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Il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les
modèles que les charlatans ont essayé de nous vendre vingt années durant... Nous retenons des
expériences des autres ce qu’elles ont de dynamique et de créateur ».
Pour façonner son modèle Burkinabé, Sankara a pris le cri de bataille des Cubains : « La
patrie ou la mort ! Nous vaincrons ! » De l’Albanie, il emprunta la pique et le fusil comme
symbole national.
Il calquait ses Comités de Défense de la Révolution (CDR) sur son allié le plus proche, le
Ghana, qui à son tour les avait pris de Cuba.
Surtout, il a « retenu » un mélange riche de révisionnisme moderne des Soviétiques et de
« socialisme » africain condamné que les Soviets ont engendré, auquel il a ajouté quelques
concepts et politiques développés par Mao Tsétoung pour la révolution dans les pays
colonisés, malheureusement sans la vision scientifique de Mao ni son insistance sur la
nécessité d’une guerre révolutionnaire contre l’impérialisme et ses alliés.
Le cocktail des vues politiques de Sankara pouvait être disséqué en un grand nombre de
tendances et influences concurrentes opérant sur la scène politique de l’opposition à
Ouagadougou et à Paris.
Le spectre politique « de gauche » comprenait des militaires, un groupe d’officiers
« progressistes » dans l’armée néo-coloniale entraînée par les Français et les Marocains et qui
s’appelait le ROC (Regroupement d’Officiers Communistes) qui a été étroitement lié à des
organisations politiques dans les milieux intellectuels.
Parmi celles-ci ont figuré : le PAI (Parti Africain d’Indépendance ), des révisionnistes pro-
soviétiques basés parmi les cadres administratifs et des forces politiques dirigeantes derrière
l’organisation de masse connue sous l’appellation LIPAD (Ligue Patriotique pour le
Développement) ; les « prochinois » (révisionnistes pro-Deng Xiaoping) ULC-R (Union des
Luttes Communistes Reconstruite) avaient beaucoup d’influence sur les campus universitaires
avec les pro-albanais du Parti Communiste Révolutionnaire Voltaïque (PCRV) qui dirigeait le
Syndicat Général des Étudiants et cinq syndicats de fonctionnaires ; l’association syndicale la
plus forte, la CSV (Confédération des Syndicats Voltaïques) et quelques autres cercles
marxistes et trotskistes. Des postes ministériels furent partagés parmi ces forces de gauche,
sauf pour les pro-albanais qui étaient devenus l’opposition loyale - jusqu’à ce que l’Albanie
proclame son soutien à Sankara et suggère qu’ils en fassent autant.
Pendant que le débat dans le gouvernement et dans les cercles de gauche continuait, restait un
problème tout à fait pratique : les impérialistes n’avaient jamais été éjectés du Burkina Faso
et, la révolution de Sankara dès sa conception, était menée et développée par en haut, d’une
façon qui ne s’appuyait pas et ne pouvait pas s’appuyer (malgré la rhétorique) sur la lutte
consciente des masses populaires ; elle n’était pas capable de formuler un véritable
programme révolutionnaire basé sur les intérêts de classe - un programme qui non seulement
propose, mais qui en pratique mette en mouvement une révolution de Démocratie Nouvelle
pour briser les chaînes néo-coloniales et semi-féodales et qui amène les conditions nécessaires
pour passer à la seconde étape de la révolution socialiste prolétarienne.
Seul ce processus est capable de transformer les rapports de production désarticulés et
arriérés, en rapports de non exploitation et de libérer pleinement le potentiel de la paysannerie
et d’autres masses révolutionnaires.
3. Le programme de Sankara
Le cercle militaire de Sankara a donné un « Discours d’Orientation Politique » en octobre
1983, un mélange de notions nationalistes, pan-africanistes et socialistes nourrissant un
programme de réformes.
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Dès le début, Sankara était pris dans le dilemme que le soutien de la « révolution » était centré
presque exclusivement parmi les couches de la population urbaine qui jouissaient d’une
position plus confortable par rapport à l’énorme paysannerie appauvrie.
En même temps, il était clair que, même le programme réformiste de Sankara ne pouvait pas
être appliqué sans au moins réduire le fardeau extrême que représentait pour le régime le
financement de l’appareil de l’Etat (et surtout les salaires des fonctionnaires qui jusqu’en
1983 dévoraient plus de 75% du budget).
Sankara mena une vive bataille contre la corruption en faisant payer des amendes aux
contrevenants et en le poursuivant devant des tribunaux populaires.
Il réduisit les salaires des fonctionnaires de 20% à 30%, élimina les allocations logement, les
prêts bancaires automatiques et des investissements parallèles lucratifs, imposa de lourdes
taxes (« contributions ») y compris le douzième mois de salaire et, périodiquement, envoya
des fonctionnaires dans les champs pour participer à des projets nationaux et pour combattre
les « tendances petite-bourgeoises ».
Les employés du gouvernement devaient porter des habits de coton cultivé localement et
n’étaient plus autorisés à manger des fruits et des légumes importés.
