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L’évolution psychiatrique 77 (2012) 67–79

Articles de la thématique
Homicide sadique sexuel, schizophrénie et « crise
catathymique » : étude de cas 1夽,夽夽
Sadistic homicide, schizophrenia and catathymic crisis: A case study
Frédéric Declercq a,∗ , Jean-Claude Maleval b
a Psychanalyste, expert médicolégal, docteur en psychologie clinique, département de psychanalyse, université de
Gand, 2, avenue Henri-Dunant, 9000 Gand, Belgique
b Psychanalyste, professeur de psychopathologie, laboratoire de psychopathologie et clinique psychanalytique,

université de Rennes-II, 6, avenue Gaston-Berger, 35043 Rennes cedex, France


Reçu le 15 janvier 2009

Résumé
Introduits par Von Krafft-Ebing, les termes de sadisme et de meurtre sexuel renvoient à des crimes
d’individus pour qui l’excitation sexuelle est intriquée à des actes violents et cruels commis sur des victimes
non consentantes. Toutefois, chez le sujet schizophrène, ce type d’homicide n’a pas, semble-t-il, pour but
l’obtention, mais l’annulation d’une « tension » sexuelle, vécue comme insoutenable et incoercible. Ainsi,
les mutilations et l’homicide ont-ils dans ces cas une visée « libératrice » ou « soulageante ». Le concept de
crise catathymique – initialement développé par Wertham et Mayer – permet de cerner et d’ordonner la dyna-
mique qui sous-tend les crimes sadiques sexuels commis par des sujets de structure schizophrénique. Aussi
ce concept ouvre-t-il de nouvelles perspectives dans l’approche clinique et pénale de ce type d’homicides.
Ceci est illustré par l’étude du cas de M. X.
© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Homicide ; Sadisme ; Comportement sexuel ; Schizophrénie ; Psychodynamie ; Psychiatrie médicolégale ;
Crise cathatymique ; Cas clinique

夽 Cette étude de cas s’appuie sur des entretiens cliniques et médico-psychologiques ainsi que sur les écrits autobiogra-

phiques et le dossier judiciaire intégral de l’auteur des faits.


夽夽 Toute référence à cet article doit porter mention: Declercq F, Maleval JC. Homicide sadique sexuel, schizophrénie

et « crise catathymique » : étude de cas. Evol psychiatr 2012;77.


∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : frederic.declercq@ugent.be (F. Declercq).

0014-3855/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.evopsy.2010.04.006
68 F. Declercq, J.-C. Maleval / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 67–79

Abstract
The notion of sexual sadism and homicide was introduced by von Krafft-Ebing and refers to individuals
whose sexual enjoyment is related to violence and cruelty. However, for schizophrenics it seems like this type
of homicide is not related to sexual enjoyment, but to an attempt to neutralize an unbearable and uncontrollable
sexual “tension”. In these cases, homicide aims at relief and liberation. The notion of catathymic crisis,
which was initially developed by Wertham and Mayer, permits us to grasp the logic and the dynamics of
sexual sadistic murders committed by schizophrenics. This opens a new perspective on the clinical and legal
approach to such violent acts. The present paper illustrates this with the case study of M. X.
© 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Homicide; Sadism; Sexual behavior; Schizophrenia; Psychodynamic; Forensic Psychiatry; Cathatymic crisis;
Clinical case study

1. Introduction

Introduites par Von Krafft-Ebing, les notions de sadisme sexuel et d’assassinat par « lubricité »
(lustmord) renvoient à des sujets pour qui l’excitation sexuelle est intimement associée à des actes
violents et cruels. Chez ces derniers l’obtention de l’orgasme nécessite d’infliger des blessures
et des mutilations à une victime non consentante [1]. Paradoxalement, l’homicide sadique sexuel
n’est pas toujours fonction de la jouissance sexuelle de l’auteur des faits : c’est pourquoi certains
auteurs ont proposé d’élargir la définition du meurtre sadique sexuel en le qualifiant d’homicide
volontaire dont la motivation est sexuelle [2]. Il semble en effet que chez le sujet schizophrène,
ce type d’homicide n’a pas pour but l’obtention mais l’annulation d’une « tension » sexuelle
insoutenable et incoercible. Aussi, les mutilations et l’homicide auraient-ils chez le sujet de struc-
ture schizophrénique une visée « libératrice » ou « soulageante » pour reprendre les expressions
respectives de Guiraud et Cailleux, et de Wertham et Maier [3–6]1 .
Si les homicides sexuels commis par des psychopathes sexuels ou assassins par volupté ont
fait l’objet de maintes études, les homicides avec motivation sexuelle commis par des sujets
schizophrènes semblent moins bien connus. Par ailleurs, ceux-ci ont surtout été examinés sous
l’angle comportemental et/ou médicolégal. Il semble que l’intérêt du clinicien pour ce type de
conduites criminelles s’est quelque peu éteint avec la psychiatrie classique. Pourtant, l’analyse
clinique du sujet et du délit permet de jeter quelques lumières supplémentaires sur la logique
– folle – de ce type de crime. En effet, les mutilations centrées sur les zones érogènes (seins,
région anale, yeux, organes génitaux), l’absence d’actes sexuels, l’évitement de tout contact avec
la victime et son choix fortuit, le soulagement qu’entraînent le crime et l’arrestation, échappent
non seulement à la raison, mais également aux modèles criminalistiques et comportementaux
classiques.

