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COMMENTAIRE SEMI-GUIDE du lundi 14 octobre 2019

Au moment même où son contemporain Philippe DESPORTES fustige la monogamie, Christofle du PRE,
seigneur de Passy, parlementaire, diplomate et poète, célèbre son épouse disparue (1577) dans son recueil
de sonnets, les Larmes funèbres.

Mon cœur n’est plus dans moi, vous l’avez emporté


Compagnon immortel de votre âme pudique :
Et je vis toutefois par la belle trafique
Que du vôtre j’ai fait, vous l’avez emprunté.

Je vis donc ? Las1 non fais ! Je suis mort, absenté


Du soleil radieux qui courait en l’oblique
De mon noir Zodiac : ô cruelle et inique,
Ô Mort, tu as éteint ma plus vive clarté.

L’on me voit ressembler au portrait qui remue


Par un magicien séducteur de la vue,
Parlant, marchant, mangeant je déçois2 un chacun.

Car l’ennui qui me charme, et me livre la guerre,


Me gênant, me tuant d’un tourment non commun,
Fait que je vis au Ciel, et suis mort en la Terre.

Christofle Du PRE, Les larmes funèbres (1577). Sonnet IV.

COMMENTAIRE. Vous remplirez les cases blanches.


Introduction

Présentation de Christofle du PRE pratique, comme l’italien PETRARQUE avant lui et le français Charles
l’œuvre BAUDELAIRE après lui, l’art du sonnet, popularisé et développé par l’Ecole Lyonnaise puis
& situation de l’extrait par la Pléiade dont il est proche, même s’il reste moins connu que RONSARD ou Du BELLAY.
Ce sonnet tient aussi bien de l’élégie (art de la lamentation) que du tombeau (hommage à
la disparue).

Problématique Comment le poète renforce-t-il le pathos de sa plainte ?


En quoi… ?
Comment…?
Annonce du plan D’abord, nous étudierons l’omniprésence de la mort.
Ensuite il s’agira de questionner l’impact de la mort sur la vie du veuf.

Développement

Partie Idée, problème, enjeu Preuve technique (phénomène expliqué : Exemple


langue, style, grammaire…)
Axe I 1 Récurrence des termes : 4x dans 14 vers « immortelle »
axe choisi Présence de la mort Et formation de mots fréquente à partir du « je suis mort »
dans le sonnet : radical « mort » : « immortelle » par « O mort »
obsession de la mort préfixation et suffixation ; « suis mort »

1
Hélas !
2
Je trompe.
L’omniprésence La mort est présente aussi bien en adjectif
de la mort qu’en nom qu’en verbe (par dérivation).

2 Accumulation des images choquantes en fin « tuant », « mort »,


Violence de la mort. de sonnet pour marquer le lecteur. « guerre »,
Images choquantes. « tourment »

3 Personnification, mort anoblie (crainte) avec « O Mort » v.8


Importance donnée à la majuscule de « Mort »
la mort Invocation : la mort devient la seule
interlocutrice du poète et ce dialogue
s’annonce inégal.

Axe II 4 Basculement énonciatif : on passe du « vous » « Vous avez


axe choisi La mort envahit le au « tu ». La mort devient terriblement intime. emporte », v.1 ;
poète, elle devient sa
L’impact de la compagne familière, « tu as éteint », v.8.
mort : la mort qui remplace l’épouse
produit des défunte.
désastres en
série, et son 5 Le temps dominant dans le texte est le « on me voit », « je
pouvoir négatif Elle fixe la chronologie, présent d’énonciation mais qui est aussi un vis », « je déçois.. »
ne se limite pas à la fige, la gèle : elle fait présent itératif (d’habitude). Aucun futur dans
emporter les cesser le temps. le texte c’est-à-dire aucun projet. On compte « Parlant, marchant,
êtres chers. 12 présents de verbes conjugués auxquels il mangeant » (v.10),
faut ajouter les participes présents qui étirent « me gênant, me
encore davantage un temps déjà long. tuant » (v.12)

6 Jeu de contrastes, par oxymores ou « tu as


La mort a durci la antithèses : le monde semble impossible à éteint…clarté »
vision de l’existence vivre, devenu le théâtre de contradictions (v.8) ;
du poète, et l’a rendue violentes. Le vers final est une
sèche, radicale, antithèse « je vis au
manichéenne. Le monde du poète s’est durci et l’humain, Ciel, et suis mort en
pris en « sandwich » entre les extrêmes (vie et la Terre ».
mort, ombre et lumière) a peu de marge, peu
d’existence possible. Il est en outre écrasé par « Mort », « Terre »,
les majuscules qui font peser les abstractions « Ciel ».
et les entités naturelles, indépassables, sur le
locuteur.

Conclusion

Phase 1 La mort de l’épouse produit un sonnet glaçant, où la tragédie est non seulement omniprésente mais
Bilan aussi omnipotente.

Phase 2 La perte de l’être cher disparu tout en constituant des drames intimes est aussi, paradoxalement, le
Ouverture terreau fertile des œuvres littéraires : MALHERBE a dédié des sonnets fameux à son fils assassiné, Victor
HUGO rend hommage à sa fille Léopoldine dans le livre IV des Contemplations intitulé Pauca meae, André
VELTER à son amie alpiniste disparue en montagne Chantal MAUDUIT dans L’amour extrême. Poèmes
pour Chantal Mauduit tandis que l’oulipien Jacques ROUBAUD à sa jeune épouse dans son recueil au titre
parlant Quelque chose noir.

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