Sankara montra l’exemple lui-même en acceptant un très bas salaire, déclarant toutes ses
possessions devant le bureau des fraudes, et en faisant remplacer les Mercedes Benz du
gouvernement par de simples Renault.
D’autres réformes comprenaient la construction de nouveaux logements, un programme de
vaccinations de masse (appelé « l’approche de commando »), par lequel trois millions
d’enfants furent immunisés contre les maladies mortelles courantes en 15 jours, et des
campagnes d’alphabétisation d’après le modèle de celles menées au Nicaragua et à Cuba.
Il a amené des femmes au gouvernement et a proposé des mesures de grand envergure pour
frapper l’oppression sociale, y compris pour abolir le mariage forcé, les dots, la vente des
jeunes filles, la polygamie et la pratique de mutilations sexuelles qu’est l’excision
(clitorectomie).
Pour briser les vieilles traditions oppressives, les hommes étaient censés aller au marché une
fois par semaine.
A la campagne Sankara encourageait une bataille contre la désertification en lançant une
campagne de plantation d’arbres.
Dans cette campagne, chaque cérémonie de naissance, de mort ou de mariage était célébrée en
plantant des arbres.
Il y avait aussi des campagnes pour empêcher les feux de brousse, pour arrêter l’errance du
bétail et pour canaliser les maigres eaux de la rivière voltaïque pour faire de l’énergie
hydroélectrique et pour favoriser l’irrigation.
L’armée fut réorganisée en éliminant ou expulsant les vieux éléments droitiers et en réduisant
le nombre d’officiers dirigeants.
Les huit mille soldats devaient être transformés en « activistes du développement » pour
participer à l’agriculture et à la construction nationale.
En 1984, lors du premier anniversaire de la « révolution », Sankara a changé le nom du pays
en Burkina (mot Moré qui signifie une personne libre) Faso (mot Dioura pour la patrie) : le
« pays des hommes debout ».
Mais toutes ces mesures ne pouvaient être que quantitatives, des modifications relativement
mineures qui laissaient intact le rapport de base parasitaire entre l’appareil d’Etat et la
population et entre la capitale et la campagne. Le seul résultat de ces mesures fut de mettre en
colère la même couche de population sur laquelle le régime s’appuyait.
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Plus de 90% de la population Burkinabé active sont des paysans engagés dans l’agriculture -
éleveurs et cultivateurs.
C’est une agriculture extrêmement primitive et arriérée. La plupart des terres cultivables sont
utilisées pour l’agriculture de subsistance, et à l’exception du sud, sont relativement non-
fertiles et difficiles à cultiver. Les outils et méthodes d’exploitation rudimentaires, y compris
la culture extensive, le problème du nomadisme et le manque d’engrais et de pesticides
contribuent tous à la médiocrité des rendements.
La récolte de céréales n’est que de 540 kg par hectare, comparés aux 4833 kg par hectare en
France ! A ceci s’ajoutent les conditions climatiques particulièrement difficiles et erratiques,
la plus sérieuse étant la baisse du taux de pluviométrie de 30% en 20 ans.
Dans les conditions semi-arides du Sahel, qui s’étend à travers les régions du nord, les
buissons disparaissent et, avec le problème généralisé du déboisement, la dégradation des
sols, l’érosion et la non-rotation des champs, ainsi que les pénuries sévères d’eau et le manque
d’irrigation généralisée, la désertification avance. De nombreuses études ont démontré que
« la désertification » n’est ni un acte de Dieu, ni un simple résultat du hasard climatique, mais
plutôt est largement le fait de l’homme et est en grande partie due aux relations impérialistes.
Bien que quelques régions aient montré la capacité de produire davantage, telle la ceinture de
céréales autour de Dédougou à l’ouest, le manque de routes et de moyens de réfrigération,
couplés à une économie dirigée vers une production à des fins d’exportation, ont incité
certains paysans à s’orienter davantage vers la culture du coton et des denrées non-
périssables.
L’investissement des capitaux s’est fait seulement dans la culture du coton qui a été
développée par les colonialistes dans les régions fertiles du sud, prenant une part
disproportionnée des ressources et des experts disponibles.
90% des exportations sont des produits agricoles, principalement le coton et le bœuf,
accessoirement le beurre de noix karité, les arachides et des fruits et légumes hors-saison
destinés avant tout aux pays voisins et à la France.
Le revenu national moyen par tête d’habitant n’est guère plus de 200 $, le reste de la
production alimentaire est largement destiné à la consommation et à l’échange direct et à la
vente sur le marché local, souvent à la merci de la classe de commerçants exploiteuse qui
achète et revend les céréales durant les saisons basses à gros bénéfices.
Le millet, le sorgho, le maïs sont les principales cultures vivrières de base.
Quelques produits artisanaux comme le beurre karité, pour les huiles et le savon, et la bière
locale, appelée dolo, permettent un léger échange monétaire que les femmes peuvent utiliser
pour acheter quelques produits de base, pour affûter ou réparer leurs outils ou acheter un
morceau de craie si elles ont un enfant à l’école.
Dans les vingt années depuis l’indépendance, l’alphabétisation a augmenté de 5% à seulement
16% et a stagné en dessous de 6% à la campagne, avec deux fois plus de garçons que de filles
admis à l’école.
