u frangais fonctionnel
au francais sur
objectifs spécifiques
Histoire des notions
et des pratiques
GisELE HoLTzer
UNIVERSITE DE FRANCHE-COMTE, BESANCON
BN is: et terminologie :
un noeud de problémes
Le présent n’est rien par lui-méme; ce n'est que le prolongement du
passé dont il ne peut étre séparé sans perdre en grande parte toute
sa signification.
Ce propos de Durkheim écrit en 1938 est une précieuse mise
en garde contre une vision trop étroitement focalisée sur le présent,
trop exclusivement centrée sur le petit temps synchronique de l'actuel,
du abel aujourd'hui», La perspective historique, en explorant les évo-
lutions sur un temps plus large, permet de dégager les continuités sous
les ruptures, qui sont rarement aussi radicales qu’on le dit, de renouer
des liens entre le passé et le présent qui n‘en est que la suite. C'est
dans cet esprit que sera présentée histoire notionnelle délimitée par
deux appellations, l'une appartenant au passé (frangais fonctionnel),
autre & la période actuelle (francais sur objectifs spécifiques).
Du francais fonctionnel au francais sur objectifs spécifiques,
cela représente quelque trente ans d'histoire qui seront retracés avec la
terminologie comme repére. «Au plan notionnel, pour qu'un nom ait
droit au titre de terme, il faut qu'il puisse, en tant qu’élément d'un
ensemble (une terminologie), étre distingué de tout autre» (A. Rey,
1979 : 20). La nécessaire distinction entre les termes d’un domaine se
fait par la définition qui établit une équivalence entre un terme et I'en-
semble des traits qui le caractérisent. En principe, la définition doit
LE FRANCAIS DANS LE MONDE / JANVIER 2004s'appliquer au terme défini et pas & d'autres. Or, 'une des grandes dif-
ficultés auxquelles on est confronté dans l'étude de la terminologie
concernant l'enseignement du frangais a des publics spécialisés, que ce
soit dans les années 1970 ou dans la période actuelle, est de différen-
cier avec précision les mots servant 8 nommer et donc a distinguer avec
clarté les notions auxquelles ces mots renvoient. II n'est pas facile de
différencier clairement les termes «langue de spécialité », «langue spé-
cialisée», «langue de la communication spécialisée» pour s‘en tenir &
ces trois exemples. Les notions sont rarement définies chez les auteurs
qui les emploient comme si la question était réglée et que chacun était
censé savoir de quoi on parle, La banalisation des termes dusage fré-
quent - et c'est le cas de «frangais sur objectifs spécifiques.» - fait que
ceux-ci sont facilement jugés transparents et sont recus naturellement,
comme un «donné» allant de soi, sans réelle mise en question.
Toute discipline qui revendique un statut scientifique (et c'est
le cas de la didactique du frangais langue étrangére) se doit de sou-
mettre sa terminologie a I’examen critique dans le but de (re)délimiter,
distinguer le plus rigoureusement possible les objets qui la constituent,
objets travaillés par l'évolution des problématiques, 'apparition de
Nouveaux savoirs et par différentes pressions externes comme les
demandes socio-conomiques et les stratégies politico-linguistiques.
Les dénominations du domaine ont changé selon les époques : «fran-
sais fonctionnel» n’est quasiment plus en usage et |'appellation
«rangais sur objectifs spécifiques » - abrégée en FOS, signe de réus-
site — représente I'usage actuel. Mais «francais de spécialité» n'a pas
pour autant disparu et l'on a vu apparaitre d'autres termes comme
afrangais des professions», «frangais des communications. spécia-
lisées»... Les publics sont qualifiés de «professionnels», «spécifiques »,
«spécialisés» ou de facon trés floue de «nouveaux». Le type de langue
concemné est spécifié diversement : «langue professionnelle», «de spé-
cialité», «des affaires», «du droit», etc. Face 4 ces appellations mul-
tiples, il est légitime de s‘interroger sur la motivation de telles variations
terminologiques. Les dénominations existantes recouvrent-elles des
contenus significativement différents? Ont-elles un noyau sémantique
(partiellement) commun et si oui, quels sont précisément les éléments
de sens partagés? Ces questions sont des naeuds de problémes.
U n domaine ouvert, divers et complexe
Lenseignement d'une langue étrangére sur objectifs spéci-
fiques, pour employer une terminologie consacrée, constitue aujour-
hui un domaine distinct (mais non autonome méthodologiquement
parlant) dans le territoire couvert par la didactique des langues. Ce
domaine, dont I'émergence se situe dans les années 1950 pour s‘affir-
LE FRANCAIS DANS LE MONDE / JANVIER 2004
9
Du francais fonctionnel
au francais sur objectifs
spéctiquesmer dans la décennie 1970, se caractérise par la grande diversité de ses
contextes, situations d’enseignement, méthodes, objectifs, pratiques et
dispositfs. Frangais enseigné & des étudiants brésiliens de sociologie, a
des médecins vietnamiens, 4 des fonctionnaires hongrois, & des étu-
diants russes de la fiiére mathématiques, 8 des spécialistes de phy-
sique nucléaire kenyans..., de tels exemples rendent la perception des
différences plus sensible que celle des similitudes. Cette diversité ajou-
tée 4 la complexité mouvante des terrains (dans leurs aspects sociaux,
culturels, linguistiques, économiques...) est en partie la cause du carac-
tre éclaté du domaine et de l'imprécision des notions qui y renvoient.