2. Homicides sadiques sexuels

Partant des données taxonomiques de la psychiatrie classique et contemporaine, et les accordant


avec les recherches empiriques récentes ainsi que la grille établie par le FBI, Bénézech répartit

1 On notera toutefois que Guiraud et Cailleux décrivent des cas d’homicides sans motivation sexuelle.
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le meurtre sexuel en deux catégories distinctes – psychopathique et psychotique [7]. À cet égard,
nous prenons soin de souligner que, contrairement à la structure clinique de la psychose, la notion
de psychopathie est ici conçue comme nosographie « empirique » et « psychopathologique » pour
reprendre la formulation de Villerbu [8]. Elle se réfère entre autres aux travaux de Von Krafft-
Ebing (lustmorderer) [1], Cleckley (The mask of Sanity) [9], Hare R.D. (Psychopathy Checklist
Revised) [10], Meloy (narcissime agressif) [11], Kernberg (narcissisme malin) [12], Racamier
(perversion narcissique) [13] et A. Green (narcissisme négatif) [14].
Organisé, souvent planifié et répété sous forme d’essais (try outs), le meurtre sadique sexuel
commis par le psychopathe sexuel est « rationnel », vécu sous le mode de la domination et du
contrôle. La victime n’ayant d’autre valeur que celle d’objet de jouissance, les actes sexuels
meurtriers sont commis sans remord ni culpabilité. Comme l’excitation sexuelle et le sentiment
de triomphe et d’omnipotence narcissique dépendent de la souffrance et de la terreur de la victime,
les tortures et mutilations sont infligées ante mortem et généralement accompagnées d’échange de
regards et/ou d’interactions verbales. . . [15–17]. La victime est ciblée et si la situation l’exige, le
meurtrier en puissance est en mesure de se contenir et de reporter son acte à plus tard. Le meurtre
n’ayant pas pour but de réduire une détresse subjective, l’homicide n’est donc pas compulsif au
sens clinique du terme [18]. Ce qui pousse le psychopathe sexuel à agir n’est autre que l’obtention
d’une gratification sexuelle. Les meurtres de ce type reposent en règle générale sur des fantasmes
sexuels sadiques. Égo-syntones, chez le psychopathe sexuel, les fantasmes sadiques sont évoqués
avec volupté [19–22] ?
Si l’homicide sexuel commis par le schizophrène part également de fantasmes sadiques, la
position subjective envers eux et la dynamique de leur mise en acte sont très différentes de celles
du psychopathe sexuel. Énigmatiques et égo-dystones, les fantasmes perturbent l’homéostase du
sujet schizophrène au plus haut point. De nature compulsive, l’acte violent est accompli sur le
fond d’une « tension psychique » insupportable et a pour visée le retour à l’équilibre psychique
[2,7,23,24].

3. La « crise catathymique »

Contemporain de Guiraud et de Calleux, Wertham (1937) approche les « monomanies homi-


cides » (Esquirol), à l’aide du concept de « crise catathymique »2 [25,26]. Introduite par H. Maier
(1912) – successeur d’Eugène Bleuler à hôpital psychiatrique Burghölzi de Zürich – celle-ci décrit
un processus psychique qui mène le sujet qui la traverse, à la conclusion inamovible que seuls le
suicide ou le meurtre peuvent le sauver. Or, la particularité de la crise catathymique réside en ceci
que le conflit psychique qui se situe à la base de l’homicide est inconscient ou inconnu du sujet.
Tout au plus, le sujet peut-il rapporter un état de « tension » psychique diffus, souvent accompa-
gné de poussées d’angoisses, d’un syndrome dépressif et de troubles de la pensée. Incoercible et
inexplicable, cette tension finit donc par donner naissance à l’idée que seul un acte violent peut
y remédier. Accompli, l’homicide soulage en effet le meurtrier des symptômes qui l’accablent.
Notons en passant que la dynamique qui sous-tend la crise catathymique se démarque de la notion
de « perte de contrôle épisodique » introduite par Satten (1960) [27] et de ses successeurs, ou de
notions dérivées comme le « désordre explosif isolé ou intermittent » (isolated explosive disor-
der) (American psychiatric Association, 1980, DSM-III). Contrairement à ceux-ci, l’homicide
catathymique est un acte réfléchi et intentionnel, plutôt qu’une explosion de rage aveugle.

2 Du grec : « katha » et « thymos » ou « correspondant aux affects ».


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Elaborant plus en avant le concept de Maier, Wertham répartit ladite crise catathymique en
cinq stades :

(1) à l’origine, se situe un conflit affectif, de source inconsciente, provoquant une tension
psychique ayant fréquemment pour corollaires des hallucinations et un état confusionnel
dépressif ;
(2) la tension psychique atteignant un paroxysme, le sujet devient de plus en plus égocentrique et
replié sur lui-même. Ce tableau clinique évoque le négativisme de Kraepelin [28] et l’aboulie
de Bleuler [29]. Lors de ce repli, l’idée se forme et finit par se fixer, que le suicide ou l’homicide
constituent l’unique échappatoire à cet état ;
(3) dans un troisième temps l’état de tension culmine dans le suicide ou l’homicide (ou sa
tentative) ;
(4) l’homicide a un effet soulageant sur celui qui le commet. La tension se dissipe et les phéno-
mènes pathologiques disparaissent. Le meurtrier est calme et serein ;
(5) le temps passant, le sujet prend conscience de son forfait et l’équilibre psychique se rétablit.
Dans le cas contraire, le sujet régresse au premier stade et d’autres meurtres peuvent s’ensuivre
[25,26,30–32].