Comme c’est le cas de beaucoup de situations néo-coloniales, les « instruits » allaient soit à la
ville, soit dans les pays voisins pour trouver des emplois appropriés vu que la trésorerie
nationale faible ne pouvait pas embaucher constamment de nouveaux fonctionnaires, et peu
furent-ils à ce moment-là qui voulaient retourner à la misère accablante et au travail exténuant
de la vie paysanne.
La vie est dure ; les problèmes tout à fait fondamentaux de nourriture et d’eau potable
suffisante restent un obstacle majeur à la campagne.
A cause d’une division du travail tribale traditionnelle dans la plupart des nombreux groupes
ethniques divers, les femmes sont responsables de la totalité des besoins matériels de leurs
enfants, ainsi que de ceux que le chef de lignée leur confie jusqu’à l’âge de sept ans, formant
ainsi dans beaucoup de cas une communauté fermée. Dans une journée type, ce sont elles (et
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leurs filles dès le plus jeune âge) qui doivent marcher de dix à quinze kilomètres pour
chercher de l’eau, ramasser du bois et entretenir le feu, portant pioche, provisions et
nourrisson pour planter leurs champs (sur la plus mauvaise terre et la plus éloignée de la
maison) avant de rentrer moudre le millet, faire le ménage et préparer le repas du soir.
Elles retournent de nouveau chercher de l’eau le soir et passent une grande partie de la nuit à
faire brasser de la bière à partir du millet et du sorgho, ce qui peut être vendu sur le marché
local.
L’espérance de vie est de 44 ans, mais seulement de 35 pour les femmes.
Les impérialistes classent le Burkina Faso au neuvième rang des pays les plus pauvres du
monde.
La situation dont Sankara a hérité et qu’il a essayé de réformer est semblable aux autres
carcasses néo-coloniales que les impérialistes occidentaux ont créé en Afrique, et malgré le
fleuve de rhétorique sur l’aide philanthropique aux misères du Tiers Monde qui s’écoule du
FMI et de la Banque Mondiale, la plus grande misère du Burkina Faso est l’impérialisme lui-
même.
Parallèlement aux vieux rapports des classes semi-féodaux existent les rapports entre les
nations opprimées et oppressives : des paysans à peine capables de se nourrir piochant le peu
de bonnes terres qui existent pour cultiver des haricots verts qui seront vendus à Paris pendant
les mois d’hiver ; l’élevage de bétail pour l’exportation vers d’autres pays africains bien que
le bœuf ne soit pas une partie importante du régime alimentaire Burkinabé ; une économie
stagnante, non diversifiée, dont le budget central fut dirigé pendant des décennies par la
France et ses transnationaux.
Les impérialistes français appliquaient une division nette du travail pour leurs colonies ouest-
africaines : le Congo et le Tchad cultivent le coton ; le Sénégal les arachides ; le Gabon le
bois.
En plus de leur utilisation servir comme chair à canons pour les guerres européennes et
coloniales, des centaines de milliers de gens de Haute-Volta étaient envoyés pour faire du
travail forcé sur les plantations françaises de café et de cacao en Côte d’Ivoire. L’arriération
du Burkina convient à l’impérialisme et ceci est un facteur critique dans son développement.
Comme il a été déjà mentionné, une des particularités les plus frappantes et les plus
importantes du Burkina Faso est son rapport avec la Côte d’Ivoire au sud. Les deux millions
de Burkinabés qui y travaillent représentant 60% des jeunes hommes entre 18 et 35 ans du
Burkina Faso, c’est donc un pourcentage énorme de la ressource la plus précieuse du pays :
les masses laborieuses.
Leurs revenus contribuent de manière importante à faire vivre les familles paysannes au
Burkina.
L’agriculture de subsistance au Burkina Faso est l’envers de la médaille de l’agriculture des
plantations en Côte d’Ivoire, avec ses besoins en main d’œuvre à bas prix.
Pour surveiller ce réservoir en Haute Volta ainsi que ses investissements relativement
modestes dans le coton en tant que culture commerciale, la France soutenue par une
bourgeoisie bureaucrate, conserve son armée coloniale et distribue une aide à caractère plutôt
de soutien que de développement.
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En 1984, il nationalisa les terres, et il ôta aux chefs traditionnels les privilèges administratifs
et financiers.
Il condamna les « exploiteurs du peuple déguisés en chefs villageois ».
Pour atteindre ses buts dans l’agriculture, le CNR prépara un Plan pour le Développement
Populaire (PDP) sur 15 ans pour jeter les bases du premier plan quinquennal de 1985 à 1990.
Le PDP visait d’abord le cheminement vers l’autonomie économique et ensuite
l’indépendance par le biais d’un nombre de projets financés par l’Etat qui bâtiraient une
infrastructure de base et répondraient aux besoins les plus pressants des masses urbaines et
rurales.
En faisaient partie le forage de puits, la construction de petits barrages en terre, de réservoirs,
et des projets d’irrigation et le développement de potagers à travers les 30 provinces.
