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com

BULLETIN

n° 25

préparé par Fr. Baratte et Th. Rechniewski

2016
SOMMAIRE

Editorial ...………………………………………………………………………... p. 3
XXVIIIe réunion (2016) ………………………………………………………… p. 4
Sommaire ………………………………………………………………………... p. 5

COMMUNICATIONS SCIENTIFIQUES

PASCALE CHEVALIER, NIKOLA JAKSIC ET MILJENKO JURKOVIĆ


Zadar, ses environs et la Dalmatie septentrionale dans l’Antiquité tardive p.7

MORANA ČAUŠEVIĆ-BULLY, SÉBASTIEN BULLY, RANKO STARAC


Actualité de la recherche archéologique sur les sites religieux de l’Antiquité tardive
dans le Kvarner p. 17

ANA MIŠKOVIĆ
The water well in Zadar's cathedral p. 29

MERI ZORNIJA
A sign of faith in the open sea: the early christian Church of St mary on the island of
Kornat (Croatie) p. 52

JOSIPA BARAKA PERICA


I siti archeologici della tarda età imperiale sul territorio di Zadar:
alcune ruflessioni e novità p. 67

ANTE UGLEŠIĆ
Podvršje – Glavčine: results of the most recent research p. 74

INFORMATIONS BIBLIOGRAPHIQUES …………………………………………….. p. 86

Présentation de l’Association ……………………………………………………. p. 100


Compte-rendu de l’assemblée générale de 2016 ………………………………… p. 101
Réunion à venir (XXIXe réunion 2017)………………………………………...... p. 107
Revue ANTIQUITE TARDIVE ………………………………………………………. p. 108
Cotisations ………………………………………………………………………..p. 112

BULLETIN D’ADHESION ………………………………………………………….. p. 113

5
COMMUNICATIONS SCIENTIFIQUES
PASCALE CHEVALIER, NIKOLA JAKSIC ET MILJENKO JURKOVIĆ

Zadar, ses environs et la Dalmatie septentrionale dans l’Antiquité tardive

La 28e rencontre de l’APAT, qui s’est tenue à Zadar du 28 mai au 1er juin
2016, a bénéficié d’un programme combinant comme à l’accoutumée des présentations
en salle de nouvelles recherches sur les monuments tardoantiques de Zadar, de ses
environs et plus largement de la Dalmatie septentrionale, le 29 et le 31 mai, avec un
certain nombre de visites sur le terrain qui ont permis aux participants de se voir des
musées, des sites majeurs, des fouilles récentes, ou des lieux qui demandent une
réinterprétation1. Nous évoquerons ici brièvement ces visites, dans leur ordre
chronologique, en omettant les monuments qui font l’objet d'un traitement plus long
dans les articles qui suivent.
La première journée de visite a commencé par les monuments de Pridraga
près Novigrad, d’abord par Saint-Martin, une église paléochrétienne à nef unique et
chevet triconque (21,50 x 13,50 m), miraculeusement préservée dans son état médiéval
jusqu’aux années 1990, où elle fut bombardée. L’office des Monuments historiques de
Zadar, qui venait de l’étudier, a pu la reconstruire à l’identique (fig. 1). On a donc
aujourd’hui sous les yeux une réplique de sa phase de construction primitive (Ve
siècle)2, avec quelques retouches médiévales (fenêtres obstruées, charpente continue,
etc.) et les ruines du baptistère du VIe siècle. Les murs gouttereaux de la nef de Saint-
Martin sont scandés de lésènes et éclairés par deux paires de bifores, une autre baie
identique ouvre dans la façade occidentale rythmée également par quatre hautes lésènes
; les conques du chevet sont épousées chacune par une triple arcature aveugle. Pavuša
Vežić qui a étudié l’édifice et assuré sa reconstruction en 1997 y voit au départ une
église privée, un oratoire de villa rustica. La nef de l’église est dans une seconde phase
(milieu du VIe siècle) précédée par un vestibule et flanquée de deux portiques latéraux ;
celui du sud aboutit à une pièce ouvrant sur le baptistère octogonal à piscine
hexagonale, doté d'une profonde absidiole orientée. À l’intérieur, un synthronon