Par souci d’économie, Schlesinger réduit les cinq stades de Wertham à trois temps : incuba-
tion (1–2), violence (homicide ou suicide) (3) et soulagement (4–5) [30–32]. Comme la phase
d’incubation, ou les deux premiers temps de Wertham, peut s’étendre sur des jours comme sur des
mois, voire une année, les mêmes auteurs introduisent une distinction – non négligeable – entre
crise catathymique aiguë et crise catathymique chronique. Dans la première, la phase d’incubation
est de courte durée ; dans la seconde, elle peut s’étendre à des mois, voire une année,– période
pendant laquelle le sujet conçoit éventuellement un plan. La crise catathymique peut donc donner
lieu a un acte violent impulsif ou, plus rarement, à un meurtre prémédité et organisé, comme
dans le cas présenté plus bas. Ainsi, le sujet schizophrène traversant cette crise peut-il s’attaquer
soudainement, et parfois en public, aux yeux angoissants d’une inconnue, étrangler le partenaire
du moment à l’issue d’une expérience sexuelle, assassiner brutalement le conjoint de longue date,
sans raison apparente [23,33] ou après une remarque anodine [34], etc. Par contre, chez d’autres
sujets, parmi lesquels M. X, l’homicide est prémédité et planifié.

4. Le cas de M. X

De nuit, muni d’une carabine 22 mm avec silencieux, d’un cutter, d’une torche électrique,
d’une bande adhésive et d’une aiguille à coudre, M. X pénètre dans une maison du voisinage
où habite une jeune fille de 21 ans3 . Il ne lui a jamais adressé la parole. Durant l’instruction,
sa femme se rappellera que M. X lui aurait soufflé longtemps auparavant, et dans un contexte
différent, qu’il ne la trouvait pas jolie. Quatre jours avant le meurtre, M. X quitte le lit conjugal
avec l’intention de s’introduire chez cette voisine, de l’attacher et de lui couper les seins. Arrivé
devant la porte arrière de la maison, il la trouve fermée à clef et. . . fait demi-tour. Le jour des
faits, il pénètre dans la maison de la victime pendant son absence et repère sa chambre à coucher

3 À cette date, les carabines 22 mm sont en vente libre en Belgique. M. X possède cette arme pour écarter les oiseaux

de ses arbres fruitiers et pour tuer ses poules de manière moins sanglante. L’arme et les munitions sont rangées hors de
portée des enfants.
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et la disposition des lieux. Le mettant dans un grand désarroi, l’idée de lui couper les seins le
hante toute la journée. À la tombée du jour, il prend la décision de « le faire cette nuit »4 . La nuit
venue, il sombre dans un état de fatigue (nous reviendrons sur ce terme de fatigue) et hésite. Se
couchant, il se dit : « Si je me réveille, c’est un signe du destin. Alors je dois le faire ». Il s’endort
mais est réveillé par sa petite fille. Se souvenant de sa promesse, il « se doit de tenir parole »
et se rend donc vers la maison de la victime. Il se dirige avec beaucoup de précautions vers la
chambre où il la trouve endormie. Pour ne pas la réveiller, il s’avance pas à pas dans l’escalier et
ne franchit les marches que lorsqu’un véhicule passe devant la maison et couvre le bruit. Il reste
prostré devant la victime endormie durant un laps de temps qu’il n’arrive plus à déterminer, –
M. X déclarera lors de l’instruction, qu’il aurait pris la fuite si elle s’était réveillée. Prenant position
derrière elle, il pointe le fusil sur l’occiput. Il se sent à nouveau très « fatigué » et est soudainement
assailli par des voix hallucinatoires contradictoires. Les unes lui crient : « Eh bien, tire, lâche » ;
les autres : « Rentre chez toi : cette fille ne t’a rien fait ». Perplexe, angoissé, tiraillé entre les
injonctions contradictoires, il « laisse la décision à son doigt droit » et celui-ci décide d’appuyer
sur la détente. Comme s’il était le témoin de sa propre action, M. X semble donc constater que le
coup part. Alors, « le monde s’arrête » et il s’entend crier : « Ha ha, maintenant je te tiens, hein,
salope ! ». Il ne comprend pas, ni alors, ni maintenant, le sens de cette phrase.
Il coupe ensuite la chemise de nuit de la victime jusqu’à la taille avec le cutter afin de lui
dénuder les seins. Pendant un court moment, il les serre dans ses mains. Ayant l’intention de les
couper, il transporte le corps vers l’arrière de la maison car il craint d’attirer l’attention en faisant
de la lumière. Ceci fait, il serre encore une fois sa poitrine, mais constate que l’envie de les couper
s’est évaporée car « Ils sont moins beaux que ceux de sa compagne ». Il introduit alors par trois
fois l’aiguille à coudre dans le sein gauche, mais la peau « se révélant plus dure que prévu, celle-ci
n’entre que de quelques millimètres ». Voulant maquiller le crime, mais surtout son motif (comme
nous le verrons plus loin), il retourne alors chez lui pour en revenir avec deux bouteilles d’alcool
inflammable dont il asperge le cadavre et l’intérieur de la maison. Afin d’être sûr que la victime
ne souffre pas, il lui tire une dernière balle dans le cœur avant de mettre le feu. Enfin, assuré que
l’incendie prend bien, il rentre calmement chez lui, reprend place dans le lit conjugal et, selon ses
dires et ceux de sa compagne, s’endort paisiblement.