On comptait de gros projets « d’intérêt national » nécessitant les investissements massifs et
une mobilisation à l’échelle de la nation tels que le barrage hydroélectrique à Kompienga, le
barrage d’irrigation à Bagré et le chemin de fer Ouagadougou-Tambao.
Le véhicule politique principal créé par le CNR au pouvoir pour mener à bien ses politiques à
tous les niveaux et dans tous les secteurs de la société a été les Comités de Défense de la
Révolution ; « des organisations de masse permettant au peuple d’exercer son pouvoir
démocratique » et de participer activement à la construction du pays.
Ils avaient comme devoirs d’éduquer politiquement les masses, de les associer aux
changements révolutionnaires, d’organiser des projets collectifs d’intérêt national, et de
« défendre militairement la révolution contre les ennemis internes et externes de la révolution
par « l’entraînement militaire » des militants CDR.
Établis dans les 7000 et quelques villages que compte le Burkina ainsi que dans chaque
grande école, usine, quartier et unité administrative dans les zones urbaines, les CDR
devinrent les autorités nouvelles, et ainsi la lutte politique à l’intérieur du régime qui n’avait
jamais été résolue lors de la prise du palais présidentiel, fut reproduite à l’intérieur des CDR.
De vieux éléments de droite et des partis, écartés du pouvoir, plus des chefs déposés les
infiltraient, et les tendances rivales de gauche se disputaient le contrôle de la direction des
diverses régions. Dans les villes, La lutte incluait une contradiction supplémentaire où les
responsables syndicaux concurrençaient les CDR, qui, du moins au début, leur prenaient leur
base sociale. A un certain point, ceci dégénéra en conflit politique ouvert, alors que les
syndicats de professeurs et fonctionnaires contestaient le pouvoir des CDR et refusaient de
leur être subordonnés.
Pour l’essentiel, les effectifs des CDR étaient composés d’énergiques et enthousiastes jeunes
supporters du nouveau régime, bénéficiant d’une large liberté pour mettre en mouvement les
changements qu’ils estimaient nécessaires.
Au départ, ils étaient littéralement armés pour défendre la révolution, jusqu’à ce que « trop
d’incidents, d’abus » mettent un terme à cette politique.
Du point de vue politique, ils remplacèrent la base du parti politique au pouvoir et, dans le
contexte, représentaient en fait la formation d’une nouvelle classe de chefaillons.
Sans aucun doute, cette initiative juvénile lança de nombreux projets valables, allant de la
construction d’écoles et dispensaires, le creusement de fossés et l’aménagement de places de
marchés, jusqu’à l’organisation de cours de lecture et d’écriture, ainsi que la mise en œuvre
des objectifs du PDP.
A la campagne, les CDR s’occupaient de services communautaires et jouaient un rôle
important pour surveiller des ventes de céréales, empêcher les marchands de faire payer le
double du prix officiel du millet, ce qui, comme un des dirigeants des CDR le dit, aurait
signifié la mort de faim de certains paysans.
De part leur haine des vieilles structures basées sur les chefs villageois, les jeunes entrèrent
naturellement en conflit aigu avec les autorités qu’ils avaient remplacées, conflit qui se
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trouvait spécialement concentré dans la perception des impôts, activité qui était auparavant le
devoir du chef, lequel prenait sa part. Plus tard, cet impôt fut aboli, ce qui s’avéra être un des
plus grands coups porté à l’ancien ordre.
Bien que les CDR aient été créés pour servir de véritable maillon avec les masses, au moins
un observateur se lamenta que les paysans eux-mêmes restaient souvent sous l’emprise des
chefs villageois, surtout en pays Mossi, et dans la rivalité qui opposait les CDR aux chefs
villageois, personne ne défendait les intérêts des paysans.
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Le système de propriété foncière et rapports de classe dans la Haute-Volta et dans les pays
africains semblables, mérite une étude approfondie et diffère à maints égards de la féodalité et
la semi-féodalité telle qu’elle est apparue de façon classique en Asie ou en Europe.
La propriété foncière en Haute Volta a été liée à l’organisation hiérarchique tribale, décrite
par de nombreuses sources comme « féodale ou semi-féodale » parce qu’autrefois
fonctionnait le système exploiteur des corvées, c’est à dire du travail gratuit en plus de
certaines faveurs que le chef extorquait des paysans qui travaillaient la terre, laquelle était
tenue par la tribu et « appartenait » à la lignée ancestrale, mais était « gérée » par les chefs.
Ceci était accompagné d’une superstructure tribale correspondante qui renforçait le patriarcat,
la polygamie et la hiérarchie dans la tribu.
Figure parmi les plus oppressifs des pouvoirs tribaux, la pratique des chefs aristocratiques qui
consistait à régner par « le don de femmes ».
Plus le vassal était loyal, plus il recevait de femmes, quoique le chef pouvait les reprendre s’il
avait un compte quelconque à régler.
Les paysans donnaient leurs filles au chef pour une redistribution dans les lignées.
Les filles de leurs filles à leur tour, devaient être rendues, pour qu’il ait un approvisionnement
constant.
Ceci n’est pas de l’histoire ancienne. Les harems de la cour de l’empereur de Mossi à la veille
de la révolution en 1983 comportaient 350 femmes, sans compter les esclaves femmes.