Cette tendance est renforcée par le dynamisme méme de ce domaine
en expansion comme en témoigne, entre autres, le catalogue de l'offre
et de la demande de formation en langue placées sous le vaste cha-
peau du FOS.
Certaines des évolutions se comprennent mal si on néglige de
prendre en compte les «agents externes» dont les actions orientent, a
des degrés variables, les lignes de force du domaine. Parmi ceux-ci
figurent la sphere politique et la sphére économique, avec leurs inévi-
tables imbrications. «La promotion de la langue francaise est placée
depus les origines de la diplomatie culturelle au coeur de la politique
francaise des échanges culturels internationaux» (A. Lombard, 2003). La
configuration et le développement du domaine, quelle que soit la
fagon dont on le nomme, s‘expliquent en effet en grande partie par les
orientations (mouvantes) des stratégies et des priorités définies par les
Politiques de diffusion du francais & létranger. Ainsi, la priorité donnée
au début des années 1950 a la coopération scientifique et technique
Jouera un réle décisif dans 'émergence du domaine identifié sous I'éti-
quette «frangais scientifique et technique» et plus tard sous celle de
«frangais fonctionnel». Dans la sphére politico-institutionnelle, le
Conseil de I'Europe est sans conteste un agent influent, principalement
dans les années 1970-1980 : le syst8me dIapprentissage des langues
par les adultes et I'élaboration des niveaux-seuils ont fourni au frangais
fonctionnel l'essentiel de ses fondements théoriques et méthodolo-
Giques (fonctions langagiéres, besoins langagiers, authenticité de la
langue enseignée/apprise, etc.). Quant 8 la sphére économique, elle
pése a l'évidence sur un champ fortement orienté vers une demande
professionnelle de plus en plus soumise a linternationalisation des
échanges et des savoirs. II serait donc réducteur de considérer le
domaine en question comme relevant de la seule didactique des
langues. II s‘agit d'un domaine ouvert qui entretient des liens trés forts
avec le politique et "économique. Ces interdépendances font que l'en-
seignement des langues pour des objectifs spécifiques est un lieu ot
s‘entrecroisent et s‘interpénétrent des discours hétérogénes : discours
Politiques, institutionnels, didactiques, qui colorent diversement le sens
LE FRANCAIS DANS LE MONDE / JANVIER 2004.des notions véhiculées et accentuent le caractére brouillé du paysage
notionnel.
« a rancais fonctionnel » (FF) :
naissance et déclin
Le Dictionnaire de didactique des langues (1976) (désormais
DDI) est un excellent témoin de l'état de la conceptualisation du sec-
teur connu sous le nom de « frangais fonctionnel » dans la premiere moi-
tié des années 1970. Cette période, est-il besoin de le rappeler, cor-
respond & un moment de profondes évolutions didactiques - la
thématique du renouveau méthodologique est récurrente - accompa-
gnées d'un foisonnement notionnel avec |’apparition de termes
néologiques : «fonctionnel» (avec le composé obscur et éphémére
«fonctionnel-notionnel»), « besoins(s) langagier(s)», «apprenant», «appro-
che communicative»; la réactivation de termes existants mais jus-
qu’alors négligés : « objectifs », « évaluation »; 'entrée dans la termino-
logie de mots usuels, le plus exemplaire étant public, discrétement
exposé dans le DDL et appelé a un brillant avenir dans les années qui
vont suivre. L'ensemble de ces notions va étre mobilisé dans la problé-
matique du FF. Le FF est un objet au destin étrange. Notion clef de la
décennie 1970, omniprésent dans les discours des didacticiens, promis
a une longue carriére, FF disparait pratiquement de la scéne didactique
au début des années 1980, en pleine gloire pourrait-on dire. Les expli-
cations de cet effacement sont diverses et sans doute partielles. Coté
didactique, le FF est la cible de critiques nourries dénongant son
cambiguité» : «... aujourd'hui, note D. Coste, tous les emplois de fonc-
tionnel - ou presque - sont considérés potentiellement ambigus»
(1980 : 28). Cété institutionnel, les politiques de diffusion du frangais
changent de cap, au prix d'une certaine instabilité institutionnelle, et
privilégient une promotion globale evisant 8 valoriser l'image de la
France et du francais» (MAE, 1995). Ne bénéficiant plus d'un soutien
politique fort, le FF entre dans une période de relatif abandon, ce qui
peut expliquer son rapide déclin (O. Challe, D. Lehmann, 1990).
Durant son existence notionnelle, FF va étre investi de deux
significations majeures : enseignement du francais a des publics spé-
cialisés et démarche méthodologique d'enseignement du francais.
expression «francais fonctionnel», créée au début des années 1970
avec l'appui des «décideurs politiques», répond au besoin de recon-
naitre officiellement un secteur du FLE jusqu'alors en retrait, I'ensei-
gnement a des non-spécialistes du francais (étudiants de filigres spé-
cialisées, publics de scientifiques, de techniciens). Le critére opératoire
est ici le public. Un premier élément d’ambiguité surgit avec la déno-
mination. La notion considérée comme nouvelle regoit en effet plu-
LE FRANCAIS DANS LE MONDE / JANVIER 2004.
Du francais foncionnel
4 francais sur objects
spécfiques12
sieurs «noms de baptéme» donnés comme des équivalents approxi-
matifs et dés le départ «les pistes sont brouillées» (Porcher, 1976).