1
Le programme a été conçu par Nikola Jakšić et Ivan Josipović de l’université de Zadar, avec
Miljenko Jurković (Centre international de recherche sur l’Antiquité tardive et le Moyen Âge –
IRCLAMA). Les contributeurs aux sessions scientifiques du programme ont été Josipa Baraka,
Ante Uglešić, Meri Zornija, Ana Mišković, Sébastien Bully et Morana Čaušević-Bully, dont les
textes suivent dans ce numéro du Bulletin. Les éléments concernant la cathédrale de Zadar,
présentés par Nikola Jakšić, sont évoqués dans cette brève chronique, tandis que les nouvelles
recherches menées sur l’île de Rab, dont ont parlé Gian Pietro Brogiolo, Alexandra Chavarria et
Miljenko Jurković, seront publiées dans le prochain numéro de la revue Hortus Artium
Medievalium. Les visites sur les sites ont été guidées par Nikola Jakšić (Nin, Zadar, Biograd),
Pascale Chevalier (Nin, Zadar, Pridraga), Ivan Josipović (Nin, Zadar), Miljenko Jurković (Nin,
Zadar, Pridraga), Mate Radović (Nin), Majda Predovan (Nin), Meri Zornija (Kornati), Miljenko
Domijan (Zadar).
2
Cf. l’étude récente de P. Vežić, « Dalmatinski trihonkosi », Ars Adriatica 1, Zadar, 2011, p. 34-
37. Voir aussi (en français) P. Chevalier, Salona II – Ecclesia Dalmatiae, Rome-Split (CEFR 194-
2), 1995, t. 1, p. 91-93 ; ou A. Uglešić, Ranokršćanska arhitektura na području današnje Zadarske
nadbiskupije, Zadar, 2002, p. 52-56.

7
également restauré épouse l’hémicycle de la conque orientale. Saint-Martin est toujours
l’église du cimetière du village de Pridraga.
À quelques centaines de mètres se trouvent les ruines de l’église hexaconque
Saint-Michel3, bâtie sur une villa antique qui était probablement encore en fonction.
Cette petite rotonde à 6 conques est construite dans le deuxième tiers du IXe siècle, à en
juger par le mobilier liturgique qui l’ornait, réalisé par un atelier de sculpteurs au temps
du prince (knez) Trpimir4. Dans le même temps, l’église Saint-Martin est pourvue d’un
nouveau chancel. Plusieurs questions restent ouvertes : la topographie des lieux au haut
moyen âge, le fonctionnement de l’agglomération voisine avec l’église et celui de
l’établissement agricole avec la rotonde, qui en raison de son toponyme semble avoir pu
appartenir à un monastère.
L’étape suivante a été la petite ville de Nin. L’antique Aenona se situe à
18 km au nord-ouest de Zadar sur une île de forme ovale située dans la lagune formée
par l’estuaire d’un fleuve côtier (fig. 2). L’île est aujourd’hui reliée à la terre ferme par
deux ponts d’époque moderne. Sa position naturelle privilégiée vaut au site d’avoir été
occupé sans interruption depuis la fin du néolithique. Aenona obtient le statut de
municipium sous Tibère. Au sein de l’enceinte antique qui suit le contour de l'île, on
distingue encore dans le tissu urbain actuel le forum et son temple, les ruines de
quelques domus, ainsi que la voirie romaine. La visite du Musée municipal a bien
illustré ce que les fouilles ont documenté en ville et alentour. Une église
paléochrétienne flanquée d’un baptistère s’est implantée aux Ve-VIe siècles le long du
cardo maximus au croisement d’un decumanus secondaire5. L’église (26,50 x 10 m)
présentait un plan simple à nef unique charpentée, terminée par une abside semi-
circulaire saillante dont le parement extérieur était raidi par quatre lésènes. Le
baptistère était à l'origine une longue annexe rectangulaire allongée parallèlement à la
nef, et qui abritait une piscine circulaire accessible par deux escaliers obliques. Il est
transformé aux VIIe-VIIIe siècles en chapelle par l’adjonction d’une abside à l’est
(fig. 3).
C’est à Nin qu’est fondé au IXe siècle le siège d’un évêché dont le diocèse
correspondait à tout le territoire placé sous l'autorité du souverain croate. L’évêque
utilise comme cathédrale l’église paléochrétienne et sa chapelle sud. Des vestiges du
complexe paléochrétien ont été mis au jour sous l’actuelle église paroissiale6, qui doit
son aspect actuel à des travaux de construction des XVIe-XVIIIe siècles. Un des
bâtiments rajoutés au sud au XVIIIe siècle par-dessus l’ancien baptistère, a été adapté
en trésor où sont exposés des objets ecclésiastiques de valeur (principalement des
reliquaires et des éléments liturgiques), élaborés entre le début du IXe et le XIXe siècle.
Les objets les plus anciens sont deux reliquaires carolingiens, l’un en forme