Les autorités tribales, déchues de leurs anciens pouvoirs politiques et économiques, n’ont pas
été éliminées en tant que force et les vieilles coutumes avaient tendance à persister.
(Certaines ont trouvé que c’était à leur avantage d’intégrer la direction des CDR, mais
d’autres complotaient leur revanche).
Par exemple, même après l’établissement d’assemblées populaires dans chaque village, les
paysans continuaient souvent à élire leurs anciens maîtres aux conseils supérieurs. Malgré
l’interdiction de la pratique tribale qui consistait à offrir des cadeaux aux maîtres
« spirituels », qui agissaient en parallèle aux chefs et garantissaient la fertilité et de bonnes
récoltes, les paysans combinaient souvent un moyen d’offrir leurs chèvres ou leurs vaches la
nuit ou hors de la vue des CDR.
Un autre exemple encore plus parlant, cité par Jean Ziegler dans son livre récemment publié,
La Victoire des Vaincus, les longues queues de Bellahs, ou esclaves de la tribu Tamachek,
attendant de ramener des céréales à leurs maîtres ; ils ont essuyé un refus tout d’abord des
CDR qui disaient que la servitude avait été abolie ; les Bellahs répliquèrent : « Ne nous
embêtez pas.
Vous, vous êtes ici pendant quinze jours, mais les Tamacheks, eux, sont là pour toujours » !
Bien qu’aucun de ces incidents ne soit surprenant, et Sankara lui-même était conscient de la
mainmise continue de la tradition sur les paysans, il avait tendance à voir les rites et pouvoirs
tribaux comme de simples coutumes « culturelles » que les paysans laisseraient tomber plutôt
que de voir que ces domaines superstructurels puissants étaient le reflet des véritables rapports
sociaux matériels, toujours existants, même s’ils coexistaient avec ceux du capitalisme ou de
l’impérialisme.
Le but d’une révolution agraire menée par le prolétariat et parmi la paysannerie est
précisément de briser le vieux système de propriété, d’extirper la superstructure arriérée
féodale (ou semi- féodale) et d’affecter « la terre à celui qui la cultive » en la distribuant par
tête.
Cette politique de distribution de la terre par tête et non par famille, soit dit en passant, porte
un coup sévère aux vieux rapports patriarcaux de la propriété, puisque, d’un coup, des
femmes possèdent elles aussi des terres, et en cas de divorce et d’autres changements, elles
peuvent participer sur un meilleur pied d’égalité.
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Le fait de faire des producteurs des propriétaires indépendants de leurs terres est un aspect
important de leur libération des modes de production pré-capitalistes.
La construction d’un solide fondement pour l’économie nationale ne peut qu’être basée sur la
destruction de ces vieux rapports et non pas en les adaptant ou les réformant.
Ce stade représente la révolution bourgeoise, parce que la réforme de la terre ne dépasse pas
le capitalisme.
Mais en même temps, il fournit le sine qua non pour toute véritable et authentique avancée
vers la révolution socialiste : « le nouveau type de révolution démocratique déblaye le terrain
pour le capitalisme, d’une part, et, d’autre part, crée les éléments préalables du socialisme »,
comme l’exprime Mao Tsétoung.
C’est seulement après la destruction des modes pré-capitalistes que l’on peut mettre en avant
la question de quelle voie dans l’agriculture libérera la paysannerie - le capitalisme ou le
socialisme.
Fondées sur l’initiative, le savoir et l’enthousiasme révolutionnaire des paysans eux-mêmes,
des formes coopératives peuvent être élaborées pas à pas, telles que l’aide mutuelle, les
équipes de travail et à la fin des coopératives, au fur et à mesure que les avantages deviennent
évidents aux yeux des paysans pauvres.
Le prolétariat est contre la « coopération » bidon qui n’est pas basée sur la destruction des
vieilles structures et rapports féodaux.
De tels efforts ne font que déguiser et, à la longue, incorporer les vieilles relations.
En réalité au Burkina Faso, il s’avéra impossible de passer même à une forme de capitalisme
d’Etat (les fermes d’Etat déclarées créées mais inexistantes) sur la base d’une agriculture
semi-féodale et sans rompre avec l’impérialisme.
L’autre front majeur de la Révolution de Démocratie Nouvelle, celui qui est inextricablement
lié aussi à la mise en œuvre de la révolution agraire, c’est la nécessité de rompre avec
l’impérialisme et de construire ainsi une économie nationale, indépendante et autonome.
Dans un pays où nourrir la population et résoudre la pénurie d’eau sont des priorités
immédiates, l’industrie - l’industrie légère - doit être créée essentiellement pour servir
l’agriculture, avec du matériel modeste tel que les pompes, les puits et les outils, au lieu de
produire pour l’exportation ou de développer des ressources non nécessaires à ces buts
primordiaux.
Cela implique de mettre au deuxième plan de la ville et de ne pas soutenir un Etat trop lourd
en haut et surtout de ne pas fonder la survie sur l’aide impérialiste.
Diverses formes de la coopérativisation ont été essayées pour encourager les villageois à
produire plus, ou plutôt elles ont été imposées, une pratique contre laquelle Mao met
fermement en garde.