«Frangais fonctionnel » coexiste avec trois autres dénominations, « fran-
ais instrumental », «frangais scientifique et technique», «frangais de
spécialité» (DDL, p.230). Ces différentes appellations mobilisent des
critéres de définition hétérogénes : domaine du savoir (pour scienti-
fique et technique), code linguistique (le francais de spécialité est vu
comme une partie de l'objet langue), conception de la langue (langue-
util dans «frangais instrumental», FF). Le DDL propose une définition
en négatif de FF ciblée sur le code : le FF est «... tout ce qui n'est pas
le frangais général» (p.230). Le critére linguistique établissant une dis-
tinction entre un frangais général et un frangais fonctionnel, admise par
les uns, récusée par les autres, est loin d’étre rigoureusement fondé. Et
on observe que I'épineuse question des relations entre la langue
usuelle (ou courante) et la langue de spécialité est toujours débattue
aujourd'hui (voir infra «langue de spécialité»).
La deuxigme acception de FF, d’ordre méthodologique, est
présentée comme suit par le DDL : le FF «ne saurait se caractériser
d'abord en termes de contenus et d'inventaires linguistiques, mais bien
par rapport 4 des publics précisés et a leurs objectifs d'utilisation fonc-
tionnelle (c'est-a-dire opératoire) de instrument linguistique qu’ils
entendent acquérir» (p.231). Ce qui est exposé, ce sont les principes
d'une démarche méthodologique, avec en élément central le public,
basée sur l'analyse des besoins en langue étrangére traduits en objec-
tifs fonctionnels- préalables indispensables & la construction d’un pro-
gramme d’enseignement (contenus, supports, progression...) dont la
deriére étape est I'évaluation. Ainsi que le conclut le DDL, il s'agit en
fait «d'une approche fonctionnelle de l'enseignement-apprentissage
des langues vivantes» (p.231). Du domaine spécifique de l’enseigne-
ment du frangais @ des publics spécialisés on passe & une acception
large : une méthodologie applicable a tout public, spécialisé ou non,
done a une méthodologie générale. La notion de FF doit alors étre
comprise comme désignant un enseignement adapté a un public quel
quil soit dans l'utilisation qu'il sera amené & faire de la langue apprise.
Un tel changement de sens va précipiter la chute du fonctionnel : I'en-
seignement fonctionnel du francais va se voir absorbé - et remodelé -
dans les années 1980 par l'approche communicative triomphante.
Que reste-til aujourd'hui du FF? Dans un sens spécifique, la
notion s'est perpétuée, avec des adaptations, sous d'autres étiquettes
comme on va le voir. Sur le plan méthodologique, le FF a contribué &
diffuser une méthodologie articulée sur la notion de besoins, dont le
principe central est I'adaptation au public et & la situation d’enseigne-
ment-apprentissage. Cette approche - dite approche fonctionnelle,
puis fonctionnelle-communicative, enfin approche communicative - est
encore dactualité pour les publics adultes, moyennant différents reca-
LE FRANCAIS DANS LE MONDE / JANVIER 2004drages. Ainsi I'analyse des besoins comme base de détermination des
contenus est toujours acceptée mais la notion de besoins - dont I'am-
biguité n'a cessé d’étre soulignée - s'est transformée a la fin des
années 1980 sous le terme «besoins d’apprentissage». Outre les
besoins langagiers, la notion rebaptisée comprend des besoins de
nature culturelle par une meilleure prise en compte des contextes. Dans
la décennie 1990, elle intégrera des besoins d’ordre cognitif (stratégies
d'apprentissage, profil d'apprentissage) avec apparition de 'approche
cognitive comme nouveau repére de la didactique du FLE. La dispari-
tion de FF de la terminologie didactique ne signifie donc pas dispari-
tion de la notion.
U ne appellation éphémere :
«francais instrumental» (FI)
Historiquement, Fl a précédé l'appellation FF qui luia ensuite
618 préférée. La breve existence en France de Iétiquette Fl est due en
grande partie aux connotations utilitaristes dont elle est porteuse.
Ladjectif «instrumental» véhicule Vimage d'une langue objet, d'une
langue outil permettant d’exécuter des actions, d'effectuer des opéra-
tions langagiéres dans une visée pratique et une sorte de transparence
des messages. II contient également lidée de «fonctionnalisation» de
Vrenseignement du FLE, par des systémes de formation fondes sur une
rationalisation méthodologique jugée trop ouverte aux demandes du
marché économique. Ces connotations technicistes et utilitaristes colo-
rent de méme le terme «fonctionnel» et le danger d'instrumentali-
sation du FF est souligné a diverses reprises : «un apprentissage et un
enseignement peuvent étre dits fonctionnels sans pour autant s‘en tenir
des finalités instrumentales» (D. Coste, 1979 : 56). De telles signifi-
cations alimentent une double critique. C’est d’abord la mise en cause
persistante des (possibles) dérives technocratiques des systémes d'en-
seignement des langues aux adultes dans un contexte de marchandi-
sation du monde. J. Houssaye, qui s‘exprime en spécialiste de I’'éduca-
tion mais dont on peut étendre le propos @ l'enseignement des
langues, dénonce par exemple la perversion du réle de lenseignant
devenu fournisseur d’un savoir « produit pour étre vendu», consommé
pour étre échangé», savoir qui en vient & perdre sa valeur dlusage
pour se définir en valeur d’échange (1 1988 ; 239). expression actuelle
cingénierie de la formation » n'est pas exempte de telles connotations.