3
Sur l’église Saint-Michel, voir P. Vežić, « Dalmatinski šesterolisti – sličnost i razlike », Ars
Adriatica 2, Zadar, 2012, p. 45. Sur son type architectural et ses fonctions, M. Jurković, « La
rotonde de Saint-Donat à Zadar et les églises hexaconques préromanes en Croatie », dans Chr. Sapin et
M. Jannet (dir.), Guillaume de Volpiano et l’architecture des rotondes, Dijon, 1996, p. 237-256.
4
Sur cet atelier, voir N. Jakšić, « Klesarska radionica iz vremena kneza Trpimira », dans
Klesarstvo u službi evangelizacije, Split, 2015, p. 295-314.
5
M. Kolega, « Ranokršćanski sloj arhitekture u Nadžupnom kompleksu sv. Aselu u Ninu », Ars
Adriatica 4, Zadar, 2014, p. 15-28.
6
Pour un rapport complet de ces fouilles de Marija Kolega, voir la note précédente.

8
d'aumônière ornée de figures en tôle d’argent travaillée au repoussé ; ces figures sont
celles des saints protecteurs de la ville, Ambroise, Anselme et Marcelle. Les deux
reliquaires ont probablement été apportés à Nin par les premiers missionnaires venus
d’Italie du nord diffuser le christianisme chez les Croates7. On trouve aussi une belle
châsse datée de la seconde moitié du XIe siècle, portant des médaillons ciselés et les
bustes des saints Jacques, Aroncius et Chrysogone8. Le trésor a notablement été enrichi
au XIIIe siècle par des copies, d’abord de la bourse carolingienne aux figures des
protecteurs de Nin, puis de la châsse aux médaillons, en sus de deux nouveaux
reliquaires de forme spécifique appelés à contenir les mandibules des saints. Ces quatre
reliquaires de la fin du XIIIe siècle sont l’œuvre d’un même maître, dont on conserve
les œuvres dans les trésors d'églises de Zadar9. Au début du XIVe siècle de nouveaux
reliquaires ont été fabriqués, deux en forme de pied chaussé à la manière gothique
commandés par Radoslaus Vtusanus, le chancelier du vice-roi (ban) Paul10, un autre en
forme de bras, toujours pour saint Anselme, réalisé p(er) man(us) Sym(eoni) aurific(is)
et offert par le vice-roi Paul pour le salut de l’âme de son défunt frère Georges, duc de
Nin11. Les deux petits coffrets qui contiennent les crânes de saint Anselme et de sainte
Marcelle datent du XIVe siècle ; ils sont décorés de 10 figures de saints en relief – 9
étant identiques, le 10e est d'un côté saint Jean-Baptiste, de l’autre sainte Madeleine12.
Le trésor conserve aussi un anneau massif aux armes du pape Pie II (1458-1464) qui
prouvait le statut de légat pontifical pour la Bosnie, de l’évêque de Nin Natalis (1436-
1462)13. Une intéressante monstrance Renaissance expose un des deniers de Judas – la
monnaie grecque frappée sur l’île de Rhodes vers 335 av. J.-C. porte en effet une
légende POΔION qui fut comprise comme [He]rodion. Il y en avait bien d'autres dans
les trésors ecclésiastiques d’Europe au moyen âge ; un exemplaire est conservé à Rome
à Sainte-Croix de Jérusalem14.
Dans la ville, devenue au haut moyen âge le siège de l’évêque des Croates,
toutes les églises paléochrétiennes15 sont restées en fonction. L'un des bâtiments
nouvellement construits sur les ruines d'une insula romaine est la minuscule chapelle