Etant donné que les associations de village n’étaient pas des initiatives des masses elles
mêmes, les paysans voyaient peu d’intérêt à y participer, sauf, ironiquement, dans quelques
cas où ils se sont groupés sur une base bourgeoise pour les créer lorsqu’ils se sont aperçus que
c’était un moyen d’obtenir des prêts bancaires et des crédits !
Des coopératives prématurées, quant à elles, étaient artificielles, comme le dit le même
rapport de la conférence pour l’agriculture en 1984, et avaient tendance à être reprises en
main par les bureaucrates, les propriétaires fonciers, les marchands ou les soldats salariés,
« qui ne craignaient pas de piller les ressources des coopératives parce que la seule chose
qu’ils risquaient était d’être envoyés à un autre village où ils pouvaient recommencer... »
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La plupart de l’aide injectée par le biais d’organismes français a été affectée à l’assistance
technique et le développement rural aussi bien qu’à l’extraction de l’or.
Malgré une « voltaïsation » de l’économie après l’indépendance, le commerce et les
entreprises de l’alimentation française (brasseries, huiles comestibles, moulins et raffineries
de sucre), le textile et d’autres (tabac, chaussures, etc.) ont réussi à se maintenir en bonne
position et ont continué à recevoir un traitement extrêmement favorable pendant les premières
années de la « révolution ». En 1986, lorsque le gouvernement Burkinabé décida de
renouveler les avantages fiscaux exorbitants de la société IVOLCY (une firme de vélos
« voltaïque », filiale de la transnationale française CFAO) au détriment des producteurs
locaux burkinabé de vélos, ces bourgeois nationaux furent bien entendu outragés.
Cela coïncida avec une politique globale d’importation de toutes sortes de biens de
consommation, des produits industriels et alimentaires, quoique les articles de luxe aient été
presque entièrement supprimés, au grand dam des vautours de la classe marchande - ceux qui
étaient liés aux monopoles européens hautement structurés et les marchands de longue date du
Moyen-Orient, courants partout en Afrique occidentale, tous les deux utilisant le réseau de
petits marchands traditionnels dans les rues et à la campagne.
Mais des mesures telles que l’importation de concentré de tomates lorsqu’une usine de
traitement de tomates près de Bobo-Dioulasso est tombée en panne, au lieu de la dépanner,
agissaient évidemment en leur faveur.
On peut voir une autre forme de dépendance dans le petit secteur industriel. Des sociétés
essentiellement françaises (des capitaux français à hauteur de 80%), qui datent de l’époque
coloniale, ont été développées au nom de la réduction des importations.
En réalité, en important des acides gras pour fabriquer des huiles des savons, elles
concurrencent et remplacent des produits artisanaux fabriqués à partir de karité ; ou bien en
important des équipements pour fabriquer des boissons non alcoolisées et de la bière
européenne produites à 5000 fois le coût d’un hectolitre de dolo produit localement à partir du
sorgho, cette activité promue par l’impérialisme ignore l’utilisation des matières premières
locales, réduit de façon importante le nombre de gens employés, implique qu’on investit des
capitaux pour de la bière, rien de moins, et détruit des revenus importants, bien que modestes,
des paysans tout en n’encourageant aucune autre activité économique secondaire sauf les bars
et la vente d’alcools ! Tant que le gouvernement donnait à ces sociétés des avantages fiscaux,
les paysans pouvaient acheter la bière gazeuse plus prestigieuse au lieu de la variété maison
quand ils avaient quelques sous de plus lors des récoltes.
En plus de l’aide des pays impérialistes occidentaux (les États - Unis, l’Allemagne de l’Ouest,
le Danemark et les Pays Bas, et bien entendu la France), la Banque Mondiale, le FMI, la CEE
et d’autres organismes intergouvernementaux ont aidé la Haute-Volta à garder la tête au-
dessus de l’eau, assez pour commencer mais pas pour terminer de nombreux projets « de
développement agricole », juste assez pour endiguer les disettes massives, et pour garder un
contrôle solide sur l’avenir de ce pays et pour assurer son non-développement contrairement à
d’autres pays riches en matières premières et stratégiques, tels que le Nigéria et l’Afrique du
Sud.
Le FMI appuyait une politique de « libre échange », c’est à dire, la politique de la ruine des
paysans, par le biais d’importation de céréales à meilleur marché, rendant le Burkina Faso
plus dépendant.
Très souvent, cette « aide » destructive fut engloutie par des absurdités évidentes telles que
des immeubles de bureaux confortables pour les représentants de la Banque Mondiale, ou le
règlement des 42 millions de dollars que la FAO accorda aux projets de construction dont le
tiers du budget fut absorbé par des nécessités telles que des générateurs pour alimenter les
climatisations pour les conseillers italiens, qui refusaient d’engager des paysans Burkinabé.
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Après la sécheresse de 1984-85, de l’aide arriva trop tard et fit chuter les prix des céréales
pendant l’année suivante - c’est à dire, elle n’aidait pas à nourrir la population lorsque celle-ci
en avait besoin, et ruina le marché local quand elle arriva... Un accident ?
