Fiston Kasonga1 Résumé. Le bilan biologique thyroïdien (TSH, T4L et T3L) est fréquemment
Kevin Cassinari1 prescrit et sa réalisation a fait l’objet de recommandations de la Haute autorité
Valéry Brunel1 de santé en 2014. Nous avons voulu déterminer si les prescriptions de bilans
thyroïdiens, réalisés au CHU de Rouen dans le cadre du diagnostic initial de
François Fraissinet1
dysthyroïdie, respectaient ces recommandations ainsi qu’évaluer leur évolu-
Frédéric Ziegler1,2 tion entre 2014 et 2017. Nous avons réalisé une étude rétrospective descriptive
1 Service de biochimie générale, Institut
incluant des patients ayant bénéficié d’un bilan thyroïdien du 1er juin 2017 au
de biologie clinique, CHU de Rouen, 29 juin 2017. Sur les 1 143 bilans retenus pour évaluer la juste prescription du
France
2 Inserm UMR 1073, Faculté de
bilan thyroïdien, 143 ne respectaient pas les recommandations (12,5 %). Sur
médecine et de pharmacie, Université ces 143 bilans, 108 (75,5 %) provenaient des unités de consultation ou d’hôpital
de Rouen, France de jour. Le pourcentage non négligeable de bilans thyroïdiens ne respectant pas
<frederic.ziegler@chu-rouen.fr> les recommandations s’explique essentiellement par la réalisation « d’un bilan
thyroïdien complet » pour des raisons de commodité.
Mots clés : bilan thyroïdien, juste prescription
Abstract. The thyroid blood test (TSH, FT4, FT3) is often prescribed. This test
follows specific French guide-lines. The aim of this work was to study whether
its prescription, as part of the initial diagnosis of dysthyroidism, complied with
the official recommendations at Rouen University Hospital. We also evaluated
the evolution of its prescription between 2014 and 2017 at Rouen University
Hospital. A descriptive retrospective study was performed on patients who had
undergone a thyroid blood test from June 1st, 2017 to June 29th, 2017. Among
the 1,143 thyroid blood test used to assess the suitable prescription of the thyroid
blood test, 143 did not respect the guide-lines (12.5%). Among the 143 thyroid
blood test, 108 (or 75.5%) came from consultation or day hospital units. The
significant percentage of thyroid tests that did not comply with the guide-lines
is mainly due to the achievement of a “complete thyroid blood test” for reasons
of convenience.
Article reçu le 06 juin 2018,
accepté le 15 juin 2018 Key words: thyroid assessment, suitable prescription
L’exploration biologique de la fonction thyroïdienne de la population générale asymptomatique n’est pas recom-
comprend le dosage de la thyréostimuline (TSH), de la thy- mandé mais cible certaines populations à risque (tableau 1)
roxine libre (T4L) et de la triïodothyronine libre (T3L) [1]. [3]. Le diagnostic clinique des dysthyroïdies repose sur un
Le dosage de ces trois hormones est effectué dans le cadre faisceau de signes cliniques (tableau 2) dont la sensibilité
doi:10.1684/abc.2018.1359
du dépistage, du diagnostic et de la surveillance des dysthy- et la spécificité sont médiocres [4]. La grande diversité de
roïdies (hyperthyroïdie et hypothyroïdie) [2]. Le dépistage présentation des dysthyroïdies sur le plan clinique et sa pré-
valence non moins négligeable (0,5 à 5 % de la population
selon les études) explique la fréquence importante de la
Tirés à part : F. Ziegler prescription du bilan thyroïdien. C’est ainsi que, en 2012,
Pour citer cet article : Kasonga F, Cassinari K, Brunel V, Fraissinet F, Ziegler F. La juste prescription du bilan biologique thyroïdien dans le cadre du diagnostic d’une
dysthyroïdie. Étude rétrospective au CHU de Rouen. Ann Biol Clin 2018 ; 76(4) : 421-8 doi:10.1684/abc.2018.1359 421
Article original
TSH
Augmentée
Abaissée
ou normale
T4L
T4L Si forte
suspicion clinique
Normale
Hyperthyroïdie Dopamine
T3L Corticoïdes Hyperthyroïdie
à T4L
Hypothyroïdie secondaire
secondaire ?