7
A. Milošević, « Reliquiario di sant'Anselmo e Reliquiario ignoto », dans C. Bertelli et G. P.
Brogiolo (éd.), Bizantini, Croati, Carolingi, Skira, 2001, p. 463-464; N. Jakšić, « Reliquiario di
sant'Anselmo », dans F. Crivello et C. Serge Montel (éd.), Carlo Magno e le Alpi, Skira, 2006, p.
102-103.
8
N. Jakšić, The First Five Centuries of Croatian Art, Zagreb, 2006, p. 184.
9
Ibid., p. 218-230 ; N. Jakšić et R. Tomić, Umjetnička baština Zadarske nadbiskupije –
Zlatarstvo, Zadar, 2004, p. 57-62.
10
N. Jakšić, « Reliquaires des pieds de saint Anselme », dans "Et ils s'émerveillèrent" – L'art
médiéval en Croatie, Catalogue d'exposition, 10 octobre 2012-7 janvier 2013, Musée de
Cluny/Musée national du Moyen Age, Paris, 2012, p. 63.
11
Id., « Bras-reliquaire de saint Anselme », dans J. Le Goff (éd.), L'Europe des Anjou : aventure
des princes angevins du XIIIe au XVe siècle, Catalogue d'exposition, Abbaye de Fontrevraud, 15
mai-16 septembre 2001, Paris, Somogy, 2001, p. 344, n° 125.
12
Id., « The Skull Reliquiaries of St. Anselm and St Marcella, patron of Nin », Hortus Artium
Medievalium 19, 2013, p. 425-432.
13
Id., « The Evidence from Nin concerning bishop Natalis (1436-1462), apostolic legate to
Bosnia », Miscellanea Hadriatica Mediterranea 2, 2015, p. 41-50.
14
Id. et R. Tomić, op. cit., p. 199-200.
15
P. Chevalier, op. cit., p. 83-89.

9
Sainte-Croix16, dont le linteau porte une inscription dédicatoire, mentionnant le
fondateur, le comte (župan) Godečaj (Godeçai iuppano […]isto domo co[…). Elle
appartient au type architectural de l'’glise à nef unique et transept, sur lequel sont
greffées trois absides. Ce type, « à la mode » au milieu du VIIIe siècle dans le royaume
lombard, est le plus souvent utilisé pour des églises aristocratiques privées ou des
monastères royaux. À la fin du VIIIe siècle, il se diffuse en Istrie et son exemple le plus
méridional est justement celui de Nin.
Une autre des visites a permis d’explorer la ville de Zadar. Ses origines
remontent à une agglomération de la tribu illyrienne des Liburnes, fondée sur une petite
presqu’île allongée, au IVe siècle av. J-C. Iader acquiert le statut de municipe romain en
48 av. J.-C., puis de colonie en 48 av. J.-C. La ville se voit progressivement pourvue de
la parure monumentale d’une cité : forum doté d’un capitole et bordé par une basilique
civile et un marché, au centre d’une trame urbaine orthogonale (5 cardines et 6
decumani) que l’on devine encore de nos jours ; thermes ; aqueducs... Le premier
évêque attesté prend part à un concile romain en 341. A partir de la fin du IVe siècle, la
cathédrale – sur le flanc nord du forum – puis de nombreuses églises (Sainte-Marie,
Saint-Etienne, Saint-Thomas, Saint-Platon, Saint-Démétrius, etc.) s’insèrent tant dans le
tissu préexistant (fig. 4) que dans le suburbium (Saint-Jean)17. Lors de la disparition de
la pars occidentis de l’empire, Zadar passe sous domination ostrogothique avant d’être
reconquise par les armées de Justinien. Après la disparition de Salone au début du VIIe
siècle, elle devient la capitale de ce qui allait former le thème byzantin de Dalmatie.
Prise brièvement par les Francs, Zadar est rendue aux Byzantins par la paix d’Aix en
812. Les premiers souverains croates ne contrôlent la ville qu’au Xe siècle.
La cathédrale Sainte-Anastasie est aujourd’hui un édifice très monumental
construit entre le XIIe et le milieu du XIVe siècle. Elle a été bâtie à l’emplacement de la
cathédrale paléochrétienne du Ve siècle dont les vestiges ont été reconnus par des
fouilles archéologiques18. La cathédrale paléochrétienne s’est implantée sur le flanc
nord du forum antique. Au sud de la nef, se trouvent la sacristie et un baptistère
hexagonal (fig. 5). Ces deux bâtiments se dressent au-dessus de tabernae qui longeaient
le forum. L’actuelle sacristie, Sainte-Barbara, construite à la fin du XIVe siècle, est
voûtée sur croisées d'ogives. Les fouilles ont démontré qu’elle occupe l’espace de trois
tabernae romaines qui sont adaptées dès le IVe siècle en lieu de culte chrétien. De cette
phase constructive on conserve un synthronon et des lambeaux d’un pavement de
mosaïque monochrome. Le bâtiment de dimensions modestes s’avère rapidement
insuffisant pour les besoins de la communauté chrétienne de plus en plus nombreuse de
Iader, et au cours du Ve siècle on se lance dans la construction d’une basilique à trois