Dès le début de la révolution, dans son Discours d’orientation politique, Sankara dénonça
violemment « l’impérialisme, qui dans toutes ses formes, essaye de nous exploiter avec sa soi-
disant aide, qui n’est qu’un moyen d’aliénation... »
Plus près de la vérité furent ses supplications éclectiques dans une interview donnée au
moment où il rendit visite aux Nations Unies en automne 1984 :
« Nous pouvons nous en servir et nous avons besoin d’aide des nations développées, mais une
telle aide n’est pas si généreuse ni si fréquente en ce moment.
La France y contribue. La part des U.S. est dérisoire, surtout lorsqu’on voit les richesses et la
prospérité de ce pays-là. Nous devons faire attention aussi quant à l’aide parce que nous ne
pouvons pas l’accepter au risque de perdre notre indépendance. Et en fin de compte, nous
savons qu’il faut nous appuyer sur nous-mêmes. »
Trois jours après son premier grand discours sur la politique étrangère en octobre 1983, dans
lequel Sankara soutenait le Nicaragua, la lutte salvadorienne et le Polisario de la République
Arabe Démocratique Sahraouie, et dénonçait l’invasion américaine de la Grenade, l’envoyé
spécial de Reagan entra sans ménagement dans son bureau avec une note diplomatique du
gouvernement des USA qui menaçait de « réexaminer ses accords de coopération et
programmes d’assistance » si le Burkina persistait à se mêler des affaires d’Amérique centrale
dont, la note concluait, « il ne connaît rien » .
Le dilemme auquel Sankara faisait face était de frayer une voie « anti-impérialiste » à
l’intérieur d’un appareil d’Etat bourgeois hérité, totalement dépendant de l’aide impérialiste et
sujet aux relations impérialistes entre l’oppresseur et l’opprimé.
Une tâche impossible. Ainsi, plutôt que de traiter l’aide étrangère comme un reflet de ce
rapport, son gouvernement essayait de le reformer, le Secrétaire Général national des CDR l’a
illustré parfaitement ainsi : « Ils utilisaient l’aide pour des Mercedes ; nous, on s’en sert pour
des pioches, des bêches et des brouettes... »
En réalité, bien que Sankara ait promis, avec le Programme du Développement du Peuple (le
PDP), de viser de nombreuses petites réalisations qui « transformeraient le Burkina Faso en
un vaste champ... », il mettait en avant (comme le font souvent les Soviétiques dans de tels
pays) l’injection massive d’investissements dans quelques grandioses projets de construction
qui, pensait-il, attireraient des donateurs d’aide et lui procureraient le prestige et la confiance
dont il avait besoin.
La plupart sont devenus des fiascos embarrassants tels que le projet d’irrigation de Sourou,
lequel fut conçu pour construire un barrage sur la rivière de la Volta Noire, dans le but de
fournir deux récoltes de céréales par an.
Sankara vida les coffres de l’Etat pour pouvoir le terminer (avec des bulldozers français)
avant l’importante célébration du premier anniversaire de la révolution, le 4 août 1984.
La structure fut achevée en temps voulu, les eaux furent recueillies et canalisées, mais alors il
ne restait plus un sou pour le matériel d’irrigation pour utiliser l’eau, laquelle s’évapora. Au
lieu de permettre une expansion de la terre et de compter sur le peuple pour inventer et utiliser
des moyens peu coûteux d’irrigation, le projet finit par drainer la trésorerie et par réduire la
terre cultivable disponible.
Un exemple d’un projet industriel totalement inutile pour le développement de l’économie
burkinabé sur une base indépendante, c’est le chemin de fer de Tambao au nord, qui appelait
le peuple à mener une « bataille du rail » et à construire trois cents kilomètres de tronçons
pour sortir du pays ses réserves inexploitées de manganèse, d’or et de bauxite. Après la pause
de 35 kilomètres, il ne restait plus d’argent et plus de rails.
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Lorsque la Banque Mondiale refusa d’aider à terminer le travail parce que le projet était trop
cher, il fut abandonné.
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Sankara avait boycotté des tentatives de créer un Commonwealth français et à maintes
reprises avait dénoncé la « balkanisation » de l’Afrique lors des sommets de non-alignés et de
l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA).
Il refusa d’assister aux sommets franco-africains de 1984 et de 1985, les appelants « des
entraves organisationnelles de l’époque coloniale », et tint à leur place son propre sommet
avec Kadhafi.
Que penser de la liaison Libye-Burkina ?
Les deux ont eu de fréquents échanges, mais ce qui comptait c’était les armements fournis par
la Libye : des chars lance-roquettes soviétiques et surtout des fusils kalachnikov, le tout en
supplément du stock militaire de maintien fourni par les français augmenta considérablement
le potentiel opérationnel du Burkina et aida à la « réorganisation » de l’armée néo-coloniale.
Au niveau diplomatique, on dit que Sankara a poliment refusé de se joindre à la proposition
incessante de Kadhafi de « fusionner leur deux pays », et certaines sources disent même que
ses tentatives de construction de l’unité entre l’Afrique Arabe et Noire s’orientaient plus vers
la coopération avec l’Algérie après le refus de Kadhafi d’accorder à Sankara les honneurs
officiels lors d’une de ses visites à Tripoli. En plus, il effectua la première visite d’Etat à la
République Sahraouie Arabe et Démocratique dans ce but.