4.1. M. X

M. X a quatre frères et trois sœurs. Commerçants, ses parents font partie de la petite bourgeoisie.
À six ans, M. X perd son père à l’issue d’une maladie. Ce dernier est décrit comme laborieux,
sympathique et aimé. La mère, impérieuse, recommande la résignation et le silence. M. X pleure
la perte de son père en silence et en secret. Son enfance est une succession de maladies. Ses
professeurs et congénères d’école gardent de lui le souvenir d’un enfant solitaire, anxieux et
timide.
Ses troubles psychotiques se manifestent pendant ses études primaires sous forme de difficultés
de socialisation et de déficits intellectuels et langagiers : « Les mots ne me disent rien ». Les insti-
tuteurs ont le souvenir d’un enfant renfermé, quelque peu apathique, évitant les rapports sociaux et
ne faisant pas preuve de spontanéité,– antécédents infantiles typiques de la schizophrénie [35–37].
Sa scolarité souffre également de ce qu’il désigne après coup par une « fatigue chronique ». Cet
état, plus ou moins interchangeable avec ce qu’il nomme « dépression », constitue le fil d’Ariane

4 Les passages entres guillemets sont des citations.


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de son histoire. L’empêchant de se concentrer, cette « fatigue » influera d’abord sur ses résultats
scolaires : il redouble plusieurs années et n’achève pas le cycle secondaire. Sa mère, pour qui
le diplôme est impératif, se désespère. Ayant toujours rêvé elle-même d’une carrière musicale,
celle-ci pousse tous ses enfants à fréquenter l’académie de musique. Un de ces fils deviendra
par ailleurs un virtuose renommé. Débutant à l’âge de huit ans, M. X, lui, redouble aussi chaque
année à l’académie. Mais, à 16 ans, une autre voie se présente. Il quitte l’école secondaire pour
entrer au conservatoire et, après deux ans, obtient le premier prix de solfège. Comme ce prix
permettra à M. X d’enseigner et de gagner sa vie, sa mère est rassurée. À son grand désespoir il
quitte néanmoins le conservatoire pour cause d’états de « fatigue chronique et de dépression » à
l’issue d’une déception sentimentale. Peu après, il rencontre la mère de ses enfants.
Découvrant sa sexualité sur le tard, celle-ci porte l’empreinte de l’énigme et de l’évitement.
À sa propre consternation, il a sa première éjaculation à l’occasion d’un examen à l’âge de
12 ans. Les masturbations, fréquentes, qui suivent, provoquent des sentiments de culpabilité et de
« fatigue ». À 14 ans, il commence à s’intéresser à l’organe féminin et il « docteure » (sic) avec une
de ses petites sœurs. Dans ses propos, apparaît une étrange fascination, teintée d’angoisse, devant
l’énigme que présente pour lui la sexualité en général et le sexe féminin en particulier, lequel est
décrit en ces termes : « Des plis que je frottais et dans lesquels je m’affaissais. Pour moi, c’était
une fente. Ce qui se trouvait derrière, je l’ignorais ». Il aura une petite amie à 16 ans. Évitant le
rapport sexuel le plus longtemps possible, il en a 19 lorsqu’il consomme son premier coït avec
elle. Le laissant tomber pour un autre garçon, il rencontre alors celle qu’il désigne comme l’amour
de sa vie : une fille de 12,5 ans. Vu son jeune âge, tous deux s’accordent à proscrire tout contact
sexuel et ils vivent un amour platonique et heureux. Invoquant la différence d’âge, les parents de
la jeune fille s’interposent et ils doivent se quitter. M. X s’effondre : « Dépression et fatigue ».
Alors entre en scène sa future partenaire et mère de ses enfants. C’est envers elle que les
fantasmes sexuels sadiques vont se déclarer. Deux mois après leur premier rapport sexuel, une
compulsion à lacérer et à couper ses seins s’insère dans son esprit. Avant et pendant l’acte sexuel,
il presse les seins de sa compagne avec force. Parfois il les frappe. L’idée lui vient une fois de
couper dans ses seins pour ensuite les recoudre. Il arrive qu’il éjacule avant le coït. Mme X n’y
prend pas plaisir, mais se laisse faire, d’autant que, l’acte accompli, M. X se révèle calme et
attentionné à son égard. En effet, les jours précédant la rencontre sexuelle, M. X est irritable,
tourmenté, mutique et absent. Assailli par cette compulsion qu’il repousse de toutes ses forces,
M. X se sent en effet « dépressif, absent et coupé du monde ». Après le coït, s’ensuit une période
où il se sent « allégé ». Sa partenaire observe elle aussi que, l’acte sexuel accompli, il a l’air d’être
débarrassé d’un fardeau. Tel est le cycle qui anime la vie du couple.
Or, comme cette compulsion et l’acte sexuel qui s’ensuit le répugnent, – même lorsqu’ils
s’expriment sous la forme « diluée » de presser les seins avec force ou de les frapper, il essaie – en
vain – de quitter sa compagne. Jeune, d’origine étrangère, sans ressource et très éprise de lui, M. X
n’arrive pas à la « laisser tomber ». Il se tourne alors vers d’autres femmes envers qui la compulsion
à couper les seins ne s’affirme pas. Interrogées à ce sujet par le juge d’instruction, toutes corro-
borent ses dires – les rapports sexuels n’ont eu, avec elles, aucune connotation sadique. Libéré de
cette compulsion pendant ces relations extraconjugales, M. X « se sent revivre ». Alarmée par ces
relations qu’il ne lui cache pas, sans pour autant lui confier que la fuite devant cette compulsion
sadique en est la raison, sa compagne craint la séparation. Dans un premier temps, elle sème la
discorde avec ses maîtresses et ensuite, sans l’en informer, car il ne veut pas d’enfants dans ces
conditions, elle cesse de prendre ses contraceptifs. La quitter s’avère d’autant plus difficile qu’il
devient deux fois père.
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Tôt ou tard, les relations qu’il entretient avec d’autres femmes prennent donc fin et chaque rup-