16
Voir dernièrement T. Marasović, Dalmatia Praeromanica II, Split, 2009, p. 199-202, avec toute
la bibliographie antérieure.
17
P. Chevalier, op. cit., p. 100-115.
18
Sur le développement du complexe épiscopal, voir N. Jakšić, « La première cathédrale de
Zadar », Antiquité tardive 16, 2008, p. 187-194 ; Id., « Il nucleo del compesso vescovile
paleochristiano di Zara », dans R. Farioli Campanati et al. (dir.), Ideologia e cultura artistica tra
Adriatico e Mediterraneo orientale (IV-X secolo). Il ruolo dell'autorità ecclesiastica alla luce di
nuovi scavi e ricerche, Bologna, 2009, p. 303-312.

10
nefs (41 x 31 m). Son gouttereau sud reprend le mur nord du lieu de culte du IV e siècle.
Elle s’étend en largeur sur l’espace compris entre la façade des anciennes tabernae au
sud et le decumanus maximus au nord ; la nef incorpore ainsi un decumanus mineur qui
bordait la façade des tabernae, le transformant en son bas-côté sud. Au sud, par-dessus
deux tabernae rasées, est édifié un baptistère hexagonal que les bombardements de la
Seconde Guerre mondiale ont détruit ; aujourd’hui on peut visiter sa réplique exacte. Le
lieu de culte primitif, sous l’actuelle sacristie, est transformé au cours du Ve siècle en
catechumeneum ; en témoigne un sol de mosaïque représentant deux cerfs s’abreuvant à
un cratère. Des fragments des pavements paléochrétiens sont également conservés dans
les collatéraux ; ces séries de tapis carrés reprennent la largeur des bas-côtés et
l’entrecolonnement des supports de la nef. La cathédrale paléochrétienne était dédiée
aux apôtres Pierre et Paul. Au IXe siècle on y dépose des reliques de sainte Anastasie,
et cette titulature finit par l'emporter. Ses reliques sont conservées dans l’absidiole du
collatéral nord dans un petit sarcophage qu’a fait sculpter l’évêque Donat au tout début
du IXe siècle, comme l’indique l’inscription gravée dans le marbre19. La première
description de la cathédrale date du Xe siècle, elle apparaît dans le 29e chapitre du De
administrando imperio de Constantin Porphirogénète : l’édifice de forme allongée
ressemble à la basilique des Chalcoprateia de Constantinople. Ses colonnes sont de
marbre blanc et vert, elle est entièrement peinte à la manière ancienne (peut-être s’agit-
il d'un plafond de bois) et son sol orné de superbes mosaïques20. Cette description
exceptionnelle se rapporte évidemment à la cathédrale paléochrétienne. Les mosaïques
du sanctuaire ont disparu car au Moyen Âge une profonde et vaste crypte a été creusée
sous le chœur et l’autel ; le vaisseau central de la nef n’a pas encore été fouillé.
Auprès de la cathédrale, l’évêque Donat fit édifier à la jonction du VIIIe et du
IXe siècle une chapelle privée, la rotonde de la Sainte-Trinité, aujourd’hui Saint-Donat
(fig. 6). Fondée sur d'importants blocs antiques souvent sculptés qui reposent sur le
pavement du forum, l'église présente deux phases de construction21. C’est
primitivement une rotonde charpentée, isolée, à simple déambulatoire autour d’une
couronne de colonnes ; les parements extérieurs sont rythmés de lésènes, les parements
internes étant scandés de niches arrondies peu profondes. Dans un second temps, très
vraisemblablement au début du IXe siècle, la rotonde est dotée d'un étage de tribune et
de structures adjointes au sud et au nord, qui dissimulent presque entièrement l'aspect
initial en rotonde. A l’intérieur, les colonnes sont remplacées par des piliers maçonnés,
sauf les deux colonnes situées devant les trois absides orientées ; les niches sont
bouchées, essentiellement à l’aide de fragments de la première barrière de chancel. Au
nord, un escalier monte à l’étage en suivant à l’extérieur la courbe de la rotonde ; il
menait aussi au palais épiscopal. Au sud, existait une vaste salle rectangulaire, qui était
liée avec l’étage de l’église par un grand arc double et une porte (cet espace a
aujourd'hui disparu).

19
Id., « Scrigno-reliquiario di Sant’Anastasia », dans Bizantini, Croati, Carolingi, op. cit., p. 380.
20
Constantinus porphyrogenitus, De administrando imperio (éd. G. Moravschik & R. J. H.
Jenkins), Dumbarton Oaks Papers, 1967, p. 136-139.
21
Sur la rotonde Saint-Donat, l’article de fond est celui de P. Vežić, « The early-medieval phase of
the episcopal complex in Zadar », Hortus Artium Medievalium 1, 1995, p. 150-161. Sur la
fonction, voir M. Jurković, « La rotonde de Saint-Donat… », op. cit., p. 237-243.