Élevée Normale
Hyperthyroïdie Hyperthyroïdie
à T3L infraclinique
Figure 1. Arbre décisionnel du diagnostic biologique d’une hyperthyroïdie ou d’une hypothyroïdie secondaire (d’après [6]).
moyen de bilans thyroïdiens prescrits par semaine en fonc- analytiques (tube non reçu, erreur d’identité. . .). Sur les
tion des services toujours sur la période du 1er juin 2017 au 2 821 bilans restants, 1 567 ont été exclus de l’analyse car ils
29 juin 2017. comportaient une antériorité de résultat de TSH (figure 3).
L’extraction informatique des données a été réalisée grâce à Sur les 1 254 bilans restants, 1 143 (91 %) contenaient un
un logiciel de gestion des demandes informatiques (DXLab dosage de TSH. Ces 1 143 bilans ont été étudiés pour déter-
- Biocare, France). Le dosage de la TSH et des hormones miner si la prescription au CHU de Rouen dans le cadre
thyroïdiennes libres a été effectué par une méthode immu- du diagnostic de dysthyroïdie respectait les recommanda-
nologique automatisée sur cobas® 8000, module e602 tions. Parmi ces 1 143 bilans, 143 incluaient le dosage de la
(Roche Diagnostics, Mannheim, Allemagne). Les valeurs TSH et au moins une hormone libre. Nous observons que
de référence adultes utilisées par le laboratoire de biochi- 12,5 % des prescriptions ne respectaient pas les recomman-
mie générale du CHU de Rouen sont pour la TSH : 0,27-4,2 dations. Ces 143 bilans étaient 86 prescriptions de dosage
mUI/L ; pour la T4L : 12-22 pmol/L et pour la T3L : 3,1-6,8 de TSH et T4L (60,1 %), 55 prescriptions de TSH, T4L et
pmol/L. T3L (38,5 %) et 2 prescriptions de TSH et T3L (1,4 %).
Parmi les 19 services pour lesquels au moins 10 bilans ont
été considérés dans le cadre du respect des recommanda-
Résultats tions, 17 d’entre eux montraient au moins 85 % de leurs
prescriptions respectant les recommandations (tableau 3).
Sur les 2 847 bilans thyroïdiens prescrits du 1er juin au 29 Cependant, seules 30 % (20/66) des prescriptions issues du
juin 2017, 26 bilans ont été exclus pour des raisons pré- service de pédiatrie et 56 % (40/71) de celles provenant du
service d’endocrinologie suivaient les préconisations. Le nombre de bilans thyroïdiens prescrits par semaine (tableau
service de pédiatrie cumulait ainsi, sur un mois, 35 bilans 3), au sein des services les plus prescripteurs dans ce
comportant le dosage de la TSH et de la T4L et 11 asso- domaine, on note une augmentation significative de la pres-
ciant la TSH, la T4L et la T3L alors que l’endocrinologie cription en médecine interne, pédiatrie et service d’accueil
en dénombrait respectivement 26 et 5. des urgences. A contrario, on observe une diminution en
Concernant les prescriptions sans antériorité de résultat de gériatrie, neurologie et hépato-gastro-entérologie.