ture le renvoie auprès de sa partenaire. Dès lors, le fantasme sadique s’impose à nouveau à son esprit
et, à terme, devient de plus en plus exigeant. Serrer les seins ne suffit plus. Il commence à piquer le
sein gauche de sa compagne avec une aiguille à coudre et, pendant son sommeil, essaie d’injecter
de l’éther dans ses seins à l’aide d’une aiguille hypodermique (questionné là-dessus, il dira qu’il
voulait les rendre plus volumineux). « Rendu fou » par cette compulsion et n’arrivant pas à se sépa-
rer de sa compagne, il sent qu’il « doit faire quelque chose ». Quatre mois avant les faits, il songe à
tuer sa compagne. Il se procure du chloroforme pour qu’elle ne souffre pas lorsqu’il lui tirera une
balle dans la tête. Comme elle se réveille, la tentative achoppe et l’intention de la tuer l’abandonne.
Pendant les mois qui suivent, plusieurs situations stressantes s’accumulent et viennent s’ajouter
à ses tourments : rupture avec son associé, fermeture de leur entreprise, disputes sur la comptabilité,
problèmes d’argent, etc. Des angoisses se manifestent, un état dépressif s’installe et la compulsion
à couper s’accentue : « de jour en jour ; les pensées sadiques se font plus fortes ». Au psychiatre
chargé de l’expertise médicolégale, il confiera que durant cette période, il aborde, dans un état
second, des filles avec l’intention de couper leurs seins. Voyant qu’il n’est pas dans son état normal,
elles prennent la fuite. Il en est soulagé et ne tente pas de les poursuivre. Sentant néanmoins
que cette compulsion va finir par prendre le dessus, il a « l’intuition » que sa mise en acte l’en
débarrassera pour de bon. Ne pouvant couper les seins de sa compagne, il coupera ceux de
Mlle Y, la fille du voisinage. Il ne s’explique toujours pas la raison pour laquelle il s’est tourné
vers elle. En ce qui le concerne, la victime ne possède pas d’attrait particulier pour lui. Dans
le dossier de l’instruction, la victime est décrite comme studieuse, catholique et dévouée. Élève
régulière, elle doit travailler avec persévérance afin d’obtenir les résultats escomptés. Elle a un
caractère facile, effacé, équilibré et ne rechigne pas à la tâche. Elle n’a pas de cercle d’amis très
étendu et ses loisirs se passent essentiellement en famille. On ne lui connaît pas de petit ami ni
d’aventures amoureuses. Elle n’est pas décrite comme séduisante ou attirante, plutôt le contraire.
Le portrait qui émerge des différents témoignages est celui d’une jeune femme passant plus ou
moins inaperçue.
Depuis son enfance, M. X souffre donc de ce qu’il désigne par des états de « fatigue chronique ».
Les entretiens font apparaître que ce terme renvoie à un état d’apathie, d’engourdissement, de
mutisme et à un sentiment d’être « coupé du monde ». Apparemment, ce terme de « fatigue chro-
nique » fonctionne comme un néologisme, c’est-à-dire comme une locution qui permet au sujet
psychotique de donner une signification à des phénomènes qui lui échappent. Des lors, le sujet
psychotique « n’a plus rien à expliquer, rien à chercher, le mot dit tout. . . » pour citer Séglas [38].
Ces états de négativisme/aboulie se manifestent chez M. X à la suite de situations stressantes telles
que des déceptions amoureuses, des déboires professionnels, et surtout les compulsions sadiques
qui s’imposent à son esprit et le tourmentent.
M. X soigne ces états de fatigue et de dépression en se nourrissant de légumes cultivés de
façon biologique. Sa partenaire déclarera que c’est une véritable obsession. Il ne boit ni ne fume
et a un profond mépris pour les drogues. Pendant la reconstruction des faits, M. X choquera les
policiers et experts par son insistance à savoir si ce type de nourriture est disponible en prison.
Le végétarisme a pour M. X une double portée. D’une part, il exerce un effet bénéfique sur ses
« fatigues chroniques » ainsi que sur des sensations qui émanent de son corps, à savoir que ses
« mains et ses pieds gèlent ». D’autre part, il a une portée « idéologique ». Le végétarisme, auquel
il s’identifie avec rigueur, est synonyme de santé et de paix. La viande et les légumes traités,
par contre, sont identifiés à la maladie et au « mal ». Il n’est pas impossible qu’un autre facteur
stabilisateur, souvent repéré dans la psychose, s’ajoute à la suppléance du végétarisme, notamment
une identification à un idéal maternel. Ayant voulu elle-même être musicienne, la mère de M. X a
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enjoint ses enfants à fréquenter l’école de musique. Après une carrière vite avortée et bien avant
les faits, M. X a ainsi fait partie d’un trio musical qui a connu quelque succès et une certaine
notoriété. Pendant son incarcération, M. X pratique ses instruments.

4.2. Incendie criminel nocturne

M. X pénètre dans la demeure de la victime avec l’intention de lacérer et de couper ses seins.
L’assassinat et l’incendie semblent avoir une double portée. D’une part, ils doivent dissimuler le
crime. D’autre part, ils ont pour but de dissimuler les fantasmes déviants. Les interprétant comme
un signe de folie, M. X cherche anxieusement à les cacher. Ses propos concordent avec les données
du dossier de l’instruction. À dessein de passer sous silence cette compulsion sadique, il fera de
fausses dépositions à la police, disant par exemple qu’il s’est introduit chez Mlle Y pour la violer.
Passant finalement aux aveux, les rapports de police signalent qu’il s’exprime difficilement, par
à-coups et avec honte du fantasme sadique qui le mène à la victime. Après avoir avoué, les officiers
de police chargés de l’interrogatoire notent que M. X demeure hébété, prostré, immobile pendant
plusieurs heures.