11
La visite a aussi permis d’apercevoir deux autres grandes basiliques
paléochrétiennes : Saint-Thomas, dont la nef éclairée par une rangée de bifores est
occupée par un magasin de vêtement ; et Saint-Étienne (aujourd’hui Saint-Siméon) à
côté de la porte orientale de la ville (37 x 20,30 m). De cette dernière subsistent le mur
sud avec ses bifores à colonnettes et les deux colonnades de la nef, deux files de huit
colonnes entièrement composées de remplois antiques22. Enfin, la dernière petite église
paléochrétienne, Saint-Pierre le Vieux, placée le long d’un des decumani, est dotée
d’une adjonction importante probablement à l’époque de la seconde phase de
construction de Saint-Donat. À l’est, derrière l’abside, on a greffé une crypte extérieure
à deux nefs et double abside23, dont les voûtes sont soutenues par de puissants arcs
doubleaux et formerets, proches formellement de ceux du déambulatoire de Saint-
Donat. On a également jeté un coup d’œil aux ruines de la rotonde hexaconque
altomédiévale dite Stomorica.
Le XIe siècle et ce que l’on appelle « le premier art roman » ont été présentés
aux participants des Journées de l’APAT à travers deux exemples : l’église monastique
Sainte-Marie et Saint-Laurent24. Cette dernière, exemple typique de petit bâtiment
articulé plastiquement, avec une tour-portique en façade occidentale, possédait une
plastique architecturale et un mobilier liturgique de qualité exceptionnelle, actuellement
exposé au Musée archéologiques de Zadar, qui s’est également trouvé sur le trajet des
visites. Même s’il est quelque peu en dehors de l'intérêt des spécialistes de l’Antiquité
tardive, le portail de Saint-Laurent a ouvert une discussion intéressante sur l’un des
problèmes clefs de l’art du XIe siècle – l’extériorité. Ce portail est l’un des plus anciens
d’Europe à porter en son tympan triangulaire un Christ en gloire dans une mandorle que
soutiennent deux archanges, mais aussi les figures de l’Annonciation sur ses deux
piédroits. Le reste des collections du musée a été très apprécié par les membres de
l’APAT, en particulier la nouvelle présentation antique du premier étage, qui leur a
permis d’admirer des mosaïques de villae et de mausolées, un reliquaire et des
morceaux de chancel paléochrétiens. Fruit d'une donation royale, l’église Sainte-Marie
du monastère des moniales bénédictines est une basilique à colonnades ornées de
chapiteaux corinthiens qui rappelle les modèles paléochrétiens. Ce monastère a été
fondé en 1066 par l’abbesse Čika, petite-fille du prior de Zadar Madija et sœur du roi