Le deuxiéme élément de critique, plus formel, concerne la conception
instrumentale de la langue, mise en question dans les années 1980
grace aux apports de la linguistique du discours et des travaux sur
Vénonciation. La subjectivité des discours est affirmée, le discours
scientifique — réputé posséder au plus haut degré les proprietés de
LE FRANCAIS DANS LE MONDE / JANVIER 200414
neutralité et d’objectivité - étant un cas exemplaire. Comme tout dis-
cours, le discours scientifique est en effet construit «d'un certain point
de vue», est organisé selon un mode argumentatif (administration de la
preuve), porte des traces de la présence de I'énonciateur. Ces nouvelles
perspectives ont d'importantes répercussions sur l'analyse de la langue
et sur le traitement didactique des discours (avec par exemple la prise
en compte du «contexte de production des discours» au sens de
Bronckart 1996).
Lappeltation « frangais instrumental» a eu une existence plus
glorieuse en Amérique latine oli elle correspond a une tradition dont on
trouve des traces des les années 1960. Llexpression y est employée
dans un sens trés particulier : ce n’est pas la langue qui est instrumen-
tale mais son enseignement (G. Alvarez, 1974). Le francais instrumental
est un type d’enseignement fonctionnel du frangais qui concerne un
public défini (des étudiants de I'université), est circonscrit a des activités
précises (lire de la documentation spécialisée), limité & des objectifs
déterminés (l'accés a l'information scientifique et plus largement au
savoir), dans le cadre de filires d'études universitaires ol une large par-
tie de la documentation académique n'est disponible qu’en francais. La
distance n’est pas grande entre Fl et FF et on comprend la facilité avec
laquelle l'un a remplacé l'autre. Ce type d’enseignement du FLE, cen-
tré sur le développement privilégié d'une compétence (lecture-com-
préhension) se poursuit en Amérique latine. II s‘est étendu a d'autres
territoires dans les années 1990 par I'action volontariste du ministére
des Affaires étrangéres qui a fait du francais de spécialité une des prio-
fités de sa politique de diffusion (et de défense) du francais. La réintro-
duction du frangais au Mozambique fait ainsi une place importante
cette orientation qui concerne les étudiants en sciences sociales, méde-
cine et droit : «La finalité fondamentale premiére de l'enseignement du
francais & I'Université a été jusqu’a présent de répondre aux besoins en
FLE des étudiants et universitaires mozambicains dont la motivation
principale est d’accéder au francais pour des consultations biblio-
graphiques et une documentation scientifique dans leurs différentes
spécialités» (Document interne, Service de Coopération et d’Action
culturelle au Mozambique, 1996). On notera que la perspective «ins-
trumentale» d'enseignement du FLE a initié un courant de recherches
fécond (en France et en Amérique latine) sur la lecture de textes spé-
cialisés pour des étudiants experts dans la spécialité des écrits présen-
tés (S. Moirand, 1976 - A. Carbajal, 1978). Ce courant, fondé sur une
approche globale de la lecture congue comme activité sémiotique, va
rapidement investir les territoires du frangais scientifique et technique
et plus généralement du frangais de spécialité avec des études d’ordre
méthodologique et la réalisation de matériel pédagogique sur la lec-
ture dite fonctionnelle de textes spécialisés (D.Lehmann et alii, 1979,
1980). Les travaux sur la lecture en langue étrangére, pour publics
LE FRANCAIS DANS LE MONDE / JANVIER 200415
experts et non-experts, relevent d'une tradition - iriguée par les Du francais fonctionnel
recherches en linguistique - toujours vivace aujourd'hui. au francais sur objectfs
spécifiques
10 ne étiquette ancienne :
«francais scientifique et technique » (FST)
Les domaines «scientifique » et «technique» sont assez régu-
ligrement associés dans une méme appellation, ce qui peut paraitre
surprenant. Lorigine du lien trouve une explication partielle dans I'his-
toire méme de l'apparition de cette lexie. La désignation FST résulte
dune décision politique datant de la fin des années 1950, prise dans
un contexte de défense des intéréts économiques de la France, de son
influence géopolitique (en particulier dans les pays en voie de déve-
loppement, dont les ex-colonies frangaises), et de la langue francaise
confrontée (déja) & la poussée de l'anglais. Un rapport de 1958 met
accent sur la nécessité de réorienter les politiques concernant le fran-
gais. «Le scientifique et le technique» sont alors présentés comme des
priorités (S. Seydoux, 1984), Fort du soutien institutionnel du ministére
des Affaires étrangéres, le FST (bien antérieur donc au FF dont il consti-
tue les racines primitives) est la premiére spécialité reconnue 8 occuper
le terrain de ce qui sera le francais fonctionnel. D’oi equivalence fré-
quemment établie entre les deux termes.