5. Discussion

Nous structurons le cas de M. X à l’aide du concept de « crise catathymique » et tâchons de


l’éclairer à partir d’observations d’orientation psychanalytique.

5.1. Incubation

Manifestement, le conflit affectif que Maier et Wertham situent à la source de cette crise res-
sort du domaine sexuel, lequel est en règle générale problématique chez le sujet psychotique.
Dissocié ou forclos, le fantasme sexuel est vécu comme énigmatique et fondamentalement étran-
ger à sa personne. À l’instar d’autres sujets psychotiques, M. X considère que ce dernier s’est
inexplicablement logé à l’intérieur de sa personne. Aussi, la jouissance qui en découle est-elle
éprouvée comme déroutante et menaçante, créant une « tension psychique » qui le plonge dans
un état de dépression et de confusion. M. X est alors figé, replié sur lui-même, irritable, mutique,
désintéressé. Apparemment, M. X est encombré d’une jouissance envahissante, en l’occurrence
générée par les seins de sa compagne.
Soit dit en passant, ces désordres dans le champ de la jouissance se montrent également sur un
autre plan, – lequel n’est d’ailleurs pas sans rapport avec l’homicide. En effet, le cycle sexuel du
couple de M. et de Mme X ne suit pas uniquement les contingences de la rencontre, mais aussi
et surtout. . . celui de la lune. Dès le début de leur relation, Mme X s’aperçoit que les pulsions de
M. X se manifestent principalement lors des périodes de pleine lune et les nuits qui leur succèdent.
Lors de l’instruction, M. X confirmera cette observation et ajoutera que la pleine lune a également
fait fonction de détonateur. Consulté par le juge d’instruction, l’institut royal météorologique
confirme que lorsque M. X se rend à la maison de la victime, quatre jours avant les faits, la lune
est effectivement dans sa phase pleine.
Ce type de couplage de la jouissance sexuelle à un principe de constance ne semble pas être
exceptionnel chez le psychotique. Folle, déréglée, énigmatique, il arrive que la jouissance qui
hante le corps du sujet psychotique, s’arrime à un mécanisme qui l’ordonne et la règlemente
[39,40]. Ordre de l’univers chez Schreber [41,42], ordres divins, lois de la nature ou principes
mathématiques pour d’autres, chez M. X, c’est la période synodique de la lune qui semble régu-
ler les poussées de la pulsion. Comme les échappatoires (quitter sa partenaire, ses maîtresses)
F. Declercq, J.-C. Maleval / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 67–79 75

échouent, la tension devient insoutenable et l’idée mûrit de tuer sa femme et de couper ses seins.
Ainsi pense-t-il se débarrasser du fantasme sexuel. Ensuite son choix se porte sur la fille du voi-
sinage. La période d’incubation semble se boucler avec le choix de la victime et l’inspection des
lieux la nuit de pleine lune.

5.2. Passage à l’acte

Le meurtre est perpétré dans un état de désarroi, accompagné d’angoisse et d’hallucinations


verbales. Comme c’est en général le cas dans la psychose, la victime est immédiatement tuée.
L’interaction verbale est minimale sinon absente. Ainsi Ressler et al. emploient le terme imagé
« d’attaque éclair » – « blitz attack » [2]. Infligées post-mortem, les mutilations ne rentrent pas
non plus dans le registre de la torture ayant pour visée la satisfaction d’une jouissance sexuelle.
À cet effet, M. X déclarera qu’il a tué la victime avant de passer aux mutilations envisagées
afin de lui épargner les souffrances. En fait, il semble que chez le schizophrène, l’homicide vise
moins la personne que son corps, – ici conçu comme l’assise de l’objet sexuel perturbant. Telle
est peut-être la raison pour laquelle les actes sadiques sexuels commis par des schizophrènes
sont souvent centrés sur les zones érogènes : énucléation, éventration, morsures et mutilation de
la zone anale, extraction du bout des seins et de la langue par morsure, amputation des organes
génitaux masculins et extraction de l’utérus, etc. [33,34,43–45]. C’est en effet un phénomène
clinique fréquemment répertorié, qu’à défaut d’ordonnancement phallique, la jouissance sexuelle
se centre sur des organes ou des objets sexuels éprouvés comme envahissants [40].
L’injure « salope » qu’il s’entend crier après le premier coup de feu renvoie probablement
au fait que, porteuse de cet objet générant une jouissance insupportable, la victime incarne une
figure de jouissance débridée et menaçante. À ce titre, il n’est peut-être pas dénué d’importance
de souligner que la conception, fréquemment rencontrée dans la psychose, de la femme comme
salope est donc surtout un effet de la structure et ne préjuge donc en rien ou très peu de la personne
ou de l’histoire subjective de la victime. Rappelons-nous à cet égard, le profil « sans histoires »
de la victime de M. X ainsi que de sa partenaire.
Concernant la victime et son rapport avec Mme X, M. X se rappelle que la psychologue chargée
de son dossier lui a soumis l’idée que la phrase prononcée après le meurtre (« Ha ha, maintenant
je te tiens, hein, salope !! ») s’adressait peut-être, par voie de substitution ou de transfert, à sa
partenaire plutôt qu’à sa victime. À cet égard, nous avons pu observer lors de l’entretien clinique
que cette hypothèse séduit M. X intellectuellement, mais qu’il n’en surgit néanmoins pas un
effet de vérité subjective. Cette absence n’invalide pourtant pas nécessairement la justesse de
l’interprétation. Dissociés ou forclos, les contenus inconscients ne peuvent être assimilés ou
subjectivés par le psychotique [46,47].
La raison pour laquelle sa partenaire est investie libidalement par ses fantasmes sadiques sexuels
et non pas ses maîtresses ni, par ailleurs, la victime n’est pas tout à fait claire. Finalement, M. X ne
lacère pas les seins de la victime parce « qu’ils sont moins beaux que ceux de sa compagne » (sic.).
Il n’est peut-être pas abusif d’entendre par là que ses seins n’excitent pas ou en moindre mesure
ses sens que ceux de sa compagne. Par extension, il est peut-être envisageable que la même raison
s’applique aux maîtresses. N’entrant pas dans la composition élective de son fantasme, il n’est
pas impossible que leurs seins ne produisent pas chez M. X un degré de jouissance intolérable.