TSH, pour lesquelles une T4L et/ou une T3L a été dosée,
45 % possédaient une antériorité pour la T4L et/ou la T3L
dans le cadre très probable de suivi de dysthyroïdie. Parmi Discussion
les bilans sans antériorité, 79 % consistaient en un bilan
d’ajout de T4L ou de T4L et T3L pour compléter le bilan Nous avons estimé à 12,5 % les bilans qui ne respectaient
de TSH prescrit seul initialement et pour les autres, il pas les recommandations de la HAS parmi ceux réalisés
s’agissait d’un bilan initial réalisé sur 2 fiches de prescrip- dans le cadre de suspicion de dysthyroïdie. Ce pourcen-
tion différentes, celle des bilans 24/24h pour la TSH et celle tage assez conséquent ne peut être négligé au vu de la
spécifique à l’hormonologie pour les hormones libres. fréquence importante de prescription du bilan thyroïdien.
Lorsque l’on compare la prescription mensuelle du bilan Près de 40 % de ces bilans initiaux comportent un résul-
thyroïdien entre l’audit de 2014 et celui de 2017 (tableau tat de T3L alors que celle-ci ne possède d’indication que
4), on constate une augmentation de la prescription quel dans un 3e temps pour faire le diagnostic des rares cas
que soit le mois de l’année. Cette augmentation est hétéro- d’hyperthyroïdie à T3L. La quasi-totalité des bilans ini-
gène et non négligeable puisqu’elle est de 14 %, passant de tiaux ne respectant pas les recommandations comptent un
28 440 bilans à 32 455 bilans. Les mois de juillet et d’août résultat de T4L (140/143). Sachant qu’on ne retrouve de
restent les mois où la prescription est la plus faible, avec la valeurs TSH anormales que dans 33 de ces 140 bilans (13
fermeture de certaines unités. bilans avec TSH < 0,27 mUI/L et 20 bilans avec TSH
En considérant le type de bilan prescrit (tableau 5), on note > 4,2 mUI/L), 107 dosages de T4L (76,4 %) sans contri-
sur une semaine en 2017 par rapport à 2014 une augmen- bution évidente au diagnostic ont donc été réalisés. Deux
tation de prescription du dosage de la TSH seule et une services semblent plus particulièrement associer la pres-
baisse de prescription du bilan complet (TSH, T4L et T3L) cription de TSH à la T4L et/ou à la T3L dans le bilan
et des autres combinaisons d’hormones. Si on s’intéresse au thyroïdien initial : la pédiatrie et l’endocrinologie. Nous
TSH
Abaissée
Élevée
ou normale
T4L
T4L Si forte
suspicion clinique
Normale
Médicaments
Hyperthyroïdie Hyperthyroïdie
Hypothyroïdie Hypothyroïdie
infraclinique secondaire ?
secondaire
Figure 2. Arbre décisionnel du diagnostic biologique d’une hypothyroïdie ou d’une hyperthyroïdie secondaire (d’après [6]).
2 847 26
2 821
Antériorité TSH ?
Non Oui
1 254 1 567
Dosage de
TSH ? Exclusion
Non Oui
111 1 143
Dosage T4L/T3L
Respect des
Antériorité T4L/T3L ? recommandations ?
TSH seule ?
Non Oui
Non Oui
61 50
143 1000
Figure 3. Arbre décisionnel d’évaluation du respect des recommandations du 1er juin au 29 juin 2017.
pouvons formuler deux hypothèses expliquant ces prescrip- tats obtenus à partir des bilans du mois de juin 2017 sont
tions, des raisons de commodité (bilan complet à interpréter représentatifs de la prescription habituelle de chacun des
d’emblée suite à une consultation) ou une méconnaissance services. Nous avons analysé 1 143 bilans pour tous les
de la possibilité de compléter le bilan par le biologiste après services afin d’étudier la juste prescription, ce qui paraît
le dosage de la TSH. Pour ce qui concerne le dépistage des conséquent, et les interprétations n’ont été réalisées que
dysthyroïdies en pédiatrie, incluant le dépistage néonatal, pour les services (19 services) comprenant au moins 10
le dosage de la TSH reste recommandé en première inten- demandes de bilans pour évaluer la juste prescription.