Doté de moyens importants, engagé dans des actions de for-
mation d'envergure sous I'égide de la coopération, le secteur du FST
va voir se développer des recherches importantes pour des finalités
d'enseignement. Au départ orientation est terminologique. C'est la
grande époque des descriptions de vocabulaires spécialisés, la termi-
nologie étant vue comme l'entrée centrale dans une spécialité. On
citera en exemple le Vocabulaire général drorientation scientifique
(1971), inventaire de mots communs a plusieurs sciences un niveau
diinitiation. Cet ouvrage, qui part de I'idée qu'une partie du vocabulaire
des sciences est commun & plusieurs spécialités (ici les sciences
exactes), est destiné «A enseigner l'expression scientifique aux étu-
diants et stagiaires étrangers désireux de faire en francais, des études
spécialisées» (A. Phal, 1969 : 81). On relévera également la publication
du Frangais scientifique et technique (Hatier, 1971), une des premiéres
méthodes «spécifiques». Sur le plan didactique, on peut parler d’en-
seignement « spécialisé» du francais dans le sens oi 'enseignement du
FST s‘effectue par des méthodologies de type structuraliste centrées
sur les contenus plutdt que d’enseignement fonctionnel (au sens vu
plus haut) prenant en compte des facteurs situationnels et communica-
tifs. La perspective terminologique sera mise en retrait sous Vinfluence
conjuguée des études sur les textes et les discours (linguistique tex-
tuelle, problématique des genres discursfs.. et des recherches sur le
LE FRANCAIS DANS LE MONDE / JANVIER 200416
fonctionnement des communications spécialisées dans la lignée de Iin-
teractionnisme et de I’analyse conversationnelle.
Les premiéres études sur les discours spécialisés et sur les
spécificités du discours scientifique paraissent a la fin des années 1970
(M. Darot, 1975 - J.-C. Beacco, M. Darot, 1977, 1978). Le discours
scientifique — dissocié le plus souvent de son habituel second, le dis-
cours technique - va devenir un objet de recherches fécond. On distin-
guera deux orientations dans l'ensemble des travaux. Il y a ceux qui
portent sur l'organisation des textes et les mécanismes de textualisa-
tion (organisateurs logiques, anaphores, etc.) et qui, sur le plan didac-
tique, se traduisent dans des objectifs de développement de la com-
pétence textuelle (dite aussi discursive) des apprenants (T. Lebeaupin
et alii, 1990). Ces travaux conduisent 8 la recherche de transversalités,
certaines procédures (I'argumentation, la cohérence) étant communes &
plusieurs domaines. Une deuxiéme série de travaux conceme les typo-
logies du discours scientifique, les genres discursis, appréhendés dans
une problématique interactionniste. Le discours scientifique est alors
décrit comme un ensemble composé de différents genres : le discours
de wulgarisation adressé 8 des non-experts, le discours pédagogique
de transmission de savoirs (communication enseignant/étudiants), le
discours de I'écrit de recherche (thése, mémoire), etc. (A-M. Loffler-
Laurian, 1983). Sous cet angle, les discours peuvent étre classés en
deux grandes catégories : ceux de I'interlocution interne (échanges
entre spécialistes) et ceux de l'interlocution externe (diffusion et vwulga-
risation). Le classement en genres a des retombées sur la terminologie.
Le discours scientifique, qui a des liens avec d'autres types de discours
(par exemple avec le discours didactique), qui peut étre oral ou écrit,
entre dans la grande catégorie des «textes spécialisés» dits aussi
textes de spécialitén, des «communications spécialisées», des «dis-
cours spécialisés/de spécialité». Ceux-ci sont définis sous un angle
communicatif. Ce sont «tous les discours produits par des spécialistes
sur leur sujet de spécialité ...] quill s‘adressent a des spécialistes du
méme domaine ou d'un domaine voisin, a des spécialistes de leur
niveau ou des apprenants, ou encore & des non-spécialistes » (D. Can-
del, 1994 : 33). Cette nouvelle terminologie, émergente a la fin des
années 1980, traduit des reclassements & I'intérieur du domaine. La
nouvelle attention portée a la communication de savoirs spécialisés a
également des retombées didactiques. Liral, relativement négligé jus-
Quialors, a une place renouvelée, transformée par 'approche conversa-
tionnelle. La distinction en genres différents caractérisés par des procé-
dures particuligres conduit & une spécifcation plus fine des objectifs;
initiation au discours de vulgarisation Passera par exemple par un tra-
vail sur la reformulation, sur la «paraphrase a fonction de banalisation
lexicale» pour reprendre expression de Jacobi (1988 : 31) - qui vise &
faire comprendre un terme savant & un Public non-expert - sur I'exem-
LE FRANCAIS DANS LE MONDE / JANVIER 2004plification, etc. La diffusion des savoirs & différents types de public
génére une importante activité discursive relevant du champ de la vul-
garisation, domaine de recherche qui fait émerger la problématique de
l'altération — celle des variations de la formulation entre le texte pri-
maire et le texte de transmission (J. Peytard, 1984) - ainsi que la notion
de didacticité (voir les travaux du CEDISCOR’). Le transfert et la diffu-
sion des savoirs scientifiques, dynamisé par un marché éditorial
contraint a l'internationalisation et par les technologies de l'information
et de la communication qui donnent un accés immédiat a l'information,
offrent aujourd'hui au discours de vulgarisation un espace «sans fron-
tigres» qui pose le probléme de l'accés cognitif aux informations diffu-
sées. Ce probléme peut se résumer dans une question centrale qui
devrait intéresser les didacticiens : «Comment traiter l'information
scientifique pour la rendre diffusable et intellectuellement accessible 3
des publics divers?»
La problématique des textes/discours comme production ver-
bale, orale ou écrite, adressée et située, aboutit a I'inclusion du FST
dans un ensemble de niveau supérieur : les textes/discours spécialisés.