5.3. Soulagement et absence d’empathie

L’homicide perpétré, la « tension » se dissipe, le fantasme quitte son esprit et les voix hallu-
cinatoires se taisent. M. X est soulagé, calme et serein. Se sentant à nouveau revivre, il fait la
76 F. Declercq, J.-C. Maleval / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 67–79

demande d’une carte de colporteur. Moyennant cette activité professionnelle, il espère s’intégrer
dans le lien social et éventuellement faire la rencontre d’une femme avec laquelle il pourra refaire
sa vie. À ce stade, l’enquête judiciaire suit la piste de l’incendie accidentel. Ce n’est qu’avec
l’autopsie du corps de la victime que les recherches vont s’orienter vers le meurtre.
Lors de l’instruction M. X choquera le juge d’instruction et les experts médicolégaux en remar-
quant que la mort de la victime « le laisse de marbre ». Si l’indifférence envers la victime peut
se manifester chez le psychotique comme chez le psychopathe, celle-ci a néanmoins d’autres
fondements. La victime n’est, pour le sujet psychopathe dénué de conscience, d’empathie et de
sentiments profonds pour autrui, qu’un objet de jouissance interchangeable [18,24]. L’indifférence
du psychotique, par contre, semble ressortir d’un autre registre. Ne se sentant pas responsable
de son fantasme, le sujet schizophrène ne se sent pas coupable. L’éprouvant comme une tenta-
tive d’expulsion de quelque chose d’étranger à sa personne, le crime n’est donc pas vécu dans
le registre de la faute. Comme l’analysent Guiraud et Callieux, Werther et Maier, le sujet schi-
zophrène légitime sa conduite par le fait qu’il a pour but de le libérer d’un « mal » ou d’une
« tension » inexplicable qui se sont greffés sur sa personne. En outre, M. X obtempérait à des
« ordres » que lui intimaient des voix hallucinatoires. Néanmoins, il déclare qu’il aurait pré-
féré ne pas avoir eu à commettre cette atrocité. Il reconnaît donc son acte, tout en se sentant
innocent.
Comme elle ne concerne que la victime, l’absence flagrante d’empathie semble être le corollaire
de la crise catathymique. Ainsi, le dossier d’instruction démontre que M. X est un père attentionné,
un compagnon de travail honnête et scrupuleux, et un ami digne de confiance. Dans le même fil, il
confiera au psychiatre chargé de l’expertise médicolégale que « l’arrestation a été une libération ».
Lors de l’instruction, il écrit une lettre au bourgmestre commune, le priant de remercier les
officiers de police et les sapeurs pompiers parce que, vu la rapidité de leur intervention, le corps
de la victime ne fut pas entièrement calciné, de sorte que l’autopsie a permis d’identifier la
cause criminelle du décès. Dans le cas contraire, l’assassinat n’aurait pas été découvert et « sa
maladie aurait pu être à l’origine d’autres meurtres ». Le fait que les psychotiques se laissent
souvent facilement appréhender est probablement à mettre sur le compte de leur désir d’être
arrêtés. N’ayant barre sur leur comportement, ils semblent faire appel à une instance externe
capable d’endiguer cette force irrésistible qui les pousse à agir et devant laquelle ils se sentent
impuissants.
L’empathie dont M. X est capable agira du reste à ses dépens lors du procès. En effet, une
situation dramatique a croisé le fil des évènements, laquelle influencera l’expertise médicolégale
et à sa suite, la sanction juridique. Trois mois avant les faits, la petite fille de cinq ans du couple X a
en effet subi des sévices sexuels de la part du frère de la voisine, lequel a 15 ans. Ce dernier a avoué.
Témoin de la scène, un ami a corroboré ces aveux. M. et Mme X ont porté plainte mais l’affaire
a été classée sans suite. Ils n’ont pas fait appel, mais depuis, les deux familles s’évitent autant
que possible. L’instruction ne trouvera pas trace de querelles, d’intrigues ou de disputes entre les
deux familles ou dans le voisinage. Contrairement à l’expert médicolégal, M. X soutiendra que le
motif du crime et le choix de la victime n’étaient pas orientés par le drame qui a touché sa fillette,
que l’homicide n’était donc pas un acte de vengeance. Par compassion, il ne se portera pas partie
civile contre la famille Y et refusera que son avocat plaide les circonstances atténuantes5 .