Les liens les plus étroits qu’entretenait Sankara furent en fait ceux avec le régime de J.J.
Rawlings au Ghana, inspiré lui aussi par un coup d’Etat militaire.
Les deux formulèrent un traité de défense réciproque à partir de novembre 1983 et
effectuèrent même des manœuvres militaires conjointes.
Cette alliance avait l’air de déranger des amis loyaux des français, tels que le Gabon et la Côte
d’Ivoire et, en termes régionaux, la possibilité d’un axe pro-soviétique allant de Tripoli à
Accra en passant par Ouagadougou n’était pas une perspective plaisante pour la France ou
l’impérialisme occidental dans son ensemble.
Sankara voyagea à Cuba et en Union Soviétique, mais disait qu’il ne jouait pas Moscou contre
Paris.
Il montrait d’une attitude contradictoire envers l’Union Soviétique et le bloc de l’Est, et au
sein de son milieu et de ceux qui le soutenaient, la lutte fut âpre à ce propos.
La carte soviétique représentait une tentation d’espoir pour diminuer la dépendance de la
France, mais cette même dépendance verrouillait l’Etat burkinabé dans une certaine orbite.
L’aide Soviétique était, comme c’est souvent le cas en Afrique, canalisée à travers d’autres
régimes « non-alignés » prosoviétiques.
Cuba, si parfaitement qualifié dans le domaine des cultures commerciales non-alimentaires,
avec de nombreuses années d’expérience comme néo-colonie soviétique, proposait d’aider le
Burkina Faso à bâtir son industrie sucrière. Le Ghana et Cuba aidèrent à construire une piste
d’aéroport, la Libye donna quelques 10 millions de dollars, et d’autres aides provenaient de
l’Angola, du Mozambique, de la Roumanie et de la Corée du Nord, qui envoya du fer et du
ciment pour construire des théâtres populaires à Ouagadougou et Bobo Dioulasso.
D’autre part, Sankara annonça que les troupes soviétiques devraient quitter l’Afghanistan et il
favorisa le maintien des liens diplomatiques avec l’Albanie.
La Chine, pour sa part, fit don d’une centaine de puits dans le cadre d’une campagne pour
réduire les pénuries d’eau.
Elle donna également plusieurs millions de dollars pour construire un « stade du 4 août », et
quelques hôpitaux.
Malgré toute cette « aide amicale » de sources non-occidentales, Sankara évita de confondre
ce qu’il appelait la lutte pour l’indépendance du néo-colonialisme français avec « les réactions
épidermiques ».
A des amis qui furent étonnés à son envoi rapide d’une délégation aux côtés de Jacques
Chirac quand la « droite » regagna une majorité parlementaire en mars 1986 en France,
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rassurant sur les intentions de Burkina, Sankara, en plaisantant, remarqua : « Même si Jean-
Marie Le Pen arrive un jour au pouvoir à Paris, nous lui enverrons une délégation et nous
garderons des relations avec la France » !"
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l’augmentation des forces productives, et non de la lutte révolutionnaire des masses, la clé du
progrès social.
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Il ne s’agit pas du fait que le Capitaine Sankara avait échoué, mais du fait que sa
« révolution » ne pouvait qu’échouer.
Sankara tenta de mobiliser la paysannerie mais ne pouvait compter sur elle qui représente le
fondement et la base principale de soutien de toute véritable transformation révolutionnaire
dans un pays comme le Burkina Faso.
Il voulait s’arracher des griffes de l’impérialisme, mais s’est mis à la tête d’un appareil d’Etat
réactionnaire créé par les impérialistes eux-mêmes.
Le fait qu’il ait été abattu par la même armée néocoloniale dans laquelle il servait, démontre
une fois de plus, comme si le prolétariat avait besoin à nouveau d’une telle leçon, qu’il n’y a
pas de substitut à la destruction de l’appareil d’Etat par les masses révolutionnaires.
La prise de pouvoir par Sankara en 1983, relativement indolore, gardait en fait essentiellement
intacts l’ancien pouvoir d’Etat et l’ancien système social.
Malgré cela, les impérialistes occidentaux n’étaient pas indifférents à cette tentative de
déviation de la voie néocoloniale traditionnelle, et leurs besoins globaux dans le monde
d’aujourd’hui accélérèrent leurs manipulations politiques et financières dans le but de
normaliser le scénario, après avoir toléré un bref flirt avec la social-démocratie africaine.
La réalisation de ce scénario qui a pour effet de resserrer l’étau sur les opprimés renforce le
verdict selon lequel, d’une part, aucune classe sociale autre que le prolétariat ne peut
représenter ses intérêts authentiquement révolutionnaires et que, d’autre part, aucun raccourci
n’est possible vers la libération de l’impérialisme, dans la voie difficile et exigeante de la
guerre populaire et la lutte consciente des masses.
Source : http://www.contre-informations.fr/doc-inter/afrique/burkinafaso1.html
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