Le public, vecteur de l'offre/demande de formations en FLE, est un
autre élément porteur de changement. Le public initial du FST était
composé d'adultes ayant préalablement regu une formation scienti-
fique dans leur propre langue, donc experts dans leur spécialité. Une
autre catégorie de public type va rapidement étre identifié : celui des
étudiants - voire des éléves du secondaire - pour qui le francais est la
langue véhiculaire des enseignements scientifiques (Maghreb, Afrique
noire francophone...) (Vigner, 1978). Ce public va étre englobé dans les
contextes relevant de la problématique du frangais langue seconde et
traité dans ce cadre. Dans une perspective plus récente, on peut consi-
dérer les filiéres dites «bilingues» (dans le primaire et le secondaire) et
les filigres dites « francophones» (dans le supérieur) comme des exten-
sions des territoires du FST, des matiéres scientifiques (mathématiques,
biologie, physique) étant enseignées en francais dans différents pays
(Europe centrale et orientale, Asie du Sud/-Est...). Ces fiiéres, qui pour
beaucoup se sont développées dans la décennie 1990 par le biais d’ac-
cords de coopération linguistique, ont rapidement connu une diversifi-
cation des disciplines enseignées en francais (commerce, administra-
tion et gestion, journalisme...). FST est alors une étiquette trop étroite
Pour contenir une telle diversité de domaines de savoir. Une appella-
tion plus couvrante parait nécessaire; langue de spécialité, expression
déja en usage, va étre appelée a se généraliser. Les catalogues édito-
iaux présentent les outils d’apprentissage «non généralistes» du FLE
{méthodes, dictionnaires, cédérom) dans la rubrique «langue(s) de spé-
cialité». Dans les discours politico-institutionnels, toutes les formes
denseignement spécifique sont regroupées sous I'étiquette «francais
de spécialité» qui, dans le champ de la diffusion du frangais, englobe
LE FRANCAIS DANS LE MONDE / JANVIER 2004
17
Du francais fonctionnel
au francais sur objects
spécitiques
1. Centre de recherche sur
la didacticité des discours
cordinaires.18
«des formations linguistiques spécialisées correspondant a des besoins
professionnels, comme le francais juridique, le frangais médical, le fran-
ais scientifique et technique, le francais des relations internationales,
etc.» (Etat de la francophonie dans le monde, 1997 : 427). Ces évo-
lutions internes (intéressant la didactique) et extemes (marché de la
formation en FLE) font que FST est de plus en plus amené & rendre
compte d'une catégorie particuliére, classée avec d'autres sous Iéti-
quette générique «frangais de spécialité ».
AVA criantes d'une appellation: « langue
de spécialité (LSP)/langue spécialisée »,
«francais de spécialité » (FSP)
Uappellation LSP est ancienne (années 1950-1960), utilisée
initialement par les lexicologues travaillant sur les vocabulaires du fran-
Gais. Le Dictionnaire de didactique des langues (1976) la définit comme
une expression générique désignant les langues «qui impliquent la
transmission d'une information relevant d'un champ d'expérience parti-
culier» (p. 511). La notion de LSP regroupe trois catégories : les langues
scientifiques, les langues techniques, les langues professionnelles
(ibid). La classification distingue deux types de langue (scientifique,
technique) pourtant solidaires dans FST. Elle dit en outre clairement que
le FST est une composante du FSP. On remarquera au passage que le
méme DDL présente les trois désignations, FF, FST, FSP, comme des
quasi équivalents (entrée « francais fonctionnel» p.230). Pour résoudre
Cette apparente contradiction, il faut sans doute garder a l'esprit qu’
"époque, le FST était le domaine de loin le plus important et, qu'a ce
titre, il constituait & lui seul I'essentiel du FSP. Quant aux langues pro-
fessionnelles, elles ne forment pas une catégorie vraiment nouvelle
dans l'enseignement du FLE, mais elles ne bénéficient pas alors de la
reconnaissance politico-institutionnelle des deux autres. Elles sollicitent
done moins la recherche et peu de travaux leur sont consacrés. La situa-
tion évoluera, notamment dans la décennie 1990, le ministére des
Affaires étrangéres portant un intérét accru au frangais pour les profes-
sions, secteur important dans les échanges marchands (frangais des
affaires, du commerce, du tourisme...), dans les communications inter-
nationales (formation des futurs fonctionnaires européens en Europe
centrale et orientale, formation de traducteurs et d'interprétes dans le
cadre de l'intégration européenne). Concernant les. langues profession-
nelles, la production éditoriale est un bon indicateur de Vimportance de
la demande «de terrain», via les institutions de formation. Dés le début
des années 1970 des manuels ciblant un secteur professionnel sont édi-
tés. Chez Didier, c'est la série « Introduction a...» : Introduction au fran-
LE FRANCAIS DANS LE MONDE / JANVIER 2004ais commercial (1972), Introduction au francais économique (1972).
Est créée chez Hachette la collection «Le frangais et la profession» ot
vont étre successivement publiés Le francais des hommes d'affaires
(1975), Le francais du secrétariat commercial (1977), Le francais de la
banque (1978), Le frangais de I'hétellerie et du tourisme (1980)... La
production éditoriale n‘a cessé d'investir ce créneau avec deux grands
types de méthodes. Celles qui couvrent un ensemble de professions :
Scénarios professionnels (Clé International, 1994), Le francais des rela-
tions professionnelles (Didier)... et celles qui ciblent un domaine parti-
culier, avec au premier rang le secteur des affaires : Le francais des
affaires (1993), Les affaires en francais (1987), Le nouveau French for
business (1994) toutes éditées chez Didier.