5 Pour plus de détails sur cet entrecroisement et ses conséquences pénales, voir Declercq F., Vandenbroucke M. et

Storme I. Un cas « mixte » de meurtre sexuel sadique avec incendie criminel nocturne : psychopathie ou psychose ? [49].
F. Declercq, J.-C. Maleval / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 67–79 77

5.4. Deuxième phase du soulagement

Depuis le crime et jusqu’à ce jour, M. X ne souffre plus d’hallucinations. Les fantasmes sadiques
par contre agissent toujours, – « on ne peut plus jamais les sortir de son esprit ». Or, depuis,
M. X parvient « à mieux les gérer car il a appris à connaître leur mécanisme ». Il peut désormais
« frayer avec eux comme avec de vieux amis ». Si le fantasme n’a donc pas été extrait, le meurtre
a néanmoins réaménagé sa position subjective à son égard. Un « modus vivendi » semble s’être
établi avec le fantasme déviant. N’ayant plus à s’en défendre, ne le poussant plus à se réaliser
dans le réel, ce dernier n’est plus source de tension psychique. Pour autant que nous le sachions,
M. X n’entretient pas de relations – épistolaires ou autres – avec des femmes. Il semble tenir
la gent féminine à l’écart. C’est avec un certain amusement qu’il nous confie qu’il ne participe
pas non plus au procédé, selon lui assez répandu en prison, consistant à nouer des contacts et de
former un couple avec des femmes en liberté pour que ces nouvelles relations entrent en ligne de
compte pour obtenir certaines mesures (extra) carcérales.
Nonobstant le modus vivendi, le fantasme reste ego-dystone et son origine, obscure. Depuis les
faits jusqu’au moment présent M. X cherche toujours une explication. Après être passé aux aveux,
il insiste pour avoir au plus vite une entrevue avec un psychiatre. Il lui avoue que « l’arrestation a
été pour moi une libération » et ajoute : « Mais maintenant, j’aimerais une solution ». Durant son
incarcération, il lit des traités psychiatriques et psychologiques, ainsi que des manuels de tests
psychologiques à partir desquels il tente de s’expliquer son état. Un de nos entretiens se bouclera
de la sorte : « vous autres, psychologues et psychiatres, venez vous instruire de mon cas, mais
vous ne me dites jamais quel est mon problème ».

6. Conclusion

À l’instar des travaux de Guiraud, la crise catathymique de Maier (et de ses successeurs)
permet de cerner la dynamique d’actes d’une extrême violence qui échappent à l’entendement
ainsi qu’aux modèles criminalistiques classiques. En effet, bien que sexuel, l’acte violent n’a
pas pour enjeu l’obtention d’une jouissance, mais l’annulation d’une souffrance induite par un
excès de jouissance. Le passage à l’acte semble se centrer sur les objets pulsionnels, lesquels sont
mutilés post mortem afin de ne pas faire souffrir la victime. Enfin, les crimes catathymiques se
scellent par le retour à l’homéostase psychique. À l’issue de son acte, l’auteur se sent soulagé et
délivré des phénomènes psychopathologiques.
Le concept de crise catathymique n’est pas seulement précieux sur le plan clinique et épistémo-
logique, mais a également des implications sur le plan pénal. Allant de pair avec la schizophrénie,
les crimes « catathymiques » ont un autre statut devant la loi juridique. Il va sans dire que psy-
chose et crise catathymique n’excluent pas la responsabilité ni la dangerosité du sujet. Du reste, si
M. X. plaide l’innocence, il ne rejette pas pour autant la responsabilité de son acte ni son empri-
sonnement. En réalité, il semble surtout qu’il attend du jugement que celui-ci entérine le motif
de son crime, respectivement la fonction de l’acte dans son économie psychique croulante. La
dangerosité des meurtriers sexuels sadiques est estimée comme étant très élevée du fait que ce
type de meurtres semble s’enchaîner, – la série ne s’achevant qu’avec l’arrestation de l’auteur
[2,15,16,18,48]. Notons à cet effet que M. X correspond au « profil » du tueur en série psychotique
ou désorganisé et que lui-même fit part de son sentiment que les meurtres se seraient poursuivis s’il
n’avait pas été appréhendé après son premier forfait. Le risque de récidive, par contre, est difficile
à estimer du fait que, dans la majeure partie des cas, les meurtriers sadiques sexuels subissent une
sentence à vie ou font l’objet d’une mesure d’hospitalisation d’office (civil commitment) [16].
78 F. Declercq, J.-C. Maleval / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 67–79

Enfin, la notion de catathymie ouvre une autre perspective sur la nature de l’homicide. Réflé-
chi, exécuté froidement ou de façon cognitive plutôt qu’affective, et anticipant sur un effet (le
soulagement), l’homicide « catathymique » chronique a en effet un versant instrumental. Comme
la sentence pénale est, entre autres, proportionnelle à l’intention de nuire et à la préméditation, ce
type d’homicide donne lieu à de lourdes sanctions. Or la dynamique de la crise catathymique per-
met de dégager que l’homicide sadique sexuel n’est pas un acte isolé, mais constitue le deuxième
temps d’une séquence ayant pour visée d’annuler un état de détresse. Ce type d’homicide a donc
également une dimension affective6 .

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier F. Schins, H. Meurisse, M. Vandenbroecke, I. Storme,


W. Vanhout et les institutions pénitenciaires de Brugge et d’Oudenaarde.

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6 Ce thème est developpé plus amplement dans Declercq, F., Vandenbroucke M. et Storme I.. Un cas « mixte » de

meurtre sexuel sadique avec incendie criminel nocturne: psychopathie ou psychose ? [49].
F. Declercq, J.-C. Maleval / L’évolution psychiatrique 77 (2012) 67–79 79

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