croate Petar Krešimir IV ; l’église a été consacrée en 1091. La salle du chapitre, où est
inhumée en 1105 l’abbesse Vekenega, et le clocher qui lui est attaché sont les premiers
monuments de l’architecture romane en Croatie. Étant donné que la 28e réunion de
l’APAT était liée au 23e colloque annuel de l’IRCLAMA, dont le thème portait sur les
monastères, il était impossible de négliger la plus élégante abbatiale romane de la ville,
Saint-Chrysogone, non plus que la phase romane de la cathédrale.

22
P. Chevalier, op. cit., p. 110-112 et 107-109.
23
Sur la phase du IXe s. de l’église, M. Jurković, « La cripta esterna della chiesa di San Pietro il
vecchio a Zadar », dans T. Franco & G. Valenzano (éd.), « De lapidibus sententiae », Scritti di
storia dell'arte per Giovanni Lorenzoni, Padoue, 2002, p. 197-205 et 510-512.
24
Sur ces deux églises, M. Jurković & I. Marić, « Le ‘premier art roman’ en Istrie et en
Dalmatie », dans E. Vergnolle & S. Bully (dir.), Le « premier art roman », cent ans après. La
construction entre Saône et Pô autour de l’an mil. Etudes comparatives, Actes du colloque
international de Baume-les-Messieurs et Saint-Claude, 17-21 juin 2009, Besançon, 2012, 147-173.

12
Le dernier jour a enfin été consacré à une excursion en bateau dont la
destination principale était le site de Toreta sur l’île de Kornat, avec son fortin
protobyzantin perché sur une colline et une église à ses pieds, sur lequel chacun peut
lire un texte plus loin dans le Bulletin. Au retour, une courte halte à Biograd na moru a
davantage servi à acheter de remarquables jambons et fromages qui ont réjoui la
compagnie durant la traversée vers Zadar, qu’à admirer les monuments de cette ville
dévastée. Une promenade jusqu’aux ruines de la cathédrale préromane, puisque la visite
du petit musée local était impossible hors saison, a néanmoins montré aux visiteurs le
potentiel de cette « cité royale » altomédiévale encore inexplorée.

Fig. 1 – L’église Saint-Martin de Pridraga, vue du nord (cl. P. Chevalier)

13
Fig. 2 – Plan simplifié de la ville de Nin (Salona II)

14
Fig. 3 – La basilique paléochrétienne devenue cathédrale de Nin (plan M. Kolega)

Fig. 4 – Plan simplifié de la ville de Zadar avec l’emplacement des églises


paléochrétiennes visitées : 1. Cathédrale, 2. Saint-Étienne/Siméon, 3. Saint-Thomas, 4.
Saint-Pierre le vieux (Salona II)

15
Fig. 5 – Le groupe épiscopal de Zadar au Ve siècle, avec les pavements de mosaïque
(P. Vežić)

Fig. 6 – Le groupe épiscopal de Zadar au IXe siècle (N. Jakšic)

16

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