Que penser de expression LSP? Y, Gambier (1998) parle
d'objet «indécis», d'expression «peu conceptualisée», LSP pose en
effet de nombreux problémes en raison de la multiplicité des catégo-
ries de langues regroupées sous cette étiquette. On a l'image d'un
champ éclaté, aux limites de plus en plus floues et aux découpages
internes incertains. Comment se dessinent les frontiéres entre le fran-
gais des affaires et le francais de l'économie? La mosaique de langues
pose des questions redoutables : chaque profession aurait-elle sa
langue propre totalement distincte de la langue des autres professions,
un discours particulier justifiant un domaine d’étude isolé? Chez cer-
tains didacticiens engagés dans des actions de formation, on observe
une tendance a «particulariser» la langue; le frangais des affaires est
ainsi présenté comme le regroupement de plusieurs frangais profes-
sionnels dits « linguistiquement distincts » : francais de la gestion, fran-
ais du marketing, francais de la finance... (I. Rakotobe-Darricades,
1992). On peut penser que la logique des professions et la pression de
la demande de formations (via les entreprises), demande elle-méme
segmentée en publics trés spécialisés, ne sont pas étrangeres a I'ato-
misation du secteur et a la tendance au cloisonnement des domaines.
Lemploi indifférencié de «langue de spécialité » et de «langue spécia-
lisée» est également sujet a interrogation. P. Lerat accorde sa préfé-
rence 8 «langue spécialisée» quill définit comme « usage d’une langue
naturelle pour rendre compte techniquement de connaissances spécia-
lisées» (1995 : 21) - expression qui selon I'auteur affirme bien le carac-
tere unitaire de la langue et met I’accent sur ses usages.
Une autre difficulté tient & la relation problématique entre
langue de spécialité et langue générale. Cette question, débattue des
'origine par les linguistes, et qui fait partie de la tradition des LSP, est
Pour certains auteurs «la question des questions», encore discutée
actuellement. Celle-ci peut se formuler comme suit : « Qu’est-ce qu'une
langue de spécialité et en quoi différe-t-elle de la langue générale?»
{F. Frandsen, 1998 : 15). Les recherches en la matiére sont insuffisantes
pour permettre une réponse scientifiquement fondée 4 une telle ques-
LE FRANCAIS DANS LE MONDE / JANVIER 2008
19
Du francais fonctionnel
au francais sur objectifs
spécifiques20
tion. Le DD! évoque le sujet sous I'angle lexical : « Les langues spécia-
lisées en général utilisent un fonds de lexique que l'on retrouve dans la
langue usuelle mais dans des acceptions spécifiques liées a la science
ou & la discipline concemée. » (p.512). ly aurait un lexique spécifique
limité une seule spécialité ou sous-spécialité - la terminologie - et des
termes communs affectés d'un sens particulier. Il reste que d'autres
aspects de la langue, et non des moindres, sont impliqués (syntaxe,
procédés rhétoriques, etc). Sila notion de LSP manque de clarté, il en
est de méme pour le terme «langue générale» par rapport a quoi elle
est souvent définie. On peut d’ailleurs constater une identique mollesse
notionnelle dans «langue usuelle», «langue quotidienne», «langue
courante», souvent donnés comme des équivalents de «langue géné-
rale». La question des relations entre langue de spécialité et langue
générale a des implications didactiques évidentes. Sans reprendre le
vieux débat «Faut-il débuter une formation spécialisée par un ensei-
gnement de francais général et passer ensuite la spécialisation?»
{débat animé dans les années 1970-1980 qui revient encore épisodi-
quement en discussion) - on formulera le probléme ainsi : «Comment
faire intervenir le frangais général dans le cadre d'une formation spé-
cialisée pour construire des apprentissages cohérents?» La réponse
n'est pas évidente et, sur le terrain, praticiens et auteurs de matériel
didactique y répondent a leur facon. Envisagée dans une perspective
interactionnelle, la «question des questions» se pose en d'autres
termes, relativement & une langue qualifiée de «langue de communi-
cation a usage professionnel» : quelles sont les relations entre les
usages langagiers de communication courante et les usages langagiers
de communication spécialisée ? Ce probléme non résolu ouvre la porte
a des bricolages méthodologiques, fruits des convictions, des igno-
rances ou des hésitations des uns et des autres.