tion et le dosage de la T3L ne trouve pas d’indication dans L’exclusion des patients avec une antériorité de résultat de
ce domaine [9, 10]. TSH est une autre limite. En effet, il est tout à fait pos-
Lorsque l’on compare les résultats de notre travail mené en sible qu’un patient ait bénéficié d’au moins deux dosages
2017 à ceux de l’audit de 2014, on note une augmentation de de TSH pour faire le diagnostic de dysthyroïdie : pre-
la prescription des bilans thyroïdiens de l’ordre de 14 %, non mier dosage réalisé dans un contexte aigu ininterprétable
négligeable en regard de l’augmentation des prescriptions ou encore incertitude d’une hypothyroïdie devant une TSH
de 7,1 % pour l’ensemble des examens de biochimie du comprise entre 4 et 10. Par ailleurs, l’absence d’antériorité
laboratoire sur cette même période de temps. Nous avons de résultat de TSH n’exclut pas que le patient ait pu être
également noté après trois ans une variation du nombre jusqu’alors suivi dans un autre laboratoire, auquel cas son
prescriptions de bilans thyroïdiens selon le service. Enfin, dosage considéré comme non respectant les recommanda-
le profil des bilans thyroïdiens prescrits est resté similaire. tions correspondrait en réalité à un suivi de dysthyroïdie.
Notre travail présente un certain nombre de limites. En Un autre élément qui peut expliquer la difficulté des ser-
premier lieu, nous pouvons nous demander si nos résul- vices à respecter ces recommandations est le contexte dans
Tableau 3. Comparaison de la fréquence de prescription du bilan thyroïdien et du respect des recommandations entre les différents
services du CHU de Rouen entre 2014 et 2017.
lequel est prescrit le bilan. Pour les patients vus en consulta- tions émanent des unités de consultations et de l’hôpital
tion ou en hôpital de jour, il est plus facile, pour des raisons de jour. Au total sur les 143 bilans ne respectant pas les
pratiques pour le clinicien, d’interpréter un bilan thyroï- recommandations, 75 % (108/143) provenaient des unités
dien « complet » que de recevoir un résultat initial qu’il de consultation ou d’hôpital de jour tous services confon-
pourra compléter plus tard. Ainsi, nous pouvons constater dus.
que 85 % (39/46) des bilans de pédiatrie et 97 % (30/31) des Afin de favoriser la juste prescription du bilan thyroïdien,
bilans d’endocrinologie ne respectant pas les recommanda- nous pouvons évoquer l’intérêt de mettre en place une
Tableau 4. Comparaison de la prescription mensuelle des bilans thyroïdiens, entre 2014 et 2017.
Tableau 5. Comparaison des types de bilans thyroïdiens prescrits sur une semaine, entre 2014 et 2017.
Type de demande 2014 Fréquence 2014 (%) 2017 Fréquence 2017 (%)
TSH seule 467 80,1 494 86,2
T4L seule 15 2,6 9 1,6
T3L seule 0 0 0 0
TSH + T4L 37 6,3 29 5,1
TSH + T3L 0 0 1 0,2
T4L + T3L 13 2,2 10 1,7
TSH + T4L +T3L 51 8,7 30 5,2
Total 583 100 573 100
contractualisation entre les services cliniques et le labora- Liens d’intérêts : Les auteurs déclarent ne pas avoir de
toire, basée sur les recommandations de la HAS, permettant lien d’intérêt en rapport avec cet article.
l’ajout du dosage d’hormone(s) thyroïdienne(s) sans appel
aux services ou nouveau prélèvement sanguin. Remerciements. Les auteurs souhaitent remercier le doc-
teur Julien Wils pour sa participation au projet d’audit initial
portant sur la prescription du bilan thyroïdien au CHU de
Conclusion Rouen.
5. Goichot B. Prescrire et interpréter le bilan thyroïdien. Médecine Thé- 8. Anaes. Diagnostic et surveillance biologiques de l’hyperthyroïdie de
rapeutique 2016 ; 22 : 259-64. l’adulte. Anaes, décembre 1998.