U n faux objet neuf : « francais sur objectif(s)
spécifique(s) » (FOS)
Entré dans la terminologie didactique fin des années 1980,
FOS n’est ni une notion véritablement nouvelle ni une expression tota-
lement inédite (on en trouve quelques traces dans des discours anté-
rieurs). Ce qui est nouveau, c'est la promotion de l'expression, qui se
lexicalise, comme appellation générique du domaine. «Francais sur
objects spécifiques», parfois mis au singulier, est calqué sur l'expres-
sion anglo-saxonne Languages for specific purposes, largement utilisé
dans le domaine anglophone. Comparée 8 «langue de spécialité»,
expression anglaise/francaise exprime bien lidée qu'il ne s‘agit pas
de langue particuligre (un frangais qui serait «spécial»), mais d'usages
particuliers de cette langue. La différence est I'accent placé en anglais
SS a a es eS eee eeesur la finalité, le but visé (signifié par la préposition for) alors que le fran-
gais semble plus statique (préposition «sury). Le frangais sur objectifs
spécifiques hérite d'un passé remontant aux années 1950 et peut étre
considéré comme un avatar (sans doute pas le dernier) du frangais fonc-
tionnel, avatar fagonné par les évolutions qui font qu'l n'est plus tout a
fait le méme mais pas tout a fait différent. Uhéritage est contrasté. Le
champ est éclaté, sectorisé en divers domaines et spécialités dont la
prise en compte dépend de la demande externe, elle-méme lige aux
transformations des sociétés inscrites - bon gré mal gré - dans le pro-
cessus de mondialisation. Sur le plan didactique, les principes de Ien-
seignement fonctionnel du frangais sont toujours a I'ceuvre, le nouvel
intitulé affichant la valorisation des objectifs. Bien que la vision didac-
tique, plus englobante, ait progressivement distingué de nouveaux élé-
ments (culture, contexte), on doit admettre qu'elle n’est pas parvenue
construire des modéles et des programmes d’apprentissage intégrant
méthodologiquement ces facteurs. Sur les terrains, les principes didac-
tiques sont diversement appliqués. Les outils didactiques employés
sont d'une grande variété et pas forcément en accord avec les voeux
des didacticiens. Une enquéte, réalisée il est vrai il y a plus de dix ans,
montre que les méthodes spécialisées sont minoritaires de méme que
l'emploi de documents authentiques (H.Fariol, J.Couillerot, 1990). I
n'est pas certain que la situation ait beaucoup changé aujourd'hui, si ce
n'est dans quelques lieux privilégiés disposant d’équipes d’enseignants
formés.
Parmi les évolutions en cours, difficiles encore & repérer avec
netteté, on peut noter la montée des entreprises dans les demandes de
formation linguistique. Ces demandes, gouvernées par les impératifs
de rentabilité-efficacité, agissent sur la rationalisation des systémes de
formation {il y est question d'expertise linguistique, de référentiel de
compétences, de certification de compétences...) et sur la conception
de dispositifs qui doivent faire place 4 des formations individualisées et
aux auto-apprentissages (rdle clef du multimédia) (C. Springer, 1996).
On peut craindre une généralisation hative de cette perspective 8
d'autres situations et publics sous la pression et l'urgence d'une
demande qui échapperait de plus en plus & la réflexion didactique.
Autre élément notable : le développement dune catégorie a l'intérieur
d'un type de public identifié de longue date sous la vaste étiquette
«étudiants Il ‘agit de ceux qui apprennent le franais en vue de faire
{tout ou partiellement) leurs études dans un établissernent francophone
{effet de {'internationalisation des universités et de la mobilité des étu-
diants). Dans les termes référant aux publics, on n’observe pas de varia-
tions significatives («publics spécifiques», «spécialisés» dominent) &
exception d'une opposition traduisant une perception nouvelle, fon-
dée sur les finalités de l'apprentissage du frangais. Une distinction est
ainsi faite entre les « publics non spécialistes de francais » qui ont besoin
21
Du francais fonctionnel
au francais sur objectifs
spécifiques22
de cette langue pour des objectifs autres que linguistiques (faire une
formation diplémante dans un pays francophone, acquérir des compé-
tences professionnelles) - et des «publics spécialistes» du francais qui
étudient a langue pour elle-méme ou pour I'enseigner. Seule la pre-
miére catégorie est considérée comme relevant du FOS.
Le FOS a hérité de nombreuses questions d'ordre didactique
encore sans réponse fondée. Comment situer un cours/un programme
adapté dans le continuum qui va des usages trés spécialisés 4 des
usages plus généraux? Sur quelles descriptions s‘appuyer? Quelles
spécificités des publics prendre en compte? Depuis le francais fone-
tionnel, ‘attention s'est centrée sur les objectifs d'utilisation de la
langue. Plus récemment, la thématique des stratégies d'apprentissage
conduit a s‘intéresser aux maniéres d'apprendre. La culture est un autre
facteur jugé essentiel mais dans quel(s) domaine(s) la faire intervenir?
Doit-on principalement considérer la dimension culturelle des modes
dapprentissage d'un public donné, de ses conceptions de ce que
signifie l'acte d’apprendre, de ses perceptions de la relation ensei-
gnant-apprenant, ou encore du fonctionnement de la communication
dans la communauté source comparée a celle de la communauté étran-
gére? La liste est longue mais non exhaustive. Convenons que nombre
de ces questions ne sont pas particuligres a I'enseignement des
langues aux publics spécialisés mais que les réponses 3 apporter ne
peuvent étre générales.
Au terme de ce parcours, il apparait assez clairement, du
lespére, que les termes «francais fonctionnel», «francais de
», «frangais sur objectifs spécifiques» sont différents noms de
baptéme pour une méme notion. C'est le point de vue adopté. La
notion reste en effet inscrite dans le méme modéle global correspon-
dant au grand changement de paradigme méthodologique des années
1970. Lensemble notionnel dont elle fait partie est composé des
mémes objets centraux depuis trente ans : besoins, objectifs, publics,
situation, langue spécialisée. Les variations constatées sont des dépla-
cements d'attention sur tel ou tel objet revisité, rediscuté (les notions
de besoins, de langue de spécialité..) plutét que des ruptures fonda-
mentales. On peut penser que I’enseignement du frangais sur objectifs
spécifiques ~ sous l'appellation FOS ou sous une autre ~ a un avenit,
Prometteur peut-étre, sous réserve que le francais garde une place
significative sur le marché aux langues (pour parler comme Calvet) et
que la réflexion didactique soit au rendez-vous,
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